SEANCE DU 2 DECEMBRE 2002


M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant les charges communes et les comptes spéciaux du Trésor.
La parole est à M. Yves Fréville, rapporteur spécial.
M. Yves Fréville, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, pour les charges communes. Vous me demandez, monsieur le président, de tenir la cadence de 200 millions d'euros à la seconde ! Le budget des charges communes est, en effet, un budget « mastodonte » de près de 120 milliards d'euros.
C'est également un budget protéiforme, qui respire : il se gonfle de 24 milliards d'euros de crédits de pensions une fois le vote de la loi de finances acquis, et il s'allège dans l'article d'équilibre de 62 milliards d'euros de dégrèvement d'impôts.
C'est aussi un budget innovant, puisqu'il sert de banc d'essai pour la mise au point du premier programme de dépenses prévu par la loi organique relative aux lois de finances.
C'est enfin un budget quelque peu hétéroclite, dont le taux de croissance de 2,2 % n'a guère de signification.
Par conséquence, monsieur le ministre, je m'en tiendrai à deux séries de questions qui tiennent essentiellement, d'une part, à la charge de la dette et, d'autre part, à certaines interventions de l'Etat : les dégrèvements d'impôts locaux et les primes d'épargne logement, notamment.
Mes premières observations porteront sur la charge de la dette : celle-ci atteint 38 milliards d'euros pour une dette de 770 milliards d'euros au 30 septembre 2002. Et cette somme correspond uniquement aux intérêts de la dette ! Car nous n'amortissons pas la dette venant à échéance ; nous la refinançons sur un marché financier désormais européen. Les émissions de l'Etat atteindront, cette année, 111 milliards d'euros : 68 milliards d'euros au titre du refinancement de la dette passée et 43 milliards d'euros s'agissant du besoin supplémentaire engendré par le déficit budgétaire prévu pour 2003.
Je vous poserai une première question, monsieur le ministre, au sujet de l'interprétation de l'article 34 de la nouvelle loi organique, qui prévoit le vote par le Parlement d'un plafond à l'augmentation de la dette à long et moyen terme.
En 2002, profitant des bas taux d'intérêt - et vous avez sans doute eu raison - vous avez prévu d'émettre 25 milliards d'euros de bons du Trésor à taux fixe, les BTF, supplémentaires, ce qui dépasse sans doute largement les besoins de la trésorerie. Ce serait, si l'on était sous l'empire de la nouvelle loi, une façon de contourner le plafond voté.
Je pense qu'en ce domaine un code de bonne conduite serait nécessaire et que le tableau de financement devrait isoler, pour le moins, la part de BTF non requise pour de simples besoins de trésorerie.
Il faudrait aussi préciser votre interprétation du « plafond ». Bien entendu, celui-ci doit être ajusté non seulement dans le cas d'une rectification du déficit dans un collectif budgétaire, mais également lorsque l'Etat prend de nouveaux engagements hors budget : je pense, notamment, à la reprise de la dette de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'ACOSS, même si j'espère que les engagements de ce type ne se renouvelleront pas.
Mais qu'adviendrait-il si, après le vote du collectif budgétaire de fin d'année, des besoins supplémentaires de financement apparaissaient ? Il faudrait simplement mettre en jeu la responsabilité politique du Gouvernement en approuvant l'ajustement du plafond dans la loi de règlement, plutôt que de se donner un « pied de pilote » lors de l'approbation initiale de ce plafond.
Ma deuxième question concerne la charge nette de la dette.
Depuis 1995, celle-ci s'accroît moins vite que le stock de la dette. Elle progresserait de 3,9 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2002. Cette prévision me semble tout à fait solide pour les annuités de la dette à long et moyen terme, qui correspondent à des emprunts émis, pour l'essentiel, en 2002. Elle est sans doute un peu pessimiste - et tant mieux, d'ailleurs - pour les emprunts à court terme, car le taux d'intérêt du consensus qui avait été arrêté en août pour les BTF à 3,9 % est supérieur aux taux actuels. Une bonne surprise n'est donc pas à exclure !
Ce serait d'autant plus utile que la croissance de la charge de la dette tend à s'accélérer de nouveau en raison à la fois d'un effet volume plus défavorable du fait du creusement du déficit budgétaire et d'un effet taux négatif qui s'affaiblit. Cet effet taux est dû à l'amortissement des emprunts qui avaient été contractés voilà une dizaine d'années à des taux supérieurs de plusieurs points aux taux actuels de refinancement. Bien entendu, cet effet taux va disparaître prochainement.
En outre, l'Agence France-Trésor développe une politique de gestion active et innovante de la trésorerie et de la dette dans un souci de transparence à l'égard du Parlement, que je me plais à souligner.
Je n'évoquerai pas le problème délicat du choix des indicateurs de performance en matière de gestion de la dette. Je m'en tiendrai à l'objectif de réduction progressive de la durée moyenne de la dette. C'est un changement de politique assez considérable, monsieur le ministre, par rapport à la pratique antérieure. En effet, de 1985 à 1995, l'objectif inverse était visé, à juste titre d'ailleurs : tant que l'euro n'avait pas été érigé en monnaie européenne, cette politique était tout à fait rationnelle, car la politique monétaire avait pour premier objectif la défense de la parité franc-mark, au prix de hausses parfois très fortes des taux à court terme.
Nous n'avons plus à faire face aux crises de change que nous avons connues, en particulier au début des années quatre-vingt-dix. Il est donc tout à fait posssible de conduire une politique qui permette de profiter, de façon prudente, de l'écart de taux favorable entre les taux à court terme, relativement bas lorsque la courbe des taux est normale, et les taux à long terme, qui sont plus élevés.
Il faut reconnaître que des risques subsistent et que des difficultés apparaissent : nous en avons eu l'exemple cette année, puisque le programme de swaps , c'est-à-dire d'échange de taux longs contre des taux courts mis en application voilà deux ou trois ans, a dû être suspendu.
Il me semble opportun, monsieur le ministre, que vous nous expliquiez dans quelles circonstances - par précaution, sans doute - vous mettez fin à cette politique de raccourcissement de la durée de la dette. Cela doit-il être considéré comme un arrêt provisoire ou bien allez-vous persévérer dans cette voie tant que des dangers subsisteront sur le plan financier international ?
Telles sont les questions que je voulais vous poser, monsieur le ministre, sur la charge de la dette.
Je souhaite en venir maintenant à des interventions de l'Etat qui me semblent poser problème. Il s'agit, d'abord, des dégrèvements d'impôts locaux. A la différence des remboursements d'impôts d'Etat, qui viennent très justement en déduction du montant des recettes de l'Etat dans l'article d'équilibre, vous continuez à déduire les dégrèvements d'impôts locaux du montant des recettes de l'Etat, bien qu'ils soient désormais parfaitement isolés sur le plan comptable au sein du chapitre 15-01 des charges communes.
Permettez-moi de vous dire - et cette opinion est partagée à la fois par le Premier président de la Cour des comptes et par le rapporteur spécial de l'Assemblée nationale - que ces dégrèvements d'impôts locaux ne s'imputent pas sur des impôts d'Etat et qu'il serait donc logique de les inclure dans le calcul du taux de croissance des dépenses de fonctionnement.
Ces dégrèvements, mes chers collègues, sont des subventions implicites et invisibles aux collectivités locales qui allègent le poids de l'impôt local de certains contribuables. Leur montant atteint 9,6 milliards d'euros en 2003, la même somme qu'en 2001. Cependant, cette stabilité globale dissimule une évolution bien différenciée.
Ainsi, les dégrèvements de taxe d'habitation ont augmenté très brutalement de 60 % en trois ans. Vous trouverez dans mon rapport écrit une analyse fouillée de ces dégrèvements de taxe d'habitation qui démontre - c'est une première, je crois - que ces dégrèvements profitent non seulement aux communes les plus dépensières, ce qui était prévisible, mais également plus spécifiquement aux grandes villes, avec des écarts extraordinaires. Cela fera, sans doute, l'objet de débats, mais je pense qu'il faudra intégrer ces dégrèvements de taxe d'habitation dans la réflexion d'ensemble du Parlement sur les mécanismes de péréquation, parce que ces dépenses ont manifestement un effet largement contre-péréquateur.
Pour l'heure, je m'en tiendrai aux dégrèvements de taxe professionnelle, dont le principal est le plafonnement en fonction de la valeur ajoutée. Ces dégrèvements s'élèvent encore, malgré une légère décrue depuis 1999, à 6,4 milliards d'euros. Je suis étonné qu'ils n'aient pas diminué plus. En effet, le plafonnement en fonction de la valeur ajoutée était un dispositif de crise. Il avait explosé lors de la récession de 1992-1993, lorsque l'affaissement des bénéfices avait réduit la valeur ajoutée des entreprises. Il était tout à fait normal que la taxe professionnelle, dont le poids relatif s'accroissait - car il ne dépendait pas des bénéfices des entreprises -, soit prise en charge partiellement par l'Etat en fonction de la valeur ajoutée. Or cette cause a disparu, mais le poids de ces dégrèvements n'a pas vraiment diminué avec le retour à la prospérité.
J'espérais que la suppression progressive de la part « salaires » aurait entraîné, elle aussi, une baisse forte des dégrèvements. Or la réduction de près de 400 millions d'euros figurant dans le fascicule des voies et moyens, sans être négligeable, ne me paraît pas plus à la hauteur de ce que l'on était en droit d'attendre après la suppression de la part « salaires ».
En pratique, donc, ce sont les entreprises ayant beaucoup d'outillages et peu de charges de salaires qui continuent à bénéficier de ces dégrèvements de taxe professionnelle.
Je pose la question : ce dégrèvement est-il bien calibré ? Sachant qu'en moyenne la taxe professionnelle est égale à 3,2 % de la valeur ajoutée, un plafonnement à 3,5 % est-il encore justifié ?
M. Roger Rinchet. Bonne question !
M. Yves Fréville, rapporteur spécial. J'en viens aux primes d'épargne logement. Elles figurent au chapitre 44-91 des charges communes pour la somme - considérable - de 1,5 milliard d'euros, soit une augmentation de près de 50 % en cinq ans.
Actuellement, les plans d'épargne logement constituent un placement financier extraordinairement intéressant, dont l'Etat paie, au titre des primes, deux septièmes de la charge d'intérêts. Or les dépôts consacrés à l'épargne logement ne donnent lieu à prêts qu'à hauteur de 10 % de leur masse. Certes, le Trésor contrôle l'utilisation des 90 % restants d'une autre manière, en accord avec les banques, pour les réinvestir dans le circuit de financement du logement. Cependant, on est tout de même en droit, mes chers collègues, de s'interroger sur un mécanisme qui conduit l'Etat, c'est-à-dire le contribuable, à financer une mode d'épargne qui ne joue pas le rôle que lui a assigné le Parlement, c'est-à-dire sa mobilisation sous forme de prêts spécifiques d'épargne logement. Loin de moi l'idée de remettre en cause les droits acquis et les contrats déjà signés, monsieur le ministre,...
M. Alain Lambert, ministre délégué. Non, en effet !
M. Yves Fréville, rapporteur spécial. ... mais je pense que nous devons réfléchir à une réorganisation de l'épargne logement pour la rendre plus efficace.
Monsieur le ministre, ce budget des charges communes - budget mastodonte - doit encore faire l'objet de clarifications, s'agissant des retraites de la fonction publique.
La situation est, en effet, sur les plans comptable et budgétaire, absolument aberrante. Du côté des dépenses, nous avons des crédits de pensions - 32 milliards d'euros ! - ventilés à hauteur de 26 milliards d'euros dans une douzaine de fascicules ministériels, sur des bases, d'ailleurs, assez curieuses. Ainsi, les retraites des professeurs de l'enseignement supérieur - j'y suis sensible - relèvent de la section scolaire et les effectifs de pensionnés de chaque ministère ne sont pas les effectifs réels, mais ceux de 2001 !
Toujours dans les dépenses, on trouve 6 milliards d'euros dans le budget des charges communes, couvrant, outre les pensions concernant La Poste et France Télécom, toutes sortes d'ajustements. Voilà donc une première difficulté de consolidation des dépenses.
Du côté des recettes, il en est de même. Il faut aller chercher dans les recettes non fiscales les quelque 5 milliards d'euros de contributions en atténuation de dépenses de France Télécom, de La Poste et de l'établissement chargé de gérer la soulte de France Télécom, isoler ensuite les 4,5 milliards de retenues pour pensions pour arriver à mesurer ce qu'est la participation réelle de l'Etat dans le système de répartition. Personnellement, en prenant les chiffres très globalement, j'arrive à une participation de l'Etat supérieure à 80 %, France Télécom et La Poste bien entendu exclus.
Cela me conduit à vous faire une suggestion, monsieur le ministre : il faudrait très rapidement préfigurer, au sein des charges communes, le futur compte spécial prévu par la loi organique en matière de pensions de manière que les citoyens et les parlementaires soient informés et puissent débattre de la réforme des retraites de la fonction publique sur des données chiffrées précises.
Sous réserve de ces observations, j'émets, au nom de la commission des finances, un avis très favorable à l'adoption du budget des charges communes. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Paul Loridant, rapporteur spécial.
M. Paul Loridant, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, pour les comptes spéciaux du Trésor. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai mon intervention par une remarque générale concernant l'avenir des comptes spéciaux du Trésor au regard de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances.
En ce qui concerne les comptes d'affectation spéciale, l'article 21 de la loi organique relative aux lois de finances introduit deux restrictions, au demeurant utiles, par rapport au régime actuel. D'une part, les recettes des comptes d'affectation spéciale doivent être « en relation directe avec les dépenses concernées ». Certains comptes ne pourront donc plus percevoir la totalité des recettes qui leur sont aujourd'hui affectées. D'autre part, les recettes des comptes d'affectation spéciale ne pourront être complétées par des versements du budget général que dans la limite de 10 % des crédits initiaux de chaque compte, contre 20 % aujourd'hui. J'ai recensé, sans me pencher sur le cas des comptes de commerce, au moins cinq comptes dont le fonctionnement pourrait être fortement affecté par la mise en oeuvre de la nouvelle loi organique.
Par ailleurs, je tiens à le dire solennellement devant vous, monsieur le ministre, je considère qu'un certain nombre de comptes spéciaux souffrent de dysfonctionnements importants, à commencer par un volume anormalement élevé de reports de crédits.
Pour les comptes 902-00 « fonds national de l'eau », 902-32 « fonds de modernisation de la presse quotidienne » et 902-17 « fonds national pour le développement du sport », les ratios entre les reports et les crédits sont, en 2002, respectivement de 136 %, 224 % et 64 % ! La situation de ces trois comptes présente un caractère d'autant plus inadmissible que ces reports ne cessent d'augmenter depuis 1999 et que, par ailleurs, les crédits votés en loi de finances initiale ne cessent eux-mêmes également de croître, ce qui sera toujours le cas en 2003.
Que traduisent ces reports ? Un taux de consommation des crédits particulièrement faible. La solution de ce problème, répété et amplifié depuis de nombreuses années, ne peut qu'emprunter deux voies : soit la réduction des dotations votées en loi de finances initiale, soit l'annulation des crédits de reports. Or ces deux voies sont, monsieur le ministre, de la responsabilité exclusive du Gouvernement.
Un autre dysfonctionnement vient du regroupement ; au sein du compte 902-32, géré par le ministère de la culture, de crédits sans aucune cohérence, au point que je l'ai baptisé « le compte fricassée du ministère de la culture » ! Le mélange des genres pratiqué par ce compte - entraides à la presse et soutien à l'expression radiophonique locale - me paraît contestable.
Le choix d'un compte d'affectation spéciale à part entière, consacré au soutien de l'expression radiophonique locale, aurait été beaucoup plus justifié, à cette réserve près que les fonds recueillis par la taxe affectée sont limités. Une budgétisation totale de la taxe paraît, en définitive, s'imposer et c'est, d'ailleurs, la logique qui a prévalu pour d'autres taxes affectées, comme la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat, qui finançait le FISAC - le fonds d'intervention pour la sauvegarde, la transmission et la restructuration des activités commerciales et artisanales - désormais intégrée au budget général.
Ma dernière question sur le fonctionnement des comptes spéciaux du Trésor concerne l'avenir que vous réservez, monsieur le ministre, au compte d'affectation spéciale 902-33. Il s'agit du fonds de provisionnement des charges de retraite, financé par les redevances perçues pour l'utilisation des fréquences UMTS. Ce compte est, de fait, mort-né, puisque les recettes, liées aux déboires du dossier UMTS, plusieurs fois diminuées, n'ont jamais été à la hauteur des besoins. En 2003, en 2004 et en 2005, aucune recette ne serait constatée sur ce compte. Dans ces conditions, ne vaudrait-il pas mieux fermer ce compte dès maintenant ?
Venons-en maintenant au compte qui, politiquement, est le plus important des comptes spéciaux du Trésor : le compte 902-24, dit de privatisation.
Je constate que l'effet de ciseau, déjà constaté l'an passé, entre les besoins de dotations en capital pour les entreprises publiques et les recettes issues des privatisations, s'est accentué au point que le Gouvernement est tenté de recourir à des solutions extrabudgétaires pour recapitaliser certaines entreprises publiques. Cette solution est le symptôme de la crise grave traversée non seulement par le compte 902-24 - qui n'est qu'un simple compte ! - mais aussi, et surtout, par l'Etat actionnaire.
Contrairement à ce qui pourrait apparaître ici ou là, ce compte n'est pas vraiment le compte d'un Etat-investisseur. Il est un compte de restructuration, de cantonnement d'actifs dévalorisés et de désendettement : les principaux bénéficiaires en sont ainsi GIAT Industries, Charbonnages de France, Bull, la structure de cantonnement du Crédit lyonnais et Réseau ferré de France.
Les actifs de valeur de l'Etat sont cédés pour permettre la poursuite d'activité d'entreprises qui ne pourront jamais être mises sur le marché et qui même, pour certaines, seront, à terme, fermées.
Que constate-t-on en 2002 ? Après les années fastes de 1997 et 1998, les recettes qu'il est désormais possible de tirer des privatisations sont de plus en plus limitées. Les besoins en dotations en capital sont, eux, toujours aussi importants. Dès lors, on assiste, pour ces entreprises, à un report des dotations en capital d'année en année.
Prenons l'exemple de 2001, année où les recettes ont été deux fois moins importantes que prévu. Les dotations en capital destinées à Réseau ferré de France et à l'EPFR, l'établissement public de financement et de restructuration - la structure de défaisance du Crédit lyonnais - ont été repoussées en 2002. Compte tenu de la conjoncture actuelle, les dotations de 2002 destinées à ces mêmes établissements, soit, au total, 3,2 milliards d'euros, ont été encore repoussées en 2003.
Dans le projet de loi de finances pour 2003, vous présentez, monsieur le ministre, une prévision de recettes optimiste de 8 milliards d'euros, et vous annoncez la recapitalisation de France Télécom, dont le coût, évalué à 9 milliards d'euros, n'est pas inscrit au budget. Vous pourriez retenir, monsieur le ministre, la solution de créer un établissement public s'endettant en lieu et place de l'Etat, et recapitalisant à sa place l'entreprise publique France Télécom, ce qui expliquerait que les dépenses ne soient pas inscrites dans la loi de finances initiale. Cependant, le choix d'une telle structure me paraît critiquable. Il n'est évidemment pas conforme aux principes d'universalité et de sincérité du budget de l'Etat : en clair, il s'agit d'une débudgétisation, et elle ne sera de toute façon vraisemblablement pas neutre au regard des critères dits de Maastricht.
Le choix de l'établissement public permettra, certes, de ne pas peser, en apparence, sur le « déficit maastrichtien », mais aura, en revanche, de lourdes conséquences sur la dette des administations publiques. L'établissement public qui sera créé risque fort, en effet, d'être classé en organisme divers d'administration centrale, ou ODAC, et d'entrer à ce titre dans la définition de la dette publique. Celle-ci, déjà proche des 60 % du produit intérieur brut, pourrait alors dangereusement frôler cette limite, voire la dépasser.
Reconnaissez, monsieur le ministre, que le recours à un établissement public pour recapitaliser France Télécom avec la garantie implicite de l'Etat, cet établissement public faisant lui-même un emprunt auprès de la Caisse des dépôts et consignations, constitue un hors-bilan éminemment critiquable.
Il faut évidemment reconnaître que, en l'état, le compte 902-24 ne disposera pas des recettes nécessaires à une recapitalisation de France Télécom. Cependant, pourquoi la dotation en capital à France Télécom devrait-elle être traitée différemment des autres dotations en capital ? Faut-il, dès lors, créer un grand établissement public s'endettant pour recapitaliser l'ensemble des entreprises publiques de l'Etat à la place de ce dernier, en complément des cessions d'actifs publics qui seront réalisés ? Je ne le crois pas.
Une solution conforme à l'orthodoxie budgétaire s'impose. Elle passe par l'affectation de nouvelles recettes à ce compte 902-24 « en relation directe avec les dépenses concernées », conformément à l'article 21 de la nouvelle loi organique du 1er août 2001.
Ce sont sans doute les dividendes des entreprises publiques, EDF, la Caisse des dépôts et consignations, la Banque de France, notamment, voire les versements exceptionnels d'établissements publics qui pourraient, le plus légitimement, financer les besoins réels du compte 902-24. Ne serait-il pas légitime que le dividende de France Télécom finance une part de la recapitalisation des entreprises publiques ? Ce ne serait d'ailleurs pas la première fois que des dividendes seraient versés sur le compte 902-24 : tel fut déjà le cas pour Thomson SA récemment.
Certes, une telle solution aurait un effet sur le déficit budgétaire. Elle n'en serait pas moins conforme à l'« opération vérité » que souhaite lancer le Gouvernement sur la situation de ces entreprises publiques. Elle permettrait d'avoir une vision plus consolidée de ce que rapportent réellement les entreprises publiques, en cessions de titres et en dividendes, et de ce qu'elles coûtent en dotations en capital.
C'est ainsi, également, que le rôle de l'Etat se rapprocherait de celui d'un investisseur plus traditionnel, qui choisit de réinvestir ou de répartir ses dividendes. Pour l'heure, les dividendes perçus par l'Etat ont été bien peu réinvestis. Ils ont été intégrés dans les recettes du budget général.
En résumé, l'Etat, avec ses entreprises publiques souvent sous-capitalisées, est devenu un bien piètre actionnaire !
Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les principales observations qu'appellent ces comptes spéciaux du Trésor. Vous renvoyant pour plus d'informations à mon rapport écrit, je vous invite, au nom de la commission des finances, et en dépit des critiques que je viens d'émettre, à adopter ces crédits.
M. le président. J'indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé à cinq minutes le temps de parole dont chaque groupe dispose pour cette discussion.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget des charges communes est, cette année encore, le plus important du budget général, puisqu'il représente 120 milliards d'euros environ de dépenses.
Bien entendu, c'est le service de la dette qui prime, avec la prise en charge des dégrèvements et atténuations de recettes fiscales.
Mon intervention portera non pas sur le titre I, mais plutôt sur les lignes budgétaires qui figurent aux titres III et IV.
Ainsi sont inscrits dans les crédits du titre III près de 2,3 milliards d'euros de dépenses au titre de la compensation entre régimes sociaux.
Quant au titre IV, il comporte des lignes budgétaires aussi diverses que la dotation de l'Etat au fonds national de péréquation, la prise en charge des dépenses d'indemnisation des victimes de la marée noire de l' Erika, les dotations aux fonds de secours aux victimes de calamités ou encore le financement d'un certain nombre de prestations sociales, notamment agricoles.
Apparaissent également dans ce chapitre les dépenses de l'Etat au titre du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, le FIVA, ou des victimes de la transmission du sida par voie sanguine.
Cette situation appelle plusieurs observations.
Au-delà des sommes en jeu, nous nous interrogeons sur la portée de ces orientations, tant au regard du principe même de la sincérité budgétaire que sur leur signification en termes d'exécution.
Dès lors que certaines dépenses sont inscrites dans les charges communes, la réalité de leur engagement peut être mise en cause.
Même si nous pouvons concéder le caractère éminemment prévisionnel, voire accidentel de la mobilisation de certains des crédits concernés, il n'en demeure pas moins que le fait d'inscrire dans les charges communes des dépenses qui devraient normalement être imputées aux ministères concernés sur des ressources stables constitue une anomalie budgétaire.
Nous trouvons contestable le fait que l'Etat assume ses responsabilités quant au financement de l'allocation aux adultes handicapés des exploitants agricoles ou de la caisse de retraite des mines au travers des charges communes en lieu et place, par exemple, des crédits du BAPSA, sous forme de subvention, ou de ceux du ministère des affaires sociales, tandis qu'il n'oublie pas de solliciter tant le régime général de la sécurité sociale que la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales pour ce faire.
Nous devons relever que les deux derniers collectifs ont prévu, dans un autre cadre, de ponctionner largement les caisse des sociétés mutualistes agricoles, ce qui illustre une fois encore une conception pour le moins déroutante des finances publiques.
Décidément, de telles orientations ne peuvent pas être partagées par notre groupe.
On fait trop facilement appel aux crédits des charges communes quand on ne sait pas faire face aux besoins sociaux ; on s'étonne d'ailleurs, encore aujourd'hui, de certains retards constatés - je pense à l'indemnisation des victimes de l'amiante - qui n'ont pas uniquement à voir avec la lourdeur des procédures d'instruction des dossiers.
Vous l'avez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne voterons pas les crédits du budget des charges communes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Qu'il me soit permis, tout d'abord, de féliciter les rapporteurs spéciaux pour la qualité de leurs rapports et de la présentation qu'ils en ont faite. Nous sommes supposés les avoir lus ; aussi me permettrai-je de répondre immédiatement aux questions.
Ce débat relatif aux charges communes et aux comptes spéciaux du Trésor me donne l'occasion de relever en préambule quelques points communs.
En premier lieu, il convient de souligner l'importance considérable des masses financières qui sont en cause ; je ne les rappelle pas puisque M. Yves Fréville en a donné un aperçu tout à l'heure.
En deuxième lieu, il s'agit, pour la plus grande partie, de crédits de constatation. Ces masses si importantes peuvent toutefois être infléchies, puisque la charge de la dette, notamment, peut faire l'objet d'une gestion avisée et surtout limitée, espérons-le, à moyen terme par la maîtrise de la dépense. Il n'empêche que les dépenses dont nous débattons ne sont pas, pour l'essentiel, discrétionnaires.
En troisième lieu, il faut noter l'ampleur des changements qui vont résulter de la mise en oeuvre de la loi organique, comme l'a dit M. Paul Loridant.
J'en viens maintenant plus particulièrement aux questions qui ont été formulées par M. Yves Fréville, rapporteur spécial, concernant le budget des charges communes.
Il a insisté sur les remboursements et dégrèvements d'impôts, sujet qui lui tient à coeur et sur lequel il est particulièrement compétent.
Tout d'abord, comme vous le savez, monsieur le rapporteur spécial, nous en avons déjà débattu à l'occasion du vote sur la loi de règlement de 2001. Vous estimez que les dégrèvements sont, en réalité, représentatifs de subventions aux collectivités locales. Vous préféreriez donc qu'ils soient retracés en dépenses nettes au sein du budget, au lieu d'être traités, comme les autres dégrèvements, en dépenses en atténuation de recettes.
Il s'agit, en fait, non pas d'un débat juridique, mais plutôt d'un débat d'opportunité qui peut se résumer ainsi : le Gouvernement doit-il intégrer dans sa norme de dépenses le coût des dégrèvements sur les impôts locaux ?
En l'état, ma réponse est négative. Ce qui caractérise les dégrèvements sur les impôts locaux, c'est l'automaticité de leur évolution en fonction de trois paramètres : l'évolution des taux des impôts locaux, celle des bases et, enfin, le nombre de contribuables concernés par le dégrèvement accordé par le législateur. Pour pouvoir traiter les dégrèvements en dépenses, il faudrait donc les transformer en compensations, indépendantes notamment des taux votés par les collectivités locales.
M. Yves Fréville, rapporteur spécial. C'est le cas.
M. Alain Lambert, ministre délégué. Or, ce débat nous ramène à celui de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales. Monsieur le rapporteur spécial, vous avez accompli - votre rapport écrit le prouve - un très important travail d'analyse de la répartition des dégrèvements de taxe d'habitation. Il en ressort que l'importance des dégrèvements est corrélée à la fois au niveau des taux et à la taille de la commune. Vous relevez que ces deux paramètres ne sont pas corrélés à la répartition de la dotation de solidarité urbaine et vous en déduisez que les dégrèvements de taxe d'habitation ne participent pas suffisamment à la politique de péréquation.
Comme vous pouvez l'imaginer, monsieur Fréville, je me dois d'être prudent dans mes éléments de réponse. Une étude approfondie me semble nécessaire, même si, d'ores et déjà, je vous rejoins sur deux points. D'une part, nous devons fonder en priorité la péréquation sur des données de richesse et non sur l'effort fiscal de la commune. D'autre part, il est préférable d'augmenter le pouvoir fiscal des collectivités territoriales en leur laissant le soin de décider d'une partie de la politique d'allégements fiscaux.
Les échanges que nous avons eus mardi dernier sur les finances locales ont ouvert des voies qu'il nous faut défricher ensemble dès les prochains mois.
J'en viens à l'autre grande composante du budget des charges communes, la charge de la dette.
Première observation : elle est effectivement en forte progression de plus d'un milliard d'euros, ce qui contraste avec les années antérieures.
Comme vous l'avez dit, la diffusion de la baisse des taux est quasi achevée. Nous supporterons donc pendant toute la durée de la législature une charge de la dette en augmentation.
Deuxième observation : je vous confirme que les calculs relatifs à la charge de la dette ont été effectués selon des hypothèses prudentes, au vu des taux d'intérêt actuels. Tout en sachant que les consensus évoluent parfois au fil de l'évolution de l'économie, le niveau des taux en 2003, sur lequel s'accordent les économistes, est inférieur à ces chiffres.
Troisième observation : nous avons veillé à continuer d'améliorer l'information du Parlement en présentant sous forme de programme les crédits de la dette. Nous avons poursuivi l'initiative heureuse qui avait été prise l'an dernier par le précédent gouvernement.
Nous avons apporté cette année deux innovations : d'une part, une présentation pluriannuelle jusqu'en 2006 du tableau de financement de l'Etat ; d'autre part, une double présentation, en optique de caisse et de droits constatés, de la charge budgétaire de la dette en 2003.
Enfin, nous avons modifié la présentation de l'article d'équilibre, afin d'améliorer l'information du Parlement :
nous faisons désormais apparaître les dépenses nettes de l'Etat, déduction faite des recettes d'ordre liées à la dette, ainsi que les prélèvements sur recettes, ce qui représente une amélioration importante.
Quatrième observation : je rappellerai brièvement quels sont nos objectifs pour gérer la dette au mieux des intérêts du contribuable.
Le premier est la réduction de la durée moyenne de la dette négociable par la constitution d'un portefeuille de contrats d'échanges de taux appelés swaps, vous en avez parlé.
La durée moyenne envisagée était de cinq ans et six mois pour la fin de l'année 2002. Or du fait de la très forte « volatilité » des marchés à partir de juillet 2002 et de leur faible niveau, nous avons décidé - telle est la réponse que je voulais vous apporter - de suspendre temporairement la stratégie de swaps pour la reprendre lorsque les conditions seront plus favorables. Cette mesure a été prise sur la base des limites fixées à l'Agence France Trésor pour la conduite de ses opérations de swaps au quotidien.
La stratégie de réduction de la durée de vie moyenne de la dette conserve néanmoins toute sa valeur. Il ne s'agit donc que d'une suspension. Notre objectif est de réduire de six mois supplémentaires la durée de vie moyenne de la dette d'ici à la fin de l'année 2003.
Notre deuxième objectif est la diminution du montant du compte de l'Etat à la Banque de France en fin de journée, en vue de parvenir aussi vite que possible à une trésorerie « zéro ».
Notre troisième objectif est le placement des excédents ponctuels de trésorerie au meilleur prix.
Notre quatrième et dernier objectif est d'émettre aux meilleures conditions. C'est ainsi que nous avons récemment opéré une émission d'obligations assimilables du Trésor, OAT, à trente ans avec des conditions de taux favorables. Le montant est de 4 milliards d'euros ; toutefois, ce titre a fait l'objet de 6 milliards d'euros de demandes, ce qui constitue un succès.
Je développerai davantage mon propos sur le sens qu'il convient de donner au plafond d'endettement qui sera voté par le Parlement à compter de 2006. Ce vote renforcera la gouvernance conjointe du Parlement et du Gouvernement sur l'importante question de la dette. L'interprétation proposée cet été aux commissions des finances du Sénat et de l'Assemblée nationale, qui l'ont d'ailleurs, me semble-t-il, accueillie favorablement, est que cette disposition vise la fixation d'un plafond pour la variation nette du stock des OAT et des BTAN - bons du Trésor à taux fixe et intérêt annuel - du 1er janvier au 31 décembre de l'année considérée.
M. Yves Fréville, rapporteur spécial. Tout à fait.
M. Alain Lambert, ministre délégué. Cette interprétation a été retenue par le Gouvernement dans son programme d'aide des trésoreries associé à ce projet de loi de finances.
Il nous semble utile d'insister sur la nécessaire prudence qui devra présider à la fixation, au plus tard dans le projet de loi de finances pour 2006, d'un plafond de variation nette, en raison notamment de la sensibilité des émissions d'OAT et de BTAN à l'évolution des marchés. Par exemple, une augmentation brutale des taux à court terme comparable à celle du début des années quatre-vingt-dix inciterait rationnellement à un recours relatif accru en cours d'année au financement de long et moyen terme dans la politique d'émission de l'Etat.
Une marge de manoeuvre de 7 milliards d'euros apparaît de ce fait a priori nécessaire au Gouvernement, marge qui reste par ailleurs relativement limitée puisqu'elle correspond à 1 % ou 2 % du stock de dettes négociables à plus d'un an.
Vous avez en outre, monsieur le rapporteur spécial, proposé une interprétation au terme de laquelle la loi de règlement permettrait d'élever rétrospectivement le niveau du plafond. En ce cas, la marge de manoeuvre de 5 milliards d'euros sollicitée à ce stade par le Gouvernement pourrait être sensiblement réduite, voire supprimée.
Je vous propose de poursuivre ce débat dans les prochains mois, en liaison avec les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, afin que nous trouvions la solution la plus appropriée à la bonne information du Parlement.
L'élévation du stock de bons du Trésor à taux fixe et à intérêt précompté, les BTF, n'est-elle pas le signe que le plafond de dettes peut être contourné ? Telle était également votre question. L'élévation de plus de 50 % du stock de BTF en 2002 est à relier à une demande des marchés de lignes de BTF plus importantes qui permettent une plus grande liquidité. Cette demande permet à l'Etat de bénéficier de taux plus favorables, ce qui l'a conduit à émettre davantage sur des titres courts. Cette montée en puissance devrait se poursuivre l'année prochaine, ce qui est par ailleurs tout à fait cohérent avec l'objectif de réduction de la durée de vie moyenne de la dette négociable de l'Etat.
L'accroissement du stock de BTF ne saurait toutefois être pérenne, car fortement dépendant de la demande des marchés. En outre, le BTF reste essentiellement un instrument de couverture des creux de trésorerie infra-annuels. Dans ces conditions, le plafond d'endettement à moyen et long terme me semble conserver toute sa validité.
En ce qui concerne l'épargne logement, vous avez estimé que l'Etat devait cesser de financer la prime allouée aux titulaires d'un plan d'épargne logement qui ne sollicitent pas d'emprunt. Vous proposez de limiter cette réforme aux nouveaux entrants dans le dispositif, ce qui est l'expression du bon sens. Votre proposition rejoint la préoccupation du Gouvernement d'éviter de continuer à subventionner des opérations de placement et d'aider uniquement les souscripteurs d'un emprunt. Nous vous présenterons donc une réforme en ce sens dans le prochain projet de loi de finances.
J'en viens à présent aux questions qui ont été évoquées par M. Paul Loridant.
Vous avez insisté à juste raison, monsieur le rapporteur spécial, sur les reports de crédits de certains comptes spéciaux. Nous en avons débattu lors de la première partie de la loi de finances et j'estime avec vous que la budgétisation des actions qui sont retracées par les comptes spéciaux permet d'éviter des reports de crédits de paiement trop importants. Le budget général, contrairement aux comptes spéciaux, n'est pas tenu de respecter la double égalité : autorisations d'engagement et crédits de paiement, d'une part ; autorisations d'engagement et ressources encaissées sur le compte, d'autre part.
Vous avez dit que cela relevait de la responsabilité du Gouvernement, mais je veux dire de cette tribune que je compte sur le soutien du Parlement pour budgétiser, dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances, certaines actions aujourd'hui financées dans le cadre de comptes spéciaux.
Comme vous l'indiquez dans votre rapport, l'importance des reports justifierait une réduction des dotations en loi de finances initiale ou l'annulation des crédits. Dans les deux cas, le soutien du Parlement ne sera pas inutile, ces mesures ne rencontrant pas toujours, vous l'imaginez, l'enthousiasme des gestionnaires.
Comme vous m'y invitez, je souhaite vous entretenir de notre politique à l'égard du secteur public. Je citerai quelques chiffres pour mieux mesurer les enjeux.

Les entreprises publiques représentent 200 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 50 milliards d'euros de fonds propres, 150 milliards d'euros de dette, emploient 1,2 million de personnes et ont réalisé en 2001, avant les pertes enregistrées par France Télécom, un résultat net approximativement nul.
Elles représentent donc un enjeu très important pour les finances publiques, notamment pour le « bilan » de l'Etat.
Quelle est, tout d'abord, la situation des entreprises dont l'Etat est actionnaire ? Chaque entreprise a une situation propre. Nous ne pouvons pas comparer la SNCF, La Poste ou Thomson. En raisonnant en système, nous ferions de lourdes erreurs de jugement. Je citerai trois exemples très différents.
France Télécom est aujourd'hui dans une situation financière difficile, malgré de très bonnes performances opérationnelles. Cette situation est liée, d'une part, au secteur des télécommunications et, d'autre part, à des investissements hasardeux et mal menés au plus haut de la bulle financière.
L'Etat actionnaire devra soutenir le redressement de France Télécom. Le renforcement des fonds propres de l'entreprise est indispensable à son rétablissement financier. Cela passera notamment, le moment venu, lorsque les conditions pour le faire seront réunies, y compris à l'égard des actionnaires individuels et salariés, par une recapitalisation.
Vous m'avez, monsieur le rapporteur spécial, interrogé sur les modalités concrètes de ce soutien et sur leur traduction budgétaire. Vous avez d'ailleurs émis un jugement de valeur sur cette dernière. Il s'agira d'une opération de nature patrimoniale, ce qui signifie qu'elle concernera le bilan de l'Etat et non pas son compte de résultat, à savoir le budget et son déficit. Le contribuable français n'aura donc pas à supporter l'apport en capital qui sera opéré au profit de France Télécom.
Pour le reste, il va de soi que les détails de l'apport de l'Etat ne sont pas dissociables du plan de développement de l'entreprise. Celui-ci sera annoncé mercredi prochain par le président de l'entreprise récemment nommé M. Thierry Breton. S'agissant d'une entreprise cotée, vous comprendez aisément que le détail des annonces doive être effectué globalement.
D'autres entreprises, dont l'Etat est actionnaire, se portent parfois mieux que leurs concurrentes.
Air France a ainsi mieux résisté que d'autres à la crise du transport aérien, grâce à la flexibilité de ses vols et à sa répartition géographique ; Renault est renforcé par le succès de son alliance avec Nissan ; Thalès est conforté par le succès de sa stratégie multidomestique ; EADS bénéficie désormais de l'intégration industrielle d'Airbus.
Des enjeux de modernisation immenses subsistent pour les entreprises qui se trouvent au coeur du secteur public et dont la situation financière demeure fragile, voire préoccupante ; La Poste devra faire face à l'ouverture progressive du courrier à la concurrence ; la SNCF, dont les résultats financiers se dégradent, doit faire face à l'enjeu majeur de la réorganisation du fret ferroviaire.
Le soutien de l'Etat à ces entreprises est très substantiel. Il doit accompagner les efforts de leurs dirigeants et de leurs salariés pour les rendre plus performantes au moment où elles seront confrontées à la concurrence.
Cette brève présentation de la situation du secteur public me conduit à évoquer la politique du Gouvernement à l'égard des participations de l'Etat.
Il ne peut pas y avoir de doctrine générale applicable indistinctement. C'est la situation propre à chaque entreprise qui doit conduire l'Etat à choisir sa stratégie d'actionnaire pour cette entreprise. Plutôt que de doctrine, on peut donc parler de méthode.
Tout d'abord, la priorité est d'avoir des entreprises publiques bien gérées, performantes et profitables. L'objectif du Gouvernement est que l'intervention de l'actionnaire, à chacune de ces étapes, contribue à la performance de l'entreprise.
Ensuite, l'Etat n'a pas vocation à rester actionnaire des entreprises du secteur concurrentiel qui ne présentent pas un caractère stratégique.
Enfin, le Gouvernement a d'ores et déjà annoncé deux évolutions importantes : l'ouverture du capital de l'EDF et de GDF et la privatisation d'Air France. De telles évolutions ne se conçoivent qu'avec une étroite concertation entre l'Etat, les dirigeants des entreprises et les salariés. Elles supposent également un lourd travail de préparation, juridique, technique et financier, qui est en cours.
Il n'aura enfin pas échappé à la sagacité de M. Loridant, qui m'a interpellé à ce sujet, que l'Etat vient de céder sa participation résiduelle dans le Crédit lyonnais, pour 2,2 milliards d'euros. Cela me conduit à traiter de la signification du montant de 8 milliards d'euros inscrit, au titre de 2003, pour le compte d'affectation spéciale.
Ce chiffre de 8 milliards d'euros ne doit être interprété ni comme une obligation de résultat ni comme une obligation de dépense. Il s'agit d'un compte qui mesure les opérations en capital, c'est-à-dire les flux d'investissement et de désendettement.
Le chiffre de 8 milliards d'euros correspond à une estimation de ce qu'il paraît envisageable d'atteindre en 2003. La réalisation dépendra de l'intérêt stratégique des entreprises et de l'intérêt patrimonial de l'Etat compte tenu des conditions de marché.
Le résultat que nous venons d'obtenir avec le Crédit lyonnais a, je crois, amplement démontré cependant la capacité du Gouvernement à atteindre ses objectifs en matière patrimoniale.
Vous m'avez enfin interrogé sur le compte 902-33, dont l'objet sera prochainement élargi. Nous modifierons, en effet, sa nomenclature lors du collectif budgétaire pour pouvoir allouer au fonds de réserve des retraites 500 millions d'euros sur les 2,2 milliards d'euros de la vente du Crédit lyonnais.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les informations que je pouvais apporter en réponse aux interrogations des rapporteurs spéciaux, que je remercie, encore une fois, de la qualité de leur travail. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)

CHARGES COMMUNES