SEANCE DU 9 DECEMBRE 2002


M. le président. L'amendement n° II-112, présenté par M. Amoudry et les membres du groupe de l'Union centriste, est ainsi libellé :
« Après l'article 58 ter , insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article 995 du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« 17° - Les cotisations versées par les exploitants de remontées mécaniques dans le cadre du système mutualiste d'assurance contre les aléas climatiques. »
« II. - La perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale est compensée, à due concurrence, par une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
« III. - La perte de recettes pour l'Etat est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré. Le membre du groupe sénatorial « Montagne » que je suis est très heureux de défendre cet amendement cher à notre collègue de Haute-Savoie Jean-Paul Amoudry, de même que j'apprécie que nos collègues de la montagne viennent au secours des Franciliens lorsque ceux-ci ont des causes particulières à défendre devant notre assemblée. (Sourires.)
Le dispositif de solidarité mis en oeuvre à la suite d'une initiative du syndicat national des téléphériques de France et des élus de la montagne pour mutualiser les risques climatiques évite de solliciter l'Etat pour les stations de sports d'hiver, notamment les plus petites, en cas d'enneigement moyen ou d'absence d'enneigement.
Dans ces conditions, il apparaît juste, alors que ce dispositif est d'initiative professionnelle et efficace, que l'Etat ne le taxe pas. L'analogie avec le régime d'exonération des cotisations versées pour la protection contre les calamités agricoles est frappant pour tous les experts de ce régime.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. La commission comprend les préoccupations du groupe « Montagne » et salue sa contribution importante au débat.
Toutefois, nous nous interrogeons sur l'opportunité de cette proposition en termes de simplification et de lisibilité de notre système fiscal car, en cette matière, si nos calculs sont bons, ce serait la dix-septième exonération de la liste !
Peut-être y aurait-il lieu de réfléchir, en tout cas d'être attentif à l'avis du Gouvernement et de rechercher des modalités adéquates qui iraient dans le sens des intérêts légitimes que vous avez exprimés, mon cher collègue.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. Comme M. le rapporteur général, le Gouvernement considère que les questions soulevées par cet amendement sont très légitimes.
Toutefois, il est difficile de donner un avis favorable à la proposition formulée parce que l'ensemble des acteurs économiques du tourisme et des loisirs qui subissent également les effets dommageables des aléas climatiques seraient fondés à réclamer, eux aussi, une telle exonération.
La mesure représente une assurance couvrant des pertes d'exploitation. Or une mesure sectorielle pour une telle catégorie de risques ne semble pas appropriée au regard du principe d'égalité dès lors que tout acteur économique est exposé aux risques de cette nature.
Enfin, et ce n'est pas le moindre de ses inconvénients, l'amendement pèserait non seulement sur le budget de l'Etat, mais également sur celui du FOREC, le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, auquel une fraction importante du produit de la taxe sur les conventions d'assurances est affectée.
Pour ces raisons, je demande à Denis Badré de bien vouloir retirer cet amendement, faute de quoi je serai obligé de m'y opposer.
M. le président. Monsieur Badré, l'amendement est-il maintenu ?
M. Denis Badré. Mon collègue Jean-Paul Amoudry aurait certainement encore à faire valoir des arguments très forts que, pour ma part, je ne maîtrise pas complètement. Mais je pense qu'après avoir exposé ses arguments complémentaires il en viendrait à répondre à l'appel de M. le ministre, ce que je me permets de faire en son nom.
M. le président. L'amendement n° II-112 est retiré.
L'amendement n° II-113, présenté par M. Amoudry et les membres du groupe de l'Union centriste, est ainsi libellé :
« Après l'article 58 ter , insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le dernier alinéa de l'article L. 1615-7 du code général des collectivités territoriales est complété par les mots : "y compris sur leurs bâtiments traditionnels utilisés pour la fabrication saisonnière de produits alimentaires fermiers".
« II. - Les pertes de recettes pour l'Etat résultant du I sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré. Avec cet amendement, nous continuons à nous intéresser à la montagne.
Nous avions adopté, l'année dernière, un amendement n° II-157 rectifié, qui prévoyait l'éligibilité au FCTVA, fonds de compensation pour la TVA, des dépenses d'investissement réalisées par les communes, dans les alpages, pour des bâtiments utilisés pour des activités de tourisme rural.
Le présent amendement est plus précis puisqu'il vise à limiter l'application de cette mesure aux bâtiments traditionnels utilisés pour la fabrication saisonnière de produits alimentaires fermiers, tels que le Reblochon, cher à mon collègue M. Amoudry.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Notre collègue Denis Badré a une excellente mémoire : en effet, l'an dernier, sur un amendement voisin un peu moins précis, un peu moins bien rédigé, la commission s'en était remise à la sagesse du Sénat. L'amendement s'était malheureusement heurté, à l'époque, à une opposition de Mme la secrétaire d'Etat au budget, et ce texte n'avait pas subsisté à l'issue de la lecture définitive.
Il semble bien que la mesure proposée, qui est d'ailleurs de portée modeste et qu'à titre personnel je trouve tout à fait raisonnable, ait de nouveau été préconisée par le rapport, publié en octobre dernier, de la mission commune d'information chargée de dresser le bilan de la politique de la montagne.
Au nom de la commission des finances, j'exprime donc un avis de sagesse favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. J'aurais souhaité répondre de façon concise, mais M. le rapporteur général ayant fait lui-même preuve de concision, il m'oblige à être plus complet dans ma réponse, ce qui n'est pas obligatoirement bon signe sur ma conclusion. (Sourires.)
Je dois dire que la proposition de rendre éligibles au FCTVA les investissements qui sont réalisés sur des locaux mis à disposition d'un exploitant agricole permanent, pour la fabrication saisonnière de produits alimentaires fermiers, contrevient au principe même du FCTVA, qui serait ainsi remis en cause ou en tout cas dénaturé.
En effet, il s'agit du développement d'une activité commerciale implantée dans des locaux appartenant à une commune ou à son groupement et non pas d'une mise à disposition dans le cadre du service public de haute montagne, qui fait l'objet en effet des mesures qu'a évoquées M. le rapporteur général et qui peut bénéficier d'un régime de faveur.
Dans ces conditions, il est inapproprié que les investissements concernés puissent être éligibles au FCTVA.
J'ajoute que, dans le cas d'un bâtiment à usage agricole, le loyer s'appliquant à la partie du bâtiment qui n'est pas affectée à l'habitation peut être soumis à la TVA sur option formulée par la collectivité propriétaire, à condition que le bail ait été enregistré et si le preneur est lui-même redevable de la TVA.
Quant à l'exploitant agricole locataire, il déduit de son côté la taxe afférente au loyer dans les conditions habituelles, ce qui me conduit à penser que cette dernière solution serait la meilleure pour répondre aux préoccupations exprimées par les auteurs de l'amendement.
C'est ce qui me conduit à demander le retrait de l'amendement. A défaut, je serai contraint d'émettre un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Badré, que décidez-vous après ces deux avis qui ne sont pas totalement concordants ?
M. Denis Badré. Je préfère, bien sûr, l'avis de sagesse émis par la commission des finances et, en tant que commissaire respectueux des décisions de ma commission, je suis toujours prêt à m'y rallier. (Sourires.)
En outre, je ne suis pas complètement convaincu par l'argumentaire que vient de développer M. le ministre. Il me paraît bien parisien et très jacobin.
Pourtant, monsieur le ministre, l'élu proche de la Suisse normande que vous êtes et l'élu des Hauts-de-Seine que je suis devraient pouvoir se rejoindre pour concevoir que la montagne doit bénéficier dans certains cas de dérogations ou de dispositions particulières. Le fait qu'une activité en montagne soit saisonnière me paraît découler de la simple géographie : on ne fabrique pas du fromage en hiver comme en été, les bâtiments ne sont pas utilisés de la même manière en période estivale ou en période hivernale.
Il faudra qu'un jour nous prenions conscience des spécificités de notre territoire national et que nous arrivions à considérer que telle activité dans tel bâtiment prend un caractère de service rendu au public, sinon de service public. Chaque fois que nous parlons de la montagne, nous développons cette idée que, pour que la montagne vive, il faut qu'elle rende un service au public et que c'est ce qu'elle peut faire de mieux. Nous devons tout faire pour maintenir vivant le tissu de notre montagne. C'est pourquoi, sauf si la commission me demande de le retirer, je maintiens l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel, pour explication de vote.
M. Gérard Miquel. J'ai entendu les interventions de M. le rapporteur général, de M. le ministre et, bien entendu, celles de Denis Badré, en qui j'ai découvert un défenseur du monde rural et de la montagne que je ne connaissais pas. J'ai beaucoup apprécié son argumentation. C'est la raison pour laquelle je voterai son amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° II-113.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 58 ter .
L'amendement n° II-76, présenté par M. Foucaud, Mmes Beaudeau et Beaufils, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après l'article 58 ter , insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article L. 2333-84 du code général des collectivités locales est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« ... - Les tarifs des redevances dues aux communes en raison de l'occupation de leur domaine public par les oléoducs visés au décret du 28 août 1973 sont arrêtés par délibération du conseil municipal. »
« II. - En conséquence, le début du même article est précédé de la mention : "I". »
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Cet amendement vise à soumettre les oléoducs au régime des redevances d'occupation du domaine public.
Actuellement, vous le savez, les redevances dues au titre de ces ouvrages sont soumises à un décret de 1973 dont certaines dispositions sont caduques.
En effet - et cela de l'avis général -, le régime de ces redevances est contraire au principe de la décentralisation dans la mesure où il donne compétence à une autorité de tutelle pour trancher des litiges éventuels concernant le montant des tarifs.
Cette procédure est systématiquement utilisée par les propriétaires d'ouvrage dès que la collectivité locale fixe un tarif supérieur à celui qui est pratiqué par l'Etat. Cela leur permet d'obtenir un alignement sur ce tarif.
Voilà pourquoi nous proposons un régime plus actuel donnant une entière liberté aux collectivités en matière de fixation des tarifs de ces redevances.
Cette procédure s'applique lorsque les tarifs sont contestés, et ils le sont systématiquement par les propriétaires de ces oléoducs, notamment la société Trapil - qui appartient essentiellement aux grandes compagnies : TotalFinaElf, Shell, Esso, BP et Mobil -, dès que les collectivités fixent des tarifs supérieurs à ceux de l'Etat. Ces derniers sont très bas au regard des tarifs appliqués pour les autres types de canalisation, alors même que la dangerosité des oléoducs contraint les collectivités à « geler » les abords de ces installations.
L'année dernière, je le précise, nous avions présenté un amendement de même nature, et il avait été adopté par la majorité sénatoriale, après que M. le rapporteur général s'en fut remis à la « sagesse favorable » du Sénat.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Depuis l'année dernière, nous avons eu le loisir d'approfondir cette question, qui est effectivement complexe.
L'amendement n° II-76 tend à soumettre les oléoducs aux redevances dues aux communes en raison de l'occupation de leur domaine public par des ouvrages de transport et de distribution d'électricité et de gaz.
Les tarifs seraient arrêtés par délibération du conseil municipal, alors que le code général des collectivités territoriales prévoit que le régime de ces redevances est fixé par décret en Conseil d'Etat ; il peut l'être aussi par une loi du 1er août 1953.
Ce régime a souvent fait l'objet d'amendements déposés par nos collègues du groupe CRC, je leur en donne acte. Ici, ces derniers vont un peu plus loin en incluant le transport d'hydrocarbures dans le champ d'application de mesures qui, jusqu'ici, visent l'électricité et le gaz.
De plus, l'utilisation d'une partie de ces infrastructures, régie par le traité de l'Atlantique nord, est réservée à l'OTAN. Si les oléoducs de l'OTAN étaient taxés par les communes, ce n'est sans doute pas cette organisation mais l'Etat français qui devrait acquitter la taxe. En tout cas, une incertitude existe à ce sujet, et un problème de recevabilité peut se poser.
Les autres infrastructures de transport d'hydrocarbures sont déjà imposables au titre de l'occupation du domaine public des communes en vertu du décret du 28 août 1973, qui a modifié un précédent décret en date du 16 mai 1959.
Tous ces textes, il est vrai, n'ont pas été actualisés en fonction de la décentralisation. Il est ainsi toujours affirmé que la redevance est supportée par le bénéficiaire, les décisions concernant l'assujettissement au profit de collectivités publiques autres que l'Etat devant être prises par « l'autorité de tutelle ». Une telle expression devrait être bannie de nos textes.
Certaines communes fixent elles-mêmes leur barème sans se référer à celui qui est appliqué en cas d'occupation du domaine de l'Etat. D'autres communes ne votent aucune disposition et négligent de percevoir une redevance pour occupation de leur domaine.
Ainsi, le présent amendement crée un risque de complication dans les relations entre la France et l'OTAN, ainsi qu'un risque d'alourdissement des charges de l'Etat. Mais, surtout, il interfère avec des dispositions déjà appliquées, plus ou moins bien, et d'origines éparses.
Monsieur le ministre, peut-être y aurait-il lieu de rafraîchir le droit existant en la matière. En l'état actuel des choses, il ne semble pas à la commission que cet amendement puisse être adopté eu égard à l'ensemble des problèmes qu'il pose. En tout cas, nous serons heureux d'entendre le Gouvernement s'exprimer à ce sujet.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. Je veux assurer Thierry Foucaud que ce n'est pas parce que son groupe et lui-même sont à l'origine de cet amendement que le Gouvernement est réservé à son sujet. C'est parce qu'il soulève des difficultés concrètes, non seulement celles que le M. le rapporteur général vient d'évoquer mais aussi quelques autres.
Tout d'abord, un dispositif de cette nature engendrerait des inégalités entre les exploitants, qui se verraient plus ou moins taxés selon le territoire que leur ouvrage traverse.
Il créerait également des inégalités entre les différents opérateurs d'énergie puisqu'il existe des régimes de concession pour le gaz et l'électricité avec des redevances contractuelles qui sont fixées par décret en Conseil d'Etat.
Enfin, il susciterait des inégalités entre les territoires, car l'équilibre de la desserte en hydrocarbures serait perturbé pour des raisons fiscales.
Dans la mesure où les oléoducs sont des canalisations d'intérêt général qui sont destinées au transport d'hydrocarbures, le Gouvernement doit veiller à ce que l'environnement fiscal des entreprises bénéficiaires des autorisations de construction et d'exploitation reste fixé en fonction de considérations d'intérêt général et dans le respect du principe d'égalité.
Cela étant, je crois, comme M. le rapporteur général, que le droit qui régit la matière mériterait d'être revisité.
Vous le savez, monsieur Foucaud, je m'oblige à tenir mes engagements : nous n'aurons peut-être pas le temps de réexaminer cette question d'ici à la discussion du collectif budgétaire, mais, si cela se révélait possible, je ne serais pas opposé au principe d'une révision du dispositif.
Toutefois, à ce stade, il m'est tout à fait impossible d'émettre un avis favorable.
M. le président. Monsieur Foucaud, l'amendement est-il maintenu ?
M. Thierry Foucaud. Je serais tenté de dire que les ministres se suivent et se ressemblent.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Pas tant que cela ! (Sourires.)
M. Thierry Foucaud. En effet, l'an dernier, la secrétaire d'Etat au budget me répondait déjà : « Le décret a d'ores et déjà été examiné par le comité de finances locales et par le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz, et ces deux instances ont émis un avis favorable ; il est actuellement en cours d'examen devant le Conseil d'Etat. Ces éléments, de nature, me semble-t-il, à satisfaire l'essentiel de vos préoccupations, monsieur Foucaud, conduisent le Gouvernement à émettre un avis défavorable sur votre amendement. »
Depuis, il ne s'est rien passé.
On me dit que les exploitants sont taxés, mais il faut aussi parler des collectivités qui sont menacées. Permettez-moi de citer l'exemple de la mienne. Il y a quelques années, une canalisation a éclaté, et nous avons bien failli subir une pollution majeure : une centaine de camions-citernes ont dû venir, pendant plusieurs jours, pomper le pétrole qui s'échappait. Et, dans un tel cas, le risque est double : à la fois en surface et sous terre.
Monsieur le ministre, vous me dites que vous tiendrez parole. Je vous crois, et je vais donc retirer mon amendement ; mais mon groupe souhaite pouvoir travailler avec vous à l'élaboration d'une solution sur cette question.
M. le président. L'amendement n° II-76 est retiré.

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