SEANCE DU 16 DECEMBRE 2002


M. le président. L'amendement n° 17, présenté par Mme Létard et les membres du groupe de l'Union centriste, est ainsi libellé :
« Après l'article 31, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Le IV de l'article 1648 B bis du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« De 2003 à 2006, les attributions versées aux communes situées sur le territoire des arrondissements mentionnés à l'annexe II de la décision de la Commission européenne C (1999) 1770 du 1er juillet 1999 établissant la liste des régions concernées par l'objectif 1 des fonds structurels pour la période de 2000 à 2006 sont majorées de 30 %. »
La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. Cet amendement vise à modifier la répartition du fonds de péréquation prévu à l'article 1648 B bis du code général des impôts, afin d'augmenter la dotation des communes des trois arrondissements du Hainaut français qui sont éligibles, jusqu'en 2006, au phasing out de l'objectif 1 des fonds structurels européens, donc à la période de sortie progressive de ce dispositif.
Je voudrais rappeler brièvement le but de l'objectif 1, qui est de venir en aide aux régions européennes « en retard de développement », en leur allouant des crédits importants qui doivent venir s'ajouter aux dispositifs nationaux existants, afin de leur permettre de rattraper progressivement le niveau de développement moyen des autres régions européennes.
Lors de son intervention devant notre assemblée, le 12 décembre dernier, M. Jean-Paul Delevoye a fort bien expliqué qu'à partir de 2006, notamment du fait de l'élargissement, qui entraînera une redéfinition des critères de la politique de cohésion sociale européenne, seuls les DOM auraient la possibilité de conserver une aide de ce type. En clair, cela signifie que, s'agissant du Hainaut français, tous les crédits européens qui n'auront pas été consommés avant 2006 ne seront plus reconduits.
Or, pour avoir accès aux crédits de l'objectif 1, les communes doivent présenter des projets pour lesquels il leur est demandé d'apporter une part de financement en fonds propres. Cette part doit être au moins égale à 20 % de l'ensemble. Lorsqu'une commune a un potentiel fiscal moyen par habitant inférieur ou voisin de 200 euros, cette mise de fonds reste un objectif difficilement accessible.
Voilà la raison de mon amendement : aider pour une période limitée, de 2003 à 2006, des communes situées sur un territoire pauvre afin qu'elles puissent « entrer dans le jeu » avec davantage de soutien, et donc une meilleure chance de voir leurs projets aboutir.
Il y a urgence pour le Hainaut, urgence d'autant plus grande que la complexité et la lenteur des procédures, le manque d'ingénierie et, depuis peu, la règle du dégagement d'office, qui a pour effet le renvoi à Bruxelles des crédits qui n'ont pas été utilisés dans les deux ans, font de l'accès aux fonds européens un véritable parcours du combattant pour les petites communes. Nombre d'entre elles pourraient finir par y renoncer. Les taux de programmation et, surtout, de réalisation sont, à presque mi-parcours, à des niveaux très bas.
Voici un extrait du compte rendu de l'état d'avancement de la programmation et des paiements, tel qu'il a été établi lors de la dernière réunion du comité de suivi du document unique de programmation, ou DOCUP, objectif 1 qui s'est tenue le 6 décembre dernier : « Selon les nouvelles procédures pour la période 2000-2006, la date du premier dégagement d'office est fixée au 31 décembre 2003, ce qui laisse un peu moins d'une année pour mobiliser, en termes de factures acquittées par les maîtres d'ouvrage, l'équivalent des tranches annuelles cumulées 2000 et 2001, déduction faite de l'acompte de 7 % de la dotation du fonds structurel. Or nous sommes actuellement à un taux de factures acquittées pour les trois fonds nettement insuffisant et même alarmant.
« Au comité de programmation du 7 novembre 2002, on peut constater, en termes de programmation en coût total comme en subvention FEDER, un retard de plus d'une année.
« Pour le FEOGA, les chiffres sont encore plus alarmants puisque seul le quart de l'année 2001 est programmé en coût total et seulement 6 % en subvention. Le FSE par contre affiche des taux de programmation plus favorables en coût total : 68 % de la tranche 2002 et 11 % en subvention. Cependant, force est de constater que de gros efforts devront être réalisés durant l'année 2003 si on veut mettre en adéquation le rythme de programmation avec les tranches annuelles. »
Il reste trois ans au Hainaut français pour tirer profit de l'aide européenne. Etant donné le rythme des différents services instructeurs et la lourdeur de l'ensemble des procédures mises en place, c'est presque un pari impossible.
C'est pourquoi je vous demande de donner à ces communes des moyens financiers supplémentaires jusqu'en 2006, de renforcer ainsi leur capacité à apporter en temps voulu les cofinancements exigés et, de cette manière, de leur permettre de s'engager résolument dans le montage des projets dont leur territoire a tant besoin.
M. Delevoye a estimé jeudi dernier que notre capacité à négocier au sein de l'Europe une nouvelle politique régionale dépendrait de notre capacité à consommer nos encours des fonds actuels. Aider les communes du Hainaut contribuerait aussi à atteindre cet objectif, et nous éviterait d'être les mauvais élèves de l'Europe.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cet amendement permet d'attirer utilement l'attention sur une question qui a des conséquences importantes en termes d'aménagement du territoire : la difficulté pour certaines collectivités locales de dégager les ressources nécessaires en vue d'accompagner les projets éligibles aux fonds structurels européens.
Nous nous trouvons devant la situation paradoxale où des sommes très importantes sont disponibles, prévues par les budgets européens, bref, prêtes à être dépensées, mais ne le sont pas en totalité en raison de l'incapacité des communes à verser leur propre part.
Ce problème se pose outre-mer, mais également en métropole. Il peut avoir des conséquences importantes dès l'année prochaine, lorsque la règle dite du « dégagement d'office » commencera à s'appliquer.
Selon cette règle, les crédits engagés par l'Union européenne qui n'auraient pas été dépensés dans les deux ans de l'engagement sont définitivement repris. C'est de bonne gestion. Cela signifie que les reports inutilisés n'ont pas vocation à subsister.
Les régions les plus défavorisées de métropole sont, au sens des critères établis par l'Union européenne, le Hainaut français et la Corse.
Ces régions ne sont plus éligibles à l'objectif 1 des fonds structurels pour retard de développement, mais elles bénéficient d'un soutien transitoire jusqu'en 2006.
L'amendement de Mme Létard vise à aider les communes du Hainaut - et sans doute, de la même façon, celles de Corse - à dégager les ressources nécessaires au cofinancement des projets financés par les fonds structurels en majorant le montant de leurs attributions au titre de la part principale du fonds national de péréquation.
L'adoption de cet amendement aurait pour effet de majorer de 5 millions d'euros les attributions des communes concernées du Hainaut et de Corse, et, dès lors, de réduire de 5 millions d'euros la masse disponible pour plus de 16 000 autres communes éligibles, masse qui serait donc ramenée à 395 millions d'euros. Pourquoi pas, monsieur le ministre ? Cela dépend de votre avis !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. Je ne suis pas sûr que ma réponse donne satisfaction à Mme Létard, non plus d'ailleurs qu'à M. le rapporteur général, qui, si j'ai bien compris, ne serait pas défavorable à l'amendement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, quel que soit le bien-fondé de la préoccupation qui vient d'être émise, je crois tout à fait imprudent de modifier en loi de finances rectificative, de manière ponctuelle et en l'absence de simulations permettant de mesurer l'impact que ces modifications auront sur les autres communes, les règles de répartition des dotations de l'Etat aux collectivités locales.
En outre, il peut sembler contestable d'ajouter de nouveaux critères de répartition des dotations au moment même où l'ensemble des élus locaux émet le voeu de la simplification et de la réduction du nombre de critères.
Je tiens par ailleurs à rappeler que le Gouvernement, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2003, a tenu compte du souhait formulé par le Sénat de majorer de 18 millions d'euros les crédits de la péréquation qui sont alloués au fonds national de péréquation. Il s'agit d'un effort financier important qui devrait permettre une progression de la dotation de péréquation d'environ 4 % en 2003.
L'amendement proposé conduirait à capter, au profit d'un nombre réduit de communes, plus du quart de la progression du fonds national de péréquation. S'il n'est pas question de nier les difficultés particulières des communes situées dans les zones dites de phasing out, il faut préciser que l'accroissement des attributions allouées à ces communes au titre du fonds national de péréquation ne peut être obtenu qu'au détriment des montants alloués aux autres communes.
Pour ces raisons, le Gouvernement ne peut qu'émettre un avis défavorable, avis que partage d'ailleurs mon collègue Patrick Devedjian, qui est plus particulièrement chargé de ces questions et que j'ai rencontré pendant la suspension de la séance. Je suis donc contraint de vous suggérer, madame Létard, le retrait de votre amendement ; à défaut, le Gouvernement émettra un avis défavorable.
M. le président. Madame Létard, l'amendement est-il maintenu ?
Mme Valérie Létard. Vous devez vous douter, monsieur le ministre, que c'est sans plaisir que je retirerai cet amendement. Je rappelle que chaque année est une année perdue, alors qu'il nous reste trois ans. Chaque année, pour 5 millions d'euros affectés aux territoires concernés, la France aurait levé 20 millions d'euros de crédits européens. Ces 20 millions d'euros vont donc repartir à Bruxelles, et, quand il faudra réaliser des infrastructures et des équipements publics dans le Hainaut, ce sera à l'Etat d'assurer, à la place de l'Europe, leur financement.
Je ne vais évidemment pas m'opposer au Gouvernement, mais c'est contrainte et forcée que je retire mon amendement, car je ne crois pas que ce soit une opération bénéficiaire pour la France.
M. le président. L'amendement n° 17 est retiré.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission. Je veux saluer la conviction qui anime Mme Létard et rendre hommage à l'abnégation dont elle fait preuve en retirant son amendement.
Sans vouloir me livrer à quelque forme d'ingérence que ce soit, je me demande si, au-delà de l'Etat, la région du Nord-Pas-de-Calais et, plus encore, le département du Nord ne pourraient pas être sensibles à une telle argumentation.
Je connais d'autres départements qui sont confrontés aux mêmes difficultés et qui ont fait le choix, pour permettre aux communes de mobiliser les crédits des fonds structurels européens, de privilégier les investissements éligibles à ces fonds et d'apporter un concours efficace aux collectivités territoriales de base.
Je vous encourage donc à persévérer à développer une argumentation aussi convaincante que la vôtre dans la proximité.

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