COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. BERNARD ANGELS

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

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COMMUNICATION DU GOUVERNEMENT

M. le président. Monsieur le président a reçu de M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, conformément à l'article 19 de la Constitution de l'Organisation internationale du travail, les convention, protocole et recommandations adoptés par la Conférence internationale du travail entre 1997 et 2002.

Acte est donné à cette communication.

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CANDIDATURES À UN ORGANISME

EXTRAPARLEMENTAIRE

M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de deux sénateurs appelés à siéger au sein du conseil d'administration de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger.

La commission des affaires étrangères a fait connaître qu'elle propose les candidatures de M. Robert Del Picchia et de Mme Monique Cerisier-ben Guiga pour siéger respectivement en qualité de membre titulaire et de membre suppléant au sein de cet organisme extraparlementaire.

Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.

4

HABILITATION À TRANSPOSER

PAR ORDONNANCES

DES DIRECTIVES COMMUNAUTAIRES

Discussion d'un projet de loi

 
Dossier législatif : projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en œuvre certaines dispositions du droit communautaire
Question préalable (début)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 164, 2003-2004) portant habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire. [Rapport n° 197 (2003-2004) ; avis n°s 202, 199 et 194 (2003-2004).]

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est soumis vise à autoriser le Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives européennes et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire.

Ce projet de loi, qui permettra notamment de transcrire dans le droit interne plus de vingt textes communautaires, s'inscrit dans le cadre des efforts engagés par le Gouvernement pour accélérer la transposition des directives européennes, conformément aux priorités qui avaient été dégagées par le Premier ministre dès sa déclaration de politique générale de juillet 2002.

Disons-le d'emblée, les efforts qui ont été accomplis jusqu'à ce jour ont été insuffisants, hélas ! pour combler ou réduire les retards de transposition de façon véritablement significative. Ils n'ont permis que d'endiguer les nouveaux retards.

De ce fait, la France demeure encore, il faut l'avouer, parmi les derniers Etats européens en matière de transposition des directives : 101 directives, dont 54 relatives au marché intérieur, étaient en retard de transposition au 1er janvier dernier. Nous accusons en moyenne un retard de quatorze mois par rapport aux échéances de transposition.

Le coût qui en résulte pour notre pays est élevé, comme vous le savez, et ce, à trois titres.

Il s'agit d'abord d'un coût juridique. Même non transposée, toute directive a un certain effet direct, ce qui introduit un flou sur la norme applicable, et donc une incertitude préjudiciable à nos concitoyens, à nos entreprises sur le marché, ainsi qu'à nos collectivités locales. Ces retards font peser sur l'Etat une très lourde responsabilité, y compris financière, s'agissant par exemple des questions relatives à la sécurité et à la santé.

La non-transposition nous expose par ailleurs à des poursuites en manquement devant la Cour de justice de Luxembourg, pouvant même déboucher sur des sanctions financières sous astreinte. La France n'a heureusement jamais été condamnée financièrement, contrairement à d'autres pays, comme la Grèce et l'Espagne en particulier. Mais avec plus de deux cents procédures d'infraction à la législation relative au marché intérieur, dont onze dans lesquelles la France est menacée d'astreinte, le risque est désormais devant nous.

Au-delà de ce coût juridique, la non-transposition dans les délais des directives a aussi un coût élevé d'ordre économique.

La transposition est tout particulièrement indispensable au bon fonctionnement du marché intérieur, afin d'éviter, par exemple, une concurrence déloyale entre entreprises ou de pouvoir bénéficier pleinement des bénéfices du marché unique. Dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, qui vise à faire de l'Europe la zone la plus compétitive du monde d'ici à 2010, l'Union européenne a ainsi adopté plus de soixante-dix directives ; pour quarante d'entre elles, l'échéance de transposition est désormais échue. Hélas, trois fois hélas, sur ces quarante directives, la France n'en a transposé à ce jour que dix-sept ! Cela est lourd de conséquences quand on sait que la bonne transposition détermine partiellement la localisation des investissements des entreprises en Europe conditionnant donc la compétitivité de notre pays.

M. Denis Badré, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Absolument !

Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée. Cependant, le coût de la non-transposition est avant tout d'ordre politique.

Comment, en effet, être crédibles face aux dix pays adhérents quand nous insistons sur la nécessité pour eux d'intégrer l'acquis communautaire avant l'élargissement, c'est-à-dire avant le 1er mai 2004 ? Comment prétendre rester une force de proposition dans l'Union européenne, si nous tardons à appliquer les règles que nous avons nous-mêmes contribué à définir ? De manière générale, comme j'ai pu le constater dans mes fréquents déplacements chez nos partenaires et dans mes contacts réguliers avec la Commission européenne, l'attitude de la France laisse parfois à penser que nous ne sommes pas sincèrement attachés à notre rôle de moteur de la construction européenne. Cela n'est pas vrai, bien entendu, mais encore faut-il le prouver.

Les causes de ces retards de transposition sont bien connues. Elles ont notamment été bien identifiées par la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, elles ne sont pas politiques, à l'exception de quelques cas comme la directive « gaz ».

Les difficultés résident tout d'abord dans les lenteurs administratives, que dénonçait encore récemment le Premier ministre dans sa communication au conseil des ministres le 31 décembre dernier. En effet, soixante pour cent des directives nécessitent uniquement des dispositions d'ordre réglementaire pour être transposées. C'est pour cela que le Gouvernement a mis en place, sur ma proposition, un plan d'action comprenant une série de mesures pragmatiques pour rendre plus fluide et aisée la transposition des actes réglementaires : bilans réguliers des transpositions en conseil des ministres, auxquels je me livre une fois par semestre, désignation d'un correspondant spécialement chargé des transpositions de directives dans chaque cabinet ministériel...

M. Denis Badré, rapporteur pour avis. Très bien !

Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée. ... diffusion plus systématique des fiches d'impact aux assemblées parlementaires, responsabilisation des administrations par la diffusion du tableau des retards par ministère chef de file, notamment sur le site Internet très facilement accessible du ministère délégué aux affaires européennes.

Ces efforts se poursuivent : la France a notifié à la Commission depuis le 1er janvier dernier la transposition de onze nouvelles directives de nature réglementaire. Cet effort est assez important, il faut l'avouer, mais il nous paraît encore nécessaire d'intensifier la pression sur les administrations.

C'est pourquoi j'ai proposé à mon collègue Alain Lambert que les retards de transposition imputables aux ministères puissent être intégrés aux indicateurs de performance prévus par la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF.

Il est urgent que l'Europe apparaisse pleinement dans sa dimension interministérielle au coeur des missions qui sont traduites par notre politique budgétaire. Mesdames, messieurs les sénateurs, je compte sur vous pour m'épauler et me permettre d'atteindre cet objectif.

M. Denis Badré, rapporteur pour avis. C'est bien le moins que l'on puisse faire !

Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée. Mais les difficultés s'expliquent aussi par la charge de travail des assemblées. Sous cette législature, si neuf lois transposant des directives européennes ont été adoptées, douze autres projets de loi destinés à transposer plus de trente directives sont en cours d'examen ou en instance. Le Gouvernement avait en particulier déposé l'été dernier, vous vous en souvenez, deux projets de loi portant diverses dispositions d'adaptation communautaire, mais ces textes n'ont pas pu être examinés depuis cette date, pour des raisons d'agenda parlementaire.

Dès lors, en attendant le rendez-vous historique de l'élargissement, le recours à une loi d'habilitation nous est apparu comme indispensable.

Permettez-moi de souligner que le Gouvernement ne s'est engagé sur la voie des ordonnances qu'avec un souci de mesure, de concertation étroite et de transparence totale avec les assemblées parlementaires.

J'évoquerai d'abord la méthode et ensuite la nature des dispositions du projet de loi.

S'agissant de la méthode, les présidents des assemblées ont été consultés dès l'automne 2003 par le Premier ministre sur le principe du recours aux ordonnances, ainsi que sur la liste détaillée des directives concernées. Toutes les directives qui soulevaient des réserves de la part du Parlement ont été retirées de la liste, soit douze textes au total, dont le « paquet télécom » que l'Assemblée nationale vient de commencer à examiner suivant la procédure ordinaire. Vos rapporteurs, ont eu, en outre, accès à l'ensemble des projets d'ordonnances, qu'ils correspondent ou non à des projets de loi en instance, afin d'appréhender dans tous ses détails la portée de la présente habilitation. Je suis, bien sûr, à votre disposition pour vous apporter tous les éclaircissements nécessaires, tout comme mon collègue Dominique Bussereau, qui a tenu à venir devant vous pour les parties du projet de loi qui sont de son ressort.

Pour ce qui est des dispositions concernées, les directives choisies, qui sont relatives au domaine économique et financier, à la consommation, aux transports, à l'environnement, ainsi qu'à la reconnaissance des diplômes et des qualifications professionnelles, sont en nombre limité. Aucune perspective d'adoption par un autre véhicule législatif n'est prévu à court terme, et leur échéance de transposition est passée ou expirera dans l'année. Ces dispositions portent soit sur des sujets de nature strictement technique, soit sur des domaines plus importants, comme la sécurité maritime ou celle des téléphériques, pour lesquels les retards ne sauraient être tolérés. Le Gouvernement a enfin pris soin de détailler, dans des articles spécifiques, toutes les adaptations de la législation directement liées à la transposition.

En ayant recours selon de telles modalités aux ordonnances, le Gouvernement - je puis vous l'assurer - n'entend en rien rejeter sur le Parlement la responsabilité des retards de transposition qui se sont accumulés, hélas ! depuis plus de dix ans. Il a souhaité, au contraire, mettre en avant un esprit de coopération entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif pour que la France respecte, dans les meilleurs délais, ses engagements européens.

C'est dans ce même esprit de coopération que la Haute Assemblée a accepté d'examiner dans des délais très brefs - trois semaines - ce projet de loi. Je tiens, au nom du Gouvernement, à vous en remercier tous très chaleureusement, tout particulièrement M. Texier, rapporteur de la commision des affaires économiques, car je comprends que c'est pour lui une première.

Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de souligner, en conclusion, que le recours à un projet de loi d'habilitation à transposer par ordonnances des directives communautaires n'est, par définition, qu'une solution palliative, exceptionnelle, aux effets ponctuels. Si nous n'engageons pas une réflexion plus profonde sur l'insertion de la norme européenne dans la législation française, les retards s'accumuleront à nouveau dans quelques mois et le Gouvernement se retrouvera peut-être, d'ici à trois ans, confronté à une situation similaire. Cette situation serait mauvaise, comparativement à celle des vingt-quatre autres pays de l'Union européenne.

C'est pourquoi le Gouvernement a plaidé, depuis un an, pour la mise en place, de façon pragmatique, d'un rendez-vous régulier devant le Parlement, reprenant en cela l'esprit d'une excellente proposition de loi constitutionnelle déposée par le Sénat en 2001, sur l'initiative de MM. Haenel et de Montesquiou. Les discussions avec les deux assemblées ont été engagées par le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Je salue la bienveillance du président du Sénat à l'égard de ce rendez-vous régulier. J'ai la conviction que ces discussions peuvent et doivent aboutir au plus vite. Je constate déjà qu'un plus grand nombre de projet de loi visant à transposer des directives européennes a pu être examiné par le Parlement dans les toutes dernières semaines.

Au-delà, il est urgent que l'exemple de nos voisins, notamment les pays nordiques, mais aussi la Grande-Bretagne, qui sont les plus efficaces dans la transposition des directives, soit médité. A ce jour, le Danemark - vous le savez peut-être - compte seulement cinq directives en retard de transposition, contre cent une pour la France. Et la qualité de ces transpositions ne saurait être contestée au vu du très faible nombre d'infractions communautaires qui concernent ce pays. Comme vous le savez, ces Etats associent étroitement en amont les parlementaires à la négociation de ces lois-cadres européennes, tandis que la transposition s'accomplit de façon simplifiée.

La moitié de notre législation est désormais d'inspiration communautaire. Le pourcentage est encore plus important pour ce qui concerne les législations économiques. L'instauration d'un circuit particulier pour l'adoption de la législation d'origine communautaire est peut-être à considérer. Je sais par exemple que le Sénat envisage une révision de son règlement. Cette occasion pourrait être saisie. L'Europe grandit et se transforme selon nos propres souhaits ; nos institutions doivent veiller, à tout moment, à accompagner ses mues, parfois à les anticiper. Nous ne pouvons manquer ce tournant, en particulier les opportunités économiques et politiques qu'il implique.

L'Union européenne est un espace régi par des règles communes que nous, Français, avons nous-mêmes contribué à forger, dans notre propre intérêt, depuis plus de cinquante ans, en étant toujours une force d'initiative, de proposition. Mais la volonté politique ne saurait s'exprimer durablement dans la négociation européenne si elle ne se soucie pas avec la même vigueur de la mise en oeuvre du droit. Il nous faut faire preuve de détermination.

Le projet de loi qui vous est présenté aujourd'hui vise à contribuer à combler un retard qui s'est accumulé sur de nombreuses années, puisque la plupart des directives ont été adoptées en l'an 2000, et certaines dès 1993 ou 1994. Grâce à ce projet, vous pouvez notamment mettre un terme à onze procédures d'infraction déjà engagées contre la France devant la Cour de justice et apporter une meilleure sécurité juridique à nos concitoyens ou à leurs autorités locales.

Telles sont mesdames, messieurs les sénateurs, les conditions dans lesquelles le Gouvernement vous présente ce projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer par ordonnances des directives communautaires. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Yannick Texier, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à quelques semaines de l'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux Etats membres, la mise en oeuvre du cadre juridique du marché intérieur connaît d'incontestables retards. Seuls quatre Etats atteignaient, en novembre dernier, l'objectif fixé par le Conseil européen d'un déficit de transposition des directives inférieur à 1,5 %.

Dans ce contexte général insatisfaisant et peu mobilisateur pour les prochains Etats membres, la France fait figure, avec l'Allemagne, d'élève particulièrement médiocre. Mme la ministre l'a rappelé, nous connaissons les plus mauvais résultats de l'Union européenne : un taux de non-transposition de 3,5 %, sept directives n'ayant toujours pas été transposées en droit national deux ans après le terme du délai de transposition et 135 procédures d'infraction en cours au 31 octobre 2003. Tous ces chiffres ne sont pas simplement mauvais : ils sont aussi, et surtout, dangereux.

En effet, ces retards placent notre pays dans une situation juridique incertaine qui porte préjudice aux citoyens et aux entreprises, ainsi privés du droit de bénéficier pleinement du marché intérieur.

En outre, la France s'expose à des condamnations par la Cour de justice des Communautés européennes, qui sont assorties d'astreintes financières.

Enfin et surtout, un tel bilan n'est pas acceptable pour l'un des fondateurs de l'Union européenne, spécialement lorsqu'il entend par ailleurs continuer à assurer un rôle premier dans la construction européenne. Ainsi, le coût politique de la non-transposition est élevé, en ce qu'il contribue au risque de la perte de crédibilité de la France sur la scène européenne.

Face à ce constat, le Gouvernement a engagé, dès sa nomination, un vaste chantier de rattrapage du retard. Vous nous avez exposé, madame la ministre, votre plan d'action, adopté en novembre 2002, ainsi que les différentes étapes de sa mise en oeuvre jusqu'à ce jour. Le Parlement y a apporté sa contribution en examinant, en dix-huit mois, près d'une quinzaine de textes visant à habiliter la transposition de directives, et dont une demi-douzaine est encore en cours de discussion.

Mais il reste à transposer rapidement plusieurs actes communautaires importants, et les textes supports n'ont pu être programmés en raison de l'encombrement de l'ordre du jour des assemblées. C'est pourquoi il est nécessaire de recourir, à titre exceptionnel, à la voie des ordonnances pour accélérer le processus indispensable de transposition.

C'est évidemment une méthode qui ne satisfait guère les parlementaires que nous sommes, et notre vigoureux débat en commission a témoigné des réserves qu'elle inspire, aujourd'hui comme hier, sur toutes les travées. Mais face à l'obligation de transposition désormais pressante, la raison conduit à admettre qu'il faut en passer par là, dès lors qu'un certain nombre de précautions sont prises.

Or, à cet égard, je voudrais souligner le respect à l'égard du Parlement, démontré par la prudence et le souci de concertation du Gouvernement, qui a parfaitement tiré les leçons d'un passé récent. Je veux parler de la loi du 3 janvier 2001, qui avait exactement le même objet que le présent projet de loi.

En effet, contrairement à la méthode retenue par son prédécesseur, le Premier ministre a sollicité, au préalable, l'avis des présidents des deux assemblées, afin de limiter aux dispositions d'ordre technique le dessaisissement du pouvoir législatif auquel pouvait consentir le Parlement. Grâce à cet échange constructif, la liste indicative de trente-quatre actes communautaires qu'il paraissait urgent de transposer se trouve aujourd'hui limitée à vingt-deux actes, qui sont pour l'essentiel de nature technique. Il n'y aura donc nul besoin d'agir comme le Sénat l'avait fait en 2000, en retirant du projet de loi du Gouvernement des directives jugées trop importantes pour être transposées par ordonnance. Par exemple, les directives postales, nous les avons examinées en séance publique ! Le « paquet télécoms », nous en débattrons aussi prochainement !

Par ailleurs, le nombre même des actes communautaires est singulièrement réduit par rapport à celui dont la loi de 2001 a autorisé la transposition par ordonnances : vingt-deux actes dans un cas, contre près de soixante dans l'autre ! J'y vois là un souci de modération que chacun devrait saluer.

En dernier lieu, il convient de relever que le présent projet de loi est organisé et rédigé exactement de la même manière que la loi adoptée sous le gouvernement de M. Jospin, en particulier en ce qui concerne les délais pour prendre les ordonnances et déposer les projets de loi de ratification.

Telles sont les raisons pour lesquelles la commission des affaires économiques est favorable, sans enthousiasme mais avec pragmatisme et raison, à un projet de loi dont le principe est exactement identique à celui qui a été adopté il y a trois ans. Mais ce nouveau texte est beaucoup moins lourd, tant quantitativement que qualitativement.

Au demeurant, plutôt que de s'opposer stérilement à une disposition conjoncturelle que chacun sait nécessaire au fond, je pense qu'il faudrait plutôt nous organiser pour répondre, de manière structurelle, à la proposition que vous avez faite et réitérée ici même, madame la ministre, de permettre l'examen régulier de textes autorisant la transposition d'actes communautaires. On ne pourra en effet contester légitimement des demandes d'habilitation que lorsque tout aura été réellement fait par ailleurs pour les éviter.

J'en viens maintenant à l'examen de ce projet de loi.

Je rappelle que, compte tenu de l'hétérogénéité des actes communautaires concernés, la commission des affaires économiques, saisie au fond, a décidé de n'examiner que les directives et règlements relevant du champ habituel de ses compétences et de déléguer aux commissions saisies pour avis - commissions des affaires culturelles, des affaires sociales, et des finances - l'examen des directives qui les concernent.

L'article 1er tend à autoriser le Gouvernement à prendre par ordonnance, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, les dispositions législatives nécessaires à la transposition de vingt-deux directives ou parties de directives, ainsi que les mesures d'adaptation de la législation liées à cette transposition. Ces mesures sont celles qui, sans être directement imposées par le texte des directives elles-mêmes, sont indispensables pour garantir la cohérence du droit national à l'issue des transpositions.

Cet article est divisé en deux paragraphes permettant, à l'article 10 du projet de loi, de distinguer deux délais différents de transposition.

Tout d'abord, les douze directives du paragraphe I devront être transposées par des ordonnances prises dans les quatre mois suivant la promulgation de la loi.

Ensuite, les dix directives du paragraphe II devront être transposées par des ordonnances prises dans les huit mois suivant cette promulgation.

Ce distinguo ne résulte pas seulement d'impératifs variables de délais de transposition au regard des obligations communautaires, mais surtout de l'état d'avancement de la rédaction des ordonnances prévues.

Les quatre premières directives relèvent du domaine financier et seront donc présentées par notre collègue Denis Badré, au nom de la commission des finances.

Dans le domaine de la consommation, la directive 2001/95 relative à la sécurité générale des produits vise à s'assurer que seuls des produits sûrs sont mis sur le marché. Sa date limite de transposition était fixée au 15 janvier dernier.

Le projet d'ordonnance de transposition complète, dans le code de la consommation, les pouvoirs dont disposent les autorités de contrôle pour assurer la surveillance du marché et soumet les opérateurs économiques à de nouvelles obligations d'information, de suivi des produits et de signalement des risques, afin d'assurer une plus grande sécurité des produits destinés aux consommateurs.

A la lecture de ce projet d'ordonnance, j'ai observé que plusieurs dispositions proposées semblaient dépasser tant le strict cadre de la transposition de la directive que les mesures complémentaires d'adaptation de la législation qui lui sont liées. Cette situation n'est pas étonnante, car ce projet d'ordonnance reprend pour l'essentiel le texte proposé par le titre Ier du projet de loi n° 426, déposé sur le bureau du Sénat en août dernier, qui avait aussi pour objectif de simplifier le livre II du code de la consommation.

Bien entendu, la commission des affaires économiques n'est pas opposée à un tel souci de clarification et de simplification de l'action de l'administration, qui ne peut qu'être profitable à son efficacité et, ce faisant, à la protection du consommateur. Cependant, force est de constater que le respect des termes de l'article 1er interdit, en l'état, ce type de dispositions.

Aussi, elle vous proposera, par un amendement tendant à insérer un article additionnel avant l'article 3, de trouver une solution pour permettre au Gouvernement, sans craindre la censure du Conseil d'Etat, de respecter scrupuleusement l'habilitation conférée par le Parlement tout en conservant en l'état le projet d'ordonnance.

Dans le domaine des transports, les deux directives 94/33 et 1999/63, qui traitent du droit du travail, ont été renvoyées pour examen à la commission des affaires sociales et seront donc analysées par notre collègue André Geoffroy.

L'objectif de la directive 95/21 est d'introduire en droit communautaire l'obligation pour les Etats de contrôler chaque année au moins 25 % des navires étrangers qui arrivent dans leurs ports. Cette directive a d'ores et déjà été transposée dans le code des ports maritimes.

L'habilitation demandée vise, en fait, à transposer les modifications apportées à cette directive en 2001 à la suite du naufrage de l'Erika. Il s'agit de l'inspection renforcée obligatoire des navires potentiellement dangereux et de l'obligation pour les Etats membres de refuser l'accès dans leurs ports aux navires présentant, en raison de leurs caractéristiques, un risque pour l'environnement.

La directive 2000/59 sur les installations de réception portuaires pour les déchets d'exploitation des navires et les résidus de cargaison vise à lutter contre les dégazages et les déballastages, qui représentent pas moins de 45 % de la pollution marine. Dans ce but, elle impose aux capitaines faisant escale dans les ports de l'Union européenne de déposer tous les déchets d'exploitation des navires dans une installation portuaire, moyennant le paiement d'une redevance.

Cette directive, qui devait être transposée avant le 28 décembre 2002, l'a déjà été pour l'essentiel par la loi du 16 janvier 2001 et par voie réglementaire. Toutefois, de nombreux ports devant être prochainement décentralisés, il est nécessaire qu'une disposition législative prévoit l'obligation pour le directeur du port d'établir un plan de réception et de traitement des déchets d'exploitation.

La directive 2001/16 relative à l'interopérabilité du système ferroviaire transeuropéen conventionnel aurait dû être transposée au plus tard le 20 avril 2003, ce retard ayant entraîné un avis motivé de la Commission européenne en date du 15 octobre 2003.

Cette directive pose le principe de la libre circulation des produits industriels dits « constituants d'interopérabilité », c'est-à-dire nécessaires à l'interopérabilité ferroviaire, dès lors qu'ils sont munis d'une déclaration de conformité effectuée par la personne qui met le constituant sur le marché.

Une disposition législative est nécessaire pour permettre la surveillance du marché des constituants et son contrôle par les agents du ministère chargé des transports avec, en particulier, la mise en place de sanctions pénales.

La directive 2001/96 établissant des exigences et des procédures harmonisées pour le chargement et le déchargement sûrs des vraquiers vise le renforcement de la sécurité des vraquiers faisant escale dans les terminaux des Etats membres. Elle fixe les procédures à suivre par le capitaine et le représentant du terminal avant et durant les opérations de chargement et de déchargement. Un plan de chargement et de déchargement doit ainsi être établi, et les responsabilités du capitaine et du représentant du terminal sont clairement définies.

Le projet d'ordonnance vise donc à compléter le code des ports maritimes pour prévoir les dispositions et les sanctions requises.

La directive 2002/59 s'inscrit dans les mesures du « paquet Erika II » et crée un système de notification pour améliorer la surveillance du trafic dans les eaux européennes. Entrée en vigueur le 5 août 2002, elle doit être transposée au plus tard le 5 février 2004. Si de nombreuses dispositions de cette directive sont d'ores et déjà appliquées par les centres de surveillance du trafic maritime, deux mesures législatives revêtent une importance particulière pour l'amélioration de la sécurité maritime : d'abord, la notification des informations relatives au trafic et aux marchandises dangereuses ou polluantes ; ensuite, l'obligation pour les Etats de désigner des ports de refuge afin d'accueillir les navires en détresse. Comme beaucoup d'autres Etats, la France n'a établi aucune liste précise de ports, mais elle a défini des critères d'identification des lieux de refuge dont la mise en place nécessite une mesure de transposition législative.

Les trois premières directives du paragraphe II de l'article 1er relèvent du domaine économique et financier et seront donc, elles aussi, analysées par Denis Badré.

La directive 2003/15 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relative aux produits cosmétiques doit être transposée au plus tard le 11 septembre 2004. Elle renforce les prescriptions permettant la protection des animaux en obligeant les Etats membres à interdire la mise sur le marché de produits cosmétiques dont la formulation finale a fait l'objet d'une expérimentation animale prohibée. Elle renforce également les obligations d'information des consommateurs.

La transposition de cette directive est cependant soumise à une hypothèque. En effet, après avoir voté contre son adoption - elle a, au demeurant, été le seul pays à le faire -, la France a déposé, le 3 juin 2003, un recours en annulation contre l'une de ses dispositions.

La procédure est actuellement pendante. Mais, en raison même de cette contestation, la France n'envisage pas, pour le moment, de transposer en droit interne cet élément, qui constitue pourtant l'un des points essentiels de la directive. Ainsi, à ce stade, seules des précisions relatives à l'information du public sur la composition qualitative et quantitative des produits cosmétiques, ainsi qu'au contrôle et aux sanctions qui en découlent, nécessitent d'être intégrées dans la législation française.

En matière de transports, la directive 2000/9 relative aux installations à câbles transportant des personnes aurait dû être transposée au plus tard le 30 juin 2002. Le retard intervenu a motivé une mise en demeure de la Commission européenne en date du 16 juillet 2002.

Cette directive pose un principe de libre circulation des composants des remontées mécaniques dès lors que ceux-ci ont fait l'objet d'une évaluation de leur conformité à des normes techniques européennes par un organisme, dit notifié, agréé par la Commission européenne. Elle prévoit aussi que les Etats membres devront surveiller et contrôler ce marché, cette dernière obligation nécessitant une base législative.

Les deux autres directives concernant le domaine des transports vous seront présentées par André Geoffroy, car elles traitent de l'aménagement du temps de travail.

Dans le domaine de l'environnement, il vous est demandé d'autoriser le Gouvernement à transposer deux directives.

Tout d'abord, l'objectif de la directive 2002/49, qui doit être transposée au plus tard le 18 juillet 2004, est d'introduire en droit communautaire l'obligation pour les Etats de disposer d'un mécanisme d'évaluation fiable et homogène des différentes sources d'émissions sonores, afin d'établir des comparaisons pertinentes et d'imposer l'adoption de plans d'action visant à réduire ou à prévenir le bruit. Son dispositif repose sur trois éléments essentiels : la cartographie du bruit, l'information du public sur le bruit dans l'environnement et l'adoption de plans d'actions.

Ensuite, avec la directive 2003/87 est instauré en droit communautaire un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, qui constitue l'un des instruments à mettre en place pour permettre à l'Union européenne de souscrire aux engagements qu'elle a pris en ratifiant le protocole de Kyoto.

Les délais prévus pour transposer la directive - au plus tard le 31 décembre 2003 - sont très courts et déjà dépassés. L'objectif est de permettre l'engagement, au 1er janvier 2005, d'une première phase permettant de tester le mécanisme d'échange sur la période 2005-2007, et d'anticiper ainsi sur la première période d'engagement du protocole de Kyoto prévue sur 2008-2012.

Malgré le caractère novateur de ce dispositif et l'importance des enjeux qui lui sont liés - et cela aurait certainement justifié son examen par le Parlement dans le cadre d'un projet de loi -, le Gouvernement est donc contraint de recourir à une ordonnance, afin, notamment, que les entreprises qui auront à appliquer le mécanisme aient connaissance le plus rapidement possible des « règles du jeu » applicables.

Sur le plan politique, il est essentiel de confirmer notre détermination à mettre en oeuvre le protocole de Kyoto et à lutter contre l'effet de serre.

On peut en outre rappeler que le Sénat a déjà examiné un tel mécanisme et s'est montré favorable à son adoption au travers du rapport de M. Serge Lepeltier, rendu en 1999 au nom de la Délégation du Sénat pour la planification, et de la proposition de résolution de notre collègue M. Marcel Deneux, au nom de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne présentée en 2002, à la condition qu'il ne remette pas en cause la compétitivité des entreprises.

Pour clore ce volet du projet de loi consacré à l'environnement, je vous indique que la commission des affaires économiques vous proposera un amendement tendant à compléter cette liste de directives par la directive 2001/42 du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement.

Sur le plan politique, la solution d'une transposition par voie d'ordonnances n'a rien de satisfaisant étant donné le sujet. Mais faute de transposition dans les temps impartis, nous nous exposerions à une grave insécurité juridique s'agissant de nos documents d'urbanisme et des autorisations de construire qui en découlent.

Enfin, la directive 2001/19, qui concerne la reconnaissance des diplômes et qualifications professionnelles, sera examinée au fond par notre collègue Jean-Léonce Dupont, au nom de la commission des affaires culturelles.

L'article 2 tend à autoriser le Gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions législatives requises pour l'application du droit communautaire dans les domaines couverts par deux règlements européens, ainsi que les mesures d'adaptation de la législation liées à cette transposition.

Le règlement n° 178/2002 est le pendant, en matière alimentaire, de la directive 2001/95 relative à la sécurité générale des produits, examinée précédemment. Les dispositions de ce règlement et de la directive étant similaires sur un très grand nombre de points, les mesures de transposition de la directive figurant dans le projet d'ordonnance constituent donc également des mesures d'adaptation du règlement n° 178/2002.

Le règlement n° 1/2003 édicte de nouvelles règles d'application du traité relatives aux pratiques anticoncurrentielles mises en oeuvre par les entreprises : les ententes illicites et les abus de position dominante, respectivement prohibés par les articles 81 et 82 du traité. Il vise à décentraliser plus largement l'application du droit européen de la concurrence et à lutter plus efficacement contre les pratiques anticoncurrentielles les plus nocives.

Toutes les dispositions du règlement sont d'application directe et la plupart d'entre elles n'emportent pas d'obligation de modifier notre droit national. Seuls sept articles de ce texte nécessitent de compléter ou d'adapter les dispositions législatives du livre IV du code de commerce.

L'article 3 vous sera présenté par André Geoffroy.

En ce qui concerne l'article 4, je rappellerai qu'à la suite des événements du 11 septembre 2001 des dispositions relatives à la sûreté des navires et des ports ont été introduites dans la convention internationale de 1974 sur la sauvegarde de la vie humaine en mer, dite convention SOLAS. Ces dispositions devant être applicables en juillet 2004, le présent article 4 vise à permettre au Gouvernement de les transposer en droit interne.

L'article 5 autorise le Gouvernement à prendre des mesures législatives allant au-delà de la simple transposition de la directive 2000/9 dans le but de renforcer les contrôles en matière de sécurité des installations de remontées mécanniques.

L'article 6 sera également analysé par André Geoffroy.

L'article 7 prévoit d'habiliter le Gouvernement à prendre des mesures complémentaires permettant d'organiser, dans l'ensemble des ports maritimes, les services portuaires aux navires et à la marchandise. Il s'agit d'assurer les conditions d'une organisation transparente et garantissant le libre accès aux services portuaires dans l'ensemble des ports maritimes, y compris ceux qui relèvent actuellement de l'Etat, mais qui seront prochainement décentralisés.

L'article 8 autorise le Gouvernement à prendre des mesures législatives allant au-delà de la simple transposition de la directive 2001/16, afin de renforcer les contrôles en matière de sécurité des constituants d'interopérabilité ferroviaire.

L'article 9 vient compléter l'autorisation de transposer la directive sur le système d'échange de quotas de gaz à effet de serre en autorisant le Gouvernement à légiférer pour définir le régime juridique, comptable et fiscal des quotas. Il s'agit de dispositions techniques qui doivent être rapidement adoptées, afin que le dispositif soit opérionnel avant le 1er janvier 2005. A cet égard, la commission des affaires économiques vous soumettra un amendement permettant de bien « boucler » ce dispositif.

L'article 10 précise les délais dans lesquels les ordonnances devront être prises et les projets de loi de ratification déposés sur le bureau de l'une ou l'autre des assemblées. Ainsi que je l'ai déjà précisé, certaines de ces ordonnances devront être prises dans les quatre mois suivant la promulgation de la loi d'habilitation, les autres dans les huit mois. Quant aux projets de loi de ratification des ordonnances, ils devront être déposés devant le Parlement dans un délai de deux mois à compter de l'expiration des délais donnés au Gouvernement pour prendre les ordonnances. Ainsi, tous ces projets devront au plus tard être déposés dans les dix mois suivant la promulgation de la loi d'habilitation. La commission des affaires économiques présente à cet article un amendement de conséquence.

Enfin, l'article 11 prévoit que le Gouvernement pourra prendre par ordonnance des mesures relatives à l'application à l'outre-mer des ordonnances prévues aux articles précédents. A cet article, la commission des affaires économiques a adopté un amendement visant à corriger une erreur de référence, un amendement de précision et un amendement tendant à instaurer un délai pour la consultation de l'assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna, comme cela est prévu pour les autres collectivités.

Telles sont, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les observations et conclusions de la commission des affaires économiques sur ce projet de loi. Sous réserve des sept amendements qu'elle vous propose, et de celui qui est présenté par la commission des affaires sociales, elle vous demande de l'adopter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Denis Badré, rapporteur pour avis.

M. Denis Badré, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. La commission des finances a bénéficié d'une délégation au fond pour l'examen de sept directives qui concernent la transparence des relations entre l'Etat et les entreprises publiques, les services financiers, la banque et les assurances.

Il faut d'ailleurs noter que, parmi ces sept directives, deux ne font pas l'objet d'une véritable transposition : l'habilitation demandée vise à apporter des rectifications matérielles à la loi de sécurité financière, afin de rétablir la pleine conformité de notre droit à deux directives déjà transposées. Il s'agit de la directive 93/22 relative aux services d'investissement dans le domaine des valeurs mobilières, transposée par la loi du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières et de la directive 97/9 relative à l'épargne et à la sécurité financière.

Je ne reviendrai pas sur le contexte de ce projet de loi, sur lequel a très clairement, et à juste titre, insisté notre collègue Yannick Texier. Sans vouloir jouer les « anciens » et simplement parce qu'il m'est donné d'être le premier à intervenir après lui, je salue sa performance et la qualité de sa première intervention en séance.

Chacun d'entre nous le sait - les médias s'en sont d'ailleurs largement fait l'écho - la France figure parmi les mauvais élèves de l'Union européenne s'agissant de la transposition de directives et en particulier de celles qui ont trait au marché intérieur. Cette situation donne un mauvais exemple aux dix Etats membres qui nous rejoindront le 1er mai prochain.

Vous connaissez mon sentiment à ce sujet, madame la ministre. La France, membre fondateur de l'Union européenne, doit continuer à assumer, à ce titre, une responsabilité éminente devant l'histoire. Elle le fera non pas en disant et en faisant adopter de manière directive sa vérité, mais en éclairant l'avenir, en proposant des solutions, en soutenant et en contribuant à faire converger les nécessaires volontés politiques des gouvernements. Elle ne pourra le faire que si elle sait restaurer et soutenir la confiance que ses partenaires de l'Union européenne doivent continuer à lui apporter. Il y a malheureusement une condition à cela : la France doit être elle-même irréprochable quant à l'application des traités qu'elle a signés et bien souvent, pour la plupart, qu'elle a inspirés.

C'est notamment à ce titre que le débat sur le pacte de stabilité n'était pas bon pour nous : il a fortement dégradé l'image que nos partenaires ont de nous et réduit d'autant notre autorité dans l'Union européenne.

C'est toujours à ce titre que notre situation au regard de la transcription des directives est franchement mauvaise, d'autant que, sur ce point, rien ne justifie qu'on soit plus en retard que les autres, sinon le fait que l'Europe ne serait pas une priorité pour nous.

Vous savez, madame la ministre, que je me battrai toujours à vos côtés pour que cette situation soit inversée.

Avec nos retards, nous apportons de l'eau au moulin de ceux qui disent que l'Europe ne nous intéresse pas vraiment ou, pis, qu'elle ne nous intéresse que lorsqu'elle peut nous donner un avantage direct ou immédiat.

Il faut nous remettre au service de la construction européenne.

Il faut remonter en tête du peloton et nous mettre en situation d'y rester.

Il faut que la loi, lorsqu'elle est d'origine européenne, soit pour nous aussi importante que toute autre loi et que cela se voie dans l'ordre du jour de nos travaux.

Il nous faut nous rappeler que les directives ont été débattues avec notre participation et arrêtées avec l'accord de notre gouvernement : si elles ne nous plaisent pas, c'est que nous nous sommes mal défendus, mais ce ne sont pas des textes qui arrivent de nulle part pour nous déranger.

Je sais, madame la ministre, que vous faites la même analyse que moi. Nous sommes à vos côtés, si besoin est, pour vous accompagner dans vos démarches de restauration de la situation, laquelle s'impose d'urgence.

Vous évoquez la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances. Il me semble essentiel que, lorsque sont présentés les missions et programmes de l'Etat, l'Europe apparaisse pleinement dans sa dimension horizontale et interministérielle au coeur de ce qui peut assurer la compétitivité du pays - vous le disiez vous-même à l'instant - et j'ajouterai, si vous m'y autorisez, au coeur de ce qui peut assurer le rayonnement de la France et sa capacité à assumer ses responsabilités devant l'histoire et dans le monde.

Ne voir citer l'Europe qu'au titre des relations que nous devons continuer à entretenir avec les pays d'Europe et du monde - c'est le libellé de la liste des programmes et missions de l'Etat - me paraît tout à fait insuffisant. Cela peut même être perçu comme une démission, qui, à mon sens, serait dramatique. Il faut que cette situation soit modifiée et que l'Europe apparaisse dans toute sa dimension interministérielle.

Il faut apurer - c'est ce à quoi tend le projet de loi - mais il faut aussi tout faire pour que nous sortions définitivement de l'ornière et qu'à l'avenir les directives soient transcrites au fur et à mesure en temps en en heure.

En dépit de l'existence d'une structure transversale placée auprès du Premier ministre, le SGCI, le secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne, qui a notamment un rôle d'interface de négociation et de structure de veille, la situation s'est aggravée depuis 2001. La responsabilité - c'est notre rôle de le dire - en incombe davantage au Gouvernement qu'au Parlement puisque c'est le Gouvernement qui fixe l'ordre du jour prioritaire des assemblées.

A cet égard, je tiens à vous remercier, madame la ministre, d'avoir rappelé que nos collègues Aymeri de Montesquiou et Hubert Haenel avaient pris une utile initiative en proposant, en novembre 2000, un projet de loi constitutionnelle tendant à prévoir l'inscription des directives à transposer à l'ordre du jour du Parlement en cas de carence gouvernementale.

Les carences apparaissent au sein de tous les ministères, qui sont potentiellement tous concernés par la législation communautaire. C'est donc bien un problème d'état d'esprit général.

A ce titre, je me félicite de l'existence de tableaux de suivi des transpositions dans chaque ministère et des propositions que vous venez de faire, madame la ministre, pour que le respect des délais de transposition figure parmi les indicateurs de performance prévus par la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

En ce domaine, nous agissons aujourd'hui dans l'urgence et prenons tardivement les mesures appropriées, mais mieux vaut tard que jamais.

Le Gouvernement invoque cette situation très dégradée et des contentieux en cours devant la Cour de justice des Communautés européennes pour justifier le recours à la transposition par ordonnances, qui permet a priori d'accélérer le processus.

Dans l'immédiat, c'est le pouvoir législatif du Parlement qui pâtit de cette situation. Or vous savez combien nous sommes attachés à nos prérogatives. Comme dans chaque point haut du cycle de transposition il nous est demandé de bien vouloir habiliter le Gouvernement à décider des mesures d'adaptation du droit national suivant une procédure perçue comme plus rapide, voire plus efficace.

Le Gouvernement entend, certes, tempérer la portée dérogatoire de ce dessaisissement du pouvoir législatif. Ainsi, notre assemblée - plus particulièrement sa commission des finances - a été consultée par le Gouvernement pour donner son avis sur les textes qui, selon elle, méritaient une transposition par voie législative malgré les retards. Nous avons apprécié cette démarche.

A cette occasion, le Gouvernement s'est engagé à ce que soient joints aux projets de loi d'habilitation les projets des ordonnances de transposition, ce qui constitue aussi une avancée appréciable et une procédure plus respectueuse des droits du Parlement. Je sais que, sur ces deux points, nous vous devons beaucoup, madame la ministre, et je vous remercie.

Il convient néanmoins de formuler deux remarques : d'une part, la consultation que vous avez lancée auprès de nous a été réalisée fort tard, quelques semaines seulement avant le délai de transposition de certaines directives ; d'autre part, certaines ordonnances de transposition relatives au présent projet de loi ne sont pas achevées, et nous tentions encore dans les dernières heures de connaître avec plus de précision vos intentions.

Le présent projet de loi intervient donc dans l'attente de jours meilleurs, c'est-à-dire d'une rationalisation sur le long terme du calendrier parlementaire et d'une amélioration des procédures de suivi dans les ministères, ainsi que s'y est engagée Mme la ministre. Nous aurons, les uns et les autres, Gouvernement et Parlement, à faire le nécessaire pour que ce soit la dernière fois.

J'en viens à présent au contenu des directives examinées par la commission des finances.

Ces directives ne présentent pas d'incompatibilités majeures avec le droit national, mais certains points de détail apparaissent toutefois problématiques et ont donné lieu à des débats au sein des groupes de travail gouvernementaux, et donc au sein de notre commission des finances.

Comme je l'ai indiqué précédemment, cinq directives sur les sept qui nous sont soumises font réellement l'objet d'une transposition. Les délais de transposition sont déjà dépassés pour deux d'entre elles, en particulier pour la directive 2000/52/CE relative aux règles applicables en matière de transparence des relations financières entre les Etats membres et les entreprises publiques, qui devait être transposée au plus tard le 31 juillet 2001, il y a donc près de trois ans.

Une action en manquement a également été engagée contre la France pour non-transposition dans les délais de la directive 2001/17/CE relative à l'assainissement et à la liquidation des entreprises d'assurance.

La Commission européenne a fait preuve d'une célérité nouvelle, qui a valeur d'avertissement, pour que les Etats membres respectent davantage les délais de transposition, mais elle a attendu trois ans ! Nous ne devons donc pas nous contenter de dire que la Commission européenne est plus sévère, nous devons faire un effort pour nous mettre en règle.

La directive 2000/52/CE vise à obliger les entreprises, publiques ou chargées d'un service public, à tenir des comptes séparés permettant de distinguer leurs activités entrant dans le champ concurrentiel et celles qui relèvent du service public.

Ce sont les dispositions relatives à sa transposition qui feront tout à l'heure l'objet d'un amendement de suppression.

J'indique dès à présent que c'est à propos de cette directive pour laquelle nous avons tant de retard que se pose de manière emblématique le problème dont nous débattons aujourd'hui, à savoir l'opportunité des transpositions par voie d'ordonnances. En l'occurrence, il y a eu manquement de notre part et nous sommes poursuivis : à l'évidence, il y a urgence à nous mettre en règle.

La directive 2000/52/CE a pour objet de permettre de distinguer, parmi les ressources financières publiques dont bénéficient les entreprises, celles qui viennent en juste contrepartie de l'exercice d'une mission d'intérêt général et celles qui pourraient entraîner une distorsion de concurrence. Cette directive paraît la bienvenue : elle rejoint les analyses de la commission des finances selon lesquelles les relations financières entre l'Etat et les entreprises publiques doivent de plus en plus se conformer aux règles de droit commun. La commission des finances sera d'ailleurs toujours aux côtés de ceux qui cherchent à imposer plus de transparence.

Deux directives assez importantes sont susceptibles de présenter quelques difficultés de transposition.

La première est la directive 2001/24/CE, qui a pour objet d'assurer la reconnaissance mutuelle des procédures adoptées par les Etats membres lors du redressement ou de la faillite d'une banque internationalisée, et de renforcer la coordination entre les autorités compétentes dans ces matières.

Cette directive vise à garantir une procédure unique pour tous les créanciers et investisseurs, celle de l'Etat membre d'origine de l'établissement de crédit, afin d'éviter la juxtaposition des droits nationaux des Etats membres des succursales, ce qui nous paraît aller également dans le bon sens.

L'application de la règle du pays d'origine serait toutefois tempérée par des exceptions d'assez large portée faute d'harmonisation suffisante des législations nationales dans ces domaines, solution qui a également notre faveur.

Les mesures de transposition, d'après les données fournies par le Gouvernement, sont encore relativement imprécises.

Le fait que vous travailliez dans l'urgence, madame la ministre, nous conduit à travailler dans l'extrême urgence ; nous le faisons parce qu'il y a nécessité.

La directive 2001/24/CE marque, en tout cas, une première étape dans la voie de l'harmonisation des législations des Etats membres, ce qui est de nature à réduire l'insécurité juridique des créanciers et des investisseurs.

La seconde directive pouvant entraîner des difficultés de transposition est la directive 2002/65/CE, qui institue dans l'ensemble de l'Union européenne un cadre juridique unique visant à assurer la protection des consommateurs lors de l'acquisition à distance de services financiers, produits financiers, bancaires et assurantiels.

Nous sommes là dans le domaine du commerce électronique de produits virtuels, donc dans le « virtuel au carré », domaine où il est parfois assez compliqué de suivre ce qui se passe et où il est donc d'autant plus important de veiller à la sécurité des procédures.

Cette directive est d'harmonisation maximale et s'intègre dans un cadre juridique complexe, constitué, notamment, de directives relatives au commerce électronique et à la commercialisation à distance d'autres produits et services. Plusieurs codes sont concernés.

Les mesures de transposition sont particulièrement attendues, tant par les professionnels que par les consommateurs de services financiers, afin d'instituer un cadre protecteur pour le consommateur et de rationaliser les marchés des prestataires de tels services.

Non seulement nous attendons, pour nous mettre en règle vis-à-vis de Bruxelles, que ces directives soient transposées, mais, de plus, tous les utilisateurs de ces textes attendent aussi. Nous avons une double responsabilité dans les retards qui sont pris.

La directive 2001/17/CE concernant l'assainissement et la liquidation des entreprises d'assurance répond au même objectif que celle qui est relative aux établissements de crédit.

Sa portée, comme celle de la directive 2002/65/CE précédemment analysée, peut, certes, apparaître limitée, mais le choix - pragmatique - d'une harmonisation a minima a permis un premier aboutissement de travaux engagés depuis près de vingt ans. Ce n'est pas parce que ce chantier est ouvert depuis vingt ans qu'il faut attendre encore vingt ans de plus. Il y a urgence. Un important travail a été fait, et bien fait ; il faut maintenant conclure.

Enfin, la directive 2002/87/CE relative aux conglomérats financiers vise à mettre en place une surveillance complémentaire dans le domaine assez complexe des entreprises présentes dans plusieurs secteurs financiers - banques, assurances, entreprises d'investissement - et dans plusieurs pays relevant de droits différents.

Cette surveillance complémentaire consiste en une coopération et un échange d'informations qui incombe à une des autorités sectorielles de contrôle. Même s'il faut se féliciter que soit ainsi étendue et complétée l'architecture de contrôle prudentiel dans le domaine financier, la portée des nouvelles mesures dépendra toutefois, bien sûr, des seuils de définition des conglomérats financiers, lesquels devraient être précisés par voie réglementaire.

Madame la ministre, nous serons très attentifs aux conditions dans lesquelles ces mesures seront mises en oeuvre.

Tels sont, mes chers collègues, les principaux éléments que je souhaitais vous soumettre pour l'examen de ce projet de loi. Je me suis permis à nouveau, après M. le rapporteur, de lancer un cri d'alarme sur le recours à la procédure des ordonnances pour combler nos catastrophiques retards à l'égard de l'Europe. Il n'en reste pas moins que la commission des finances a émis un avis favorable à l'adoption du texte qui nous est proposé. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. André Geoffroy, rapporteur pour avis.

M. André Geoffroy, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans le cadre de ce débat un peu particulier qui n'est cependant pas totalement inédit, la commission des affaires sociales a souhaité se saisir pour avis des directives mentionnées dans le présent projet de loi qui entrent dans son champ de compétences.

Cela a été dit, la France est un des pays qui accumule le plus grand nombre de directives européennes en retard de transposition, ce qui l'expose à un risque élevé de contentieux et de sanction de la part de la Cour de justice des Communautés européennes.

Cette situation explique qu'il soit fait usage aujourd'hui de la procédure de l'habilitation, qui nous permettra de combler rapidement une partie de ce retard. Nous souhaitons toutefois que la transposition de directives par ordonnances, qui entraîne un dessaisissement du Parlement, reste une procédure exceptionnelle limitée à des textes techniques.

Les quatre directives examinées par la commission des affaires sociales se rapportent à des matières relevant du droit du travail, plus particulièrement applicables aux secteurs des transports et de la pêche. Elles fixent des normes minimales dans le domaine social et leur transposition ne peut en aucune manière se traduire par une réduction du niveau de protection dont bénéficient les salariés.

D'une manière générale, nous avons considéré qu'elles présentaient un caractère technique et qu'elles pouvaient donc être transposées par ordonnances sans que cela porte atteinte de manière excessive aux droits du Parlement. J'observe, d'ailleurs, que les mesures de transposition qui restent nécessaires sont d'une ampleur limitée, une grande partie des dispositions de ces directives étant déjà satisfaite par notre droit interne.

J'en veux pour preuve l'exemple de la première directive, adoptée en 1994, et qui est relative à la protection des jeunes au travail. Sa transposition aurait dû être achevée en 1996. La France a été condamnée en 2000 par la Cour de justice des Communautés européennes en raison de ce retard. Or, cette directive a bien été transposée dans notre code du travail, mais ne l'a pas encore été dans le code du travail maritime, ce qui exclut les jeunes marins du bénéfice des protections et garanties reconnues aux autres jeunes travailleurs.

Pour combler cette lacune, le projet d'ordonnance devrait préciser les conditions d'emploi des jeunes de moins de seize ans à bord des navires, fixer la durée du travail et interdire le travail de nuit des marins de moins de dix-huit ans.

Ces mesures ne s'accompagneraient d'aucun recul des droits des jeunes marins. La transposition de cette directive par ordonnance ne semble donc pas poser de difficultés.

La deuxième directive, adoptée en 1999, traite d'un sujet connexe puisqu'elle est relative à l'organisation du temps de travail des gens de mer, c'est-à-dire, dans le langage communautaire, des salariés de la marine marchande.

Elle reprend le contenu d'un accord collectif de niveau européen conclu entre les organisations patronales et syndicales de la navigation maritime, qui se rapporte à la durée maximale du travail, au droit au repos hebdomadaire, ainsi qu'aux dérogations possibles à la réglementation de la durée du travail dans des situations d'urgence.

Il appelle trois mesures de transposition dans notre droit interne : d'abord, pour indiquer qu'il est possible de déroger à la réglementation de la durée du travail dans les cas où il doit être porté secours à un navire en détresse ; ensuite, pour préciser que les marins ont bien droit aux jours fériés visés par le code du travail ; enfin, pour rappeler que les congés doivent impérativement être pris sous forme de repos et non être remplacés par une contrepartie pécuniaire.

Ces aménagements ne devraient pas non plus poser de difficultés.

La troisième directive date de l'année 2000 et est relative à l'aménagement du temps de travail dans certains secteurs d'activité dont les contraintes sont spécifiques. Elle s'applique notamment aux transports qui assurent des services de nuit, à la pêche maritime, où les campagnes de pêche imposent des horaires particuliers, et aux médecins en formation qui doivent assurer des séances de garde.

La directive autorise donc certaines dérogations aux règles de droit commun, tout en imposant de garantir aux salariés concernés « le droit à un repos suffisant », notion qui demande à être précisée selon les cas.

Pour les médecins, la transposition de la directive s'effectue par voie réglementaire. Le présent projet de loi est donc sans incidence sur ces professionnels.

Pour le secteur des transports maritimes, la transposition de la directive de 1999, que je vous ai précédemment présentée, emportera transposition de celle-ci. Le problème sera donc rapidement réglé.

Pour l'aviation civile, une directive sectorielle est également intervenue et elle est d'ailleurs incluse dans la présente demande d'habilitation, ce qui me conduira à vous en présenter les principales dispositions dans quelques instants.

Pour le secteur de la pêche maritime, la transposition est déjà intervenue dans le cadre de la loi de modernisation sociale.

Au total, les mesures de transposition qu'il reste à prendre porteront essentiellement sur le secteur des transports terrestres. Le détail des mesures envisagées ne nous est pas encore connu, mais une consultation des partenaires sociaux du secteur routier a eu lieu dans le courant du mois de janvier dernier afin de préciser les contours de la notion de repos suffisant. Quelques aménagements mineurs de la réglementation relative au travail de nuit pour les agents de la SNCF, de la RATP et des transports urbains devraient également s'avérer nécessaires.

Ainsi que je l'annonçais, la dernière directive, adoptée en 2000, vise à mettre en oeuvre un accord collectif européen intervenu dans le secteur de l'aviation civile. Il prévoit au minimum quatre semaines de congés payés par an, ainsi que des mesures en matière de santé et de sécurité adaptées à la nature du travail accompli. Il garantit au personnel mobile le droit à des examens de santé réguliers. L'accord précise que le temps de travail annuel maximal sera limité à 2 000 heures, dont un temps de vol total limité à 900 heures, qui devra être réparti de la manière la plus uniforme possible sur l'année. Enfin, il garantit aux professionnels un certain nombre de jours libres de tout service.

Les dispositions concernant les congés payés et la santé sont déjà satisfaites par notre droit interne, mais les autres appellent encore des mesures de transposition. Il apparaît ainsi nécessaire d'introduire dans notre droit du travail la notion de « temps de vol total » qui n'y figure pas aujourd'hui. Par ailleurs, les limites maximales en matière de temps de travail doivent être précisées, ainsi que la garantie de jours libres de tout service.

Comme vous pouvez le constater, les mesures nécessaires à la transposition de ces directives techniques apparaissent assez limitées. Elles apportent des protections supplémentaires aux salariés des secteurs concernés.

Outre les quatre directives que je viens d'exposer, qui figurent à l'article 1er du projet de loi, la commission a souhaité se saisir pour avis de deux autres articles qui habilitent le Gouvernement à prendre des mesures d'adaptation portant sur les matières visées par les directives mais allant au-delà de ce qui est exigé pour leur stricte transposition.

L'article 3 du projet de loi ne pose pas de difficultés. Il vise à autoriser le Gouvernement à prendre des mesures d'adaptation au secteur maritime des règles relatives à l'apprentissage. Cette habilitation, qui peut sembler a priori très large, est en fait très ponctuelle. Elle a pour objectif d'inclure les apprentis marins âgés de plus de dix-huit ans dans le champ des mesures d'adaptation, qui ne concernent aujourd'hui que les mineurs.

Enfin, l'article 6 du projet de loi vise à autoriser le Gouvernement à prendre des mesures d'adaptation du code du travail et du code du travail maritime pour les secteurs des transports et de la pêche.

Cette demande répond à deux objectifs distincts.

Il est envisagé, en premier lieu, de procéder à deux modifications ponctuelles du code du travail maritime, afin d'y introduire l'obligation pour les employeurs de délivrer un bulletin de paie à leurs salariés et de préciser les modalités de calcul de l'indemnité de congés payés pour les pêcheurs « à la part ». Les pêcheurs à la part, en effet, perçoivent non pas un salaire proprement dit, mais un pourcentage du produit de la pêche. De ce fait, la réglementation des congés payés de droit commun n'est pas adaptée à leur situation.

Il est envisagé, en second lieu, de procéder à des adaptations du code du travail en matière de durée du travail, de travail de nuit et de temps de repos, dans le secteur du transport routier. Cette habilitation ne nous semble pas totalement justifiée, et ce pour plusieurs raisons.

D'une part, l'administration n'est pas en mesure de préciser quelles modifications elle envisage d'introduire dans le code du travail. Des pistes de réflexion qui ont trait au calcul de la durée maximale hebdomadaire du travail ou au régime du repos compensateur sont engagées, mais aucune décision définitive n'a été prise. Par ailleurs, la nature des mesures à prendre ne fait pas l'objet d'un consensus chez les partenaires sociaux.

D'autre part, la réglementation de la durée du travail est un sujet particulièrement délicat, qui suppose de trouver un équilibre fragile entre les exigences de compétitivité des entreprises et les droits des salariés, et qui soulève aussi des questions en termes de sécurité routière. Chacun a en outre à l'esprit les conflits sociaux qu'a connus le secteur du transport routier et qui ont paralysé un temps l'économie du pays. Ces considérations plaident pour la prudence et pour le choix d'une procédure de réforme plus transparente que le recours à des ordonnances.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai !

M. André Geoffroy, rapporteur pour avis. Enfin, l'objet du présent projet de loi est de procéder à la transposition rapide de directives techniques, pour lesquelles le délai de transposition est écoulé. Or, l'habilitation qui nous est demandée ici va bien au-delà, car les mesures envisagées ne présentent pas, me semble-t-il, un caractère d'urgence qui justifierait le recours à la procédure des ordonnances.

Ces considérations ont donc amené la commission des affaires sociales à vous présenter un amendement, afin de réduire le champ de l'habilitation aux mesures à prendre pour adapter le code du travail maritime. Sous cette seule réserve, la commission vous propose d'adopter les dispositions de ce texte.

Mes chers collègues, c'est avec une certaine émotion que je suis intervenu, car c'était aujourd'hui mon baptême à la tribune, à l'instar de M. Yannick Texier. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Léonce Dupont, rapporteur pour avis.

M. Jean-Léonce Dupont, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après mon collègue Denis Badré, je voudrais adresser toutes mes félicitations à notre collègue André Geoffroy, dont c'est la première intervention. Nous avons d'ailleurs entendu ce matin deux de nos collègues, talentueux, et donc promis à un grand avenir, prendre la parole pour la première fois, ce qui témoigne de l'intérêt du sujet que nous traitons. (Sourires.)

La commission des affaires culturelles a souhaité se saisir pour avis du projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire. Cette saisine concerne la transposition, pour certaines professions, de la directive 2001/19/CE du 14 mai 2001 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles.

Notre excellent collègue Yannick Texier vient d'exposer complètement et très clairement les problèmes liés au retard pris par la France en matière de transposition des directives européennes, ainsi que les raisons qui ont conduit le Gouvernement à recourir à cette procédure d'habilitation par ordonnances.

Je n'insisterai donc pas sur ce sujet, sinon pour préciser que la directive dont notre commission a souhaité se saisir a fait l'objet d'un avis motivé de la Commission européenne le 17 octobre 2003. Dès lors, cette dernière pourrait décider très prochainement de saisir la Cour de justice des Communautés européennes d'un recours en manquement. La transposition de cette directive aurait dû, en effet, être effectuée avant le 1er janvier 2003.

Je vous présenterai brièvement les principales modifications introduites par la directive 2001/19/CE, que le 5° du II de l'article 1er du projet de loi qui nous est soumis prévoit de transposer par ordonnance.

La directive du 14 mai 2001 s'inscrit dans le cadre d'un programme européen tendant à supprimer les obstacles à l'achèvement et au bon fonctionnement du marché intérieur, qui vise à donner aux citoyens de l'Union européenne une plus grande liberté pour circuler, travailler, étudier et s'établir dans d'autres Etats membres. Dans cette perspective, l'Europe avait engagé une politique visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes et des qualifications professionnelles. La directive de 2001 tend à modifier certaines dispositions des directives existantes en la matière, afin d'en simplifier et d'en clarifier le dispositif.

Ces directives sont de deux types : certaines, dites sectorielles, concernent un certain nombre de professions réglementées, à savoir les médecins, les infirmiers, les dentistes, les vétérinaires et les sages-femmes ; d'autres, dites horizontales, tendent à organiser un système général de reconnaissance des diplômes et des formations professionnelles.

La directive 2001/19/CE a pour objet de modifier certaines dispositions de ces deux types de directives, sans changer en profondeur les dispositifs de reconnaissance de diplômes et de qualifications professionnelles existants. Les principales innovations qu'elle introduit visent à une meilleure prise en compte de l'expérience professionnelle des migrants. Les Etats membres doivent ainsi « examiner si l'expérience professionnelle acquise par le demandeur après l'obtention du ou des titres dont il fait état couvre les matières » qui manquent à sa formation par rapport à celles qui sont couvertes par le diplôme requis dans l'Etat membre d'accueil.

Pour les professions couvertes par une directive sectorielle, la directive 2001/19/CE impose également la prise en compte, sur la base d'un examen au cas par cas, des diplômes obtenus dans un Etat tiers dès lors que leur titulaire est lui-même ressortissant de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, l'EEE, et que son diplôme a déjà fait l'objet d'une reconnaissance dans un autre Etat membre de l'Union ou de l'EEE.

Le projet de loi prévoit de transposer par ordonnance certaines des dispositions de cette directive, pour ce qui concerne les professions médicales et paramédicales que je viens de citer. L'ordonnance devrait introduire des modifications dans le code de l'éducation, de façon qu'il soit désormais tenu compte, pour les spécialistes en médecine et en art dentaire, de la formation spécialisée du demandeur, de son expérience professionnelle, de sa formation complémentaire et de sa formation médicale continue, et ce dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. D'autres modifications seront apportées au code de la santé publique et au code de l'action sociale et des familles.

Je précise que, pour les autres professions concernées par la directive de 2001, la transposition a déjà été réalisée ou devrait l'être par voie réglementaire. Tel est le cas des professions paramédicales à l'exception des infirmiers, des psychologues, des vétérinaires, des experts-comptables, des avocats, des éducateurs sportifs ou encore des guides touristiques.

S'agissant des architectes et des géomètres-experts, on aurait pu concevoir que les dispositions législatives qui s'imposent soient adoptées par ordonnance sur la base de la présente habilitation. D'après les informations qui m'ont été données, en l'état actuel des discussions interministérielles, le Gouvernement souhaiterait plutôt, par souci de cohérence, inclure lesdites dispositions dans un prochain projet de loi comportant d'autres dispositions relatives à ces deux professions.

Je me félicite que le Gouvernement ait, conformément aux engagements pris auprès des présidents des assemblées parlementaires, communiqué le projet d'ordonnance, ce qui nous permet de nous prononcer en toute connaissance de cause sur le présent projet de loi.

Je relève par ailleurs avec satisfaction que l'habilitation sollicitée par le Gouvernement est définie de manière circonscrite et précise. Elle respecte les strictes exigences imposées par le droit communautaire, afin que soient prises toutes les mesures permettant de garantir le respect des objectifs de la directive concernée.

Compte tenu de l'ordre du jour prévisible des assemblées parlementaires, nous nous interrogeons toutefois sur le délai dans lequel le Gouvernement sera en mesure de présenter les dispositions concernant les professions d'architecte et de géomètre-expert, dans un prochain projet de loi comportant d'autres dispositions relatives à ces deux professions. Sur le fond, une telle solution ne peut évidemment que retenir notre préférence, mais le risque contentieux lié au retard de transposition des dispositions concernées ne devrait-il pas, madame la ministre, inciter à la prudence ?

Sous réserve de ces observations, la commission des affaires culturelles a donné un avis favorable à l'adoption du présent projet de loi pour les mesures relevant de sa compétence.

Elle soutient ainsi la démarche du Gouvernement tendant à combler le retard de la France en matière de transposition des directives européennes dans le droit national. Elle a, par conséquent, formulé le voeu que soit respecté le délai fixé par l'article 10 du présent projet de loi afin que cette transposition par ordonnances se fasse, dans les huit mois suivant la promulgation de la loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Lucien Lanier, représentant de la délégation pour l'Union européenne.

M. Lucien Lanier, représentant de la délégation pour l'Union européenne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 14 juin 2001, nous débattions, dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui, d'un projet de loi habilitant le Gouvernement à transposer par ordonnances des directives communautaires.

Il s'agit en fait de reconnaître, pour le Gouvernement, la nécessité de recourir par voie d'ordonnances à la transposition des directives en attente.

Pourquoi cette procédure inhabituelle ? Parce que nous avons un stock de directives en attente d'être transposées, et que seule la procédure des ordonnances permet d'apurer un retard dont la France porte la responsabilité.

Rappelons d'abord les règles principales relatives à l'application du droit communautaire à notre droit interne : le règlement, de portée générale, obligatoirement applicable à tous les Etats membres, puis la directive, émanant du Conseil de l'Union européenne et du Parlement européen, qui doit être transposée de manière compatible avec le droit des Etats.

Or, ces directives sont de transposition délicate. Il convient donc de rechercher et de trouver les consensus nécessaires à leur application.

Ce sujet est au coeur de la politique européenne, au moment où s'engagent des années décisives pour l'avancée de l'Union. Tout laisse à penser que, sans un grand effort de notre part, il nous faudra derechef, dans peu de temps, nous livrer au même exercice.

Je ne dis pas que rien n'a été fait, mais les progrès ont été jusqu'à présent incomplets et - il faut bien le reconnaître, madame la ministre, mais vous n'êtes d'ailleurs pas personnellement incriminée - insuffisants.

Quelles sont donc les causes de notre retard dans la transposition des directives ?

Il y a trois ans, un rapport de la délégation du Sénat pour l'Union européenne les a examinées en détail et je ne reprendrai que les points principaux.

Notre retard a d'abord des causes administratives.

La première de ces causes est que les effets des directives sur le droit national ne sont pas assez pris en compte dans les négociations. Trop souvent, les négociations sont menées sans se soucier des problèmes qui pourraient se poser lors de la transposition des directives dans le droit interne national.

La seconde cause administrative est que la coordination interministérielle est insuffisante - il est vrai qu'elle est difficile - de telle sorte que les désaccords entre les administrations aboutissent parfois, et même souvent, à des blocages durables.

Ces causes sont connues depuis longtemps : depuis 1986, cinq circulaires se sont succédé pour essayer de remédier à ces dysfonctionnements. Encore faudrait-il que ces textes soient appliqués.

Ainsi, la circulaire du 9 novembre 1998 prévoit que chaque - je dis bien « chaque » - proposition de directive devra, dès le début de la négociation à Bruxelles, faire l'objet d'une « étude d'impact juridique » comprenant la liste des textes de droit interne qu'il conviendra de modifier, un avis sur le principe même de la directive, sous l'angle juridique et sous celui de la subsidiarité, un tableau comparatif des dispositions communautaires et nationales, enfin, autant que possible, une note de droit comparé.

Cette circulaire ajoute que l'étude d'impact juridique « s'efforcera également d'identifier les difficultés que pourrait soulever la transposition en droit interne ».

Enfin, elle prévoit que la transposition devra être entreprise dès l'adoption de la directive, et précise que chaque ministère participant à la transposition devra élaborer « un échéancier d'adoption des textes relevant de ses attributions ».

Lorsque nous avons débattu du projet de loi d'habilitation, voilà trois ans, cette circulaire n'avait pas même reçu un commencement d'application.

Je dois reconnaître que, depuis lors, de réels progrès ont été accomplis. Mais ne rêvons pas : il n'y a pas d'étude d'impact juridique sur chaque proposition de directive ; il y a du moins une « fiche d'impact simplifiée » sur certaines d'entre elles. Ces fiches mentionnent au minimum les textes nationaux qui se trouveront modifiés.

De même, existe désormais un échéancier pour la transposition des directives, communiqué au Parlement et régulièrement tenu à jour.

Concernant l'aspect administratif du problème, on a donc commencé de traiter les causes réelles de dysfonctionnement et nous pouvons espérer que, d'ici à quelques années, nous en verrons le résultat. Car ce résultat ne saurait être immédiat, nous le savons bien, madame le ministre. Ce n'est qu'au bout de plusieurs années de ce travail en amont des directives qu'il sera possible d'en tirer le bénéfice en aval, à l'occasion de la transposition.

Ainsi, s'agissant du projet de loi d'habilitation que nous examinons aujourd'hui, les directives concernées ont été préparées avant que l'on ne mette en place ces fiches d'impact simplifiées. Ce n'est que pour les transpositions qui nous parviendront ultérieurement que nous pourrons juger de l'efficacité de la réforme mise en oeuvre.

Mais nous avions constaté, il y a trois ans, que les dysfonctionnements administratifs n'étaient pas la seule cause de notre retard. Il y avait aussi des causes politiques.

A l'évidence, les gouvernements, quels qu'ils soient, ne sont pas portés à transposer en priorité des textes souvent négociés par d'autres, et qui répondent rarement à une attente très forte au sein de l'opinion. Transposer les directives passe alors au second plan des priorités.

Et puis la tendance existe qui consiste à reporter certaines mesures de transposition, parce qu'elles suscitent des oppositions intérieures, bien qu'elles soient la conséquence de nos engagements européens.

A titre d'exemple, si nous avons longuement hésité à transposer les directives portant sur le travail de nuit des femmes, ou sur l'ouverture à la concurrence des marchés de l'électricité et du gaz, c'est non pas par négligence, mais bien parce que de telles décisions posaient de très graves problèmes internes, économiques et sociaux.

Dans une telle situation, il est toujours commode d'invoquer l'encombrement de l'ordre du jour du Parlement ; mais l'argument est peu convaincant, car on constate les mêmes retards pour les directives non législatives !

C'est pourquoi nous avions proposé voilà trois ans qu'une séance puisse être consacrée chaque mois à la transposition des directives et à la ratification des conventions internationales : ainsi, le Gouvernement aurait la latitude d'utiliser ce créneau, au-delà de l'encombrement de l'ordre du jour des assemblées.

Le Sénat a adopté en juin 2001 une proposition de loi constitutionnelle en ce sens. Mais celle-ci est toujours sur le bureau de l'Assemblée nationale et son contenu, à ce jour, n'a été intégré dans aucune des révisions constitutionnelles que nous avons depuis lors adoptées !

Pourtant, si cette solution, fort simple, avait été retenue, nous ne serions pas aujourd'hui occupés à débattre d'un nouveau projet de loi d'habilitation... en attendant le suivant !

Nous ne devons pas nous résigner à voir les lois d'habilitation, qui devraient être réservées à des circonstances particulières, devenir le mode habituel de législation lorsqu'il s'agit de transposer la norme européenne dans notre droit, car cela aggrave encore le « déficit démocratique » de l'Europe, si souvent dénoncé.

J'espère, je souhaiterais que soient enfin tirées les leçons de l'expérience et que nos méthodes de travail soient adaptées à nos engagements européens. Nous avons commencé à le faire ; mais il faudra aller bien plus loin pour répondre durablement au problème de méthode qui nous est aujourd'hui posé.

Dans l'immédiat, la délégation pour l'Union européenne vous recommande, mes chers collègues, d'adopter le présent projet de loi, qui apparaît comme bien nécessaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 51 minutes ;

Groupe socialiste, 28 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 12 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 10 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Georges Othily.

M. Georges Othily. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà un peu plus de trois ans, le Sénat était saisi par le gouvernement d'alors d'un projet de loi l'habilitant à transposer par voie d'ordonnances une soixantaine de directives.

La France comptait en effet, à cette époque, un stock de 176 textes communautaires en attente de transposition, dont 136 accusaient un sérieux retard, certains remontant aux années quatre-vingt.

Je me souviens que nous avions été nombreux sur ces travées à critiquer le recours à cette procédure, qui porte gravement atteinte aux droits du Parlement, et à souhaiter une solution dans le long terme pour éviter que semblable situation ne se reproduisît.

Nous étions cependant tous conscients des conséquences déplorables qu'entraînait l'inconfortable position de notre pays et de la nécessité de trouver une solution efficace et immédiate. C'est pourquoi le Sénat donna son aval à la transposition d'une cinquantaine de directives par voie d'ordonnances.

Où en sommes-nous aujourd'hui ? Certes, des progrès ont été accomplis dans le domaine réglementaire, mais les résultats enregistrés sont modestes pour les dispositions de nature législative, or près de 40 % des directives commandent d'en adopter.

La France reste l'un des plus mauvais élèves de la classe européenne, figurant au quatorzième rang exactement dans le classement établi par la Commission à la date du 30 novembre 2003. Pas moins d'une centaine de directives tardent à être transposées et près de 140 procédures d'infraction sont engagées à l'encontre de notre pays, soit un nombre plus de deux fois supérieur à la moyenne européenne.

Nous avons de toute évidence affaire à une maladie chronique ! Le recours tant à la procédure des ordonnances qu'aux projets de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire n'a permis qu'une rémission passagère, sans conduire à la guérison. Il nous faut donc trouver un autre remède pour venir à bout de ce mal, qui a frappé tous les gouvernements successifs. Il y va de notre responsabilité et de notre crédibilité !

La construction européenne repose sur la seule volonté des Etats membres. Que l'un d'entre eux n'applique pas le droit communautaire, et c'est tout l'édifice qui devient plus fragile, c'est la confiance mutuelle entre les Etats qui est en quelque sorte altérée !

En outre, l'Union va bientôt accueillir de nouveaux membres, et nous insistons auprès d'eux, à juste titre, pour qu'ils reprennent l'intégralité de l'acquis communautaire et se montrent capables de le mettre en oeuvre. Mais comment être crédibles quand nous tenons ce langage si nous ne sommes pas nous-mêmes exemplaires ? Et je le dis bien fort, car la France est rarement la dernière à donner des leçons aux autres en matière européenne !

Le gouvernement précédent avait annoncé en 2001 la constitution d'un groupe de travail chargé d'élaborer des solutions susceptibles d'accélérer le processus de transposition. Malheureusement, nous n'avons pas été tenus informés des résultats de sa réflexion.

Le gouvernement d'aujourd'hui ne semble pas non plus avoir pris la mesure du problème puisqu'il propose un nouveau recours aux ordonnances pour combler notre retard.

Certes, l'habilitation demandée a fait l'objet d'une concertation préalable avec les assemblées. Certes, elle est singulièrement plus réduite que la précédente, puisqu'elle concerne 24 directives, au lieu de 48, et 11 règlements et autres actes communautaires. Certes, et c'est important, elle se limite à des textes présentant un réel caractère technique. Mais cela n'est tout de même pas satisfaisant.

Je sais que vous en êtes consciente, madame la ministre, et que vous plaidez activement au sein du Gouvernement pour trouver des solutions. Je voudrais à cet égard vous rappeler la proposition de loi constitutionnelle, déposée par MM. de Montesquiou et Haenel ainsi que l'ensemble du groupe du RDSE, qui a été adoptée par le Sénat le 14 juin 2001.

Comme vient de le rappeler notre excellent collègue Lucien Lanier, ce texte tend à prévoir dans chaque assemblée parlementaire une séance mensuelle réservée à la transposition des directives communautaires, séance dont l'ordre du jour serait fixé par le Gouvernement et, si celui-ci ne faisait pas usage de ce droit, par chaque assemblée. Il me semble que cette solution pratique et simple permettrait de mieux respecter les délais, et il suffirait d'inscrire la proposition de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale pour qu'elle devienne - peut-être - réalité ! Je serais heureux que vous puissiez, madame la ministre, me donner votre sentiment à ce sujet.

De récents sondages ont révélé combien l'Europe semblait lointaine, notamment pour les jeunes. Imaginez, alors, quand il s'agit d'un jeune d'outre-mer ! La réduction du fossé entre les citoyens et la construction européenne passe indiscutablement par une meilleure association de la représentation nationale tant à l'élaboration des textes communautaires qu'à leur transposition en droit interne. Ce n'est évidemment pas en laissant le Gouvernement légiférer à notre place que nous y parviendrons ; ce n'est pas en laissant se développer une Europe gouvernementale et technocratique que nous pourrons construire une Europe politique et citoyenne !

Cela étant, parce que la situation l'exige, l'ensemble des membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen vous donnera l'habilitation pour transposer des directives par ordonnances. Mais nous ne voudrions pas que cela devienne une habitude, et nous espérons pouvoir compter sur votre détermination pour agir dans ce sens, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.

M. Daniel Reiner. Madame la ministre, vous n'avez pas une tâche très aisée. En effet, défendre un projet de loi d'habilitation devant le Parlement est rarement agréable, car cela revient à lui demander d'autoriser le Gouvernement à légiférer à sa place. Si les élus de l'opposition peuvent accéder ou non à cette demande, les élus de la majorité sont condamnés à s'auto-dessaisir de leurs prérogatives. Majorité et opposition se rejoignent, et j'ai bien entendu le début de ce débat, pour critiquer la méthode, même si elle est autorisée par l'article 38 de la Constitution.

Permettez-moi de souligner que l'exercice est plus désagréable encore lorsque le projet de loi d'habilitation porte sur la transposition du droit européen en droit national. Pourquoi ? Parce que, alors que le droit communautaire touche à tous les domaines de la vie de Français, son élaboration, en dépit de l'article 88-4 de la Constitution, ne fait généralement intervenir les parlements nationaux que de façon très limitée et très indirecte. Certains d'entre eux, il est vrai, font mieux que le Parlement français, qui n'a guère d'occasions de débattre de ces questions en dehors de l'examen des projets de loi de transposition. C'est de cette possibilité que nous prive le mécanisme des ordonnances !

Vous avez certes indiqué, madame, dans le communiqué du conseil des ministres du mois de janvier, et vous l'avez répété à l'instant, qu'une étroite concertation avait été menée avec le Parlement. Cet argument de pure forme apparaît comme une excuse un peu désinvolte de la part du Gouvernement vis-à-vis des parlementaires que nous sommes.

J'ajoute - cela a déjà été dit, mais il faut y insister - que ce n'est pas vraiment là le meilleur moyen pour intéresser nos concitoyens, en particulier cette année, au fait européen, pour leur faire toucher du doigt le concept européen. Au contraire, cela ajoute au déficit démocratique européen, qui est unanimement condamné.

Cette question délicate avait déjà été évoquée en ce lieu, en octobre 2000, à propos d'un autre projet de loi de même nature. Un groupe de travail, mis en place par M. Pierre Moscovi à la demande des parlementaires, avait dénoncé l'insuffisante information du Parlement sur les directives à transposer et l'articulation limitée entre leur examen en amont, tel qu'il est prévu par la Constitution, et leur examen en aval, au moment de la transposition.

Ce groupe de travail avait en particulier suggéré au Gouvernement, et c'était plutôt intelligent, de recourir, lorsqu'il s'avérait difficile de trouver un support législatif adapté aux directives à transposer - heureusement, il en existe ! - aux lois dites « DDAC », c'est-à-dire portant diverses dispositions pour l'application du droit communautaire. Ce système, s'il reste insatisfaisant, est bien supérieur à celui des ordonnances !

Le Gouvernement s'était alors engagé à déposer de tels projets de loi. Or, si le projet de loi n° 1044, dans le domaine des transports, qui devrait relever de la compétence de la commission des affaires économiques, et le projet de loi n° 426, en matière financière, ont bien été déposés, ils n'ont jamais été inscrits à l'ordre du jour des assemblées ni discutés. En lieu et place arrive aujourd'hui ce projet de loi d'habilitation, qu'il eût été possible d'éviter si le Gouvernement avait fait le choix de soumettre au Parlement ces textes qui me paraissent répondre à un souci idéologique plus qu'aux véritables enjeux du moment. Je reprends d'ailleurs là - parce que j'ai lu attentivement les débats de la fin de l'année 2000 - les propos de nos collègues de l'actuelle majorité.

De même, nous sommes persuadés que de nombreuses directives, dont certaines figurent parmi celles qui sont abordées aujourd'hui, auraient déjà pu trouver un véhicule législatif. Je pense en particulier, pour n'évoquer que les plus importantes, à la loi portant diverses dispositions relatives à l'urbanisme, à l'habitat et à la construction du 2 juillet 2003, ou, mieux encore, au projet de loi relatif aux responsabilités locales, deuxième acte de la décentralisation. A moins que ce dernier texte - et Dieu sait s'il va concerner nos collectivités locales ! - ne soit passé à l'arrière-plan, sinon aux oubliettes.

Pourtant, le retard du mauvais élève français, qu'ont rappelé tant le rapporteur de la commission des affaires économiques que les rapporteurs pour avis, est bien réel. Aucune amélioration n'est à noter depuis la précédente législature, malgré vos déclarations d'intention, madame la ministre. Je pense en particulier à la proposition qui avait été formulée d'instaurer une séance mensuelle dédiée. Chacun a bien compris que la transposition législative de directives européennes est une question non de forme mais de fond, de volonté, de choix politique. Mais peut-être votre gouvernement a-t-il d'autres priorités, ce qui expliquerait qu'il s'oriente vers ce moyen de fortune que représentent les ordonnances !

L'argument du retard à combler est avancé par tous, je n'y reviens pas. J'ai énoncé à l'instant quelques autres éléments en défaveur d'un tel projet de loi d'habilitation, éléments dont je rappelle, non sans un sourire amical, que beaucoup avaient été avancés à l'époque par notre collègue M. Poniatowski, qui les a réitérés devant la commission.

Il convient de souligner en cet instant à quel point l'attitude plus générale du Gouvernement face à l'Europe a des effets néfastes pour la crédibilité de notre pays, qu'il s'agisse de la remise en cause du pacte de stabilité, de la crise quasi ouverte avec la Commission sur la question des déficits, de l'irritation des « petits pays », qui, eux, consentent des efforts importants, ou encore de la tentation permanente que nous avons - je dis « nous », parce que j'en partage la responsabilité - de donner des leçons. Et en plus, nous portons le bonnet d'âne de la transposition des directives ! Avec le nombre impressionnant de recours en manquement engagés contre notre pays par Bruxelles, nous ne sommes guère en position de donner de leçons aux autres !

Avant d'examiner dans le détail les directives énumérées dans le projet de loi, et puisque nous évoquons l'article 38 de la Constitution, je ferai une petite digression.

Nous venons d'apprendre que le Gouvernement préparait pour le printemps 2004 une nouvelle loi d'habilitation en matière de simplification administrative. Or nous en avons déjà adopté une au mois de juillet et, à ma connaissance, toutes les ordonnances prévues sont loin d'être parues. Cela tendrait à prouver que le système des ordonnances ne permet pas toujours d'aller plus vite que la législation élaborée convenablement par le Parlement !

Les mesures que viserait le projet de loi ainsi annoncé ne sont pas toutes purement techniques et, je le précise à l'avance, mériteront vraisemblablement un débat dans cet hémicycle. Au fond, le Gouvernement a tendance à considérer notre Parlement comme une chambre d'enregistrement de l'Ancien Régime : nous serions juste bons à cacheter à la cire les ordonnances royales ! Errare humanum est, disait en 2000 l'opposition de l'époque. Perseverare diabolicum, peut-on ajouter, madame la ministre, quelque trois ans après.

J'en viens au texte proprement dit et, tout d'abord, à la liste des directives dont la transposition nous est proposée. Je note au passage que certaines directives en instance n'y figurent pas - ce qui prouve qu'un choix est possible -, notamment une récente directive portant sur l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail : cette mesure sociale semble tout à fait positive, mais le Gouvernement est moins pressé de transposer de tels textes !

En revanche, il nous propose les directives 94/33/CE et 99/63/CE, qui nous laissent sceptiques, car y sont évoquées les garanties « minimales » de protection des jeunes et les prescriptions « minimales » en matière de temps de travail des gens de la mer. Nous ne pouvons nous empêcher de craindre que des garanties minimales n'entraînent une dégradation des conditions de travail actuelles des salariés concernés ! Mais vous vous expliquerez à ce sujet, madame la ministre.

Je limiterai mon propos aux directives qui relèvent de la compétence de la commission des affaires économiques.

Notre seul motif de satisfaction tient au fait que les directives du « paquet télécoms » n'ont finalement pas été incluses dans le champ de ce projet de loi, même si la tentation a existé. Elles feront l'objet d'un débat au Sénat en avril, comme mon groupe, parmi d'autres, l'avait souhaité.

Plusieurs directives traitent de questions environnementales. Les directives portant sur l'évaluation et la gestion du bruit et celle que la commission des affaires économiques propose d'ajouter à la liste, relative à l'évaluation des incidences environnementales des plans et programmes, sont, sur le fond, de bonnes directives, car elles vont dans le sens d'une meilleure prise en compte de la problématique environnementale. Néanmoins, elles entraîneront des conséquences importantes pour la gestion des collectivités locales, s'agissant en particulier des documents d'urbanisme et des finances de ces dernières. Or, de ce point de vue, les projets d'ordonnance, tels qu'ils ont été présentés par M. le rapporteur, ne nous conviennent pas.

Une autre directive vise à mettre en place le négoce de ce que l'on appelle les « droits à polluer », l'expression étant choquante en elle-même. Sur cet instrument, nous exprimons quelques réserves. Par ailleurs, nous ne pouvons accepter que le Gouvernement légifère par ordonnance sur ce texte, alors qu'il n'a pas été en mesure de transmettre, fût-ce à M. le rapporteur, un projet d'ordonnance à peu près définitif.

Je reviendrai maintenant en détail sur ces différents points.

La directive 2002/49/CE relative à l'évaluation et à la gestion du bruit dans l'environnement n'est pas critiquable en soi, puisque son objet est la réduction et la prévention de l'exposition au bruit, qui, nous le savons, est l'une des nuisances les moins bien supportées.

La directive établit tout d'abord une méthode commune d'évaluation et de mesure du bruit en définissant différents types d'indicateurs. Chaque Etat membre dispose d'une marge d'appréciation - c'est le principe de la transposition de la directive dans le droit national - pour fixer les valeurs limites.

La directive prévoit ensuite l'établissement d'une cartographie du bruit, ainsi que des dispositions qui permettront l'information du public.

Enfin, elle prescrit la mise en place de plans d'action visant à prévenir ou à réduire le bruit.

Cette directive doit être transposée au plus tard le 18 juillet 2004 : pour une fois, nous ne sommes pas en retard ! Sa mise en oeuvre se fera par étapes - il s'agit d'un plan pluriannuel -, la dernière étant fixée à 2013.

Si la date limite de transposition est relativement proche, elle laisse néanmoins suffisamment de temps au Parlement pour qu'il puisse se saisir du texte - il conviendra de trouver le véhicule législatif adéquat - selon la procédure de droit commun, d'autant que le projet d'ordonnance, qui n'a pas été rendu public, ne paraît guère satisfaisant tel que présenté par le rapporteur, certaines dispositions sont, d'après ce que nous en savons, d'ores et déjà inacceptables, et de nombreuses incertitudes et interrogations demeurent.

La première de ces interrogations a trait aux autorités compétentes. Hors de l'Ile-de-France, pour les agglomérations, les présidents des communautés urbaines et des communautés d'agglomération seront compétents ailleurs, ce seront les préfets.

En outre, le projet d'ordonnance vise à organiser, comme sait si bien le faire ce gouvernement - on l'a vu lors de l'examen du projet de loi relatif aux responsabilités locales -, une décentralisation « à la carte », sur demande, de la compétence en question dans les six mois suivant la publication de l'ordonnance. C'est à croire que le Gouvernement a oublié qu'un projet de loi pouvant parfaitement servir de véhicule législatif à la transposition de cette directive faisait actuellement l'objet d'une navette parlementaire !

La compétence pourra donc échoir au conseil général, à défaut aux EPCI, voire aux communes... Tout cela n'est pas très clair ! Pour l'Ile-de-France, la répartition des compétences n'est pas non plus très bien expliquée. On note simplement que la région pourra solliciter la compétence. On peut d'ailleurs se demander si toutes ces collectivités sont demandeuses d'une telle compétence, d'autant que le rapporteur indique en outre que le financement de l'établissement des cartes des bruits, ainsi que celui des plans d'action, sera à la charge des autorités responsables ! N'y a-t-il pas là un risque de transfert de compétence sans transfert de moyens, alors que, naturellement, la lutte contre le bruit exige de très lourds investissements.

Enfin, des questions très techniques subsistent : quelle sera la portée juridique des cartographies et des plans d'action ? Seront-ils intégrés aux documents d'urbanisme, tels que les SCOT, les schémas de cohérence territoriale, les PLU, les plans locaux d'urbanisme ? Y aura-t-il des règles de compatibilité à respecter ? Quelle sera la hiérarchie des normes ? Que deviendront des documents tels que les plans d'exposition au bruit actuellement prévus par la législation, s'agissant en particulier des abords des aéroports ? Comment s'effectuera concrètement la consultation du public sur ces cartes et sur ces plans ? Comment seront associées ou consultées les collectivités locales qui n'auront pas reçu ou demandé cette compétence, mais qui, comme toujours, devront sans doute tenir compte des mesures contenues dans les plans et les financer ? J'invite mes collègues sénateurs qui défendent les intérêts des collectivités locales, comme cela est légitime et naturel, à se montrer très attentifs à la rédaction hâtive d'une ordonnance qui placerait celles-ci devant des responsabilités qu'elles n'auront pas souhaité prendre et dont elles devront, en toute hypothèse, contribuer à financer l'exercice.

Nous proposerons donc de retirer la directive 2002/49/CE du champ de l'habilitation.

Par ailleurs, la commission suggère d'élargir le champ de l'habilitation dans le domaine environnemental, en y incluant la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences sur certains plans et programmes.

Cette directive va dans le bon sens, puisque son objet est de garantir un bon niveau de protection de l'environnement en intégrant la problématique environnementale dans l'ensemble des plans et programmes arrêtés par les pouvoirs publics ou prévus par la législation. Elle vise ainsi à généraliser l'obligation de procéder à l'évaluation des incidences environnementales, par une démarche du type des études d'impact, des documents d'urbanisme, tels que les DTA, les directives territoriales d'aménagement, les SCOT, les PLU, et des documents de planification dans les domaines des transports, de la gestion de l'eau, des déchets, du tourisme, des télécommunications, etc. La directive prévoit donc la réalisation d'une « évaluation environnementale » et la rédaction d'un rapport environnemental.

M. le rapporteur ajoute, pour convaincre du bien-fondé de la démarche, qu'il a eu connaissance des projets d'ordonnance et de décret - nous n'avons pas eu cette chance, nous, parlementaires de base - et que celui-ci aurait été établi en « étroite concertation » avec les ministères concernés. Cela nous fait une belle jambe ! Pourtant, des supports législatifs ont existé et existent encore : citons, à cet égard, la loi « urbanisme et habitat » du 2 juillet 2003, à laquelle aurait pu parfaitement être intégrée cette transposition, ou encore le projet de loi relatif aux responsabilités locales, qui comporte un volet environnemental. Après la directive sur le bruit, voilà encore une directive qui, manifestement, aura des conséquences au regard de la gestion des collectivités locales et des documents d'urbanisme, sans que le Parlement ait pu en débattre... On sait pourtant quelle a été la véhémence de nos discussions lorsque nous avons évoqué les révisions de la loi SRU !

Nous ne souhaitons donc pas voir étendu le champ de l'habilitation. Nous considérons que la directive pourrait parfaitement être soumise au Parlement avant la date du 1er juillet 2004.

La directive 2003/87/CE établit, quant à elle, un système d'échange de quotas d'émissions de gaz à effet de serre dans l'Union européenne. La question est extrêmement importante.

Cette directive a pour objet de mettre en oeuvre les « mécanismes de flexibilité » prévus par le protocole de Kyoto sur la lutte contre l'effet de serre. L'un des dispositifs vise à la mise en place d'un « système international d'échange de crédits d'émission ».

Le raisonnement qui sous-tend ces mécanismes est le suivant : le problème du changement climatique se posant à l'échelle mondiale, sa résolution appelle une réponse globale, d'où le recours aux mécanismes de flexibilité. Le négoce des « droits à polluer », fortement soutenu par les Etats-Unis mais auquel nous n'étions guère favorables, les uns et les autres - nous nous y sommes rendus, en quelque sorte, au nom de l'efficacité -, permettrait une dépollution à moindre coût.

L'Union européenne laisse peu de temps à ses Etats membres pour transposer en droit interne la directive, l'échéance ayant été fixée au 31 décembre 2003. Toutefois, les modalités de transposition ne sont visiblement pas encore définitivement arrêtées, comme l'indique M. le rapporteur. Dans son rapport, celui-ci précise qu'il a eu connaissance du projet d'ordonnance - pas nous, hélas ! Ce qui est tout de même gênant - mais je crois savoir que le texte fait encore l'objet de concertations avec les représentants des secteurs économiques concernés.

En tout état de cause, le projet ne peut nous satisfaire et quelques explications sont nécessaires.

En effet, de nombreuses zones d'ombre demeurent. Les quotas seront-ils étendus à d'autres gaz que le dioxyde de carbone ? Quelle sera la durée des autorisations ? Cela n'apparaît pas. Pourront-elles être retirées et, si oui, sous quelles conditions ? On nous dit que 95 %, puis 90 %, des quotas seront attribués gratuitement. Qu'est-ce à dire ? Le solde sera-t-il, à terme, payant, ce qui serait contraire aux principes affichés pour l'heure et pourrait se révéler lourd de conséquences à l'avenir ? Pourquoi avoir choisi de faire de l'autorisation relative aux installations classées l'autorisation d'émettre du CO² ? Ce choix ne rend-il pas difficile la mise en oeuvre d'une sanction telle que le retrait de l'autorisation, qui reviendrait à fermer l'entreprise ? Le texte permet apparemment le recours à des calculs forfaitaires pour les déclarations d'émission, mais pourquoi avoir retenu cette option ? Pourquoi autoriser les entreprises à reporter d'un plan sur un autre leurs quotas excédentaires ? En toute logique environnementale, ne faudrait-il pas remettre les compteurs à zéro à chaque plan ? Pour quelle raison le quota ne sera-t-il pas, semble-t-il, assimilé à une autorisation administrative ? Quelles sont les garanties d'un contrôle efficace de l'application de la directive ? Ces garanties sont indispensables, or l'inspection des installations classées ne semble pas avoir beaucoup de pouvoir : elle pourra simplement émettre des observations dans un certain délai. Autant dire qu'elle ne contrôlera pas grand-chose, eu égard au manque chronique de personnel des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, les DRIRE, et au fait que 1 500 sites seraient concernés. De plus, ce n'est pas la diminution des moyens inscrits à cette fin dans le budget pour 2004 qui permettra d'améliorer la situation !

Mes chers collègues, je pense avoir démontré que nous pouvons être plus que circonspects à l'égard non seulement de la transposition de cette directive par voie d'ordonnances, mais également de l'article 9 du projet de loi, qui prévoit de laisser au Gouvernement le soin d'organiser le marché des quotas sans recueillir l'avis du Parlement.

Pourtant, les multiples difficultés suscitées par ces droits à polluer ont été clairement énoncées. S'ils peuvent être vendus comme n'importe quel bien mobilier, ne faut-il pas craindre l'apparition de phénomènes de spéculation, voire la naissance d'une profession de « courtier en quotas de pollution » ? Tout est possible ! Le mot « quotas » réveille bien des souvenirs...

Quoi qu'il en soit, ce dont je suis certain aujourd'hui, c'est que les mesures nationales ne sont pas à la hauteur des enjeux. Certes, la France n'est pas le seul pays à connaître des difficultés dans ce domaine, mais je ne vois guère d'amélioration depuis un an et demi. Je rappellerai, à cet égard, le désengagement financier de l'Etat vis-à-vis des modes de transport alternatifs à la route, l'abandon, au travers de la loi de finances, des transports collectifs en sites propres ou la baisse des crédits de l'ADEME, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. Il ne suffit pas de parler de développement durable, il faut des actes et des moyens budgétaires. Or qu'en est-il de la fameuse charte de l'environnement, dont on n'entend plus guère parler ? Mme la ministre déléguée à l'industrie avait promis de présenter avant la fin du mois de janvier un projet de loi faisant suite au débat national sur l'énergie, qui aurait naturellement constitué un excellent support législatif pour la transposition de la présente directive. Nous voici à la mi-février, mais il n'en est plus question.

Pourtant, nos choix énergétiques compteront pour beaucoup dans le respect de nos engagements européens. A nos yeux, il convient de privilégier les modes de transport en commun alternatifs à la route, d'élaborer un plan de ferroutage européen, de renforcer la performance énergétique des bâtiments, de mettre en oeuvre un programme biocarburant, de garantir la transparence de la filière nucléaire, de promouvoir le programme ITER, de diversifier les sources de production électrique au profit des énergies renouvelables, d'engager une véritable politique de recherche, laquelle a été sacrifiée par l'actuel gouvernement, et enfin d'aider les pays du Sud à réduire leurs émissions polluantes.

Pour toutes ces raisons, nous vous proposons, mes chers collègues, de retirer la directive 2003/87/CE de la liste, ainsi que de supprimer l'article 9 du projet de loi, qui y fait référence, afin que le Parlement ait droit de regard sur les règles qui seront applicables en matière de quotas.

Les autres directives intéressant la commission des affaires économiques appelleront moins de remarques de ma part.

A propos de la directive sur l'interopérabilité du système ferroviaire transeuropéen, je demanderai toutefois au Gouvernement de veiller à ce que les règles de sécurité soient au moins équivalentes à celles qui sont aujourd'hui en vigueur et que, dans quelques mois, les directives européennes traitant de l'ouverture à la concurrence fassent l'objet d'un examen par le Parlement, sans qu'il soit recouru aux ordonnances. Je pense notamment ici au deuxième « paquet ferroviaire », qui, dans l'état actuel des discussions entre le Conseil et le Parlement européen, est totalement inacceptable. Son approbation ouvrirait la voie à un avancement des dates d'ouverture à la concurrence et à une libéralisation dans le secteur du transport de voyageurs. Je crois savoir que ce n'est pas la position du Gouvernement, mais encore faut-il le faire valoir.

S'agissant de la directive « cosmétiques », la transposition qui nous est proposée est très partielle, puisque la France aurait déposé un recours sur le fond contre ce texte. Peut-être nous confirmez-vous ce point, madame la ministre.

Enfin, la directive 2001/95/CE définit les contrôles de sécurité à effectuer sur certains produits de consommation. M. le rapporteur a relevé que le Gouvernement en profite pour modifier des articles du code de la consommation, sans que cela soit rendu nécessaire par la transposition de la directive. Or - je le cite -, « le respect des termes de l'article 1er du présent projet de loi interdit, en l'état, ce type de disposition ». Il ne paraît donc pas acceptable que le Gouvernement ne respecte pas strictement les termes de l'habilitation, d'autant que les modifications proposées semblent critiquables, puisqu'il s'agit de supprimer l'obligation d'entendre les représentants des comités d'hygiène et de sécurité, du comité d'entreprise ou, à défaut, des représentants du personnel lorsque les pouvoirs publics décident de suspendre la fabrication, la mise sur le marché, le retrait des points de vente d'un produit en cas de danger grave ou immédiat. La suppression de cette disposition mériterait d'être motivée, d'autant que l'audition des salariés peut être éclairante, au même titre que celle de l'industriel qui, elle, n'est apparemment pas supprimée.

En conclusion, mes chers collègues, s'il faut, dans l'intérêt national, considérer que le projet de loi qui nous est présenté constitue un mal nécessaire, il n'en soulève pas moins une douloureuse question de principe au regard des droits du Parlement. Nous souhaitons néanmoins nous montrer constructifs en ne proposant de retirer que certaines directives de la liste qui nous est présentée. Je rappelle que la majorité sénatoriale avait tenu un raisonnement tout à fait similaire en 2000, à l'occasion de l'examen d'un projet de loi de même nature.

Il est d'un intérêt majeur de retirer certaines directives « sensibles » pour permettre un débat au Parlement. J'en veux pour preuve la discussion récente que nous avons eue sur l'avenir du secteur postal : elle était indispensable, tant les positions étaient divergentes ; la majorité et l'opposition ont ainsi pu exprimer leurs choix en matière de régulation. Personne ne nous fera croire que la transposition de directives est purement technique : plusieurs lectures politiques sont possibles.

Au-delà de l'adoption de nos amendements, à défaut de laquelle nous ne saurions approuver ce texte, nous demandons au Gouvernement de nous communiquer les projets d'ordonnance au cours de la navette. Si M. le rapporteur a eu connaissance de quelques avant-projets, nous n'avons pas eu la même chance, et nous souhaiterions être plus complètement informés à l'occasion de la navette.

En tout état de cause, nous considérons - et je suis sûr que cet avis est partagé sur d'autres travées que les nôtres - que l'on ne saurait répéter à l'infini cet exercice, dans l'avenir, pour transposer dans notre droit interne le droit européen : il faut en finir avec les ordonnances sur ce thème et adopter un mécanisme qui respecte le Parlement. Nous attendons donc des propositions concrètes du Gouvernement à cet égard, qui pourraient s'inspirer utilement des travaux que le Sénat a déjà réalisés en la matière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. André Ferrand.

M. André Ferrand. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat, première assemblée saisie, est donc invité à examiner un projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer par ordonnances un nombre important de directives communautaires. Le projet de loi tend également à permettre au Gouvernement de prendre par ordonnances d'autres mesures nécessaires à l'application du droit communautaire.

Ainsi, il s'agit de voter un texte visant à permettre, par la procédure exceptionnelle de l'habilitation législative prévue à l'article 38 de la Constitution, de rattraper une partie du retard en matière de transposition dont la France s'est rendue coupable. C'est la deuxième fois que le Sénat est saisi d'un tel texte, puisque la loi du 3 janvier 2001 avait le même objet.

Je rappellerai à mon tour un certain nombre de vérités, pas toutes très agréables à entendre malheureusement. Je sais, madame la ministre, que vous déplorez comme moi cette situation.

De très nombreuses directives européennes sont en attente de transposition. Un tel état de choses expose la France à des condamnations par la Cour de justice des Communautés européennes assorties d'astreintes, ce qui place notre pays dans une situation juridique incertaine et politiquement délicate.

Au moment où nous tentons de mettre en place, avec nos partenaires, une constitution pour l'Union européenne et à quelques jours de l'entrée officielle dans l'Union de dix nouveaux pays, il apparaît ainsi que la France connaît un retard considérable dans l'application du droit communautaire. Un tel comportement ne paraît guère acceptable de la part d'un pays qui, après avoir tenu un rôle historique, entend jouer un rôle moteur dans la construction européenne.

Le coût politique de la non-transposition est très élevé en ce qu'il contribue au risque de perte de crédibilité de la France sur la scène européenne. De plus, ce retard nous pénalise dans nos rapports avec l'Union et avec ses membres plus vertueux.

Par ailleurs, le défaut de transposition ou d'application de textes communautaires est une source d'insécurité juridique pour les citoyens et pour les entreprises, qu'ils soient de nationalité française ou étrangère. Outre qu'une telle situation pèse sur le processus d'unification du marché intérieur et sur l'activité des agents économiques, elle peut aussi générer des contentieux entre les citoyens et l'Etat et créer des imbroglios juridiques très pénalisants. Rappelons en effet que si les règlements communautaires sont directement applicables dans les Etats membres, les directives communautaires peuvent, elles aussi, sous certaines conditions, avoir un effet direct et être donc invoquées par les particuliers.

La France fait partie des Etats membres de l'Union européenne qui connaissent les plus grands retards dans l'application du droit communautaire. Cette situation, qui s'est aggravée au cours des dernières années, est imputable au comportement des gouvernements successifs, qui n'ont pas fait une priorité du respect par la France de ses obligations communautaires.

Nous avons pourtant un devoir d'exemplarité, surtout depuis que l'Union européenne a décidé de s'élargir à dix nouveaux Etats, à qui l'on impose depuis de longs mois des contraintes très importantes au nom de l'édification du marché intérieur.

Celui-ci ne peut en effet déployer pleinement son potentiel que si les législations adoptées à l'échelon européen sont réellement transposées et mises en oeuvre par les Etats membres. Il s'agit d'une règle simple mais qui ne doit accepter aucune dérogation ou exception au risque de mettre à mal l'élaboration du droit de l'Union européenne, c'est-à-dire le processus de construction de l'Europe communautaire tel que nous le connaissons depuis bientôt cinquante ans.

Le droit communautaire est l'instrument de l'intérêt commun des peuples et des Etats de l'Union. Il n'est pas un droit étranger ni même un droit extérieur : il est le droit propre de chacun des Etats membres, applicable sur son territoire tout autant que son droit national.

N'oublions pas que l'intégration de l'espace communautaire, c'est-à-dire la mise en oeuvre du grand marché intérieur, d'un espace unique sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée, adossé à une monnaie unique, est la clé de voûte de l'Union européenne. C'est notre bien commun que nous devons préserver.

Or, selon les derniers chiffres diffusés au 30 novembre 2003 par la Commission européenne, 131 directives, soit environ 8,5 % des directives « marché intérieur », n'ont toujours pas été transposées en droit national par l'ensemble des Etats membres, alors même que les dates limites approuvées par lesdits Etats lorsqu'ils ont adopté les directives sont largement dépassées.

En ce qui concerne la France, les chiffres sont accablants. Au 1er janvier 2004, 101 directives n'ont pas été transposées à la date prévue, dont 46 nécessitent des mesures nationales d'exécution de nature législative et réglementaire. Nous partageons avec l'Allemagne, la Belgique et la Grèce le triste privilège d'être les plus mal classés. Quant aux procédures d'infraction en cours, la situation est pire.

La mise en oeuvre tardive de nombreuses directives est inacceptable, de même que l'application incorrecte de dispositions adoptées en commun. C'est injuste par rapport aux Etats membres qui transposent les textes dans les délais prévus et qui les appliquent correctement. Il en résulte un réel coût d'opportunité qui nuit à la compétitivité de l'économie européenne.

Le fait que l'Irlande ait réussi à diviser par deux son déficit de transposition en huit mois seulement montre toutefois qu'il est possible de réussir, à condition d'avoir la volonté et la conviction politiques nécessaires.

Dans un tel contexte et face à ce constat, qu'ont excellemment rappelé tous nos rapporteurs, notre Gouvernement n'avait guère le choix. Il s'agissait d'ouvrir ce vaste chantier de rattrapage et de le mener à bien dans les meilleurs délais.

Vous avez ainsi été amenée, madame la ministre, à demander au Parlement, à travers le présent projet de loi, une habilitation pour légiférer en la matière par ordonnances, conformément à l'article 38 de la Constitution. Cette procédure n'est évidemment pas satisfaisante pour nous parlementaires, puisque nous sommes ainsi privés de nos prérogatives législatives légitimes, et je sais bien que vous-même, madame la ministre, n'êtes pas particulièrement heureuse de devoir nous la proposer. Mais il est vrai que, contrairement à ce qui s'était produit en 2000, les directives concernées sont, il faut le dire, en nombre beaucoup plus réduit...

M. Daniel Reiner. Ce n'est pas une question de majorité !

M. André Ferrand. ... et présentent majoritairement un caractère avant tout technique. Par ailleurs, nous savons que M. le Premier ministre a eu la courtoisie de solliciter, au préalable, l'avis des présidents des assemblées afin de limiter le dessaisissement du pouvoir législatif du Parlement.

L'important est maintenant l'avenir. Il faudra dorénavant éviter la répétition de telles situations et les mesures que vous nous avez exposées, madame la ministre, pour atteindre cet objectif doivent être encouragées et soutenues.

Le recours aux effets positifs de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, au niveau des ministères afin de les inciter ardemment à transposer en temps utile les directives qui les concernent est certainement une bonne piste.

Ne faut-il pas imaginer également, madame la ministre, que, à l'avenir, soit confiée encore plus spécifiquement à votre département ministériel la responsabilité de cette fonction, en vous donnant, bien sûr, en contrepartie, les moyens de l'assumer ?

En conclusion, je souhaite faire une remarque d'ordre plus général.

Le droit communautaire est élaboré par des institutions au sein desquelles les parlements nationaux ne sont pas représentés. Le Conseil de l'Union européenne est composé de représentants des gouvernements des quinze Etats membres de l'Union européenne, tandis que les députés au Parlement européen sont élus au suffrage universel direct au sein des Etats. Ainsi, de nombreuses mesures communautaires relevant du domaine de la loi au sens de l'article 34 de la Constitution sont adoptées sans intervention directe de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Dans ces conditions, la transposition des directives communautaires est l'unique occasion pour le Parlement français de connaître des textes adoptés par les institutions européennes et de définir les moyens permettant la mise en oeuvre de ces textes. Il est vrai que l'article 88-4 de la Constitution nous permet d'exercer un droit de regard sur le droit communautaire au stade de son élaboration. Mais cela ne doit pas nous priver de la possibilité d'intervenir lors de la phase de transposition des directives. Vous avez raison, madame la ministre, de souhaiter que la réflexion actuelle sur la modification du règlement du Sénat nous permette de réaliser des progrès sur ce plan.

L'un des meilleurs moyens de promouvoir l'adhésion du peuple à la construction européenne n'est-il pas d'impliquer davantage ses représentants dans l'élaboration et la transposition du droit parlementaire ? C'est dans cette direction qu'il nous faut avancer.

En souhaitant vivement que nous trouvions la solution qui permettra de mettre fin à cette situation inacceptable pour la France et pour l'Europe, le groupe UMP, suivant les recommandations des rapporteurs, votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de remercier les rapporteurs pour le travail très pertinent, percutant, complet et précis qu'ils ont accompli. Je remercie également les orateurs qui se sont exprimés pour la haute qualité de leurs interventions.

Au terme de cette discussion générale, je souhaiterais simplement faire une réponse d'ensemble, puisque M. Dominique Bussereau et moi-même apporterons cet après-midi des réponses plus précises sur chacune des directives à l'occasion de l'examen des articles.

Je note, en premier lieu, que les commissions de la Haute Assemblée partagent le souci du Gouvernement d'accélérer la transposition des directives européennes. Il n'est pas normal, il est même injustifié, que notre pays, membre fondateur de l'Union européenne, soit le dernier de la classe, même s'il partage cette place avec un autre pays fondateur, en l'occurrence la Belgique.

Les retards répétés dans la mise en oeuvre de la législation européenne - cela a été fort bien dit par les uns et les autres - créent d'inutiles imbroglios juridiques. Ils nous causent également un sérieux préjudice économique, car l'absence de sécurité juridique pénalise les investisseurs, qu'ils soient français ou étrangers en France. Ces retards nuisent en outre de façon très dommageable à l'image de la France, tout particulièrement à la veille de la réunification de notre continent, le 1er mai prochain.

A ce titre, vos rapporteurs ont compris la nécessité, dans les présentes circonstances, de recourir, une fois encore, hélas ! à une loi d'habilitation, même si, bien sûr, comme l'ont dit notamment MM. Texier et Geoffroy, la méthode soulève nécessairement des réserves de votre part - elles sont compréhensibles - et doit rester une procédure exceptionnelle. Vous reconnaîtrez que la méthode utilisée cette fois-ci a voulu préserver autant que faire se peut les prérogatives du Parlement.

Vos rapporteurs ont jugé positivement la transparence dans laquelle cet exercice a été préparé, grâce aux consultations qui ont été menées par M. le Premier ministre et à la transmission informelle des projets d'ordonnance aux commissions. Cette relation de confiance entre le Gouvernement et les assemblées permet de faire la part entre les sujets très largement techniques, qui peuvent faire l'objet d'ordonnances, et les directives qui nécessitent à l'évidence de par leur impact politique une transposition suivant la procédure législative ordinaire. Cet équilibre est difficile à trouver. Ainsi, le Gouvernement a tenu, de lui-même, à écarter du paquet des transpositions la directive postale, pour des raisons que vous imaginez.

Aucune liste n'est idéale, chacune d'entre elles est de nature à prêter à discussion. Mais de très nombreuses directives, qui étaient en retard de transposition depuis longtemps, apparaissent sans ambiguïté technique puisqu'elles n'ont pas fait l'objet d'amendements. Quant aux directives concernant l'environnement, leur impact sur les citoyens est effectivement très important, monsieur Reiner, mais le recours aux ordonnances nous a paru, dans les circonstances présentes, nécessaire. C'est en effet un domaine où le moindre retard d'application a des conséquences particulièrement dommageables sur les citoyens, et la France entend montrer son souci d'être au rendez-vous du développement durable. Je peux vous rassurer : la charte sur l'environnement sera discutée dans les semaines à venir.

M. Robert Del Picchia. Très bien !

Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée. L'habilitation peut, à l'inverse, sembler trop étroite aux yeux de certains d'entre vous. Je remercie notamment M. Jean-Léonce Dupont de s'être soucié, à juste titre, de l'inclusion des architectes et des géomètres experts dans le cadre de la transposition de la directive sur la reconnaissance des qualifications professionnelles. Je vous confirme notre volonté de traiter en principe de ces professions dans un très prochain projet de loi. Mais nous retenons votre suggestion, et si un véhicule législatif ne s'avère pas rapidement disponible, il pourrait être utile, le cas échéant, de recourir à l'habilitation conférée par l'article 1er du présent projet de loi, qui permettrait de ne pas laisser de côté ces professions. En effet, le domaine des qualifications professionnelles, qui permet à tout un chacun de mettre à profit l'existence d'un espace européen sans frontières, mérite une clarification urgente.

J'observe, par ailleurs, que beaucoup d'entre vous ont tout de même pris acte des efforts engagés par le Gouvernement depuis plus d'un an pour accélérer la transposition des directives communautaires. Ces efforts, qui ont été faits de façon pragmatique, n'ont pas été sans efficacité. En effet, depuis la mise en place du plan d'accélération de la transposition en novembre 2002, les retards en matière de transposition ont cessé de croître et ont même légèrement diminué. Selon les chiffres de la Commission, malgré l'adoption de très nombreuses directives nouvelles depuis un an, le déficit de transposition est passé de 3,8 % à 3,5 %. Certes nous sommes encore loin du 1,5 % exigé, mais nous n'avons pas accumulé de nouveaux retards, et je voulais le souligner ici.

Je note, monsieur Badré, vos pertinentes remarques. Je ferai mon possible auprès du ministre du budget pour que l'évolution de nos retards et, je l'espère aussi, de nos performances puisse être reflétée dans les indicateurs prévus par la LOLF.

Je vous remercie, monsieur Lanier, d'avoir rappelé la circulaire de 1998. Dans la ligne de ce que vous avez justement dit, j'invite la Délégation pour l'Union européenne à me soumettre régulièrement la liste des directives pour lesquelles les documents nécessaires, le calendrier de transposition et la fiche d'impact simplifié ne vous auraient pas été transmis. Je suis conscient que l'Etat de droit, en Europe, passe aussi par la modernisation de notre Etat.

Par ailleurs, je suis à l'écoute de tout dysfonctionnement qui perturberait la procédure selon laquelle, aux termes de l'article 88-4 de la Constitution, le Gouvernement vous soumet tout projet d'acte communautaire de portée législative. Les délégations s'acquittent avec diligence de cette lourde tâche puisque pas moins de 317 textes ont été transmis en 2003.

Aucune fatalité ne rend impossible la réforme de l'Etat dans notre pays. Il a été précisé, tout à l'heure, que l'Irlande a, en quelques mois, diminué de moitié ses retards en matière de transposition. La France, pays fondateur de l'Union européenne, ne peut faire moins que de respecter l'état de droit européen.

L'essentiel est de mobiliser la volonté politique. Je prendrai comme exemple la coopération exemplaire des élus et du Gouvernement, à partir des mesures préconisées par M. Jean-Paul Delevoye, pour simplifier la gestion des fonds structurels, qui a permis d'éviter à nos régions des pertes de crédits communautaires. Il est à souhaiter que la même efficacité soit démontrée à travers la coopération entre l'exécutif et le législatif en matière de transposition de directives.

Je le répète : il est indispensable d'intensifier les efforts non seulement dans le domaine des directives législatives, mais également dans le domaine des directives réglementaires. Il faut aussi, en matière législative, veiller à réserver les créneaux nécessaires afin de pouvoir examiner rapidement les projets de loi tendant à transposer ces directives. Ce double effort doit, nous en sommes conscients, être consenti de façon concomitante et essentiellement avec votre concours, mesdames, messieurs les sénateurs.

Je prends note, enfin, de vos remarques quasi unanimes quant à la nécessité d'une évolution du processus d'élaboration des lois d'origine européenne. Plus de la moitié de notre législation est d'origine européenne et la proportion est encore plus accentuée dans le domaine économique. Le droit communautaire, vous avez raison de le souligner, monsieur Ferrand, n'est pas un droit étranger. Comme son nom même l'indique, c'est le droit de la communauté des pays européens, qui décident d'agir ensemble. Je ne peux donc que partager le voeu de vous-même et de vos collègues de mieux associer les parlements nationaux à la construction européenne. Il faut relever que dans la future Constitution européenne, pour la première fois dans l'histoire de l'Europe, les parlements nationaux seront partie intégrante du mécanisme de décision communautaire, puisqu'il leur incombera de déclencher éventuellement un mécanisme d'alerte pour veiller au respect de la subsidiarité. Selon moi, ils doivent aussi, en interne, être mieux associés tant à l'élaboration qu'à la transposition de la législation européenne.

Le recours aux lois d'habilitation, procédure qui a déjà été utilisée par le précédent Gouvernement, n'est pas un but en soi, et vous en êtes conscient, monsieur Reiner. C'est pourquoi nous devons tous ensemble mettre en place un plan d'action plus efficace que celui qui a été mis en oeuvre et dont l'efficacité a été relativement limitée jusqu'à présent.

Le Sénat, à cet égard, avait pris une initiative bienvenue en déposant, dès 2001, une proposition de loi constitutionnelle dont, à juste titre, MM. Othily et Badré ont rappelé tout l'intérêt. J'adhère pleinement à l'esprit de cette proposition de loi et je souhaite que le débat de ce jour donne l'impulsion politique nécessaire pour que nous aboutissions à des mesures d'une certaine efficacité, même si elles ne peuvent faire l'objet d'une réforme constitutionnelle pour l'instant. Toutes les mesures, petites ou grandes, peuvent se révéler utiles pour l'organisation de notre travail collectif.

Notre réflexion doit sans doute porter sur l'ensemble du processus d'adoption des actes communautaires - c'est l'objet de cette proposition de loi constitutionnelle -, depuis la transmission des projets aux assemblées, aux termes de l'article 88-4 de la Constitution, jusqu'à leur transposition dans la loi nationale.

Mais il est possible d'aller plus vite, avant de mener à bien cette réflexion approfondie, et la concrétisation du rendez-vous régulier avec les assemblées parlementaires devrait pouvoir intervenir sur la base de l'accord que le Gouvernement entend conclure avec le Sénat. Il me paraît en effet possible de s'entendre dès maintenant sur au moins une demi-journée par mois, sans qu'il soit nécessaire pour l'instant de recourir à une révision de la Constitution.

J'ai bien noté l'intérêt de plusieurs orateurs pour un tel rendez-vous régulier : il me semble incontournable. Vous connaissez l'opiniâtreté dont je sais faire preuve pour relancer les différents ministères pour la transposition des directives de leur ressort. Je ferai montre de la même ténacité pour mener à bien ce projet, car la France - cela a été dit par tous les rapporteurs - entend continuer à assumer ses responsabilités historiques face à la construction d'un espace européen qui réponde à nos ambitions à la fois politiques, économiques et sociales. Je remercie donc la Haute Assemblée d'y concourir aujourd'hui hic et nunc, pour le bien de tous. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.