PRÉSIDENCE DE M. Bernard Angels

vice-président

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre d'Etat, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le débat d'orientation budgétaire est un rendez-vous tout à fait essentiel.

Ce rendez-vous est essentiel, car le budget n'est pas seulement une mécanique ou une série d'arbitrages complexes ; il est d'abord une volonté et une cohérence. C'est dans le budget que s'exprime une politique.

Nous le savons, les finances publiques se composent de trois grands segments : le budget de l'Etat, les comptes sociaux, les comptes des collectivités territoriales. Toutefois, c'est bien le budget de l'Etat qui demeure la matrice de la politique économique susceptible d'être portée par un gouvernement.

Ce rendez-vous est essentiel, car il a lieu à un moment où les choix peuvent encore être infléchis, où il est encore possible de raisonner en termes de principes et par rapport au cadre macroéconomique.

Par ailleurs, il est fondamental que les assemblées parlementaires soient bien le lieu où l'on débatte de ces sujets et où l'on recherche ensemble le moyen d'exercer sur les phénomènes économiques et financiers la volonté générale. En effet, nous le savons bien, nos concitoyens ont trop souvent perdu l'espoir que nous sachions réellement transformer les choses. C'est bien ici, sans naïveté, avec réalisme, qu'il est possible, en amont, d'assumer les problèmes tels qu'ils se posent et d'accompagner la démarche politique d'un gouvernement.

Monsieur le ministre d'Etat, c'est avec un plaisir non dissimulé que je vous ai écouté, car les thèmes que vous avez abordés sont ceux que la commission des finances du Sénat s'est efforcée de porter depuis tant et tant d'années, souvent vox clamantis in deserto. (Sourires.)

Aujourd'hui, nous vous écoutons avec bonheur et vous pouvez bien entendu compter sur la commission des finances - son président vous en a assuré - pour accompagner vos efforts et pour que soit parcourue la distance qui nous sépare de l'adoption, à l'automne prochain, d'un projet de loi de finances responsable, raisonnable et tourné vers l'avenir.

Nous avons la chance de vivre une certaine embellie économique. Je ne rappellerai pas les chiffres que vous nous avez indiqués et qui sont encore fragiles. Néanmoins, nous pouvons nous réjouir de la prudence de la prévision budgétaire pour 2004 et, monsieur le ministre d'Etat, votre prédécesseur, le ministre délégué au budget, M. Alain Lambert, doit en être crédité.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. C'est exact !

M. Philippe Marini, rapporteur général. En effet, si nous avons la chance de pouvoir raisonner sur des surcroîts de recettes, c'est bien, mes chers collègues, parce que l'hypothèse de départ était prudente. Si nous constatons aujourd'hui que le consensus des économistes sur la croissance de l'année 2004 se situe à un niveau plus élevé que l'hypothèse de croissance retenue dans le budget pour 2004, c'est bien, je le répète, parce que le Gouvernement a été prudent pour apprécier les recettes fiscales et pour fixer le fameux coefficient d'élasticité des recettes fiscales par rapport à la croissance.

Monsieur le ministre d'Etat, nous partageons vos propos sur l'indispensable prudence : ne pas affecter par avance des recettes qui ne sont pas encore dans nos caisses ; ne pas admettre que, par des promesses successives, soit hypothéquée une situation en train de s'améliorer. Il va de soi que, lorsque nous examinerons les perspectives pour 2005 - ce à quoi vous nous invitez, monsieur le ministre d'Etat - nous serons amenés à souhaiter qu'une égale prudence s'exerce sur le cadre macroéconomique de ce nouveau budget.

Nous n'aurions garde d'oublier le grand nombre des menaces qui pèsent encore sur notre environnement international. Je pense aux matières premières et au pétrole, à la suite des événements de 2003 en Irak, étant observé que la situation dans cette zone du monde si essentielle est encore très loin d'être stabilisée. Je pense également aux taux d'intérêt, qui commencent à se tendre de nouveau avec la conséquence inéluctable sur le poids de notre dette publique. Je pense encore à la hausse des prix, qui n'est pas une menace immédiate, mais qui est susceptible de le devenir en fonction de l'enchaînement des phénomènes.

Ces éléments peuvent être des menaces pour la croissance dont l'estimation doit, dès lors, demeurer conforme au principe de précaution.

Vous nous dites la vérité sur les finances publiques, monsieur le ministre d'Etat, et vous avez bien raison. Aucune autre attitude ne serait responsable, aucune autre attitude ne serait digne des responsabilités d'un gouvernement. Au demeurant, et je m'adresse surtout à mes collègues de filiation gaulliste, ce qui menacerait notre indépendance, ce n'est pas le respect du pacte de stabilité; c'est, au contraire, l'emballement de la dette publique...

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Bien sûr !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Effectivement !

M. Philippe Marini, rapporteur général. ...qui, s'il se poursuivait, mettrait à mal et réduirait à une réalité purement formelle cette indépendance nationale...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bien sûr.

M. Philippe Marini, rapporteur général. ...à laquelle nous croyons tous, même et surtout dans le concert européen.

Monsieur le ministre d'Etat, face à cette situation que vous avez décrite avec rigueur et vérité, que pouvons-nous faire ? La commission des finances préconise deux solutions qui se situent sur deux échelles de temps différentes.

Dans l'immédiat, il faut stabiliser pour construire l'avenir sur un sol ferme. Cela suppose de s'astreindre à ce que j'appellerai la règle des trois stabilisations : stabilisation de la dépense publique, stabilisation des recettes publiques, stabilisation de la dette.

Stabilisation de la dépense publique, d'abord. Il faut respecter l'autorisation parlementaire et maintenir la dépense en volume quoi qu'il en coûte. C'est la responsabilité de l'administration du budget, du secrétaire d'Etat au budget et à la réforme budgétaire, de faire respecter par les administrations dépensières les votes du Parlement. Cela ne doit souffrir aucune contestation... de nulle part !

Mes chers collègues, c'est la République qui est en jeu ! S'il fallait tolérer que le dépositaire momentané d'un budget de dépenses exprime dans les médias, auprès des parlementaires, ses insatisfactions ponctuelles et catégorielles, et s'il fallait additionner toutes ces insatisfactions, le budget de la France existerait-il encore ? Je me permets de poser cette question.

Lorsque l'on est membre d'une équipe solidaire qui s'engage sur un projet, sur une crédibilité et sur une cohérence, a-t-on le droit de jouer ce petit jeu parcellaire et catégoriel ? Permettez-moi de le dire avec l'indépendance d'esprit que m'autorise la charge de rapporteur général. Il n'y a en effet, vous avez mille fois raison, monsieur le ministre d'Etat, qu'un seul budget de la France. Une fois qu'il est voté, c'est de façon définitive, et le niveau général des dépenses doit être respecté quoi qu'il en coûte, quels que soient les déplaisirs ou les frustrations qu'il peut susciter ici ou là.

Stabilisation des recettes publiques, c'est-à-dire stabilisation des prélèvements obligatoires, ensuite. Dans la situation économique que nous connaissons, le redressement de la croissance, il ne serait pas tolérable d'augmenter les prélèvements obligatoires, même la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, messieurs les ministres. Il ne serait pas tolérable d'ajouter des prélèvements obligatoires aux prélèvements obligatoires.

En effet, deux voies s'offrent à nous pour réduire le solde : une voie vertueuse, qui consiste à se rapprocher progressivement des objectifs sans casser l'activité, mais en ayant soin de ne pas augmenter les prélèvements obligatoires ; une voie beaucoup plus facile, qui consiste à prélever toujours plus pour dépenser toujours plus. Il est clair que la stabilisation des recettes est une priorité, sinon une évidence : cela exclut aussi, hélas ! de poursuivre dans l'immédiat la baisse du barème de l'impôt sur le revenu, sauf si cette réduction était autofinancée par des mesures courageuses sur la réduction des avantages catégorielles et niches de toute nature, ce que nous appelons de nos voeux.

Stabilisation de la dette, enfin. M. le ministre d'Etat l'a souligné beaucoup mieux que je ne pourrais le faire. L'objectif est le suivant : pour stabiliser demain, il faut ralentir aujourd'hui. Tant que le déficit public global est supérieur à 2,5 points de PIB, la dette augmente, non seulement en valeur absolue, mais aussi en valeur relative, par rapport au PIB.

Nous avons donc encore une grande distance à parcourir et beaucoup d'efforts à faire pour parvenir à cette stabilisation de la dette, nécessité première de la politique financière.

Au-delà des stabilisations, il faut bien sûr tracer un chemin d'espoir et de croissance. Stabilisation, j'en suis conscient, n'est pas un mot enthousiasmant, mais il recouvre une réalité. Or il faut vivre avec les réalités. Il faut donc stimuler la croissance. Vous nous le proposez, monsieur le ministre d'Etat, grâce au projet de loi pour le soutien à la consommation et à l'investissement, dont nous débattrons prochainement. Ce texte comporte un certain nombre de mesures qui, examinées une à une, peuvent sembler partielles mais qui, prises dans leur ensemble, peuvent concourir à une politique cohérente dès lors qu'elles sont temporaires, et ont donc un temps d'application bien déterminé. Il ne s'agit pas de nouvelles niches fiscales. Ce sont des dispositions d'appui à une conjoncture qui doit se réveiller et qui doit nous mener sur le chemin de la croissance potentielle.

Dans l'immédiat, on peut faire preuve de volonté pour adapter l'appareil d'Etat. Le président Arthuis l'a dit à juste titre : la loi organique est là pour qu'on s'en serve, et bien. Elle doit exprimer une véritable volonté. Les directeurs de programmes, qui ont été nommés, doivent exercer sans barguigner leurs responsabilités, arbitrer et allouer les financements. Que l'on mette enfin sous tension l'appareil d'Etat !

Il appartient bien sûr au Premier ministre de veiller à ce que la loi organique soit appliquée avec toutes ses vertus. La loi organique, c'est un levier. Encore faut-il que l'on sache peser avec l'énergie nécessaire sur ce levier.

S'agissant du moyen et du long terme, monsieur le ministre d'Etat, j'adhère totalement à la problématique fiscale qui a été rappelée par M. le président de la commission des finances. Dans notre pays, il faut réveiller le débat fiscal, qui est fondamental. La fiscalité n'est que le reflet de notre société, des valeurs et des finalités de l'action politique.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Effectivement !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Or, aujourd'hui, la fiscalité est devenue illisible car elle empile les priorités nécessairement contradictoires des gouvernements successifs. Elle ressemble à une espèce de vulgate définissant une sorte de juste milieu quelconque. Pour le contribuable, il est très difficile de s'y frayer un chemin, sauf à être très bien conseillé par d'excellents spécialistes, tant les textes prolifèrent.

Monsieur le ministre d'Etat, pour l'avenir, il faudra se livrer à un réexamen global de l'impôt sur la personne, de l'impôt sur les entreprises et de tout ce qui conditionne la compétitivité des emplois et du territoire national.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Absolument !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Dans cette perspective, nous avons appelé voilà déjà un an à engager une réflexion globale, qui pourrait tendre à fusionner un jour la part proportionnelle de l'impôt sur la personne, la CSG, avec une part progressive, l'impôt sur le revenu au barème.

De même, nous avons suggéré de mener des réflexions, des débats sur le thème de la TVA sociale. Comment alléger le coût du travail et trouver un dispositif plus neutre pour que les transactions portant sur les produits importés contribuent autant que les autres à la richesse commune indispensable pour assurer les fonctions collectives ?

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Absolument !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Mes chers collègues, j'achèverai ce propos en évoquant, s'agissant de la fiscalité, la nécessité de réexaminer sans timidité ni tabou un grand nombre de dispositions du code général des impôts. Si l'on avait la lucidité et le courage de supprimer, par exemple, 10 milliards d'euros de dépenses fiscales engendrées par des régimes particuliers et si on les répercutait sur le barème de l'impôt sur le revenu, dont le rendement net s'élève à 50 milliards d'euros, on parlerait de baisse non plus de 1 %, de 2 % ou 3 % mais de 20 %. Un tel choc économique permettrait peut-être un jour à notre pays d'adapter ses structures et d'aborder la nouvelle Europe sans semelles de plomb, mais dans un état d'esprit dynamisme et offensif.

Aussi, dans l'immédiat, on doit s'en tenir à la sagesse budgétaire, qui est un principe de bon sens, et donc ne pas hypothéquer des recettes qui n'existent pas encore et, si l'on dispose de plus-values de recettes, les consacrer en totalité - c'est la préférence de la commission des finances - à la réduction de la dette par la baisse du déficit.

Monsieur le ministre d'Etat, vous avez tracé des perspectives européennes auxquelles, les uns et les autres, nous pouvons adhérer : réveiller la volonté politique par l'Eurogroupe, faire en sorte que le Pacte de stabilité soit interprété de façon beaucoup plus intelligente par les différents Etats membres et soit adapté aux cycles économiques.

Nous avons le sentiment que, sur tous ces sujets et en vue de telles évolutions, vous pouvez jouer un rôle essentiel, porter la parole de la France, exprimer sa crédibilité auprès de ses partenaires. Nombre d'entre nous seront heureux de vous accompagner sur ce chemin, qui est le chemin de l'avenir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 80 minutes ;

Groupe socialiste, 44 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 13 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Mon temps de parole étant très limité, je ne reviendrai pas sur l'analyse des chiffres ; d'autres orateurs l'ont fait excellemment avant moi.

Monsieur le ministre d'Etat, nul ne peut être en désaccord avec les orientations que vous avez proposées, à savoir la maîtrise de la dépense publique, une bonne utilisation d'un éventuel supplément de recettes et la participation des collectivités locales à la maîtrise globale et à la cohérence de la dépense publique. La question porte non pas sur les objectifs, mais sur la manière de les atteindre et sur les choix qui doivent être faits.

J'évoquerai trois points.

Tout d'abord, il faut définitivement changer de terminologie. Le mot « déficit » fait penser à un accident conjoncturel. En réalité, le déficit correspond à de l'emprunt et l'emprunt n'est pas conjoncturel. En effet, il s'ajoute au stock et génère, en termes d'intérêts, des dépenses pour les années suivantes. Si on emprunte, il faut le dire franchement, expliquer les raisons pour lesquelles on le fait et ne plus parler de déficit puisque la situation paraît alors moins grave.

Ensuite, il faut choisir ses dépenses. On parle toujours de la dépense en volume. Or, chacun le sait que toutes les dépenses n'ont pas les mêmes effets. Je vais prendre deux exemples.

Dans mon département, voilà une dizaine d'années, pour un coût de 150 millions de francs, on pouvait ou bien construire une pénétrante urbaine ou développer un établissement universitaire. C'est cette dernière option qui a été retenue. Des milliers de logements ont été créés, une nouvelle dynamique a été enclenchée et les entreprises disposent aujourd'hui d'un potentiel de recherche. La pénétrante urbaine aurait, elle, seulement permis de gagner cinq minutes en temps de transport.

M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est du développement durable !

M. Philippe Adnot. Il ne suffit pas de dire que nous voulons maîtriser la dépense en volume. Il faut choisir ses dépenses.

Mon second exemple peut éventuellement vous aider, monsieur le ministre d'Etat. A l'heure actuelle, le surfinancement de l'intercommunalité coûte au budget de l'Etat 2 milliards d'euros par an.

Je suis chef d'entreprise. Quand mon entreprise s'associe, c'est pour faire des économies de structures, pour gagner de l'argent. Quand des collectivités s'associent, les dépenses de fonctionnement augmentent. On dispose de 2 milliards d'euros pour financer l'intercommunalité qui génère des dépenses de fonctionnement, mais on n'a pas les milliards d'euros nécessaires pour la recherche ! (Mme Janine Rozier applaudit.)

Afin d'assurer une dépense publique de qualité, il conviendrait de demander aux collectivités qui s'associent de réaliser des économies puisqu'elles sont alors plus performantes. On pourrait utilisés les crédits ainsi dégagés pour dynamiser notre pays. La recherche aurait bien mérité que de tels fonds lui soient affectés. La qualité de la dépense publique doit donc permettre d'obtenir des résultats différents de ceux que nous avons obtenus jusqu'à présent.

Enfin, si nous voulons maîtriser la dépense, il faut commencer par ne pas créer en permanence des dérives qui s'additionnent pour les entreprises, pour l'Etat ou pour les collectivités locales. Je vais prendre deux exemples.

Le premier concerne le projet de loi de modernisation de la sécurité civile, que le Sénat a examiné dernièrement. Les mesures qu'il contient vont coûter 100 millions d'euros aux collectivités locales et, naturellement, il faudra lever l'impôt. L'idée consistant à soutenir que le pays bénéficiera d'un nombre plus important de sapeurs-pompiers volontaires n'est pas réaliste puisque, parmi ceux-ci, seulement un sur quatre atteindra l'âge de la retraite. La dépense sera inutile et va générer un prélèvement supplémentaire.

Le second exemple concerne le projet de loi relatif aux personnes handicapées, que le Sénat vient également d'examiner. Ce texte m'inquiète mais comme il n'est encore pas adopté définitivement, certaines de ses dispositions peuvent éventuellement être corrigées.

Naturellement, dès que l'on parle de handicap, un large consensus se dégage. Il vient d'être décidé d'aménager tous les cars scolaires afin qu'ils puissent accueillir des personnes handicapées. La dépense prévisionnelle représente une augmentation de 25 %. Or cette dépense est inutile puisqu'un certain nombre de cars scolaires ne transportent pas d'enfants handicapés, aucun enfant souffrant de handicap ne se situant dans le secteur considéré. De surcroît, la plupart du temps, des transports spécifiques sont mis à la disposition des personnes handicapées.

Cette dépense, particulièrement généreuse, va accroître considérablement la dépense publique et va imposer aux collectivités locales d'augmenter le parc de cars et, par voie de conséquence, les impôts. En effet, une augmentation de 25 % de la dépense de transports scolaires, ce n'est pas neutre.

Il faut donc maîtriser toute dépense qui générerait des prélèvements supplémentaires.

En conclusion, oui à la volonté de maîtriser la dépense publique, oui à la dépense intelligente et oui à la cohérence des politiques. Monsieur le ministre d'Etat, vous pouvez compter sur nous pour atteindre ces objectifs et pour ne pas provoquer sans cesse de nouvelles dépenses ; personnellement, je m'astreins à ne pas déposer d'amendements qui participent du mouvement général. Je compte sur vous pour faire les bons choix. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Merci !

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre d'Etat, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le budget de 1980 était en équilibre, la dette représentait 20 % du PIB. Vingt-cinq ans après, le déficit s'élève à 24 % et la dette à 64 % du PIB. La démagogie et l'inaction auraient-elles définitivement pris le pas sur la réflexion ?

Comment peut-on être crédible aux yeux de nos concitoyens quand le déficit augmente en même temps que la pression fiscale pour atteindre des records inégalés ? Ce constat d'impuissance et d'inefficacité nourrit les extrêmes qui considèrent que les gouvernements et le Parlement ont conduit des politiques marquées par l'idéologie, la démagogie et le renoncement. Cette atmosphère a des conséquences néfastes sur l'état d'esprit de la nation. Les démocrates que nous sommes doivent en tenir compte.

Ce débat d'orientation budgétaire ne peut demeurer un aimable exercice obligé. Si tel était le cas, supprimons-le !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Exactement !

M. Aymeri de Montesquiou. La situation budgétaire est suffisamment grave pour que ce débat soit l'occasion d'une réflexion approfondie, source d'une vraie cohérence, entre la politique conduite par le Gouvernement et la politique souhaitée par le Parlement.

Je le rappelle, la LOLF résulte d'une proposition de loi soutenue par tous les groupes parlementaires...

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Absolument !

M. Aymeri de Montesquiou. ...soucieux de la bonne gestion des deniers publics et désireux d'engager une réforme fondamentale. A l'avenir, l'évaluation systématique de l'impact financier des textes législatifs sera indispensable. La « méthode de l'ébranlement » prônée par la commission des finances du Sénat vise, avant tout, à écarter préjugés et solutions toutes faites, mais aussi à privilégier le bon sens. Si nous sommes solidaires par principe dans les temps difficiles, nous serons encore plus motivés pour vous soutenir si nos propositions sont entendues.

Situons rapidement notre débat. Comment mieux gérer l'argent public à l'heure de sa rareté, à l'aune d'un niveau d'endettement insoutenable ?

Tenons un langage de vérité aux Français. Nous le leur devons. Ce sera la preuve de notre considération. Oui, ils comprendront qu'avec 228,3 milliards d'euros de recettes, 283,7 milliards d'euros de dépenses et donc 55,4 milliards d'euros de déficit, notre déficit budgétaire est non pas de 4,1 %, mais en réalité de 24 %, comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre d'Etat. Quelle entreprise ne serait pas en cessation de paiement, quel ménage ne serait pas interdit bancaire avec de tels ratios ? Je peux vous affirmer que tous ceux qui participent à la vie politique ne connaissent pas ce chiffre. Tout ministre, tout parlementaire avant de demander une augmentation de crédits devrait s'interroger sur sa part de responsabilité.

A chaque appel à la dépense, rappelons, et rappelons-nous, que l'endettement est de 16 000 euros par habitant et que le stock d'endettement a atteint 1 000 milliards d'euros.

Nous sommes d'autant plus inquiets que la dynamique de la dette est préoccupante. Si son niveau se situe dans la moyenne communautaire - 64% du PIB - et est inférieur à la moyenne de la zone euro - 70,4% - il est néanmoins en constante augmentation.

Pis, la dette pourrait s'accroître encore. Une augmentation de 1 % des taux d'intérêt coûterait 1,1 milliard d'euros au bout d'un an et plus de 10 milliards d'euros à long terme.

Enfin, ce déficit est structurel. Si 30 milliards d'euros servent pour l'investissement, 27 milliards d'euros sont utilisés pour le fonctionnement de l'Etat. Comme le résume de façon imagée le rapporteur général du budget de l'Assemblée nationale, « l'État va chercher la paie des fonctionnaires chez le banquier » ! Les rappels de l'Union européenne à l'orthodoxie budgétaire sont décidément salutaires.

Cette situation est intenable et bloque le système. Les Français doivent savoir que cette dette est un poids qui réduit à néant la marge de manoeuvre du Gouvernement, obère tout projet de réforme, stérilise nos débats et rend plus que jamais vaines nos querelles.

Que faire ?

La démocratie, c'est convaincre et non affirmer. Peut-on convaincre sans dire la vérité ? Les Français peuvent comprendre que trop de priorités tuent les priorités.

La sécurité a été la première priorité de ce début de quinquennat présidentiel : de grands progrès ont été accomplis.

Le désendettement de la nation doit maintenant être une priorité absolue. Toutes les facilités dont ont abusé tous les gouvernements antérieurs sont désormais interdites.

Taisons les polémiques stériles selon lesquelles la rigueur serait de droite et le laxisme de gauche. Le temps n'est plus à l'affirmation de ses convictions idéologiques et au refus désinvolte des évidences.

M. Jean Arthuis, président de la commission. Très bien !

M. Aymeri de Montesquiou. Il n'y a qu'une interrogation qui vaille : comment tendre à l'équilibre par la conjonction d'une augmentation des recettes et d'une baisse des dépenses ?

Tout d'abord, insistons sur le principe de « précaution budgétaire », cher à notre commission des finances. Il devrait être appliqué au choix du taux de croissance par le Gouvernement, c'est-à-dire 2,1 %, si l'on suit les instituts de conjoncture, au lieu de 2,5 %. La loi de finances initiale pour 2003 avait été construite sur une hypothèse de croissance de 2,5 % et in fine la croissance s'est établie à 0,5 % !

Quant aux recettes, il est impossible de les augmenter en accroissant des prélèvements obligatoires dont le montant- 43,8 % - stérilise déjà notre économie. En revanche, il va falloir suspendre la politique de diminution des prélèvements obligatoires, notamment la baisse de l'impôt sur le revenu.

La promesse présidentielle était un signal politiquement et économiquement nécessaire, l'appareil productif étant découragé. Elle doit aujourd'hui attendre des jours meilleurs.

M. André Lejeune. Et ceux qui ne paient pas d'impôts ?

M. Aymeri de Montesquiou. La poursuite des cessions d'actifs de l'Etat sera utile, mais c'est un fusil à un coup. Elle doit être accompagnée, pour rechercher un effet multiplicateur, d'une réorganisation des services.

Il faut rechercher d'autres sources, comme les niches fiscales, filles incestueuses d'une pression fiscale excessive.

Elles s'élèvent à 50 milliards d'euros, soit la totalité de l'impôt sur le revenu ! Je considère, comme notre rapporteur général, qu'il vaut mieux « s'attaquer radicalement à l'ensemble des niches fiscales » plutôt que de procéder par petites touches de crainte de déplaire.

Concernant le débat sur l'utilisation d'hypothétiques ressources fiscales supplémentaires, les éventuels surplus de recettes doivent être intégralement affectée au désendettement, même si je comprends bien que l'exécutif souhaiterait disposer de davantage de crédits pour financer ses priorités. Optons pour la vertu. Je le répète, ayons toujours à l'esprit que trop de priorités tue la priorité !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !

M. Aymeri de Montesquiou. S'agissant des dépenses, depuis 2003, le Gouvernement n'a pas dépensé un euro sans l'aval du Parlement. Je rappelle que seulement 40 % des dépenses publiques sont pilotées par la définition d'une norme annuelle en volume. C'est dire si la maîtrise de tous les comptes publics est malaisée : les réformes que nous conduisons pour préserver retraites et assurance-maladie sont efficaces, mais je tiens à souligner que, dans la mesure où l'acte II de la décentralisation entraînant des transferts de charges aux collectivités n'a pas été voté, il me semble prématuré de demander à des dernières de s'engager à respecter un quelconque « pacte de stabilité de la fiscalité locale ». En revanche, un dialogue pour instaurer une cohérence est nécessaire.

Pour ne s'en tenir qu'aux strictes dépenses de l'Etat, on nous parle d'un total de 11 milliards d'euros pour satisfaire les priorités gouvernementales ! Affirmons sans concession que nos finances ne nous permettent pas d'engager de telles dépenses. La stabilité en volume pour 2005 est déjà rendue difficile par les 3 milliards d'euros supplémentaires nécessaires pour honorer les lois de programmation sur la justice, la sécurité et la défense.

Le budget de la justice étant exsangue, il est difficile, sous peine de rupture, d'engager une politique d'austérité. Soit !

Concernant la sécurité, les propositions faites par la commission des finances du Sénat doivent permettre une rationalisation génératrice d'économies.

S'agissant de la défense, tirons partie de la création de l'Agence européenne de l'armement pour faire des économies d'échelle en matière d'équipement. Les menaces ayant grandement évolué, nous devrons conduire très rapidement une réflexion approfondie sur la nature de ces équipements et leur actualité.

Il est évident que seuls les pays qui ont maîtrisé leur dépense publique et procédé à des réformes structurelles connaissent un taux de chômage inférieur à 5 %. Deux voies de sortie du désendettement s'ouvrent à nous : la réforme de l'Etat, notamment sous l'impulsion de la LOLF, et l'attractivité de la France qui passe notamment par la libre négociation de la durée du travail et des réformes fiscales appropriées.

Réformer l'Etat, c'est non seulement modifier son périmètre d'action pour qu'il se concentre sur ses missions régaliennes.

S'agissant du premier point, la réforme de l'Etat et des services publics s'inscrit dans un contexte de pic de départs en retraite chez les fonctionnaires. Nous devons nous interroger, comme dans n'importe quelle entreprise, sur l'organisation des effectifs de toutes les administrations.

Ainsi, adosser la redevance audiovisuelle à la taxe d'habitation, avec un gain d'un millier d'emplois, me paraît pertinent.

Concernant le second point, l'idée de faire entrer la conception du budget dans une démarche de performance est de très bon augure. La LOLF permettra au Parlement de conduire une vraie réflexion sur la dépense publique même si l'analyse sera des plus complexes.

De mauvais résultats doivent-ils conduire à réduire les moyens ou à les accroître ? A moyens constants, peuvent-ils être améliorés ?

La LOLF aidera les ministres, comme elle nous aidera, à sortir de la logique qui lie la dépense à l'efficacité.

Le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, M. Renaud Dutreil, vient d'illustrer l'esprit de cette réforme en envoyant par mail à l'ensemble des fonctionnaires d'Etat une lettre de deux pages qui leur explique en termes simples la réforme qu'il souhaite mettre en oeuvre en les y associant. Le coût de cette opération est proche de zéro. Elle a l'avantage d'instaurer un dialogue direct et préventif de même qu'elle a une vertu pédagogique certaine en utilisant un moyen de communication désormais courant.

L'attractivité de la France est le deuxième axe majeur sur lequel nous devons travailler. Cette attractivité est nécessaire pour que la France ne soit pas désertée par ses entreprises. Elle est possible à deux conditions.

D'une part, la fiscalité doit être modifiée. Rappelons que le taux de taxation du travail était de 41 % en 2002 en France alors que la moyenne communautaire était de 36,3 % ! Si on proposait à une entreprise qui se délocalise de financer l'équivalent de la baisse des charges qu'elle connaît hors de France, elle accepterait sûrement de rester. C'est donc bien grâce à une baisse des charges que nous sauverons des emplois en France. Avec mes collègues de la commission des finances, nous souhaitons faire évoluer le système fiscal : la taxe professionnelle, l'impôt sur le revenu, puis l'impôt sur le capital. N'oublions pas que 10 % des foyers fiscaux qui paient 75 % de l'impôt sur le revenu peuvent aujourd'hui choisir le lieu où ils paieront l'impôt.

D'autre part, il faut donner plus de souplesse à la durée hebdomadaire du travail. Si les 35 heures répondent à l'aspiration d'une partie de la population, elles ne correspondent ni à l'envie d'une autre partie qui souhaite travailler plus pour gagner plus, ni aux besoins de notre économie. Notre taux de chômage s'élève à 9,8 %, les 35 heures coûtent à la nation chaque année 14 milliards d'euros, un coût maximal pour un résultat très médiocre. Les 35 heures ont instauré une spirale néfaste pour notre économie, elles ont provoqué une baisse du produit national brut qui seul permet une politique sociale. La richesse nationale est proportionnelle au travail de la communauté nationale et l'un des outils de la croissance réside dans l'augmentation de la production.

La taxation des heures supplémentaires est absurde et j'adhère pleinement à la proposition qui consiste à la neutraliser jusqu'à 39 heures. La France a besoin de davantage de production et de davantage de recettes pour financer le social.

Ne tirons plus de chèque sans provision. Le temps qui nous sépare d'une indispensable modernisation nous est compté. Les occasions se perdent, les droits non financés s'accumulent. « Point de banqueroute, point d'augmentation d'impôt, point d'emprunt », rappelait Alain Lambert citant Turgot. Cruelle évocation de notre réalité budgétaire ! Napoléon, lui, soulignait « qu'il est injuste d'engager une génération pour la précédente ». Les cinq engagements pris par la France, le 15 décembre 2003, à l'issue de la suspension de la procédure pour déficit excessif constituent, à mon sens, une feuille de route d'une limpidité remarquable : revenir sous la barre des 3 % en 2005, stabiliser les dépenses de l'Etat en volume entre 2004 et 2007, réformer l'assurance-maladie, affecter tous les fruits de la croissance à la réduction du déficit, gager toute nouvelle baisse d'impôt.

Cette feuille de route, monsieur le ministre d'Etat, nous avons commencé de la suivre. Son tracé nous impose de nous débarrasser d'un carcan sémantique qui occulte le but fixé : la gêne qui nous fait craindre d'employer les mots travail, effort et rigueur est aujourd'hui anachronique. Le premier objectif pour les uns ou pour les autres doit être non pas d'essayer de gagner les élections, mais de ne pas faire perdre la France.

Le courage est l'un des plus beaux mots de la langue française. Que nous nous situions dans la majorité ou dans l'opposition, renonçons à la facilité et à la démagogie et, tous ensemble, dans la diversité de nos solutions, préférons le courage et ajoutons-y le bon sens.

La majorité des membres du groupe RDSE veut croire et participer à votre succès. Elle sera à vos côtés pour redresser les finances de la France avec la ténacité nécessaire. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel.

M. Gérard Miquel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le débat que nous avons aujourd'hui sur l'orientation que le Gouvernement entend donner à la politique budgétaire de la France en 2005 s'inscrit dans le contexte d'une croissance économique faible et d'une situation des finances publiques qui se dégrade depuis deux ans. Pour relever le défi que constitue une telle situation, le Gouvernement a choisi ce qu'il est convenu d'appeler une politique de rigueur, que nous appellerions plutôt, nous, une politique d'austérité.

La croissance économique actuelle de notre pays est faible, anormalement faible. Elle souffre même d'un ralentissement sans précédent ! Il est vrai cependant que, même si la croissance a été très faible en 2003, la consommation a résisté, et a vraisemblablement empêché une récession. Mais la résistance de la consommation est fragile et aléatoire, puisqu'elle a baissé au cours du mois de mai. En l'absence d'une amélioration substantielle du pouvoir d'achat, alors que le marché du travail reste marqué par un taux de chômage élevé, un essoufflement de la consommation est toujours à redouter. La morosité des commerçants en cette période de soldes constitue un signe inquiétant.

Le nombre d'allocataires du RMI en France métropolitaine a augmenté de 9,6 % de mars 2003 à mars 2004 et de 5,5 % au cours du premier trimestre de l'année 2004. La situation des bas salaires ne cesse de se dégrader. Tous ces signes, mes chers collègues, nous font douter de la solidité de la consommation dans notre pays.

Faut-il se résigner à espérer benoîtement que les Etats-Unis, le Japon, voire la Chine, « tirent » notre croissance, puisque le taux de la croissance mondiale dépassera peut-être 4,5 % en 2004, alors qu'il ne devrait être que de 1,6 % dans la zone euro, la demande y restant faible ? De fait, cette résignation n'est, hélas ! pas compensée par le rôle stimulateur que devrait jouer la Banque centrale européenne, si elle était attentive aux questions de croissance au lieu d'être obsédée par la seule problématique de l'inflation.

Dans un tel contexte conjoncturel, la situation budgétaire française s'est gravement dégradée depuis deux ans. II n'est que de lire le rapport préliminaire présenté par la Cour des comptes sur l'exécution des lois de finances pour 2003 pour comprendre qu'étaient ô combien justifiées les observations formulées par les socialistes ! La situation financière de la France s'est si « gravement détériorée » en 2003 que l'Etat ne dispose désormais d'aucune marge de manoeuvre !

M. François Marc. C'est vrai !

M. Gérard Miquel. Avec un déficit dépassant 3 % du PIB depuis 2002 et atteignant 4,1 % en 2003, avec une dette publique de près de 64 %, les critères de Maastricht ne sont plus respectés. La France a fait l'objet, à l'automne dernier, d'une procédure européenne de déficit excessif, même si celle-ci a été suspendue depuis, l'obligeant à s'engager à diminuer le déficit public, pour le ramener en dessous de 3 % dès 2005, et à stabiliser chaque année, de 2004 à 2007, les dépenses de l'Etat en volume.

Cela dit, une partie du problème auquel l'Etat se trouve confronté s'explique par le fait que si cette dégradation a certes un lien avec le ralentissement de la croissance, elle a surtout une origine fortement idéologique ! Si la situation des finances publiques s'est beaucoup dégradée depuis deux ans,...

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Depuis deux ans !

M. Gérard Miquel. ... c'est en grande partie à cause des décisions fiscales et budgétaires que le Gouvernement a prises depuis le collectif budgétaire de l'été 2002 ! (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean Chérioux. Incroyable !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Ce n'est pas sérieux !

M. Gérard Miquel. Permettez-moi de poursuivre, monsieur le ministre.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. C'est triste !

M. Gérard Miquel. Je pense que je ne parviendrai pas à vous convaincre, mais un certain nombre de Français, pour ne pas dire le plus grand nombre, eux, sont convaincus !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Mille milliards d'euros en deux ans ?

M. Gérard Miquel. Le déficit de l'Etat est passé de 34 milliards d'euros en 2001 à 62 milliards d'euros en 2003, soit près du quart du budget !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Et la croissance s'est-elle dégradée ?

M. Gérard Miquel. Le déficit budgétaire s'est creusé de 28 % par rapport aux prévisions initiales, alors que le solde primaire avait été positif entre 1999 et 2001.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Eh oui, mais pas avec la même croissance, mon cher collègue !

M. Gérard Miquel. C'est ce déficit, fortement marqué en 2003, qui est à l'origine de la progression considérable de la dette publique.

J'insiste sur le fait que le déficit public français, qui représente en valeur 4,1 % du PIB, a atteint un record historique et a été, en 2003, « le plus élevé de l'Union européenne ». Quant à la dette publique, avec son niveau de 63,7 % du PIB, elle a atteint également un record historique ! Je tiens encore à souligner que, alors que notre solde structurel était inférieur à la moyenne de celui de la zone euro en 2001, il est actuellement le double !

Pourquoi une telle situation ? Parce que le Gouvernement, en menant une politique fiscale non financée, a privé l'Etat de recettes ! Alors qu'il ne disposait pas de surplus de recettes fiscales par rapport aux prévisions budgétaires, il a continué, au mépris de toute logique, mais pour des raisons à la fois clientélistes et idéologiques, ouvertement dictées par le Président de la République, à réduire l'impôt sur le revenu, au risque d'aggraver la situation des finances publiques.

Ces réductions d'impôt ont été d'autant plus inefficaces qu'elles ne bénéficient pas à ceux qui en auraient le plus besoin...

M. Gérard Miquel. ...et qui, par conséquent, auraient le plus de motifs d'augmenter leur consommation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est une mauvaise analyse !

M. Gérard Miquel. C'est cette dégradation historique et structurelle des finances publiques qui a provoqué le gonflement de la dette publique : depuis 2003, la France ne respecte plus aucun des critères du pacte de stabilité,...

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Merci les 35 heures !

M. Gérard Miquel. ...que ce soit en termes d'inflation ou de finances publiques, et sa capacité à s'y conformer en 2007 est plus que douteuse.

Parallèlement, le déficit de la sécurité sociale est reparti à la hausse. Alors que ses comptes étaient équilibrés en 2002, ce sont aujourd'hui plus de 35 milliards d'euros de déficits cumulés qui menacent gravement l'assurance maladie.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Et que proposez-vous pour les redresser ?

M. Gérard Miquel. Monsieur le ministre d'Etat, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pour essayer de parer à ses échecs annoncés, le Gouvernement a décidé de recourir à une recette classique : une politique de rigueur, ...

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Ah !

M. Gérard Miquel. ...qui se traduit dans les orientations budgétaires qui viennent de nous être présentées.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Alors, comment faut-il faire ?

M. Gérard Miquel. Le Gouvernement veut stabiliser les dépenses pour endiguer un déficit public gonflé sous l'effet de rentrées fiscales désastreuses et qui est désormais supérieur à la moyenne de celui de la zone euro. Il veut réduire un endettement public de 1 000 milliards d'euros, comme ont su le faire les autres pays européens ces dernières années, alors qu'ils étaient nettement plus endettés que la France.

L'endettement de l'Etat bloque ses marges de manoeuvre budgétaires, tout en suscitant la méfiance des citoyens.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Quels sont vos conseils ?

M. Gérard Miquel. Monsieur le rapporteur général, je vous ai écouté avec beaucoup d'attention et je ne vous ai pas interrompu. Je vous demande donc d'en faire autant, ...

M. Philippe Marini, rapporteur général. Je vous écoute aussi avec beaucoup d'attention !

M. Gérard Miquel. ...même si vous ne partagez pas certains de mes propos, ce qui ne m'étonne pas !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Je serais heureux de connaître vos conseils !

M. Gérard Miquel. Le Gouvernement ne veut pas, pour réduire les déficits, recourir à de nouveaux prélèvements obligatoires, qui atteignent actuellement 43,78 %. Mais, en fin de compte, nous savons fort bien, quand nous cherchons à favoriser des implantations industrielles ou à éviter des délocalisations, que le niveau de formation des travailleurs, les écoles, les hôpitaux, les chemins de fer, les routes, les équipements de toutes sortes et le niveau de protection sociale sont des paramètres souvent aussi déterminants que d'autres.

M. Gérard Miquel. Or tous ces atouts français sont les fruits bienvenus de prélèvements obligatoires. Alors, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, efforçons-nous de ne pas être obsédés par leur montant !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Voilà ! Il faut prélever plus !

M. Gérard Miquel. Pour maintenir le déficit en deçà de 3 % du PIB en 2005, vous cherchez, monsieur le ministre d'Etat, à faire 11 milliards d'euros d'économies en réduisant certains postes de dépenses, tels que les effectifs de la fonction publique. Cette réduction programmée est d'ailleurs la principale source d'économie destinée à réduire le déficit et à maîtriser l'endettement. Elle devrait se traduire par le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

Par ailleurs, vous envisagez de vendre des immeubles situés en centre ville, trop chers, au profit d'implantations plus rationnelles. Après tout, pourquoi pas ?

Le Gouvernement entend également maîtriser les autres soldes publics, sociaux et locaux, le budget de l'État représentant moins de 40 % du total des budgets publics. Il espère que la « réforme » des retraites, c'est-à-dire leur réduction, réalisée en 2003, permettra de diminuer d'un tiers le déficit des comptes sociaux à l'horizon de l'année 2020 et que la réforme en cours de l'assurance maladie changera les comportements et permettra un retour à l'équilibre en 2007, alors que le déficit pourrait atteindre 13 milliards d'euros en 2004.

Monsieur le ministre d'Etat, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cette orientation budgétaire, cette politique que vous dites de rigueur, nous la qualifions, nous, d'injuste et d'austérité. Elle ne sera pas en mesure d'accompagner une reprise de la croissance.

La France, qui, entre 1997 et 2001, sous le gouvernement de la gauche, se trouvait dans le peloton de tête de la croissance à l'échelon mondial, accuse désormais un retard.

M. André Lejeune. C'est la dernière de la classe !

M. Gérard Miquel. Alors que le rythme de la croissance, depuis trois trimestres, est censé approcher 3 %, la consommation n'est pas très dynamique parce que le pouvoir d'achat ne progresse pas. L'économie continue de détruire des emplois : près de 10 000 au cours du premier trimestre. Le nombre d'allocataires du RMI a explosé et a augmenté de près de 10 % en un an. La balance des paiements est déficitaire.

En 2004, la croissance pourrait en fait atteindre 2 % ou 2,1 %, au lieu des 1,7 % attendus jusqu'à présent. Toutefois, en plus de la tension sur les taux américains et de l'augmentation des prix du pétrole, qui induit une inflation menaçante pour le pouvoir d'achat des ménages, la demande interne reste faible et la consommation est sujette à la pression de l'emploi et du revenu, qui progresse peu. Ainsi, 6 500 postes ont encore été perdus au cours du premier trimestre et le taux de chômage, qui est de 9,8 %, reste à son niveau de la fin de l'année 2003.

La France n'est donc pas encore sur le chemin de la croissance, tracé par le programme pluriannuel des finances publiques, de 2,5 % par an entre 2005 et 2007, d'autant plus que doivent être financées les dépenses supplémentaires que représentent la réintégration des « recalculés » de l'assurance chômage et l'évolution plus forte que prévue des dépenses d'assurance maladie. La baisse de la part conjoncturelle du déficit public pourrait donc bien, hélas ! être grignotée par des dérives structurelles.

La politique choisie par le Gouvernement est injuste. Non seulement la « politique fiscale non financée » qu'il mène avec obstination ne stimule pas la croissance, mais encore elle déprime les ménages. En effet, les baisses d'impôts sont ciblées en direction des ménages les plus aisés, qui épargnent les gains qui en résultent plus qu'ils ne les réinjectent dans le circuit de la consommation, alors que l'ensemble des Français subit les augmentations des prélèvements : droits sur les tabacs, taxe intérieure sur les produits pétroliers, impôts locaux, tarifs publics de l'électricité et des transports en commun.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Alors il ne faut pas augmenter les prélèvements ?

M. Gérard Miquel. De plus, au moyen de plusieurs dérogations fiscales en préparation, le Gouvernement entend ne pas s'arrêter en si bon chemin et poursuivre les réductions d'impôts en faveur de certains contribuables, alors que les socialistes, pour leur part, souhaiteraient plafonner l'avantage résultant du cumul des réductions d'impôts. Depuis deux ans, la production législative de ce Gouvernement est devenue essentiellement une production de « niches ».

La gestion des finances publiques est marquée, depuis le mois de juin 2002, par l'insincérité. La sincérité de la loi de finances pour 2003 n'avait été admise qu'avec d'importantes observations du Conseil constitutionnel...

M. Philippe Marini, rapporteur général. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Miquel ?

M. Gérard Miquel. Je vous en prie, monsieur le rapporteur général.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général, avec l'autorisation de l'orateur.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur le président, j'interviens, croyez-le, sans aucun esprit polémique (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.), mais dans le souci de faire vivre notre débat, de le rendre interactif.

M. André Lejeune. Nous ne sommes pas en commission des finances !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Non, mais nous pouvons faire partager au Sénat, en séance plénière, la vivacité des débats de la commission des finances !

J'aimerais bien comprendre la nature des propositions de notre collègue. Vous nous avez dit qu'il fallait plafonner le cumul des différents avantages fiscaux. Vous ai-je bien entendu ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. J'en déduis que, dans votre esprit, il faut augmenter la progressivité de l'impôt sur le revenu. Ma déduction est-elle bien exacte ?

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Miquel.

M. Gérard Miquel. Monsieur le rapporteur général, je reprendrai les propos que j'ai tenus en commission des finances sur le sujet. J'ai déposé, à l'occasion de l'examen de chacun des projets de loi de finances, des amendements visant à imposer un pourcentage au delà duquel les déductions fiscales ne seront plus possibles. Je préfère cette formule à celle que vous avez mise en oeuvre. (M. le président de la commission des finances s'exclame.)

M. André Lejeune. Un homme à la mer !

M. Gérard Miquel. Je ne peux pas vous répondre à tous les deux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur. (Rires.)

Je préfère cette formule à celle que vous avez mise en application depuis deux ans, monsieur le ministre des finances, car, vous le savez, donner des avantages fiscaux...

Un sénateur socialiste. Des cadeaux !

M. Gérard Miquel. ...à ceux qui paient le plus d'impôt sur le revenu n'a pas entraîné une hausse de la consommation. Bien au contraire, cela vous a privé de recettes.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Vous ne nous avez pas écoutés à l'époque !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Pourquoi la consommation a-t-elle tenue ?

M. Gérard Miquel. Nous aurions préféré l'application d'un système comparable à celui que nous avions mis en oeuvre avec la prime pour l'emploi, qui, elle, apportait de nouveaux moyens à ceux qui pouvaient consommer...

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Cela dégrade le budget !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Oui, cela coûte cher !

M. Gérard Miquel. Votre système le dégrade aussi.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Non !

M. Gérard Miquel. Il vous prive de recettes.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Non, mais continuez, monsieur Miquel !

M. Gérard Miquel. Monsieur le ministre d'Etat, si vous aviez ces recettes, le budget serait sans doute plus facile à établir ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur Miquel, vous n'avez toujours pas répondu à ma question ! Je m'excuse cependant de vous avoir interrompu.

M. Gérard Miquel. Mais, monsieur le rapporteur général, pouvoir débattre est un des avantages que nous donne cette assemblée !

La situation budgétaire s'est dégradée pour la troisième année consécutive. Les prévisions économiques du Gouvernement ont été hasardeuses : la croissance du produit intérieur brut s'est établie 0,5 % en 2003 au lieu des 2,5 % prévus.

Selon le rapport déjà cité de la Cour des comptes, la stabilisation des dépenses budgétaires à leur niveau de 2002 a été insuffisante.

« Une politique de simple stabilisation des dépenses, à leur niveau le plus élevé, couplée à une volonté affirmée de réduire les recettes, rend très difficile un assainissement budgétaire à court terme et met les finances de l'Etat à la merci de la conjoncture. »

Malgré cela, « les mêmes orientations ont été retenues pour 2004, à savoir la stabilisation des charges qui pèsent sur le budget général et une nouvelle réduction de la fiscalité de 3,3 milliards d'euros, gagée sur les fruits de la croissance. »

Telles sont les conclusions de la Cour des comptes, qui porte ainsi un jugement très sévère à l'encontre de la politique de baisse d'impôts du Gouvernement.

Le rapport préliminaire de 2003 de la Cour des comptes était d'ailleurs déjà très critique à l'égard de la gestion budgétaire de votre gouvernement.

Il est donc loisible de penser comme la Cour des comptes qu'il sera difficile de respecter le programme pluriannuel 2005-2007 qui prévoit une réduction des déficits de l'Etat d'environ 18 milliards d'euros sur trois ans grâce à une hausse des recettes fiscales et à une stabilisation en volume des dépenses.

Cette perspective repose sur des hypothèses dont une variation minime suffirait à remettre en cause durablement le résultat final.

Enfin, c'est une politique d'austérité que nous propose en perspective le Gouvernement, avec non seulement la réduction des droits sociaux, mais aussi la remise en cause des politiques publiques, à travers notamment une régulation budgétaire massive.

Depuis juin 2002, sans même tenir compte des gels et annulations de 2004, 11,7 milliards d'euros de crédits budgétaires ont été annulés, soit l'équivalent du budget civil de recherche et de développement et du budget de la culture et de la communication.

M. Gérard Miquel. Ces mesures portent prioritairement sur des dépenses d'investissement civil, comme les infrastructures de transport et le logement, et sur des crédits d'intervention concernant notamment la politique de l'emploi.

Les conséquences sont très négatives pour l'activité et pour les collectivités locales.

Dans la même veine, il faut souligner que le non-remplacement de la moitié des fonctionnaires partant à la retraite est peut-être - toutes considérations de rationalisation et d'efficacité mises à part - une bonne chose pour les comptes de l'Etat, mais constitue dans le même temps une réduction de l'offre d'emploi qui ne peut pas être sans conséquences sur le chômage, la consommation, sans parler des effets induits par les services rendus par les agents de l'Etat.

La baisse des effectifs recherchée par le biais du non-remplacement de la moitié des fonctionnaires partant à la retraite ne devrait avoir qu'un impact limité sur les dépenses de l'Etat, car les dépenses de personnel et de pensions de la fonction publique, qui constituent près de 45 % des dépenses de l'Etat, sont, à court terme, vouées à continuer à augmenter.

Les seules pensions versées aux fonctionnaires en retraite, poste incompressible, représentent déjà près de 32 milliards d'euros, contre 78 milliards d'euros pour la masse salariale, rémunérations et charges sociales, selon les derniers chiffres publiés, qui portent sur 2002.

Or, ces dépenses vont augmenter fortement sous le coup du papy boom, lequel a déjà commencé dans l'administration. La progression pourrait même être accélérée en 2005 avec la mise en place du dispositif de départ anticipé en retraite des fonctionnaires ayant commencé à travailler jeunes.

Remplacer seulement la moitié des 110 000 départs en retraite prévus pour les deux prochaines années peut, certes, procurer des économies, mais elles seront limitées à court terme : la suppression de 10 000 postes peut rapporter 152 millions d'euros dans l'année, celle de 35 000 postes 532 millions d'euros environ, soit une « goutte d'eau » par rapport aux 7 milliards d'euros d'économies à trouver au total.

Confronté à une dégradation historique des finances publiques, qu'il a largement contribué à aggraver par les décisions clientélistes et idéologiques qu'il a prises depuis deux ans, le Gouvernement est aujourd'hui contraint, du fait de ses engagements européens, de réduire massivement et brutalement le déficit public.

Mais, après celles de l'Etat et de la sécurité sociale, il veut aussi maîtriser les dépenses des collectivités locales.

Force est d'abord de constater que les concours marquent le pas depuis 2002. Les simulations pour le projet de loi de finances pour 2005 font apparaître une évolution globale des prélèvements sur recettes concernant, d'une part, la contribution à l'Union Européenne et, d'autre part, les concours financiers aux collectivités territoriales, de 2,1 %, pour une inflation attendue de 1,5 %, ce qui semble être une hypothèse plutôt basse.

L'évolution est, une fois encore, de faible ampleur. Les transferts de l'Etat aux collectivités n'ont augmenté que de 1,4 % en 2003, soit moins que l'inflation, et l'augmentation est encore moindre - 1,2 % - en 2004.

Il semble donc aujourd'hui évident que le Gouvernement ne souhaite pas accompagner le mouvement de décentralisation d'un regain de son effort financier en direction des collectivités.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

M. Gérard Miquel. L'augmentation de la dotation de solidarité urbaine, prévue dans le plan Borloo, par prélèvement sur la dotation globale de fonctionnement des communautés de communes n'est pas faite pour rassurer les présidents d'établissement public de coopération intercommunale.

Ce n'est pas un hasard si la Cour des comptes a fustigé la politique du Gouvernement à l'égard des collectivités locales dans son rapport déjà cité, qui semble décidément être une source inépuisable de critiques de la gestion gouvernementale.

La Cour note ainsi que le contrat de croissance et de solidarité mis en place en 1997 ne répond plus, depuis 2002, à ses deux objectifs, à savoir la prévisibilité à moyen terme des ressources des collectivités territoriales, d'une part, et la maîtrise de l'évolution des dotations, d'autre part.

En effet, le contrat n'offre plus de prévisibilité pluriannuelle depuis 2002.

Le rapport sur l'évolution de l'économie nationale et les perspectives financières, qui est à la base de notre débat d'orientation budgétaire pour 2005, n'en fait pas plus état que les deux années précédentes.

Pour autant, le Gouvernement demande aux collectivités de faire preuve de plus de rigueur, mais les élus sont, me semble-t-il, rigoureux. Au surplus, dans le rapport précité, le Gouvernement ne trouve pas mieux que d'enjoindre les collectivités à maîtriser leurs dépenses, afin de les faire participer au programme de stabilisation des dépenses publiques jusqu'en 2007.

Pour ce faire, il leur propose d'instaurer un « pacte de stabilité interne », alors qu'il s'apprête à leur transférer de nouvelles compétences dont, nous en avons dorénavant la certitude, le financement ne sera pas équitablement assuré.

Comment voulez-vous, monsieur le ministre d'Etat, que nous ne considérions pas de tels objectifs comme des manoeuvres visant, en matière d'autonomie des collectivités locales, à reprendre d'une main ce que l'on fait semblant d'accorder de l'autre ?

M. Jean-Pierre Sueur. C'est clair !

M. Gérard Miquel. A quand, messieurs les ministres, la réforme de la fiscalité locale, fiscalité dont le caractère inégalitaire est devenue insupportable pour nos concitoyens ?

Enfin, monsieur le ministre d'Etat, vous avez plaidé pour une meilleure implication des collectivités territoriales dans la stratégie d'ensemble des finances publiques, qui pourrait prendre la forme d'une conférence annuelle de concertation au moment du débat d'orientation budgétaire, réunissant le Gouvernement, les commissions des finances des deux assemblées et les principaux organismes représentant les collectivités territoriales.

Que répondre à une telle proposition ? Oui ! Pourquoi pas ? L'idée est sans conteste séduisante, mais l'expérience nous a trop de fois montré que les velléités de concertation exprimées par le gouvernement auquel vous appartenez ne donnent lieu qu'à des échanges stériles, dans la mesure où ce gouvernement ne modifie jamais ses positions, sauf sous « contrainte électorale ».

M. Gérard Miquel. De plus, le débat organisé au Sénat dans le cadre de l'examen budgétaire des concours de l'Etat aux collectivités territoriales joue déjà un rôle similaire sans apporter une véritable dynamique de concertation.

Messieurs les ministres, vous devez parfois regretter d'avoir, lorsque vous étiez dans l'opposition, exhorté pour des raisons électoralistes le gouvernement de Lionel Jospin à redistribuer les fruits de la croissance en inventant le terme alléchant de « cagnotte ».

M. Gérard Miquel. Or, cette cagnotte n'existait pas. Vous seriez sans doute satisfaits aujourd'hui que cette cagnotte ait été préservée ou affectée au désendettement de la France.

M. Jean Chérioux. Vous l'avez cachée...

M. Philippe Marini, rapporteur général. Il a fallu des mois pour vous obliger à avouer !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Et ce n'était d'ailleurs pas une « cagnotte » !

M. Gérard Miquel. Vous devez avoir des regrets, car, si la cagnotte avait à l'époque été affectée au désendettement, nous ne serions pas aujourd'hui dans la situation où nous sommes.

M. Aymeri de Montesquiou. On est d'accord !

M. Gérard Miquel. Messieurs les ministres et chers collègues de la majorité, vous comprendrez aisément que, pour toutes les raisons que je viens d'évoquer devant vous, le groupe socialiste porte sur l'orientation de la politique budgétaire du gouvernement pour 2005 un jugement résolument négatif ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Denis Badré.

M. Denis Badré. Après vous, monsieur le ministre d'Etat, et après d'autres orateurs, je vais entrer dans le débat par le déficit et la dette. C'est désormais classique, mais je crois que c'est la seule entrée en matière qui permette d'aller rapidement au fond des choses.

Notre déficit manifestement excessif, pour reprendre un terme lui aussi classique, nourrit un endettement qui ne cesse de s'alourdir et qui va continuer à grossir, et cela même si le déficit lui-même connaît une décrue, car l'endettement, nous le savons, est soumis à de grosses inerties.

Réduire le déficit sans alourdir les prélèvements ne peut se faire qu'en réduisant la dépense, à croissance constante du moins.

Réduire les prélèvements obligatoires sans creuser le déficit, c'est également et nécessairement réduire la dépense, toujours à croissance constante.

Notre équation s'articule donc obligatoirement autour d'une maîtrise de la dépense.

Les marges de manoeuvre qui pourraient desserrer un peu ce carcan peuvent venir de la confirmation d'un retour de la croissance, sachant qu'une dégradation des prix des matières premières peut en permanence venir compromettre nos espoirs.

La reprise de la croissance semble se confirmer. Nous l'attendons tous, je pense, avec espoir, et nous souhaitons tous qu'elle intervienne le plus tôt, le plus fortement et le plus durablement possible, mais nous l'attendons toujours des autres, des Etats-Unis, de la Chine ou d'ailleurs.

Quant aux évolutions des prix des matières premières, nous les subissons aussi. Ce sont donc toujours les autres qui détiennent les clés, favorables ou défavorables, de nos marges de manoeuvre.

Vous l'avez dit, monsieur le ministre d'Etat, notre pays est dans une passe plus que difficile. Nous payons aujourd'hui des habitudes ou des facilités sur lesquelles il nous faut courageusement revenir.

Nous payons les choix de ceux qui n'ont pas voulu assainir en profondeur nos finances lorsque des périodes de forte croissance le permettaient.

Nous payons aussi une implication trop faible de notre pays dans une Europe qui, du coup, reste elle-même trop faible pour envisager qu'elle pourrait ne serait-ce que réduire sa dépendance à l'égard du reste du monde.

Le groupe de l'Union centriste propose d'instaurer quatre règles budgétaires auxquelles nous devrions nous tenir quoi qu'il arrive, dans les temps difficiles comme dans ceux qui le sont moins.

Première règle : il faut au moins contenir la dette, ce qui implique le retour le plus rapide possible du déficit en dessous de 2,5 %.

Deuxième règle : le déficit, c'est l'emprunt - les orateurs précédents l'on souligné à l'envie - et on n'emprunte que pour financer un investissement dont le produit garantira le remboursement de l'emprunt.

Emprunter pour vivre, ce que nous faisons, revient à vivre aux crochets de nos enfants.

M. Jean Chérioux. Absolument !

M. Denis Badré. Comment, dans ces conditions, pouvons-nous encore parler savamment de développement durable ?

Troisième règle : toute dépense nouvelle doit être gagée par des économies.

Quatrième règle, corollaire de la précédente : comme pour la dépense, toute réduction des prélèvements obligatoires doit être, elle aussi, gagée par des économies en dépenses.

Toujours sur le déficit, qui, je le répète, est au coeur de notre débat, j'en viens à deux réflexions générales.

La première porte sur la relation entre nos déficits et l'aide au développement.

Le déficit est une facilité que se permettent certains pays développés, Etats-Unis et France notamment, mais qui assèche les possibilités de l'offre internationale de financement.

Les premiers à en souffrir sont les pays en développement. Avec nos enfants, ce sont eux qui paient cette facilité que nous nous donnons et qui reste un luxe de pays riches. Ceux qui le sont moins et qui ont besoin de financement pour se développer ne peuvent recourir au déficit, sauf à entrer eux-mêmes dans la spirale infernale de la remise de la dette, laquelle mobilise aujourd'hui des capacités d'aide qui leur seraient bien plus utiles pour se développer.

Réduire notre déficit pourrait apporter beaucoup plus aux pays en développement que l'augmentation de 0,1 % ou 0,2 % de notre part de produit intérieur brut sous forme d'aide au développement.

Il faut, je crois, que nous prenions conscience de ce type de réalité et que nous remettions à plat toutes nos politiques, notamment notre politique d'aide au développement.

Ma seconde réflexion sur le déficit concerne le pacte de stabilité.

Soixante milliards d'euros représentent 400 milliards de francs, mais le déficit est heureusement exprimé en euros ! S'il se chiffrait aujourd'hui en francs, c'est-à-dire si l'euro n'existait pas, nous aurions dû dévaluer très fortement.

Heureusement pour nous, il s'exprime en euros, mais, vous l'avez dit, monsieur le ministre d'Etat et j'y insiste, ce n'est pas aussi heureux pour nos partenaires, sur lesquels nous sommes adossés. Ce sont eux qui tiennent le choc, et ils le feront jusqu'au jour où ils considéreront qu'ils ont bien tort d'être du côté de ceux qui portent et choisiront d'être, à leur tour et avec nous, « portés » eux aussi. Mais qui les portera alors ? Il n'y aura plus personne pour porter et nous sombrerons tous.

Comprenons-les donc lorsqu'ils nous font valoir qu'ils nous préféreraient rigoureux, comme eux, lorsqu'ils nous rappellent qu'un pacte de confiance, sinon de stabilité, ne relève pas forcément du luxe...

N'est ce pas d'ailleurs parce nous étions inquiets face aux risques de dérapage des autres que nous avons inventé le pacte ? Sachons les écouter et les comprendre : c'est cela aussi l'Europe et c'est une Europe qui peut aujourd'hui nous aider.

La vraie difficulté du pacte, c'est qu'il est rigide alors qu'il faudrait un instrument dynamique incitant tous les partenaires à avoir un comportement vertueux même, et surtout, en période de vaches grasses pour passer plus facilement les saisons de vaches maigres.

Une gouvernance économique devrait, entre autres avantages, permettre un tel pilotage. La barre du bateau, c'est le pacte. Comme il n'y a pas de pilote, on utilise la barre bloquée en position moyenne : c'est mieux que rien, mais c'est moins bien qu'une barre libre tenue par un bon pilote. N'est-ce pas là, d'ailleurs, la définition de la gouvernance économique ?

Il est un autre problème : celui de la gestion des sanctions. Que la Commission propose, c'est normal, c'est son rôle ! Que le Conseil décide, il est le seul à pouvoir le faire ! Mais alors, comment accepter que les pays qui ont refusé ou pas encore accepté la discipline de l'euro viennent sanctionner ceux qui en ont pris le risque ? Pire, comment imaginer que la Commission vienne poursuivre le Conseil pour ne pas avoir mis en oeuvre ses propositions ? Il serait bon, d'une part que l'Eurogroupe s'élargisse rapidement - sur ce point, je vous rejoins totalement - d'autre part, qu'une gouvernance économique nous dispense de règles qui parfois frisent l'absurde.

Au-delà de ces observations générales, je voudrais profiter de ce débat pour vous faire part d'une série de réflexions sur le principal défi qu'il nous faut relever : celui des délocalisations de nos activités actuelles et des implantations sur notre sol d'activités futures. Je parle, bien sûr, de la compétitivité de la France dans un monde ouvert !

L'un des thèmes retenus, début mai, lors de la réunion, à Dublin, de la COSAC, l'Assemblée des représentants des parlements nationaux, était la compétitivité de l'Europe. A cette occasion, j'ai présenté, au nom de la France, une contribution précisant, en trois points, quelles sont les conditions à remplir pour assurer cette compétitivité. Vous me permettrez d'y revenir.

Premièrement, la compétitivité européenne dépend de l'existence d'une gouvernance économique et sociale européenne. Cette dernière est nécessaire pour dialoguer en pleine indépendance avec l'autorité monétaire, comme pour aller vers l'harmonisation de nos prélèvements et de nos droits du travail.

Deuxièmement, notre compétitivité dépend de notre capacité à mettre en place une politique de la recherche qui ne se réduise pas à l'ouverture de postes ou de crédits, mais qui repose sur une remise en cause profonde de la conception et de l'organisation de notre recherche, de la manière de la vivre et de son articulation avec l'économie et notre société.

Troisièmement, notre compétitivité dépend, j'y insiste, de notre volonté de traiter vraiment, au niveau de l'Union, les problèmes de l'aide au développement

Un large consensus s'est dégagé à Dublin autour de la priorité à donner à ces trois points : gouvernance économique, politique scientifique, aide au développement.

Ce qui est vrai pour l'Europe dans le monde est également vrai pour la France dans l'Union et a fortiori pour la France dans le monde !

Notre pays dispose d'atouts exceptionnels et souffre de handicaps très lourds qu'il s'est d'ailleurs souvent infligés lui-même. Je souhaite que notre gouvernement fasse tout pour jouer de ses atouts et réduire les handicaps, en rappelant que le rapport de notre mission sénatoriale sur l'expatriation des capitaux, des compétences et des entreprises a assez clairement identifié les uns et les autres.

Le premier atout est éternel et nous le devons au Bon Dieu : la France est une terre où il fait bon vivre et elle devrait le rester.

Le deuxième atout, trop rarement reconnu, mais bien réel, mérite que je m'y arrête quelques instants : nos compétences sont réputées et appréciées dans le monde entier, d'où l'attirance d'autres employeurs. Il faut dire que nos enseignants pourraient en tirer la légitime fierté dont ils ont grand besoin aujourd'hui et nous comprenons tous que nous souffrons plus du mode d'organisation de notre éducation nationale que des principes sur lesquels reposent nos formations, tant générales que professionnelles, et qui rendent les Français plus curieux et imaginatifs qu'on ne le croit et, surtout, très adaptables.

Alors qu'il est déjà regrettable de voir des professionnels formés aux frais des contribuables français servir des économies concurrentes, il n'est pas très judicieux - et je viens ici nourrir une de vos réflexions actuelles, monsieur le ministre d'Etat - que la France ait choisi de ne faire travailler chez elle que 35 heures une main-d'oeuvre qui est justement son principal atout dans le monde.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Très bien !

M. Denis Badré. Nous disposons d'un autre atout évident : notre situation en Europe et le niveau de nos infrastructures de communication et de télécommunications ; nous en avons souvent parlé, monsieur le ministre d'Etat.

Il nous faut conserver cet avantage en entretenant ce réseau et en l'inscrivant au coeur du maillage européen. J'ai bien souvent, à cette tribune, insisté sur l'intérêt des réseaux transeuropéens. Rapprochant les Européens et créant de l'emploi et de l'activité, ils devraient beaucoup plus mobiliser notre réflexion. Nous devrions soutenir bien plus activement les projets allant dans ce sens et participer à des politiques de ce type, dont le démarrage, dans le cadre de l'Union européenne, « patine » un peu, alors qu'elles serviraient la France, l'emploi et la compétitivité de l'ensemble des Etats membres.

Parmi nos handicaps, certains sont structurels, telle notre arrogance qui nous coupe souvent de nos partenaires ou nos certitudes qui nous empêchent de voir si les méthodes des autres ne peuvent pas, elles aussi, s'avérer intéressantes.

Nous sommes surtout excessivement prisonniers de nos idéologies - je rejoins le débat que nous avons eu à l'instant -soit que nous les défendions, soit que nous craignions ceux qui les défendent. Elles nous paralysent ; j'en veux pour illustration nos débats morts-nés ou « étouffés-nés » sur l' ISF

J'ai bien souvent dit à cette tribune qu'il fallait de temps en temps accepter de porter un regard pragmatique sur de tels sujets. Il faut accepter de voir que c'est souvent, « au bout du bout », le seul ISF qui fait partir des compétences ou des capitaux.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !

M. Jean Chérioux. C'est juste !

M. Denis Badré. Mais ceux qui partent ou qui sortent leurs capitaux le font presque toujours à regret. Un simple geste pourrait souvent les retenir, même au dernier moment. Sachons, de temps en temps, regarder la réalité en face et faire de tels gestes qui peuvent être payants, sur le plan fiscal et surtout sur le plan économique.

Pourrions-nous, dorénavant, monsieur le ministre d'Etat, analyser le coût - ou le produit - économique d'une mesure fiscale et non pas seulement son coût fiscal ? Si un jeune créateur d'entreprise quitte notre pays à 30 ans, avant de figurer dans les rôles des contribuables assujettis à l'I.S.F, son départ se traduira pour nous, non seulement par un manque à gagner en I.S.F. que nous ne pourrons jamais évaluer, mais aussi, et surtout, au niveau de l'emploi, de l'impôt sur les sociétés, de la consommation et de la TVA, par des pertes de capacités qui iront nourrir nos concurrents : pertes chez nous, gains chez les autres, notre compétitivité s'effondre !

Au risque de vous décevoir, je passerai rapidement sur le poids des prélèvements fiscaux et sociaux obligatoires, ainsi que sur le poids de notre administration. Ils ne nous rendent pas spécialement attractifs, nous le savons. On a déjà à peu près tout dit à leur sujet et je vous renvoie à notre rapport sur la mondialisation qui, reprenant le détail de ce qui peut être fait à cet égard, me permet de ne pas m'attarder sur ce thème.

Je terminerai ce rapide survol de nos handicaps en soulignant que, lorsque nous débattons du « principe de précaution », nous ne donnons pas non plus, sur la scène mondiale, l'image d'un pays soutenant l'initiative et encourageant la responsabilité.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Sauf si c'est la précaution budgétaire.

M. Denis Badré. Nous n'apportons pas non plus aux plus dynamiques de nos jeunes les encouragements qu'ils méritent et que nous devrions leur dispenser largement et sans compter.

Enfin, nous devrions essayer de faire la part entre les choix qu soutiennent la croissance à un moment donné et ceux qui améliorent durablement la compétitivité. Nous retrouvons là le débat de l'automne dernier relatif à la réduction de l'impôt sur le revenu, qui peut relancer la consommation et donc soutenir le retour de la croissance à condition que le pouvoir d'achat libéré ne sait pas détourné vers une épargne insuffisamment créatrice d'activité. Vous nous proposez actuellement toute une série de dispositions pour relancer la croissance. C'est, monsieur le ministre d'Etat, urgent et indispensable, et nous vous suivons totalement sur ce terrain.

J'insiste simplement aujourd'hui auprès de vous pour que vous vous engagiez également et simultanément sur la voie d'une compétitivité durable, une fois la croissance revenue, ce qui implique, non seulement de prendre des mesures incitatives comme actuellement, mais aussi de conduire une politique globale et cohérente.

Je veux, à cet égard, citer l'exemple du Canada. Après douze tentatives sincères de compression de la dépense publique de 1984 à 1993, ce pays était dans une impasse budgétaire, avec un déficit supérieur à 5%, une dette représentant 67 % du PIB, le service de ladite dette accaparant 35 % de tous les revenus. Le déficit fut éliminé en trois ans, de 1994 à 1997, et, depuis lors, le Canada a déposé sept budgets équilibrés et affiche la plus forte croissance annuelle de l'emploi des pays du G7.

Je ne reviendrai pas ici sur le détail du programme qui a permis ce rétablissement exemplaire - nous le tenons à votre disposition et je pense que vous le connaissez - mais je soulignerai simplement que les Canadiens ont pu le faire et que, si tout n'est pas transposable, il peut être intéressant d'étudier les voies et moyens utilisés.

Comme le disait l'ambassadeur du Canada auprès de l'OCDE - Organisation de coopération et de développement économiques - pour conclure la présentation de ce programme, il y a quelques jours, « l'assainissement des finances publiques n'est pas un strict exercice budgétaire, mais ne peut résulter que d'un projet global de société. »

M'appuyant sur cette référence, je suggère de nouveau fortement que l'amélioration de la compétitivité du pays soit retenue comme priorité directrice pour l'ensemble de notre budget. En affichant cette priorité, on affichera tous les besoins qui sont les nôtres et qui sont ceux de notre pays aujourd'hui, et en premier lieu, bien sûr, l'emploi.

Un tel choix, et surtout son affichage solennel, ne coûte, budgétairement parlant, pas cher. Il marque une volonté politique que les Français espèrent et dont ils ont besoin.

Monsieur le ministre d'Etat, nous attendons de vous un projet global, l'affichage de choix forts, une pédagogie : il faut que les Français comprennent quelle est la situation du pays et qu'ils s'approprient les choix que nous allons leur proposer.

Les membres du groupe de l'Union centriste sont à vos côtés pour mener le combat dans lequel vous êtes engagé. Ils ne compteront pas le soutien qu'ils vous apporteront si c'est pour servir, dans cet esprit et sans réserve, la compétitivité du pays. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Ce sera le cas !

M. le président. La parole est à M. Xavier de Villepin.

M. Xavier de Villepin. Monsieur le président, monsieur le ministre d'Etat, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, existe-t-il une « exception française » en matière économique et budgétaire ? Cette question se pose à la lecture des excellents rapports présentés par le Gouvernement et par la commission des finances.

Un bon débat d'orientation budgétaire ne peut, en effet, être uniquement national. Pour bien s'orienter, il faut, d'abord, déterminer la position que l'on occupe par rapport à des repères. En matière économique et budgétaire, ces repères sont européens, voire mondiaux.

La croissance, l'endettement, la dépense et la fiscalité me paraissent être les quatre points cardinaux de notre débat budgétaire.

En matière de croissance, la situation de la France doit être comparée à celle de ses principaux partenaires. Depuis 1999, la progression du produit intérieur brut de notre pays a été analogue à celle de la zone euro et supérieure à celle de l'Allemagne. Le 2 juillet dernier, la Commission européenne a revu ses prévisions à la hausse pour la zone euro. Elle estime désormais que la croissance annuelle dépassera le taux de 1,7% contenu dans ses prévisions de printemps.

En France, le Gouvernement a fait preuve de prudence en maintenant sa prévision initiale de 1,7 %. Ce chiffre devrait cependant être dépassé si l'on en croit l'INSEE, qui prévoit une croissance de 2,3 % dans sa note de conjoncture de juin 2004, ou bien le dernier consensus des conjoncturistes qui s'établit à 2,1%.

La consommation des ménages a permis à la France d'échapper à la récession en 2003 et devrait s'accélérer en 2004 et 2005. Elle constitue le moteur essentiel de la reprise de l'activité et vous avez raison, monsieur le ministre d'Etat, de vouloir la soutenir sans attendre, ainsi que l'investissement, grâce à des mesures ciblées, lisibles et temporaires.

Vous présenterez un projet de loi en ce sens au Sénat le 15 juillet prochain et le groupe UMP sera à vos côtés avec détermination.

Nous ne devons cependant pas perdre de vue que la conjoncture française reste largement tributaire de la conjoncture internationale. La convergence entre les cycles économiques des Etats membres de l'Union européenne a même tendance à se renforcer, du fait de l'intégration du marché des produits, du marché financier et de la politique macro-économique.

La prudence s'impose donc pour 2005, compte tenu des nombreuses incertitudes touchant à la vigueur et à la durée de la reprise mondiale, après l'élection américaine du 2 novembre 2004. Les dernières statistiques des Etats-Unis sont pour le moins contradictoires. Sans constituer une « douche froide », elles sont comme des « piqûres de rappel à la prudence » en matière de prévision économique.

L'aléa sur le taux de change de l'euro doit également être considéré, même s'il semble plutôt à la baisse.

L'évolution du prix du pétrole constitue également un aléa important, d'autant que la situation politique au Moyen-Orient est loin d'être stabilisée.

Il existe, enfin, un risque réel de voir les taux d'intérêt à long terme augmenter dans les prochains mois, avec un effet négatif sur la croissance en général et certains secteurs en particulier. Je souhaiterais notamment connaître votre analyse, monsieur le ministre d'Etat, au sujet de l'évolution des prix de l'immobilier. Ce sujet concerne de nombreux Français qui ont du mal à trouver un logement et doivent beaucoup s'endetter pour en faire l'acquisition. Ne pensez-vous pas qu'il existe là un risque économique majeur en cas de remontée des taux d'intérêt ?

Tous ces aléas doivent donc nous inciter à la prudence, non seulement pour 2005, mais aussi pour les années suivantes.

Je tiens à cet égard à saluer la volonté de M. le rapporteur général d'appliquer le « principe de précaution » à la discussion budgétaire. Faire reposer les évaluations de recettes sur une prévision de croissance conservatrice, comme l'a fait le Gouvernement pour 2004, me semble une idée très intéressante. Mieux vaut en effet de bonnes surprises et des surplus budgétaires que des annulations de crédits, d'autant que ces dernières ont tendance à pénaliser les investissements les plus utiles à la nation, en raison d'une trop grande rigidité du budget de l'Etat et d'une trop faible marge de manoeuvre du pouvoir politique.

Si la situation française est plutôt favorable en matière de croissance, elle l'est nettement moins en matière d'endettement. Ce deuxième point cardinal se révèle en effet être un véritable « point noir ».

Depuis presque trente ans, la France n'a pas connu d'équilibre budgétaire, avec pour conséquence une augmentation considérable de l'endettement. Ce déficit budgétaire chronique est d'autant plus inquiétant qu'il apparaît largement structurel en France, à la différence des autres pays de la zone euro. II y a là une « exception française » dont nous n'avons aucune raison d'être fiers car elle entrave fortement la capacité d'initiative des pouvoirs publics.

Cette tendance lourde s'est accentuée lorsque l'actuelle opposition parlementaire était au pouvoir, comme le souligne le rapport de Philippe Marini. Nous payons en particulier l'absence de réforme structurelle, la réduction insuffisante des déficits publics et l'augmentation des dépenses pérennes sous la précédente législature, malgré une conjoncture favorable.

Entre 1999 et 2001, la dette publique a progressé en France plus de deux fois plus vite que dans les autres pays européens.

Notre pays s'est ainsi trouvé pris au piège d'une spirale de l'endettement qui l'a mécaniquement amené à dépasser les deux caps symboliques que sont le seuil de 60 % du PIB et le seuil de 1 000 milliards d'euros d'endettement.

Un tel niveau d'endettement justifie la prudence pour 2005, car l'évolution de la charge de la dette pourrait être particulièrement dynamique en cas de remontée des taux d'intérêt.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !

M. Xavier de Villepin. Selon les calculs de la commission des finances, une remontée d'un point aurait un impact de 1,1 milliard d'euros au bout d'un an, de 2,3 milliards d'euros la deuxième année et de 10 milliards d'euros à long terme. Cela pourrait ruiner une grande partie des efforts de maîtrise des dépenses entrepris ces deux dernières années.

Le groupe de l'UMP approuve donc pleinement la priorité donnée à la réduction de la dette publique. Comme le souligne le Gouvernement dans son rapport, ce n'est pas seulement une question macroéconomique, c'est aussi une question d'équité intergénérationnelle.

Si nous n'agissons pas aujourd'hui, nos enfants et nos petits-enfants ne pourront faire face à la charge de l'endettement qu'en augmentant les prélèvements obligatoires ou en remettant en cause les régimes sociaux. Nous avons le devoir de leur offrir un autre avenir.

Mais, pour réduire la dette, nous devons maîtriser durablement la dépense publique.

Ce troisième point cardinal constitue peut-être le plus sensible, tant est forte ce que M. le rapporteur général appelle « la préférence collective pour les dépenses publiques » et que son homologue de l'Assemblée nationale qualifie de « culture du déficit ».

Depuis plus de vingt ans, l'Etat dépense chaque année entre 10 % et 20 % de plus que les recettes qu'il perçoit.

La part des dépenses publiques dans le PIB a progressé de 20 % en vingt-cinq ans et atteint 54,7 % en 2003. Cette évolution s'est accentuée entre 1997 et 2002 en raison d'une nette augmentation de dépenses pérennes et non financées.

Là encore, la situation de notre pays apparaît atypique. En moyenne, le niveau des dépenses publiques y est supérieur de quatre à six points de PIB par rapport aux autres pays de l'Union européenne. L'écart s'est creusé de près de deux points entre 1996 et 2003.

Cette « exception française » en matière de dépense publique constitue un handicap pour notre pays dans la concurrence internationale.

Elle apparaît d'autant plus inquiétante qu'elle s'accompagne d'une augmentation des dépenses obligatoires et en particulier du poids des dépenses de personnel. La rigidité croissante de la dépense publique réduit chaque année un peu plus les marges de manoeuvre de l'Etat.

Celui-ci doit se donner les moyens de financer ses priorités. La sécurité et la défense des intérêts de la France s'imposent à tous, tous les ans, au-delà des difficultés du moment. Je souhaite en particulier que la loi de programmation militaire soit respectée.

Là encore, nous devons observer le monde qui nous entoure. Nous devons constater son instabilité et en tirer les conséquences. Cela nous impose de faire des choix budgétaires. Tout ne peut pas être prioritaire.

Pour assurer ses missions essentielles, l'Etat doit procéder à des redéploiements de crédits, en privilégiant les dépenses d'investissement sur les dépenses de fonctionnement. Nous approuvons à cet égard la volonté du Gouvernement d'accentuer la politique de réduction des effectifs de la fonction publique.

Le quatrième point cardinal est celui de la fiscalité.

Là encore, la France se singularise avec un taux de prélèvements obligatoires représentant 43,6 % du PIB, qui la place désormais très près des pays scandinaves.

Malgré la diminution observée en 2002, notre pays reste l'un de ceux où le poids de la fiscalité est le plus important.

Dans son rapport, notre collègue Philippe Marini évoque plusieurs pistes de réforme, notamment le rapprochement entre l'impôt sur le revenu et la CSG, la suppression des niches fiscales en échange d'une baisse du barème et, surtout, la mise en place d'une « TVA sociale ».

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !

M. Xavier de Villepin. Cette TVA sociale consiste à financer la protection sociale par l'impôt sur la consommation, et non plus par les charges sociales, ce qui permettrait de faire baisser les coûts de production et de lutter contre les délocalisations.

C'est une idée intéressante dont il convient d'étudier les incidences, là encore dans un cadre européen. Dans ce domaine comme en d'autres, la France n'a pas intérêt à agir de manière isolée.

La prise en compte de la dimension européenne est d'autant plus nécessaire que les nouveaux Etats membres de l'Union bénéficient d'une fiscalité très attractive, notamment sur les entreprises. La menace d'un « dumping fiscal » est aujourd'hui bien réelle. Elle impose une plus grande harmonisation des pratiques fiscales.

L'initiative franco-allemande de mai dernier va dans ce sens et pourrait conduire à la mise en place d'une coopération renforcée et ouvrir la voie à un véritable gouvernement économique européen.

Monsieur le ministre d'Etat, j'approuve également votre proposition de rénovation du Pacte de stabilité et de désignation du président de l'Eurogroupe pour deux ans et demi.

Ces initiatives s'inscrivent dans la même démarche : elles sont à la fois pragmatiques et volontaristes, et illustrent la volonté de la France de jouer un rôle moteur au niveau européen.

En conclusion, mes chers collègues, il existe bien une « exception française » en matière économique et budgétaire, mais il n'y a pas de « fatalité française ».

L'Etat n'est pas condamné par nature ou par culture à dépenser trop, emprunter encore, prélever toujours plus.

L'action menée par le Gouvernement depuis deux ans intervient dans un contexte difficile mais commence à porter ses fruits. Il doit garder le cap fixé par le Président de la République et adapter notre pays aux réalités de son temps, au monde qui l'entoure.

Nos compatriotes nous en font peut-être grief aujourd'hui mais nous en seront reconnaissants demain.

Nous savons que l'histoire n'attend pas. L'exception française, ce n'est pas un droit à la différence, c'est un devoir d'excellence. La France doit s'adapter non par dépit mais par ambition.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !

M. Xavier de Villepin. Convergence budgétaire, harmonisation fiscale, gouvernance économique sont autant de chantiers communs pour une France plus forte dans une Europe plus puissante. Tel est le sens de la politique conduite par le Gouvernement sur le plan national comme sur le plan européen. Et c'est cette politique que le groupe de l'UMP soutiendra avec la plus grande détermination, pour la France et pour l'avenir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Comment peut-on vous croire ? Vous avez parlé ce matin des gouvernements successifs, mais dans certains, nombre d'entre vous ont eu des responsabilités et ont échoué. Or aujourd'hui, vous voulez aller encore un peu plus loin.

Effectuons, dans un premier temps, une petite marche arrière, voyons ce qui s'est passé depuis 2002.

Il faut dresser le bilan de deux ans d'une politique qui a multiplié les cadeaux aux plus riches, abandonné le soutien à l'emploi, accentué l'injustice fiscale, paupérisé l'Etat et réduit les moyens de la solidarité nationale.

Si d'aucuns, dans la majorité, se plaignent, à l'image des propos que nous avons entendus ce matin, ou font mine de se plaindre de la progression des dépenses sociales, comment ne pas y voir la conséquence de la politique menée depuis deux ans ? En effet, le ralentissement de l'activité économique, les avantages fiscaux accordés sans obligation de résultat en termes de croissance et d'emploi n'ont pu que générer ces dépenses d'intervention sociale.

Et cela continue, comme le montrent à l'envi le projet de loi sur la décentralisation ou le plan dit « de cohésion sociale ».

Nous continuons de penser qu'il s'agit de contraindre les collectivités locales à assumer, en lieu et place des entreprises, la charge de la réparation des dégâts causés par un libéralisme économique jouissant de plus en plus de liberté, sans entrave excessive du point de vue tant fiscal que juridique. Le texte que nous examinerons la semaine prochaine et qui est prétendument destiné à soutenir la consommation et l'investissement, en est une illustration parmi d'autres. Dès lors, l'on peut se demander quelle réponse le Gouvernement entend apporter à la triple sanction électorale qu'il a subie.

Là où on pouvait s'attendre, enfin, à un peu de sagesse et de retenue, voilà qu'au contraire, tirant parti d'un calendrier électoral en apparence dégagé, on en rajoute dans le libéralisme forcené en créant les conditions non seulement de la privatisation d'Electricité de France ou du démantèlement des services publics, qui, comme nous le savons tous, sont utiles à la population, mais aussi de la mise en cause des solidarités collectives dans l'application de la réforme des retraites ou du projet de loi sur l'assurance maladie.

Pour en revenir brièvement au plan de cohésion sociale, comment ne pas souligner ici qu'il s'inscrit, outre le fait qu'il réduit la dépense publique pour l'emploi des publics dits prioritaires - je pense, notamment, aux jeunes et aux chômeurs de longue durée - dans cette course effrénée à la mise en cause des garanties du monde du travail et des salariés ?

S'agissant de l'emploi, 1,1 milliard d'euros est annoncé là où, par exemple, 1,6 milliard d'euros était consacré aux emplois-jeunes et 1,3 milliard d'euros aux contrats aidés en 2004. Une fois encore, c'est au travers de contrats dérogatoires au droit commun, véritables emplois au petit pied, que l'on prétend résoudre les difficultés.

Et, pendant ce temps, les finances publiques ne sont pas en meilleure santé. Malgré un petit plus de croissance en mai, le déficit budgétaire est de 43 milliards d'euros, c'est-à-dire pas loin du niveau que nous avions atteint l'an dernier à la même époque.

Dès lors, il est permis de se demander quelles solutions et quelles pistes seront explorées pour répondre à ces interrogations.

Certains commencent à penser -je l'ai encore entendu ce matin - qu'il est temps de faire une pause dans le domaine des baisses d'impôts, ce qui d'ailleurs nous donne raison, mais il semble bien que l'on ne soit pas encore au bout de nos surprises en la matière. En effet, les comptes sont si dégradés que d'aucuns s'alarment de l'accroissement de la dette, qui frise les 800 milliards d'euros pour l'Etat, comme de celui du déficit, et l'on nous annonce encore de nouvelles mesures fiscales.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Que faut-il faire? J'attends avec impatience vos suggestions.

M. Thierry Foucaud. Laissez-moi terminer, monsieur le rapporteur général, vous qui paraissez toujours détenir la vérité !

S'agissant de l'impôt sur le revenu, je le disais à l'instant, le Gouvernement semble en revenir, rejoignant en cela les propositions de la gauche, et du groupe CRC en particulier, car il voit bien qu'il va droit dans le mur !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. A quel niveau la dette s'élève-t-elle ?

M. Thierry Foucaud. Le texte portant sur le soutien à la consommation et à l'investissement en donne déjà quelques aperçus: nouveaux cadeaux pour les généreux donateurs - je ne parle évidemment pas ici des petits commerçants ni des PME - ; nouvelles incitations au gaspillage de l'épargne sur les marchés financiers : telles sont les orientations budgétaires pour 2005.

Bien sûr, nous ne pouvons qu'approuver la réduction des déficits, même si nous avons pu constater que celle-ci ne diminuait en rien les inégalités sociales.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Il faut augmenter les impôts et les prélèvements obligatoires !

M. Thierry Foucaud. Or, ce que nous voulons avant tout, c'est la réduction des inégalités sociales.

Nous, parlementaires du groupe communiste républicain et citoyen, pensons qu'il eût mieux valu non seulement baisser l'impôt sur le revenu des salariés et des retraités, réduire le taux normal de la TVA - véritable frein à l'investissement - mais aussi stopper l'explosion de la fiscalité pétrolière, car la consommation des ménages passe par un meilleur pouvoir d'achat.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Si l'on vous suit, monsieur Foucaud, quels impôts pourront-ils être augmentés ?

M. Robert Bret. Cela favoriserait la croissance !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il faut aussi produire !

M. Thierry Foucaud. Au lieu de cela, vous continuez de pousser tous les feux : remise en question de l'impôt de solidarité sur la fortune ; volonté de faire disparaître ce que l'on appelle les « entraves fiscales » à l'embauche et à l'activité ; chasse ouverte contre la taxe professionnelle, etc.

A ce sujet, qu'attendez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, pour mettre en oeuvre une réforme de la taxe professionnelle permettant de taxer les actifs financiers ?

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat. Quel travail !

M. Thierry Foucaud. Mais cela serait sans doute contraire aux orientations que vous prenez, laisser l'argent faire de l'argent et ne pas permettre que cet argent aille à la production, à l'emploi et donc à la croissance.

On préfère pleurer sur les 2,6 milliards d'euros que rapporte l'ISF que sur la double imposition du revenu salarial que constitue la TVA !

Or, dans ce contexte, que nous propose-t-on ? Tout simplement, de poursuivre la baisse des prélèvements dits obligatoires, alors même qu'ils constituent aujourd'hui la réponse publique aux désordres créés par le libéralisme économique.

Les prélèvements obligatoires, ce n'est pas une affaire de taux. C'est la réponse à deux questions : qui paie et pour quoi ?

Demain, nous le savons, notre pays manquera d'argent pour financer la recherche, répondre aux attentes sociales, développer les équipements publics ! Même les missions dites régaliennes de police, de justice, de défense nationale ne pourront plus être assurées à hauteur des besoins. Le discours sur la France d'en bas est bien loin. !

Les perspectives pour 2005, comme pour les années à venir, ne changent rien aux choix opérés. Le Gouvernement poursuit sa politique fiscale inégalitaire, injuste et finalement incomprise de nos concitoyens.

Je citerai l'économiste Thomas Piketty.

M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est un économiste à thèse !

M. Thierry Foucaud. « L'impôt sur le revenu n'a pas simplement pour effet de réduire de façon immédiate et mécanique les disparités présentes de niveaux de vie. L'impôt sur le revenu a également un impact plus complexe sur les inégalités, dont les effets ne se font pleinement sentir qu'au bout d'un certain nombre d'années : en comprimant la hiérarchie des revenus disponibles, l'impôt progressif modifie structurellement les capacités d'épargne et d'accumulation des uns et des autres, et il conduit donc à réduire les inégalités patrimoniales futures et, par conséquent, l'inégalité future des revenus avant impôt. »

La même remarque vaut pour ce qui est annoncé concernant l'assurance maladie ou pour ce qui est déjà appliqué en matière de retraites. Le « tout pour la finance », qui tient lieu de viatique au Gouvernement actuel, a un corollaire, le « tout sauf la solidarité » !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Quelle caricature !

M. Robert Bret. C'est la réalité !

M. Thierry Foucaud. Et, dans le même temps que nous débattons des orientations budgétaires, voici que l'on s'attaque encore au code du travail et singulièrement à la réduction du temps de travail, responsable de bien des maux, si l'on en croit le MEDEF, le Gouvernement et certains sénateurs, notamment vous, monsieur le rapporteur général.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Le MEDEF n'est pas très volontaire en la matière ; il est plutôt conservateur.

M. Thierry Foucaud. La remise en cause de la réduction du temps de travail, la liberté plus grande encore laissée aux entreprises d'avoir recours aux heures supplémentaires pour traiter le travail humain comme une marchandise à flux tendu, permettrait de dégager encore des marges de manoeuvre financières pour les entreprises sans l'emploi et sa croissance réelle.

Cela dit, cette politique - cela a été rappelé tout à l'heure - est aussi induite par l'actuelle construction européenne et les objectifs du pacte de stabilité.

Là encore, à l'instar de certains de mes collègues de l'Assemblée nationale, je ne puis manquer de citer les remarques pertinentes de Thomas Piketty.

« Que l'on ne s'y trompe pas : cette question fiscale est tout sauf une question technique. Sans impôts, il ne peut exister de destin commun et de capacité collective à agir. De fait, toutes les grandes avancées institutionnelles ont toujours mis en jeu une révolution fiscale. La nouvelle Bastille à prendre s'appelle le dumping fiscal et elle est la conséquence implacable d'une intégration économique poussée sans intégration politique. Les gouvernements européens sont enferrés depuis vingt ans dans une course-poursuite sans fin où chaque pays chercher à attirer vers lui les facteurs de production les plus mobiles en les détaxant sans cesse davantage. Il s 'agit évidemment d'un jeu à somme nulle, ou plutôt négative, car la surtaxation des facteurs qui en résulte, pèse lourdement sur l'emploi et les salaires ».

C'est bien de cela qu'il s'agit. La construction européenne, telle qu'elle est pensée, conçue, voire aujourd'hui constitutionnalisée au travers du projet de M. Giscard d'Estaing, est la déclinaison libérale forcenée de principes qui créeront à l'avenir, s'ils viennent à être appliqués, discriminations, tensions sociales et économiques, inégalités, insécurité et in fine exercice aveugle et inutilement répressif de l'action publique.

Or que voit-on cette année, dans le cadre de ces orientations budgétaires ? Nous constatons les mêmes choix qui ont conduit aux mêmes résultats en termes de croissance et d'emploi. Notre pays compte 10% de chômeurs ! Moins de fonctionnaires sur le compte de l'Etat, avant le grand délestage lié à la mise en pratique de la décentralisation, soit 130 000 emplois transférés aux collectivités locales ; gel des crédits publics en matière d'intervention sociale ou économique, voire économies au travers des redéploiements ; déstructuration des dépenses d'équipement au travers, notamment, de la dilution des dépenses du ministère de l'équipement et du logement en direction des collectivités locales : tout conduit, dans les orientations budgétaires à l'oeuvre, à asservir toujours un peu plus la politique publique aux seules contraintes imposées par les marchés financiers, c'est-à-dire le règlement de la dette.

Nous sommes arrivés - cela figure dans le rapport d'orientation - à une situation où le service de la dette publique consomme près de 80 % du produit de l'impôt sur le revenu.

On devrait cependant, en toute honnêteté, ajouter que l'impôt sur le revenu étant sans cesse « mité » par les dépenses fiscales les plus diverses et les cadeaux aux plus aisés, il couvre d'autant moins le service de la dette publique. On ne doit pas dire une fois encore que les déficits publics procurent bien des bénéfices privés.

Parlementaires du groupe communiste républicain et citoyen, nous sommes, depuis 2002, au premier rang de ceux qui mettent en question, avec force arguments, les choix budgétaires qui sont ceux de ce Gouvernement.

Nous le faisons non pas par esprit de système, ni par a priori idéologique, mais parce que ces choix ne correspondent pas aux attentes du pays - sinon cela se verrait dans les urnes -et parce que cela impose sacrifices et souffrances supplémentaires à ceux qui en font et en vivent déjà beaucoup.

Les salariés les plus modestes, les retraités, les jeunes, les femmes désireuses de reprendre une activité professionnelle, les demandeurs de logement sont au premier rang des victimes de ces choix budgétaires contraires à l'intérêt national et aux attentes, choix que nous nous combattrons, comme il se doit, le moment venu. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie tous les intervenants de la qualité de leur contribution.

Me tournant d'abord vers M. Arthuis, président de la commission des finances, je lui dirai que nous devons conforter la croissance de notre pays, et, pour ce faire, rassurer nos concitoyens qui sont à juste titre inquiets du niveau atteint par les déficits publics.

Comme vous l'avez résolument indiqué, monsieur le président le la commission des finances, notre stratégie consiste à maîtriser nos dépenses dans la durée. Nous nous situons à plus de six points du PIB au-delà de la moyenne de la zone euro en ce qui concerne nos dépenses publiques. Cette différence est un peu incompréhensible, vous l'avez indiqué, alors que nous partageons avec ces pays un même modèle de société et un niveau proche en matière de services publics.

Certes, l'on peut faire des rêves un peu fous, et si nous ramenions cette différence à la moyenne de la zone euro, donc si nous réduisions nos dépenses de six points du PIB, nous pourrions à la fois effacer notre déficit et -mais le groupe communiste ne l'accepterait peut-être pas - supprimer l'impôt sur le revenu. Autrement dit, la marge existe réellement.

En résumé, c'est la raison pour laquelle nous avons décidé de stabiliser les dépenses de l'Etat en volume sur la durée de la législature et pour y parvenir le Gouvernement conduit la réforme majeure de l'assurance maladie et a conduit celle des retraites. C'est à ce prix que nous retrouverons des marges de manoeuvre pour des besoins nouveaux ou, comme vous l'avez indiqué, pour des réductions d'impôts.

Vous avez évoqué, à juste titre, monsieur le président de la commission des finances, l'affectation des surplus de recettes à la réduction des déficits. Il s'agit, c'est vrai, d'un engagement que nous avons pris, pour le court terme, devant nos partenaires, dans une situation de déficit très dégradée.

La règle, dans ce domaine, est difficile à déterminer. Il nous semble que, dans la durée, une règle des deux tiers-un tiers, deux tiers affectés aux remboursement et un tiers aux investissements, constituerait déjà un progrès très réel et une démarche tout à fait réaliste.

Mais, à court terme, monsieur Arthuis, et Nicolas Sarkozy et moi-même sommes d'accord avec vous, tant que notre déficit n'a pas été réduit de manière significative, nous ne pouvons pas laisser croire que des marges de manoeuvre existent pour de nouvelles dépenses. L'hypothèse que je faisais à l'instant ne serait vérifiée que si la croissance était plus forte que prévu et si la France était en excédent, et non en déficit. C'est dans ce cas, et dans ce cas seulement, que nous pourrions consacrer une partie du surplus des recettes à des dépenses d'avenir. Voilà une règle que nous partageons.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Tout à fait d'accord !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat. Monsieur le président de la commission des finances, je vous remercie d'avoir également évoqué la LOLF. Vous avez indiqué que nous étions quasiment d'accord - bien que Philippe Marini ait témoigné quelques réticences - sur son organisation. A mon avis, la LOLF est, pour le Parlement, un bon instrument de contrôle des politiques de l'Etat. Il existera un niveau opérationnel. Chaque commission, et pas seulement la commission des finances, pourra suivre et estimer le succès, plus ou moins grand, des politiques dont elle a la responsabilité technique. Plus globalement, tous les parlementaires et, à travers eux, tous les Français connaîtront les comptes de la maison France, comme un actionnaire connaît ceux d'une entreprise. Une annexe explicative sera disponible, et chacun pourra vérifier le coût des politiques publiques. Je vous remercie du soutien que vous nous apportez dans ce domaine.

Monsieur le rapporteur général, vous avez évoqué, comme M. Xavier de Villepin, la TVA sociale, qui est un sujet intéressant. Vous avez d'ailleurs reconnu vous-même que sa mise en oeuvre présente des difficultés pratiques et sectorielles, fait peser un risque sur l'inflation, à travers l'indexation des salaires, et que nous pourrions perdre le bénéfice de cette mesure en termes de compétitivité. Cette piste doit continuer à être étudiée, tout en faisant preuve - vous l'avez dit - d'une certaine prudence.

Vous avez également évoqué le respect de l'autorisation parlementaire. En tant que secrétaire d'Etat au budget, je suis naturellement très sensible aux termes très forts que vous avez utilisés. Il n'y a en effet qu'un seul budget, celui de la nation. Nous devons effectivement être capable de prendre collectivement des mesures pour financer les besoins nouveaux et les aléas de gestion.

C'est la raison pour laquelle, et la commission des finances en est informée, nous mettons en oeuvre de manière résolue des réserves de précaution, que nous souhaitons fixer cette année à un niveau significatif pour éviter tout problème de gestion.

Vous avez évoqué, comme M. Adnot, le problème de la dette. Nous avons le devoir absolu d'enrayer la hausse de la dette, ce qui passe d'abord par sa stabilisation. C'est l'objectif que nous nous fixons pour 2006. Mais, au-delà de l'aspect financier, la dette a une dimension politique. Les Français sont lucides et comprennent bien que la dette devra un jour être remboursée. Comme nos compatriotes ont peur de cette dette, ils épargnent, au lieu de consommer comme ils le pourraient. La dette freine la croissance car elle est à la fois la cause et la conséquence des déficits. Je vous remercie de l'appui que vous nous apportez et auquel M. le ministre d'Etat a été extrêmement sensible, comme il a été très sensible au soutien exprimé par M. le président de la commission des finances.

Monsieur de Montesquiou, vous avez souhaité que le Gouvernement s'appuie sur des hypothèses assez prudentes en matière de croissance.

Pour 2004, MM. Francis Mer et Alain Lambert avaient prudemment retenu le chiffre de 1,7 %. Aujourd'hui, nous pouvons nous en féliciter, même si l'INSEE prévoit un meilleur indice ; nous verrons bien. J'ai dit à M. le président de la commission des finances et à M. le rapporteur général ce que nous pourrions faire d'éventuelles recettes supplémentaires.

Pour 2005, vous avez raison de nous inciter à la prudence s'agissant de la prévision de croissance et, de ce fait, des prévisions de recettes. Il est en effet un peu tôt pour se prononcer sur le niveau de la croissance. Les instituts de conjoncture évoquent le chiffre de 2,5 %. Mais nous observons ce qui se passe aux Etats-Unis, la hausse des taux d'intérêt, la situation économique de l'Allemagne, qui ne s'améliore pas et présente même certains signes de ralentissement. Nous devons donc prendre tout notre temps pour arrêter l'hypothèse de croissance. Nous le ferons en septembre ...

M. Philippe Marini, rapporteur général. Il faut le faire avec prudence !

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat. Tout à fait ! Car si nos prévisions étaient trop optimistes, nous risquerions de nous retrouver devant la difficulté que nous avons rencontrée lors d'une précédente loi de finances.

Par ailleurs, monsieur de Montesquiou, la prudence, c'est aussi continuer à constituer des réserves de précaution en ce qui concerne les dépenses. S'agissant des recettes, comme je l'ai dit à M. le président de la commission des finances, il faut indiquer à l'avance les modalités d'affectation de plus-values éventuelles. C''est de bonne politique vis-à-vis du Parlement.

Monsieur Adnot, vous avez évoqué la qualité de la dépense publique. Selon vous, quand la ressource est rare, il faut être d'autant plus exigeant sur l'allocation des ressources collectives. En effet, il s'agit, à mes yeux, de notre responsabilité à l'égard des Français. Sous le contrôle de la commission des finances, la LOLF est un instrument qui doit nous y aider.

S'agissant de la LOLF et de son application, en particulier de la forte implication du Sénat pour nous aider à la mettre en oeuvre avec succès, nous pouvons être optimiste, car nous disposons d'un outil qui nous permettra de nous moderniser profondément.

Par ailleurs, Monsieur. Adnot, le Sénat, grande maison des collectivités locales, est le meilleur lieu pour mener une réflexion sur les aides de l'Etat aux collectivités locales dans le cadre de l'intercommunalité. Nous sommes tous partisans de l'intercommunalité, qu'il s'agisse des syndicats intercommunaux, des communautés de communes ou des communautés d'agglomération, de toutes les formes de coopération intercommunale. Cependant, les effets d'aubaine résultant parfois de la mise en place des outils de l'intercommunalité ne sont pas toujours compatibles avec une bonne gestion des finances publiques. Le Gouvernement ne verrait donc que des avantages à ce que le Sénat réfléchisse sur tous ces points. Je sais, monsieur le président, que ce n'est pas chose facile ! Nous sommes tous partisans de l'intercommunalité de projets, moins de l'intercommunalité d'aubaine. D'autant que ce qui est au départ une aubaine devient très vite une difficulté. En effet, un jour, l'Etat diminue ses concours et les problèmes de l'intercommunalité subsistent. Une réflexion politique dans ce domaine serait donc très utile.

Monsieur Miquel, vous avez fait un diagnostic étrange. Vous avez parlé d'austérité alors que nous venons de relever le SMIC de plus de 5 % - c'est historique ! Vous avez également évoqué une croissance faible. Or, 0,8 % au premier trimestre, c'est plus que la totalité de la croissance de l'an dernier. Quant aux 2,3 % avancés par l'INSEE, ce qui n'est pas rien, même s'il ne s'agit que d'une prévision.

Vous avez douté de la solidité de la consommation. Ce point, certes, peut être discuté. Le Gouvernement entend conforter la consommation. Aussi, j'espère que vous soutiendrez le projet de loi que M Sarkozy présentera prochainement pour améliorer les conditions de la consommation et de l'investissement.

Vous avez évoqué les déficits et les dérapages des dépenses publiques. Monsieur Miquel, soit vous manquez de mémoire, soit vous n'avez pas souhaité l'exercer ce matin. En effet, tout a commencé en 1981. Au cours de la première période de la gestion socialiste, de 1981 à 1986, les dépenses publiques ont doublé. C'est à partir de là qu'ont commencé les difficultés de notre pays.

Enfin, vous avez évoqué le rapport de la Cour des comptes sur l'exécution du budget 2003. La Cour a eu raison de s'inquiéter du niveau des déficits, et le Gouvernement partage son diagnostic. Mais vous avez omis de mentionner que, comme cela figure dans ce rapport, pendant la période de forte croissance de la fin des années quatre-vingt-dix, lorsque M. Jospin était Premier ministre, rien n'a été fait pour assainir les comptes publics. Au contraire, le gouvernement de l'époque a embauché à tire-larigot dans la fonction publique d'Etat ; les plus-values de recettes n'ont pas été utilisées pour redresser les comptes ; vous avez masqué une dégradation structurelle des comptes publics. C'était vraiment une mauvaise politique !

Les propos de M. Badré, auxquels le Gouvernement souscrit, ont été différents.

Monsieur Badré, vous avez évoqué cinq règles, que le Gouvernement applique de manière très volontaire. Nous souhaitons d'ailleurs que tous les gouvernements puissent les mettre en oeuvre, car elles sont la condition de la soutenabilité de nos finances publiques et elles relèvent du bon sens.

Cependant, comme l'a très bien indiqué M. Sarkozy, ces règles n'ont d'intérêt que si nous les Européens, nous nous les appliquons collectivement et donc si elles ne restent pas franco-françaises : c'est tout le débat qu'a ouvert M. le ministre d'Etat sur l'ambition de l'Eurogroupe, sur sa gouvernance et sur l'initiative qui pourrait être prise dans ce domaine.

Vous avez également appelé de vos voeux, monsieur le sénateur, une certaine forme de reprise économique. Nous observons beaucoup ce qui se passe dans tous les pays européens. En France, si la consommation a tenu - M. Sarkozy l'a rappelé -, le Gouvernement doit agir pour la renforcer. Nous avons peut-être encore des faiblesses en matière d'investissement, même si les prévisions de nos entreprises sont bonnes. Par ailleurs, nos exportations n'ont pas tout à fait le niveau que nous souhaiterions.

Notre difficulté est donc de nature européenne : la zone euro est à la traîne, ce qui pose, naturellement, le problème de la compétitivité globale de l'Europe, et donc, comme l'a rappelé M. Sarkozy, le problème de la gouvernance.

Ce matin, M. Schäuble, le vice-président du groupe parlementaire CDU-CSU, qui est un homme d'Etat de très grande qualité, m'a fait part de ses craintes sur l'évolution structurelle de l'économie de la République fédérale d'Allemagne, sur les difficultés qu'elle rencontre pour sortir d'une période de stagnation économique et sur les problèmes que cela posera, à terme, à l'ensemble de la zone euro si elles ne sont pas surmontées. Vous avez pu lire hier dans la presse que les industriels allemands interrogés se posaient de nombreuses questions sur l'avenir de l'économie de leur pays. Le pessimisme est donc encore très grand dans ce pays, qui est notre premier partenaire commercial.

Vous avez raison, monsieur Badré, d'évoquer l'expérience canadienne, qui est passionnante. En 1993, le déficit représentait 6 % du PIB. Par une procédure très ambitieuse et originale, visant à réexaminer de manière systématique l'opportunité de toutes les dépenses publiques, le déficit a été résorbé en seulement trois ans - excusez du peu ! Cette année, le Canada connaît son huitième exercice budgétaire excédentaire. Les Canadiens y sont tellement habitués que, lors les récentes élections fédérales, il n'y a pas eu de débat à ce sujet. Il s'agit, pour les grandes formations politiques canadiennes, d'un acquis collectif.

Cette expérience canadienne, au-delà du courage politique qui l'a marquée, montre tout l'intérêt d'une refonte des outils budgétaires et, là encore, des perspectives que peut nous offrir la LOLF.

Monsieur Xavier de Villepin, vous avez posé un diagnostic sans complaisance. Comment ne pas vouloir échapper à l'exception française, que vous avez si bien décrite, de la culture du déficit ? Le ministre d'Etat et moi-même partageons votre analyse sur le refus de toute facilité et de toute fatalité. Nous sommes donc d'accord avec vous pour mettre en oeuvre une maîtrise durable de la dépense publique, pour accompagner la croissance en faveur de l'emploi et naturellement, comme vous l'avez indiqué avec votre expérience internationale, pour harmoniser - et plus que cela encore - les politiques budgétaires européennes. Je vous remercie de votre soutien.

Monsieur Foucaud, vous avez tenu un langage fort pessimiste. Compte tenu des mauvaises politiques dont vous nous gratifiez, comment expliquer le retour de la croissance ? A quoi attribuez-vous le fait que le chômage se stabilise et va diminuer dans les mois prochains ? A quoi attribuez-vous la remontée de la croissance et la confiance des investisseurs internationaux dans la France ? Je n'ai pas reconnu mon pays dans la description que vous en avez faite.

S'agissant de la croissance, vous indiquez qu'il faut soutenir la consommation des ménages et le pouvoir d'achat. Je vous rappelle tout de même que, compte tenu de la revalorisation du SMIC qui vient d'avoir lieu, nous avons accru le pouvoir d'achat des personnes les plus modestes de 11 % en trois ans. C'est beaucoup plus que jamais auparavant. En 1968, l'augmentation du SMIC était de 25 %, mais l'inflation était aux alentours de 14 %. Nous avons donc réalisé une augmentation historique des bas salaires, ce qui entraîne un accroissement du pouvoir d'achat des ménages. En tout cas, monsieur Foucaud, lorsque les communistes étaient dans le gouvernement de M. Jospin, à aucun moment une telle politique n'a été menée. Si vous reconnaissez cette augmentation de la consommation des ménages et du pouvoir d'achat, cela signifie que, d'une certaine manière, vous soutenez la politique de Jean-Pierre Raffarin, ou alors je vous ai mal compris. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Je constate que le débat est clos.

Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le n° 411 et distribuée.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.