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RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, je souhaite revenir sur nos conditions de travail. (M. Alain Gournac, rapporteur, s'exclame.) Monsieur Gournac, je me dois de soulever les problèmes qui doivent être posés, tout en restant objectif, comme toujours.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement, sur ce texte important, nous force à travailler à un rythme soutenu, rythme que nous avons déjà connu la semaine dernière lors de l'examen du projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Ainsi, à chaque suspension de séance, nous sommes contraints d'étudier les amendements avant de devoir regagner l'hémicycle pour la reprise de la séance. Monsieur le président de la commission, ce sera le cas ce soir, demain à l'heure du déjeuner,...

M. Alain Gournac, rapporteur. Et demain matin !

M. Jean-Pierre Godefroy. Absolument !

De telles conditions de travail ne me semblent pas tout à fait normales.

M. le président. Monsieur Godefroy, je vous donne acte de votre rappel au règlement.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Adrien Gouteyron.)

PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de programmation pour la cohésion sociale
Discussion générale (suite)

Cohésion sociale

Suite de la discussion d'un projet de loi

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de programmation pour la cohésion sociale
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, complété par une lettre rectificative.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Gisèle Printz.

Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est dans un environnement économique incertain et un contexte social calamiteux que le Gouvernement présente aujourd'hui un projet de loi qui constitue un virage à 180 degrés et, donc, un aveu d'échec par rapport à la politique sociale menée depuis 2002 par le précédent ministre des affaires sociales, François Fillon.

A l'époque, nous avions dénoncé cette politique de « casse sociale » entreprise par le gouvernement Raffarin : force est de constater que nous avons été entendus par nos concitoyens au regard des résultats que nous avons obtenus aux élections régionales, cantonales et européennes.

Ce projet de loi se veut donc être celui du rachat, de la réconciliation avec l'opinion par la mise en oeuvre pluriannuelle des vingt programmes que vous-même, monsieur Borloo, avez annoncés le 30 juin 2004. Certaines mesures permettent d'avancer dans le sens de la justice sociale, tandis que d'autres sont totalement inacceptables, car elles reprennent les thèses du MEDEF et ouvrent la voie au libéralisme.

Quant au financement de ces mesures, il laisse de nombreux observateurs perplexes. Une enveloppe de 12 milliards d'euros sur cinq ans est annoncée, mais le budget qui pourrait y être consacré en 2005 ne dépasserait pas 1,146 milliard d'euros. Pour les années suivantes, des dotations de l'Etat sont prévues. En revanche, rien n'est indiqué sur la part à la charge des collectivités locales, notamment des régions, qui sont déjà victimes des gels de crédits d'Etat et des retards d'exécution des contrats de plan en ce qui concerne le financement des actions de formation professionnelle et d'apprentissage.

Des interrogations majeures demeurent. Quel sera le montant de la participation des collectivités locales et de l'Etat dans la mise en place des maisons de l'emploi ? Qu'en sera-t-il pour les contrats aidés du secteur non marchand ? Les réponses à ces questions importantes restent dissimulées.

Mes collègues du groupe socialiste auront l'occasion de revenir sur toutes ces questions, dans la discussion générale et lors de l'examen des amendements que nous avons déposés.

Mon intervention portera sur les mesures se rapportant à l'accès et au retour à l'emploi des jeunes, à l'apprentissage et à la réforme des contrats aidés.

L'insertion professionnelle des jeunes est particulièrement difficile, notamment dans notre pays où leur taux d'emploi est de 26 %, contre 56 % en moyenne dans l'Union européenne. Elle l'est d'autant plus que leur niveau de qualification est bas. Il était donc urgent de réagir. Dans cette optique, monsieur le ministre, vous nous proposez toute une série de mesures. Seront-elles efficaces ?

Il s'agit tout d'abord d'une modification à la marge du contrat jeune en entreprise, qui n'a pas donné les résultats annoncés en matière de création nette d'emplois.

Vous proposez ensuite, monsieur le ministre, une réforme du CIVIS, le contrat d'insertion dans la vie sociale, qui sera adapté aux jeunes sans qualification. L'objectif annoncé est d'accompagner, sur cinq ans, 800 000 jeunes vers l'emploi. Le Gouvernement s'efforce ainsi de rattraper son retard puisque, depuis la fin du programme TRACE - le trajet d'accès à l'emploi - rien n'avait été mis en oeuvre, si ce n'est le CIVIS, qui, dans sa version initiale, n'a connu aucun succès.

Au total, le Gouvernement rétablit un programme pour les jeunes en difficulté en se dégageant au maximum de son financement par le biais des contrats d'objectifs entre partenaires et du CIVIS, qui sera financé par les collectivités.

Monsieur le ministre, vous nous proposez ensuite une réforme de l'apprentissage qui s'inscrit dans le prolongement, d'une part, de la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social et, d'autre part, de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales. Mais les nouvelles mesures prévues sont loin d'être à la hauteur de nos attentes.

Concernant le statut et la rémunération, l'objectif est de valoriser l'apprentissage et de réduire sensiblement le nombre de ruptures de contrats, lequel reste très élevé dans certains secteurs, comme dans l'hôtellerie. Si nombre de ruptures sont liées aux problèmes d'adaptation de certains jeunes, il est cependant clair que des entreprises utilisent au mieux la législation, notamment la période d'essai, pour se doter, lors des périodes de forte activité, d'un personnel à faible coût dont elles se séparent ensuite sans formalité. Or aucune des actions envisagées dans votre texte, monsieur le ministre, ne permettra de mettre fin à ces abus.

Le projet de loi prévoit d'ajouter une quatrième dérogation à la limite d'âge pour l'accès à l'apprentissage, qui est fixée à vingt-cinq ans, « lorsque le contrat d'apprentissage est souscrit par une personne qui a un projet de création ou de reprise d'une entreprise dont la réalisation est subordonnée à l'obtention du diplôme ou titre sanctionnant la formation poursuivie ».

Cette disposition, qui garantit une passerelle vers l'emploi et une formation, est intéressante. Toutefois, le report de la limite d'âge doit rester une exception, car l'apprentissage ne doit pas s'écarter de sa vocation première de formation initiale. Il est vrai que, pour le Gouvernement, la tentation est forte d'occuper des personnes dans n'importe quel emploi. De là à étendre l'apprentissage aux adultes et à créer un effet d'aubaine sans précédent pour les entreprises, il n'y a qu'un pas. Nous veillerons à ce qu'il ne soit pas franchi.

Parmi les mesures réglementaires prévues, l'idée d'une personnalisation du parcours de formation de l'apprenti en fonction de son niveau initial peut être intéressante, sachant toutefois que, en pratique, les dérogations permettant cette individualisation sont déjà largement délivrées par les autorités académiques. Cette personnalisation demande néanmoins une évaluation préalable des compétences du jeune. Ces évaluations seront coûteuses, et il serait souhaitable de savoir qui en aura la charge.

Concernant la modernisation et le développement de l'apprentissage, votre principal objectif, monsieur le ministre, est d'augmenter significativement le nombre des apprentis pour le porter à 500 .000. Or, les deux tiers des employeurs d'apprentis ayant moins de dix salariés, l'apprentissage est incontestablement sous-représenté dans les grandes entreprises. Le but affiché est que le nombre d'apprentis dans les entreprises de plus de cent personnes représente 2 % de leur effectif.

Le Gouvernement souhaiterait faire de cet objectif une obligation réglementaire s'il n'était pas atteint dans les trois ans.

C'est, en réalité, une manière de remettre à plus tard la réponse au véritable problème du financement de l'apprentissage. Celui-ci est organisé sur l'idée totalement inexacte qu'il y a adéquation entre les besoins des CFA, les centres de formation d'apprentis, et les ressources de la taxe d'apprentissage. Or le système de libre affectation de la taxe encourage les entreprises industrielles qui sont redevables d'une taxe importante à verser celle-ci aux CFA industriels, qui ne forment qu'une petite minorité de jeunes et favorisent souvent la formation d'agents déjà qualifiés. Ce système laisse aux régions le soin de financer les CFA ne percevant qu'une faible taxe d'apprentissage, mais formant cependant la grande majorité des apprentis.

Loin d'être la réforme fondamentale et nécessaire que constituerait la fiscalisation de la taxe d'apprentissage et l'abandon du concept de libre affectation, le projet de loi ne constitue qu'un nouveau bricolage complexifiant encore le jeu des différents acteurs.

Ainsi, les entreprises embauchant des apprentis bénéficieront d'un crédit d'impôt de 1 600 euros par apprenti, montant qui sera porté à 2 200 euros pour un jeune sans qualification.

Parallèlement, le Gouvernement a inscrit dans le projet de loi de finances pour 2005 une augmentation de 0,06 point de la taxe d'apprentissage, sous la forme d'une contribution spécifique au développement de l'apprentissage au profit des régions. Cela viendra progressivement remplacer la dotation de décentralisation apprentissage. Le taux global de la taxe d'apprentissage passera donc, en 2005, de 0,50 % à 0,56 % de la masse salariale brute. La hausse se poursuivra avec une augmentation de 0,12 % en 2006 et de 0,18 % en 2007, cette taxe atteignant finalement un taux de 0,68 % de la masse salariale brute. Il est donc prévu, non pas l'affectation de crédits supplémentaires affectés aux régions par l'Etat, mais l'instauration d'un système qui, si les prévisions de croissance d'effectifs ne sont pas atteintes, entraînerait une réduction de la dotation versée par l'Etat aux régions au titre de l'apprentissage.

On peut donc se demander si ce système de vases communicants sera décisif pour décider les entreprises à augmenter de manière significative leur nombre d'apprentis. Ce sera en tout cas l'occasion, pour l'Etat, de faire disparaître la dotation de décentralisation apprentissage.

Toutefois, si les entreprises se laissent convaincre, la multiplication du nombre d'apprentis risque, alors que les moyens pour le suivi et l'évaluation des maîtres d'apprentissage n'ont pas été prévus, d'avoir un effet pervers, à savoir l'exploitation des jeunes dans des emplois sous-payés, sans contrôle. De même, la capacité des CFA ne semble pas suffisante pour accueillir autant de jeunes. Il manque donc, dans votre projet de loi, monsieur le ministre, la programmation des moyens nécessaires à la réalisation de vos objectifs.

Enfin, le fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage, institué en vue de constituer un retour de l'Etat dans le financement de l'apprentissage, pourra également être un moyen, pour lui, de réduire les sommes affectées à la péréquation nationale de la taxe. Rien ne garantit dans les textes que les 10 % demeureront affectés. Ainsi, les régions qui choisiraient de ne pas s'engager dans des conventions avec les branches professionnelles et l'Etat s'exposeraient à voir leurs moyens financiers réduits.

J'en arrive à la réforme des contrats aidés. Monsieur le ministre, vous nous proposez de supprimer les articles relatifs aux SIFE, SAE, CIE et CES. S'agissant des SIFE et des SAE, il me semble important de préciser que ceux-ci étaient au nombre de 135 000 sous le gouvernement Jospin, avec une dotation budgétaire pour 2002 de 374 millions d'euros. L'essentiel de ce programme était consacré aux personnes en grande difficulté, comprenant une majorité d'allocataires du RMI et de l'ASS. En 2004, la dotation n'était plus que de 215 millions d'euros pour un nombre d'entrées prévu de 65 000. L'objectif est donc, depuis 2002, de supprimer cette formule et de la remplacer par le CIRMA. Ce nouveau dispositif est supposé permettre une utilisation immédiate par les employeurs des chômeurs de longue durée, sans aucune formation préalable.

C'est précisément cette absence de formation qui a justifié l'échec du RMA. On en compte que 1 500 dans toute la France. Les entreprises ont besoin de personnels immédiatement employables, la remise à niveau est donc indispensable. Même si le RMA devrait sortir un peu amélioré de ce texte, avec des cotisations retraite et chômage pour les bénéficiaires, il n'en demeure pas moins que ce dispositif aura des difficultés à fonctionner.

L'article relatif aux contrats emploi consolidé est non pas abrogé, mais remanié et sert de base au nouveau contrat d'accompagnement dans l'emploi, réservé au secteur non marchand. Il concerne les chômeurs qui rencontrent des difficultés sociales et professionnelles particulières d'accès à l'emploi. Cette définition des bénéficiaires est très large. Il n'y a, notamment, plus aucune mention d'une durée minimale de chômage, d'âge, ou de handicap.

Pour les allocataires de minima sociaux, il est prévu de créer un contrat d'avenir, qui remplace l'expression « contrat d'activité », dénoncée par le Conseil d'Etat pour sa connotation occupationnelle. Ce contrat est le pendant du CIRMA, qui est resserré sur le secteur marchand. Malgré l'usage du mot « contrat », les bénéficiaires du contrat d'avenir sont considérés non pas comme des salariés, mais comme des personnes en insertion. L'organisation de ce dispositif est confuse. Elle est partagée entre le maire de la commune de résidence de l'allocataire et le président du conseil général. Le maire, qui est à la fois l'employeur et celui qui doit mettre en oeuvre la convention réglant le contrat d'avenir, n'aura-t-il à conclure et à signer qu'avec lui-même ?

Un accompagnement dans l'emploi doit être mentionné dans cette convention, mais les actions de valorisation des acquis de l'expérience et les actions de formation sont facultatives, puisque la mention « en tant que de besoin » est utilisée. Celle-ci est singulièrement inappropriée car les personnes concernées ont forcément besoin d'une formation. Ion relève aussi, monsieur le ministre, une contradiction avec les annonces de votre plan en juin dernier, qui promettait une formation obligatoire pour tous les allocataires depuis six mois du RMI et de l'ASS.

De plus, les actions de formation et d'accompagnement « peuvent être menées pendant le temps de travail et en dehors de celui-ci ». Cela pose le problème de la rémunération des bénéficiaires du contrat. On peut se demander si une formation hors temps de travail non rémunérée sera motivante et réalisable, ou si l'on ne risque pas là d'obliger les personnes à recourir à des petits boulots de complément au noir.

En outre, nous déplorons la dégressivité de l'aide de l'Etat car elle comporte plusieurs risques : un effet d'aubaine pour certains employeurs qui se limiteront à l'embauche pour la première année, un risque de rupture dans le parcours des personnes et, surtout, un frein important au recrutement pour les associations, qui disposent souvent de faibles capacités financières.

Ces dernières nous ont d'ailleurs fait part de leurs craintes concernant notamment les chantiers d'insertion. L'équilibre financier de ces actions reste fragile et repose pour l'essentiel sur les financements publics qui prennent en charge la rémunération des personnels en insertion à travers les CES et l'encadrement technique au travers de subventions. Elles craignent que cet équilibre précaire ne soit bouleversé par les nouvelles dispositions.

Le financement des nouveaux contrats tel qu'il est annoncé aurait pour conséquence une diminution importante de la prise en charge par les pouvoirs publics de la rémunération des personnes en insertion. Cela se traduirait, selon leurs estimations, par la nécessité, pour chaque chantier d'insertion prenant en charge environ 15 personnes, de trouver un financement complémentaire oscillant entre 20 000 et 50 000 euros, ce qui paraît irréalisable.

La mise en place opérationnelle sur le terrain est aussi un sujet d'inquiétude du fait de la multiplication des instances de décision, de paiement et d'évaluation : communes, communautés de communes, territoires, pays, départements, régions, administrations déconcentrées de l'Etat, Europe... Monsieur le ministre, que pouvez-vous répondre aux associations, acteurs privilégiés de la lutte contre l'exclusion, pour apaiser leurs craintes ?

Pour conclure, les mesures annoncées en juin 2004 partaient d'un bon sentiment ; au final, ce n'est plus le cas. De nombreux points restent obscurs et flous, dans la mise en place des actions et, surtout, dans leur financement. Nous déplorons le renvoi massif à des décrets d'application.

Votre projet de loi fait la part belle aux employeurs, mais les demandeurs d'emploi, les chômeurs et les exclus sont stigmatisés. Où est la cohésion sociale ? Le mot « cohésion » signifie « propriété d'un ensemble dont toutes les "parties" sont intimement et logiquement liées ». Ici, ce n'est pas le cas. Aussi, nous ne pourrons voter votre texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Alduy.

M. Jean-Paul Alduy. Mesdames, messieurs les ministres, la qualité des interventions de nos six rapporteurs me conduit à limiter mon intervention à la partie logement. Je tiens néanmoins à vous dire mon admiration pour avoir su, une fois encore, comme ce fut le cas pour la loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, bousculer les habitudes et innover dans les méthodes d'intervention de l'Etat : d'une part, en changeant l'échelle des financements ; d'autre part, en sécurisant l'effort par une programmation précise sur quatre ans.

Vous vous êtes démarqués de vos prédécesseurs en évitant les lois d'intention, certes louables mais adossées à des procédures d'une complexité extrême et à des budgets aléatoires, et souvent même virtuels. Vous avez choisi la démarche de l'Etat stratège, qui agit sur tous les fronts de la cohésion sociale, même si, sur chacun de ces fronts, on choisit les actions qui peuvent permettre les vraies percées dans la lutte contre l'exclusion et la précarité, on choisit les points d'application de l'effort, ceux où il faut impérativement agir pour entraîner la société dans son ensemble.

La ville, hier territoire d'intégration, s'est aujourd'hui fragmentée ; la cohésion sociale de nos cités est partout fragilisée, souvent déjà brisée. Le programme d'action que vous nous proposez est notre dernière chance pour prouver qu'il existe une autre voie que le repli communautariste et ses violences : celle du droit au travail et à la formation, du droit au logement, celle de l'égalité des chances et de la fraternité.

Concernant le domaine du logement, pour bien comprendre la portée des dispositions de votre projet de loi, il faut les resituer dans le contexte des deux autres lois récentes : celle qui a créé l'Agence nationale pour la rénovation urbaine et la loi relative aux libertés et aux responsabilités locales, qui prévoit la délégation de la compétence logement aux groupements de communes.

Lorsqu'on additionne ces trois lois, complémentaires, on prend la mesure de la formidable rupture dans la mise en oeuvre des politiques sociales de l'habitat qui va intervenir dans nos villes en 2005. Mesdames, messieurs les ministres, il va falloir que les préfets assurent localement le service après-vente de ces trois lois et coordonnent l'application de celles-ci.

L'ANRU, en rassemblant tous les partenaires de l'habitat social, devient l'outil d'un véritable « plan Marshall », pour reprendre l'expression que vous aimez employer, de remodelage, de réintégration économique, sociale, urbanistique des quartiers où se sont concentrés depuis plusieurs décennies la précarité et la misère, les intégrismes et les violences.

Les maires, un moment inquiets par la centralisation de la décision au niveau d'une agence nationale, ont compris aujourd'hui, et avec eux, vous le savez, monsieur le ministre, de plus en plus de régions et de départements, que cette concentration de moyens et des procédures était non seulement la condition nécessaire de l'efficacité, mais aussi une authentique mise en responsabilité des maires par la rapidité, la sécurité et l'impartialité des décisions.

Je regrette que Mme Demessine ne soit pas présente, car j'ai entendu tout à l'heure ses propos concernant l'ANRU. Je l'invite - je vous demande de transmettre l'invitation...

M. Guy Fischer. Je n'y manquerai pas !

M. Jean-Paul Alduy. ...- à venir me voir à l'ANRU pour lui permettre de prendre connaissance des chiffres. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Au moment où je vous parle, après quelques mois de fonctionnement, 1,7 milliard d'euros ont été engagés, qui correspondent à 7 milliards d'euros de travaux, et 400 millions d'euros de crédits de paiement. Avec M. Bartolone, c'était, dans les meilleures années, 50 millions d'euros. Alors, un peu de modestie dans les propos...

M. Alain Gournac, rapporteur de la commission des affaires sociales. Oh oui !

M. Jean-Paul Alduy. ...et un peu plus d'objectivité.

M. Guy Fischer. Nous y reviendrons !

M. Jean-Paul Alduy. Je le répète : j'ai entendu tout à l'heure les propos de Mme Demessine, qui n'est pas présente, et je le regrette.

Mme Hélène Luc. Vous aurez l'occasion de la revoir !

M. Jean-Paul Alduy. Comme je l'ai dit, je l'invite à constater sur place les chiffres.

M. Jean-Pierre Bel. Pas d'agitation personnelle !

M. Jean-Paul Alduy. Dès aujourd'hui, à la lumière des projets présentés par les maires, toutes tendances politiques confondues, il apparaît qu'il faut amplifier l'action de l'ANRU et qu'il conviendra sans doute d'ajouter deux ou trois années, soit finalement 10 milliards d'euros supplémentaires d'investissements.

Je tiens également à souligner que les objectifs de construction de logements sociaux du plan de cohésion sociale s'ajoutent à ceux du programme de rénovation urbaine et ne le concurrencent pas. Les affirmations alarmistes formulées par la gauche à l'époque reçoivent aujourd'hui un démenti clair et définitif.

M. Guy Fischer. Définitif ?

M. Jean-Pierre Bel. Ce n'est jamais définitif !

Mme Hélène Luc. Le définitif, vous savez...

M. Jean-Paul Alduy. Mais les chiffres sont là, madame !

Avec la loi relative aux libertés et aux responsabilités locales, il va être possible d'expérimenter et d'évaluer la capacité des groupements de communes à dynamiser la production de logements sociaux et sa répartition équilibrée sur le territoire. On peut penser qu'au terme des six années de délégation il sera possible de franchir l'étape de la décentralisation effective.

Mais, pour avancer dans cette réforme nécessaire et trop longtemps différée, il fallait, monsieur le ministre, ne pas déléguer la gestion de la pénurie, celle précisément des années 1999 et 2000 lorsque MM. Besson et Gayssot étaient ministres et où l'on construisait moins de 40 000 logements sociaux par an. Au contraire, avec votre plan, c'est une délégation fondée sur des objectifs ambitieux de construction, et donc sur une démarche de mobilisation, comme c'est d'ailleurs le cas pour l'ANRU, de tous les partenaires, non seulement les collectivités locales et les bailleurs sociaux, mais également les gestionnaires de ce que nous continuons d'appeler le « 1 % logement ».

De même, il faut redéfinir les moyens d'acquisition de réserves foncières. L'article 46 du projet de loi évoque la mise en place d'établissements publics fonciers collectant une taxe spéciale d'équipement assise sur le foncier bâti, la taxe d'habitation et la taxe professionnelle.

Pourquoi d'ailleurs imposer la création d'un établissement public foncier pour définir et percevoir cette taxe spéciale d'équipement et ne pas permettre aux groupements de communes de recevoir directement le produit de cette taxe afin de dynamiser les politiques foncières dont ils assument la vraie responsabilité dans les faits ? J'ai déposé un amendement en ce sens.

Ainsi, il faut s'en convaincre, la conjonction des trois lois créant l'agence nationale de rénovation urbaine, les conventions de délégation de la compétence logement aux groupements de communes, les schémas de cohésion territoriale, avec notamment les conventions avec les bailleurs sociaux, fera de 2005 une année de rupture avec les pratiques précédentes, ouvrant les voies d'une vraie reconquête, ville par ville, quartier par quartier, de la fraternité urbaine.

Ayant dit tout le bien que je pensais du volet « logement » de votre projet de loi, permettez-moi, monsieur le ministre, d'y trouver quelques points faibles...

M. Guy Fischer. Ah, tout de même !

M. Jean-Paul Alduy. ... qui pourront être corrigés, soit dans le cadre de ce texte, soit ultérieurement.

Tout d'abord, je considère qu'il manque dans ce plan les mesures susceptibles d'ouvrir les voies de l'accession à la propriété aux ménages à revenus modestes. J'ai compris que le futur prêt à taux zéro apporterait un début de réponse ; je crois personnellement que la voie de la location-accession est très efficace, mais qu'elle est insuffisamment ouverte. Pour combattre et réduire la ségrégation sociale qui fragmente nos villes, l'accession à la propriété doit cesser de s'éloigner comme un rêve irréalisable pour un nombre croissant de ménages à revenus modestes. La cohésion sociale, c'est certes un habitat pour tous, mais c'est aussi un avenir ouvrant la possibilité à tous d'accéder à la sécurité de la propriété de leur foyer.

L'autre lacune du volet « logement » concerne l'absence d'engagement en matière d'aides à la personne. Je rappelle que, lors des assises nationales du logement, une demande s'est fortement exprimée en faveur de l'indexation des barèmes des aides à la personne sur l'indice de référence de l'évolution des loyers. En effet, un décrochage accélérerait les impayés, les expulsions et bloquerait la modernisation et le développement du parc social privé, même si, sur ce point, je me réjouis de l'augmentation des dotations de l'agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, l'ANAH. L'amélioration de l'efficacité de l'aide personnalisée au logement, l'APL, est un problème particulièrement difficile, je le sais, mais il faudra ouvrir ce chantier.

Enfin, mesdames, messieurs les ministres, j'aurais souhaité que le plan de cohésion sociale fasse écho à la demande, maintes fois rappelée, du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, pour que soit défini un calendrier de mise en place d'un droit au logement opposable.

Dès lors que l'Etat se propose de déléguer la compétence logement aux groupements de communes et aux départements et que le plan de cohésion sociale affiche l'ambition nationale de rattraper les retards en matière d'habitat des ménages modestes et pauvres en mobilisant le secteur public, comme le secteur privé, il me paraissait logique d'afficher l'objectif selon lequel, au terme des six années des conventions de délégation, les autorités politiques responsables du droit au logement et les voies de recours correspondante soient désignées. Je suis de ceux qui pensent que le temps est venu de franchir cette étape ; j'ose espérer que le bilan à mi-parcours du plan de cohésion sociale permettra cette avancée politique qui est, à mon avis, incontournable.

Pour conclure, monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je tiens à réaffirmer mon total soutien à un plan ambitieux, cohérent, sécurisé dans ses financements, qui nous permet d'approcher les deux objectifs essentiels à la reconquête de la cohésion sociale de nos cités : le droit au travail et le droit au logement.

Permettez-moi d'ajouter une dernière remarque très personnelle : sans ce plan-programme, les résultats et les acquis de l'agence nationale pour la rénovation urbaine auraient été provisoires et, réciproquement, sans l'ANRU, ce plan de cohésion sociale n'aurait que des résultats provisoires. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.

M. Claude Biwer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l'heure où la reprise se fait attendre, le niveau du chômage continue, hélas ! de progresser. Depuis plus de dix ans, il flirte avec les 10 % de la population en âge de travailler. C'est deux fois plus qu'aux Etats-Unis, voire en Grande-Bretagne.

De plus, la caractéristique première du chômage français est d'être un chômage structurel, quasiment incompressible, c'est-à-dire qu'il semble dépendre, non pas du dynamisme de la demande, mais de la structure même de notre marché du travail et peut-être aussi - parce qu'il touche les jeunes plus que les autres - de l'inadaptation de notre système éducatif.

Or, chacun sait que l'inactivité d'une partie importante de la population en âge de travailler génère des inégalités, un « mal vivre », de l'exclusion, de l'insécurité, autant de phénomènes qui ne font que révéler un délitement social.

C'est pourquoi il nous paraissait urgent de faire du renforcement de la cohésion sociale une priorité nationale. Il nous paraissait tout aussi indispensable de mettre la politique de l'emploi au coeur de tout plan de lutte contre l'exclusion.

Par le présent projet de loi, c'est ce que vous proposez de faire, monsieur le ministre, et nous ne pouvons que vous en féliciter.

Le texte que vous nous présentez est un peu en deçà des déclarations qui le précédaient. Pour autant, il n'en demeure pas moins intéressant. Et, après tout, peut-on sérieusement vous blâmer d'avoir nourri de grandes ambitions ? Je ne le crois pas. Les arbitrages budgétaires vous ont été plutôt favorables, mais il faut toujours craindre les redoutables régulations budgétaires ultérieures !

Le volet « emploi » de votre projet de loi comporte plusieurs avancées significatives que nous entendons saluer.

Sur le plan des principes, il nous semble aborder la question du chômage sous un bon angle. Face à un chômage principalement structurel, il faut, en effet, mettre en oeuvre des réformes de fond, faute de quoi, la croissance continuera d'être pauvre en emplois. Aussi forte soit-elle, elle se heurtera à des obstacles insurmontables.

Sans réformes structurelles, le phénomène que nous avons connu en 2000 risque de se reproduire. A cette époque, alors que la croissance était très vive, le niveau du chômage n'a que très faiblement diminué.

Or, pour réformer en profondeur notre marché du travail, il faut former, accompagner, responsabiliser, assouplir. C'est précisément l'objet du texte que vous nous soumettez.

Pour ce qui concerne la formation, c'est à juste titre que vous mettez l'accent sur l'apprentissage. Nos sociétés sont allées en se complexifiant. Parce qu'une formation seulement théorique paraît souvent insuffisante de nos jours, l'apprentissage est, plus que jamais, une formule adaptée aux impératifs de notre temps. Elle l'est d'autant plus qu'une revalorisation du statut de l'apprenti permettra de diriger plus aisément les jeunes en difficulté d'insertion sur le marché du travail dans les filières en déficit de main -d'oeuvre.

Cependant, l'apprentissage ne doit pas concerner seulement les jeunes en difficulté ; il doit intéresser également tous ceux qui souhaitent exercer un métier manuel, dont la noblesse doit être remise à l'honneur. A cet égard, la création d'universités des métiers, à côté des centres de formation d'apprentis, les CFA, et des lycées professionnels, aurait pour mérite de donner une véritable perspective à cette filière.

Car c'est là un autre paradoxe français, et non des moindres : le chômage plafonne à un niveau très élevé, alors que des pans entiers d'activité sont en déficit d'actifs. Il existe dans notre pays des gisements d'emplois inexploités. La réforme de l'apprentissage aidera à remédier à ce paradoxe désastreux. En tant que résident proche de la Belgique, j'en vois personnellement la démonstration, avec les contrecoups qui se manifestent régulièrement.

Mais la formation seule ne suffira pas. Il faut aussi accompagner les demandeurs d'emploi dans leur parcours vers l'insertion sur le marché du travail. Chaque situation est unique et doit réclamer une attention particulière ainsi que la mise en oeuvre d'un projet individualisé.

Là réside, à notre avis, la grande force de votre projet de loi, monsieur le ministre. Il met en place les outils permettant à chaque demandeur d'emploi de bénéficier d'un accompagnement adapté à sa situation particulière et de concevoir un projet personnalisé d'accès à l'emploi.

Votre réforme du service public de l'emploi est emblématique de cette démarche. En particulier, les maisons départementales de l'emploi aideront les chômeurs à s'insérer grâce à la synergie qu'elles créeront entre les différents acteurs de la politique de l'emploi et à l'approche globale de la question qui en découlera.

J'émets néanmoins le souhait que ces maisons départementales de l'emploi se préoccupent des demandeurs d'emploi non seulement en milieu urbain, mais également dans les zones rurales qui connaissent, elles aussi, des difficultés grandissantes. Je ne doute pas que mon département serait probablement candidat à une expérimentation dans ce domaine.

Un aspect de votre texte nous tient cependant particulièrement à coeur : il s'agit des articles consacrés aux chômeurs créateurs ou repreneurs d'entreprise. Si, du point de vue des demandeurs d'emploi, créer ou reprendre une entreprise devient une modalité plus attractive de réinsertion sur le marché du travail grâce à la loi, inciter les chômeurs à l'entreprenariat nous paraît également fondamental pour faire entrer notre économie dans un cercle vertueux de croissance.

En contrepartie de la mise en place d'un service public de l'emploi performant et humain, responsabiliser les demandeurs d'emploi nous semble aussi essentiel. Les chômeurs ont des droits qu'il faut protéger, mais aussi des devoirs qui en sont la contrepartie. La possibilité de prononcer des sanctions graduées en cas de non-respect de l'obligation de recherche nous semble une solution réaliste et de nature à mettre chacun face à ses propres responsabilités.

Enfin, notre marché du travail a certainement besoin d'une dose d'assouplissement. La libéralisation encadrée de la diffusion des offres et des demandes d'emploi et de l'activité de placement introduit une flexibilité salutaire.

Il en va de même des articles du texte consacrés au licenciement économique. Il n'est pas rare, en effet, que les entreprises qui souhaitent créer des emplois se tournent plus volontiers vers des contrats à durée déterminée, les CDD, ou la formule de l'intérim, afin de ne pas être confrontées à des procédures longues, difficiles et coûteuses en cas de retournement de conjoncture.

Comme vous l'avez compris, monsieur le ministre, nous jugeons votre texte de mobilisation sur l'emploi globalement satisfaisant, d'autant plus qu'il a été substantiellement amélioré par notre commission des affaires sociales, son président et ses rapporteurs auxquels je tiens à rendre un hommage tout particulier pour la grande qualité de leurs travaux.

Trois amendements proposés par la commission nous semblent très importants. En vertu du premier, les actes tendant à la reprise ou à la création d'une entreprise permettraient de remplir la condition de recherche d'un emploi. Nous avons d'ailleurs déposé un amendement allant dans le même sens.

Toujours dans l'idée de favoriser l'entreprenariat, les deux autres amendements portent sur l'aide fiscale apportée aux tuteurs de chômeurs créateurs d'entreprise. Comme la commission, nous estimons nécessaire que cette aide puisse profiter aux membres de la famille s'ils apportent au chômeur repreneur d'entreprise une aide adéquate.

M. Roland Muzeau. Ben voyons !

M. Claude Biwer. En outre, l'institution d'une prime pour les accompagnateurs payant peu ou pas d'impôt sur le revenu nous semble conforme à l'équité.

Si nous approuvons globalement le texte que vous nous soumettez, nous considérons également qu'il est perfectible sur certains aspects. Aussi avons-nous déposé une série d'amendements afin de l'améliorer.

En particulier, nous pensons que les modalités juridiques de mise en oeuvre des maisons départementales de l'emploi mériteraient d'être assouplies. Ces maisons devraient pouvoir prendre la forme de conseils locaux pour l'emploi dépourvus de personnalité morale.

Par ailleurs, nous vous proposerons de donner une base législative aux chantiers et ateliers d'insertion, qui ont fait leurs preuves depuis leur création.

Enfin, il nous semble indispensable que l'Etat joue son rôle d'arbitre dans le dispositif du contrat d'avenir. C'est pourquoi nous vous proposerons de confier au préfet la présidence de la conférence de pilotage du dispositif.

Permettez-moi, enfin, d'attirer votre attention sur un point important qui figure parmi les mesures prises en faveur de l'égalité des chances : je veux parler de la majoration de 120 millions d'euros par an sur cinq ans de la dotation de solidarité urbaine, s'agissant notamment des villes comportant des zones urbaines sensibles.

On ne peut bien entendu qu'être favorable à cette démarche mais, là ou le bât blesse, c'est que ces dotations supplémentaires seront prélevées sur la masse globale de la DGF, la dotation globale de fonctionnement, ou plus exactement sur les sommes résultant de la progression de la DGF. Ainsi, toutes les communes de France, grandes ou petites, riches ou pauvres, seront concernées.

Monsieur le ministre, on nous avait annoncé - ce point a souvent fait l'objet de questions que nous avons formulées dans cette enceinte - que ces sommes supplémentaires pourraient servir à assurer la péréquation. Or, que je sache, la péréquation n'intéresse pas que les communes urbaines, elle intéresse également les communes rurales, lesquelles attendaient beaucoup du nouveau dispositif, mais risquent d'être terriblement déçues.

Prenez garde que le mouvement de protestation contre la fermeture des services publics, qui commence à s'amplifier dans certains départements ruraux, ne soit pas décuplé, avec des annonces intempestives concernant la fiscalité locale, par une réforme de la DGF qui aggraverait les injustices actuelles.

Dans mon esprit, la « solidarité urbaine » devrait concerner, en priorité, les communes urbaines et ne devrait pas pénaliser les communes rurales, qui sont, d'ores et déjà, dans un état de pauvreté financière.

Je rappelle que, à l'heure actuelle, onze villes de plus de 200 000 habitants totalisant une population de 5 679 000 habitants perçoivent, au titre de la DGF, 1,613 milliard d'euros, soit beaucoup plus que les 27 371 communes de moins de 1 000 habitants, qui rassemblent pourtant plus de 9 746 000 habitants.

La seule Ville de Paris perçoit une DGF de 679 millions d'euros - près de 4,5 milliards de francs -, soit 300 euros par habitant contre, en moyenne, 184 euros par habitant pour toutes les autres communes. On comprend dès lors pourquoi la fiscalité est faible dans la capitale, comparée à celle de bien d'autres communes ; elle est, par exemple, quatre fois moins élevée à Paris qu'à Lille.

Je veux bien que l'on majore la DSU, la dotation de solidarité urbaine, mais, de grâce, prélevez cette majoration sur les villes et les villages qui sont financièrement aisés, voire sur les départements qui sont aussi bien portants financièrement, mais ne le faites pas sur les communes rurales qui ne disposent même pas de quoi entretenir correctement leur patrimoine, alors que certaines villes peuvent se permettre de dépenser des sommes importantes pour créer, par exemple, une plage artificielle ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Bel. L'exemple est mal choisi !

M. Claude Biwer. Vous n'aimez pas la mer ?

Mme Gisèle Printz. Mais si ! Justement !

M. Claude Biwer. Au-delà de ce projet de loi, nous attendons du Gouvernement des engagements fermes en matière de financement. Les collectivités locales auront à supporter des charges supplémentaires qui devront être intégralement compensées.

De plus, le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale ne pourra être pleinement effectif que si les initiatives des uns et des autres ne sont pas annihilées par le jeu stérile des rapports de force locaux. Là encore, l'Etat devra encourager et accompagner toutes les initiatives.

Monsieur le ministre, les Français comprendraient mal qu'après les écarts naturels entre le plan et le projet se fassent jour de nouveaux décalages entre le texte voté par le Parlement et son application effective sur le terrain.

Sous le bénéfice de ces observations et des modifications proposées par nos commissions, je vous confirme que le groupe de l'Union centriste votera votre projet de loi, après, nous l'espérons, l'adoption d'un certain nombre d'amendements.

Je pense que les engagements de péréquation pris en réponse à certaines questions devront être réellement suivis d'effet. C'est aussi cela la solidarité nationale ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Repentin.

M. Thierry Repentin. Monsieur le ministre, en quinze articles constituant le titre II de votre projet de loi, vous affichez une triple ambition : celle de répondre aux carences dans le domaine de l'accueil et de l'hébergement d'urgence, celle de contrer une crise d'austérité sans précédent dans le parc social locatif et celle de mobiliser le parc privé au bénéfice des ménages en attente d'un logement.

Ajouter à cet affichage une mobilisation médiatique préalable, réunissant le Président de la République, le Premier ministre et la majeure partie de son Gouvernement, et vous faites naître tout naturellement des espoirs au sein de toute la chaîne des acteurs de la filière logement : élus locaux, opérateurs publics et privés, associations de locataires ou gestionnaires d'une partie du parc d'hébergement.

Le scénario est donc bien en place, suscitant intérêt et attentes bien légitimes dans l'opinion publique où le logement constitue, avec l'emploi, un élément de stabilisation personnelle et sociale sur la base duquel s'édifie le parcours d'une vie et se construit la cellule familiale.

Si j'analyse le texte que vous nous soumettez, monsieur le ministre, le contexte dans lequel il a été élaboré et les réactions que nous avons constatées durant les auditions et que nous avons estimées utiles pour confronter nos points de vue, j'ai envie de faire référence à une image utilisée par un personnage contemporain, très contemporain d'ailleurs, et qui n'est généralement pas ma source d'inspiration : « La route est droite, mais la pente est raide. »

M. Jean-Luc Mélenchon. Et vice versa !

M. Thierry Repentin. La route, ce sont les quelques objectifs quantifiés, mis en exergue dans le projet de loi pour que l'on en retienne les chiffres essentiels : 500 000 logements sociaux d'ici à 2009, 100 000 places d'hébergement d'urgence et d'insertion à la même échéance, 100 000 logements à loyers maîtrisés dans le parc privé durant la même période.

La pente, c'est celle que vous devez gravir, monsieur le ministre, pour crédibiliser la volonté du Gouvernement d'agir sur ces trois segments de la chaîne du logement.

Pourquoi cette méfiance, me direz-vous ? Elle tient tout simplement aux décisions qui ont été prises sur ces trois segments, durant ces deux dernières années, et qui prennent l'exact contre-pied du texte que nous allons examiner.

Premièrement, en matière de logement d'urgence et d'insertion, des instructions ont été données aux préfets pour contingenter les aides au logement temporaire dont bénéficient les associations logeant à titre temporaire des personnes défavorisées.

Dans le projet de loi de finances pour 2005 est proposée la suppression des crédits de l'aide à la médiation locative versée aux organismes agréés et leur transfert aux départements. Les fonds de solidarité pour le logement, les FSL, ont également été transférés aux départements, dont la mission a d'ailleurs été étendue au financement des impayés des factures d'eau, de téléphone et d'électricité, sans pour autant qu'on ait donné plus de moyens aux conseils généraux qui, soit dit en passant, apprécient désormais librement les conditions d'attribution de ces fonds, des conditions différentes d'un département à l'autre.

Pour clôturer le tout, le contingent préfectoral qui permet de loger les personnes les plus fragilisées a été délégué au maire, sans obligation de résultat, et sans que le préfet soit obligé de se substituer au maire si les objectifs fixés en matière de logement des personnes défavorisées ne sont pas respectés.

Si l'on veut commencer à débattre du droit au logement opposable, il faut en parler.

Deuxièmement, s'agissant des moyens alloués au logement social et à leurs occupants, le constat est assez simple : diminution de l'effort budgétaire de l'Etat à travers les lois de finances -  moins 7 % en 2004 auxquels il convient d'ajouter une régulation budgétaire de 150 millions d'euros opérée en avril dernier -, transfert de l'effort au détriment des collectivités locales à travers la délégation conventionnelle permise par la loi du 13 août 2004.

Cette délégation conventionnelle renvoie au principe d'annuité budgétaire s'agissant de la participation de l'Etat, alors que les départements et les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, vont, de leur côté, prendre des engagements sur six ans. Je le dis avec d'autant plus d'amertume que j'ai été moi-même l'un de ceux qui, au sein de l'ADCF, l'Assemblée des communautés de France, se sont beaucoup battus pour que la délégation conventionnelle soit offerte aux EPCI.

Par ailleurs, on note également la non-revalorisation des aides au logement pour les six millions de ménages locataires, dans le parc public comme dans le parc privé.

Pour ce qui concerne le deuxième maillon essentiel de la chaîne du logement, à la lumière des « acquis » de votre gouvernement, monsieur le ministre, comment espérer un renversement complet de la logique d'intervention ?

Les opérateurs d'HLM envers qui l'Etat est aujourd'hui débiteur faute de crédits de paiement - 110 millions à Paris, de 450 millions à 600 millions suivant les sources pour l'ensemble de notre pays - et les ménages locataires dont le taux d'effort en matière de logement ne cesse d'augmenter peuvent-ils aujourd'hui attendre ce changement de politique ?

Troisièmement, qu'en est-il de la mobilisation du parc privé ?

Je dois admettre, au cours de ces dernières années, une certaine réussite qui profite essentiellement aux investisseurs. Partout, il est fait état de l'envolée des prix. De fait, ils explosent : plus 48 %, en trois ans, sur l'ensemble de la France ; le foncier devient un bien qui n'a plus de prix de référence. Il suffit d'ailleurs de lire le rapport de M. Braye : il cite des exemples très précis, notamment celui de la ville de Strasbourg qui a connu, en trois ans, une augmentation de plus de 60 % du prix du foncier.

Aujourd'hui, lorsque l'on a de l'argent, on n'achète plus un appartement, on n'investit plus dans la pierre, on déniche en réalité, avec la loi de Robien, une opportunité pour payer moins d'impôts.

Dans le même temps, les élus locaux sont, vous le savez, désemparés : ils se demandent comment ils pourront, demain, accueillir des personnes sans être ségrégatifs.

A l'inverse, pour le logement conventionné, le budget de l'ANAH, l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, s'est allégé de 100 millions d'euros, restreignant par là même ses capacités d'intervention et de création de logements accessibles, dans le parc privé, au plus grand nombre de nos concitoyens.

La pente est donc raide pour redonner confiance, à l'aune de ce bilan que nous ne revendiquons pas, monsieur le ministre, mais aussi à l'aube du projet de loi que vous avez la charge de défendre. Nous souhaitons apporter nos contributions pour donner des outils, pour répondre aux questions de « fond » et de « fonds » qui se posent, et pour tenter de satisfaire certaines ambitions que vous avez esquissées, tant il nous semble que la question du logement doit être reconnue comme une grande cause nationale.

Concernant l'architecture du titre II, nous apprécierons, dans votre réponse, monsieur le ministre, votre souci de clarification pour que la représentation nationale puisse bien mesurer, s'agissant de votre objectif de créer 100 000 places d'hébergement d'urgence et d'insertion, ce qui se décompose entre effort budgétaire nouveau, redéploiements de crédits et appel à la solidarité locale, ou devrais-je dire, territoriale.

Nous serons également attentifs au sort que vous réserverez aux amendements que nous avons déposés pour réintroduire dans les dispositifs locaux - je pense que le président de l'ANRU sera content ! - l'Etat comme garant de la solidarité et de l'application de la loi.

La solidarité n'est malheureusement pas une donnée génétique, pas plus qu'elle n'est une vertu spontanée adossée au suffrage universel, et il est de la responsabilité de l'Etat de s'assurer que notre République est unique en la matière, et non pas divisée en autant de territoires qui la composent. Le partenariat privilégié avec les collectivités territoriales et le rappel républicain à un traitement égalitaire des populations sont indissociables. Sans doute ne vous surprendrai-je pas, mesdames, messieurs les ministres, en vous disant que le refus affiché d'assumer certaines responsabilités à l'égard de populations fragilisées peut constituer localement un viatique électoral.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail, et de la cohésion sociale. C'est vrai !

M. Thierry Repentin. A propos des dispositions relatives au parc locatif social, je ne peux passer sous silence - le Conseil économique et social et M. Girod l'ont évoquée - la sous-évaluation du coût budgétaire retenu en parallèle à l'objectif fixé de 500 000 logements, sauf à considérer comme acquise la double condition préalable, à savoir une aide à la pierre de l'ordre de 3 % à 4 % du coût de la réalisation apportée désormais par l'Etat et l'accompagnement croissant de partenaires extérieurs, les collectivités locales, l'Union d'économie sociale du logement, l'UESL, ou encore le mouvement d'HLM.

Vu le niveau d'aides si faible, peut-on encore considérer que la programmation du logement social relève de l'Etat ?

Ce secteur recouvre d'ailleurs des réalités très variées : le segment historique, c'est-à-dire celui qui est ouvert le plus largement à nos concitoyens, doit être privilégié. Nous vous suggérons donc plusieurs pistes, que Mme le rapporteur de la commission des affaires sociales a elle-même évoquées tout à l'heure.

D'abord, globalement, il faut consentir moins de prêts locatifs sociaux et plus de prêts locatifs aidés d'intégration et de prêts locatifs à usage social. Ensuite, il faut dynamiser les programmations sur les territoires qui, par le passé, ont choisi de ne pas toujours être solidaires, et ce en renforçant le dispositif de l'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, si chère au Président de la République.

M. Guy Fischer. C'est ce que l'on dit !

M. Thierry Repentin. Cessons de comptabiliser les réalisations en prêts locatifs sociaux sur les communes concernées et favorisons leur contribution financière au bénéfice des établissements publics de coopération intercommunale ou des établissements publics fonciers locaux auxquels elles sont rattachées, en doublant le montant de leur solidarité.

A ce moment de mon intervention, je ne peux pas ne pas me faire également l'écho des associations de locataires, du mouvement HLM et, derrière eux, des 6 millions de ménages attributaires d'une allocation logement en vous interpellant sur le rattrapage du pouvoir solvabilisateur de cette prestation.

Je sais que la question est difficile et qu'elle ne relève pas de votre seule décision, monsieur le ministre, mais pouvez-vous garantir la revalorisation des APL dans une France où l'immobilier et les loyers flambent et après qu'il a été admis, la semaine dernière, une actualisation du barème de l'impôt de solidarité sur la fortune pour tenir compte de l'évolution du coût de la vie ?

Dans le même ordre d'idées, allez-vous accepter de supprimer le délai de carence qui se traduit par le fait que, durant le premier mois de location, généralement celui pendant lequel l'effort financier est le plus lourd, on est injustement privé d'aide au logement ?

M. Guy Fischer. Voilà !

M. Thierry Repentin. Ce qui était possible avant 1996 peut sans doute le redevenir...

La mobilisation du parc privé doit, elle aussi, être un levier contribuant à une palette d'offres la plus diversifiée possible. Je me réjouis donc que l'ANAH retrouve une perspective budgétaire supplémentaire, de l'ordre de 70 millions d'euros, après les restrictions supérieures à 100 millions d'euros qu'elle a dû avaliser dans un passé récent.

Nous veillerons, en parfait accord avec vous, je l'espère, monsieur le ministre, à ce que les interventions de l'Agence se concentrent sur les logements vacants remis sur le marché à des niveaux de loyers conventionnés, le terme « réglementés » nous laissant craindre des dérives qui aboutiraient à exclure des ménages du fait de niveaux de loyers trop ségrégatifs. Pour rendre plus efficace le travail de l'ANAH, nous vous proposons d'ailleurs une meilleure transparence de la connaissance du parc des logements vacants en prévoyant un accès aux données des services des impôts.

Enfin, last but not least, pour que ce texte sur la cohésion sociale soit aussi celui de la cohérence sociale, nous devrons aborder, peut-être pour l'avenir, sans tabou, la question de la pertinence qu'il y a à maintenir, dans un cycle haut de l'immobilier, un dispositif qui contribue à la flambée des prix, à la flambée des loyers, à la flambée du foncier et, finalement, à la mobilisation des trop rares disponibilités budgétaires au détriment de la très large majorité de nos concitoyens. En clair, que faire du « de Robien » ?

M. Guy Fischer. Le supprimer !

M. Thierry Repentin. D'ailleurs, sur la question de la libération du foncier, le ministre qui a donné son nom à ce dispositif répondant, il y a quelques jours, à une question d'actualité à l'Assemblée nationale, indiquait avoir identifié dans le patrimoine de l'Etat près de 9 millions de mètres carrés pouvant être valorisés. Quels espoirs pouvez-vous nous donner que ces disponibilités foncières offrent des perspectives de créations de logements accessibles à tous et ne soient pas tout simplement valorisées au seul bénéfice de votre collègue ministre d'Etat installé à Bercy ?

Monsieur le ministre, après le logement, permettez-moi de dire un mot sur l'article 59. J'estime que l'orientation visant à reconcentrer l'effort budgétaire sur un nombre plus réduit de collectivités locales est fondée ; encore faut-il donner à ceux qui s'estiment lésés la garantie qu'ils bénéficieront eux-mêmes d'une progression de la dotation de solidarité urbaine et que l'on aura un système qui sécurise tout le monde dès lors que la progression de la dotation globale de fonctionnement ne serait pas à la hauteur de vos espérances.

Monsieur le ministre, je vous ai entendu à plusieurs occasions, dans plusieurs circonstances, manifester une vraie capacité d'entraînement. Ce soir, pour vous avoir écouté très attentivement, je dois dire que je vous ai trouvé un peu en deçà de ce que vous êtes habituellement. Je m'interroge : est-ce une simple petite baisse de forme ? Si c'est le cas, je souhaite qu'elle ne soit que passagère. (Sourires.)

M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Merci docteur !

M. Thierry Repentin. Gardez-vous un peu de force combative pour les longs débats qui nous attendent ? Ou peut-être gardez-vous aussi de la disponibilité pour que vos services et vous-même étudiiez nos amendements d'une façon positive...

Je puis vous assurer, en tout état de cause, que le groupe auquel j'appartiens a, sur cette thématique, déposé une cinquantaine d'amendements dont aucun ne vise à faire de l'obstruction.

Vous avez fait référence, dans votre propos liminaire, à un pacte républicain. C'est aussi dans votre capacité à analyser ces amendements et à accepter ceux qui feront progresser votre cause que nous jugerons si vous souhaitez effectivement un pacte républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.

M. Serge Dassault. Monsieur le ministre, vous nous présentez aujourd'hui votre plan de cohésion sociale et je vous en félicite. Permettez-moi de vous dire cependant que la cohésion sociale ne concerne pas uniquement la mobilisation pour l'emploi, l'insertion professionnelle des jeunes ou encore les logements sociaux. Si la cohésion sociale doit exister quelque part, c'est bien dans l'entreprise, une entreprise dont vous parlez assez peu.

Or une entreprise ne peut se développer sans cohésion sociale, sans un consensus total entre tous ses acteurs - salariés, cadres, dirigeants, actionnaires - pour tendre vers un seul but : satisfaire les clients pour qu'ils achètent les produits de l'entreprise.

Sans cohésion sociale, il risque d'y avoir des conflits, des mécontentements, des démotivations, des grèves aussi, qui vont compromettre la production et la satisfaction des clients, donc l'emploi.

Mme Gisèle Printz. C'est honteux !

M. Serge Dassault. Or, pour obtenir cette cohésion sociale dans l'entreprise, vous oubliez cette idée magnifique du général de Gaulle : l'association capital-travail, autrement dit, la participation. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. Jean Chérioux revient !

M. Serge Dassault. Cette participation, au départ uniquement financière, a été développée sous la forme d'une gestion participative destinée non seulement à associer les salariés aux résultats de l'entreprise, mais aussi à leur donner les informations nécessaires sur la marche de l'entreprise, bonnes ou mauvaises, à leur conférer des responsabilités qui les motivent, ...

Mme Dominique Voynet. Oh là là !

M. Serge Dassault. ... à leur donner la formation économique indispensable, tout en faisant preuve de la considération qui leur est due. Elle leur fait comprendre les mécanismes complexes de fonctionnement d'une entreprise et supprime l'esprit de lutte des classes.

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas près d'arriver ! Comptez sur nous !

M. Robert Bret. Il prend ses désirs pour des réalités !

M. Serge Dassault. C'est pourquoi, monsieur le ministre, j'aurais souhaité que votre loi prévoie une généralisation de la participation dans les entreprises de moins de cinquante salariés, avec une formation économique obligatoire de tous les salariés pour leur en faire comprendre le mécanisme.

Une large information fondant votre loi sur la nécessité de développer la motivation des salariés par la gestion participative serait une manière plus efficace de dynamiser les entreprises et de développer l'emploi.

Sur le plan de la formation, il faut aussi se rendre compte que la sacro-sainte loi sur l'obligation scolaire jusqu'à seize ans se traduit par l'obligation pour tous les élèves de suivre l'enseignement d'un collège unique, ce qui se révèle catastrophique car trop de jeunes sortent du collège sans qualification, deviennent des chômeurs, voire des délinquants, d'où les efforts qui sont faits pour les récupérer. Il serait plus sage de s'en occuper avant !

Il faut leur offrir la possibilité non pas forcément de sortir du système scolaire, mais de suivre des cours de préapprentissage leur permettant, à partir de quatorze ans,...

M. Jean-Pierre Godefroy. Pourquoi pas l'esclavage !

M. Roland Muzeau. Maintenant, nous savons qu'il y a pire qu'Alain Gournac ! (Sourires.)

M. Serge Dassault. ... de s'informer sur les métiers du commerce, de l'industrie et de l'artisanat qu'ils pourraient exercer plus tard.

Mme Raymonde Le Texier. Ils pourront aller travailler chez Dassault !

M. Serge Dassault. Après l'apprentissage, ils trouveront immédiatement du travail, car 400 000 emplois dans ces domaines ne sont pas pourvus. (Rires sur les travées du groupe socialiste.) Si l'on constate que le système scolaire actuel fabrique des chômeurs, il faut en changer : on doit être persévérant, mais pas dans l'erreur !

Bravo, monsieur le ministre pour vos maisons de l'emploi et pour la disparition du monopole de l'ANPE qui, malgré ses mérites, ne saurait résoudre tous les problèmes qui se posent. Ces maisons qui, grâce à leur guichet unique, seront d'une efficacité accrue, permettront aux chômeurs de retrouver un travail plus rapidement et plus sûrement.

Concernant le logement social et la rénovation urbaine, vous connaissez l'importance de l'ANRU, que vous avez vous-même créée, et avec raison. Cette agence devrait disposer de moyens financiers nécessaires pour détruire des logements sociaux datant d'un autre âge et les reconstruire. Il ne sert à rien, en effet, de construire de nouveaux logements si l'on ne détruit pas ceux qui, à l'heure actuelle, condamnent nos quartiers à l'insécurité.

L'accession à la propriété, que vous voulez développer, est d'une importance capitale,...

M. Roland Muzeau. Capitale ?

M. Robert Bret. Le capital, il connaît !

M. Serge Dassault. ... une importance considérable. Je ne saurais trop vous encourager à y consacrer les crédits nécessaires, en particulier pour l'emprunt à taux zéro.

Permettez-moi de vous rappeler que, pour les logements sociaux, la suppression de l'obligation de garantie d'emprunt, très dangereuse pour les communes qui n'ont aucun moyen de l'assumer, serait indispensable. Par ailleurs, les maires devraient pouvoir disposer de la maîtrise totale de tous les logements sociaux construits dans leur commune, y compris des « logements 1 % » qui ne seraient pas attribués. Car si l'Etat fait construire des logements sociaux dans les communes, c'est bien d'abord pour y loger leurs habitants.

Enfin, monsieur le ministre, vous parlez de mobilisation pour l'emploi, mais encore faut-il qu'il y ait des emplois, c'est-à-dire des entreprises qui embauchent. Et il faut, pour qu'elles embauchent, qu'elles aient du travail, des commandes, mais il faut aussi qu'elles puissent débaucher si elles ont moins de travail ou pas assez ; sinon, elles feront faillite, et c'est l'ensemble des emplois qui disparaîtront.

M. Roland Muzeau. Et les bénéfices ? Parlons-en un peu !

M. Serge Dassault. Si elles ont besoin d'embaucher alors, elles le feront ailleurs, c'est-à-dire à l'étranger, en délocalisant, et des emplois en France seront perdus.

M. Roland Muzeau. La menace, maintenant !

M. Serge Dassault. Pour éviter ce blocage, il faudrait aboutir à la flexibilité du travail. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Roland Muzeau. Il n'y en a jamais eu autant, de flexibilité !

M. Serge Dassault. Il ne sert à rien de dépenser des sommes énormes pour faciliter la formation et payer des charges pour les salaires à la place des entreprises si la soupape de l'emploi reste fermée : il n'y aurait pas d'embauches quelles que soient les aides, car ce sont les pays où cette soupape est ouverte qui ont le moins de chômeurs, comme le Danemark ou les Etats-Unis.

La protection de l'emploi ne passe pas par l'impossibilité de licencier, bien au contraire, car les chefs d'entreprise n'ont pas d'autres motivations que de développer leur entreprise et d'embaucher du personnel. C'est une réalité dont il faut prendre conscience.

De plus, grâce aux maisons de l'emploi, les chômeurs retrouveront plus facilement et plus rapidement du travail.

M. Roland Muzeau. Mais oui, bien sûr !

M. Serge Dassault. Tout cela forme un tout. Ainsi, gestion participative, formation aux métiers, flexibilité de l'emploi, tout cela sera plus efficace et finalement ne coûtera pratiquement rien. N'est-ce pas une bonne solution ? (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP et du RDSE.- Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Robert Bret. Quel atterrissage !

M. le président. La parole est à Mme Michèle San Vicente.

Mme Michèle San Vicente. Mon intervention s'adressera plus particulièrement à M. Daubresse : vous fixez comme objectif, monsieur le secrétaire d'Etat, la production sur cinq ans de 500 000 logements sociaux en plus du PNRU, le programme national de rénovation urbaine, qui est d'ores et déjà qualifié par votre ministère de succès. L'ANRU, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, encensée par M. Alduy, aurait validé ou prévalidé soixante-quatorze dossiers nationaux.

Dans ma région, le Nord, la première convention a été signée voilà deux jours à Hem par vous-même, et cinq autres projets sont en passe de l'être. On ne peut que féliciter les heureux bénéficiaires du fait qu'être éligible à ce guichet unique découle encore du parcours du combattant pour tous les élus des petites communes et des communes moyennes.

En décembre 2003, critiquant l'instabilité permanente des financements d'Etat, la dispersion de ces mêmes financements sur onze lignes de crédits différentes et une mécanique aveugle et opaque d'autorisations de programmes médiatiques en l'absence de crédits de paiements tenus secrets, M. Borloo affirmait ceci, à propos de l'ANRU : « Aujourd'hui, la prise de conscience est générale ».

Rassembler les fonds disponibles au sein de ce guichet unique paraissait sans nul doute une bonne idée, excepté que l'annonce de la création de cette agence fut suivie de gels ou d'annulations de crédits : depuis 2003, les crédits destinés à la ville vont en diminuant autant en investissement qu'en fonctionnement, et vous ne pouvez le nier, monsieur le secrétaire d'Etat !

Dans mon agglomération, par exemple, la dotation globale a diminué de 30 % en deux ans et arrive de plus en plus tardivement : alors qu'auparavant 80 % des dotations commençaient à être attribuées dès le mois de mars, cette année, et ce à concurrence de 50 %, elles ont été versées en septembre, bien que certaines doivent impérativement être consommées en décembre.

Dans un contexte socio-économique dégradé - vous le savez bien, monsieur le secrétaire d'Etat ! -, certaines communes du bassin minier sont dans des situations financières difficiles. La plupart ayant une strate de population inférieure à 10 000 habitants, elles ne pourront prétendre ni à l'ANRU ni aux dérogations.

Quand M. Borloo déclare, dans une interview, « qu'il n'y a pas de solution, que le ministère de la ville ne sert à rien, qu'il s'agit tout au plus d'accompagner avec la plus grande habileté médiatique ce voile pudique qui cachait l'indifférence et l'impuissance », on ne peut qu'être étonné.

En effet, à part sa grande habileté médiatique, ses prédécesseurs avaient indubitablement la même ambition que lui : renforcer la cohésion sociale.

Monsieur le secrétaire d'Etat, abandonnez-vous les petites communes à leur sort en sacrifiant les politiques de la ville ?

Deuxième pilier du projet de loi, la politique du logement a connu, hélas ! les mêmes aléas : 14 % de crédits ont été paralysés ou annulés en deux ans.

Les inquiétudes des élus, comme celles des associations, sont au moins aussi fortes, voire supérieures, quant à l'avenir du financement public du logement social.

Ne consacrer des crédits qu'aux opérations de démolition et de reconstruction n'a jamais suffi à fédérer des habitants ! Les associations à l'image de la FNARS, la fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale, engagée dans le maintien de la cohésion sociale des quartiers, protestent, dénonçant l'action d'un gouvernement qui délaisse l'accompagnement social et socio-professionnel des plus exclus en ne leur donnant plus les financements qui leur permettaient de mener à bien leurs missions. Est-ce ainsi que M. Borloo entend « rendre un grand hommage à celles qui ont inventé de nouveaux métiers », pour reprendre l'expression qu'il a utilisée tout à l'heure ?

Alors qu'elles demandaient une réforme de fond visant à maintenir la solvabilité des locataires et une amélioration de la couverture des charges réelles liées à l'habitat, on ne manque pas d'être étonné de découvrir un arrêté en date du 30 avril 2004 relatif au calcul de l'aide personnalisée au logement qui serait justifié non seulement par le coût de traitement des dossiers, mais aussi par le fait qu'il ne touche que 200 000 ménages. Désormais, il ne sera plus procédé au versement de l'APL pour tout montant inférieur à 24 euros.

En revanche, le délai de carence pour qu'une personne au chômage perçoive cette allocation n'a pas été abrogé. Le plan de cohésion sociale ayant pour objet de traiter les phénomènes d'exclusion dans leur globalité, la véritable cohérence n'eût-elle pas été de mettre en adéquation les intentions affichées ?

Le FSL, le fonds de solidarité pour le logement, sera transféré aux départements le 1er janvier 2005. Dans le Pas-de-Calais, peuplé de 1,5 million d'habitants, le conseil général consacre près de 70 % de son budget de fonctionnement à la solidarité. La mauvaise nouvelle est tombée hier : 36 500 personnes touchent désormais le RMI, soit une progression de 10 % en un seul semestre.

Dans l'acte II de la décentralisation, avait été prévu, en même temps que le transfert de cette charge, le transfert de recettes, sauf que les fonds disponibles en 2004 sont calculés par rapport au nombre de RMIstes de 2002, « plombant d'emblée les finances des départements », comme l'a expliqué Dominique Dupilet, président du conseil général du Pas-de-Calais.

Des premières mesures visant à la lutte contre l'insalubrité, au XIXe siècle, aux premières lois de décentralisation, en passant par la loi relative à la lutte contre les exclusions, la loi SRU ou la loi de modernisation sociale, le droit au logement a été reconnu comme un droit social.

Ce projet de loi avait été présenté comme une démarche inédite consistant à traiter ensemble les grands problèmes qui mettent en péril la cohésion de notre pays.

Tout à l'heure, M. Borloo a dit mettre en place les moyens humains financiers et opérationnels. Or, peu d'éléments prouvent ces engagements, et rien ne nous fait penser que la démarche soit inédite. Toutes les lois de gauche que le Gouvernement cherche à supprimer sont là pour prouver le contraire. Il est vrai que, tout à l'heure, il a fait allusion à la seule constitution de 1946.

Si ce projet de loi n'est pas amendé, nous voterons contre, comme l'a déjà indiqué tout à l'heure mon collègue Jean-Pierre Bel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Virapoullé.

M. Jean-Paul Virapoullé. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est avec beaucoup d'espoir je suis venu au Sénat étudier ce projet de loi, un espoir que partagent les citoyennes et les citoyens que je reçois dans ma ville, laquelle compte près de 50 000 habitants qui, depuis de nombreuses années, savent que la tâche des élus est compliquée.

Nous n'avons pas en main tous les atouts du jeu. Ces derniers étant d'ordre intérieur, les élus nationaux, le Gouvernement ont leur mot à dire ; mais l'économie s'étant progressivement globalisée, une part importante des atouts nous échappe : ici, des délocalisations, là, des fermetures d'industries, des pans entiers de l'économie qui se reconvertissent ou s'écroulent ; c'est une recomposition du paysage social et économique de notre pays qui s'opère devant nous, et les plus faibles, donc les plus fragiles, restent sur le carreau.

Ce n'est pas seulement une génération qui est touchée ; nous en sommes maintenant à la deuxième génération de laissés-pour-compte,...

M. Jean-Paul Virapoullé. ... qui commencent à se sentir inutiles à notre société.

Le problème est grave : non seulement il est d'ordre économique et social, mais, de plus, il touche aussi à la citoyenneté.

Quand vous êtes RMIste et enfant de RMIstes, et que vous n'avez jamais vu vos parents se rendre à leur travail,...

M. Jean-Paul Virapoullé. ... vous vous posez la question de l'utilité de l'école, de l'utilité du maire que vous avez élu, de l'utilité de la citoyenneté que vous êtes censé avoir.

M. Roland Muzeau. Et de l'utilité du Gouvernement !

M. Jean-Paul Virapoullé. En fait, vous vous posez la question de l'utilité de tous les gouvernements successifs, et pas de celui-là uniquement.

Mme Hélène Luc. Celui d'aujourd'hui, quand même !

M. Jean-Paul Virapoullé. On fait le procès du gouvernement Raffarin I, Raffarin II, Raffarin III, mais ce n'est pas le problème, mes chers collègues !

Mme Hélène Luc. Si, c'est le problème aussi !

M. Jean-Paul Virapoullé. Je ne peux même pas dire que nous nous sommes trompés, parce que, lorsque le gouvernement Jospin a créé les emplois-jeunes,...

Mme Hélène Luc. Ce n'était pas mal, c'était même bien !

M. Jean-Paul Virapoullé. ... en tant que maire, j'en ai fait profiter ma population ; mais, quand ces dispositifs ont touché à leur terme, la déception a été au rendez-vous !

M. Alain Gournac, rapporteur. Eh oui !

M. Jean-Paul Virapoullé. Ceux qui ont pu être recasés grâce à leur réussite à un concours sont devenus, par exemple, instituteurs, mais les autres sont restés sur le carreau et ont constitué une nouvelle génération d'exclus !

Mme Hélène Luc. Beaucoup de jeunes ont trouvé un emploi et ont repris le goût du travail.

M. Jean-Paul Virapoullé. Reconnaissons donc que la tâche n'est pas facile, que des erreurs ont été commises dans tous les camps et que personne, ici, ni à gauche ni à droite, ne peut porter la Légion d'honneur de la réussite de l'intégration sociale ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Une fois qu'on a le courage de reconnaître cela, on peut commencer à discuter. Maire depuis 1968, je parle de mes échecs en connaissance de cause !

Devant l'immensité et la complexité de la tâche, je suis venu dire à M. Borloo et aux membres de son équipe ministérielle que nous allons les aider. En effet, ils ont au moins le mérite de vouloir essayer de relever le défi, de tenter l'impossible, de rendre cohérentes des actions qui étaient disparates, de remettre en place un ensemble qui fixe des repères aux jeunes, aux familles, à leurs parents, et de dire aux exclus : « Voici des rails, emboîtez-les et avançons ensemble ! »

Reconnaissons les uns et les autres que, à un gouvernement qui procède de la sorte, il y a lieu de prodiguer des encouragements plutôt que de faire un procès d'intention !

Alors, oui, je suis venu apporter un soutien, et même davantage encore : un témoignage, pour vous dire notre soif de réussir.

Ce matin même, le conseil général de la Réunion, sous la dynamique présidence de Mme Nassimah Dindar, a adopté la charte d'intégration sociale, espérant que le présent projet de loi, qui a servi de modèle à notre charte, aura, d'ici à un mois, été adopté et promulgué. Monsieur le ministre, nous vous invitons à venir signer cette charte sur place, parce que nous avons transcrit sur le plan local les moyens que la loi offre sur le plan national.

Lorsque nous verrons que des jeunes, après s'être engagés dans le contrat d'avenir, s'être dirigés soit vers l'emploi marchand, soit vers l'emploi non marchand, dans le domaine de l'économie sociale, après avoir suivi une formation, appris un métier, obtenu une qualification, définissent un vrai projet de vie, nous pourrons nous dire qu'en ce 27 octobre 2004 nous avons fait oeuvre utile.

Ce n'est pas un remède miracle. Qui a la naïveté de croire que le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale résoudra tous les maux, fera sortir les logements des banlieues, rendra la prospérité aux plus pauvres, etc. ? Personne !

M. Roland Muzeau. Non ! C'est sûr ! Personne n'y compte !

M. Jean-Paul Virapoullé. En revanche, nous avons là un moyen nouveau, un dispositif innovant, une bonne volonté politique manifeste qu'il faut soutenir et encourager. C'est ce que nous ferons.

J'évoquerai maintenant un dispositif qui nous intéresse, car il concerne l'école. Je voudrais vous interroger, monsieur le ministre, sur les plateformes et les équipes de réussite éducative.

Nous constatons qu'environ 20 % des élèves arrivent à la fin du cycle primaire en situation d'échec scolaire. Nous retrouvons ensuite ces élèves à la fin du collège, en troisième. Lors des réunions de parents d'élèves, beaucoup nous demandent d'aider leurs enfants. Qu'est-ce que cela signifie, sinon que ces enfants ont besoin de soutien scolaire ? En effet, ce que nous faisons avec nos enfants quand ils sortent de l'école, les familles les plus pauvres, qui sont elles-mêmes en difficulté, n'ont pas les moyens de le faire.

Ma question est donc la suivante : avec ces équipes et ces plateformes de réussite éducative, les moyens financiers programmés dans ce projet de loi nous permettront-ils de payer ce que nous faisons timidement actuellement avec la Caisse d'assurance maladie ?

Aujourd'hui, pour rémunérer des éducateurs, la mairie participe un peu et la CAF également. Nous travaillons ensemble, de façon ponctuelle. Pourra-t-on généraliser le soutien scolaire pour les enfants des familles défavorisées afin qu'ils entrent en sixième en sachant lire, écrire, compter et parler français ?

Avec les plateformes de réussite éducative, pourra-t-on, au collège, faire découvrir aux élèves le monde du travail, le monde de l'entreprise, et leur montrer que la qualification n'est pas un leurre politicien qui ne sert qu'à les occuper jusqu'à la fin de la classe de seconde, mais que c'est, au contraire, un moyen indispensable pour avoir ensuite un employeur, un revenu, un logement et une vie décente ?

Avec les plateformes de réussite éducative, pourra-t-on instaurer des stages d'initiation dans l'entreprise dès le collège, afin de faire découvrir le monde adulte à l'adolescent inquiet qui quitte le collège en se demandant souvent à quoi il va servir dans la société ?

Enfin, j'ai entendu des inquiétudes sur certaines travées de cette assemblée, plutôt sur celles de gauche d'ailleurs. Comme mes collègues, je m'interroge, mais pas de la même façon. J'ai connu l'époque - c'était les années soixante et soixante-dix - où la France était tellement riche qu'on nous invitait à présenter des projets, car il restait encore de l'argent dans les caisses. Il y avait toujours moins de projets que d'argent. Aujourd'hui, au contraire, au fur et à mesure de la globalisation de l'économie, une espèce de machine à créer de l'exclusion est à l'oeuvre dans les pays de l'Europe occidentale.

Vous allez dire que Jean-Paul Virapoullé est contre le libre-échange. Vous allez dire que Jean-Paul Virapoullé est pour le protectionnisme - mais pas « à la Le Pen », j'espère ! Une question se pose pourtant : ce raisonnement est-il juste ?

Pendant longtemps, on m'a dit de ne pas me tracasser : les Chinois feront nos vêtements, nos Nike par exemple ; les Indiens produiront du riz et fabriqueront des produits à faible valeur ajoutée.

Manque de chance, il nous faut revoir notre conception de la globalisation ! Aujourd'hui, la Chine produit 350 000 ingénieurs de haut niveau ; l'Inde fournit 350 000 mathématiciens et ingénieurs de très haut niveau.

M. Robert Bret. Et ils envoient des satellites !

M. Jean-Paul Virapoullé. Effectivement !

Pour une élite bien-pensante - il y en a à droite comme à gauche ; moi, heureusement, étant ignorant, j'en suis exclu ! (Sourires.) -, la haute valeur ajoutée était pour l'Occident et la basse valeur ajoutée, pour les pays émergents.

Moi, je suis un élu de terrain et je vis avec mes émotions, mes convictions, mes erreurs et ma passion. J'ai l'intuition qu'il y a un problème dans le raisonnement de l'élite ! Quand je vois les satellites chinois, voire brésiliens, demain les avions et les centrales nucléaires, je me dis que ces pays viendront nous concurrencer sur le terrain de la haute valeur ajoutée. Quand, par exemple, j'achète à la FNAC un Palm Pilot à mes enfants, je pense acheter européen ; quand je vois « Made in China », je me dis : « tiens, une nouvelle ville en France ! » (Rires.)

Ne vous leurrez pas ! Ce ne sont pas seulement des Nike et des survêtements Adidas qui seront fabriqués en Chine, mais des produits de haute technologie, des médicaments, etc.

M. Robert Bret. A quoi mène cette démonstration ?

M. Roland Muzeau. Donc, il faut arrêter de voter à droite !

M. Jean-Paul Virapoullé. ...je conclurai sur ce sujet, en disant que s'il est bon, mon cher ministre, de contribuer, par ce plan, à résoudre les problèmes internes de l'exclusion sociale, il faut que, à l'échelon du Gouvernement, dans notre combat pour l'Europe politique, cette dernière puisse se poser la question de savoir si on va continuer à vivre dans un monde sans frontières où le dumping social que pratiquent les pays émergents détruit la substance productive des anciens pays de l'Occident.

Si l'on ne se pose pas cette importante question, on ne résoudra pas le problème de la machine qui crée l'exclusion sociale dans notre pays et nous continuerons à vivre d'utopies.

Je vous remercie, monsieur le ministre, de lutter contre les causes internes et je remercie tous ceux qui veulent construire la grande Europe et lui donner les moyens d'exister, non pas dans une économie de marché libérale, mais dans une économie de marché sociale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. Robert Bret. Quelle démonstration !

M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.

Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, pendant les cinq années de la législature précédente, la droite n'a jamais cessé de dénoncer ce qu'elle appelait alors dédaigneusement « le traitement social du chômage ». Elle n'a eu de cesse de fustiger ces dépenses qu'il convenait, d'après elle, au lieu de les affecter à des emplois jugés inutiles, d'injecter dans des entreprises qui n'auraient été empêchées d'embaucher que par une fiscalité écrasante. C'était simple et sans appel !

Dès leur arrivée au pouvoir, monsieur le ministre, vos prédécesseurs ont donc méthodiquement brisé les dispositifs installés par la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions de 1998, en particulier ceux qui concernaient les jeunes. Ils ont réduit les crédits affectés aux contrats emploi-solidarité, aux contrats emplois consolidés ou à la formation des chômeurs de longue durée. Ils ont fait disparaître le secrétariat d'Etat à l'économie solidaire, coupé les vivres à des centaines d'associations de solidarité, durci les conditions d'accès au logement pour les plus démunis, limité la possibilité pour certaines catégories d'étrangers de se soigner. Ils ont dilué les frontières entre contrats de longue et de courte durée, exposant de plus en plus de salariés à la précarité.

Puis, alors que les dégâts étaient faits, alors qu'il devenait clair qu'une absurde politique économique à contre-cycle, privilégiant la baisse des impôts pour les catégories les plus aisées, avait asphyxié une conjoncture déjà morose, le discours a changé : plus les chiffres de l'emploi se dégradaient, plus les dimanches noirs électoraux se succédaient, plus on a commencé à entendre une musique un peu différente.

Vous voilà aujourd'hui le chef d'orchestre de cette nouvelle partition, en train d'essayer de redonner une couleur sociale à une politique économique catastrophique, en train de tenter de faire contrepoint aux orientations de plus en plus outrageusement libérales de l'actuel ministre de l'économie, futur chef de votre majorité.

Vous voilà en train de défendre devant nous, dans l'urgence aujourd'hui, alors que vous avez traîné hier, des mesures dont certaines, sur le papier au moins, présentent d'étranges ressemblances avec celles que vos collègues jetaient aux orties ici même il y a quelques mois à peine.

Monsieur le ministre, la progression du chômage et l'inquiétante remontée de la très grande pauvreté en France, soulignées par à peu près tous les indicateurs dont nous disposons, auraient pu inciter la représentation nationale à un débat serein et presque consensuel sur ces sujets.

L'opposition aurait même pu vous soutenir dans la bataille incertaine que vous avez menée, et finalement perdue, auprès du Premier ministre, pour obtenir la garantie de vos crédits sous forme d'un fonds affecté, pour toute la durée de votre loi de programmation.

Or il se trouve que, au lieu de défendre un beau projet de loi à fort caractère interministériel, mobilisant tout le Gouvernement, comme le nécessiterait en effet la dégradation de la situation, vous venez nous proposer des solutions qui ont toutes les apparences du bricolage, sans cohérence avec les politiques de vos collègues, sans même un lien les unes avec les autres et dont certaines, vous le dites vous-même, n'ont de sens que par rapport à celles qui vont peut-être arriver.

Vous nous proposez dans la pratique un texte fragmenté, des financements incertains et, plus grave encore, des mesures qui fragilisent d'emblée les principaux acteurs chargés de les mettre en oeuvre.

Un texte fragmenté, d'abord. Nous savons tous ici qu'une politique de lutte contre l'exclusion, pour sortir les personnes des spirales infernales des accidents de la vie, n'a de sens que si elle emprunte deux directions : d'un côté, il faut des mesures destinées à faire en sorte que toute l'économie soit prête à les accueillir, pour faire émerger de nouvelles activités pérennes ; de l'autre, il faut des dispositions pour cumuler les enchaînements positifs d'insertion, pour attaquer les problèmes dans toutes leurs dimensions à la fois.

J'observe que votre texte ne dit pourtant rien sur le sujet si important des nouveaux gisements d'emplois, qu'il s'agisse d'environnement, de services aux personnes ou de transport public. Rien, alors que vous vous aventurez d'étrange façon sur les terres de votre collègue de l'éducation nationale dans la troisième partie de votre projet, sur les questions essentielles de la formation ou de la santé, renvoyées, elles, à d'autres échéances, à d'autres textes.

Des financements incertains, ensuite. Les colonnes de chiffres que vous alignez sont étonnantes, soit par leur imprécision, soit, au contraire, par leur impeccable symétrie en fausse fenêtre, comme si leur propos n'était que de paraître, de frapper les esprits.

Quand on connaît la difficulté qu'ont eue vos services à trouver un toit, en près d'un an, à une petite moitié des 500 familles que vous vous étiez engagé à reloger auprès de l'association Droit au logement ; quand on voit la différence entre les prévisions et la réalité, pour le revenu minimum d'activité ou le contrat d'insertion dans la vie sociale, entre les promesses et la réalité pour la destruction-reconstruction de logements dans les quartiers en rénovation, on ne peut qu'être sceptique.

Nous savons tous que le flou des montants, en ce qui concerne l'aide de l'Etat à tel ou tel dispositif de votre plan, et l'absence de toute précision concernant la répartition des charges entre l'Etat et les collectivités locales dissimulent mal le fait que, année après année, budget après budget, vous ou vos successeurs allez devoir remonter au créneau pour défendre votre plan contre les rapaces qui traquent les dépenses sociales, ces dernières ayant été, de façon presque systématique depuis deux ans, les premières variables d'ajustement.

Des mesures qui fragilisent d'emblée les acteurs principaux chargées de les mettre en oeuvre, enfin. Là où une cohérence des politiques publiques serait nécessaire à l'échelle du territoire, là où il faudrait un chef de file clairement identifié et respecté, votre projet de loi instaure une multiplicité de décideurs, voire, plus fâcheux encore, une concurrence entre des opérateurs appelés par ailleurs à coopérer entre eux.

C'est vrai en matière de logement, où la suppression du contingent préfectoral, le refus d'introduire un droit au logement opposable, la priorité accordée de fait aux logements intermédiaires vont contribuer à entretenir une situation dans laquelle les maires se défaussent les uns sur les autres de la responsabilité de construire des logements pour les plus défavorisés.

C'est vrai en matière d'apprentissage, où les fonds de l'alternance vont être sérieusement mis à mal par les dispositions nouvelles de votre projet de loi.

M. Jacques Blanc. Qu'avez-vous fait ? Vous étiez au Gouvernement et vous n'avez rien fait !

M. Alain Gournac, rapporteur. C'est incroyable !

Mme Dominique Voynet. Mais c'est en matière d'emploi qu'on le verra le plus clairement.

Vous poursuivez, en fait, sur la mauvaise pente de la segmentation absolue des différents marchés et flux de l'emploi.

M. Alain Gournac, rapporteur. Vous avez été ministre !

Mme Dominique Voynet. Il ne suffit pas de bâtir un lieu unique, en l'occurrence des maisons de l'emploi, pour mettre du liant dans un système.

M. Alain Gournac, rapporteur. Mémoire ! Mémoire !

Mme Dominique Voynet. Encore faut-il que l'intérêt des opérateurs converge, que chacun ait sa place et que ceux qui le coordonnent ne soient pas à la fois juge et partie.

Or, en libéralisant, comme personne ne l'avait fait avant vous, la gestion des flux d'emploi et de formation, en supprimant le monopole de prescription du service public de l'emploi, en autorisant les entreprises de travail temporaire à faire du placement, vous allez provoquer des mécanismes de concurrence et de rétention de l'information. Vous allez aussi générer des processus par lesquels chaque opérateur sélectionnera les publics les plus éloignés de ceux pour lesquels les dispositifs ont été conçus, fera du chiffre, tournera le dos aux partenariats nécessaires pour la réussite de toute l'opération.

Il était en outre inutile et démagogique...

M. Jacques Blanc. Démagogique ?

Mme Dominique Voynet. ...d'ajouter, par des dispositions « stigmatisantes », une nouvelle « couche d'opprobre » sur les chômeurs toujours « suspects de ne pas chercher du travail » et d'imposer à ceux qui sont les plus fragiles de reprendre à peu près n'importe quelle activité à n'importe quelle condition.

Il aurait été plus judicieux de reposer la question, maintes fois abandonnée, de la représentation des chômeurs dans tous les dispositifs qui les concernent. Il n'en est pas fait état dans votre plan.

Monsieur le ministre, pour toutes ces raisons, vous comprendrez que nous soyons extrêmement réticents à l'égard de ce projet de loi, qui ne semble pas être à la hauteur des enjeux.

Nous sommes d'autant plus réticents qu'à l'ultime minute, des amis à vous, sans doute bien intentionnés à votre endroit, ont cru utile de charger votre barque en intégrant à votre texte des éléments de dissensus qui n'avaient, pour le coup, rien à y faire, qui mobilisent tous les syndicats contre vous, et jettent sur l'ensemble de votre projet de loi une suspicion légitime. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Gournac, rapporteur. Faux !

Mme Dominique Voynet. Croyez-vous que ce soit en facilitant les licenciements par petits paquets dans les PME ou en réduisant les prérogatives des comités d'entreprise que vous allez lutter contre l'exclusion ?

M. Alain Gournac, rapporteur. Le mensonge n'est pas un argument !

Mme Dominique Voynet. Croyez-vous que des mesures bricolées à la hâte pour ne pas déplaire aux lobbies patronaux vont tenir lieu de politique de l'emploi ?

Dans ce domaine comme dans ceux que j'évoquais au début de mon intervention, la volonté de prendre systématiquement le contre-pied de ce qu'avait fait la gauche au pouvoir,...

M. Jacques Blanc. Elle n'a rien fait !

M. Jean-Pierre Bel. Laissez parler Mme Voynet ! Vous l'interrompez sans arrêt !

Mme Dominique Voynet. ...en l'espèce de la loi de modernisation sociale de 2002, montre que votre souci de l'intérêt général s'arrête là où commencent vos a priori idéologiques et vos intérêts partisans. C'est dommage ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'INSEE nous apprend que 3,5 millions de nos compatriotes vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit 6% d'entre eux. Dans la capitale, ce ne sont pas moins de 12% des Parisiens dont les revenus n'atteignent pas le seuil de 670 euros par mois. Cette proportion atteint même 32 % des 300 000 étrangers que compte Paris.

Après avoir évoqué ces chiffres autant spectaculaires que dramatiques, il ne me paraît ni incongru, ni déplacé dans cette enceinte de vous rappeler, mes chers collègues, que derrière le « Paris capitale » qui tantôt nous émerveille, tantôt nous agace, existe un « Paris ville » qui souffre et dont la réalité n'a rien de luxueux, ni de prestigieux.

Mon devoir est de vous alerter sur une situation qui devient très préoccupante et qui est souvent passée sous silence : ce « Paris ville » est sur la pente du déclin. Il perd jour après jour de sa substance, non pas, dans la plupart des cas, au profit de la province, ce qui aurait sa justification, mais au détriment de la compétitivité internationale de notre pays, tant Paris est aujourd'hui concurrencé par Londres ou par Francfort et, plus récemment, par les capitales d'Europe de l'Est, telle Varsovie.

Aussi, est-il salutaire que le Gouvernement s'atèle aujourd'hui au grand chantier de la cohésion sociale, dépassant une représentation surannée et fausse selon laquelle l'inscription de la fracture sociale dans l'espace se résumerait à quelques centaines de quartiers dûment répertoriés, comme si une soudaine poussée de ségrégation territoriale y avait rencontré l'exclusion, la misère et la déshérence à l'intérieur d'un paysage relativement homogène et continu.

Monsieur le ministre, vous avez rejeté cette lecture simpliste de la société en tournant votre politique vers les individus, car c'est en les prenant en considération que l'on transformera le territoire, et non l'inverse, et que l'on atténuera l'extraordinaire anxiété qui traverse la société française depuis plus d'une vingtaine d'années.

Alors que beaucoup considèrent encore que les déchirements de la ville affectent essentiellement une minorité d'exclus, s'impose l'idée selon laquelle les mécanismes de la ségrégation concernent toute la société, et non seulement ses franges, tous les territoires, et non seulement les quartiers sensibles, qui ne sont que le résultat le plus visible de la ségrégation urbaine.

Cette démonstration me permet d'affirmer, sans transition, que « Paris ville » doit prendre toute sa place dans cet engagement collectif pour qu'y soit brisé le cercle vicieux de l'exclusion, du chômage et des discriminations, car derrière les manifestations « Nuit Blanche » ou « Paris Plage », se profile un « Paris ghetto » où les journées sont noires et où, sous le sable, on cherche à cacher la misère...

M. Roland Muzeau. Qu'avez-vous fait pendant vingt-cinq ans ?

M. Philippe Goujon. Depuis trois ans, nous savons qui est au pouvoir à Paris !

Nous le reconnaissons : Paris a perdu 200 000 emplois en dix ans,...

M. Robert Bret. Il y avait les emplois fictifs !

M. Roland Muzeau. Tibéri !

M. Philippe Goujon. ...dont 40 000 l'an dernier, - et ce fait n'est pas imputable à M. Tibéri ! - conséquence mécanique du taux de croissance négatif que la ville a enregistré en 2003, situation unique comparée à celle de toutes les autres capitales européennes.

Du point de vue de la croissance de l'emploi, l'Ile-de-France n'occupe plus que la treizième place parmi les régions métropolitaines.

M. Robert Bret. C'est sûr, avec ce gouvernement !

Mme Hélène Luc. Vous avez chassé les salariés de Paris !

M. Philippe Goujon. Le développement économique n'est pas la priorité de la municipalité parisienne, je vous l'assure ! Et par sa faute, Paris risque aujourd'hui de manquer le train de la croissance retrouvée.

Ainsi, Paris, frappé par une augmentation du taux de chômage enregistré au sein de sa population de 2,6 % entre 2001 et 2003, voit celui-ci dépasser la moyenne nationale pour s'établir à 11,5 % de sa population active, plaçant tout juste la ville derrière la Seine-Saint-Denis, lanterne rouge de la région.

Les entreprises parisiennes se fragilisent : le rapport entre les défaillances et les créations d'entreprises a plus que doublé en un an pour s'établir à 24 % en 2002, ce qui révèle une précarité bien supérieure à la moyenne nationale de 14 %.

M. Robert Bret. Que fait le Gouvernement ?

M. Philippe Goujon. Enfin, Paris est touché dans son commerce et son artisanat. Ainsi, quand étaient créés 100 commerces en 1993, seuls 77 voyaient le jour en 2003. De plus, la fréquentation touristique a baissé de 10 %.

Nul ne peut nier que si cette profonde détérioration de l'économie parisienne relève, en partie, de la conjoncture,...

M. Robert Bret. De la politique du Gouvernement !

M. Philippe Goujon. ... elle dépend aussi de la politique menée par la mairie et par la région, qui n'ont de cesse d'entraver l'attractivité de Paris.

M. Roland Muzeau. Mais non !

M. Philippe Goujon. Ainsi, les entrepreneurs qui quittent Paris ou décident de ne pas s'y installer, citent, en premier lieu, les difficultés de circulation, la politique restrictive et dogmatique de la mairie dissuadant touristes et clients potentiels.

M. Robert Bret. Allez voir à Marseille !

M. Philippe Goujon. Même si ce n'est pas la seule cause, la disparition des commerces traditionnels livre alors des quartiers entiers à la monoactivité.

La volonté de la municipalité s'est traduite par la construction de 50 000 mètres carrés de bureaux à Paris alors que 450 000 mètres carrés ont été érigés dans les Hauts-de-Seine.

M. Roland Muzeau. C'est une intervention qui devrait être faite au Conseil de Paris et non dans cette enceinte !

M. Robert Bret. Il s'est trompé de texte !

M. Philippe Goujon. L'inadéquation de la formation à l'offre de travail aboutit à un taux de chômage de 20 % parmi les ouvriers, faute de qualification adaptée. A titre d'exemple, sur 73 000 postes offerts dans les secteurs de l'hôtellerie-restauration et de l'informatique au cours du premier semestre, 28 000 n'ont pas trouvé preneur !

L'incapacité française, désormais avérée, de parvenir à des créations d'emplois dans le cadre du déclin des activités secondaires et de la montée des services apparaît exacerbée dans la région-capitale.

Ce que l'industrie perd, les services ne le regagnent plus et ce que Paris, où tous les indicateurs sont au rouge, perd sous l'effet conjugué de la crise économique, des délocalisations d'activités et de l'inertie de la mairie centrale et de la région, la banlieue n'en récupère plus qu'une partie.

Résultat : aujourd'hui, l'Ile-de-France a perdu sa deuxième place en matière d'investissements étrangers au profit de la Catalogne.

M. Roland Muzeau. Et vous, vous avez perdu les élections !

M. Philippe Goujon. Il n'est plus possible d'en douter : Paris, qui souffre d'une chute préoccupante de l'activité économique, est en passe de devenir une ville-musée, en proie à une situation sociale dégradée.

Mme Hélène Luc. L'Imprimerie nationale devait quitter Paris depuis quinze ans et ce n'était pas la même mairie !

M. Philippe Goujon. La construction de logements y est en panne, ce qui justifie amplement l'application des mesures du plan de cohésion sociale.

M. Robert Bret. Vous l'avez tout de même lu !

M. Philippe Goujon. Mais oui !

Malgré les engagements de son maire, il est de plus en plus difficile de se loger à Paris. Jamais le nombre de mal-logés n'y a été aussi élevé. Le nombre de foyers parisiens inscrits au fichier des demandeurs de logements sociaux est passé de 93 000 à la fin de l'année 2000 à 103 000 à la fin du mois de juin dernier.

Jusqu'en 2001, chaque année, 2 500 familles étaient logées dans des logements neufs. Aujourd'hui, seulement 1 500 familles parisiennes voient leur situation locative réglée, soit 1 000 de moins que voilà trois ans, 4 000 de moins qu'il y a dix ans. On est ainsi revenu au nombre de logements construits avant que l'abbé Pierre ne lance son fameux appel !

La politique de mobilisation des logements privés vacants a échoué, le montant des loyers imposés par la ville étant beaucoup trop faible et le secteur privé ne construisant presque plus. J'en veux pour preuve deux chiffres : en 2002, les promoteurs privés ont construit 640 logements à Paris alors que, en 2003, ils en ont bâti 265.

De surcroît, les prix de l'immobilier ont augmenté de 35 % en trois ans pour atteindre un niveau inégalé. Quant aux loyers, le prix moyen du mètre carré était de 14 euros en 2001 ; il atteint aujourd'hui 20 euros.

Les familles, les jeunes et les commerçants quittent Paris pour les communes de la première et de la seconde couronne.

Pour les classes moyennes, la Ville de Paris n'a financé que 25 logements PLI, depuis le mois de mars 2001.

Si l'on se tourne vers le conseil régional, l'Ile-de-France, avec 3 logements construits pour 1 000 habitants, enregistre la plus mauvaise performance de toutes les régions françaises. Ainsi, 2003 a été l'année de la plus faible production depuis cinquante ans, moitié moins que de 1986 à 1989.

Alors oui, mesdames, messieurs les ministres, les efforts consentis par le Gouvernement en faveur de la cohésion sociale sont indispensables pour notre pays, pour notre région, pour notre ville.

En dehors du logement que je viens d'évoquer, permettez-moi d'insister sur deux attentes très fortes des Parisiens qui concernent l'emploi et l'égalité des chances.

Nous le savons tous : de trop nombreux jeunes âgés de 16 à 24 ans ne disposent d'aucune qualification et rencontrent des difficultés particulières d'accès à l'emploi. A Paris, le chômage des jeunes est encore plus élevé qu'ailleurs. Leur situation nécessite un accompagnement renforcé et personnalisé ; c'est tout le sens des mesures qui seront mises en oeuvre afin de mobiliser tous les acteurs de l'éducation et de l'insertion.

A cet égard, je présenterai un amendement à l'article 1er afin d'intégrer dans le premier cercle du service de l'emploi le réseau des missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes.

Il apparaît également souhaitable que l'organisation du droit à l'accompagnement personnalisé auprès des jeunes sans emploi relève de la compétence de l'Etat, les missions locales étant restées sous sa compétence et le CIVIS lui étant transféré. Tel est le sens de mon deuxième amendement qu'approuveront, je l'espère, Mme et MM. les rapporteurs dont je tiens à saluer la qualité du travail.

Dans le même esprit, monsieur le ministre, votre projet de loi engage la modernisation et le renforcement de l'apprentissage auquel onze articles sont consacrés. Le potentiel de développement de cette filière professionnelle est très important puisque près de 500 000 chefs d'entreprise, en particulier de très petites entreprises, partiront en retraite dans les quinze ans à venir. Leur remplacement représente un débouché sérieux pour les apprentis.

Ajoutons que l'apprentissage peut encore être orienté vers des métiers attractifs et innovants.

D'une part, il est indispensable de tenir compte des aspirations des jeunes et, d'autre part, de nouvelles activités requièrent des formations adaptées. Par exemple, le spectacle, les services haut de gamme, les métiers de la sécurité, du tourisme et de la culture sont largement présents à Paris et les besoins en main-d'oeuvre dans ces secteurs sont réels. Dès lors, on a du mal à comprendre pourquoi le conseil régional d'Ile-de-France ne soutient pas la création d'un CFA formant des techniciens du spectacle et de l'audiovisuel ou d'un CFA consacré aux métiers de la sécurité. Mais c'est, là encore, une question de volonté politique.

Alors que la région aurait dû se fixer un objectif de formation de 100 000 apprentis, en six ans, leur nombre n'est passé que de 58 000 à 65 000.

Les évaluations disponibles convergent toutes pour souligner que les investissements publics pour l'amélioration des conditions de développement des jeunes, et des jeunes les plus démunis, sont non seulement justes mais parmi les plus rentables qui puissent se concevoir.

Evoluer vers une société plus fluide suppose l'instauration de passerelles plus nombreuses et des aller-retour plus fréquents entre formation initiale et marché du travail, formation générale et formation professionnelle.

Une autre attente que suscite ce projet de loi concerne l'égalité des chances. Contrairement à bien des idées reçues, et je crois l'avoir démontré, Paris n'est donc pas seulement la ville de riches souvent décrite. Elle accueille aussi une population pauvre, nombreuse et, facteur aggravant, concentrée dans le nord-est. C'est ainsi que 40 % des populations concernées résident dans les XVIIIe, XIXe et XXe arrondissements qui, entre autres, relèvent de la politique de la ville.

Que la région-capitale contribue au développement du territoire national, cela va de soi et ne choque personne, bien au contraire. L'Ile-de-France transfère 25 milliards d'euros vers les autres régions au titre des impôts et des prélèvements sociaux.

Mais si, jadis, la capitale était supposée capter les énergies et les richesses du pays, il existe aujourd'hui un déséquilibre en sens inverse : l'Ile-de-France produit 29 % du PIB et ne bénéficie que de 22 % des redistributions. En son sein, Paris fait figure de parent pauvre.

Dans ces conditions, et dans l'intérêt bien compris de notre pays, il est temps de s'interroger sur les dispositifs qui suscitent la fuite des emplois de Paris. Il faut pouvoir au contraire y réintroduire des activités de services, y attirer les sièges de filiales européennes de multinationales et leurs cadres étrangers. Il en va de l'intérêt national tant nous ne saurions, demain, tirer un quelconque bénéfice d'un « désert parisien » qui prendrait la place du « désert français » que l'on décrivait hier.

Permettre aux plus faibles d'engager le processus de reconstruction de soi et redonner à Paris sa motricité au bénéfice du pays tout entier sont, à l'évidence, des objectifs complémentaires.

Le plan d'envergure que vous nous proposez, monsieur le ministre, repose sur une démarche inédite qui consiste à agir simultanément sur tous les leviers pour restaurer la cohésion sociale, à rebours de l'approche cloisonnée et morcelée qui a longtemps prévalu, à rebours des discours illusoires sur une République d'autant plus idéalisée qu'elle est imaginaire dans les faits et où n'a pu être évité le développement d'une société de castes, où le vrai communautarisme est social.

Puisse ce plan nous faire prendre acte du profond déchirement intérieur de notre société et assurer la mise en oeuvre des principes politiques et des moyens qui permettront de la rassurer et de la recoudre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, compte du délai dont je dispose, je concentrerai mon intervention sur l'apprentissage, qui occupe une part importante de ce texte, ce qui n'a peut-être pas toujours été apprécié à sa juste valeur.

Vous avez vous-même souligné l'importance de ce volet du projet de loi, monsieur le ministre. Vous avez déclaré qu'il consacrerait une voie d'excellence qui existerait « enfin » ! Le mot « enfin » était de trop ! Je vous informe que cette voie existe déjà, mais je suis sûr que vous en êtes persuadé.

Cette voie regroupe la moitié de la jeunesse de France en âge d'être scolarisée dans l'enseignement secondaire, dans les filières professionnelles, technologiques et dans celles de l'apprentissage. Elle a permis à notre patrie d'être le deuxième pays du monde en termes de gains de productivité ; je le dis pour tous ceux de nos collègues qui éprouvent parfois une jouissance étrange à aligner les performances des autres en oubliant les nôtres. Elle a permis à notre patrie d'être la quatrième économie du monde, ce qui ne se conçoit, compte tenu de notre faible nombre, que par le talent et la qualification de la main-d'oeuvre française.

Le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale contient donc un volet « apprentissage ». Soit. Beaucoup s'en réjouissent. Mais je m'interroge : que fait-il là ? Pourquoi une voie particulière de formation prend-elle place dans un projet de loi relatif à la cohésion sociale ?

Je le dis très solennellement, en espérant que d'autres sur ces travées le diront comme moi : il n'y a pas dans ce pays de voie de remédiation sociale. L'éducation est nationale. Elle vaut pour tous. Il n'existe pas de voie pédagogique pour les pauvres. Il n'y a pas de diplôme social ; il n'y a que des diplômes sanctionnant une qualification applicable partout.

Ce volet du texte, monsieur le ministre, présente des aspects tout à fait étranges.

J'ai d'abord noté un effet d'évaporation entre l'exposé des motifs et les articles du projet de loi. Vous annoncez en effet des dispositions qui ne figurent pas dans les articles. Il en est ainsi de l'amélioration de la rémunération des apprentis.

J'ai ensuite relevé une disposition quant à elle tout à fait volontaire. Mais chacun d'entre vous y a-t-il réellement réfléchi ? Avez-vous sérieusement l'intention, monsieur le ministre, d'obliger les entreprises de ce pays à embaucher 2 % de leur main-d'oeuvre sous forme d'apprentis ? Avez-vous sérieusement l'intention de demander à la régie Renault, par exemple, qui a embauché 40 000 personnes entre 1999 et 2004, d'engager 2 000 apprentis et de disposer de 2 000 maîtres d'apprentissage ? Vous vous trompez totalement ! Une entreprise n'est pas une école !

L'apprentissage fonctionne dans certains métiers, pour certains gestes professionnels. C'est pourquoi il est souvent si bien adapté à l'artisanat, mais si peu à la grande industrie, notamment dans les secteurs techniquement les plus avancés.

Vos dispositifs sont également répétitifs, monsieur le ministre. Ainsi, le dispositif que vous prévoyez concernant le doublement du nombre d'apprentis est semblable à celui qui figurait déjà - je le dis, car j'ai eu l'honneur de participer à ce débat -, dans la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle de 1993, dite « loi Giraud », comme l'est d'ailleurs l'exonération d'impôts pour les entreprises employant des apprentis. Ces mesures ont été abandonnées, sans que personne trouve à y redire, simplement parce qu'elles ne fonctionnaient pas.

Une telle vision idéologique conduit à survaloriser l'apprentissage plus qu'une approche pragmatique de la place qu'il peut occuper dans notre système d'éducation professionnelle.

M. Alain Gournac, rapporteur. C'est vrai !

M. Robert Bret. C'est bien vu !

M. Jean-Luc Mélenchon. J'ai également relevé quelques aspects un peu mystificateurs dans votre projet de loi, monsieur le ministre. Pensez-vous sérieusement que la relève des chefs d'entreprise, qui doit intervenir sous peu, sera assurée par les apprentis que l'on va embaucher maintenant ? Vous ne pouvez pas y croire !

M. Robert Bret. Ce n'est pas sérieux !

M. Jean-Luc Mélenchon. Chef d'entreprise, cela ne s'improvise pas, ...

M. Guy Fischer. Bien sûr !

M. Jean-Luc Mélenchon. ... surtout dans l'artisanat et dans l'industrie ! Pensez-vous sérieusement que, en étendant l'apprentissage aux personnes âgées de plus de vingt-cinq ans, vous trouverez des apprentis, alors que leur rémunération est, au début, inférieure au RMI ? Pensez-vous sérieusement que des contrats d'apprentissage de moins d'un an sont jouables ? Mais pour préparer quel diplôme ? Aucun diplôme ne s'acquiert en moins d'un an !

M. Laurent Hénart, secrétaire d'Etat. Si ! La mention complémentaire !

M. Jean-Luc Mélenchon. Je vous pose cette question, mais j'en connais la réponse : avec l'apprentissage, vous avez l'intention de préparer les certificats de qualification professionnelle, les CQP, ...

M. Guy Fischer. Validation des acquis de l'expérience !

M. Jean-Luc Mélenchon. ... que tous les ministres qui se sont occupés d'enseignement professionnel, qu'ils soient de droite ou de gauche, ont refusé de reconnaître au même niveau que les diplômes professionnels. Ce n'est donc pas une bonne idée, pratique et pragmatique.

Enfin, votre projet de loi induit un effet de confiscation. Peut-être me démontrerez-vous le contraire tout à l'heure. Mais tout de même, en faisant passer une partie du produit de la taxe d'apprentissage du barème au quota, ce sont 190 millions d'euros destinés à l'ensemble des formations professionnelles qui seront spécifiquement affectés aux CFA. Ce sont donc bien 190 millions que vous prenez aux lycées professionnels pour les donner aux CFA ! Comment comptez-vous procéder, monsieur le ministre pour que cette somme alimente la caisse de l'enseignement professionnel et technologique, qui regroupe le plus grand nombre de jeunes français ? C'est tout de même en dans cette filière que se trouve la masse des Français.

Mon analyse est la suivante : il s'agit là d'une logique de désengagement de l'Etat, comme je vais le démontrer, chiffres à l'appui.

Vous dites, monsieur le ministre, que vous voulez porter à 500 000 le nombre des apprentis. Ils sont aujourd'hui 350 000. Vous voulez donc en prendre 150 000 de plus dans une classe d'âge qui connaît un déclin démographique. Ces apprentis seraient normalement allés dans les sections d'enseignement professionnel ou technologique. C'est donc bien à l'enseignement scolaire que vous retirez ces effectifs. C'est d'ailleurs cohérent avec la fermeture décidée par M. Fillon, cette année même, d'un nombre considérable de sections d'enseignement professionnel, au motif que leurs effectifs étaient insuffisants.

M. Guy Fischer. C'est un démantèlement !

M. Jean-Luc Mélenchon. Cela prouve simplement qu'il ne les connaît pas. Il a surtout diminué de 40 % le nombre des enseignants recrutés, ce qui revient à prendre une option sur l'avenir.

Monsieur le ministre, vous vous trompez ! Le dispositif que prévoit le projet de loi n'est pas crédible. L'apprentissage n'est pas la voie royale que vous pensez.

M. Jacques Blanc. Mais si !

M. Jean-Luc Mélenchon. Il correspond à un type particulier de parcours qu'un jeune peut emprunter, à un modèle pédagogique précis, dont d'ailleurs les pédagogues discutent l'efficacité. Certes, force est de reconnaître que des résultats ont été obtenus, mais, monsieur le ministre, sachez que, depuis un quart de siècle, la tendance a été à la scolarisation. C'est si vrai que l'apprentissage lui-même, les CFA, sont de plus en plus tournés vers l'aspect scolaire, plus que vers ce que l'on appelle l'enseignement pratique.

Compte tenu des technologies de notre époque, le tour de main, l'apprentissage par le repérage du geste professionnel concernent un nombre de plus en plus faible de métiers, y compris dans l'artisanat. Le niveau technologique, qui s'élève sans cesse, requiert que les jeunes soient préparés par l'acquisition d'un nombre croissant de connaissances générales.

Il n'existe pas, contrairement à ce que j'ai lu dans certains rapports, de métiers qui ne requièrent que des aptitudes relationnelles personnelles. Cela n'existe pas ! L'exemple cité était celui de la vente. Mes chers collègues, allez dans n'importe quel établissement où l'on vend des ordinateurs et demandez-vous si vous vous contentez de vendeurs qui n'ont que des aptitudes relationnelles ! Non ! Ils ont aussi des connaissances abstraites. Celles-ci s'acquièrent, elles ne tombent pas du ciel, elles ne suintent pas des murs de l'entreprise. Tout jeune, toute personne est éducable. Et si l'on renonce à cette idée, on renonce alors tout simplement à croire en l'humanité elle-même.

Mesdames, messieurs les ministres, il n'y a pas de lien direct, observable entre l'apprentissage et l'acquisition d'un emploi. Il y a en revanche un lien direct entre la possession d'une qualification reconnue par un diplôme et le travail. Cela, c'est sûr. Et cela se vérifie dans les deux sens : si vous avez un diplôme, vous avez du travail ; si vous n'avez pas de diplôme, vous n'avez pas de travail.

J'ajoute que le système d'apprentissage de nos amis allemands, que tout le monde a admiré - tout ce que font les autres est toujours plus admirable que ce que nous faisons nous-mêmes - est en train de s'effondrer, car ils ont eu eux aussi à faire face à l'évolution des métiers, à la flexibilité de l'emploi. Ils se mettent aujourd'hui à payer les maîtres d'apprentissage.

Chez eux, la première insertion professionnelle est réussie parce qu'elle correspond à la reproduction de gestes professionnels observables, mais la seconde est toujours un échec. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont ceux des nôtres qui procèdent à des analyses afin de rendre notre système le meilleur possible.

C'est une dépense inutile, monsieur le ministre. Vous allez augmenter de 40 % la taxe d'apprentissage, tant mieux ! Au passage, vous créez un organisme de collecte unique. Demandez aux fédérations artisanales si elles pensent que c'est une bonne idée ! Cela sent la centralisation, qui est toujours avantageuse pour les plus gros, mais se fait au détriment des plus petits. Or ce sont précisément les plus petits qui ont le plus besoin d'apprentis. Je vous le signale, monsieur le ministre, car vous serez à mon avis accueilli assez froidement sur ce sujet par ces fédérations patronales.

Vous êtes en train d'inventer l'eau chaude, monsieur le ministre. Le système public nous permet d'éduquer la masse de nos jeunes au plus haut niveau de performance technique. Aujourd'hui, on le constate, les transferts de technologie se font à partir des établissements publics. Le coût d'un apprenti du secteur public est inférieur de moitié à celui d'un apprenti d'un CFA, car le système public permet une mutualisation des moyens, contrairement aux CFA privés. Je ne les en rends pas responsables, je dis simplement que nous ne devons pas amplifier cette réalité !

Alors, que faudrait-il faire ? Peut-être me permettrez-vous quelques suggestions ? Après tout, je ne suis peut-être pas le plus mal placé pour en faire !

Il faudrait d'abord faire évoluer de façon significative le nombre de nos jeunes qui obtiennent le baccalauréat professionnel. Il ne faut donc pas renoncer à l'objectif des 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat. (Murmures sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.). Aujourd'hui, si cet objectif est atteint dans la filière générale, il ne l'est pas dans la filière professionnelle. Y renoncer, c'est renoncer à l'élévation du niveau de la classe ouvrière de ce pays.

M. Jacques Blanc. Ce n'est pas vrai !

Mme Hélène Luc. Il a raison !

M. Jean-Luc Mélenchon. C'est la vérité ! La vérité chiffrée ! Il suffit d'examiner les chiffres de l'éducation nationale. Notre pays ayant besoin d'une main-d'oeuvre de plus en plus qualifiée, les jeunes doivent être plus nombreux à avoir un baccalauréat professionnel.

Ensuite, un statut du jeune en formation est nécessaire. En effet, si l'apprentissage a du succès, mais il n'a pas que du succès, c'est notamment parce qu'il est rémunéré - rémunéré, pas rétribué, selon le terme du code du travail. Et si un quart des jeunes interrompent leur contrat d'apprentissage au cours des trois premiers mois de leur formation, c'est parce qu'ils ne sont pas traités comme ils espéraient l'être.

Si vous régliez le problème du statut social des jeunes des lycées professionnels, des sections technologiques, ils seraient plus nombreux à poursuivre leurs études jusqu'au baccalauréat. Pour l'instant, ils ne sont bloqués au niveau où ils sont que parce qu'ils n'ont pas les moyens financiers de continuer. (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

Enfin, il faudrait, et c'est urgent, entreprendre la réforme pédagogique de l'apprentissage lui-même, d'abord pour valoriser le travail accompli, ensuite pour rectifier ce qui ne va pas. Et de nombreux points ne vont pas. J'ai eu à connaître que, par exemple, les programmes d'enseignement généraux n'avaient pas été réformés pendant plus de vingt ans ! N'était-ce pas un scandale ? Je les ai refaits.

Je sais que, aujourd'hui encore, le traitement des apprentis est inacceptable sur de nombreux points. Je n'en dirai pas davantage, car je ne veux pas être celui qui, d'une quelconque façon, désignera du doigt la part si brave, si courageuse de notre jeunesse et de ceux qui s'en occupent. Il s'agit de 350 000 de nos enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.

M. Alain Fouché. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je dirai quelques mots sur la situation des jeunes et sur la situation sociale de notre pays pour montrer combien il est pertinent de la part du Gouvernement de concentrer ses efforts sur l'emploi, en particulier des jeunes. Notre problème majeur, comme celui de nombreux pays, car il n'est pas propre à la France, derrière les situations d'exclusion et de grande détresse, c'est le chômage.

Au début des années soixante-dix, le taux de pauvreté était de 15,7 % et concernait 2 500 000 personnes. Selon les dernières statistiques, il toucherait aujourd'hui 3 500 000, soit un peu plus de 6 % des ménages.

Au-delà de ce constat, qui a de quoi surprendre, il importe d'observer qu'en trente ans la pauvreté a largement changé de nature.

En 1970, 30 % des personnes âgées de plus de 65 ans étaient sous le seuil de pauvreté, alors qu'elles sont moins de 5 % actuellement. Aujourd'hui, ce sont les 15-25 ans qui sont les plus exposés. Dans le « noyau dur » des actifs les plus pauvres, ce sont les « petits » indépendants, petits agriculteurs ou femmes aides familiales à temps partiel par exemple, qui sont les plus touchés. Parmi les salariés les plus pauvres, on compte surtout des jeunes en contrat à durée déterminée non diplômés et vivant seuls, ainsi que des femmes à la tête d'une famille monoparentale, employées le plus fréquemment dans certaines industries ou dans les services aux particuliers.

Il est donc vrai que les jeunes de 15 à 24 ans sont les plus menacés par l'exclusion, la précarité et la pauvreté. Il était par conséquent urgent de prendre à bras-le-corps le problème des jeunes les plus éloignés de l'emploi.

Le danger premier est de laisser des milliers de jeunes sans qualification connaître les difficultés les plus lourdes face à l'insertion sociale et professionnelle.

Leur taux de chômage atteint 35 % alors qu'il est de 22 % pour l'ensemble des jeunes et de 9,8 % pour l'ensemble de la population. Qui plus est, la durée de chômage est encore plus longue pour les jeunes sans qualification puisqu'elle se situe entre un et deux ans contre 138 jours pour les jeunes diplômés et 225 jours pour l'ensemble des chômeurs, ce qui rend leur insertion professionnelle encore plus difficile.

On a beaucoup parlé de méthode et aussi donné beaucoup de leçons au Gouvernement, mais ce ne sont pas ceux qui ont proposé, il y a quelques années, les emplois jeunes qui ont réglé les problèmes. Je me souviens que le gouvernement Jospin avait promis 350 000 nouveaux emplois dans le secteur public ; dans les faits, ce sont 220 000 emplois dans le secteur non marchand qui ont effectivement été créés et seuls 30 % de ces emplois survivent à l'arrêt du subventionnement de l'Etat, qui était prévu, on oublie souvent de le dire, dans le dispositif Jospin puisqu'il s'agissait d'emplois mort-nés. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)

C'est la vérité !

Conscient de cette situation, le Gouvernement lance un programme d'accompagnement de 800 000 jeunes vers l'emploi durable.

Les missions locales et les permanences d'accueil, d'information et d'orientation seront chargées prioritairement de repérer et d'aider ces jeunes afin de les accompagner jusqu'à l'emploi.

Peut-on critiquer les maisons pour l'emploi ? Je constate en tout cas que, dans mon département, les deux villes principales que sont Poitiers et Châtellerault ont formulé auprès du préfet leur souhait d'avoir une maison pour l'emploi.

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Eh oui !

M. Alain Fouché. Ce n'est sans doute pas si mauvais signe puisque ces deux villes sont gérées par des maires socialistes !

M. Alain Gournac, rapporteur. Bizarre, bizarre !

M. Alain Fouché. Cela ne doit donc pas être si mal que cela !

Les 300 maisons pour l'emploi viendront utilement compléter le dispositif d'accompagnement et il sera largement fait appel aux contrats initiative emploi et aux nouveaux contrats d'accompagnement dans l'emploi.

Le contrat « jeune sans charge en entreprise » sera, quant à lui, amélioré, notamment par la modulation du soutien versé aux entreprises en fonction du niveau du jeune recruté.

Enfin, un référent unique, expérimenté, suivra chaque jeune sur tous les plans, qu'il s'agisse de la formation et de l'emploi, mais aussi du logement, des transports et de la santé.

Le volet « formation » est au coeur du dispositif puisque 75 millions d'euros en 2005, puis 100 millions d'euros ultérieurement, seront affectés au fonds d'insertion professionnelle.

Un autre programme dont vous prenez l'initiative, mesdames et messieurs les ministres, sera, quoi qu'on en dise, très salutaire : la redynamisation de l'apprentissage.

Vous entendez augmenter de 40 % le nombre des apprentis et le porter à 500 000 en 2009 alors que notre pays n'en forme aujourd'hui que 300 000. On peut critiquer les exemples des pays voisins, de l'Allemagne notamment, qui a pourtant compris depuis longtemps et qui est souvent citée comme modèle. Ainsi, on comptait en Allemagne, à la fin de l'année dernière, 1,6 million d'apprentis, soit quatre fois plus qu'en France ; environ 70 % des jeunes empruntent cette voie pour entrer sur le marché du travail...

Mme Michelle Demessine. C'est un échec patent !

M. Alain Fouché. ...et plus de 600 000 entreprises forment des apprentis dans tous les secteurs économiques.

L'apprentissage peut être et doit être un véritable « passeport pour l'emploi », comme le résume la dernière campagne lancée par le fonds national de promotion et de communication de l'artisanat, qui y croit beaucoup.

Cela étant dit, l'apprentissage est encore - on le voit aujourd'hui - mal considéré dans l'opinion et il importe de tout faire pour revaloriser son image.

Aussi, réhabiliter l'image, le statut social et financier de certains métiers dévalorisés et mal rémunérés s'impose-t-il. Ce qui a été fait pour certaines catégories professionnelles dont le statut a été considérablement revalorisé pourrait aussi être fait pour le bâtiment, les services de restauration, d'hôtellerie et de nettoyage, par exemple.

Au Danemark, les maçons sont aussi bien considérés et presque aussi bien payés que les médecins. Conclusion : on n'y manque pas de maçons et l'on n'y manque pas de médecins non plus !

M. Jacques Blanc. Ici, on manque et de maçons et de médecins !

M. Alain Fouché. Dans cet esprit, la volonté du Gouvernement de faire de l'apprenti un « étudiant des métiers » mérite d'être plus largement approuvée.

Faut-il rappeler ce paradoxe ? Dans notre pays, alors que l'on compte 2,5 millions de chômeurs, 400 000 postes ne sont pas pourvus, faute de candidats.

La priorité doit donc consister à réduire cet écart en valorisant, entre autres voies, l'apprentissage. L'Etat y consacrera, au total, 600 millions d'euros, notamment sous la forme de diverses incitations fiscales.

J'approuve aussi la création du fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage qui permettra d'adapter l'offre de formation, notamment en favorisant la création de campus des métiers, et d'améliorer la qualité des formations dispensées.

De la sorte, les organismes collecteurs de la taxe d'apprentissage auront un rôle accru. La lisibilité de la taxe en sera améliorée, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.

En un mot, mesdames, messieurs les ministres, le plan que vous nous présentez, assorti de près de 13 milliards d'euros sur cinq ans, est le plus ambitieux qui n'ait jamais existé pour une cohésion sociale enfin retrouvée.

Vous mettez fort justement l'accent sur le logement et l'égalité des chances, tout en mobilisant tous les efforts pour l'emploi, et, de cela, comme de nombreux Français, je vous remercie ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

MM. Robert Bret et Roland Muzeau. Attendez le résultat !

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Dossier législatif : projet de loi de programmation pour la cohésion sociale
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