sommaire

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

1. Procès-verbal

2. Candidatures à un organisme extraparlementaire

3. Questions orales

fonctionnement des garderies périscolaires

Question de M. Jean-Claude Carle. - MM. Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative ; Jean-Claude Carle.

baisse du nombre des agents de l'onf dans le gard

Question de M. André Rouvière. - MM. Nicolas Forissier, secrétaire d'Etat à l'agriculture, à l'alimentation, à la pêche et à la ruralité ; André Rouvière.

financement de la fédération nationale des foyers ruraux

Question de M. Jean-Pierre Bel. - MM. Nicolas Forissier, secrétaire d'Etat à l'agriculture, à l'alimentation, à la pêche et à la ruralité ; Jean-Pierre Bel.

intercommunalité et respect de l'autonomie communale

Question de M. Michel Billout. - Mme Marie-Josée Roig, ministre déléguée à l'intérieur ; M. Michel Billout.

situation du cnrs dans la région nord-pas de calais

Question de Mme Michelle Demessine. - M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche ; Mme Michelle Demessine.

révision du plan de gêne sonore de l'aéroport d'orly

Question de Mme Hélène Luc. - M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable ; Mme Hélène Luc.

conséquences de la mise en oeuvre du plan de prévention des risques d'inondations (ppri) pour les collectivités locales

Question de Mme Catherine Tasca. - M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable ; Mme Catherine Tasca.

situation de l'industrie textile en lorraine

Question de M. Jean-Pierre Masseret. - MM. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie ; Jean-Pierre Masseret.

situation statutaire des fonctionnaires des collectivités locales

Question de M. Georges Mouly. - MM. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie ; Georges Mouly.

difficultés de recrutement de sages-femmes en seine-saint-denis

Question de Mme Eliane Assassi. - M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie ; Mme Eliane Assassi.

conduite sans permis de conduire

Question de M. Alain Gournac. - MM. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer ; Alain Gournac.

transferts aux départements des personnels des dde

Question de M. Jean-Claude Peyronnet. - MM. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer ; Jean-Claude Peyronnet.

suppression de subdivisions de la dde

Question de M. Jean-Marc Todeschini. - MM. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer ; Jean-Marc Todeschini.

procédure applicable en matière de qualification ou requalification des médecins

Question de Mme Catherine Procaccia. - Mmes Catherine Vautrin, secrétaire d'Etat aux personnes âgées ; Catherine Procaccia.

situation du service public de santé en haute-saône

Question de M. Jean-Pierre Michel. - Mme Catherine Vautrin, secrétaire d'Etat aux personnes âgées ; M. Jean-Pierre Michel.

situation de l'usine thomson videoglass de bagneaux-sur-loing

Question de M. Yannick Bodin. - MM. Laurent Hénart, secrétaire d'Etat à l'insertion professionnelle des jeunes ; Yannick Bodin.

4. Nomination de membres d'un organisme extraparlementaire

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

5. Conférence des présidents

6. Spectacle vivant. - Débat sur une déclaration du Gouvernement

MM. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication ; Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles ; Jean Puech, Mme Catherine Morin-Desailly.

M. le président.

présidence de M. Roland du Luart

MM. Jack Ralite, Michel Thiollière, Serge Lagauche, Jean-Claude Gaudin, Pierre Laffitte, Marcel Vidal, Yann Gaillard, Mme Marie-Christine Blandin, M. Louis de Broissia, Mme Catherine Tasca, MM. Alain Dufaut, Yves Dauge, Jean-Paul Alduy.

M. le ministre.

Clôture du débat.

7. Organisme extraparlementaire

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

8. Statut général des militaires. - Discussion d'un projet de loi

Discussion générale : Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense ; MM. André Dulait, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ; Jacques Peyrat, Philippe Nogrix, Mme Hélène Luc, MM. André Boyer, Didier Boulaud, André Rouvière, Jean-Pierre Michel.

Clôture de la discussion générale.

Renvoi de la suite de la discussion.

9. Transmission d'un projet de loi constitutionnelle

10. Dépôt d'une proposition de loi organique

11. Dépôt d'une proposition de loi

12. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

13. Ordre du jour

compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures dix.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

CANDIDATURES À UN organisme extraparlementaire

M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein du Conseil supérieur des prestations sociales agricoles.

Les commissions des finances et des affaires sociales ont fait connaître leurs candidats.

Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.

3

Questions orales

M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

J'informe le Sénat que la question orale n° 617 de M. Daniel Reiner est retirée, à la demande de son auteur, de l'ordre du jour de la séance du mardi 1er février 2005.

fonctionnement des garderies périscolaires

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle, auteur de la question n° 616, adressée à M. le ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative.

M. Jean-Claude Carle. Monsieur le ministre, en application du décret du 3 mai 2002 relatif à la protection des mineurs à l'occasion des vacances scolaires, des congés professionnels et des loisirs, le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche a pris un arrêté en date du 21 mars 2003 fixant les titres et diplômes permettant d'exercer les fonctions d'animation et de direction des centres de vacances et de loisirs.

Cet arrêté prévoit que, jusqu'au 1er septembre 2005, dans les centres de loisirs accueillant moins de cinquante mineurs, y compris les garderies périscolaires, les fonctions de direction peuvent être encore exercées par des personnes âgées de vingt et un ans au moins, titulaires du brevet d'aptitude aux fonctions d'animateurs, le BAFA, ou de l'un des diplômes admis en équivalence, et justifiant d'une expérience d'animation en centres de vacances ou en centres de loisirs.

Par conséquent, à compter du 1er septembre 2005, ces centres accueillant moins de cinquante enfants devront être dirigés au minimum par une personne titulaire du brevet d'aptitude aux fonctions de direction, le BAFD, d'un diplôme équivalent ou stagiaire au titre du BAFD. Ainsi, la direction de ces structures, y compris les garderies périscolaires, ne pourra plus, comme c'est le cas actuellement, à titre transitoire, être assurée par des titulaires du BAFA ou d'un diplôme équivalent.

Cette nouvelle réglementation obligera donc les collectivités à revoir complètement l'organisation de leurs services, notamment au sein des centres de loisirs, mais surtout des garderies périscolaires, où les fonctions d'animation sont généralement assurées par des agents titulaires du grade d'agent territorial spécialisé des écoles maternelles et en possession d'un BAFA.

Or il est important d'avoir à l'esprit que les garderies périscolaires ne fonctionnent pas au même rythme que les centres de vacances ou de loisirs.

A titre d'exemple, dans une commune de mon département qui dispose de deux structures de garderies périscolaires, il sera obligatoire de recruter deux agents titulaires d'un brevet d'aptitude aux fonctions de direction, BAFD, ou d'un diplôme équivalent, pour une activité régulière mais limitée à cinq jours par semaine : une demi-heure le matin et en fin de matinée le mercredi, et une heure et demie en fin d'après-midi les lundis, mardis, jeudis et vendredis.

Or, actuellement, les garderies périscolaires sont très couramment animées par des agents titulaires du seul BAFA, dont l'expérience auprès des enfants constitue un gage de bon fonctionnement et est unanimement appréciée.

Par conséquent, beaucoup de collectivités, petites ou moyennes, risquent de se trouver dans l'impossibilité de continuer à offrir à leurs administrés les services de garderies périscolaires, sauf à accroître une nouvelle fois leurs charges de fonctionnement.

Si nous sommes tous sensibles à l'impérieuse nécessité de prendre des mesures qui garantissent la protection des mineurs dans les centres de vacances, de loisirs et dans les garderies, je me permets d'attirer votre attention, monsieur le ministre, sur la nécessité d'adopter également des dispositions réglementaires proportionnées et adaptées aux réalités locales.

A ce titre, pourriez-vous nous indiquer quelles mesures d'aménagement vous envisagez de prendre pour garantir le maintien et le bon fonctionnement de ces centres sans risquer de compliquer leur gestion, au moins en ce qui concerne les garderies périscolaires ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative. Monsieur le sénateur, effectivement, à partir du 1er septembre 2005 et conformément au décret d'application de la loi du 17 juillet 2001 portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel, le directeur d'un centre de loisirs sera tenu d'être titulaire du brevet d'aptitude aux fonctions de directeur de centres de vacances et de loisirs, le BAFD.

Jusqu'à cette date, les titulaires du seul brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur de centres de vacances et de loisirs peuvent diriger un centre de loisirs réunissant moins de cinquante enfants.

Vous en conviendrez, il s'agit là d'une mesure destinée à permettre aux jeunes enfants de bénéficier d'un encadrement qualifié. Mais nous devons veiller à ce que ce niveau de qualification ne conduise pas à la fermeture de garderies, notamment dans les zones à faible densité de population, retenant tout particulièrement votre attention.

C'est pour cette raison que ces dispositions ne concernent pas l'ensemble des accueils de mineurs et que je souhaite préciser les exceptions.

Une instruction ministérielle permet déjà l'exclusion de certaines garderies périscolaires du champ d'application de ce texte. Il s'agit notamment des accueils limités à la surveillance des enfants sans organisation d'activité, des études surveillées se déroulant après le temps scolaire ou de la pause méridienne.

En vue de la réforme du cadre législatif et réglementaire des accueils collectifs de mineurs, entreprise à la suite de la loi de simplification du droit adoptée le 9 décembre 2004, j'étudie la possibilité de donner un statut réglementaire à ces exclusions. Dans ces cas, les garderies périscolaires seraient ainsi explicitement exonérées de l'obligation de qualification des intervenants.

En ce qui concerne les centres de loisirs proprement dits, rien ne s'oppose dans les textes à une mise en place d'un centre sur plusieurs sites ; c'est encore l'exemple que vous avez cité. Mon ministère s'est engagé à faciliter la mise en place de tels accueils en milieu rural chaque fois que ce choix sera nécessaire, dans des conditions d'encadrement et de fonctionnement déterminées.

Dès aujourd'hui, il est possible de prévoir la constitution d'une équipe unique, encadrée par un directeur titulaire au minimum du brevet d'aptitude aux fonctions de directeur de centres de vacances et de loisirs. Cette personne devra disposer d'un temps suffisant pour coordonner l'action des différentes unités et se rendre sur les différents sites.

Enfin, pour les accueils de moins de cinquante enfants organisés par les communes qui ne pourraient relever des mesures précédentes, je ferai prochainement des propositions afin de permettre l'intervention des agents titulaires compétents de la fonction publique territoriale.

Voilà, monsieur le sénateur, de quoi rassurer non seulement les parents qui ont besoin de ces centres d'accueil, mais également les collectivités, qui pourront maintenir ces centres.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.

M. Jean-Claude Carle. Je voudrais remercier M. le ministre des précisions qu'il a bien voulu apporter et qui clarifient la situation. Elles sont de nature à rassurer les différents acteurs : les parents, bien sûr, mais aussi les maires qui, en matière de garderie périscolaire, sont confrontés à une demande croissante.

Vos propositions, monsieur le ministre, concilient à la fois les impératifs de sécurité, sur lesquels nous devons, bien sûr, être très vigilants, et les conséquences financières et humaines de ces mesures, que nous ne pouvons pas ignorer.

Je me réjouis de votre projet, qui tend à exonérer les garderies périscolaires de l'obligation de qualification du BAFD pour les intervenants. Je me félicite de votre volonté de faciliter la mise en place en milieu rural de centres sur plusieurs sites avec un seul titulaire du BAFD, qui devra, bien sûr, se déplacer.

Ces mesures vont dans le bon sens et répondent à l'attente des élus en conciliant l'éthique et la réalité.

Baisse du nombre des agents de l'ONF dans le Gard

M. le président. La parole est à M. André Rouvière, auteur de la question n° 633, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité.

M. André Rouvière. Monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaite appeler l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité sur la baisse importante, inquiétante du nombre d'agents de l'Office national des forêts, l'ONF, dans le Gard, et certainement dans d'autres départements, hélas !

En effet, voilà seulement trois ans, onze agents de terrain s'occupaient dans les Cévennes de la gestion de plus de 12 000 hectares de forêt. Actuellement, ce nombre est tombé à six, pour une superficie qui s'est accrue de plus de 350 hectares de forêt non aménagée. D'autres suppressions de postes semblent devoir accompagner le départ en retraite de plusieurs agents.

Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne peux que souligner ce qui paraît relever de l'évidence : la difficulté quasiment insurmontable que va rencontrer le personnel restant pour gérer une forêt très importante et très sensible aux feux.

De plus, les emplois supprimés affaiblissent, une nouvelle fois, les communes rurales, car les familles touchées participent à l'activité économique.

Je vous demande, au nom du monde rural et au nom des élus, comment vous envisagez le maintien de l'activité de l'ONF dans les Cévennes gardoises. Comment allez-vous organiser et maintenir l'entretien de la forêt domaniale et, plus encore, l'entretien des forêts communales soumises au régime forestier ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Nicolas Forissier, secrétaire d'Etat à l'agriculture, à l'alimentation, à la pêche et à la ruralité. Monsieur le sénateur, vous vous inquiétez de l'évolution du nombre d'agents de l'ONF dans votre département et de ses conséquences sur la gestion des forêts publiques gardoises. Je veux tout de suite vous rassurer sur l'intérêt que le Gouvernement porte à ces forêts.

L'Etat et l'ONF ont signé, le 22 octobre 2001, un contrat pluriannuel d'objectifs, qui fixe les grands axes de l'établissement pour la période 2001-2006, autour de trois thèmes : premièrement, adapter la gestion des forêts publiques à la situation et aux enjeux propres à chaque territoire et à chaque forêt, en prenant en compte l'équilibre des fonctions écologiques, économiques et sociales ; deuxièmement, conforter l'exemplarité de la gestion de la forêt publique, notamment sur le plan environnemental et contribuer au dynamisme économique de la filière bois ; troisièmement, renforcer la concertation avec les élus représentant les propriétaires de forêts relevant du régime forestier et les principaux acteurs locaux.

Depuis la signature de ce contrat d'objectifs, l'ONF s'est doté d'une nouvelle organisation territoriale fondée sur une réduction des échelons hiérarchiques, une plus grande autonomie et une plus large responsabilité accordées aux agents de terrain, ainsi que sur le souci de privilégier les relations avec les clients et les partenaires.

Parallèlement, une importante réforme statutaire des personnels fonctionnaires, mise en place en 2003, a conduit à la rénovation des statuts des personnels des corps de catégorie B et C de la filière technique et de catégorie C de la filière administrative. Cette évolution permet une requalification et une revalorisation des rémunérations, en contrepartie d'une amélioration de l'efficacité générale de l'établissement, obtenue grâce à une meilleure adéquation entre les fonctions et les statuts.

En s'appuyant sur cette panoplie, l'ONF doit être en mesure d'accroître de manière sensible son dynamisme et sa compétitivité, tout en maintenant un niveau de présence satisfaisant dans les forêts domaniales et communales et en renforçant les liens de ses agents avec les communes forestières.

Dans la mise en oeuvre de cette nouvelle organisation, l'ONF a veillé à ne pas provoquer de déséquilibre au sein des territoires ruraux, notamment en pourvoyant les postes les plus cruciaux, qu'ils soient vacants ou à créer. Un certain nombre de postes de « généralistes », notamment de terrain, ont été redéployés en postes de « spécialistes », afin de gagner en efficacité et en qualité du service rendu.

Une redistribution des moyens humains disponibles a ainsi été opérée, selon une organisation valorisant mieux les compétences individuelles des agents. Le maillage dense de l'ONF a pu être préservé grâce à la répartition sur le terrain de plus de 500 unités territoriales et spécialisées et le maintien des forestiers au plus près des espaces gérés.

Je précise, monsieur le sénateur, que, dans votre région, relevant de la direction territoriale Méditerranée, l'ONF est particulièrement présent, avec dix agences, dont une à Nîmes, cinquante-quatre unités territoriales et vingt-trois unités spécialisées, notamment dans l'aménagement des forêts, la gestion durable des espaces naturels et la défense des forêts contre les incendies, sujet que vous avez évoqué tout à l'heure.

Enfin, le directeur général de l'ONF a veillé, à chaque étape du processus de réorganisation, à ce qu'une concertation soit établie avec tous les acteurs concernés, tant au sein même de l'établissement qu'avec les élus, en particulier, avec les maires des communes forestières. Si tel n'avait pas été le cas dans votre département, je vous demanderais de me le faire savoir. Toutefois, à ma connaissance, cette concertation a eu lieu et a permis de faire les propositions que j'ai rappelées.

Cette évolution des effectifs, dans une organisation plus resserrée et plus efficace, a pour objet d'optimiser le service de l'ONF. Je ne crois pas qu'elle soit de nature à diminuer la qualité du service rendu, d'autant qu'elle s'accompagne d'une plus grande souplesse et de la mobilité d'un certain nombre de forestiers spécialistes. C'est la raison pour laquelle l'effectif antérieur et l'effectif actuel ne peuvent être comparés qu'en fonction de ces éléments.

Il est important de rappeler que l'Etat a, de son côté, respecté ses engagements en fournissant le soutien financier nécessaire à l'ONF, dont la situation a été très fragilisée par les tempêtes de décembre 1999. Des subventions exceptionnelles ont été versées par mon ministère, conformément aux termes du contrat d'objectifs : 75 millions d'euros en 2002, 60 millions d'euros en 2003 et 25 millions d'euros en 2004.

Je rappelle également que le versement compensateur, qui permet d'équilibrer le coût de gestion des forêts communales, a été maintenu sur la période. Cela équivaut à une prise en charge par l'Etat de près de 90 % des coûts de gestion du régime forestier.

Pour l'exercice 2005, 145 millions d'euros toutes taxes comprises au titre du versement compensateur ont été inscrits au budget du ministère de l'agriculture, soit un niveau équivalent à celui des années antérieures.

Plus globalement, qu'il s'agisse de la gestion des forêts communales avec le versement compensateur ou de la gestion des forêts domaniales avec les subventions d'équilibre après les tempêtes de 1999, l'Etat a respecté ses engagements en consacrant près de 200 millions d'euros chaque année - en 2002, 2003 et 2004 - pour assurer l'équilibre de la gestion des forêts publiques.

Monsieur le sénateur, qu'il s'agisse des questions financières et budgétaires, du soutien apporté à l'ONF, des compétences du directeur de l'ONF et de son conseil d'administration afin d'assurer une réorganisation valorisant les personnels , il y a tout lieu que vous soyez rassuré.

Je suis moi-même très attentif à l'évolution de l'ONF. J'ai bien entendu les inquiétudes que vous avez exprimées sur la gestion des massifs des Cévennes gardoises.

Dès mon retour au ministère, je demanderai qu'on me fasse un point très précis sur ce cas particulier pour bien vérifier qu'il n'y a pas de difficulté.

Si, le cas échéant, vous aviez le sentiment que ces inquiétudes persistent, je vous demande de m'en faire part et j'examinerai personnellement cette question. Mais, après les grandes difficultés provoquées par les tempêtes de 1999, l'ONF me paraît sur les rails.

M. le président. La parole est à M. André Rouvière.

M. André Rouvière. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse, que j'ai écoutée avec beaucoup d'attention.

Je voudrais vous faire trois remarques.

Premièrement, je tiens à vous dire que, loin de me rassurer, vous m'avez inquiété davantage encore !

Deuxièmement, je me demande si nous parlons le même langage. Je suis cévenol et parlementaire des Cévennes. J'ai été maire pendant plus de trente ans d'une commune cévenole et conseiller général du Gard.

Je n'ai jamais assisté à la moindre concertation sur les réductions des effectifs concernant la forêt cévenole. Si concertation il y a eu, j'avoue qu'elle a échappé à ma vigilance. Du moins, n'ai-je jamais été sollicité.

Je m'interroge également sur le point de savoir si nous avons le même dictionnaire. Le mot « concertation » a-t-il la même signification pour vous et pour nous ? En effet, l'annonce de suppressions de postes, ce n'est pas une concertation. La concertation, c'est la discussion, c'est l'échange des idées et des points de vue.

Je le redis, il n'y a pas eu de concertation à propos de la forêt cévenole gardoise. Vous nous avez affirmé que l'entretien de la forêt continuerait d'être assuré, mais j'aurais aimé que vous m'expliquiez comment le même travail pourra être accompli par six agents au lieu de onze !

Troisièmement, j'aurais souhaité que vous puissiez me rassurer quant au respect des engagements de l'Etat s'agissant de la forêt domaniale et, surtout, de la gestion des forêts communales soumises au régime forestier. L'exécution des contrats sera-t-elle poursuivie, ou ces derniers seront-ils dénoncés ? Par exemple, il existe des centaines de kilomètres de pistes forestières : l'Etat va-t-il continuer à les entretenir ? Ce que nous constatons, pour l'heure, c'est qu'il demande aux communes et aux groupements de communes de les prendre en charge.

Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne vous demande pas de me répondre aujourd'hui, car je sais que ce n'est pas possible, mais si vous pouviez me faire parvenir une réponse écrite rassurante, je ne manquerais pas de vous en donner acte. Mais nous en sommes loin, hélas !

Financement de la Fédération nationale des foyers ruraux

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, auteur de la question n° 627, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité.

M. Jean-Pierre Bel. Je voudrais attirer votre attention, monsieur le secrétaire d'Etat, sur la situation dramatique de la FNFR, la Fédération nationale des foyers ruraux.

Créée voilà plus de cinquante ans, la Fédération nationale des foyers ruraux regroupe plus de 2 700 foyers et associations, plus de 200 000 adhérents et 1 000 animateurs. Les foyers ruraux participent à l'animation et au développement global du milieu rural. Ils sont un lieu de rencontre, d'échange, mais aussi de médiation et d'élaboration de projets entre les acteurs locaux que sont les habitants, les élus, les associations. En cela, ils contribuent au maintien de la vie culturelle et de la cohésion sociale, à la valorisation de l'environnement culturel et naturel.

Cependant, la structure nationale connaît des difficultés financières dues au désengagement du ministère de l'agriculture, qui n'a pas reconduit, en 2004, la convention pluriannuelle qui les liait depuis des années, et ce jusqu'en décembre 2003. La FNFR, restée longtemps sans nouvelles concernant le financement de son programme d'animation rurale pour 2004, voit le montant de la subvention dont elle bénéficie baisser de 50 % par rapport à 2003.

Elle se trouve ainsi confrontée depuis plusieurs mois à de graves problèmes : plus de convention pluriannuelle d'objectifs, baisse drastique du montant de la subvention, importantes difficultés financières, licenciements économiques, vente de locaux, pas d'engagement réel pour 2005. Vous l'avouerez, l'avenir est particulièrement sombre !

Aussi peut-on considérer qu'il s'agit d'une remise en cause du développement rural local, en complète contradiction avec la volonté affichée par le Gouvernement de mener une véritable politique rurale. Pourtant, nous voulons continuer à espérer : pouvez-vous me dire, monsieur le secrétaire d'Etat, quelle est la position du Gouvernement au regard d'une situation qui, je vous le dis très sincèrement, a des répercussions importantes, en termes d'aménagement du territoire et d'emploi, dans nos zones rurales ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Nicolas Forissier, secrétaire d'Etat à l'agriculture, à l'alimentation, à la pêche et à la ruralité. Monsieur le sénateur, votre question porte sur les difficultés, essentiellement d'ordre financier, que rencontre la Fédération nationale des foyers ruraux, et sur les effets de cette situation s'agissant de l'avenir des activités d'animation des territoires ruraux de cette dernière.

Vous avez évoqué, de façon plus globale, les répercussions que ces difficultés pourraient entraîner en termes d'aménagement du territoire et d'emploi. Je voudrais vous rassurer sur ce point : le Gouvernement, qui vient de faire voter par le Parlement le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, s'inscrit bien évidemment dans une tout autre logique que celle que vous avez décrite. Cela étant, l'année qui vient de s'écouler a constitué une sorte de période de transition, sur laquelle je reviendrai dans un instant.

Comme vous le savez, la FNFR a été créée en 1946 pour soutenir le développement du monde rural, en favorisant les activités culturelles, d'animation et de formation dans les zones rurales fragiles.

Le soutien du ministère de l'agriculture à la FNFR a pris la forme d'un conventionnement pluriannuel à partir de 1995. Il répond à des objectifs précis et évaluables, liés à la politique agricole et au développement du territoire, mais aussi à l'action d'animation et de formation.

Dans le cadre des conventions pluriannuelles pour la période 2000-2003, le ministère a ainsi soutenu les activités fédératives dans une optique de dynamisation et d'implication des structures adhérentes, s'agissant par exemple de la mise en oeuvre de programmes d'actions animés par la tête de réseau, visant à favoriser l'expérimentation et l'innovation, qui concourent au développement rural. Nous sommes donc dans une logique d'appui à une action centrée sur les zones rurales fragiles.

Cela étant, nous sommes bien conscients des difficultés de trésorerie rencontrées par la FNFR puisque, dans le contexte budgétaire de l'année 2004, un soutien exceptionnel lui a été accordé, pour l'aider à passer le cap de la fin de l'année. Nous parvenons en effet au terme d'une période de transition faisant suite à l'expiration de la précédente convention.

Par conséquent, le Gouvernement a pris en considération les difficultés que vous avez soulignées, monsieur le sénateur. Ainsi, en tenant compte des subventions, des cinq mises à disposition et des quarante-trois postes FONJEP - le Fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire - dont elle a bénéficié, la FNFR a perçu, au titre de l'année 2004, 71 % du montant de la dotation pour 2003, soit 912 285 euros. Je pense donc que l'Etat a vraiment rempli sa mission de soutien !

Par ailleurs, un conventionnement renouvelé est en préparation. J'espère que nous pourrons rapidement aboutir à sa signature, l'objectif étant d'apporter aux associations un appui tenant compte des recommandations du rapport d'inspection réalisé en 2004 par les services du ministère et, surtout, des orientations définies par le Gouvernement dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux.

En conclusion, il y a concordance entre le vote en deuxième lecture de ce dernier texte par votre assemblée, la semaine dernière, et le nouveau conventionnement, qui, je le crois, donnera pleine satisfaction à la FNFR. Nous serons alors sortis de cette période de transition au cours de laquelle, je le répète, l'Etat a apporté tout son soutien.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel.

M. Jean-Pierre Bel. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, des précisions que vous venez de nous apporter. J'ai bien compris que, comme nous, vous considérez que les foyers ruraux, qui jouent un rôle de coordination associative, ne peuvent fonctionner seuls. Les enjeux républicains sont réels, et je crois que nous pouvons nous accorder sur ce point.

Nous étions, quant à nous, assez sensibles au fait que la structure nationale, tête de réseau comportant une quinzaine de salariés et coordonnant le fonctionnement de 3 000 cellules en milieu rural, ne pourrait pas forcément s'adapter au nouveau type d'organisation présenté par le Gouvernement, qui repose notamment sur des appels à projets.

Au-delà des éléments d'information que vous nous avez communiqués ce matin, et qui méritent à mon sens d'être pris en considération, je souhaiterais donc que vous donniez à l'échelon national du réseau des foyers ruraux les moyens de vivre.

Intercommunalité et respect de l'autonomie communale

M. le président. La parole est à M. Michel Billout, auteur de la question n° 622, adressée à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

M. Michel Billout. Madame la ministre, je souhaiterais attirer votre attention sur les conséquences malheureuses que pourrait avoir l'application de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales au regard du respect du principe de l'autonomie communale.

Je rappellerai en préalable que le principe de libre administration des collectivités territoriales est inscrit à l'article 72 de la Constitution de 1958. Ce principe a permis l'adoption de lois de décentralisation.

Je ne pense pas que la loi du 13 août 2004 ait été conçue comme un outil de contrainte des collectivités territoriales. Ce serait un comble ! Pourtant, l'autonomie communale pourrait être remise en question, dans les faits, dans le département de Seine-et-Marne.

En effet, s'il faut considérer les dispositions de l'article 152 de ladite loi comme un élément permettant de faciliter la transformation d'un syndicat intercommunal à vocation multiple en communauté de communes, le nouvel article L. 5211-41-2 inséré dans le code général des collectivités territoriales peut devenir un moyen de contraindre des communes à intégrer un établissement public de coopération intercommunale.

Prenons l'exemple d'un SIVOM composé de quatorze communes, créé voilà une trentaine d'années pour exercer un nombre de compétences très limitées, à savoir la gestion d'un équipement sportif et la collecte des ordures ménagères exclusivement.

Au fil du temps, les projets évoluent, d'autres liens se tissent avec d'autres territoires, d'autres communes. En 2004, la majorité des communes constituant le SIVOM souhaite sa transformation en communauté de communes, quitte à procéder au transfert temporaire, pour quelques mois, des compétences obligatoires afin de satisfaire aux dispositions suivantes de l'article L. 5211-41-2 du code général des collectivités territoriales :

« Lorsqu'un syndicat de communes exerce déjà, au lieu et place des communes qui le composent, les compétences fixées par le présent code pour les communautés d'agglomération ou les communautés de communes, ce syndicat peut se transformer en l'une de ces deux catégories d'établissement, sous réserve qu'il remplisse les conditions de création exigées. »

Or cinq communes membres du SIVOM ont élaboré un projet de création d'EPCI différent, avec d'autres communes voisines, selon un périmètre cohérent, présentant un intérêt communautaire clairement défini, des actions répondant bien à l'intérêt des populations, des ressources bien étudiées. Ces cinq communes représentant le quart de la population totale couverte par le SIVOM, elles ne peuvent constituer une minorité de blocage contre le projet de transformation du SIVOM en communauté de communes, puisque la décision se prend à la majorité qualifiée.

Dans ce cas, madame la ministre, la possibilité de transformation du SIVOM en communauté de communes, telle que définie à l'article 152 de la loi relative aux libertés et aux responsabilités locales, prime-t-elle sur tout autre projet ? S'il en était ainsi, des décisions prises à l'unanimité par des conseils municipaux se verraient bafouées.

De plus, comment imaginer que les politiques mises en oeuvre par une structure intercommunale puissent être pertinentes et efficaces sans l'adhésion de l'ensemble des membres de celle-ci ?

Manifestement, l'application de la loi pose un problème important à cet égard. Faut-il alors attribuer au seul préfet le rôle d'arbitre ? Ne vaudrait-il pas mieux encadrer le texte législatif, de façon à prévoir que l'exercice, par le syndicat de communes, des compétences nécessaires à sa transformation en EPCI devra obligatoirement être effectif depuis suffisamment longtemps, à savoir deux ou trois ans, afin d'éviter tout recours abusif aux dispositions de l'article 152 ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie-Josée Roig, ministre déléguée à l'intérieur. Monsieur le sénateur, la procédure instituée à l'article 152 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales vise à faciliter la transformation des syndicats de communes en structures de coopération intercommunale à fiscalité propre.

Cette procédure permet la substitution directe d'une communauté de communes ou d'une communauté d'agglomération à un syndicat préexistant, sans qu'il soit nécessaire de procéder à la dissolution préalable de ce dernier.

Elle constitue donc une option nouvelle offerte aux élus, permettant que les communes manifestent plus simplement leur volonté de faire progresser leur coopération. Les conditions de majorité selon lesquelles cette évolution peut être décidée n'ont pas été modifiées : le principe de l'autonomie communale continue de prévaloir.

Ces conditions de majorité résultent des dispositions de la loi d'orientation du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République. Comme vous le savez, monsieur le sénateur, cette loi a d'abord posé le principe que « le progrès de la coopération intercommunale se fonde sur la libre volonté des communes d'élaborer des projets communs de développement au sein de périmètres de solidarité ». Elle a ensuite mis en place des seuils de majorité qualifiée pour créer ou modifier les établissements publics de coopération intercommunale.

Ces seuils visent à la fois à respecter la volonté des communes et à empêcher les minorités de bloquer les dynamiques de territoires. Ils prévoient que les décisions doivent recueillir soit l'approbation des deux tiers des conseils municipaux représentant plus de la moitié de la population concernée, soit la majorité simple des conseils, à la condition expresse que ceux-ci représentent plus des deux tiers de la population.

Les communes représentant plus d'un quart de la population disposent par ailleurs d'un droit de veto. Ce sont ces règles qui s'appliquent dans le cas où est envisagée la transformation d'un syndicat intercommunal à vocation multiple, un SIVOM, en communauté de communes.

Le préfet conserve un pouvoir d'appréciation. Ainsi peut-il refuser la création d'une communauté s'il constate qu'il n'existe pas de véritable dynamique partagée sur le territoire, même si les conditions de majorité prescrites par la loi sont remplies.

Le Gouvernement, comme vous pouvez le constater monsieur Billout, a le souci de promouvoir le dynamisme du territoire et de préserver l'autonomie des communes.

M. le président. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Je souhaite remercier Mme la ministre des précisions qu'elle a apportées et de son attachement au principe d'autonomie des communes.

situation du CNRS dans la région Nord-Pas-de-Calais

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, auteur de la question n° 618, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le ministre, je souhaite interroger le Gouvernement sur la représentation du CNRS en Nord-Pas-de-Calais.

En effet, à la veille de la mise en oeuvre du prochain plan quadriennal « Recherche », nous sommes alertés par les chercheurs qui sont très inquiets de la très faible représentation du CNRS dans notre région et particulièrement dans le secteur des sciences humaines dont on me dit qu'il est quasiment sinistré.

Pour illustrer mon propos, je souhaiterais porter à votre connaissance quelques chiffres qui, si dramatiques qu'ils soient, n'en sont pas moins parlants.

En Nord-Pas-de-Calais, trois universités sur quatre - Artois, Littoral et Valenciennes - possédant un département lettres et sciences humaines ne disposent pas d'équipes de recherche labellisées CNRS. Or vous n'êtes pas sans savoir que seul le label CNRS est actuellement reconnu au niveau international.

Pour la quatrième université, Lille III-Charles de Gaulle, trois unités mixtes de recherche au maximum devraient survivre dans le prochain plan quadriennal, qui débutera en 2006.

Le secteur des sciences de l'homme et de la société ne représente dans notre région que 0,4 % des effectifs du CNRS, chercheurs et ingénieurs, techniciens, administratifs cumulés, soit une centaine de personnes pour 4 millions d'habitants !

Pour reprendre l'expression d'un des chercheurs de Lille, je me demande à quel pourcentage considérera-t-on que l'on a atteint le stade de la mort clinique.

Enfin, pour en terminer avec ces chiffres, j'ajoute que, tous secteurs et toutes disciplines confondues, notre région ne représente que 1,8 % des effectifs totaux du CNRS.

Il y a des circonstances où les principes d'égalité de traitement sur le territoire ou de continuité territoriale prennent une forme tout à fait inattendue.

Ainsi les quatre régions du nord-ouest de la France, Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Haute-Normandie, et Champagne-Ardenne totalisent 2,5 % des effectifs nationaux avec 650 personnes, alors les quatre régions du sud-est de notre pays - Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Languedoc-Roussillon, et Midi-Pyrénées - cumulent 8 420 personnes soit 30,4 % des effectifs nationaux.

Alors que le projet pour le CNRS prévoit de constituer des pôles d'excellence régionaux, visibles à l'échelon européen et mondial, je crains fort que les moyens ne soient pas donnés à notre région pour entrer dans ce dispositif.

Et même si Bernard Larrouturou, directeur du CNRS, affirme avoir tenu compte des « disparités sur le territoire pour fixer des priorités, notamment pour l'interrégion Nord-Ouest, et tout particulièrement pour la région Nord-Pas-de-Calais », nous n'en sommes que très peu convaincus puisque, s'agissant de la création des pôles de compétitivité, il indique à ses directeurs d'unité que le Gouvernement n'identifiera et ne soutiendra qu'un petit nombre de sites. De quoi forcer l'inquiétude des chercheurs et des élus !

Vous le savez, notre région occupe une place stratégique au sein de l'Europe du Nord. Elle est en pleine reconversion et se bat pour ne pas devenir une friche industrielle.

Ce ne sont pas les talents qui manquent dans notre région. Nombres de thésards au statut précaire souhaiteraient vivement être labellisés CNRS.

Or, paradoxalement, pour accorder le label CNRS à une équipe, on ne la juge pas sur la qualité de son travail, mais on la juge sur le nombre de chercheurs CNRS qu'elle compte. Il faudra bien sortir de ce cercle vicieux pour accroître le potentiel de recherche du Nord-Pas-de-Calais.

Manifestement, la mise en place des pôles de compétitivité se fera en priorité dans les métropoles régionales et universitaires qui disposent déjà de personnels et d'infrastructures.

Dès lors l'économie de notre région subira une fois de plus un handicap terrible tant la recherche est au coeur des évolutions futures.

En conséquence, monsieur le ministre, je vous demande de bien vouloir m'informer des dispositions que compte prendre le Gouvernement pour que la région Nord-Pas-de-Calais voit son potentiel de recherche rééquilibré et que cesse cette spirale funeste qui pénalise notre région et, par conséquent, son avenir.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche. Madame Demessine, je vous remercie de me poser cette question concernant une région qui vous est chère, le Nord-Pas-de-Calais, mais qui, historiquement, avait pris un certain retard en matière de recherche par rapport à d'autres régions. De plus, le Nord-Pas-de-Calais se trouve, par rapport à la région parisienne, dans la même situation que les régions Provence-Côte-d'Azur ou Rhône-Alpes.

En effet, l'Ile-de-France représente aujourd'hui encore environ 50 % de notre potentiel de recherche, alors qu'il y a quelques années ce potentiel atteignait 60 % ; la situation s'améliore donc.

Ce genre d'inégalité territoriale entre l'Ile-de-France et le reste du territoire est inévitable et cela est valable pour d'autres régions qui se plaignent de ne pas avoir un dispositif de recherche suffisamment étoffé.

La recherche joue un rôle très structurant en matière d'occupation et d'aménagement du territoire. Votre question porte essentiellement sur le CNRS, mais l'université est également un pilier de la recherche.

On ne peut pas dire que le label CNRS, même s'il est important sur le plan scientifique, soit la seule mesure de la qualité d'une recherche au plan international. L'excellence de la recherche se mesure au travers d'une multitude de critères et, notamment pour la recherche fondamentale au travers des publications. Un universitaire, un enseignant-chercheur peut publier, comme d'ailleurs les chercheurs du CNRS, mais aussi les chercheurs du CNRS et les enseignants chercheurs qui sont associés au sein d'une même unité mixte de recherche, une UMR.

Pour mesurer l'importance de la recherche dans une région, il faut prendre en compte l'ensemble des forces de la recherche. La recherche publique est fondée sur deux piliers, les grands organismes de recherche, dont fait partie le CNRS, et l'université.

Je ne voudrais pas que votre question revienne indirectement à sous-entendre une dévalorisation de la recherche universitaire. La recherche en elle-même est importante, même quand un laboratoire n'est pas labellisé CNRS, et les laboratoires universitaires sont des lieux de recherche non négligeables. En France, un quart des laboratoires universitaires sont associés au CNRS en UMR.

S'agissant des personnels CNRS en Nord-Pas-de-Calais, les données montrent une évolution très positive sur la période récente. En effet, de 2000 à 2004, les effectifs de chercheurs sont passés de 229 à 276 personnes, soit une augmentation de 21 %, et les effectifs d'ingénieurs, techniciens, administratifs, les ITA, de 206 à 310 personnes, c'est-à-dire une augmentation de 50 %. Le CNRS entend d'ailleurs continuer à réduire les disparités de ses implantations régionales, notamment en Nord-Pas-de-Calais, en favorisant, à qualité scientifique égale, des projets provenant de ces implantations.

La dimension de politique régionale n'est nullement absente de la dynamique d'activité des organismes nationaux de recherche. Un instrument traditionnel de prise en compte de cette dimension est le volet recherche des contrats de plan Etat-région.

En Nord-Pas-de-Calais, à la fin de 2004, dans ce cadre, si l'engagement du CNRS accuse un léger retard - 3 millions d'euros hors taxe au lieu de 3,5 millions d'euros attendus - le taux d'exécution des engagements de l'Etat est plus que satisfaisant, puisqu'il représente 75 % contre les 70 % attendus. Il faut également souligner que s'ajoute au contrat de plan Etat-région en Nord-Pas-de-Calais un instrument complémentaire, le plan de renforcement de la recherche, le PRR, sur lequel l'Etat s'est engagé à mobiliser 12,64 millions d'euros.

Comme vous, madame Demessine, j'estime toutefois qu'il faut ouvrir la voie à un meilleur ancrage territorial de la politique publique de recherche, tout en maintenant une exigence d'excellence pour affronter la compétition scientifique internationale. Il est vrai que la région Nord-Pas-de-Calais, située au coeur de l'Europe, est particulièrement attentive à cette vocation internationale du monde de la recherche. Il s'agit, en effet, d'un secteur qui est très internationalisé et qui connaît une vive compétition dans le cadre de la mondialisation.

Aussi, dans la prochaine loi d'orientation et de programmation de la recherche, sera clairement affirmé le caractère structurant de la dimension régionale pour les acteurs de la politique nationale de recherche, avec notamment le lancement d'une politique de création de pôles de recherche et d'enseignement supérieur qui pourront nouer des partenariats forts avec toutes les collectivités territoriales.

Les pôles de recherche et d'enseignement supérieur qui seront créés découleront d'un volontariat de la part des organismes scientifiques et des universités. On ne peut pas dire combien ils seront, car les labels seront accordés en fonction de la qualité des projets qui seront proposés.

L'Etat devra concilier une préoccupation d'ancrage territorial et d'aménagement du territoire ainsi qu'une exigence d'excellence nationale et de visibilité internationale.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse. Mais j'ai préféré la fin de votre intervention à son début.

J'ai bien noté le souci d'un meilleur ancrage territorial et d'une exigence d'excellence auquel le Nord-Pas-de-Calais peut répondre.

J'ai pris note de vos arguments sur la diversité de la recherche, notamment la recherche universitaire, mais je constate que le déséquilibre entre l'ensemble du territoire et le Nord-Pas-de-Calais reste important.

révision du plan de gêne sonore de l'aéroport d'Orly

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc, auteur de la question n° 605, adressée à M. le ministre de l'écologie et du développement durable.

Mme Hélène Luc. Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir tenu à répondre vous-même à cette question, qui est du ressort direct de votre ministère.

Je tiens aujourd'hui à appeler votre attention sur le nouveau plan de gêne sonore de l'aéroport d'Orly, dont l'élaboration est arrivée à son terme.

J'ai été très surprise, pour ne pas dire indignée, de constater que l'exclusion de la commune de Choisy-le-Roi dans le Val-de-Marne de ce nouveau plan au motif - non seulement très discutable, mais qui ne se justifie pas - de l'absence de réalisation de la piste n° 6 sur l'aérodrome d'Orly, et cela sans qu'aucune concertation n'ait été engagée avec la ville de Choisy-le-Roi et l'association de défense des riverains.

Comme le fait remarquer le président de l'association Eole, ce sont des mesures de bruit collectées par ordinateur ; ADP se fonde aussi sur les données fournies par les compagnies aériennes en ce qui concerne le bruit de leurs appareils. Vous pouvez donc imaginer à quel point tout cela est fiable !

M. le maire de Choisy-le-Roi n'a d'ailleurs cessé de dénoncer cette pratique. Il n'est effectivement pas acceptable d'écarter la ville de toute discussion pour la simple raison que le projet de révision l'excluait du PGS.

Or Choisy-le-Roi bénéficiait depuis 1995, date d'entrée en vigueur du plan de gêne sonore, d'un dispositif d'aide pour l'insonorisation des logements. En effet, étant à proximité immédiate de l'aéroport, une partie du territoire de la commune est constamment survolée. Par ailleurs, la ville est dans l'axe de la piste n° 4, sur laquelle est reporté l'ensemble du trafic de la piste principale de l'aéroport, la piste n° 3, lorsque cette dernière est en travaux ou inaccessible en raison d'incidents, ce qui se produit souvent, y compris en dehors des périodes estivales.

Il est à signaler que la piste d'envol n° 4 est également utilisée lorsque les conditions météorologiques l'exigent ; c'est d'ailleurs l'un des éléments qui avait justifié l'entrée de la ville de Choisy-le-Roi dans le PGS en 1995.

La piste n° 4 est la plus longue et la plus large, donc la plus adaptée pour accueillir les avions de grande capacité. A terme, après quelques travaux de consolidation, cette piste ne risque-t-elle pas de servir à de très gros porteurs comme l'Airbus A380 ? La mise en service de cet appareil sur Orly est tout à fait possible. C'est une raison supplémentaire pour ne pas exclure Choisy, non plus que Thiais, qui se trouve dans la même situation.

En niant l'impact des nuisances sur Choisy-le-Roi, veut-on nous faire croire que ce qui était légitime en 1995 ne l'est plus en 2005 ? Ce qui était une avancée concrète en matière de cadre de vie est-il désormais obsolète ? Non ! Car le trafic ne devrait pas diminuer dans les trois années à venir, d'autant qu'il n'y aura pas de troisième aéroport, contrairement à ce qui avait été décidé il y a encore peu de temps.

Finalement, ce sont les riverains de l'aéroport qui se trouveront à nouveau lésés. Depuis 1995, certains d'entre eux avaient enfin la possibilité d'améliorer leur cadre de vie grâce aux aides à l'insonorisation dont ils bénéficiaient. En termes de développement durable, le PGS leur permettait également de mieux accepter la proximité de l'aéroport.

Alors que, pendant des décennies, le développement de l'aéroport d'Orly s'est poursuivi, et ce alors qu'aucune mesure n'était mise en oeuvre pour la reconnaissance et le traitement des nuisances sonores subies par les populations riveraines, il serait incompréhensible et inconcevable que, après les luttes qui ont été menées, en particulier par Michel Héry, président de l'association, alors maire de Villeneuve-le-Roi, leur légitime prise en considération, à travers le PGS, disparaisse. Il s'agirait d'un retour en arrière pour les riverains.

Je partage leur inquiétude pour l'avenir, puisqu'il est prévu que le trafic se densifie, avec une augmentation de 20 % environ dans les dix prochaines années. Je soutiens donc leur action et celle qui est menée par le maire de Choisy-le-Roi.

Monsieur le ministre, je vous demande que la ville de Choisy-le-Roi soit réintégrée dans le PGS.

J'ajoute que la disparition du fret à Orly, transféré à Roissy, a contribué à multiplier la traversée de Choisy-le-Roi et du département par des camions de gros tonnage - déjà très nombreux - venant de l'est de l'Europe. De surcroît, la gare SNCF de Choisy-le-Roi est l'une des plus grandes de la région parisienne, et le passage des trains occasionne du bruit. C'en est assez du bruit à Choisy-le-Roi et dans tout le secteur !

Malgré la publication de l'arrêté préfectoral, je vous demande de bien vouloir reconsidérer le nouveau plan de gêne sonore afin que la commune de Choisy-le-Roi y soit à nouveau incluse.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable. Madame la sénatrice, votre question porte sur la révision du plan de gêne sonore de l'aéroport d'Orly et sur ses conséquences en ce qui concerne les habitants de la commune de Choisy-le-Roi. Permettez-moi d'apporter quelques précisions sur la situation passée et présente de cette commune.

II est important de noter que la ville de Choisy-le-Roi ne faisait pas partie de l'ancien plan de gêne sonore de 1994. Il est vrai que cette commune a bénéficié, un temps, de l'aide à l'insonorisation du fait qu'une partie de son territoire se trouvait dans le plan d'exposition au bruit d'Orly de 1975. Cependant, la disposition permettant aux zones concernées par le plan d'exposition au bruit et non couvertes par le plan de gêne sonore de 1994 de bénéficier d'aides à l'insonorisation a été abrogée en 1997.

S'agissant du nouveau plan de gêne sonore d'Orly, il a été établi par le préfet du Val-de-Marne. Après une phase de concertation conduite par les préfets concernés, le projet a été soumis à la consultation officielle des collectivités locales.

La commission consultative d'aide aux riverains et l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires ont rendu un avis favorable à ce projet de plan de gène sonore, respectivement les 14 octobre et 16 novembre derniers. L'arrêté interpréfectoral a été signé le 28 décembre 2004.

Le nouveau plan de gêne sonore, établi à l'aide d'hypothèses de trafic qui correspondent au maximum autorisé par l'arrêté du 6 octobre 1994, soit 250 000 créneaux pour autant de mouvements, aboutit aux progrès suivants : l'emprise territoriale passe de 5 800 hectares à 9 123 hectares, le nombre de communes concernées de 29 à 36 et le nombre de logements éligibles de 32 925 à 43 615, soit une augmentation de 25 % du nombre de riverains concernés.

Malgré cette extension, la commune de Choisy-le-Roi ne figure pas dans le plan de gêne sonore. Pour ma part, je suis très attaché à l'équité de traitement entre nos concitoyens et à l'objectivité des choix effectués. C'est l'objet de la réglementation applicable, qui a été scrupuleusement respectée, même si je comprends les difficultés que vous évoquez.

Le niveau de bruit moyen dû aux avions pour qu'une commune fasse partie du plan de gêne sonore est de 55 décibels au minimum. Par rapport à cette norme, la commune de Choisy-le-Roi subit des nuisances sonores moins importantes.

Croyez bien, madame la sénatrice, que le Gouvernement est très attaché à la réduction des nuisances sonores subies par nos concitoyens ; les chiffres que je vous ai indiqués le démontrent. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a triplé les montants affectés au dispositif d'aide à l'insonorisation des riverains des aéroports.

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc.

Mme Hélène Luc. Monsieur le ministre, je savais tout cela et je ne vois rien de nouveau dans votre réponse qui puisse me faire accepter l'exclusion de la ville de Choisy du plan de gêne sonore.

Le fait que la ville de Choisy-le-Roi ne fasse pas initialement partie du plan de gêne sonore n'est pas un argument pour l'exclure. Elle en a déjà bénéficié ! Et, si elle en a bénéficié, c'est qu'elle en avait besoin !

Je peux vous affirmer que la ville de Choisy-le-Roi n'a pas été consultée à partir du moment où elle a été exclue, ce qui est totalement inconcevable.

Dans votre réponse, vous en restez à des considérations administratives. Vous ne tenez pas compte de ce que j'ai pu vous dire non seulement au sujet du bruit des avions, qui est quand même perçu par ceux qui vivent dans la partie sud de Choisy-le-Roi, mais aussi au sujet du bruit des trains et des camions. Je vous invite donc à venir à Choisy-le-Roi pour constater ce qu'il en est !

Pour notre part, nous sommes bien décidés à démontrer notre mécontentement et à manifester notre volonté de remettre en cause cette décision. Je vous le garantis !

conséquences de la mise en oeuvre du plan de prévention des risques d'inondation (ppri) pour les collectivités locales

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, auteur de la question n° 620, transmise à M. le ministre de l'écologie et du développement durable.

Mme Catherine Tasca. Monsieur le ministre, je souhaite appeler votre attention sur les conséquences de la mise en oeuvre du plan de prévention des risques d'inondation pour les collectivités locales.

A la suite des inondations dramatiques qui ont frappé la France ces dernières années, notamment dans le Midi et dans la Somme, le Gouvernement a adopté un dispositif : le plan de prévention des risques d'inondation. Ce PPRI, mis en oeuvre par les services de la préfecture dans chaque département, consiste, dans les faits, à délimiter dans les communes concernées des zones à risques, qui sont frappées d'interdit de construire ou qui sont constructibles sous certaines conditions.

Si ce principe de précaution est tout à fait légitime, la mise en oeuvre opérationnelle des PPRI pose souvent des problèmes d'aménagement du territoire et de développement économique : celui-ci devient très coûteux pour beaucoup de communes.

Dans le département des Yvelines, sur les rives de la Seine, 57 communes sont dans l'obligation d'intégrer ce plan. Or certaines voient ainsi leurs projets de développement fortement remis en cause.

Si le PPRI était appliqué en l'état, la commune d'Achères, pare exemple, devrait renoncer à la construction d'un collège et d'une école maternelle, équipements qui lui sont indispensables. En outre, la mise en oeuvre du plan global d'aménagement des zones situées en bord de Seine induit un surcoût financier que la ville ne peut prendre intégralement à sa charge.

Je citerai dans le même ordre d'idées la commune de Meulan dont le produit de la taxe professionnelle ne représente encore que 10 % des ressources. Avec le PPRI, elle verrait augmenter de 50 % le coût de son projet de construction d'un centre commercial dont elle attend un nécessaire accroissement de ressources. Devra-t-elle y renoncer ? Une grande partie de la commune serait en effet classée en zone rouge, donc totalement inconstructible. Il n'est pas contestable que la prise en compte, tout à fait nécessaire, des risques d'inondation est intervenue bien tardivement. La responsabilité en incombe au moins autant, sinon plus, à l'Etat.

On ne peut accepter que les charges qui en découlent et, bien souvent, le bouleversement de projets d'aménagement conçus parfois depuis de nombreuses années, viennent handicaper trop lourdement ces collectivités.

Face à ce problème qui touche de nombreuses collectivités territoriales en France, notamment dans mon département, quelles dispositions rapides entendez-vous prendre pour atteindre un meilleur équilibre entre le nécessaire principe de précaution et les exigences du développement économique des communes ? Que proposez-vous pour une meilleure concertation avec elles ? Quelles compensations financières êtes-vous en mesure de leur apporter ?

L'Etat ne peut se soustraire à ses obligations de solidarité territoriale !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable. Madame la sénatrice, vous m'avez interrogé sur les conséquences de la mise en place des plans de prévention des risques sur le développement économique des collectivités territoriales.

Permettez-moi de rappeler que les plans de prévention des risques, les fameux PPR, ne font pour l'essentiel que tirer les conséquences réglementaires obligatoires d'une situation de risque. Or la situation de risque, comme le devoir pour l'Etat et les collectivités de protéger les biens et les personnes, existe indépendamment du PPR.

Sur le plan strictement juridique, un PPR est une servitude d'utilité publique. Compte tenu de ses objectifs d'intérêt général liés à la sécurité des personnes et des biens, il n'ouvre pas droit à indemnisation.

Au-delà de ces éléments de contexte, l'Etat, conscient des difficultés rencontrées localement, a fait procéder à un certain nombre d'évolutions législatives qui vont dans le sens d'un meilleur accompagnement des PPR auprès des collectivités.

Le Gouvernement vient de publier le décret permettant la mise en place d'un financement spécifique, notamment pour les études et les travaux de prévention sur les communes dotées d'un PPR. De même, ce décret permet, s'agissant des biens existants, de subventionner les mesures de réduction de la vulnérabilité prescrites par un plan de prévention des risques. Le Gouvernement a ainsi déjà apporté des réponses concrètes aux questions financières que vous soulevez.

Par ailleurs, une concertation renforcée et une plus grande association des collectivités devraient permettre à ces dernières de participer plus activement à l'élaboration des PPR, donc de mieux faire valoir leurs contraintes d'aménagement, indéniables et souvent importantes.

En ce qui concerne votre département, le PPR « inondation » de la Seine et de l'Oise est actuellement en cours d'élaboration ; il n'a pas encore été soumis à la consultation officielle des cinquante-sept conseils municipaux concernés.

Le projet vise à prendre en compte dans l'aménagement de ces communes le risque d'inondations lié à une crue de la Seine analogue à celle de 1910, tout en préservant les possibilités de développement économique locales.

Il reprend les principes retenus pour l'élaboration des autres PPR d'Ile-de-France. Ces principes visent, je le rappelle, à préserver les champs d'expansion des crues sur les rares secteurs encore disponibles, à maintenir le lit majeur partout où c'est encore possible afin de faciliter l'écoulement d'une crue éventuelle, et à éviter d'augmenter la population dans les zones d'aléa fort et très fort.

La crue de la Seine est, certes, lente, mais le nombre de personnes qui pourraient être touchées, environ 880 000, est tel que les secours ne pourraient se consacrer qu'aux situations les plus critiques.

Cependant, de tels principes visent également à autoriser la construction dans les centres urbains, quel que soit l'aléa, afin de maintenir les capacités de développement de l'Ile-de-France.

La poursuite du projet de PPR « inondation » dans le département des Yvelines sera effectuée par les services de l'Etat sous la responsabilité du préfet, en étroite concertation, comme vous le souhaitez, avec les communes concernées, afin de concilier la nécessaire prise en compte du risque d'inondation et leurs contraintes de développement. C'est d'ailleurs dans cet esprit que je me rendrai tout prochainement dans le département des Yvelines, à l'invitation de votre collègue Jacques Myard.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.

Mme Catherine Tasca. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse.

Non seulement vous soulignez l'inéluctabilité des mesures de précaution - il n'est évidemment pas dans l'esprit des élus des Yvelines de se soustraire à cette nécessaire prévention de risques majeurs -, mais vous rappelez également la lourdeur des charges financières qui peuvent découler de la mise en oeuvre des plans de prévention et les conséquences qu'elles ne manqueront pas d'avoir.

Je retiens donc, monsieur le ministre, que vous veillerez vous-même, tout particulièrement, à ce qu'une concertation réelle et approfondie ait lieu entre la préfecture des Yvelines et les élus des cinquante-sept communes concernées.

Par ailleurs, je relève que, bien que il ne s'agisse pas juridiquement d'indemnisations, il est possible de travailler sur des financements spécifiques pour épauler les collectivités locales, qui auront évidemment à tirer les conséquences de l'adoption du plan. Mais, je le répète, le plus important pour nous reste que ce plan soit réellement élaboré en profonde concertation avec les élus locaux.

situation de l'industrie textile en lorraine

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Masseret, auteur de la question n° 635, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Jean-Pierre Masseret. Monsieur le ministre, ma question porte sur le textile en Lorraine, notamment dans les Vosges.

Vous connaissez les conséquences pour nos entreprises locales de la fin des accords multifibre : des emplois disparaîtront, des personnes se trouveront en difficulté et des zones d'activité, singulièrement bousculées.

Je connais les réponses qui peuvent être apportées ; le ministre Hervé Gaymard les a données à notre collègue député Gérard Cherpion : il existe des mesures européennes tendant probablement à des négociations avec la Chine ; le textile français vivra, il vivra aussi en Lorraine ; l'Etat et la région apporteront les crédits nécessaires permettant les mutations technologiques, l'innovation, la créativité et la compétitivité ; le conseil régional, avec l'Etat, mettra en place des dispositifs permettant la formation, la conversion, la réadaptation, la qualification professionnelle des salariés qui vont perdre leur emploi, de façon à leur permettre de retrouver une activité.

Toutefois, cela ne sera pas suffisant. Des hommes, des femmes et des secteurs seront laissés au bord du chemin. C'est pourquoi, au-delà des mesures que le Gouvernement a déjà annoncées, je voudrais insister sur deux points.

Le premier concerne le plan de reclassement nécessaire pour celles et ceux qui seront véritablement en très grande difficulté et pour lesquels il n'y aura ni réponses économiques, ni réponses en termes de formation. Prenons la sidérurgie, prenons la chimie : un plan de reclassement social de même nature devrait être mis en place pour celles et ceux qui ne connaîtront pas de perspectives professionnelles.

Le second point concerne les secteurs qui appellent des activités de revitalisation, les vallées vosgiennes notamment. Certes, il y a bien le pôle de compétitivité « fibre » que l'Etat et la région soutiennent dans le cadre des pôles de compétitivité de la délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale. C'est un élément du dispositif, mais cela ne répond pas à l'ensemble des besoins !

Des revitalisations sont nécessaires sur certains bassins d'activité. Il faudrait que l'Etat en prenne l'initiative. Je vous prie de croire que le conseil régional, dont j'assume la présidence, sera partenaire d'une telle démarche. Il faudra aussi « embarquer » le président du Sénat, également président du conseil général des Vosges, dans le dispositif de revitalisation. (Sourires.)

Monsieur le ministre, l'Etat est-il en mesure, a-t-il la volonté d'élaborer un plan de reclassement et de prendre des initiatives de revitalisation industrielle des vallées vosgiennes ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Monsieur Masseret, en France et en Europe, le secteur du textile et de l'habillement doit en effet faire face à des mutations très importantes : la suppression des quotas des accords multifibre, à compter du 1er janvier - autrement dit, nous sommes déjà dedans ! -, l'émergence de la Chine, qui devient un acteur majeur dans le domaine, l'élargissement de l'Union européenne... Il est vrai que les industries et les salariés traversent une période délicate. Mais, si vous me le permettez, c'est le cas depuis longtemps déjà !

Fort heureusement, beaucoup ont anticipé l'échéance du 1er janvier 2005. En réalité, le plus dur me semble derrière nous et le plus douloureux dans la mutation a déjà eu lieu. Je veux dire par là que l'industrie textile, qui est, dans notre pays, plus qu'une industrie historique, mais une vraie culture, n'est pas en déclin : elle est en mutation. C'est tout à fait différent ! Je suis convaincu qu'il existe un avenir crédible pour une telle industrie en France.

Vous avez comparé l'industrie textile à la sidérurgie, et je comprends bien le sens d'une telle comparaison, mais le textile n'est pas la sidérurgie !

Nous allons simplement changer la nature de nos fabrications, de nos productions. Ce ne sera pas la même chose, mais nous demeurerons le grand pays d'industrie textile que nous sommes.

Monsieur le sénateur, sachez que le Gouvernement n'a pas attendu la fin des quotas pour agir !

Je rappelle que nous avons pris des mesures afin d'encourager le secteur du textile et de l'habillement par un accroissement de sa capacité à innover et à créer de la plus-value. C'est l'avenir ! Seuls la différenciation des produits et des services offerts et le renforcement de la valeur matérielle ou immatérielle des biens permettront aux industriels européens de se démarquer durablement des produits de pays à faibles coûts salariaux.

C'est pourquoi Hervé Gaymard et moi-même avons souhaité que les entreprises du textile et de l'habillement puissent bénéficier d'un crédit d'impôt à hauteur de 10 % en volume des dépenses de création et de design pour leurs collections engagées en 2005. Il s'agit donc d'un doublement du dispositif actuel. Grâce à cette initiative, que nous comptons appliquer dès 2005, nous voulons accompagner les entreprises de la filière qui centrent leur activité sur les produits créatifs à forte valeur ajoutée.

Je ne méconnais pas, par ailleurs, la nécessité des mesures de réindustrialisation que vous préconisez. Mais, à mon sens, il est un axe premier, qui va dans le sens du renforcement de notre industrie textile et de la conservation du savoir-faire technique de personnels dont le métier, certes, évolue, mais qui, tout en changeant, demeure aussi exigeant.

L'innovation technologique est aussi un autre vecteur de l'indispensable différenciation de ces produits, et plusieurs outils sont d'ores et déjà mis en oeuvre.

Je pense ainsi à l'Institut français du textile et de l'habillement, l'IFTH, auquel l'Etat consacre onze millions d'euros annuellement pour développer et promouvoir l'innovation dans le textile.

Je pense aussi au réseau industriel d'innovation textile-habillement, le R2ITH, qui fait un travail remarquable.

Je pense encore à ce qui se fait au sein de la Commission. Nous avons, en effet, réussi à convaincre les autorités européennes de créer le groupe de haut niveau sur le textile avec d'autres partenaires européens qui rencontrent également des difficultés dans cette mutation.

Je pense enfin à la mise en place de la zone de libre-échange textile « Paneuromed » avec quarante-cinq pays du bassin méditerranéen. Ce dispositif sera de nature à faire pièce à la concurrence asiatique, singulièrement, chinoise, et, à certains égards, à la concurrence américaine aussi.

Monsieur Masseret, ces initiatives contribuent à faire de la France un chef de file dans ce domaine. Nous ne renonçons pas à être une grande puissance textile ! Si j'observe ce qui se passe dans ce que l'on appelle le «  textile technique », je constate que la France se situe au quatrième rang mondial et que ce domaine connaît une croissance de 5 % chaque année en moyenne. Certes, il faut faire la part des choses, cela ne représente que 20 % de parts de marché. Mais ce n'est pas si mal et cela offre une vraie perspective !

Voilà les raisons pour lesquelles je suis favorable à la réindustrialisation, mais en partenariat avec les collectivités territoriales. A ce titre, je sais que je peux compter sur le conseil régional ainsi que sur le département des Vosges et d'autres encore.

Permettez-moi un exemple, celui du Nord-Pas-de-Calais, qui a pris l'initiative de créer un pôle de compétitivité. Or ces pôles de compétitivité, s'ils présentent d'abord l'avantage d'un ancrage géographique, contribuent également à une mise en réseau. Pourquoi pas une telle mise en réseau pour la région qui vous est chère, monsieur le sénateur ?

Cela étant, s'agissant du Nord-Pas-de-Calais, nous n'en sommes qu'à l'appel d'offres et il faut donc attendre le dépouillement pour affirmer ce que seront véritablement les projets. Mais je considère d'ores et déjà que les propositions du Nord-Pas-de-Calais sont sérieuses et méritent beaucoup d'attention. A ce jour, rares sont les régions concurrentes sur un projet aussi structuré ! Elles peuvent toutefois déposer jusqu'au 28 février !

La mise en réseau est une initiative que la Lorraine ne saurait, me semble-t-il, rejeter.

Reste que je suis favorable à ce que mon ministère et les collectivités locales collaborent à l'élaboration de mesures propres à trouver d'autres activités industrielles pour tous ceux qui ne réussiraient pas à accompagner cette mutation.

Notre priorité est et reste le maintien de la grande activité textile que notre pays a su développer pendant des siècles.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Masseret.

M. Jean-Pierre Masseret. Monsieur le ministre, j'ignore ce que sont les propositions du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais en matière de pôle de compétitivité, mais les nôtres sont également sérieuses : elles concernent les matériaux avancés à dominante métallique et les fibres. Il est bien évident que le textile français doit vivre, et il vivra en Lorraine.

Je retiendrai finalement trois axes.

Il y a tout d'abord les entreprises susceptibles de soutenir la compétition internationale. Il faut les aider à gagner des parts de marché en créant et en innovant.

Il y a ensuite les entreprises en difficulté qu'un investissement technologique adapté sera à même d'aider à passer le cap.

Enfin, il y a les autres, celles qui n'ont effectivement pas véritablement de porte de sortie et dont les salariés, malgré les sessions de reconversion et de qualification, ne retrouveront probablement pas d'activité professionnelle.

C'est pourquoi nous préconisons une démarche du type de celle qui a prévalu dans la sidérurgie, même si je reconnais que c'est un autre domaine, afin de ne pas laisser ces femmes et ces hommes au bord du chemin.

C'est également pourquoi nous sommes favorables à la prise en compte des initiatives de revitalisation des vallées. L'Etat doit montrer la voie et le conseil régional s'engagera derrière lui. Il faut aussi, je le confirme, « embarquer » le conseil général des Vosges !

M. le président. On se demande pourquoi vous insistez tellement sur les Vosges ! (Sourires.)

situation statutaire des fonctionnaires des collectivités locales

M. le président. La parole est à M. Georges Mouly, auteur de la question n° 619, adressée à M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.

M. Georges Mouly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux me faire l'écho de quelques difficultés rencontrées par les élus locaux à l'occasion de la mise en oeuvre de l'Acte II de la décentralisation.

Parmi celles-ci, je soulignerai, dans un premier temps, la dérive des coûts des contrats de groupe pour la couverture complémentaire des agents territoriaux et, dans un second temps, la complexité des modalités de gestion des ressources humaines.

Les coûts des contrats d'assurance des risques statutaires, qui connaissent une véritable dérive, viennent s'ajouter à l'augmentation des dépenses réglementaires, telles que celles qui sont exposées au titre des analyses de l'eau potable ou encore de la lutte contre le radon. Les taux de cotisation des assurances enregistrent, selon les communes, des hausses allant de 30 % à 90 %, ce qui représente bien plus qu'un ajustement et, évidemment, une pression excessive pour les petites communes.

Certes, ce problème relève de relations privées entre les assureurs et les collectivités, mais, comme ce fut le cas pour l'assurance des risques médicaux, ne conviendrait-il pas de tout mettre en oeuvre pour y remédier et, notamment, ne serait-il pas opportun que le Gouvernement joue un rôle de médiateur ?

J'en viens à la complexité des modalités de gestion des ressources humaines et, plus précisément, au recrutement et à la progression des carrières.

Au moment où est enregistrée une forte progression des inscriptions aux concours de la fonction publique, un projet de réforme du recrutement de divers cadres d'emplois de catégories A et B de la filière médicosociale a reçu un avis défavorable du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale au motif que la suppression de l'épreuve écrite d'admissibilité entraînerait un ralentissement des procédures de licenciement.

Dans le même sens, esquissant une solution, M. Bernard Dreyfus préconise dans son rapport l'instauration de concours sur titre et la reconnaissance de l'expérience professionnelle. Il conviendrait peut-être de prendre cette suggestion en considération.

Une autre difficulté a trait à la gestion des emplois spécifiques. Des statuts particuliers ont prévu des dispositions permettant l'intégration de ces fonctionnaires. Néanmoins, certains d'entre eux n'ont pu en bénéficier et, tout en étant fonctionnaires, ne peuvent être ni mutés ni détachés. Pourrait-on envisager, monsieur le ministre, une solution de nature à résorber ces emplois spécifiques ? La question se pose également pour les emplois précaires, pour les agents contractuels qui n'ont pu bénéficier des dispositions de la loi Sapin.

J'en viens à un autre sujet, celui de la progression de carrière et de la formation.

Pour ce qui est de la progression de carrière, il semble que l'application des quotas joue un rôle de frein à la promotion sociale ; c'est d'autant plus regrettable que la promotion interne est l'un des fondements de la fonction publique. Un assouplissement de ce dispositif ne pourrait-il être envisagé ?

En matière de formation, enfin, le dispositif de formation initiale a été créé voilà quelque vingt ans, dans un contexte statutaire tout à fait différent. Aujourd'hui, les lauréats des concours de recrutement sont souvent très diplômés et la réduction des formations initiales semble s'imposer. En revanche, une adaptation statutaire serait à mes yeux bienvenue qui permettrait la formation tout au long de la carrière pour en franchir les différentes étapes.

Monsieur le ministre, j'ai bien conscience d'avoir posé plus d'une question et, par conséquent, je sais que vous n'allez probablement pas apporter, dès ce jour, toutes les précisions souhaitées, pour souhaitables qu'elles soient. Je sais bien que des projets de réforme des fonctions publiques d'Etat et territoriale sont à venir. J'ai cru pouvoir cependant, dans ces conditions, faire état de problèmes qui susciteront de plus en plus d'interrogations et se traduiront par des souhaits fermement exprimés.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Monsieur le sénateur, j'ai bien pris conscience de l'élargissement du champ de votre question. Je veux vous répondre, au nom de Renaud Dutreil, que, en application du statut de la fonction publique, les fonctionnaires territoriaux ont droit, comme les autres fonctionnaires, aux congés de maladie, aux congés de longue maladie ou de longue durée.

Chaque congé de maladie donne droit à une rémunération à plein traitement ou à demi-traitement, selon la durée de la maladie. Les employeurs territoriaux qui assument la charge financière des congés de maladie peuvent souscrire un contrat d'assurance, directement ou par le biais des centres de gestion, afin de couvrir les risques financiers liés à ces congés.

Il est vrai que les cotisations aux organismes d'assurance ont augmenté, semble-t-il, sous l'effet de la croissance des arrêts de maladie. Le Gouvernement est sensible à ce problème, mais considère qu'il n'est pas possible de diminuer la protection sociale des fonctionnaires territoriaux. Une telle mesure contreviendrait aux principes de parité entre les fonctions publiques et ne saurait donc être envisagée.

Les collectivités ont, en tout état de cause l'entière maîtrise des conditions de couverture du risque. Elles peuvent négocier leur contrat, voire le résilier et changer de prestataire. Elles peuvent aussi assumer la charge financière des arrêts de maladie selon le principe de l'auto-assurance. A ce sujet, je rappelle que le principe de liberté contractuelle, qui permet aux parties de déterminer librement les clauses du contrat, s'oppose à l'intervention des pouvoirs publics dans les relations qui se nouent entre les collectivités et leurs organismes d'assurance.

Sur les autres points évoqués, le ministre de la fonction publique présentera au Sénat, dès le mois de mars 2005, un projet de loi de transposition de la directive du 28 juin 1999 sur le travail à durée déterminée, qui interdit de renouveler sans fin les contrats à durée déterminée. Dorénavant, les CDD ne pourront plus être renouvelés après six ans que sous la forme d'un contrat à durée indéterminée, ou CDI. Il s'agit d'une mesure très importante qui mettra enfin un terme à la précarité dans la fonction publique.

Enfin, le Gouvernement prépare actuellement différentes dispositions concernant plusieurs volets importants du droit de la fonction publique, en particulier un projet de modernisation de la fonction publique territoriale et la mise en place du PACTE, ou parcours d'accès aux carrières territoriales, hospitalières et de l'Etat, dispositif qui permettra à des jeunes sans diplôme ni qualification de recevoir une formation en alternance de deux ans aux métiers de la fonction publique, puis d'être titularisés après une épreuve de sélection professionnelle. Le projet comprendra, par ailleurs, une modernisation de la formation et du recrutement.

M. le président. La parole est à M. Georges Mouly.

M. Georges Mouly. Monsieur le ministre, je vous remercie d'une réponse qui, à plus d'un titre, ne manque pas d'intérêt, qu'il s'agisse de la protection sociale ou de la résorption de l'emploi précaire, avec la perspective de la suppression du CDD, qui sera obligatoirement transformé en CDI au bout de six ans.

Il me reste à espérer que, pour les autres problèmes que j'ai évoqués - et il en est d'autres encore -, le projet de loi à venir nous donnera l'occasion d'apporter les solutions qui conviennent.

difficultés de recrutement de sages-femmes en seine-saint-denis

M. le président. La parole est à Mme Eliane Assassi, auteur de la question n° 615, adressée à M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.

Mme Eliane Assassi. Monsieur le ministre, le président du conseil général de Seine-Saint-Denis a appelé mon attention sur les difficultés que rencontre aujourd'hui le service de protection maternelle et infantile de ce département pour recruter des sages-femmes territoriales.

Ainsi que vous le savez, à la suite du mouvement national de revendication des sages-femmes du printemps 2001, le décret n° 2003-679 du 23 juillet 2003, entré en application le 1er août 2003, est venu modifier les dispositions statutaires relatives aux sages-femmes. Le cadre d'emplois de ces professionnelles comporte dorénavant trois grades soumis à de nouveaux quotas.

Dans un premier temps, le décret a prévu un reclassement des sages-femmes territoriales dans les nouveaux grades, mesure qui a profité aux quarante et une sages-femmes composant le cadre d'emplois en Seine-Saint-Denis. En revanche, les reclassements hors quotas sont en pratique atteints pour la classe exceptionnelle et largement dépassés pour la classe supérieure.

Cette situation empêche tout nouveau recrutement par voie de détachement sur ces grades d'avancement, de même que les recrutements par voie de mutation de sages-femmes expérimentées sont aujourd'hui entravés.

Les départs à la retraite qui doivent intervenir entre 2008 et 2012, l'assouplissement des quotas mis en place par la loi Hoeffel modifiée et le recrutement de sages-femmes ne permettront pas une ouverture des quotas suffisante pour envisager les recrutements nécessaires.

C'est ainsi que six postes titulaires de sage-femme territoriale sont vacants, dont quatre depuis une à deux années. Ces vacances de poste concernent notamment deux villes comptant annuellement 3 500 naissances domiciliées, soit 14 % de l'ensemble des naissances domiciliées du département en 2002.

Dès lors, on ne peut que s'interroger sur la possibilité pour la Seine-Saint-Denis de s'inscrire dans un schéma régional de la périnatalité, dans la mesure où le département n'a pas les moyens d'assurer ses missions ainsi que la continuité du service public auprès des femmes enceintes et des nouveaux parents.

Par ailleurs, la mobilité entre les fonctions publiques et au sein même de la fonction publique territoriale ne pouvant être effective dans les grades d'avancement, seul le recrutement d'agents contractuels est dès lors envisageable. Or, le département de Seine-Saint-Denis, attaché au service public, ne souhaite favoriser ni la précarité de l'emploi de ces agents, ni l'instabilité au sein des équipes de protection maternelle et infantile.

Dans la mesure où l'assouplissement statutaire des quotas du cadre d'emplois des sages-femmes territoriales, voire la disparition de ces quotas, pourrait lever l'obstacle aux recrutements par détachement ou par mutation, envisageriez-vous, monsieur le ministre, de déroger à ce quota statutaire afin de répondre, de façon urgente, aux besoins de recrutement de sages-femmes territoriales ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Madame la sénatrice, à la suite du protocole d'accord signé en 2001 avec cinq organisations syndicales de la fonction publique hospitalière, le Gouvernement a souhaité assurer une transposition à la fonction publique territoriale des mesures de revalorisation indiciaire et d'amélioration du déroulement de carrière intervenues pour les professions de santé de la fonction publique hospitalière.

Des améliorations très substantielles ont aussi été apportées. En particulier, le troisième grade culmine à l'indice brut 850, alors que l'ancien terminait à 720, avec une bonification indiciaire de l'indice de 35 points pour celles qui exercent des fonctions de coordinatrice.

De plus, s'agissant de l'avancement de grade, le quota d'accès au deuxième grade est porté de 25 % à 30 %. Pour l'avancement au troisième grade de sage-femme de classe exceptionnelle, le quota est porté de 7 % à 25 %, et un dispositif rend possible un avancement dans le grade supérieur chaque fois que l'effectif de celui-ci a diminué d'un nombre égal à deux, afin d'éviter le blocage des avancements.

Toutefois, le Gouvernement en est conscient, malgré le large éventail des possibilités prévues par les dispositions statutaires existantes, il demeure certaines contraintes et rigidités liées à ce statut, notamment en matière de quotas d'avancement.

Le Gouvernement a donc engagé une réflexion qui porte en particulier sur l'institution d'un mécanisme qualifié de ratio « promus-promouvables ». Ce dispositif permet d'ajuster le nombre des promotions de grade en lissant l'aléa démographique et en respectant les durées de carrière déterminées par les règles statutaires.

L'avantage de cette méthode réside dans un lissage des promotions, contrairement au système des pyramidages ou des quotas, qui entraîne des cycles de promotion souvent discontinus et très contrastés, conséquences des disparités démographiques et des recrutements aléatoires constatés pour certains cadres d'emplois.

Le Gouvernement entend donc avancer rapidement sur cette question.

M. le président. La parole est à Mme Eliane Assassi.

Mme Eliane Assassi. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse.

J'ai voulu évoquer cette question parce que la Seine-Saint-Denis fait des efforts considérables en matière de périnatalité et de protection maternelle et infantile. Or l'inquiétude est grande, dans ce département, compte tenu des problèmes que je viens d'évoquer. J'ai, par ailleurs, tendance à penser que ce n'est pas le seul département concerné par cette question, comme votre réponse le laisse entendre.

Il y a, me semble-t-il, urgence en la matière. J'ai bien noté que vous proposiez de nouvelles méthodes ; elles seront l'objet d'un examen particulièrement vigilant de notre part.

conduite sans permis de conduire

M. le président. La parole est à M. Alain Gournac, auteur de la question n° 634, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

M. Alain Gournac. Monsieur le secrétaire d'Etat, je suis réellement inquiet : aujourd'hui, d'après les informations dont je dispose, 1 millions d'automobilistes conduiraient sans permis !

Le phénomène recouvre plusieurs hypothèses. Dans les conducteurs sans permis, il y a, bien sûr, ceux qui n'ont jamais passé les épreuves du permis de conduire ; les statistiques montrent que leur nombre est plutôt faible. Mas il y a aussi tous ceux qui se sont vu retirer leur permis et qui continuent de conduire malgré tout. Ces derniers ont même les honneurs de la télévision, où ils sont consultés par les uns et par les autres pour savoir quel est leur secret pour conduire ainsi sans permis !

Mon inquiétude, celle de mes collègues et de nos concitoyens, monsieur le secrétaire d'Etat, s'amplifie à la lecture de certaines statistiques. Ainsi, 37 000 automobilistes ont perdu leur permis en 2004 - soit une augmentation, d'une années sur l'autre, de 74 % -, et ce, notamment, grâce aux radars.

Vous savez, monsieur le secrétaire d'Etat, combien je suis favorable à l'installation de ces radars, mais, alors que nous nous apprêtons à en implanter bien plus dans les deux années qui viennent, je veux simplement attirer votre attention sur l'énorme augmentation du nombre d'automobilistes conduisant sans permis qui risque d'en résulter.

Certes, monsieur le secrétaire d'Etat, si ces automobilistes ont été privés de leur permis, c'est pour une bonne raison et ils se mettent en tort en conduisant malgré tout ; mais leur sort m'importe moins en cet instant que celui de leurs victimes éventuelles, s'ils sont impliqués dans un accident grave. Que se passe-t-il, par exemple, si un piéton est renversé sur un passage protégé ? L'automobiliste privé de permis est-il encore couvert par l'assurance de la voiture ? C'est une inquiétude terrible, car, lorsque l'on est victime d'un accident de la circulation, on ne choisit pas le responsable, qui peut fort bien être de ceux qui conduisent sans permis !

Mon inquiétude se double d'un certain sentiment de malaise devant le peu de réactions que suscitent ces comportements. Il me semble même, monsieur le secrétaire d'Etat, et croyez que j'en suis désolé, que les télévisions mettent au contraire en vedette des personnes qui n'hésitent pas à reconnaître devant les caméras que, bien que privées de leur permis, elles continuent de conduire parce qu'elles ont besoin de leur véhicule pour travailler, par exemple !

Je n'ai pas l'impression que des mesures soient prises, monsieur le secrétaire d'Etat, pour enrayer ce phénomène, mais je suis persuadé que vous allez m'éclairer sur ce point.

Cela étant, monsieur le secrétaire d'Etat, comme certains de mes collègues de la commission des lois, intéressés par la question que je pose ce matin, me l'ont confirmé, il faut reconnaître que l'on a vite fait aujourd'hui de perdre son permis de conduire. Voilà qui est tout de même ennuyeux : on retire de plus en plus facilement leur permis de conduire aux conducteurs, mais c'est au prix de difficultés accrues pour les populations ! Cet état de fait me préoccupe.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Monsieur le sénateur, votre interpellation est parfaitement légitime. Le Gouvernement partage les préoccupations que vous venez, très justement, d'exprimer sur ce sujet qui nous concerne tous.

Le nombre de conducteurs sans permis est, par définition, impossible à évaluer précisément. On dispose cependant d'une estimation du pourcentage de conducteurs sans permis impliqués dans des accidents - 3 % -, ce qui permet de réfuter les chiffres les plus alarmistes mentionnés dans la presse.

Par ailleurs, le nombre d'infractions relevées par les forces de l'ordre au motif d'une conduite pour défaut de permis de conduire ou de permis de conduire non valide, s'élevait, en 2001, à 43 446, en 2002, à 46 926, et, en 2003, à 48 148.

Cette augmentation régulière de la conduite sans permis peut s'expliquer, en partie, par l'augmentation du nombre des contrôles effectués - en augmentation de 18 % entre 2002 et 2003 pour la gendarmerie nationale -, mais peut-être aussi par une augmentation de cette pratique, extrêmement critiquable.

Le phénomène de la conduite sans permis est suffisamment préoccupant pour que le Gouvernement y prête la plus grande attention.

Trois axes sont privilégiés pour remédier à cette situation.

Premièrement, et votre question y concourt, monsieur Gournac, nous voulons privilégier une information du grand public sur les risques de la conduite sans permis, sur le défaut d'assurance, sur le système du permis à points et sur les modalités de récupération de ces points. Il est vrai, monsieur le sénateur, qu'il y a une sévérité nouvelle ; mais elle se traduit par des résultats en matière de sécurité routière, nous nous accordons sur ce constat.

Il convient de rappeler que la conduite sans permis est un acte illégal et dangereux ; ce comportement est lourdement sanctionné, conformément à la loi du 9 mars 2004, qui dispose que cette infraction est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

Deuxièmement, nous voulons privilégier l'intensification des contrôles, qui, à la fois, dissuadent de telles pratiques et permettent d'en sanctionner les auteurs.

Troisièmement, nous voulons privilégier non seulement la sécurisation de l'épreuve théorique générale de l'examen du permis de conduire pour éviter les fraudes, mais aussi la mise en place des dispositions de la future directive communautaire sur le permis de conduire et l'instauration d'un nouveau format du permis de conduire sous forme de carte plastique. Ce nouveau permis de conduire devra faire l'objet d'un renouvellement administratif tous les dix ans ; nous nous assurons ainsi de réduire le nombre de faux permis en circulation.

Comme vous l'avez indiqué, monsieur Gournac, lutter contre ces comportements est une vraie responsabilité pour les pouvoirs publics.

Nous devons également nous assurer que les jeunes peuvent accéder à une formation de qualité à la conduite et à la sécurité routière.

Une mission parlementaire sur les différents problèmes soulevés par cette question a été confiée à Jean-Michel Bertrand, député de l'Ain et maire de Bourg-en-Bresse. Son rapport nous sera communiqué très prochainement.

M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.

M. Alain Gournac. Je remercie M. le secrétaire d'Etat. Sa réponse est tout à fait claire.

Je suis content d'apprendre qu'une mission parlementaire remettra un rapport sur ce sujet. En toute franchise, j'avoue que je l'ignorais.

Monsieur le secrétaire d'Etat, les chiffres que j'ai cités sont peut-être exagérés, puisque vous nous dites que le pourcentage de conducteurs sans permis impliqués dans des accidents est de 3 %. Pour autant, je ne me suis pas trompé en ce qui concerne l'augmentation du phénomène global de la conduite sans permis.

M. François Goulard, secrétaire d'Etat. Oui, l'augmentation est réelle.

M. Alain Gournac. Certes, cela peut s'expliquer en partie par l'augmentation - de 18 %, avez-vous dit - du nombre des contrôles effectués par la gendarmerie notamment, mais on ne peut pas contester l'augmentation importante de la pratique de conduite sans permis elle-même.

Monsieur le secrétaire d'Etat, je suis d'accord avec vous : la répression ne suffit pas et il faut mettre les personnes en infraction devant leurs responsabilités. C'est la raison pour laquelle je suis favorable à l'information du grand public. Il faut essayer de mieux faire passer le message, par exemple au travers d'émissions ou de conférences de presse et ne pas hésiter à informer les personnes qui conduisent sans permis qu'elles encourent une peine d'un an de prison et une amende très élevée. J'ai eu en effet l'impression, lors des interviews que je mentionnais, que les automobilistes concernés prenaient ce type d'infraction plutôt à la légère !

En ce qui concerne l'intensification des contrôles, reconnaissons qu'en ce moment la police fait son travail, contrairement à ce que j'ai pu lire dans un grand quotidien. Il est absolument faux de soutenir que la police ne fait pas son travail, alors que nous pouvons tous constater qu'elle est extrêmement mobilisée. Je veux, à cette occasion, rendre hommage au travail remarquable qui est accompli par les forces de police dans les Yvelines, et dans ma ville en particulier.

Cela étant, monsieur le secrétaire d'Etat, j'ignorais que certaines personnes fabriquaient des faux permis de conduire, vous me l'apprenez. Fort heureusement, grâce à l'instauration d'un nouveau format de permis de conduire sous forme de carte plastique, cette fraude ne posera plus de difficultés.

Enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, permettez-moi de souligner, mais je sais que le Gouvernement se préoccupe du problème, que le permis de conduire est bien cher pour les jeunes. (M. le secrétaire d'Etat opine.) Ne les poussons pas, au prétexte qu'ils ont un peu conduit la voiture d'un copain, à se dispenser des épreuves du permis ! Des initiatives ont été prises, mais il faut véritablement veiller à ce que ces jeunes ne prennent pas un mauvais départ dans l'existence en se comportant comme des délinquants.

transferts aux départements des personnels des dde

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, auteur de la question n° 625, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le secrétaire d'Etat, ma question est complexe et technique. Elle concerne le transfert aux départements des personnels des directions départementales de l'équipement, les DDE. Sa technicité explique peut-être qu'elle n'ait pas obtenu de réponse de la part du ministre de l'intérieur lors de l'examen du projet de loi de finances.

Je souhaite donc, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous puissiez m'apporter une réponse précise aujourd'hui, car la mise en oeuvre de ce transfert est imminente.

La loi du 2 décembre 1992 relative à la mise à disposition des départements des services déconcentrés du ministère de l'équipement et à la prise en charge par des dépenses de ces services offre aux personnels, en ses articles 6 et 7, deux possibilités : l'article 6 maintient la situation antérieure à la loi de 1992, tandis que l'article 7 met en oeuvre ce que l'on appelle le mécanisme de « l'adaptation partage ».

Pour les départements qui ont opté pour le régime de l'article 7, la récupération des moyens supports ne se fera qu'après les transferts des routes nationales, c'est-à-dire au mieux en 2007, alors même que les transferts de personnels s'effectueront dès 2006. Comment cela pourrait-il techniquement fonctionner si ces moyens supports restent physiquement dans les DDE ? Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne comprends pas très bien ! Mais cette question est secondaire par rapport à ce qui suit.

Le point le plus important concerne en effet les départements régis par l'article 6, à savoir les départements qui n'ont pas encore pratiqué le partage et qui recevront, de fait, les plus gros effectifs.

La loi du 2 décembre 1992 prévoit que 2002 constitue un butoir d'effectifs, c'est-à-dire qu'elle est la référence en termes de nombre d'agents transférables. Cependant, le ministère de l'équipement continue à effectuer des réductions d'effectifs dédiés aux routes départementales, pour des raisons de gains de productivité. C'est une vieille affaire dont nous avons beaucoup parlé, monsieur le secrétaire d'Etat. La question est la suivante : lors du transfert des personnels - il est imminent -, est-ce le résultat des comptes du ministère qui sera pris en compte ou bien plutôt, comme il le faudrait, les effectifs de 2002, selon les termes de la loi ?

Dans ces deux cas, les situations sont différentes, puisque les effectifs seront plus ou moins importants.

De plus, en ce qui concerne les parcs d'équipement, la période transitoire de trois ans ouverte par la loi du 13 août 2004 est trop longue et, de fait, les fragilise. Il conviendrait de raccourcir les délais et d'aller plus vite, même si les situations sont très contrastées d'un département à l'autre.

Enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, je veux vous poser une question complémentaire. Depuis 1992 - le ministre de l'époque avait beaucoup agi dans ce sens -, la bonne doctrine interdit aux départements d'aider les communes en matière d'ingénierie. L'Etat s'est beaucoup battu pour conserver cette mission régalienne. Le problème tient au fait que les DDE n'ont plus les moyens de fournir cette aide : les petites communes, en particulier, se trouvent donc dans une situation extrêmement difficile.

Il serait temps, monsieur le secrétaire d'Etat, de permettre aux départements d'intervenir. Certes, les départements seraient soumis au code des marchés publics, mais ne peut-on concevoir que, comme cela a été pratiqué pour l'Etat, certains appuis entre collectivités soient soustraits au champ concurrentiel ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Monsieur le sénateur, vous abordez des questions en effet très techniques concernant les transferts des moyens des DDE et les agents de cette grande administration.

Conformément à l'engagement du Gouvernement, l'intégralité des moyens en personnels consacrés par l'Etat aux compétences routières et qui sont transférés aux départements en application de la loi du 13 août 2004 donnera lieu à un transfert effectif.

Il en sera ainsi, en particulier, des personnels mis à la disposition des conseils généraux, en application de la loi du 2 décembre 1992, y compris ceux qui contribuent à la gestion des effectifs.

Les parties des services des DDE déjà placées sous l'autorité fonctionnelle directe du président du conseil général, en vertu de l'article 7 de la loi du 2 décembre 1992, comme c'est le cas en Haute-Vienne, devraient être transférées dès le deuxième trimestre de cette année. Les services relevant de l'article 6, régime dans le cadre duquel la mise à disposition de la DDE est globale, seront transférés à la fin de 2006 ou au début de 2007, avec ceux qui sont chargés des routes nationales d'intérêt local devenues routes départementales.

Les modalités de transfert sont en cours d'élaboration et font l'objet d'une concertation avec l'Assemblée des départements de France.

Pour les services concernés par l'article 7 - c'est un peu compliqué, mais c'est ainsi -, le décalage dans le temps du transfert des moyens supports ne devrait pas avoir de conséquences. En effet, ces moyens se justifient dès lors que les personnels visés sont pris en charge directement par le département, soit par intégration dans la fonction publique territoriale, soit par détachement sans limitation de durée. Or, à travers l'exercice du droit d'option offert aux agents, ces dernières procédures requièrent des délais supérieurs à ceux du dispositif de transfert en deux temps. Encore une fois, ce décalage n'aura aucune conséquence.

Par ailleurs, en application du IV de l'article 121 de la loi relative aux libertés et responsabilités locales, les compensations financières prévues par la loi du 2 décembre 1992 sont maintenues jusqu'à la date du transfert. Aussi les départements ont-ils la garantie que, en toute hypothèse, les éventuelles réductions d'effectifs pratiquées jusqu'à la date effective du transfert seront compensées financièrement.

Vous pouvez donc être totalement rassuré, monsieur le sénateur.

Les missions d'ingénierie exercées par les DDE pour le compte des communes relèvent des services non transférables. Parmi ces missions figure l'assistance technique pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire, ATESAT, prévue par le III de l'article 1er de la loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier, ou loi MURCEF. Elle introduit, au nom du service d'intérêt général, un type particulier de concours de l'Etat hors du champ concurrentiel. Cette prestation est de droit pour les collectivités qui la demandent, sous réserve de remplir les conditions fixées par le décret du 27 septembre 2002.

Cette mission continuera donc d'être assurée par l'Etat. Les autres missions d'ingénierie publique habituellement réalisées par l'Etat s'inscrivent désormais dans le champ concurrentiel. L'intervention éventuelle des départements pour le compte des communes relève également de dispositions nationales et communautaires liées au droit de la concurrence.

Dans ce contexte de profondes évolutions locales qui vont marquer les DDE, vous avez abordé le sujet des parcs des DDE. La loi du 13 août dernier dispose qu'un rapport spécifique devra être présenté au Parlement dans les trois ans. Gilles de Robien a confié à un haut fonctionnaire, M. Courtial, maître des requêtes au Conseil d'Etat, une mission de réflexion associant les partenaires concernés, les représentants des personnels et ceux des conseils généraux. Cette mission devra dégager des éléments de diagnostic ainsi que des propositions adaptées à l'exécution du service public routier, par l'Etat et les départements, sur leurs réseaux respectifs. Elle intégrera une approche prévisionnelle et prospective des compétences, de l'emploi et des métiers des ouvriers des parcs et ateliers.

Il est nécessaire de dessiner l'avenir des parcs de l'équipement, concomitamment à la création des futurs services routiers nationaux, en liaison avec le calendrier des transferts prévus dans le domaine routier. Gilles de Robien a demandé que les premières propositions lui soient remises dès le printemps, de sorte que nous ayons des réponses avant l'expiration du délai de trois ans prévu par la loi.

M. le président. Il faut être au moins polytechnicien pour comprendre tout cela ! (Sourires.)

La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.

M. Jean-Claude Peyronnet. Sous réserve d'expertise, je crois avoir compris que les choses se présentent assez bien pour les personnels, à tout le moins conformément à ce que je souhaitais.

Cela étant, n'étant pas polytechnicien (sourires), je lirai avec beaucoup d'attention ce que vous m'avez répondu, monsieur le secrétaire d'Etat.

S'agissant des parcs, je suis très heureux d'entendre que la mission rendra rapidement ses conclusions. On peut donc espérer que des solutions seront vite trouvées ; elles seront d'ailleurs variables selon les départements.

Il serait sans doute nécessaire d'approfondir la question de l'assistance technique, afin de ne pas laisser les petites communes sans défense dans un monde concurrentiel. Il existe bien d'autres problèmes que ceux qui sont liés à la route. L'un d'entre eux, très concret, va prendre une importance croissante : je veux parler de l'assainissement individuel. Actuellement, seules les maisons neuves sont concernées ; à partir de cette année, l'ensemble des maisons, y compris le parc ancien, le seront. Leurs propriétaires seront incapables de se conformer à leurs obligations, tout comme les communes. Les grands groupes sont à l'affût, ainsi qu'en témoignent certaines publicités que j'ai vues. Il serait sage que nous puissions disposer d'un prix de référence afin que nous ne soyons pas livrés pieds et poings liés à cette concurrence quelque peu débridée.

suppression de subdivisions de la dde

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, auteur de la question n° 624, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur le projet de réorganisation des services de l'équipement consistant à limiter le nombre des subdivisions de ses directions départementales, les DDE. Avec mes collègues Gisèle Printz et Jean-Pierre Masseret, nous avions interpellé le ministre au début du mois de décembre.

Cette réorganisation suscite l'inquiétude et la colère légitime de nombreux maires, qui se retrouvent de plus en plus éloignés de nos services publics. Décentralisation et réorganisation sont des mots qui résonnent pour votre gouvernement comme exclusion et punition des collectivités locales. Après celle des bureaux de postes, c'est la fermeture des antennes de la DDE qui est annoncée. Or la décentralisation doit avoir pour objectif la proximité, en rapprochant nos concitoyens des services publics.

Je prendrai, monsieur le secrétaire d'Etat, le cas de mon département, la Moselle. Une première étude faisait état d'un regroupement de six subdivisions, à savoir celles de Metz, Thionville, Sarrebourg, Saint-Avold, Sarreguemines et Morhange.

Ce projet initial consacre la disparition d'un service de proximité dans de nombreuses zones rurales, puisqu'il va entraîner d'importantes fermetures de subdivisions, dont celles de Boulay, Bitche, Faulquemont, Château-Salins et Dieuze, pour ne citer qu'elles.

Pourtant, chacun sait que, en zone rurale, tous les permis de construire sont instruits par la DDE et que les subdivisions, par leur proximité, apportent bien souvent l'aide nécessaire aux maires qui n'ont pas la possibilité de se doter d'un service administratif et technique compétent en la matière.

Depuis le début du mois de décembre, des rumeurs circulent sur un nouveau projet de restructuration visant à regrouper quatre subdivisions, à savoir celles de Metz, Thionville, Sarrebourg et Sarreguemines.

Ce projet, officieux, est loin d'assurer un véritable équilibre territorial. En effet, dans le secteur du bassin houiller, le rattachement des subdivisions de Saint-Avold et Morhange à celle de Sarreguemines éloignera en moyenne de 50 kilomètres près de cent vingt communes de la subdivision de Sarreguemines.

Je considérerai, à titre d'exemple, le cas de quelques communes chefs-lieux de canton. Ainsi, la commune de Faulquemont, dont la subdivision de la DDE va disparaître, se trouve à 56 kilomètres de Sarreguemines ; la commune de Morhange, dans le même cas, en est éloignée de 42 kilomètres et la commune de Saint-Avold, à peu près de la même distance également.

Si ce projet officieux, qui suscite craintes et interrogations chez les élus, était confirmé, il serait lourd de conséquences pour nos communes, situées dans un secteur en pleine reconversion à la suite du récent arrêt de l'exploitation minière.

Aussi, je vous demanderai, monsieur le secrétaire d'Etat, de bien vouloir clarifier la situation en prenant en compte ces éléments. De plus, je souhaiterais que vous m'indiquiez quel est le plan du Gouvernement pour la réorganisation des services de l'équipement dans mon département.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Monsieur le sénateur, la décentralisation en cours ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur l'organisation territoriale des services de l'Etat. C'est dans le cadre de la décentralisation et de la réforme de l'Etat que le ministère de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer s'est engagé dans une « stratégie ministérielle de réforme ». L'objectif est que le service public soit plus performant et qu'il obtienne davantage de résultats, au service de l'ensemble de nos concitoyens et en cohérence avec le développement territorial, le tout étant réalisé dans la plus grande concertation.

Les DDE doivent se concentrer sur quatre axes : la connaissance des territoires, l'aménagement et l'urbanisme ; l'habitat, le logement et la politique de la ville ; l'environnement et la prévention des risques naturels et accidentels ; la politique des transports, la sécurité et la sûreté des transports, particulièrement la sécurité routière, ce qui inclut l'ingénierie publique.

Ce sont autant d'orientations stratégiques. Gilles de Robien a marqué son intention de refondre le réseau actuel des subdivisions afin de l'adapter aux enjeux des territoires, aux besoins locaux et au service à rendre aux usagers. L'organisation territoriale du ministère de l'équipement - vous l'avez largement rappelé - va connaître une évolution significative dans la mesure où la majeure partie des subdivisions - c'est tout le sens de la décentralisation - relèvera dorénavant de la responsabilité du département pour les missions qui lui sont dévolues par la loi.

Par ailleurs, les DDE n'auront plus en charge les routes nationales : un service interrégional dédié sera créé pour le réseau routier national structurant.

En Moselle, sous l'égide du préfet, un projet de réorganisation des services déconcentrés de l'Etat est en cours d'élaboration. Cette réflexion est conduite en concertation avec le conseil général, de manière à trouver la complémentarité, que nous estimons nécessaire les uns et les autres, entre les implantations des futures subdivisions territoriales de l'équipement et celles des services du département. Le département dispose déjà, d'ailleurs, d'une subdivision « Etudes et travaux » implantée à Saint-Avold.

Ce projet fera l'objet, le moment venu, d'une présentation et sera l'occasion d'une étroite association avec les élus locaux.

Voilà ce que je peux vous dire à ce stade. Rien n'est encore arrêté, tout est en cours de préparation et d'examen, conjointement avec le conseil général.

Nous sommes sensibles à votre attachement, et à celui des tous les élus de la Moselle, tant à la qualité du service public de l'équipement qu'à la pérennité des liens qui unissent les collectivités territoriales à la DDE.

Nous avons pour objectif commun d'assurer un service public de qualité, certes avec une organisation différente, mais en relation étroite avec le département, en fonction de ses compétences nouvelles.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini.

M. Jean-Marc Todeschini. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d'Etat. Cependant, ce n'est pas du tout ce qu'attendent les élus sur le terrain. Ainsi que je l'ai dit dans mon intervention, la Moselle est en crise, avec l'arrêt de l'exploitation minière et la fermeture des installations. Ce bassin attend de connaître son sort et, en tout cas, essaie de s'en sortir.

On annonce la fermeture de filières dans les lycées professionnels, des fermetures de bureaux de poste, des fermetures de perceptions. Qui plus est, votre projet consacre la disparition d'un service de proximité aux élus.

Vous dites qu'une concertation est menée sous l'égide du préfet de région. Or je peux vous garantir que les élus constatent l'absence de toute concertation. Une information leur sera tout simplement délivrée le moment venu, mais les décisions se prennent ailleurs. J'en veux pour preuve le fait qu'un conseiller général UMP - en l'occurrence, le maire de Saint-Avold - a annoncé aujourd'hui dans la presse quotidienne régionale qu'il démissionnait de sa formation. Il faut dire que l'on ferme certaines sections de son lycée professionnel, que l'on ferme sa subdivision. Bien entendu, il dénonce le manque de concertation. C'est du moins ce que j'ai cru comprendre. Vous comprendrez la colère des élus locaux !

Vous parlez de résultats et de performances. Bien sûr, tout le monde veut des résultats et des performances et, s'agissant de l'argent public, il nous faut tous veiller à sa bonne utilisation. Toutefois, les services de la DDE, dans ces secteurs-là, instruisent surtout les demandes de permis de construire. C'est un gros souci pour les collectivités territoriales. Eloigner ces services et le traitement de ces dossiers compliquera la tâche des élus. Je n'évoquerai pas ici la question des architectes des Bâtiments de France, qui vient se greffer sur ce problème.

Résultats ? Performances ? Les élus, pour leur part, craignent tout simplement que ces services ne disparaissent ou que la charge financière de l'instruction des demandes de permis de construire n'incombe aux intercommunalités ou aux communes, avec, à la clé, une augmentation des impôts locaux. C'est ce que redoutent les élus du secteur.

Vous parlez de concertation : il faudrait effectivement veiller à ne pas mettre les élus devant le fait accompli et à les faire participer en amont.

procédure apllicable en matière de qualification ou requalification des médecins

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, auteur de la question n° 621, adressée à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille.

Mme Catherine Procaccia. Madame la secrétaire d'Etat, ma question porte sur un projet de réforme, actuellement à l'étude, du système de qualification et de requalification des médecins.

Ce projet, préparé par le ministère de l'éducation nationale, viserait à confier à des jurys universitaires interrégionaux le soin de procéder à la qualification ou à la requalification des médecins souhaitant diversifier leurs compétences ou changer de spécialité.

Cette procédure est confiée depuis 1948 à l'ordre national des médecins, qui, du fait de l'obligation d'inscription de tous les médecins, a développé une connaissance précise de la population médicale, de ses attentes, de ses évolutions, mais aussi des exigences de la profession.

Quelles sont les raisons qui présideraient à cette réforme - si elle est bien envisagée -, alors que la solution n'est consacrée, par ailleurs, ni par le droit communautaire ni par la pratique des autres Etats européens ?

N'y a-t-il pas un danger à faire sortir cette procédure d'expertise du champ des compétences de l'ordre national des médecins, alors que celui-ci est le seul comptable de l'activité exacte de la population médicale française ? Qui plus est, cette procédure s'adresse à des médecins expérimentés, en pleine activité professionnelle, soit environ 2 000 dossiers environ, et nullement à des étudiants, qui, eux, pourraient relever du système universitaire.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.

Mme Catherine Vautrin, secrétaire d'Etat aux personnes âgées. Madame le sénateur, comme vous le rappelez, un médecin peut demander à se voir reconnaître une qualification différente de la qualification que lui a donnée sa formation initiale.

Cette procédure de qualification, qui s'adresse, comme vous venez de le dire, à des médecins déjà en exercice, relève, depuis l'origine, de la compétence de l'ordre des médecins. Les décisions sont prises par le conseil départemental de l'ordre, après avis d'une commission nationale de qualification constituée par spécialité. Ces décisions sont susceptibles d'appel devant le Conseil national de l'ordre.

La loi du 17 janvier 2002 a étendu à tous les médecins, notamment aux médecins dits « nouveau régime », c'est-à-dire ceux qui ont été formés après la réforme de l'internat de 1982, la possibilité de bénéficier de cette reconnaissance de qualification.

Le Gouvernement est très attaché à ce que la formation et l'expérience d'un médecin puissent ainsi être reconnues et prises en compte, pour lui permettre d'évoluer dans son parcours professionnel.

Un avant-projet de décret a effectivement été élaboré par les services du ministère de 1'éducation nationale, visant à transférer la compétence dans le domaine des qualifications pour la confier aux commissions interrégionales d'internat.

Je puis vous dire avec force qu'il ne s'agit que d'un avant-projet, qui n'a pas fait l'objet de toutes les concertations auprès des partenaires intéressés et qui ne saurait engager le Gouvernement.

J'ajoute que M. Philippe Douste-Blazy est avant tout soucieux que les commissions de qualification, dont le cadre juridique a été refondu par deux textes réglementaires pris en 2004, se mettent en place rapidement et fonctionnent correctement. Il n'envisagerait pas de modifier une procédure qui a fait ses preuves sans un large consensus sur la réforme à mener. Je constate que ces conditions ne sont pas du tout réunies actuellement.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Madame la secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse, qui est particulièrement claire et de nature à rassurer les médecins.

Après avoir posé cette question, j'ai constaté qu'un grand nombre de députés avaient déposé une quarantaine de questions écrites sur le même sujet, ce qui montre que cette préoccupation a bien une dimension nationale.

Le souci de concertation dont vous me faites part est effectivement essentiel pour les médecins et pour moi-même. Si l'ordre national des médecins était d'accord sur ce sujet, je ne vous aurais pas interpellée sur ce sujet. Je remercie le Gouvernement de veiller à favoriser la concertation dans ce secteur.

situation du service public de santé en haute-saône

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, auteur de la question n° 629, adressée à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille.

M. Jean-Pierre Michel. Madame la secrétaire d'Etat, je souhaite tirer la sonnette d'alarme en ce qui concerne la situation du service public de santé en Haute-Saône.

En effet, à la suite de la création d'un centre hospitalier départemental à Vesoul, les sites hospitaliers de Lure et de Luxeuil sont devenues exsangues, puisqu'ils ont perdu, dans la précipitation et malgré les promesses faites lors de la signature du protocole de fusion - promesses renouvelées par le président du conseil d'administration du centre hospitalier départemental, M. Alain Joyandet, il est vrai, lors d'une campagne électorale - tous leurs services importants : maternité, ORL, cardiologie, chirurgie, soins intensifs, urgences et, dernièrement, un service mobile d'urgence et de réanimation, SMUR.

Les conséquences prévisibles et déjà palpables d'un tel état de fait sont l'augmentation des risques sanitaires, la survenue d'évènements dramatiques, de décès, inévitables lorsque les délais sont trop longs entre l'appel et le transfert dans un centre hospitalier.

La population est largement mobilisée autour des élus, dans le cadre, notamment, d'un comité de vigilance pour le maintien des services publics de proximité, qui s'est rallié à la coordination nationale dont le siège est à Saint-Affrique.

Il faut bien dire que l'absence de réponses concrètes du ministère de la santé est ressentie comme un véritable mépris vis-à-vis de la population locale.

Madame la secrétaire d'Etat, je souhaite donc savoir quelles décisions le Gouvernement compte prendre concernant, d'une part, la réouverture promise du SMUR, qui doit être implanté sur le site de Luxeuil, et, d'autre part, la réouverture de vraies urgences, et non de simples accueils de soins non programmés, vingt-quatre heures sur vingt-quatre à Lure et à Luxeuil, qui a également fait l'objet de promesses explicites.

La gravité de la situation sanitaire et l'impatience légitime de la population exigent des réponses concrètes. Je vous remercie donc de celles que vous pourrez m'apporter ce matin.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.

Mme Catherine Vautrin, secrétaire d'Etat aux personnes âgées. Monsieur le sénateur, vous appelez l'attention de M. Philippe Douste-Blazy sur les conditions de prise en charge des urgences médicales dans le secteur de Lure et de Luxeuil.

Aujourd'hui, les autorisations relatives à l'activité des urgences sur les sites de Lure et de Luxeuil ne sont pas retirées ; elles ont été suspendues au regard d'une démographie médicale dont vous savez qu'elle est particulièrement préoccupante dans ce secteur géographique.

En effet, sur les vingt postes de médecin urgentiste existant au centre hospitalier intercommunal de Vesoul-Lure-Luxeuil, huit sont toujours vacants, malgré les efforts de recrutement qu'a entrepris l'établissement et le fait que ces postes aient été déclarés à recrutement prioritaire.

Notre première priorité doit être d'assurer la continuité du fonctionnement des urgences dans les conditions de qualité et de sécurité requises.

Pour pallier l'absence d'accueil des urgences sur les sites de Lure et de Luxeuil, des consultations médicales non programmées ont été mises en place de 8 heures à minuit.

En ce qui concerne la prise en charge des urgences vitales, l'objectif de l'agence régionale de l'hospitalisation est, comme vous le souhaitez, de renforcer les moyens de cet établissement en rouvrant le SMUR de Luxeuil compte tenu de son isolement.

Nous devons favoriser le maillage des services mobiles d'urgence et de réanimation et des médecins généralistes correspondants pour lutter contre la désertification des zones rurales, en particulier s'agissant des urgences vitales.

La politique régionale de regroupement de l'activité de régulation des Centres 15 sur le centre hospitalier et universitaire de Besançon devrait également permettre de libérer du temps médical qui pourra ainsi être utilisé pour conforter la couverture SMUR.

Ces mesures doivent permettre, monsieur le sénateur, d'améliorer la prise en charge des urgences vitales sur le secteur desservi par cet établissement intercommunal et de garantir ainsi un égal accès aux soins pour la population.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Madame la secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse. Je prends acte qu'il s'agit d'éclaircies dans un ciel un peu sombre. Peut-être ces promesses, si du moins elles sont tenues dans les meilleurs délais, seront-elles de nature à rassurer les populations concernées.

situation de l'usine thomson videoglass de bagneaux-sur-loing

M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin, auteur de la question n° 626, adressée à M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.

M. Yannick Bodin. Je souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur la situation de l'usine Thomson Videoglass de Bagneaux-sur-Loing, dans le sud de la Seine-et-Marne, centre de production de tubes cathodiques qui emploie aujourd'hui - encore, allais-je dire - 450 salariés.

En effet, le marché du tube cathodique est en pleine évolution, pour ne pas dire en voie de disparition, conséquence évidente de l'apparition de nouvelles technologies.

La direction nationale de Thomson a fait connaître sa volonté de se retirer de la production de tubes cathodiques, tout au moins en France, et donc de quitter le site de Bagneaux-sur-Loing dans les années qui viennent.

Or Thomson Videoglass est l'un des principaux acteurs économiques de la commune de Bagneaux-sur-Loing et, plus généralement, de ce bassin d'emploi.

En outre, la spécialisation du site dans la production du verre, liée à l'excellente qualité du sable de la région - je rappelle que nous sommes au sud du massif forestier de Fontainebleau - et à l'expertise cumulée depuis le XVIIIe siècle -on disait déjà à l'époque que c'était l'un des meilleurs sables du monde -, rendent sa reconversion dans un autre domaine extrêmement difficile.

Donc, dès aujourd'hui, la mobilisation de l'ensemble des acteurs capables d'intervenir pour anticiper la disparition de cette usine est nécessaire.

Des contacts bilatéraux ont été pris, me semble-t-il, sur le terrain. Toutefois, je crois souhaitable que des mesures soient adoptées par l'ensemble des acteurs concernés et réunis à un moment donné - représentants de l'Etat, des collectivités territoriales, des missions locales, de l'ANPE, notamment - pour préparer la fermeture de ce site, si tel est son inéluctable destin, et faire face aux conséquences sociales dramatiques pour les employés de l'usine et l'ensemble des habitants du sud de la Seine-et-Marne, qui, depuis de nombreuses années, voient l'industrie progressivement disparaître de la vallée du Loing.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Laurent Hénart, secrétaire d'Etat à l'insertion professionnelle des jeunes. Monsieur le sénateur, l'usine Thomson Videoglass, implantée à Bagneaux-sur-Loing et spécialisée dans la fabrication d'écrans pour les téléviseurs à tubes cathodiques, emploie presque 460 salariés, selon les informations de mon secrétariat d'Etat. Elle fournit actuellement deux sites situés, l'un, en Italie, l'autre, en Pologne.

Nous partageons votre inquiétude au sujet de cette usine. En effet, comme vous l'avez dit, le secteur de la production des écrans pour téléviseurs à tubes cathodiques connaît un net ralentissement, lié au développement des nouvelles technologies, notamment des écrans plats, plasma et LCD. Le tassement des commandes est effectif chez la plupart des fabricants et, ce qui doit être pour nous un véritable signal d'alarme, le groupe Thomson a décidé de céder sa branche italienne au groupe Videocom, société leader en Inde dans le secteur de l'électroménager et de la télévision.

Alerté par les élus locaux du sud de la Seine-et-Marne, par les parlementaires ainsi que par les partenaires sociaux de Thomsom Videoglass, le ministre délégué aux relations du travail, Gérard Larcher, a engagé trois démarches.

Dans une première démarche, il a souhaité interroger directement les responsables du groupe Thomson sur les perspectives de restructuration dans ce secteur économique. Ils ont donné des réponses fermes : aujourd'hui, il n'est pas question pour eux d'arrêter la production du site Thomson Videoglass de Bagneaux-sur-Loing ou de céder l'usine.

Néanmoins, vous avez raison, monsieur le sénateur, l'activité de ce secteur économique faiblit et les perspectives offertes par les carnets de commandes à cinq ans, voire à deux ans, ne sont guère encourageantes, ce qui ne peut manquer d'inquiéter tant les élus locaux que le Gouvernement.

C'est la raison pour laquelle, dans une deuxième démarche, M. Gérard Larcher a demandé au préfet de Seine-et-Marne de mener une étude dans les plus brefs délais, conjointement avec l'unité de Bagneaux-sur-Loing, ainsi que l'ensemble du groupe Thomson, sur les prévisions d'évolution économique de ce secteur à cinq ans, afin de déterminer, en toute lucidité et avec la plus grande transparence, les possibilités de soutien, de diversification de l'activité et, le cas échéant, de maintien de ce site français.

Enfin, dans une troisième démarche, le ministre délégué aux relations du travail a engagé une réflexion avec le service public de l'emploi et l'ensemble des partenaires sociaux - et pas seulement le groupe Thomson - afin d'anticiper et de faciliter les éventuelles mutations technologiques du site, si nécessaire.

Le préfet est chargé, en toute transparence, je le répète, de tenir informés les parlementaires, les élus locaux, ainsi que la direction et les représentants des salariés de Thomson Videoglass, de ces trois actions engagées par le Gouvernement

Je me résume : il s'agit, d'abord, de maintenir la veille auprès du groupe Thomson afin d'éviter qu'une décision ne soit prise, de manière secrète ou discrète, concernant l'avenir de ce site.

Il s'agit, ensuite, de veiller à ce que l'anticipation englobe l'organisation de l'ensemble du groupe Thomson et l'impact des décisions sur le site de Bagneaux-sur-Loing.

Enfin, dans la perspective éventuelle de l'évolution des savoir-faire, des formations et des profils de compétences des habitants de la Seine-et-Marne travaillant chez Thomson Videoglass, il s'agit de fédérer autour de parcours personnalisés, qui restent à imaginer, l'ensemble des compétences du service public de l'emploi.

M. Gérard Larcher s'est engagé de façon très claire sur ce dossier : il se tient à votre disposition, monsieur le sénateur, et souhaite que le préfet de Seine-et-Marne fasse diligence pour informer au plus tôt les différentes parties.

M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin.

M. Yannick Bodin. Je tiens à remercier M. le secrétaire d'Etat des précisions qu'il vient de me donner et, en particulier, d'avoir pris pleinement conscience de la nécessité d'organiser la concertation la plus large possible.

J'ajouterai qu'il nous faut la mener également le plus en amont possible afin d'être en mesure d'effectuer, les uns et les autres, un travail d'anticipation approfondi dans le temps dont nous disposons puisque, comme vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, la catastrophe que nous redoutons, si elle a lieu, n'est pas pour les prochaines semaines.

Je veux également souligner l'inquiétude de la population et des élus - dont vous avez pris la mesure, monsieur le secrétaire d'Etat -, qui est d'autant plus forte que la vallée du Loing se situe dans un bassin d'emploi malheureusement frappé par la désindustrialisation depuis près de trente ans.

A ce propos, j'attire votre attention sur un point particulier : situé au sud de la Seine-et-Marne, ce bassin d'emploi est l'un de ceux qui subissent les conséquences de leur position géographique excentrée, aux « franges » de la région d'Ile-de-France: il ne bénéficie ni des avantages liés à la région d'Ile-de-France, ni de ceux de la province.

Dès lors, on comprend qu'un certain nombre d'entreprises nouvelles préfèrent s'installer à dix kilomètres plus au sud, en province, plutôt que de participer à la réindustrialisation d'un bassin comme celui du Loing.

J'espère que la situation des « franges » d'Ile-de-France, qui doit être prise en compte dans le futur schéma directeur de la région d'Ile-de-France, sera également l'une des préoccupations de l'Etat. Je compte sur vous à cet égard, monsieur le secrétaire d'Etat.

M. le président. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, et je profite de l'occasion pour signaler à nos jeunes invités qui sont dans les tribunes qu'ils ont eu, ce matin, une démonstration citoyenne : on peut être très jeune, avoir du talent, et être ministre avec, devant soi, une carrière ministérielle prometteuse !

4

NOMINATION DE MEMBRES D'UN organisme extraparlementaire

M. le président. Je rappelle que les commissions des finances et des affaires sociales ont proposé deux candidatures pour un organisme extraparlementaire.

La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.

En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame : M. Joël Bourdin, membre titulaire, et M. Claude Domeizel, membre suppléant du Conseil supérieur des prestations sociales agricoles.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est reprise.

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CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS

M. le président. La conférence des présidents a établi comme suit l'ordre du jour des prochaines séances du Sénat :

MERCREDI 2 FÉVRIER 2005

Ordre du jour prioritaire :

A 15  heures et, éventuellement, le soir :

1° Nomination des membres de la mission d'information commune sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante.

Les candidatures à cette mission d'information commune devront être déposées au secrétariat central des commissions au plus tard le mardi 1er février à 17 heures.

2° Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant statut général des militaires (n° 125, 2004-2005).

JEUDI 3 FÉVRIER 2005

Ordre du jour prioritaire :

A 9 heures 30 et, éventuellement, à 15  heures :

1° Eventuellement, suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant statut général des militaires ;

2° Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Estonie relatif au statut et au fonctionnement des centres culturels (n° 226, 2003-2004) ;

3° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l'Inde (ensemble un avenant sous forme d'échange de lettres) (n° 254, 2003-2004) ;

4° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l'Inde en matière d'extradition (n° 255, 2003-2004) ;

(La conférence des présidents a décidé que ces deux projets de loi feraient l'objet d'une discussion générale commune) ;

5° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'adhésion au protocole de 1997 modifiant la convention internationale de 1973 pour la prévention de la pollution par les navires, telle que modifiée par le protocole de 1978 y relatif (ensemble une annexe et cinq appendices) (n° 14, 2004-2005) ;

6° Projet de loi autorisant l'adhésion à la convention relative à la conservation et à la gestion des stocks de poissons grands migrateurs dans le Pacifique occidental et central (ensemble quatre annexes) (n° 45, 2004-2005) ;

7° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'avenant à la convention du 29 janvier 1951 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relative aux gares internationales de Modane et de Vintimille et aux sections de chemins de fer comprises entre ces gares et les frontières d'Italie et de France (n° 257, 2003-2004) ;

8° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de la convention civile sur la corruption (n° 304, 2003-2004) ;

9° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de la convention pénale sur la corruption (n° 305, 2003-2004) ;

(La conférence des présidents a décidé que ces deux projets de loi feraient l'objet d'une discussion générale commune) ;

10° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de la convention sur le transfèrement des personnes condamnées à une peine privative de liberté entre la République française et la Fédération de Russie (n° 13, 2004-2005) ;

11° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Madagascar sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (n° 16, 2004-2005) ;

12° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre les Etats membres de l'Union européenne relatif au statut du personnel militaire et civil détaché auprès des institutions de l'Union européenne, des quartiers généraux et des forces pouvant être mis à la disposition de l'Union européenne dans le cadre de la préparation et de l'exécution des missions visées à l'article 17, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne, y compris lors d'exercices, et du personnel militaire et civil des Etats membres mis à la disposition de l'Union européenne pour agir dans ce cadre (SOFA UE) (n° 81, 2004-2005).

MARDI 8 FÉVRIER 2005

Ordre du jour réservé :

A 16 heures :

1° Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission des finances sur la proposition de loi de MM. Jean Arthuis et Philippe Marini tendant à créer un Conseil des prélèvements obligatoires (n° 143, 2004-2005) ;

(La conférence des présidents a fixé au lundi 7 février 2005, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte) ;

2° Question orale avec débat (n° 11) de M. Ladislas Poniatowski à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur l'indépendance énergétique de la France ;

(En application des premier et deuxième alinéas de l'article 82 du règlement, la conférence des présidents a fixé à trois heures la durée globale du temps dont disposeront dans le débat les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 7 février 2005).

MERCREDI 9 FÉVRIER 2005

Ordre du jour prioritaire :

A 15 heures et le soir :

- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au traitement de la récidive des infractions pénales (n° 127, 2004-2005) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- au mardi 8 février 2005, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mardi 8 février 2005).

JEUDI 10 FÉVRIER 2005

Ordre du jour prioritaire :

A 9 heures 30 :

1° Suite de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au traitement de la récidive des infractions pénales ;

A 15 heures :

2° Questions d'actualité au Gouvernement ;

(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures) ;

Ordre du jour prioritaire :

3° Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux ;

4° Eventuellement, suite de l'ordre du jour du matin.

MARDI 15 FÉVRIER 2005

A 10  heures :

1° Dix-huit questions orales :

L'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement.

- n° 577 de M. Claude Biwer à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales (Réforme de la taxe foncière non bâtie et ressources des communes) ;

- n° 630 de M. Thierry Foucaud à M. le ministre de l'écologie et du développement durable (Répartition des coûts de traitement des déchets) ;

- n° 632 de M. Claude Bertaud à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (Calcul des impôts locaux versés par des personnes handicapées) ;

- n° 636 de Mme Catherine Morin-Desailly à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche (Pérennité de la filière économique et sociale de l'enseignement scolaire) ;

- n° 637 de M. Roland Muzeau à M. le ministre délégué aux relations du travail (Interdiction en milieu professionnel des éthers de glycol reprotoxiques) ;

- n° 638 de M. Bernard Piras à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales (Nouvelles conditions de délivrance des certificats d'hébergement) ;

- n° 640 de M. René-Pierre Signé à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité (Réforme de la politique agricole commune) ;

- n° 641 de M. Jean-Pierre Godefroy à M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer (Financement du code ISPS) ;

- n° 642 de M. Jacques Gillot à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales (Recrudescence de l'immigration clandestine en Guadeloupe) ;

- n° 643 de M. Christian Gaudin à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales (Participation des agents territoriaux aux commissions compétentes pour les délégations de services publics) ;

- n° 644 de M. Michel Billout à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (Production et distribution d'énergie en Ile-de-France) ;

- n° 645 de M. Philippe Leroy à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer (Réforme des aides à finalité régionale proposée par la commission européenne) ;

- n° 646 de M. Gérard Delfau à Mme la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle (Situation des centres d'information sur les droits des femmes et des familles) ;

- n° 647 de M. Henri de Richemont à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité (Avenir de la filière de production de cognac) ;

- n° 648 de Mme Marie-Thérèse Hermange à M. le ministre des affaires étrangères (Traçabilité des aides apportées aux pays victimes de graves catastrophes naturelles et aux pays en voie de développement) ;

- n° 650 de M. Paul Blanc à M. le ministre délégué à l'industrie (Statut des personnels des agences postales communales) ;

- n° 651 de M. Jean Boyer à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (Finances locales et taxe professionnelle) ;

- n° 653 de M. Daniel Goulet à M. le ministre des affaires étrangères (Création d'un centre de la mémoire) ;

Ordre du jour prioritaire :

A 16 heures et le soir :

2° Projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution (n° 167, 2004-2005) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- au lundi 14 février 2005, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- a attribué un temps de parole spécifique de quinze minutes au président de la délégation pour l'Union européenne ;

- a fixé à quatre heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 14 février 2005).

MERCREDI 16 FÉVRIER 2005

Ordre du jour prioritaire :

A 15  heures et le soir :

- Suite du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution.

JEUDI 17 FÉVRIER 2005

Ordre du jour prioritaire :

A 9  heures 30 :

1° Suite du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution ;

(Lors du vote sur l'ensemble du projet de loi constitutionnelle, il sera procédé à un scrutin public à la tribune) ;

A 15 heures :

2° Questions d'actualité au Gouvernement ;

(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures) ;

Ordre du jour prioritaire :

3° Eventuellement, suite de l'ordre du jour du matin.

En application de l'article 28 de la Constitution et de l'article 32 bis, alinéa 1, du règlement, le Sénat a décidé de suspendre ses travaux en séance plénière du dimanche 20 février 2005 au dimanche 27 février 2005.

MARDI 1er MARS 2005

Ordre du jour prioritaire :

A 16  heures et le soir :

- Sous réserve de sa transmission, proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise (AN, n° 2030) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- au lundi 28 février 2005, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à trois heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 28 février 2005).

A 17 heures 30, dépôt par M. Philippe Séguin, Premier Président de la Cour des comptes, du rapport annuel de la Cour des comptes.

MERCREDI 2 MARS 2005

Ordre du jour prioritaire :

A 15  heures et le soir :

- Suite de la proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise.

JEUDI 3 MARS 2005

A 9 heures 30 :

Ordre du jour prioritaire :

1° Suite de la proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise ;

2° Sous réserve de sa transmission, deuxième lecture du projet de loi relatif aux assistants maternels et aux assistants familiaux (AN, n° 1623) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- au mercredi 2 mars 2005, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mercredi 2 mars 2005) ;

A 15 heures et le soir :

3° Questions d'actualité au Gouvernement ;

(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures) ;

Ordre du jour prioritaire :

4° Suite de l'ordre du jour du matin.

MARDI 8 MARS 2005

A 10 heures :

1° Questions orales ;

Ordre du jour prioritaire :

A 16 heures et le soir :

2° Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à la régulation des activités postales (n° 149, 2004-2005) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- au lundi 7 mars 2005, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à quatre heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 7 mars 2005).

MERCREDI 9 MARS 2005

à 15 heures et le soir

ET JEUDI 10 MARS 2005 :

à 9 heures 30, à 15 heures et, éventuellement, le soir :

Ordre du jour prioritaire :

- Suite de la deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à la régulation des activités postales.

MARDI 15 MARS 2005

Ordre du jour réservé :

A 16 heures et, éventuellement, le soir :

1° Question orale européenne avec débat (n° QE-1) de M. Hubert Haenel à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales sur les mesures européennes de lutte contre le terrorisme ;

(La discussion de cette question orale européenne s'effectuera selon les modalités prévues à l'article 83 ter du règlement) ;

2° Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission des lois sur :

- la proposition de loi tendant à lutter contre les violences à l'égard des femmes et notamment au sein des couples par un dispositif global de prévention, d'aide aux victimes et de répression, présentée par M. Roland Courteau et plusieurs de ses collègues (n° 62, 2004-2005) ;

- et la proposition de loi relative à la lutte contre les violences au sein des couples, présentée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et plusieurs de ses collègues (n° 95, 2004 2005) ;

(La conférence des présidents :

- a fixé au lundi 14 mars 2005, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- a attribué un temps de parole spécifique de quinze minutes au représentant de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes ;

- a fixé à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 14 mars 2005).

Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...

Ces propositions sont adoptées.

6

spectacle vivant

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur le spectacle vivant.

La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai ardemment souhaité le débat qui va se dérouler maintenant devant la Haute Assemblée. C'est le symbole du fait que la culture a droit de cité, qu'elle n'est pas cantonnée, qu'elle est le coeur même de notre rayonnement, de notre activité, de notre développement, de notre avenir.

Il ne s'agit pas seulement pour moi de prolonger ici la déclaration que j'ai faite, au nom du Gouvernement, devant l'Assemblée nationale, le 9 décembre dernier.

Je n'oublie pas que ma première intervention au Parlement sur la politique culturelle du Gouvernement eut lieu le 23 juin dernier, à l'invitation de votre commission des affaires culturelles. Je tiens d'ailleurs à rendre hommage au président Jacques Valade et aux sénateurs qui ont eu à coeur de rédiger une Contribution au débat sur la création culturelle en France, rapport paru alors que le succès des quelque mille festivals de l'été dernier illustrait non seulement la force des liens entre les artistes et leurs publics sur l'ensemble de notre territoire, mais aussi l'immense soutien de nos concitoyens à ces aventures collectives, faites avant tout de partage, que Louis Jouvet décrivait en ces termes : « tumulte ordonné » ou encore « communion ».

Dans chacun de ces lieux, l'utopie est sortie de terre, le rêve s'est construit, les artistes et le public ont, au fil du temps et de leurs rencontres, transformé leurs songes et leurs désirs en succès.

Je me souviens encore de ce matin si clair de juillet où, sous les platanes du cloître Saint-Louis inondé de lumière, dans cette atmosphère de fête, d'air vif, de pierre et d'eau, les artistes et les techniciens d'Avignon, avant de rejoindre les plateaux du in et les scènes et les rues du off, étaient réunis pour débattre, en toute liberté, avec le public et avec tous ceux, entrepreneurs de spectacles, représentants des partenaires sociaux, élus locaux, responsables politiques, militants associatifs, journalistes, qui, au fond, partagent un même goût, une même passion pour la création, le patrimoine, le rayonnement et la diversité de l'art dans notre société.

Ce matin-là, en Avignon, le président Valade et plusieurs d'entre vous - notamment Jack Ralite -, ainsi que plusieurs députés, participaient à nos échanges. Je tiens à les en remercier et à leur dire combien les artistes et les techniciens ont apprécié leur présence à leurs côtés.

La nécessité de voir cette discussion en plein air se prolonger dans les enceintes du Parlement est apparue comme une évidence, une évidence que chacun de mes nombreux déplacements à travers la France n'a fait que rendre encore plus claire à mes yeux.

Je pense, par exemple, à ce jour de la fin de l'été où je me trouvais, en compagnie du président Poncelet, au festival de Bussang : les meilleurs amateurs exprimaient, de concert avec des artistes et des techniciens professionnels, la force de leur passion du théâtre, avec la forêt vosgienne pour seul fond de scène.

Je pense aussi à ce moment où, au cours de l'automne, à Grenoble, renaissait, entièrement rénovée, la promesse de Malraux, dans cette maison de la culture de la deuxième génération ; y résonnait encore la voix de mon illustre prédécesseur évoquant la petite princesse thébaine aux pieds de l'Acropole : « Je ne suis pas venue sur terre pour partager la haine, mais pour partager l'amour ».

A l'époque où naissaient les maisons de la culture, il y avait Paris d'un côté et le « désert culturel » français de l'autre. Le temps n'est plus où il fallait que « ce qui se passe d'essentiel à Paris » se passe « en même temps » en province, ce « mot hideux », selon Malraux.

II s'agit bien, aujourd'hui, de faire en sorte que ce qui se passe d'abord dans une ville, un département, une région de France, en termes de création et de diffusion culturelles, puisse ensuite, et au plus vite, se passer également dans une autre ville, un autre département, une autre région, voire aussi en Europe et dans le monde.

C'est bien pourquoi j'attache tant d'importance à ce débat devant la Haute Assemblée, qui est une « première ». La culture doit avoir droit de cité au sein de l'hémicycle - lieu commun, depuis l'Antiquité, à la représentation théâtrale et à la représentation politique -, et pas seulement lorsqu'il est question du budget de la culture. Un budget est l'expression d'une politique, et les crédits que vous avez votés pour 2005 expriment clairement une priorité pour le spectacle vivant.

Mais un budget ne fait pas une politique à lui seul. Je suis donc venu vous parler d'autre chose.

Je suis venu vous parler des fins autant que des moyens. Dans ce monde de violence, de rupture et, parfois, de négation de l'identité, du patrimoine culturel et spirituel, la culture est le coeur de notre rayonnement, de notre fierté, de notre influence, de notre attractivité. Elle est aussi à la source de nombre de nos emplois. Elle ne se réduit pas au loisir intelligent, au supplément d'âme. Elle est l'essence même de l'avenir et de la force de notre parole, de nos convictions, de notre message humaniste.

Je suis venu vous parler de la place de l'artiste dans notre société et de celle de la culture dans la cité aujourd'hui. Je suis venu vous parler du spectacle vivant, de l'emploi culturel et du rôle des collectivités territoriales, que la Constitution de la République, mesdames, messieurs les sénateurs, vous donne mandat de représenter.

Je me garderai de pousser trop loin les analogies entre le spectacle vivant et la politique. Il reste que, à Athènes même, les magistrats chargés de veiller à l'application des lois votées par la boulê, après leur discussion par l'assemblée des citoyens, pouvaient être chorèges, c'est-à-dire, en quelque sorte, producteurs de spectacles.

C'est quand le verbe se transforme en action, dans le temps et dans l'espace, qu'il prend sa charge humaine et manifeste toute son énergie. Les artistes sont avant tout créateurs de liens entre les hommes, de liens de proximité, et les élus que vous êtes le savent sans doute mieux que quiconque. Il ne se passe pas un jour sans que des maires, des conseillers généraux, des conseillers régionaux, des présidents de communauté urbaine ou d'agglomération, prennent l'initiative de créer ou de rénover une salle de spectacle, des studios de danse, des locaux de répétition et demandent au ministère de la culture et de la communication de soutenir leurs initiatives.

Les élus sont sans cesse en mouvement, au service de leurs concitoyens. Les artistes aussi. Etre artiste, c'est d'abord croire, vivre, et faire partager cette conviction que le monde en dehors de nous, comme celui que nous contenons, est loin d'avoir épuisé toute possibilité de surprise. Oui, être artiste, c'est toujours provoquer, provoquer une rencontre, un échange, une discussion, une découverte.

L'art, et singulièrement l'art vivant, est ce qui relie, au coeur de la culture. C'est pourquoi les artistes et techniciens du spectacle vivant, du cinéma et de l'audiovisuel représentent un atout fondamental et un enjeu considérable pour notre société. Le spectacle, sous toutes ses formes, est aujourd'hui le moteur de la vitalité, du rayonnement et de l'attractivité de notre pays et de ses territoires.

C'est pourquoi je souhaite que notre société, où les risques de fractures, la perte des repères, le sentiment d'un effritement de l'identité affectent nos concitoyens, fasse résolument le pari de la culture : pour replacer l'artiste au coeur de la cité, abolir la distance entre l'oeuvre d'art et son public, pour que l'art investisse de nouveaux territoires, institue un rapport au temps différent et touche le plus grand nombre de nos concitoyens. J'ai l'ambition de convaincre les Français qui n'ont jamais franchi le seuil d'un théâtre, d'un musée, d'un chapiteau, d'une salle de cinéma. A cet égard, je tiens à ce que, dans mes attributions, le lien entre la culture et la communication soit un lien fécond.

Tel est le projet que je vous propose et qui est au coeur de la politique culturelle du Gouvernement, laquelle se décline dans chaque région. Telle est la feuille de route que j'ai donnée cette année à chaque directeur régional des affaires culturelles, autour de quelques axes forts pour le spectacle vivant. Quels sont ces axes ?

Premièrement, priorité doit être donnée à la diffusion, avec l'aide à la constitution, dans les théâtres, de « pôles de diffusion », composés d'un personnel formé, doté d'outils techniques de recensement et de connaissance des réseaux. Expérimentale en 2005, cette aide sera progressivement étendue à partir de 2006 et devra prendre en considération la création d'un fonds spécifique d'aide à la diffusion en milieu rural.

Deuxièmement, les compagnies et les ensembles indépendants doivent bénéficier d'aides à la reprise des spectacles, pour toucher un plus large public et inscrire la création dans une économie plus stable.

Troisièmement, il convient de rendre aux auteurs et aux compositeurs, qui sont les forces vives de la création, la place éminente qui leur revient, en améliorant leur rémunération et en renforçant leur présence dans les établissements subventionnés.

Quatrièmement, il faut redéfinir et relégitimer une politique de développement de la pratique amateur, qui n'est ni une étape vers la professionnalisation ni un substitut à la pratique professionnelle. Ciment du lien social, remarquable outil d'intégration et de dialogue entre les cultures et les générations, elle doit être encouragée par la formation, le rapport direct à la création, les rencontres entre artistes amateurs et professionnels.

Cinquièmement, enfin, la circulation de l'art vivant en Europe et dans le monde doit être encouragée. C'est ainsi que nous construirons concrètement, dans chaque région, l'Europe de la culture.

Je convierai à Paris, les 2 et 3 mai prochain - vous serez tous, bien sûr, les bienvenus -, des intellectuels et des artistes de l'Union européenne pour donner forme et substance à cette « idée neuve », au moment où les citoyens de cet ensemble sont appelés à sceller un nouveau pacte constitutionnel.

Je ne doute pas que le Sénat, où sont représentés les Français établis hors de France, sera particulièrement sensible à la contribution du spectacle vivant au rayonnement international de notre pays.

Comme beaucoup d'entre vous le savent, à commencer par le président de votre commission des affaires culturelles, qui revient de Chine, le lancement de l'année de la France dans ce pays en a fourni une illustration particulièrement brillante : du concert de Jean-Michel Jarre sur la place de la Paix céleste, suivi en direct par près d'un milliard de téléspectateurs dans le monde entier, à la démonstration éblouissante de la maîtrise de l'art pyrotechnique par le groupe F, originaire de la cité phocéenne, qui a marqué les mémoires de 350 millions de téléspectateurs chinois. Le très grand dignitaire chinois à côté de qui j'ai assisté à ce magnifique spectacle m'a confié : « Il n'y a que les Français pour inventer cela ! ».

Je n'ai pas besoin de vous dire combien m'a réjoui ce commentaire, cette maxime que je vous dédie, particulièrement dans cette période où nos concitoyens doutent de leur capacité à imaginer et à façonner l'avenir, à utiliser le capital qu'ils ont entre les mains, qu'il s'agisse du patrimoine, de l'intelligence ou de la puissance créatrice. Mais n'est-ce pas là qu'intervient le rôle de la politique culturelle ? Celle-ci, qui n'est pas la gestion intelligente de la marginalité, doit être audacieuse, car c'est la clef même de notre avenir, de manière à faire pleinement s'épanouir les possibilités de rayonnement international de notre pays.

J'ai à la fois le souci et la responsabilité de faire en sorte que cette politique ambitieuse pour le spectacle vivant s'accompagne d'une politique de l'emploi.

Je mesure, depuis ma prise de fonctions, à quel point le rôle du ministère de la culture et de la communication est essentiel pour impulser et porter une politique de l'emploi culturel.

Et peu m'importe que certains responsables de musée ou de lieu public patrimonial s'énervent quand je leur donne un coup de téléphone très directif pour qu'un tournage puisse se dérouler sur place ! Peu m'importe qu'ils disent : « Le ministre se prend pour un ponte d'Hollywood » ! Ma préoccupation est simplement de donner à nos artistes et techniciens matière à exercer leurs talents, de voir notre capital mis à la disposition des créateurs, qu'il s'agisse d'ailleurs de metteurs en scène français ou de metteurs en scène étrangers.

Nous devons ouvrir nos portes parce que c'est important pour l'emploi culturel dans notre pays. Je m'efforcerai, en tout cas, de ne jamais me laisser enfermer dans une contradiction entre cet objectif d'emploi et un certain nombre de règles, qu'il faudra d'ailleurs peut-être savoir faire évoluer.

Le rapport de Jean-Paul Guillot sur l'emploi dans le spectacle vivant, le cinéma et l'audiovisuel montre le dynamisme de ce secteur et son importance pour notre économie. II souligne la nécessité d'une politique de l'emploi adaptée à ses caractéristiques, qui permette d'enrayer la précarité qui s'est développée ces quinze dernières années pour les artistes et les techniciens.

Les chiffres que contient ce rapport ont eu le mérite de remettre les choses à leur juste place et de chasser de nos débats certains fantasmes ou certaines illusions. Ainsi, 80 % des intermittents ont un revenu annuel de leur travail inférieur à 1,1 SMIC et 54 % d'entre eux déclarent moins de 600 heures travaillées par an. Dans un secteur en croissance annuelle de 5 % en moyenne, leur salaire annuel a baissé de 12 %entre 1989 et 2002, tandis qu'il augmentait de 5 % pour l'ensemble des salariés au cours de la même période, et leur revenu annuel n'a pu se maintenir que grâce aux indemnités de chômage.

Nous ne pouvons pas nous satisfaire d'une telle situation, qui développe la précarité et qui, manifestement, fait jouer à l'assurance chômage un rôle de compensation des baisses de la rémunération du travail, rôle qui n'est évidemment pas le sien et qui est d'autant moins justifié qu'il s'agit d'une activité en croissance nettement plus forte que le reste de l'économie.

La politique de l'emploi que je veux mettre en place a précisément pour objectifs de relever la part des emplois permanents et des structures pérennes ainsi que d'accroître la durée moyenne de travail annuel rémunéré et des contrats des artistes et techniciens.

Mais, à cet égard, qu'on ne tombe pas dans la caricature ! Mon objectif n'est pas de supprimer le système de l'intermittence en France parce que je sais qu'il est consubstantiel à la diversité des créations culturelles et artistiques. Cela dit, chacun a droit à des conditions de vie décentes et à un système d'emploi ou d'activité qui soit en cohérence avec le métier qu'il exerce.

Je suis déterminé à conduire, dans ce domaine, avec le concours de mes collègues Jean-Louis Borloo, Gérard Larcher et Laurent Hénart, toutes les actions qui relèvent de l'Etat et, plus particulièrement, de la responsabilité du ministère de la culture et de la communication. J'en ai présenté le détail devant le Conseil national des professions du spectacle, le CNPS, du 17 décembre dernier, pour tout ce qui relève du niveau national, et ce programme de travail exigeant a commencé d'être mis en oeuvre depuis le début du mois de janvier.

Je voudrais vous en rappeler les grands axes.

Premier axe : accélérer et systématiser la conclusion de conventions collectives. D'ici à la fin du mois de mars, les partenaires sociaux du secteur nous proposeront une couverture exhaustive, sans empiètements ni incohérences entre les différentes conventions collectives. Avec les services de Jean-Louis Borloo et de Gérard Larcher, nous leur apporterons tout le soutien qu'ils peuvent souhaiter pour les accompagner dans cette démarche, en vue de parvenir à la conclusion des conventions collectives nécessaires avant la fin de l'année 2005.

Ces conventions collectives devront également délimiter le périmètre des entreprises qui peuvent recourir légitimement à l'intermittence. Sur cette question, les conclusions du rapport de Jacques Charpillon, chef du service de l'inspection générale de l'administration des affaires culturelles, apportent, en tout ou partie, de précieux éclairages aux partenaires sociaux. Ne pas traiter cette question serait tout simplement, vis-à-vis de l'ensemble de nos concitoyens, rendre vulnérable la spécificité du système que nous devons protéger. En outre, si nous voulons avoir les armes pour le défendre, il ne faut pas que l'on puisse nous objecter qu'existe telle ou telle situation aberrante ou non justifiée. C'est la raison pour laquelle j'en appelle, sur ce sujet, non seulement à l'équilibre et à la mesure, mais également à la volonté.

Deuxième axe : orienter les financements publics vers l'emploi. Il s'agit de s'assurer que les subventions publiques dans le domaine culturel prennent bien en compte les conditions d'emploi dans les différentes structures, notamment en termes de permanence de l'emploi ou d'allongement de la durée des contrats. D'ici à la fin du mois de mars prochain, Alain Auclaire, chargé d'une mission d'inspection générale de l'administration des affaires culturelles, proposera les outils, les indicateurs et les démarches qui permettront d'atteindre cet objectif et d'en mesurer les progrès. Il faudra, je le sais, procéder par étapes dans cette direction. 

Ce week-end s'est ouverte la 27e édition du festival du court-métrage de Clermont-Ferrand. Là encore, ne sombrons pas dans la caricature : mon objectif n'est pas de nier la complexité de la production, notamment dans le domaine du court-métrage ; il n'est pas plus de diligenter l'inspection du travail sur les entreprises les plus faibles de notre pays, lesquelles ne sont pas la cible prioritaire des contrôles. Chaque structure ou chaque forme d'expression doit trouver ses capacités de rayonnement, je l'ai indiqué publiquement au cours de ce week-end.

Troisième axe : améliorer notre connaissance collective de l'emploi dans le secteur et renforcer l'efficacité des contrôles. Les deux décrets permettant le croisement des fichiers entre les différents organismes sociaux - véritables serpents de mer qui n'arrivaient jamais -, qui étaient attendus depuis 1992, sont enfin parus, respectivement en juillet et en décembre dernier ! Ils permettront à la commission « emploi » du CNPS de publier, chaque année, un rapport sur la situation de l'emploi dans le secteur du spectacle vivant, du cinéma et de l'audiovisuel, à l'échelon tant national que régional. Ce rapport devra être débattu, non seulement au sein du Conseil national des professions du spectacle, mais également dans chacune des commissions régionales de l'emploi et des professions du spectacle, les COREPS, dont j'ai accéléré la mise en place, et qui réunissent, dans chaque région, sous la présidence du préfet ou du directeur régional des affaires culturelles, les représentants des artistes et des techniciens, mais aussi, et c'est essentiel, les élus des collectivités territoriales.

Le croisement des fichiers permettra de renforcer les contrôles en donnant de nouveaux outils aux inspecteurs du travail comme aux services de la délégation interministérielle de lutte contre le travail illégal. Les textes législatifs et réglementaires sont en cours de révision, afin que des sanctions administratives immédiates, notamment en matière de financements publics, puissent être prononcées à la suite des irrégularités qui auront été constatées par procès-verbal.

Quatrième axe : accompagner les efforts de mutualisation et de structuration des employeurs, particulièrement nécessaires dans un secteur où les structures sont petites, fragiles et très dispersées. Il faut par exemple favoriser les initiatives de regroupement des métiers de l'administration du spectacle au service de plusieurs compagnies indépendantes. Ainsi, un certain nombre de tracasseries administratives, nécessaires s'agissant de gestion, seront-elles évitées à celles et ceux dont la vocation prioritaire est la création.

Dernier axe, enfin : mieux maîtriser l'offre de formation professionnelle initiale et continue dans le secteur. Cette offre s'inscrit dans les plans régionaux pour l'emploi dans le spectacle vivant, que j'ai demandé à chaque directeur régional des affaires culturelles d'élaborer et qui porteront leurs effets sur plusieurs années. C'est en effet à l'échelon de chaque région, en concertation étroite avec les collectivités territoriales, que la mise en oeuvre d'une politique de l'emploi et de la formation peut être effective. Elle ne peut d'ailleurs s'inscrire que dans la durée.

D'importantes mesures nouvelles, sur les 753 millions d'euros consacrés au spectacle vivant, ont été déléguées aux directions régionales des affaires culturelles, pour ces plans. Elles visent à accroître le nombre d'emplois artistiques permanents dans les structures les plus importantes, à mieux rémunérer et à déclarer la totalité du travail effectué, notamment les répétitions ou les temps de préparation, à créer des emplois administratifs mutualisés, à relancer, comme nous nous y sommes engagés, François Fillon et moi-même, l'éducation artistique et culturelle, qui passe notamment par l'intervention des artistes dans les écoles, collèges et lycées ou dans les universités.

J'ai bien entendu, cela m'a été dit à plusieurs reprises et sous diverses formes, que les collectivités territoriales ne souhaitaient pas s'impliquer dans le financement de l'indemnisation du chômage des artistes et des techniciens. Elles considèrent, et je peux les comprendre, que ce n'est pas leur rôle. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé aux directeurs régionaux des affaires culturelles de concevoir leurs plans régionaux pour l'emploi en étroite coopération avec les collectivités territoriales et les représentants des professionnels de leur région, et ce dans le respect des compétences de chacun.

En matière d'emploi dans le spectacle vivant, le cinéma et l'audiovisuel, comme le rapport de Jean-Paul Guillot l'a souligné, en effet seuls les efforts conjugués et coordonnés de l'Etat, des partenaires sociaux du secteur et des collectivités territoriales permettront aux artistes et aux techniciens de trouver des conditions d'expression de leurs talents et d'exercice de leurs métiers qui reconnaissent pleinement leurs spécificités, sans avoir à se défausser sur l'assurance chômage, dont ce n'est pas la vocation, pour que leur soit assurée une juste rémunération de leur travail.

Il ne s'agit évidemment pas de se renvoyer les uns aux autres les responsabilités de financement ; il s'agit encore moins pour l'Etat de se désengager, alors que les mesures nouvelles inscrites au budget de mon ministère pour 2005 -grâce à vous, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité présidentielle qui votez les budgets -,...

M. Charles Revet. Merci de le souligner !

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. ...atteignent, en faveur de l'emploi dans le spectacle vivant, un niveau que l'on peut qualifier, sans excès, d'historique, même si tout est toujours perfectible.

Pour autant, que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ou le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, s'ils écoutent depuis leur bureau notre débat, n'en concluent pas qu'ils peuvent dormir sur leurs deux oreilles pour la préparation du budget 2006 : je serai aussi offensif que pour celui de 2005 !

M. Charles Revet. A bon entendeur, salut !

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Par un mouvement irréversible et continu, depuis la création du ministère des affaires culturelles en 1959, le paysage culturel de notre pays s'est profondément transformé. Les temps de la méfiance mutuelle, en matière culturelle, entre l'Etat et les collectivités territoriales sont révolus. La condescendance d'un Etat parisien arrogant, porteur d'une vision élitiste de la « vraie culture » et de la création, à l'égard d'élus locaux assimilés à des organisateurs de manifestations folkloriques ou, au mieux, à des représentants d'un « amateurisme » culturel, a définitivement disparu devant l'extraordinaire vitalité de la création et des activités culturelles dans les régions.

Les formidables outils de diffusion, portés par l'explosion des industries culturelles et l'omniprésence de la télévision sur l'ensemble du territoire ont très largement homogénéisé les pratiques culturelles de nos concitoyens. Le maillage serré de tout le territoire national en équipements culturels structurants et en équipements de proximité - même s'il reste évidemment encore d'importantes lacunes, qu'il faudra progressivement combler avec les rectifications et les rééquilibrages nécessaires -, la multiplication des festivals, le développement de compagnies de théâtre, de cirque, de spectacle de rue, de danse, de musiques actuelles, de musique classique témoignent que, au-delà des engouements et des effets de mode, la culture est devenue notre passion nationale, unanimement partagée, le ciment d'une unité populaire et politique.

Cela explique sans doute que notre pays se soit retrouvé, derrière le Président de la République, sans aucune dissonance, pour défendre l'exception et la diversité culturelles, en France, en Europe et dans le monde. De tels moments d'unanimité sont rares. J'ai à coeur de protéger ce climat consensuel dans les relations entre l'Etat et les collectivités territoriales. Dès que je constate un climat d'affrontement inutile, j'essaie de faire prévaloir la négociation, en organisant une table ronde.

C'est la raison pour laquelle je me suis rendu, voilà quelques jours, à Nîmes, pour demander un « cessez-le-feu culturel » ; et je me rendrai partout où la culture, notre passion commune, est menacée de devenir l'otage de nos divisions politiques. Parce qu'elle est essentielle au rayonnement de notre pays, dans la diversité de ses territoires, je crois en une exception culturelle dans notre débat démocratique et républicain : l'exception culturelle ne vaut pas que pour l'Organisation mondiale du commerce ou à l'extérieur de nos frontières. C'est cette exception qui explique le choix de Lens pour une nouvelle antenne du Louvre ; c'est un choix dont je suis fier et qui honore le gouvernement auquel j'appartiens.

Aujourd'hui, j'ai la conviction que, sur les enjeux de l'emploi culturel, chacun prenant les responsabilités qui lui incombent, nous sommes capables de nous rassembler.

Aux partenaires sociaux du secteur, la charge de conclure des conventions collectives qui reconnaissent durablement les spécificités des métiers des artistes et des techniciens et leur assurent la juste rémunération de leur travail !

A l'Etat et aux collectivités territoriales, ensemble et chacun pour ce qui relève de sa responsabilité propre, la charge d'exercer les fonctions de régulation et de contrôle que l'on attend des pouvoirs publics, d'assurer leurs missions d'employeur, de donneur d'ordre et de financeur des activités culturelles, qui concourent à la fois à l'attractivité des territoires et au renforcement des liens sociaux, tout en ayant comme premier souci le respect de l'indépendance artistique !

Aux confédérations interprofessionnelles, enfin, la charge d'assurer, dans les négociations qui auront lieu cette année, par des dispositions adaptées, un régime d'assurance chômage qui corresponde à son rôle légitime, au sein de la solidarité interprofessionnelle, tout en prenant en compte les spécificités des métiers des artistes et des techniciens !

J'ai la volonté, je l'ai dit, de maintenir, et non de supprimer, le régime de l'intermittence, qui est indispensable à l'activité de création et de diffusion artistiques et culturelles, à la condition de ne pas faire porter sur la solidarité interprofessionnelle des charges qui relèvent d'une politique salariale normale ou d'un financement public de la politique culturelle. (M. Gérard Longuet approuve.)

Pour ce qui concerne le spectacle vivant, on ne sait pas assez que les financements publics, alors même qu'ils se sont continûment accrus, sont assurés aux deux tiers par les collectivités territoriales, le dernier tiers étant à la charge de l'Etat. Cette équation financière donne la mesure du poids qu'a désormais pris, en matière culturelle, l'intervention des collectivités territoriales.

Ce nouvel équilibre a été atteint de manière progressive, presque subrepticement, sur une longue période. Il ne résulte pas d'un choix délibéré ou d'une répartition claire des compétences et des financements qui aurait été décidé à un moment donné. Il traduit tout simplement, et nous devons nous en féliciter, la place que la culture a prise dans notre vie collective, locale et nationale, et la conscience aiguë qu'en ont les pouvoirs publics. Il nous donne aussi la mesure de la transformation des modes d'intervention et d'organisation qu'il me faut conduire et qui doivent être désormais ceux du ministère de la culture et de la communication, dans un contexte à la fois de décentralisation et de très forte déconcentration.

Sans nous payer de mots, je crois qu'il s'agit, pour paraphraser le titre du livre que Philippe Urfalino a consacré à la création du ministère des affaires culturelles, d'une nécessaire « ré-invention de la politique culturelle ». Je ne la réinventerai pas seul. Il s'agit d'une mission exaltante.

Mesdames, messieurs les sénateurs, parlementaires et représentants des collectivités territoriales, j'ai besoin de vous entendre me confirmer ce que je sais déjà par votre action et par votre présence depuis que j'ai pris mes fonctions, que vous aussi, vous souhaitez que cette réinvention de la politique culturelle soit une oeuvre et une aventure communes et que vous êtes prêts à y apporter votre concours. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur le spectacle vivant s'inscrit dans la démarche d'analyse et de dialogue que nous avons menée au Sénat, au sein de la commission des affaires culturelles, depuis deux ans. Je tiens à remercier le Gouvernement et tout particulièrement vous, monsieur le ministre, d'avoir pris l'initiative de l'organiser.

L'expression même de « spectacle vivant » est peu explicite : les interprétations en sont diverses et les limites mal définies et mal comprises. Le grand public n'est mobilisé ou choqué que par les événements sortant de l'ordinaire ; ce sont les seuls qu'il retient. Il est évident que la crise déclenchée par le problème de la couverture sociale du chômage des professionnels du spectacle, dite « crise des intermittents du spectacle », par son importance et sa gravité, et par les actions que les professionnels de ce secteur ont menées, a attiré l'attention des publics et des pouvoirs publics.

Nous pouvons mesurer le chemin parcouru depuis le 26 juin 2003, date à laquelle un accord non unanime, portant sur la révision des modalités d'indemnisation du chômage des professionnels du secteur, a déclenché un conflit qui s'est généralisé et s'est manifesté de façon toute particulière durant l'été 2003.

Au-delà du constat désormais partagé, au-delà du règlement des situations les plus difficiles et de la tentative de réduction des abus constatés, le temps est venu de définir de nouvelles bases et de proposer un système plus équitable et socialement acceptable. Nous nous sommes efforcés, tous ensemble, notamment sur votre initiative, monsieur le ministre, de remplacer la gestion des conflits par une culture de la concertation permanente, organisée et loyale.

Aujourd'hui, nous pouvons tous considérer que le monde de la culture sort d'une crise et nous accorder à reconnaître l'importance des questions qu'elle a soulevées, mais cette crise doit être aussi créatrice, nul ne peut le nier.

Sera-t-elle salvatrice ? Seul l'engagement loyal de tous les acteurs du secteur, à commencer par le vôtre, monsieur le ministre, pourra permettre de répondre positivement à cette question.

En effet, de quoi s'agit-il ? D'une évolution mal maîtrisée, d'une sorte de « crise de la quarantaine », de crise de maturité de la politique culturelle initiée par André Malraux. Ce secteur, incroyablement foisonnant, a vu sa dynamique de croissance induire d'incontestables effets pervers, voire s'en alimenter, parmi lesquels la hausse subreptice et structurelle du financement d'une partie de notre politique culturelle par le système d'assurance chômage. Cette situation paradoxale ne pouvait déboucher que sur l'échec.

Elle a suscité, chez l'ensemble de nos concitoyens, y compris chez les élus, un désir de mieux comprendre le fonctionnement du secteur et les contraintes de ses nombreux acteurs. Elle permet aux Français de mieux percevoir les difficultés des artistes et du monde de la culture. Elle a favorisé leur prise de conscience de la place majeure de la culture dans notre société et du fait que cette « exception culturelle », dont ils sont fiers, a aussi un coût et mérite un financement particulier. Enfin, elle a aussi permis des prises de conscience au sein du monde de la culture lui-même.

Ainsi, comme toute crise, personnelle ou collective, celle-ci porte en son sein des ferments de réflexion, d'évolution créative, voire de reconstruction.

Si l'on a pu frôler le divorce, une réflexion commune approfondie et une analyse partagée doivent aujourd'hui permettre à notre pays de renouveler le « pacte culturel » engagé par Malraux et, à chacun des acteurs, de clarifier ses engagements et d'en assumer pleinement les responsabilités.

Pour certains, ce processus peut apparaître long, trop long, mais il fallait bien tout ce temps pour vous permettre, monsieur le ministre, de renouer les fils du dialogue. De l'avis général, vous l'avez fait avec beaucoup de courage, de talent, de passion et de compétence, et je tiens à vous en féliciter.

Ce temps était également nécessaire pour que s'accomplisse l'immense travail d'investigation, de réflexion et de propositions des différentes instances de concertation et des experts mandatés à cet effet.

Je tiens ici à saluer tout particulièrement l'engagement de MM. Bernard Latarjet, Jacques Charpillon, Michel Lagrave et Jean-Paul Guillot. Leurs travaux ont permis de renforcer considérablement la connaissance, jusqu'ici très parcellaire, du secteur du spectacle vivant et, par conséquent, d'éclairer chacun des acteurs.

Je ne suis pas de ceux qui, à l'instar du président du groupe socialiste de l'Assemblée nationale, dénoncent une « accumulation de rapports » ; je suis, au contraire, persuadé que chacun d'entre eux, y compris, bien sûr, ceux de nos assemblées parlementaires, ont apporté une pierre à cet édifice, si délicat à consolider et à rénover.

Le rapport de M. Bernard Latarjet permet d'évaluer la vitalité artistique de notre pays : ce dernier compte 3 300 compagnies professionnelles de théâtre, de danse, de cirque et de théâtre de rue, 8 000 ensembles et groupes musicaux indépendants, et 5 000 spectacles différents y sont donnés chaque année. De même, le cinéma hexagonal est l'objet d'une légitime fierté ; les chiffres pour 2004 sont très encourageants, puisqu'ils font apparaître une hausse de 11,6 % des entrées en salle, avec près de 200 millions d'entrées, et une augmentation de la part de marché des films français.

Toutefois, comme je l'ai rappelé, cette politique s'est développée en comptant trop sur le régime d'assurance chômage spécifique pour assurer son financement. Ce système a des effets pervers. Son caractère fortement attractif ne joue-t-il pas à la manière d'un miroir aux alouettes sur de nombreux jeunes, dont le talent ne permet pas nécessairement de transformer une passion en choix professionnel ?

Cette situation a, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, contribué à la paupérisation des artistes, décrite et chiffrée par M. Jean-Paul Guillot.

L'effet des « vases communicants » leur a cependant permis de limiter la baisse de leurs revenus, les indemnisations versées par l'UNEDIC ayant elles-mêmes fortement augmenté.

Il faut donc avoir conscience de ces évolutions et des difficultés qu'elles entraînent pour l'ensemble des professionnels. Il faut aussi mieux mesurer l'importance croissante de ces activités pour notre pays en matière économique, social et d'aménagement du territoire.

M. Jean-Paul Guillot nous a fait récemment découvrir ce poids économique : 20 milliards d'euros pour les secteurs du spectacle vivant, de l'audiovisuel et du cinéma. Sait-on que leur valeur ajoutée s'est élevée à plus de 11 milliards d'euros en 2003, soit autant que celle des secteurs de la construction aéronautique, navale et ferroviaire réunis, et que 17 % de ce montant sont imputables au spectacle vivant ?

Les données sociales dont nous disposons désormais ne sont pas moins intéressantes : spectacle vivant, audiovisuel et cinéma emploient environ 300 000 personnes, soit autant que l'industrie automobile.

Ces rapports sont donc de toute première importance, d'autant que le manque cruel d'informations et de statistiques fiables a beaucoup nui, dans le passé, à la sérénité des débats, à la prise et à l'efficacité des décisions. La passion et la virulence de certains doivent céder le pas au constat rationnel et accepté par tous.

Cependant, cet approfondissement de l'analyse et de la réflexion n'a pas empêché l'action que j'évoquais au début de mon propos, bien au contraire.

Ainsi, monsieur le ministre, vous avez d'ores et déjà obtenu des améliorations notables du protocole de juin 2003. Vous avez créé un fonds spécifique provisoire, abondé par l'Etat, afin de prendre en charge les exclus du nouveau système, et vous avez prorogé ce fonds pour 2005. Vous avez mis en oeuvre une politique résolue de lutte contre le recours abusif des employeurs du spectacle vivant, du cinéma et de l'audiovisuel au régime de l'intermittence. Enfin, vous avez engagé une politique ambitieuse en faveur de l'emploi culturel, comme vous venez de le rappeler ; je citerai à ce propos l'extension du crédit d'impôt cinéma au secteur audiovisuel, la création de fonds régionaux d'aide à ces secteurs et le plan en faveur du spectacle vivant.

Forts de cette meilleure et indispensable connaissance des chiffres, des faits, des pratiques et, par conséquent, de la réalité de la situation, mais aussi de la volonté de réaffirmer les objectifs qui fondent notre politique culturelle, nous devons désormais préciser les moyens de cette ambition pour notre pays. Cette ambition, nous la partageons tous, ici, me semble-t-il, quel que soit le banc sur lequel nous siégeons. Il nous faut donc poursuivre tous ensemble cette dynamique d'action.

Sur la base de données désormais fiables, les propositions avancées par les experts et les commissions parlementaires, ainsi que les préconisations opérationnelles élaborées par votre ministère fournissent de formidables supports à cette action. Vous avez, monsieur le ministre, présenté les axes de la « bataille pour l'emploi culturel » que nous devons tous mener ; je souscris pleinement à cette démarche ainsi qu'au calendrier pour 2005 et au-delà.

En effet, comme l'a écrit Albert Camus, « c'est en fonction de l'avenir qu'il faut poser les problèmes sans remâcher interminablement les fautes du passé. »

A ce point de mon propos, je rappellerai les efforts accomplis par notre commission, dans un esprit de consensus et de solidarité. De ce fait, j'exprimerai quelques convictions et formulerai des recommandations s'agissant de la place et de la responsabilité de chacun des acteurs dans la refondation du secteur du spectacle vivant, dont la réussite me semble s'imposer à la fois pour les professionnels du secteur et, au-delà, pour l'ensemble de nos concitoyens.

La place de l'Etat reste et restera, bien entendu, essentielle.

Les missions de ce dernier sont multiples : il s'agit, avec les collectivités territoriales, donneurs d'ordres de plus en plus importants, de garantir et d'organiser un « service public culturel » qui ait à coeur de soutenir la création et de développer la diffusion des oeuvres, et ce dans le respect de la liberté du créateur.

Le soutien à la création se mesure aussi à l'aune de la place accordée aux auteurs et à leurs oeuvres dans les structures publiques et leur programmation. Comptez-vous renforcer cette place, monsieur le ministre ?

Le développement de l'emploi culturel passe, quant à lui, par l'impératif d'une meilleure diffusion des oeuvres, vous l'avez dit. Quand l'on pense à la quantité de travail nécessaire à la production d'une pièce de théâtre, par exemple, ou d'un ballet, comment se satisfaire d'une aussi faible représentation devant le public, qui constitue pourtant l'objectif final de ce travail ? La diffusion des oeuvres et la recherche du public ont été trop délaissées. Ainsi, selon M. Bernard Latarjet, si le nombre moyen de représentations par compagnie est de trente-quatre et demi, il se réduit à sept par spectacle pour les théâtres dramatiques et à trois à peine pour les scènes nationales.

Dans son rapport intitulé Contribution au débat sur la création culturelle en France unanimement apprécié, semble-t-il, notre commission des affaires culturelles a exprimé le souhait que les créations soient mieux valorisées. Par le mode de fonctionnement et de financement des lieux de spectacles, par l'encouragement au développement de réseaux, par les retransmissions télévisées, les pouvoirs publics doivent favoriser l'allongement de la diffusion des oeuvres et la diversité des lieux de cette diffusion. Cela exigera une évolution des mentalités et une responsabilisation des parties concernées et passera par la formation des publics de demain, donc par un renforcement de l'enseignement artistique, comme vous l'avez annoncé, monsieur le ministre, puisque vous travaillez en bonne harmonie avec M. François Fillon.

Il faut aussi réfléchir à l'entrée des jeunes artistes dans les carrières et remettre à plat les formations. L'orientation et l'information des jeunes sur les débouchés artistiques doivent être considérablement améliorées.

L'Etat doit, par ailleurs, poursuivre résolument la politique de lutte contre les abus. Les contrôles réalisés ces derniers mois montrent un taux d'infractions extrêmement élevé, de 40 % à 80 % selon les secteurs, mais nous sommes satisfaits de constater que ces taux ont quasiment diminué de moitié à l'occasion des contrôles les plus récents. Cela démontre tout à la fois leur utilité, leur caractère dissuasif et la nécessité de maintenir la pression.

Je me réjouis, à cet égard, de l'excellente coopération entre le ministère de la culture et celui du travail, de l'emploi et de la cohésion sociale.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous apporter des précisions sur les moyens humains permettant de poursuivre cet axe de votre politique et sur la formation de ces personnels aux spécificités du secteur de la culture ?

L'Etat doit aussi persévérer dans la mise en place d'un système d'information fiable et exhaustif, au plan national comme au plan régional. Vous en avez dit un mot, mais nous souhaiterions que vous accélériez la concrétisation des mesures annoncées, dans ce domaine comme dans d'autres, d'ailleurs.

Il doit, en outre, poursuivre le dialogue et la concertation avec l'ensemble des acteurs.

Au plan régional, ceux-ci pourront se développer au sein des COREPS. Créées par une circulaire d'août 2003, ces instances théoriquement pérennes sont en train de se mettre en place lentement, et je ne vous cache pas que je m'étonne un peu de cette lenteur, malgré le « coup d'accélérateur » qui a toutefois été donné.

Au plan national, la concertation se poursuivra au sein du CNPS, dont la composition gagnerait, semble-t-il, à être élargie. Ainsi, par exemple, les quelques parlementaires à y avoir siégé n'avaient qu'un statut d'invités : peut-être leur présence pourrait-elle être pérennisée et officialisée ?

Par ailleurs, monsieur le président, je propose que vous réunissiez au Sénat chaque année, comme vous avez coutume de le faire dans d'autres domaines, les différents acteurs publics, Etat et collectivités territoriales, afin qu'ils y échangent leurs opinions sur les politiques territoriales de la culture, et ce, bien entendu, en votre présence, monsieur le ministre. (M. le ministre fait un signe d'acquiescement.)

En effet, il est incontestable que les collectivités territoriales assument une part majeure des initiatives et des financements culturels -  les deux tiers de ces derniers - pour l'essentiel au bénéfice du spectacle vivant. Leur responsabilité, en ce qui concerne l'emploi culturel, est par conséquent majeure.

Il ne faut pas que la création et l'emploi culturels soient les victimes du « jeu politique » qui se développe aujourd'hui dans les régions à la suite de la nouvelle étape de décentralisation et de ses supposées conséquences budgétaires.

Le Sénat vient de créer l'Observatoire sénatorial de la décentralisation, chargé de veiller à ce que les transferts de compétences aux collectivités territoriales soient accompagnés des transferts de recettes correspondants. Il est normal que les élus que nous sommes soient vigilants : au-delà, la culture serait prise en otage pour de mauvaises raisons. Ce serait faire fi de l'intérêt général et ne pas respecter nos concitoyens.

Les collectivités territoriales ont, tout comme l'Etat, des responsabilités particulières à assumer en tant que financeurs, donneurs d'ordre et employeurs de personnels culturels. C'est à ces différents titres que les uns et les autres doivent désormais s'attacher à lier davantage les aides, commandes ou subventions, au respect, par les employeurs, des règles du droit du travail. Il s'agit de renforcer l'emploi artistique dans le sens de sa pérennisation, ainsi que vous l'avez évoqué tout à l'heure, monsieur le ministre.

L'augmentation de la durée des contrats et la diversification des missions des artistes permettraient de limiter les effets de la flexibilité et de l'intermittence. Les schémas de services collectifs culturels, prévus dans la loi du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, vont dans ce sens. Les propositions qu'ils contiennent ont pour objectif de répondre au problème du sous-emploi artistique : participation à l'éducation artistique et culturelle à l'école, formation des enseignants dans les disciplines artistiques, soutien aux pratiques amateurs, mise en place de scènes mobiles. Quelles suites comptez-vous donner à ces propositions, monsieur le ministre ?

Par ailleurs, je tiens à rappeler que la « boîte à outils » des collectivités est loin d'être vide. En effet, la loi du 4 janvier 2002, d'origine sénatoriale, prévoit la création d'établissements publics de coopération culturelle, ou EPCC. Ce nouveau cadre juridique est précieux. Ses modalités de fonctionnement juridique méritent cependant d'être précisées et améliorées. C'est pourquoi la commission des affaires culturelles a confié à notre collègue et ami Ivan Renar une mission de suivi de l'application de cette loi, qui pourra déboucher sur des propositions de modification.

J'en viens aux partenaires sociaux du secteur, employeurs et personnels, artistes et techniciens.

En premier lieu, il me semble que l'adoption des propositions de M. Jean-Paul Guillot en faveur d'une meilleure organisation, structuration et mutualisation des structures est indispensable, tant l'émiettement de celles-ci constitue un frein à leur propre activité et épanouissement. Il s'agit, là aussi, de favoriser la professionnalisation.

En second lieu, à partir d'un diagnostic partagé, les partenaires sociaux doivent rapidement et doublement négocier.

Tout d'abord, les partenaires sociaux doivent négocier les moyens de conforter et de pérenniser l'emploi culturel. Il s'agit en particulier de redéfinir le périmètre des métiers concernés par les annexes VIII et X du protocole de l'UNEDIC, afin de recentrer le régime sur les seules professions relevant de la véritable intermittence. Certaines des propositions de M. Jacques Charpillon permettraient d'avancer en ce sens. Il s'agit aussi de définir les modalités de rémunération des heures dites « invisibles », par exemple celles qui sont consacrées aux répétitions. Il appartient aux partenaires sociaux du secteur de la culture de réinventer partiellement les modalités d'organisation de leurs activités dans le cadre naturel des conventions collectives.

Ensuite, il importe que les partenaires sociaux redéfinissent les modalités d'indemnisation chômage des annexes VIII et X du protocole.

Ce constat confirme la position de la commission des affaires culturelles sur ce point : ce système original, qui se justifie par les spécificités du secteur et repose sur la solidarité interprofessionnelle, doit être maintenu dans son principe, mais réformé dans son périmètre et dans ses modalités.

Le fonds transitoire pour 2005 trace des voies dans cette direction. Je rappelle que les travaux menés par M. Jean-Paul Guillot montrent que le protocole du printemps 2003 n'a ni entraîné les effets redoutés ni remédié à tous les problèmes. Il appartient désormais aux partenaires sociaux de prendre leurs responsabilités.

Enfin, il importe que la responsabilité propre de l'UNEDIC et des ASSEDIC soit pleinement assumée. Cela suppose que leurs services s'attachent bien sûr à respecter la lettre et l'esprit des textes, tout en délivrant des informations et un accueil de qualité. Il serait en effet regrettable que les mesures positives, certes évolutives et donc, il faut le reconnaître, complexes à mettre en oeuvre, voient leur effet contrarié au stade de leur application.

Faisons d'un mal un bien afin que cette sortie de crise soit bénéfique pour tous : pour la création culturelle, tout particulièrement pour le spectacle vivant ; pour tous les protagonistes de la création, dont le professionnalisme doit être soutenu ; pour le public - tous les publics, quelles que soient les générations concernées et leur condition sociale ; pour la place de la France sur la « planète culture », avec sans doute son originalité, son exception, à laquelle nous tenons. Il n'est qu'à voir l'accueil fait à la France à l'occasion des grandes célébrations culturelles, notamment en Chine, comme vous venez de le rappeler, monsieur le ministre.

André Malraux le rappelait dans la Tentation de l'Occident : « Une culture ne meurt que de sa propre faiblesse. »

Monsieur le ministre, vous pouvez, dans cet esprit, être assuré de notre vigilance et de notre soutien. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean Puech.

M. Jean Puech. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans une société qui a souvent du mal à répondre de façon concrète aux interrogations et aux défis auxquels elle est confrontée, il est réconfortant de voir un gouvernement qui fait son travail. Dans ce gouvernement, le ministre de la culture est lui aussi, bien évidemment, au travail.

Monsieur le ministre, vous faites du bon travail !

M. Jean Puech. Dès votre arrivée, vous avez su apporter des solutions aux problèmes les plus aigus du moment, tout particulièrement à la situation des intermittents du spectacle.

Mais un ministre n'est pas seulement à son poste pour éteindre les incendies. Son rôle ne se réduit pas à celui de pompier de service ! Il lui revient d'avoir une vision globale de la politique du secteur dont il a la responsabilité. C'est cette dimension que vous avez su donner rapidement à votre action au ministère de la culture et de la communication, monsieur le ministre, et ce dans un remarquable esprit de dialogue. Le débat d'aujourd'hui en est d'ailleurs un témoignage supplémentaire.

Le Sénat, grand conseil des collectivités locales, tiendra toute sa place dans ce débat. Il tient d'ailleurs déjà une place importante dans le domaine culturel en tant qu'institution. Il a en effet pris de nombreuses initiatives ces dernières années. On lui doit de nombreuses manifestations et expositions, de nombreux concerts assez remarquables. Je tiens d'ailleurs, si vous me le permettez, mes chers collègues, à adresser nos chaleureuses félicitations et à exprimer toute notre reconnaissance à M. le président du Sénat, puisque c'est lui qui en a eu l'initiative. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Les collectivités locales sont les premiers financeurs de la culture en France. Elles construisent des équipements, elles aident la création, elles aident l'organisation de spectacles, elles accompagnent la mise en valeur des monuments. Elles ont donc, tout naturellement, de par leur pratique quotidienne, des réflexions à vous soumettre, monsieur le ministre.

La culture, c'est ce sentiment d'identité auquel nous sommes tous si attachés parce qu'il est un pilier de notre société.

La culture, c'est l'expression d'une identité à la fois une et multiple, forte de ses différences, forte de sa capacité à débattre, forte aussi de ses contradictions parfois.

Personne n'a le droit de s'approprier la culture. Cette tentation est encore assez courante. C'est la raison pour laquelle il ne faut jamais cesser de rappeler des vérités qui peuvent déranger quelques cénacles de spécialistes.

La culture, c'est l'affaire de tous ! Il n'existe ni petits ni grands dans cet espace de liberté, comme il n'y a ni grand ni petit patrimoine dans cette France où se juxtaposent, avec un bonheur que nous envie la planète entière, le château de Versailles et une chapelle romane blottie dans un repli de nos campagnes, le Mont-Saint-Michel et les terrasses qui grimpent à l'assaut de nos collines du sud.

La culture est riche de femmes et d'hommes qui s'y engagent comme professionnels du spectacle, comme simples amateurs, le temps d'un été, ou comme formateurs ou autre.

La culture, c'est toute cette animation, cette création. C'est notre richesse commune, composée de tous ces talents dans les domaines les plus divers : le théâtre, le cinéma, l'audiovisuel.

L'occasion m'en étant donnée aujourd'hui, je rappellerai, monsieur le ministre, ce qu'entreprennent les territoires de nos provinces, des départements que je pense bien connaître. Je citerai un exemple, qui, je le crois, illustre le rôle essentiel des initiatives des collectivités locales dans l'émergence de la création culturelle vivante.

Dans le département dont je suis l'élu, une école nationale de musique a été créée voila bientôt dix-sept ans, sur l'initiative du conseil général, dans le cadre d'une charte culturelle signée avec l'Etat. Le ministre de la culture de l'époque, vous le connaissez bien, était François Léotard.

Cette école, organisée de façon décentralisée, est présente à travers quinze antennes éclatées sur l'ensemble des territoires aveyronnais. Aujourd'hui, avec plus de 1 500 élèves et 80 professeurs, refusant tout élitisme, elle est devenue une référence en matière de musique de qualité, dans toutes ses composantes. Cette école nationale de musique est également partie prenante de la vie locale. Elle produit dans tout le département des concerts qui connaissent un grand succès populaire.

Cette école a constitué un orchestre symphonique, un choeur. Elle mène une expérience de musique à l'école qui permet d'initier des enfants à partir du cours préparatoire. De plus en plus de musiciens issus de ses rangs poursuivent une carrière remarquée.

La culture, c'est un tout : c'est du spectacle, mais aussi un patrimoine. C'est tout simplement, et de plus en plus, un atout de développement économique, au service de l'équilibre de nos territoires. Je puis en témoigner.

La culture est au coeur de ce dispositif riche en activités de tous ordres générées par les spectateurs de nos festivals, les visiteurs de nos monuments et les touristes. La restauration de nos monuments offre aux professionnels du bâtiment des chantiers à la hauteur de leurs compétences. Leur talent est reconnu. C'est le talent des artisans, celui des Compagnons qui bâtissent, qui re-bâtissent le patrimoine architectural français en permettant, par la même occasion, la valorisation de leur savoir-faire et la formation des jeunes générations. L'artisanat en sort gagnant tandis que renaît notre patrimoine.

Ce patrimoine est pensé, et toute cette activité, toute cette animation, tout cet engagement, s'inscrit comme une action culturelle majeure. Ce mouvement, c'est de l'emploi et de l'animation.

La culture, ainsi pensée dans sa globalité, joue un rôle essentiel pour l'attractivité de nos communes et de nos départements ruraux. Elle participe plus sûrement à l'aménagement du territoire, j'insiste sur ce point, que certaines grandes idées qui nous sont régulièrement assénées.

Le rapport Guillot a permis de mieux prendre conscience du poids économique du spectacle vivant. C'est une bonne chose.

Les réponses que vous apporterez, monsieur le ministre, aux questions qui sont posées dans ce rapport et aux propositions qui y sont faites devront permettre de franchir une nouvelle étape. Mais veillons à ne pas saucissonner la culture : d'un côté le spectacle vivant, de l'autre, le patrimoine ! Veillons à ne pas cantonner le patrimoine à de belles pierres !

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Tout à fait.

M. Jean Puech. Le patrimoine est lui aussi dynamique. Il est lui aussi vivant, et bien vivant ! La France a besoin de tout le monde sur ce vaste chantier de la culture.

Pour terminer, monsieur le ministre, permettez-moi d'évoquer un chantier qui me tient à coeur : l'inscription, par l'UNESCO, des Causses et des Cévennes sur la liste du patrimoine mondial de l'humanité.

Ce projet concerne un remarquable ensemble et un vaste territoire, étendu sur cinq départements du sud de la France : l'Aveyron, la Lozère, le Gard, l'Hérault et l'Ardèche. En effet, les Causses et les Cévennes, que vous connaissez, monsieur le ministre, si bien que je ne vous les décrirai pas, sont candidats à l'inscription au patrimoine mondial de l'humanité au titre des paysages culturels.

L'ensemble des acteurs locaux s'est rassemblé depuis plusieurs années sur ce projet porteur de développement culturel et économique. Les réunions de travail de ces derniers mois en sont une illustration. Je me fais aujourd'hui encore le porte-parole de cette mobilisation.

Monsieur le ministre, vous avez décidé de nous accompagner puisque vous avez proposé, au nom de la France, de déposer ce dossier à l'UNESCO. Soyez-en très chaleureusement remercié. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Mes chers collègues, je viens d'avoir communication des résultats du vote qui est intervenu à l'Assemblée nationale sur le projet de loi constitutionnelle. Je souhaite vous en faire part en cet instant : parmi les 548 votants, 450 se sont prononcés pour et 34 contre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

(M. Roland du Luart remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a deux ans, très exactement le 21 mars 2003, je présentais un voeu à l'ensemble de mes collègues du conseil municipal de Rouen.

Les élus rouennais et moi-même, bien que conscients qu'il fallait redonner un sens à l'intermittence, nous inquiétions du risque de remise en cause du statut de l'intermittence et des annexes VIII et X du régime général d'assurance chômage Nous réaffirmions alors la spécificité des métiers artistiques. Nous réclamions également un débat national sur le rôle et le statut de l'artiste ainsi que sur la place des arts et de la culture dans notre société.

Ce voeu fut adopté à l'unanimité. C'était avant la crise de l'été 2003, qui, malheureusement, a confirmé nos inquiétudes.

Cette initiative émanait d'élus locaux, convaincus de la place essentielle de la culture, soucieux de voir menacés et remis en cause les efforts importants et croissants qu'ils avaient fournis et continuent de fournir conjointement avec l'Etat, en ce qui concerne notamment la constitution d'un réseau d'équipements culturels et le financement du développement du spectacle vivant.

A l'époque, monsieur le ministre, nous n'avions reçu aucune réponse de la part de votre prédécesseur. Depuis, un certain chemin a été parcouru. Je me réjouis réellement que les élus de la nation soient enfin entendus.

Je vous remercie d'avoir répondu à leur attente en ayant organisé une série de débats réunissant les professionnels, les parlementaires et les élus locaux : tout d'abord au mois de novembre, lors des entretiens du spectacle vivant à l'Académie Fratellini, puis à l'Assemblée nationale, le 9 décembre dernier, et enfin aujourd'hui au Sénat. Par cette initiative, vous associez la représentation nationale, et donc le pays tout entier, à la réflexion sur la redéfinition de la place de l'art et de la culture dans notre société et sur la refondation de notre politique culturelle.

Pourtant, cela n'avait rien d'évident. En effet, parler d'art et de culture au sein des enceintes parlementaires en dehors des périodes budgétaires est suffisamment rare pour être souligné. On peut y voir un signe de reconnaissance symbolique de !a place de la culture dans notre société.

Il faut, en effet, regretter que nombre d'élus, quelle que soit leur appartenance politique, considèrent la culture comme un « sujet gadget » et les artistes comme de doux rêveurs, des utopistes ou encore des fainéants. Ces jugements sont dus à une méconnaissance, largement partagée dans notre société, des modes de fonctionnement du monde du spectacle vivant, des spécificités des métiers artistiques, de l'économie de ce secteur d'activité, du coût et du travail liés à la production et à la diffusion.

Ce débat contribuera, espérons-le, à réduire l'incompréhension et l'actuel fossé qui existe entre les acteurs culturels et les politiques et à rapprocher deux mondes qui ont besoin de communiquer.

Reconnaissons aussi que nous devons faire face à de tels a priori au sein de nos collectivités, où les élus en charge de la culture ne sont pas toujours pris au sérieux par leurs collègues, qui voient en eux des élus dépensiers. Ils doivent souvent batailler pour leurs budgets. C'est la situation que doit vivre parfois le ministre de la culture au sein du Gouvernement.

L'organisation de ces débats sur l'avenir du spectacle vivant au Parlement est-elle l'expression d'une évolution des mentalités consécutive à la crise de l'été 2003 ? Il faut l'espérer.

Du fait de l'annulation des principaux festivals en 2003, il semble, en effet, qu'une grande majorité des élus locaux aient mesuré l'enjeu que représente l'intermittence dans la politique culturelle de notre pays.

Depuis plus d'un an maintenant, les effets de la crise de l'été 2003, la multiplication des rapports et des travaux d'expertise - je pense non seulement aux rapports Latarjet et Guillot, mais aussi au rapport du groupe de réflexion du Sénat sur la création culturelle et à celui de la mission d'information sur !es métiers artistiques de l'Assemblée nationale - ont fortement contribué à la connaissance et à la compréhension du secteur culturel tant par les acteurs eux-mêmes que par l'ensemble de la société.

La nécessité de réviser les modes de financement de la politique culturelle tout en maintenant un régime spécifique dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle semble désormais acquise. En outre, l'idée selon laquelle la culture a un rôle non négligeable à jouer dans la cohésion de notre société et participe pleinement à la vie des territoires, à leur richesse, à leur promotion touristique fait son chemin.

Evoquer ce sujet au Parlement, c'est donner à l'ensemble des acteurs du spectacle vivant, qui ont besoin d'être rassurés, la reconnaissance qu'ils méritent, eux qui s'estiment souvent maltraités en raison de l'image qui est parfois donnée d'eux.

En fait, la crise de 2003 et les différents rapports nous ont appris le réel enjeu économique de ce secteur, que personne n'avait pu mesurer.

Nous savons bien que le spectacle vivant forge l'identité d'un territoire, participe à la promotion de nos collectivités et au rayonnement de la France de par le monde et concourt à la cohésion tant sociale que nationale.

En effet, la culture est la langue universelle qui s'adresse à l'intelligence des hommes, à leur sensibilité, à leur coeur. Mais nous ne mesurions pas vraiment auparavant les retombées commerciales qu'elle génère, sa participation au développement économique, social et touristique des collectivités, sans parler du rôle non négligeable qu'elle joue dans la redécouverte, la réhabilitation et l'animation des lieux patrimoniaux.

Le travail de Jean-Paul Guillot a très bien montré !a valeur ajoutée engendrée par la culture et les effets multiplicateurs induits par les activités culturelles. On sait qu'un beau festival attire des touristes, participe au développement des secteurs de la restauration, de l'hôtellerie, fournit du travail en amont et en aval aux acteurs économiques de la région. C'est cette réalité qui a le plus surpris. Qui pouvait imaginer que la culture était un secteur économique occupant autant de personnes que le secteur automobile, soit 300 000, pesant 20 milliards d'euros et apportant une valeur ajoutée de 11 milliards d'euros ?

Monsieur le ministre, vous avez fait allusion à l'année de la Chine en France. J'aimerais citer le prix Nobel de littérature Gao Xingjian, qui dit fort à propos que « la culture n'est pas un luxe, c'est une nécessité ».

La crise de l'intermittence, ouverte par la signature du protocole d'accord du 26 juin 2000, qui, il faut le souligner, s'est révélé injuste envers les intermittents les plus fragiles et inefficace pour réduire le déficit, nous a aussi dévoilé qu'elle n'était que le symptôme d'une croissance non maîtrisée de ce secteur.

Les causes de cette crise sont connues. Dans ce secteur très dynamique, l'emploi a augmenté dans des conditions de grande précarité, du fait de l'évolution divergente de l'offre et de la demande. De surcroît, les décideurs, les employeurs et les acteurs culturels ont été, pendant des années, les complices d'une précarisation croissante du secteur, tout le monde ayant trouvé avantage à utiliser le régime de l'intermittence alors qu'il aurait été possible de recourir à des formes d'emplois plus stables.

Afin d'enrayer la précarité croissante des salariés du secteur - monsieur le ministre, vous avez cité à cet égard des chiffres clés -, il est nécessaire de prendre en compte des éléments d'organisation du travail des entreprises, des artistes, des techniciens, tout en maintenant le statut de l'intermittence qui, vous l'avez rappelé, a sa spécificité.

Il convient aussi de revoir le financement du spectacle vivant en ayant comme objectif d'aider à une maturité organisationnelle du secteur. En résumé, c'est à une véritable architecture de l'emploi artistique que nous devons tous travailler, Etat, collectivités territoriales, partenaires sociaux.

La culture n'est plus seulement l'affaire du ministère de la culture et de la communication. Elle concerne l'ensemble des ministres en charge d'autres champs d'action qui doivent participer à cet élan collectif autour de vous, monsieur le ministre.

Il appartient en particulier aux élus de définir le champ de la solidarité interprofessionnelle alors qu'il incombe aux partenaires sociaux de redonner son sens véritable à l'intermittence, centrée sur l'acte de création artistique.

Nous le savons : 2005 est une année décisive non seulement pour l'ensemble du monde culturel mais aussi pour les élus locaux qui souhaitent qu'une nouvelle voie soit tracée.

La nécessaire responsabilisation de tous - Etat, collectivités, partenaires sociaux - doit se traduire par un engagement fort pour sortir de cette crise de croissance. Chacun doit se mobiliser pour accompagner la restructuration du secteur artistique, l'encourager, le promouvoir et veiller plus que jamais à en préserver l'originalité dans un monde menacé par des productions et par des produits formatés, standardisés et soumis à des logiques de rentabilité.

Bâtir l'avenir, c'est travailler au développement de formes d'emplois moins précaires et de structures plus solides pour contribuer à construire un système plus pérenne.

Cette politique de l'emploi peut passer par une incitation financière des professionnels à préférer à l'intermittence des formes d'emplois stables, là où les structures le permettent. Pour cela, le ministère et les collectivités locales peuvent lier leurs financements au respect d'un cahier des charges incitant à la transformation des emplois de « permittents » en contrats durables dans les entreprises publiques. A cette fin, nous devons tous repenser nos critères d'attribution des subventions en ayant comme objectif la pérennisation des structures et des compagnies, dont la fragilité structurelle a été mise en évidence par Bernard Latarjet.

Reconnaissons que le mode de subventionnement actuel a privilégié de façon excessive une logique de projets sans que l'on se préoccupe des structures et des conditions d'emploi dans lesquels ces projets étaient réalisés, notamment en termes de diffusion des spectacles.

Les financeurs publics doivent recentrer leurs subventions sur l'aide à la structuration, en incitant, dans les conventions, les compagnies, à mutualiser les postes administratifs tout en veillant à ne pas oublier les problématiques spécifiques aux plus petites compagnies.

M. Jean Arthuis. Très bien !

Mme Catherine Morin-Desailly. A l'appui de ces propositions, je veux évoquer dans cette enceinte un projet qui me tient particulièrement à coeur et que je tire de mon expérience d'élue chargée de la culture de la ville de Rouen. Il répond parfaitement à cette volonté de pérennisation des structures du spectacle vivant et de mutualisation des emplois. Il s'agit de la Maison des théâtres et du geste, conçue comme un centre de ressources pour les artistes.

Cette structure, au projet de laquelle nous travaillons depuis plus d'un an, est destinée à accompagner les compagnies dramatiques, chorégraphiques et circassiennes de !a ville et de la région en soutenant la création et en contribuant à la pérennisation des emplois artistiques. Nous comptons aussi expérimenter dans ce lieu la mutualisation des moyens administratifs, tels que la mise à disposition de bureaux, de personnel administratif. Il sera ouvert également aux jeunes équipes et aux jeunes créateurs pour faciliter leur insertion et leur accompagnement.

Ce sera enfin un lieu de formation qui pourra aider à la professionnalisation des métiers culturels, car cette politique de l'emploi culturel ne peut se concevoir sans une réflexion sur l'entrée dans les métiers artistiques, l'évolution dans la carrière, les reconversions des artistes, la reconnaissance des pratiques amateurs qui permettent la poursuite, au sein d'une chorale ou d'un orchestre, d'une pratique artistique, autant de thèmes qui doivent être traités à cette occasion.

Un autre point sur lequel nous devons nous pencher est la question de la diffusion des spectacles. Toute cette problématique doit être reliée au développement de l'éducation artistique et culturelle. En effet, la production de spectacles n'est pléthorique qu'au regard d'une diffusion insuffisante, due essentiellement à un non-renouvellement des publics. C'est dire si une politique d'éducation et de sensibilisation aux arts et à la culture dès le plus jeune âge est le principal levier pour constituer de nouveaux publics.

Monsieur le ministre, nous vous savons concerné par cette question. Vous l'avez démontré avec l'initiative du plan de relance en matière d'éducation artistique et culturelle et la prise en compte dans le fonds transitoire des heures de formation dispensées par les artistes et techniciens dans les écoles, les collèges et les lycées sur les 507 heures ouvrant droit aux annexes VIII et X.

Votre détermination sur cette question est décisive tant il semble que les programmes d'éducation artistique et culturelle soient condamnés à tomber régulièrement dans l'indifférence ou dans l'abandon.

Par ailleurs, on ne sait pas encore quelle place leur sera réservée dans le projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école. Font-ils partie des connaissances fondamentales dans le cadre de la culture humaniste...

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Oui !

Mme Catherine Morin-Desailly. ...ou sont-ils réduits à un rôle subalterne ? La crainte de ne pas les voir figurer parmi !es priorités du ministre de l'éducation nationale est réelle.

Monsieur le ministre, nous avons pris connaissance des propositions que vous avez formulées conjointement avec votre collègue en charge de l'éducation nationale, le 3 janvier dernier, à la suite des inquiétudes exprimées à ce sujet sur tous les bancs de cette assemblée, lors de l'examen de votre budget au mois de décembre dernier. Ces propositions militent pour une relance de la politique en matière d'éducation artistique et culturelle.

Plusieurs programmes interministériels d'éducation artistique ont été expérimentés cependant que leurs crédits ont été gelés.

Notre pays reste en retard en ce qui concerne la présence des arts à l'école. Or, comme nous le savons, l'école est le meilleur chemin pour accéder à l'art, celui qui est emprunté par tous et pour longtemps. L'impérieuse nécessité de la démocratisation culturelle passe par une volonté réelle de favoriser la présence artistique dans les établissements.

A mon sens, nous gagnerions à renforcer l'éducation artistique et culturelle, à côté des enseignements artistiques déjà dispensés, les arts plastiques et la musique.

A cet égard, je veux faire une distinction entre l'enseignement et l'éducation artistiques, cette dernière relevant moins de cours théoriques que d'une sensibilisation permanente à l'art et à la culture irriguant l'ensemble des disciplines.

Imaginons des actions nouvelles et complémentaires à l'issue d'un bilan précis des dispositifs du plan pour les arts et la culture à l'école.

Dans plusieurs villes, des conventions d'éducation artistique et culturelle ont été signées dès 2002, associant établissements scolaires et professionnels afin que les jeunes bénéficient d'actions de sensibilisation destinées à leur faire connaître leur patrimoine, leur donner le goût de visiter des expositions, de fréquenter les musées, les salles de spectacles ou de cinéma. Elles permettent d'organiser des rencontres entre les jeunes et les artistes.

Monsieur le ministre, seule une politique volontariste de votre part et un partenariat fort avec le ministère de l'éducation nationale, les collectivités et les acteurs culturels permettront d'offrir aux jeunes autre chose que ce que proposent les émissions de télévision à la mode.

Enfin, pour élargir les publics, il nous faut aussi imaginer des dispositifs de médiation culturelle plus incisifs envers les publics empêchés, comme les personnes handicapées, ou éloignés, comme les publics situés en zones défavorisées ou en milieu rural.

Enfin, une politique volontariste en matière de spectacle vivant ne peut se concevoir que dans le cadre d'un partenariat renouvelé entre l'Etat et les collectivités locales.

Comme a pu le montrer le rapport Latarjet, les collectivités territoriales sont en première ligne ; elles jouent un rôle majeur en matière de politique culturelle en finançant des équipements culturels et en accompagnant les structures. Elles assurent plus des deux tiers des dépenses pour le spectacle vivant contre un tiers pour l'Etat, alors que les lois de décentralisation ne leur ont confié aucune compétence culturelle obligatoire.

En conséquence, il paraîtrait normal de leur assurer une place réelle dans la définition des politiques culturelles. Cette reconnaissance passe par une clarification du rôle de l'Etat et par la redéfinition de l'articulation des différents échelons des collectivités territoriales : les acteurs culturels, pour la réalisation de leurs projets et la recherche de financement ont besoin de savoir - ils nous le disent régulièrement - qui fait quoi. Il faudra peut-être, à travers une loi, fournir une base juridique beaucoup plus solide aux interventions des collectivités en la matière et identifier les compétences de chacun. Avant cela, ne serait-il pas intéressant d'expérimenter des contrats de développement culturel initiés par les collectivités co-responsables et soutenus par l'Etat ?

Définir ou redéfinir les compétences de chacun ne veut pas dire que l'Etat, qui, on le sait, a un rôle d'impulsion, de soutien à la création et d'expertise, ne soit plus partie prenante. Il détermine encore, en effet, en grande partie, la décision et le montant du financement des collectivités, et sa place est essentielle pour assurer les équilibres nationaux. Cependant, s'il conserve son rôle volontariste d'impulsion et d'incitation, il devient, dans le cadre de la décentralisation, un partenaire non plus ordonnateur mais accompagnateur des collectivités. Il faut profiter de cette période de « ré-articulation » des rôles de chacun pour bâtir des partenariats équilibrés et équitables entre l'Etat et les collectivités locales.

A cet égard, les établissements publics à caractère culturel, les EPCC, mode de gestion relativement récent des équipements, ouvrent aux collectivités une possibilité de s'impliquer : malgré le peu de recul que nous avons, ces établissements nous apparaissent comme des instruments juridiques de décentralisation culturelle très intéressants, de nature à organiser un partenariat entre l'Etat et les collectivités territoriales autour d'un projet confortant l'emploi artistique.

Dans la perspective de cette nouvelle articulation des compétences et de l'élaboration de nouveaux partenariats, les acteurs sont demandeurs de structures de dialogue plus souples et plus efficaces. Ces dernières pourraient réunir l'ensemble des parties prenantes du secteur culturel, et notamment ceux qui sont hors des réseaux institutionnels. Les COREPS existent depuis un peu plus d'un an ; sont-elles des outils suffisants pour répondre aux attentes des professionnels ? Nous n'avons pas encore beaucoup de recul car toutes ne se sont pas encore réunies suffisamment.

Ne serait-il pas opportun de créer, au niveau régional, une structure de concertation et d'orientation des politiques publiques sur le spectacle vivant, associant représentants de l'Etat, collectivités et professionnels ; elle pourrait prendre la forme d'observatoire régional des politiques culturelles tel que le propose la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la Culture, la FNCC ?

Cette initiative pourrait, d'une part, améliorer la connaissance réelle de la situation de l'emploi dans le secteur artistique en région et, d'autre part, créer un espace de rencontre et de discussions entre les acteurs politiques locaux et les artistes, qui seraient ainsi amenés à examiner ensemble les projets. Ces observatoires seraient également d'utiles outils d'aide à la décision pour les élus, car ils les impliqueraient dans la définition des politiques culturelles, eux qui ne doivent pas seulement être des pourvoyeurs de subventions, eu égard à leur rôle décisif dans le financement des équipements, des festivals, des compagnies.

Si les collectivités territoriales sont prêtes à s'engager dans la politique de l'emploi culturel que vous souhaitez promouvoir, monsieur le ministre, elles savent aussi que cela aura un coût.

J'imagine qu'elles sont sensibles à l'effort de « permanentisation » de l'emploi, à la condition que l'Etat ne se désengage pas et participe pleinement, conjointement avec elles, au financement des politiques culturelles.

En effet, les nouvelles charges liées aux lois de décentralisation font déjà craindre un recentrage des collectivités sur leurs compétences obligatoires, ce qui aura forcément des conséquences sur leurs marges financières.

Monsieur le ministre, votre force de conviction est grande, et nous espérons sincèrement que vous réussirez, selon la méthode que vous avez définie dès votre arrivée rue de Valois, à convaincre l'ensemble des décideurs de ce pays que la culture est un enjeu majeur pour notre société. Il vous faudra aussi convaincre les acteurs du secteur culturel, et en particulier les partenaires sociaux, de se mettre autour d'une table pour négocier et jeter, cette fois, les bases d'une réforme vertueuse et équitable du système de l'intermittence.

Nous savons que cette tâche prendra du temps, mais nous espérons qu'au terme de ce long et patient travail d'évaluation, de concertation et de persuasion le spectacle vivant et, au-delà, l'ensemble des métiers artistiques - il ne faudrait pas exclure de cette réflexion les plasticiens, les peintres, les sculpteurs - bénéficieront d'une loi d'orientation ou d'une loi cadre qui garantira définitivement la reconnaissance de la place de l'artiste au coeur de la société, et cela parce que, pour reprendre les mots d'une compagnie de mon département Le cercle de la litote, « nous pensons qu'être un artiste, ça sert à changer le quotidien des autres, le rendre étonnant, surprenant, différent, peut-être plus beau. » (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jack Ralite.

M. Jack Ralite. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'étais hier à l'UNESCO pour le débat sur le projet de convention pour la diversité culturelle. La grande salle était pleine de représentants des Etats, d'organisations non gouvernementales et d'organismes internationaux. Le déroulement du débat m'oblige à considérer que la question est en difficulté.

Je serai demain à la réunion du comité de suivi pour la réforme de l'assurance chômage des intermittents du spectacle, qui regroupe des parlementaires de toute opinion et la majorité des acteurs sociaux concernés. Vont y être discuté : le processus engagé, comment l'accélérer et quelles initiatives prendre pour que le MEDEF et la CFDT négocient. Là aussi, je parle de difficultés et, pourtant, nous avons, outre vos initiatives, monsieur le ministre, un capital de réflexion : le rapport Valade, le rapport Guillot et le rapport Kert.

J'ai participé ces deux derniers mois à nombre de réunions concernant la culture : au théâtre du Rond-Point avec l'association nationale de recherche et d'action théâtrale, l'ANRAT, pour l'éducation artistique à l'école ; à Lille, pour la clôture du colloque organisé par Martine Aubry sur le bilan et les perspectives après Lille 2004, capitale européenne de la culture ; à Villeurbanne, avec l'union régionale pour la défense de la lithographie d'art, l'URDLA, pour sauver le dernier atelier de gravure en France ; dans la salle du comité d'entreprise Renault du Mans, à l'initiative de la CGT, pour empêcher la fermeture de la bibliothèque du comité d'entreprise ; dans le Trégor, en Bretagne, où, à l'initiative du Parti communiste français, ont eu lieu plusieurs réunions sur la question de la culture et de l'art dans la société. J'ai assisté au très beau FIPA, le festival international de la production audiovisuel, à Biarritz, et j'ai découvert des dizaines de documentaires et de fictions qu'on n'oublie pas.

De ces expériences récentes s'ajoutant à celles de l'UNESCO et du comité de suivi, il ressort que, en culture, en art, la pensée politique est en général en deçà de ce que réclame la société.

Il m'a donc semblé qu'il fallait que le débat d'aujourd'hui aborde sur le fond les idées générales dont nous avons un urgent besoin ; leur énoncé bien sûr, mais aussi les combats à mener pour les promouvoir.

J'aborderai d'abord le problème de la création, à propos de laquelle j'entends trop souvent dire : « c'est difficile », « c'est élitaire », « faites-nous du populaire », ou encore : « l'argent est rare, la culture, l'art peuvent attendre des jours meilleurs ».

C'est source de routine, de normalité, d'instrumentalisation, bouleversant la place du symbolique en le réduisant au décoratif et au festif. C'est ce dont a parlé M. Le Lay l'été dernier en déclarant que son métier est de vendre à Coca-Cola du temps de cerveau humain disponible.

Ces démarches sont arrogantes, outrageantes, violentes, car elles visent à nous priver de l'affrontement à l'inconnu et à l'altérité et, là, l'art est de l'ordre de l'essentiel. Michaux disait : « skieur au fond d'un puits ».

Il faut défendre intraitablement ces skieurs si particuliers. On comprend Jean Vilar, évoquant les rapports de l'Etat avec les arts, les artistes, les écrivains, parlant de « mariage cruel ». C'était du temps de Malraux.

On comprend le poète Philippe Jaccottet : « Un Etat véritablement sage devrait, mais c'est beaucoup demander, réserver aux poètes une place, mais que cette place fût celle du gêneur perpétuel, de celui qui va répétant sans cesse des choses surprenantes, insaisissables, douteuses et pourtant éclatantes, telles ces fleurs frêles des montagnes parce qu'elles opposent à la sombre masse rocheuse, ou bien au malheur humain, leur fraîcheur de regard et de source. Oui, le poète n'est nécessaire que s'il demeure profondément inutile et inutilisable ».

Ces derniers mots choquent et font violence à leurs lecteurs. C'est un paradoxe de rapprocher les mots « nécessaire », « inutile » et « inutilisable » puisque l'usage trouve utile, donc utilisable, le nécessaire. Oui, il y a violence de l'économie, de l'habitude, de l'inertie, et Philippe Jaccottet répond par la violence de la langue, des mots, qu'il décolle de leur assignation à résidence, qu'« il soustrait à leur pure ustensilité ». Ce n'est pas d'inutilité dont il parle mais d'une utilité supérieure reliant le visible obligatoirement connu et l'invisible nécessairement inconnu. Le monde ne se limite pas à ses apparences, et sont tartuffes ceux qui enjoignent aux artistes de répondre à la demande. Comment peut-on demander une chose que l'on ne connaît pas, puisqu'elle n'apparaît pas ?

Il y a là un écho de la faculté d'étonnement, de pensée, d'imaginer de chacune, de chacun, à laquelle l'artiste dans un écart, une distance qui doivent être garantis, donne sa finition, c'est-à-dire sa création. Pierre Soulages dit : « L'art donne forme à l'inachevé. » Christa Wolf commente : « Le sentiment éprouvé dans l'expérience artistique nous permet d'imaginer ce que nous pourrions devenir. » Ecoutez Aragon : « En écoutant chanter Fougère, l'héroïne de La Mise à mort, j'apprends, j'apprends à perte d'âme ».

N'est-ce pas une merveille que cet inutile utile, que cet inutile « flottant dans l'air un peu au-dessus de l'utile, mais pas trop au-dessus », dirait Jaccottet ? Et on ne défendrait pas avec rigueur, intransigeance, intraitabilité cette mince couche de civilisation qui peut se rompre, d'autant que le noyau même de l'être humain est actuellement attaqué ! N'oublions pas que nous sommes sous ciel bancaire, confrontés aux jeux ténébreux du profit, pour qui tout est comestible, comme Star Academy, la télé-réalité, « 35 % de part de marché, ça mérite le respect » sur TF1, la chaîne bradée en 1987 avec le mot de passe du « mieux-disant culturel ».

Soyons clairs, la rencontre avec la création artistique, c'est pour chacune, chacun une entrée dans l'humanité !

Le 9 décembre dernier, à l'Assemblée nationale, vous avez abordé à votre manière cette question, monsieur le ministre : « Etre artiste, c'est d'abord croire, vivre, et faire partager cette conviction que tout n'est pas dit, que le monde est loin d'avoir épuisé toute possibilité de surprise ».

Le 15 décembre, vous étiez au théâtre du Rond-Point pour l'éducation artistique à l'école, ce qui a été apprécié.

Le 17 décembre, au conseil national des professions du spectacle, vous avez annoncé le fonds transitoire pour les intermittents, avec l'apport non négligeable d'heures de formation tant artistiques que techniciennes.

Et, pourtant, concernant les intermittents, qui sont les acteurs premiers du spectacle vivant, le MEDEF et la CFDT restent de marbre et continuent de gérer l'UNEDIC comme leur propriété privée. Je vous l'assure, en cette fin de mois de janvier, on entre dans une hécatombe qui touche profondément les professions artistiques et techniciennes.

Prenons l'éducation artistique. J'ai reçu hier soir le projet de loi que va défendre M. Fillon : il n'y a pas un mot sur l'éducation artistique !

La création est souvent ignorée et combattue par peur du neuf. Elle mérite donc un soutien de grande ampleur.

Au Sénat même, mon ami et frère de combat et d'espérance Ivan Renar a déposé une proposition de loi, qui a été votée, sur les EPCC.

Aujourd'hui, il auditionne, contrôlant sa propre activité. Que constate-t-il ? Là où les EPCC ont fait une première percée, l'application s'est souvent retournée contre les artistes qui travaillent « à la fin de l'immobile », disait René Crevel, qui « passent une partie de leur temps à supprimer des impossibilités », disait Joël Bousquet.

Oui, la bataille est rude, et il faut « monter d'un cran », dirait Claude Santelli.

On a l'impression que notre vocabulaire est repris, mais qu'au niveau des actes il s'évanouit. La recherche, les assises de Grenoble - j'y étais - ont été louées, mais ce qui a été annoncé récemment dans la presse leur tourne le dos. Je suis, pour ma part, stupéfait de l'extraordinaire prolifération de « l'écoute » dans le pays. C'est un mot, un « sésame ouvre-toi »-, mais les écouteurs ne passent pas à l'acte.

Il existe un immense entonnoir filtrant qui trie l'écoute, qui ne l'utilise pas pour elle-même, mais pour tenter de rendre digestibles, supportables, les visées, par exemple de M. Seillière.

Aujourd'hui, beaucoup d'êtres sont blessés dans leur dignité. Pendant longtemps, ils ont encaissé. Il y a de l'explosion ou de l'implosion dans l'air. Il n'est pas étonnant que, ces temps-ci, sortent ou sont sur le point de sortir des ouvrages importants sur l'art.

Jacques Rancière vient de publier, chez Galilée, Malaise dans l'esthétique et, prochainement, les éditions La Dispute publieront La psychologie de l'art de Vygotski.

C'est de l'excellent carburant pour les campagnes à mener, qui demandent d'être écoutées et exigent d'être entendues.

Après la création, je veux aborder la question du travail. Elle est aussi fondamentale et évite les spéculations sur la non-démocratisation de la culture. Je m'appuie sur les travaux d'un professeur de psychologie du travail au CNAM, Yves Clot, qui, le 15 novembre dernier, aux états généraux de la culture, a fait un exposé roboratif sur la « re-création du travail ».

En effet, le travail est malade, et ceux qui en ont encore sont malades aussi. Le patronat a comme un fantasme : avoir des salariés - et je ne parle pas seulement des ouvriers - qui savent mais qui ne pensent pas. Tennessee Williams dirait que ces hommes et femmes deviennent des « boxeurs manchots ».

C'est une épreuve qui a un coût psychique démesuré et mal reconnu, même par ceux qui la vivent. Ils perdent leur inscription sociale, sont comme chassés de l'histoire, se ressentent comme étant de trop dans la société. La vie devient alors invivable. Il y a comme une anémie du travail, un désoeuvrement du salarié, qui vaut pour le chômeur, mais aussi pour le travailleur en exercice. Un jeune philosophe, Guillaume Leblanc, abordant ce même problème, dit que, dans ces conditions, c'est « renoncer à la mobilité de la vie », c'est « mettre entre parenthèse l'idée même de vie », et « le moi qui en résulte est alors un moi congelé, au bord du rien, un quasi-rien ». Sont alors « désertés les désirs créateurs au profit des désirs reproducteurs », c'est « la victoire de l'état sur le devenir, de l'identité sur la différence ».

Les hommes et les femmes ressentent cela comme un mépris social, une humiliation, une blessure, un déni de reconnaissance. L'homme, la femme sont comme bloqués dans leur possibilité d'existence.

Or le travail de l'artiste est d'explorer les possibilités de l'existence. On voit que là gît comme une sorte d'impossibilité de résonance entre le travail blessé et la création artistique qui n'a plus de destinataire. Là intervient cette pensée forte, à mon sens prodigieuse, fabriquée par René Char, comme un mot de passe entre travailleur et artiste : « L'inaccompli bourdonne d'essentiel ».

Braque parlait de « l'inachevé de chaque acte artistique » ; il ajoutait que son « travail était une série d'actes désespérés qui permet l'espoir ». C'est une sacrée rencontre dont Yves Clot dit le fond : « La seule manière de défendre son travail, c'est aussi de l'attaquer. Faisons-le ensemble. Au nom du travail. C'est un signe de santé. Soyons au rendez-vous ! »

S'il fallait une illustration, l'Assemblée nationale en débat actuellement. Il faut réhabiliter le travail, dit-on, et cela se limite à un néo-stakhanovisme. Mais même les heures de non-travail, qui sont souvent contaminées par la maladie du travail, sont considérées comme en trop par le MEDEF, qui n'aménage pas les 35 heures, comme dit M. Raffarin, mais qui veut les déménager !

Dans sa soif de rentabilité immédiate, le MEDEF, qui prétend jouer un rôle politique, devrait réfléchir qu'à trop tirer sur la corde elle se casse. J'ai été frappé par un article d'Eric Le Boucher dans Le Monde du 21 janvier intitulé : « Le capitalisme mourra-t-il de la baisse tendancielle du taux de motivation ? »

Mme Michelle Demessine. Tout à fait !

M. Jack Ralite. Le désamour et le désenchantement des salariés, dont les cadres, commencent à peser dans la vie de l'entreprise. Cette dernière dit chercher des personnels efficaces et non pas des personnels motivés ; elle préfère le client au salarié, oubliant que, souvent, c'est une même personne.

Le débat sur le contenu du travail est ouvert : il faut le pousser jusqu'au bout, et c'est ce qu'ont bien compris les salariés de Renault-Le Mans refusant la fermeture de leur bibliothèque, par le bradage des livres à 2 euros pièce, puis à un euro pièce, puis à zéro euro pièce ! Aujourd'hui, cette vente - c'est un premier succès - est suspendue, mais, et heureusement, les militants CGT avaient emprunté 11 000 livres, une sorte de dépôts et consignations, de mont-de-piété, sauvegardant le fonds.

M. Ivan Renar. Très bien !

M. Jack Ralite. Les bradeurs disent que les salariés préfèrent le jardinage ! Qui peut être contre le jardinage ? Mais, comme le disait ironiquement un chercheur en histoire du livre et des lecteurs que j'ai retrouvés au Mans, « quand on toilette un fonds de livre, on parle de désherbage ».

Désherbage, jardinage ! Je suis pour le jardinage et, en même temps, pour avoir dans mon jardin de l'esprit toutes les fleurs du monde, c'est-à-dire la diversité culturelle, par quoi je souhaite terminer ce propos.

C'est une immense bataille, commencée sous d'autres noms, il y a longtemps.

En octobre 1999, les ministres européens de la culture ont remplacé « exception culturelle » par « diversité culturelle ». J'ai toujours été très réservé sur cette mutation du langage. Avec le mot « exception » - que vous avez d'ailleurs prononcé tout à l'heure, monsieur le ministre, jumelé à « diversité culturelle » -, on savait ce dont il s'agissait : la culture et les arts n'étaient pas une marchandise. C'était garantir, ou commencer de garantir, un statut de la pensée, de la recherche, de la création, et on s'est battu avec de sérieux résultats.

La directive « télévision sans frontière », le GATT, l'AMI, le prix unique du livre et, plus anciennement en France, le fonds de soutien du cinéma, mais - allons plus loin - la sécurité sociale et, plus anciennement encore, l'école gratuite, laïque et obligatoire sont des exceptions culturelles.

Les grands bourgeois républicains de la fin du xixe siècle, qui ne répugnaient pas au profit, savaient qu'il valait mieux traiter l'école comme un bien public.

J'ai participé activement à tous les combats depuis la directive « télévision sans frontière » ; je continue, mais la diversité culturelle est un concept flou. Je rappellerai que Jean-Marie Messier s'était écrié des Etats-Unis : « Enfin, on en a fini avec l'exception culturelle », qu'il réduisait à l'exception culturelle française, et le grand commerçant qu'il croyait être avait lancé en même temps : « Vive la diversité culturelle ! »

Aujourd'hui, nous sommes à une étape décisive. Beaucoup se sont mis d'accord sur la création d'un lieu ayant la responsabilité de la gestion de la culture, et l'UNESCO a été choisie.

On savait que ce serait difficile, l'UNESCO étant plutôt molle qu'énergique, et on savait, les Etats-Unis y revenant avec une participation au budget de 25 %, que ce ne serait pas de tout confort.

Dès hier, la séance d'ouverture, avec une présence abondante d'Etats, était l'occasion de se féliciter des débats dans de nombreux pays, d'une sorte de forum international.

Pourtant, après les discours d'accueil, les Etats-Unis n'ont pu se retenir. On discutait des objectifs et on avançait deux mots : « protection » et « promotion ». Les Etats-Unis déclarèrent s'opposer fermement à la « protection » parce que c'était un retour au protectionnisme. C'est une lecture audacieuse quand on sait qu'ils tiennent 72 % du marché européen du film, alors que les films du monde entier autres qu'américains ne bénéficient aux USA que d'un marché de 3 %.

Certes, il leur fut répondu, avec une calme résolution, par le Mexique : « Le mot protégé n'a pas de connotation commerciale » -, par le Brésil : « On ne peut promouvoir ce qu'on ne protège pas » -, par l'Argentine, par le Guatemala, les Barbades, la Bolivie, Haïti : « Protéger, c'est nécessaire pour qu'il y ait survie et, promotion, pour qu'il y ait diffusion.»

Les Etats-Unis n'eurent que deux soutiens : la Thaïlande et l'Equateur !

Mais ce qui stupéfia, ce fut l'intervention de l'Europe, le Luxembourg étant son porte-parole unique ; son représentant soutint l'idée de promotion, et ajouta : « Quant à la protection, j'écoute le débat. »

Certes, aussitôt, le représentant de notre ministère des affaires étrangères alla le sermonner - et c'est bien ! - mais, pour l'immense assemblée, l'Europe est apparue en cet instant comme irrésolue et mettant, dès le premier jour de la négociation, de l'eau dans son vin, c'est-à-dire contribuant à créer des conditions de non-succès.

Pourtant, on ne peut pas dire que, dans le texte, le radicalisme règne. Evoquons l'article 19 sur les relations avec les autres instruments.

Il y a une variante américaine, la variante B, selon laquelle : « Rien dans la présente convention ne modifie les droits et obligations des Etats parties au titre d'autres instruments internationaux existants. » Autrement dit, bavardons, bavardons - je devrais dire : écoutons, écoutons -, mais l'OMC est inexpugnable.

La variante A, plus européenne celle-ci, dont je ne cite que la deuxième partie, la première - il s'agit des droits d'auteur - faisant l'unanimité, est la suivante : « Les dispositions de la présente convention ne modifient en rien les droits et obligations découlant pour un Etat partie d'un accord international existant, sauf si l'exercice de ces droits ou le respect de ces obligations causait de sérieux dommages à la diversité des expressions culturelles ou constituait pour elle une sérieuse menace. »

Je trouve que c'est du genre « texte pompier ». Rien ne bouge, sauf s'il y a un danger, mais qui le constatera et comment, qui corrigera et comment, qui appliquera et comment ? Aucune sanction n'est prévue. Pourtant, ici ou là, on ne s'accroche pas à ce texte, qui était un texte a minima, au nom de la souplesse, de l'ouverture, pour rassembler, voire pour avoir l'unanimité.

Est-ce mon expérience sociale ? En tout cas, je ne vais pas dans une négociation salariale en disant au partenaire patronal : « Je demande un euro de l'heure de mieux, mais, si vous souhaitez ne me donner que 20 % d'un euro, on peut voir ! »

Il faut aller à cette négociation avec une position claire, et je propose pour ma part une autre rédaction de la variante A : « Les dispositions de la présente convention prévalent sur les droits et obligations découlant pour un Etat partie d'un accord international existant, si l'exercice de ces droits ou le respect de ces obligations entravaient de quelque manière la diversité des expressions culturelles. »

Entre nous d'ailleurs, la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 précise que, entre deux traités entre deux Etats, le traité qui prévaut est le traité postérieur.

J'appelle tous ceux qui sont concernés par l'issue de la convention de l'UNESCO, qui doit intervenir lors de l'assemblée générale en 2005, à renforcer leur action et à faire preuve de fermeté.

Bien sûr qu'il faut chercher le plus large rassemblement, mais j'ai eu hier le retour du projet de convention après sa lecture par les Américains : je ne suis pas méchant, mais je suis obligé de dire que, sur les 307 lignes que compte le projet de convention, les Etats-Unis en récusent, totalement ou en partie, 198, c'est-à-dire les deux tiers !

On ne peut pas oublier non plus que, au même moment, il y a la directive européenne Bolkstein, qui, par la notion de « pays d'origine », favorise un pavillon de complaisance culturel en Europe, ce qui est nier le respect de la pluralité.

MM. Robert Hue et Ivan Renar. Très bien !

M. Jack Ralite. Voilà, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les points que je souhaitais développer. Bien sûr me préoccupe aussi profondément la concentration des médias qui touche le spectacle vivant parce qu'une tache d'encre sur un papier buvard occupe rapidement plus de place que son point d'impact.

M. Chirac vient d'ailleurs de créer une commission avec comme perspective, selon Le Figaro, de limiter les possibilités de participations croisées dans la construction d'entreprises multimédias, qui, ces derniers mois, se sont multipliées, notamment dans la presse et l'édition, deux secteurs utiles à la démocratie et ayant besoin du pluralisme, mais en l'occurrence massivement investis par des grands groupes industriels et financiers dont ils devraient être des contrepoids de réflexion et d'esprit critique.

Le président de notre commission des affaires culturelles, M. Jacques Valade, a convoqué un colloque sur cette question le 9 juin. Il nous faudra donc préparer ce colloque, là aussi en nous mettant sur un terrain de vérité, c'est-à-dire en faisant de l'exception la règle, terrain de vérité urgemment nécessaire - j'y reviens - pour les intermittents.

Je crois profondément que le temps est venu de publier un projet de loi afin de donner aux intermittents, que je sens blessés, un moyen d'action.

Je crois que le temps est venu de voir M. Borloo prendre ses responsabilités à vos côtés, monsieur le ministre. C'est son prédécesseur qui a donné l'agrément au protocole, et il n'a pas écrit une ligne sur les intermittents dans son projet de loi de programmation pour la cohésion sociale ! Il ne sera pas dit, ni fait, que ce combat, qui a traduit le grand malaise culturel dans notre pays, soit laissé de côté, et pour lui, pour eux, comme pour les trois grandes questions que j'ai abordées, je dirai, comme Péguy, à chacune, à chacun :

« Il ne vous manque rien

« Il vous manque encore ceci

« Il ne vous manque plus que ceci

« Mais il ne manque pas moins

« Il vous manque encore ceci »

Et « ceci », ce sont ces pensées de René Char : « La réalité ne peut être franchie que soulevée », « méfie-toi de ceux qui se déclarent satisfaits parce qu'ils pactisent », « notre héritage n'est précédé d'aucun testament. » (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Thiollière.

M. Michel Thiollière. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, d'entrée de jeu, je crois pouvoir dire que c'est une chance que d'avoir, aujourd'hui, au Sénat, ce débat qui sera profitable à la culture dans notre pays. Si nous devons naturellement cette chance à l'institution au sein de laquelle nous siégeons, nous vous la devons également, monsieur le ministre, et je voudrais à cet égard saluer votre détermination, votre implication personnelle et votre volonté de dialogue et pour élaborer une politique publique utile à l'avenir de notre pays.

Si ce débat a lieu, c'est naturellement parce que nous l'avons souhaité avec vous. C'est aussi, d'une part, parce que, avec Jacques Valade et la commission, nous travaillons depuis maintenant des mois afin de trouver des solutions aux problèmes que nous rencontrons, d'autre part, parce que le Sénat est un acteur culturel important, compte tenu des colloques et des expositions qu'il organise.

Ce débat, utile pour notre pays - j'y insiste - intervient à un moment de notre histoire où notre place et notre avenir sont remis en cause dans un monde, à la fois inquiet et mobile, dans lequel la culture et la création posent question et peuvent se trouver en difficulté.

Ce monde dans lequel nous vivons comporte, bien entendu, des risques : un risque d'uniformisation, lié à une sorte de dictature de l'éphémère, un risque de domination d'une puissance empêchant l'apparition d'autres cultures, voire d'une forme de tyrannie du marché interdisant l'émergence de cultures moins bien dotées. Ce monde à risques offre aussi de nombreuses chances : une large ouverture, y compris au-delà des frontières ; une grande fluidité, notamment grâce aux nouvelles technologies et à l'apparition tant de nouvelles formes culturelles que de ce que l'on pourrait appeler, en passant sur le choc des mots, « la contamination démocratique », qui peut nous aider à développer notre forme de culture et notre République bien au-delà de notre territoire.

Face à ce monde inquiet et mobile, la culture est, d'une certaine manière, une urgence nationale et internationale. Il est urgent de permettre tant à l'artiste qu'au spectacle de trouver leur place et il nous appartient donc de nous donner les moyens de conduire une politique publique nouvelle afin de mieux servir la culture dans notre pays.

L'artiste dit en permanence le mal-être en même temps que l'espoir : d'abord, parce qu'il est acteur et qu'à ce titre il peut à la fois jouer avec le progrès et être confronté  à d'insupportables entraves ; ensuite, parce qu'il est un « éveilleur » qui énonce sa confiance en l'homme et en l'humanité ; enfin, parce qu'il est un éclaireur qui propose des chemins, quand bien même ils ne sont pas parfaitement balisés.

Outre les risques qu'il court dans notre pays, l'artiste est en but à la précarité, à la marginalité et, pire encore, peut-être, à l'indifférence. Si nous voulons lui donner toute sa place dans la société pour qu'il nous aide, comme le disait Gombrowicz, à passer de « l'immaturité à la maturité », nous avons besoin d'une vraie politique publique. L'artiste est, en effet, porteur de valeurs non seulement culturelles, mais également sociales et économiques : il suffit de voir combien la France exporte grâce à sa culture et à l'image que se font d'elle bon nombre de pays à travers le monde pour mesurer à quel point il est culturellement urgent de placer l'artiste au coeur de la cité.

Nous lui devons, cela va de soi, un statut, mais plus encore la garantie de ses droits, notamment au moment où l'interférence du piratage se traduit par une perte des droits d'auteur et du travail, dont notre collègue Jack Ralite vient de faire état.

Pour ce qui est du spectacle, il répond, de longue date, à une nécessité, mais aussi à une envie : il faut que la public ait envie d'aller au spectacle et que le spectacle ait envie d'aller au-devant de nouveaux publics. Il faut donc, dans nos cités et nos régions, qu'il soit multiple et diversifié et qu'il finisse, au rythme des nouveaux publics qu'il conquiert, par irriguer tout le territoire.

Le spectacle, outre qu'il favorise l'accès à la modernité, que ce soit avec « les nouveaux territoires de l'art » ou les nouvelles technologies qui génèrent de nouvelles formes artistiques ou culturelles, offre une ouverture sur notre société qui est une société des métissages entre les cultures, les traditions, les histoires, les générations, les technologies et les formes artistiques.

Il fournit aussi l'occasion, dans un monde où l'éphémère prédomine, de redonner toute sa densité au temps de la vie et peut-être, tout simplement, au « temps retrouvé » de la vie, tant personnelle que collective.

Le spectacle donne également un sens à une expression collective contemporaine permettant l'émergence de nouvelles formes et de nouvelles pratiques républicaines. Le théâtre est, d'une certaine manière, la métonymie de la République et, de ce point de vue, il peut nous permettre d'imaginer de nouvelles formes démocratiques et de nouvelles pratiques républicaines.

Le spectacle, c'est encore la nécessité d'un aménagement du territoire bien compris : nous ne pouvons pas envisager, dans notre pays notamment, que les régions les plus riches aient des spectacles et que les plus pauvres n'en aient pas, que les villes mieux dotées puissent proposer des spectacles de meilleure qualité que les autres.

C'est la raison pour laquelle nous avons d'abord besoin d'un vrai partenariat « public-public » entre l'Etat et les collectivités pour bien aménager, non seulement notre territoire national, mais également nos villes, notamment à travers la cohésion sociale et ce que l'on appelle «  la politique de la Ville », qui consiste à redonner du sens aux hommes et aux femmes de nos quartiers qui ont bien du mal à se repérer dans la société. Dès lors qu'une ville ou une région française propose des spectacles, elle renforce la cohésion sociale, elle donne du sens à la République et elle fait naître espoir chez les plus démunis d'entre nous, notamment chez les plus jeunes, qui éprouvent bien des difficultés à trouver leur place dans notre société.

Il est vrai néanmoins que la création est un acte fort qui dérange, et que créer c'est livrer un combat en faveur de l'émergence de nouvelles formes et de nouvelles pratiques.

Pour répondre à cette double nécessité de donner à l'artiste sa place dans notre société et de proposer des spectacles sur l'ensemble du territoire, il nous faut imaginer de nouvelles politiques publiques. A travers le maquis des aides, des procédures, en dépit de certains risques de dérapage, des difficultés liées à la mise en place de la décentralisation en matière de spectacle et de culture avec des formes plus ou moins abouties de partenariats publics-privés, et compte tenu de la mondialisation qui touche toute la société, je serais enclin à proposer une « nouvelle chronologie de la création », au sens où l'on parle de la «  chronologie des médias ».

Elle prendrait en compte à la fois l'espace et le temps, c'est-à-dire la nouvelle géographie de même que le nouveau temps du monde. On verrait alors se dessiner une sorte de colonne vertébrale autour de laquelle se structurerait une nouvelle politique publique. Elle inclurait l'éveil - nous avons tous en tête des images de classes de jeunes enfants allant au théâtre ou assistant à des représentations « jeune public » - ; les formations, notamment par le biais des écoles ou des conservatoires qui forment tant les amateurs que les professionnels ; la création, avec tout ce que nous proposons en termes de résidence pour artistes ; la production, avec, par exemple, pour les artistes les plus jeunes et les plus nouveaux, la réalisation d'un premier CD ; l'émergence, grâce aux studios de théâtre ou de musique, de nouveaux artistes, et la diffusion.

S'agissant de cette dernière, vous nous avez rappelé, monsieur le ministre, que nous faisions fréquemment appel à vous et il est vrai que nous avons besoin du soutien de l'Etat pour créer des scènes de musiques actuelles - SMAC - des « Zénith », des théâtres, pour réhabiliter nos salles de théâtre un peu partout sur le territoire et offrir ainsi des lieux de diffusion là où le besoin s'en fait sentir.

La diffusion passe aussi par les télévisions publiques, qui ont un rôle éminent à jouer pour diffuser, au-delà des périmètres qu'elles desservaient jusqu'à présent, ces spectacles qui coûtent tant d'énergie, de travail et d'argent à nos concitoyens et aux contribuables.

Derrière tout cela, se joue le rayonnement culturel, qui dépasse tous les clivages et qui sert notre pays. En nous rendant à l'étranger, nous sommes nombreux à constater l'impact de la culture française et à mesurer à quel point est attendue l'image de cette France nouvelle, de la nouvelle culture française que vous avez évoquée précédemment à propos de « l'année de la France » en Chine.

Ces initiatives et ces impulsions appellent donc de nouvelles politiques publiques permettant de tisser de nouveaux liens entre les publics et les artistes, à travers des partenariats, dans un dialogue constructif, au sein de nouvelles collégialités.

De ce point de vue, monsieur le ministre, vous pouvez compter sur nous pour être à vos côtés afin d'élaborer de nouvelles politiques publiques qui, après un toilettage des anciennes, permettront, à travers des contrats républicains clairs et grâce à des outils efficaces, de faire émerger l'urgence culturelle pour notre pays. Cela sera possible avec un Etat juste, impartial, qui tiendra son rôle, et se montrera un vrai partenaire des collectivités et des collectivités qui feront toute la place nécessaire à l'innovation, à la proximité et à l'attractivité. Nous ferons, en agissant de la sorte, oeuvre utile pour la culture dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'ouverture d'un débat national sur l'avenir du spectacle vivant est une initiative qu'il convient de saluer.

M. Charles Revet. Très bien !

M. Serge Lagauche. La politique de la France en matière culturelle est mondialement reconnue comme étant l'une des plus ouvertes à l'inscription de la culture et de ses activités dans un cadre financier et juridique qui échappe, pour partie, aux règles du droit commun de la concurrence. C'est le fondement même de l'exception culturelle française, qui refuse de considérer les oeuvres de l'esprit uniquement comme des prestations commerciales. A ce titre, la France s'est dotée d'une politique de soutien à la création et à la diffusion des oeuvres artistiques qui a fait ses preuves à de nombreux égards.

La vitalité de notre production musicale est exceptionnelle en Europe, le système des aides accordées par le Centre national de la cinématographie à la production, distribution et exploitation des films a permis au cinéma français de figurer parmi les plus dynamiques au monde et on compte aujourd'hui pas moins de 3 300 compagnies professionnelles de théâtre, de théâtre de rue, de danse, et de cirque.

Ce formidable foisonnement artistique repose sur la mise en place d'une politique culturelle consciente des caractéristiques spécifiques des activités qui en sont l'objet.

L'excellent rapport que Jean-Paul Guillot vous a remis, monsieur le ministre, nous enseigne que le secteur du spectacle vivant, de l'audiovisuel et du cinéma pèse à peu près vingt milliards d'euros et qu'il occupe environ 300 000 personnes, soit l'équivalent de l'industrie automobile .

Si ces éléments ont le mérite de mettre en perspective l'économie de ce secteur artistique par rapport à d'autres secteurs industriels, ne perdons pas de vue cependant qu'on ne fabrique pas une voiture comme on crée un spectacle vivant.

Ce qui est vivant est source de création et suppose donc un investissement personnel total et passionné de la part de ses protagonistes. Il faut le temps de l'écriture, du montage, de la répétition et enfin de la représentation et de la transmission.

Ce long travail de création et d'accompagnement de la création artistique jusqu'à sa représentation devant un public, c'est naturellement celui de l'artiste et du technicien, celui de l'intermittent du spectacle.

Le régime d'indemnisation du chômage des intermittents n'est donc pas un régime de faveur ; c'est bien un régime d'exception, adapté à une pratique discontinue devant le public, ce qui est l'essence même de toute activité artistique, mais continue dans la préparation des spectacles et dans la formation des artistes et des techniciens.

Le protocole d'accord du 26 juin 2003 a, comme chacun sait, modifié les annexes VIII et X de la convention UNEDIC en révisant à la baisse de nombreux droits sociaux des intermittents. La période de référence ouvrant droit à indemnisation a été ramenée de douze mois à dix mois pour les techniciens, à dix mois et demi pour les artistes ; de surcroît, la durée d'indemnisation a été réduite à huit mois, contre douze précédemment.

M. Aillagon et le MEDEF ont justifié cette attaque frontale contre la création artistique et ses protagonistes par le déficit généré par ce régime spécifique, estimé alors à 800 millions d'euros.

Plutôt que de dénoncer les abus qui entachent ce régime et d'y remédier en incitant, par exemple, certains employeurs à cesser d'avoir recours à des intermittents pour des tâches durables qui justifieraient la conclusion d'un véritable contrat de travail de droit commun, le Gouvernement a préféré agréer un protocole d'accord dont l'objet était de faire peser intégralement le déficit des annexes VIII et X sur les épaules de l'ensemble des intermittents.

Depuis votre arrivée aux affaires, vous avez multiplié les consultations et les rapports rédigés à votre demande se sont accumulés. Le dernier en date, celui de Jean-Paul Guillot, que j'évoquais il y a quelques instants, est venu confirmer la précarité de la situation dans laquelle se trouvent la majorité des intermittents, qui déclarent, pour plus de 50 % d'entre eux, moins de 600 heures de travail par an et qui, pour 80 % d'entre eux, ont un salaire un peu supérieur au SMIC.

Cette expertise, ainsi que les conclusions des missions menées respectivement au Sénat et à l'Assemblée nationale par Jacques Valade et Christian Kert, convergent toutes vers un même point : la réforme issue du protocole du 26 juin 2003 n'a en rien permis d'endiguer le déficit créé par le régime propre des annexes VIII et X. On ne peut être plus clair, monsieur le ministre : cette réforme a échoué, elle n'a pas atteint son but.

II faut donc que ce protocole soit abrogé. Alors seulement, il sera temps de réunir les partenaires sociaux et l'ensemble des acteurs concernés pour réfléchir à l'élaboration d'un nouveau texte.

Vous essayez de gagner du temps et de colmater les brèches. La circulaire UNEDIC du 18 mai 2004 a rétabli, pour les femmes enceintes, la prise en compte du congé de maternité dans le calcul des 507 heures travaillées. Vous avez créé, en juillet de la même année, un fonds provisoire dont la vocation était de réintégrer, au titre de l'année 2004, les 13 000 intermittents sortis du système d'indemnisation du fait de l'entrée en vigueur de l'accord du 26 juin.

Cette initiative s'est malheureusement soldée par un échec puisque, sur les 80 millions d'euros annoncés au titre de ce fonds, seuls 2 millions ont été effectivement distribués à environ 1 600 intermittents.

Pour pallier les lacunes du fonds provisoire, vous avez mis en place, depuis le 1er janvier dernier, un fonds transitoire dont vous voudriez qu'il « préfigure en chacune de ses modalités les éléments d'un système pérenne et marque une étape vers un nouveau système ». Ce sont les termes mêmes du discours que vous avez prononcé lors du dernier Conseil national des professions du spectacle, le 17 décembre dernier.

S'il est vrai que ce fonds a permis d'opérer quelques avancées, dont le rétablissement à douze mois de la période de référence pour effectuer les 507 heures, la logique du protocole du 26 juin 2003 demeure la même, et ce sont chaque jour des dizaines d'intermittents qui continuent de sortir du système d'indemnisation et de s'enfermer dans la précarité.

Toute la philosophie de ce protocole et des aménagements que vous ne cessez d'y apporter pour en limiter les effets pervers demeure axée sur la résorption du déficit des annexes VIII et X de la convention UNEDIC, par le biais de la limitation des droits sociaux des intermittents.

Ce n'est pas la bonne méthode et vous le savez, monsieur le ministre. Les conclusions du rapport Guillot, dont vous vous êtes largement inspiré afin de déterminer votre programme d'action pour les mois à venir, sont sans équivoque. La réduction du déficit généré par le régime d'assurance chômage des intermittents passe par la mise en oeuvre d'une politique forte en faveur de l'emploi culturel, qui devra s'efforcer de relever la part des emplois permanents et des structures pérennes du secteur.

La durée moyenne de travail annuel rémunéré ainsi que la durée moyenne des contrats des intermittents devront également être augmentées.

Cela ne signifie pas pour autant que les annexes VIII et X de la convention UNEDIC ne doivent pas être réformées, mais cette réforme doit venir en complément de la mise en oeuvre préalable d'une politique de l'emploi culturel, adaptée aux spécificités des pratiques de travail des artistes et des techniciens.

C'est pour cette raison que, conformément aux souhaits exprimés unanimement par l'ensemble des membres du comité de suivi sur la réforme de l'assurance chômage des intermittents, nous demandons l'abrogation du protocole du 26 juin 2003, par souci de cohérence politique et de justice sociale.

Pour mener à bien une politique de l'emploi culturel, il est indispensable que l'Etat cesse de se désengager en la matière, comme il le fait actuellement.

Les collectivités territoriales contribuent aujourd'hui aux deux tiers des financements publics de la culture et ce n'est pas le budget de la culture pour 2005 qui viendra inverser cette tendance.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Il est en augmentation de 6 % !

M. Serge Lagauche. Outre le budget général de votre ministère, qui est passé sous la barre symbolique de 1 % du budget de l'Etat, les crédits affectés à périmètre constant à l'architecture, au patrimoine, à la danse, à la musique et au spectacle sont tous en baisse.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. C'est faux !

M. Serge Lagauche. Une fois de plus, les collectivités territoriales vont être mises à contribution pour compenser ce désengagement chronique de l'Etat, ce qui sera extrêmement difficile compte tenu des charges transférées sans compensation face aux réels besoins. (M. le ministre s'exclame.)

C'est pourquoi la mise en oeuvre par les collectivités locales d'une politique efficace en direction de l'emploi culturel ne pourra se faire sans un soutien financier de l'Etat et sans une réforme structurelle des actions menées aux divers échelons territoriaux.

Comme l'a souligné Michel Françaix à l'Assemblée nationale, la question de la décentralisation de la politique culturelle se pose aujourd'hui avec acuité. Quel rôle joueront les régions et les collectivités locales ?

Le rôle des directions régionales des affaires culturelles, les DRAC, devra être clarifié, tout comme il sera nécessaire de mettre en place un système d'observation et de collecte d'informations sur le spectacle vivant, permettant une meilleure lisibilité des responsabilités des différents partenaires.

D'autres efforts de structuration des secteurs d'activités culturels peuvent également être envisagés. Par exemple, comme le suggère la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, la SACD, des réseaux reliant plusieurs scènes publiques ou privées pourraient être mis en place. Cela permettrait d'assurer aux oeuvres une garantie de diffusion qui dépasse la moyenne actuelle de neuf représentations, contribuant ainsi à l'élargissement et à la diversification du public.

On pourrait également envisager, comme cela a été suggéré à l'Assemblée nationale, une mutualisation des moyens des micro-entreprises du spectacle.

Voilà, parmi tant d'autres, quelques-unes des pistes qu'il conviendrait d'examiner en profondeur, dans le cadre du lancement de la politique de soutien à l'emploi culturel que vous souhaiteriez matérialiser lors de futurs accords que vous appelez déjà « accords de Valois ».

Votre gouvernement a, par ailleurs, fait part de ses intentions de développer les enseignements artistiques mais, depuis son arrivée aux affaires, il n'a de cesse de revoir à la baisse les crédits et les personnels enseignants affectés au plan Tasca-Lang de revalorisation de l'éducation artistique à l'école. L'accès de tous les jeunes à la connaissance et à l'apprentissage des arts constitue pourtant l'un des fondements de la démocratie culturelle. Il s'agit là d'un enjeu majeur de sensibilisation à l'art et de formation de l'esprit critique de nos jeunes concitoyens.

Il faut encourager fermement la promotion de l'éducation et de la pratique artistique dans les établissements scolaires et universitaires. Malheureusement, M. Fillon ne semble pas vouloir se doter des moyens nécessaires pour parvenir à cet objectif. Les vertus formatrices et pédagogiques de l'éducation artistique et culturelle sont pourtant reconnues comme fondamentales par les enseignants. C'est pourquoi il faut cesser d'opposer les activités artistiques et culturelles aux apprentissages fondamentaux de l'école.

Il est par ailleurs inacceptable que les artistes qui souhaitent participer aux côtés des enseignants aux projets, activités et enseignements artistiques se voient refuser par les organismes sociaux la reconnaissance de la nature artistique de leurs interventions.

Permettez-moi, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de vous lire quelques lignes de l'appel lancé par l'Association nationale de recherche et d'action théâtrale : « Nous demandons que soit reconnue, par l'UNEDIC et les autres partenaires sociaux, la nature artistique du travail des artistes intervenant dans le cadre scolaire. L'essentiel est l'objet du contrat : " prestation artistique " et non " enseignement ". Il s'agit de bien qualifier d'" activité artistique " l'intervention partenariale à l'école. En ce qui concerne les artistes intermittents du spectacle [...], il est demandé que soient prises en compte un minimum de 120 heures, jusqu'à concurrence de 169 heures, sur les 507 heures actuellement requises pour donner accès à l'ouverture des droits de ces artistes à l'assurance chômage. »

Pour conclure, il m'apparaît essentiel d'éveiller le sens artistique non seulement des plus jeunes mais aussi des moins jeunes, par le biais des comités d'entreprises ou des universités inter-âges, qui sont aussi des facteurs de démocratisation de la culture, mais encore et surtout de pérenniser le principe de l'intermittence. Il s'agit là d'une condition fondamentale de la survie de l'exception culturelle française et de notre rayonnement artistique au plan international.

Un sérieux combat est à mener tant au niveau de la France que de l'Europe, étant donnée la menace contenue dans la directive Bolkestein, dont vous devriez être le premier, monsieur le ministre, à appuyer le rejet auprès du Gouvernement et, plus particulièrement, auprès de M. Chirac.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Mais je le suis !

M. Serge Lagauche. Monsieur le ministre, je ne suis pas là pour vous inonder de compliments ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Henri de Raincourt. C'est dommage, car il les mérite !

M. Charles Revet. Vous aviez pourtant bien commencé !

M. Serge Lagauche. Mais vous, mes chers collègues de la majorité, vous le faites suffisamment !

M. Jean-Claude Gaudin. Je vais le faire !

M. Serge Lagauche. N'oublions pas qu'en ce moment même s'élabore, sous l'égide de l'UNESCO, un projet de convention qui tend à la reconnaissance de la spécificité des activités culturelles et de la légitimité de leur traitement particulier.

Je souhaite que cette reconnaissance internationale des objectifs d'intérêt général supérieurs que sont la liberté d'expression, le pluralisme des médias et la diversité culturelle puisse inspirer le ministère de la culture et de la communication dans la redéfinition de ses actions à l'égard du spectacle vivant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Gaudin.

M. Jean-Claude Gaudin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans toute société, la culture est un facteur déterminant. Elle englobe les arts et lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'homme, les systèmes de valeur et, bien sûr, la créativité, la recherche d'identité et l'acceptation de l'autre.

De nos jours, le rôle de la culture en France doit être réaffirmé. En effet, la culture contribue au maintien de l'équilibre entre les différentes communautés installées sur le territoire national et s'inscrit dans le cadre du développement durable en tissant un lien social entre celles-ci. Nous le savons, la culture est un juste et tangible rempart contre les fanatismes.

Monsieur le ministre, je partage et soutiens l'action que vous conduisez avec beaucoup de conviction et de qualités.

Cette action porte, d'une part, sur la mise en oeuvre d'une politique visant à la protection et à la diffusion du patrimoine à la fois monumental, écrit, cinématographique, linguistique ou visuel et, d'autre part, sur la création artistique, par un soutien affirmé aux oeuvres de création et l'encouragement à la diversité culturelle, aux secteurs d'intervention et à la création contemporaine, maintenant ainsi un équilibre nécessaire entre tradition et modernité.

Elle porte aussi sur la démocratisation de la culture, avec l'effort consacré à la répartition des équipements culturels nationaux implantés partout en France, le soutien aux structures, associations et compagnies culturelles, ainsi que la collaboration accrue avec les différentes collectivités pour la délocalisation des équipements nationaux.

De même, monsieur le ministre, vous avez su réagir et adapter l'action ministérielle aux évolutions économiques inévitables que connaît le secteur culturel, en les accompagnant de mesures de longue haleine, courageuses et nécessaires, notamment en faveur des intermittents du spectacle, dont on a beaucoup parlé cet après-midi.

Ainsi, à Marseille, où se tournent environ 120 films par an, courts métrages ou autres, nous accordons toutes les aides et l'assistance que l'on nous demande, à condition que soient embauchés sur ces tournages les intermittents de Marseille et de Provence en général.

Vous avez su renouer les fils du dialogue, répondre aux situations les plus urgentes et construire un nouveau système plus juste, même s'il n'est pas encore parfait.

Monsieur le ministre, des intermittents, vous avez quelquefois « secoué » le MEDEF : vous avez eu raison de le faire et nous vous y avons souvent encouragé !

Vous avez également agi en faveur des institutions culturelles et du patrimoine artistique français, par une ouverture aux initiatives extérieures et aux fonds privés, comme en témoigne la loi relative au mécénat, aux associations et aux fondations du 2 août 2003, mais aussi en matière de protection des droits d'auteur et de la propriété littéraire et artistique, en faveur des industries culturelles, et sur bien d'autres sujets encore.

D'une manière générale, le ministère de la culture assure un rôle de régulateur et de « veille culturelle » fondamental. Il est un partenaire important et présent. Notre commission des affaires culturelles, en la personne de son éminent président, Jacques Valade, vous le rappelle régulièrement et vous savez nous écouter.

Monsieur le ministre, nous vous remercions pour votre capacité d'écoute et de prise en charge des différentes questions posées par le monde culturel, pour votre présence régulière dans les villes de France, auprès des partenaires et des acteurs culturels, et pour l'énergie que vous déployez à l'occasion de ces différentes missions.

Votre présence, demain, à Marseille, (Exclamations sur les travées de l'UMP) ...

M. Charles Revet. C'est un geste de reconnaissance ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Gaudin. ... montre l'intérêt que vous portez à l'action culturelle de nos cités et, plus particulièrement, à celle de la deuxième ville de France, capitale régionale et euroméditerranéenne. En effet, vous suivez attentivement les actions développées dans la cité phocéenne et votre ministère participe financièrement à de nombreux projets. (M. Serge Lagauche sourit.)

Les financements du ministère de la culture vont aussi bien à nos services culturels municipaux, à l'Opéra, au Conservatoire, à l'Ecole supérieure des beaux-arts, pour leur fonctionnement annuel, qu'aux structures associatives telles que le Théâtre national de la Criée, la scène nationale du Merlan, le Ballet national de Marseille et l'Ecole nationale supérieure de danse et d'autres scènes encore, ainsi que les arts de la rue que vous visiterez demain. Nous avons, en effet, acheté une usine désaffectée que nous leur avons immédiatement donnée. C'est là que vous prononcerez demain un important discours, monsieur le ministre.

La direction des Musées de France a honoré les musées marseillais du prestigieux label « Musées de France » et les aide régulièrement à compléter leurs collections par l'acquisition d'oeuvres, par le transfert de propriété, par des dons, par des dépôts ou par des actes de préemption lors des ventes publiques.

Les financements ministériels ont permis de faire sortir de terre l'équipement majeur de lecture publique qu'est la bibliothèque de l'Alcazar. D'une superficie de vingt mille mètres carrés, elle propose un million d'ouvrages et reçoit chaque jour 10 000 visiteurs, dont les enfants des quartiers. Ils viennent y recevoir une assistance pour les devoirs qu'ils ne peuvent pas trouver chez eux. Cette réalisation, nous vous la montrerons.

Nous vous ferons découvrir également le pôle « patrimoine », avec les Archives communales, le nouveau Centre de conservation et de gestion des collections muséales et le Centre interrégional de conservation et de restauration du patrimoine, ainsi que d'autres pôles.

Bien évidemment, j'écoutais tout à l'heure notre éminent collègue, Serge Lagauche.

M. Eric Doligé. Deux poids, deux mesures !

M. Jean-Claude Gaudin. Monsieur Lagauche, comment concevoir que le conseil général des Bouches-du-Rhône ne finance plus l'Opéra, alors que les actions pédagogiques qui y sont développées depuis cinq ans maintenant visent principalement des classes de collégiens ? (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Quelle horreur !

M. Jean-Claude Gaudin. Comment accepter que le conseil général des Bouches-du-Rhône ne participe pas au financement de l'Ecole supérieure des beaux-arts, le seul établissement d'enseignement artistique du département ? (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Pour eux, ce n'est pas une priorité !

M. Jean-Claude Gaudin. Vous vous plaignez que l'Etat ne vous aide pas, mais le conseil général n'accorde pas un sou pour le Conservatoire national de région ! Heureusement que, dans d'autres départements, les éminents présidents de conseils généraux qui siègent ici ne suivent pas la même politique ! Cela étant, il donne quand même 1 500 euros au titre de la remise des prix de fin d'année, assortis d'une médaille, bien entendu à son effigie ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Monsieur Lagauche, le conseil général ne verse plus de subvention à la Cité de la musique. Il ne verse rien, non plus, au Ballet national de Marseille, pas davantage au festival d'été de Marseille, pourtant largement tourné vers l'autre rive de la Méditerranée.

Comme le disait un ancien maire de Marseille, ancien ministre : « Si l'Etat ne le fait pas, nous, nous le ferons ! » Moi, je dis : « Si les collectivités territoriales ne nous aident pas, nous le ferons quand même, nous, municipalité ! »

Puisqu'on parlait de chiffres, sachez que le budget de la culture a progressé, à Marseille, de 21 % en dix ans. Quant aux investissements, ils sont passés, durant la même période, de 33 millions à 40 millions d'euros.

Les objectifs sont donc multiples et variés. Je sens le président de séance sur le point de me faire comprendre que mon temps de parole va être dépassé. (Non ! sur les travées de l'UMP.)

Je voudrais tout de même rappeler que nous avons obtenu le prix Eurocités en 2002 pour notre politique exemplaire et que nous postulons pour le titre de « capitale européenne de la culture » en 2013.

Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre action et vous donne rendez-vous demain à Marseille pour la fête de la Chandeleur. Comme le sait M. Bret, cela commence par une cérémonie religieuse à six heures du matin, avec l'arrivée au port de Sainte Marie-Jacobé, Sainte Marie-Salomé et Sainte Marie-Madeleine, parties des Saintes-Marie-de-la-Mer en barque.

Vous arriverez un peu plus tard. Afin de venir vous accueillir, pour la première depuis quarante-trois ans que je suis élu à Marseille, je n'assisterai pas à la messe ! Mais je pense qu'on me le pardonnera ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte.

M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est difficile de succéder au brillant maire de Marseille, ancien ministre.

Culture, savoir, science, innovation, création : même démarche, même combat, même nécessité.

M. Ivan Renar. Oh là, là !

M. Pierre Laffitte. Il est naturel pour la commission des affaires culturelles du Sénat d'associer la science et la culture et ce n'est pas un hasard si, parmi les quinze orateurs, se trouvent douze membres de cette commission.

Lorsque je dirigeais l'Ecole des Mines de Paris, j'avais, dès la fin des années soixante, introduit parmi les enseignants plusieurs acteurs. En effet, j'étais conscient de la nécessité pour de futurs ingénieurs de se faire comprendre en ajoutant à l'écrit la parole, le regard et le geste. Cette démarche, tout à fait symbolique, mériterait d'être développé.

Pour fêter les vingt ans de Sophia Antipolis sur le thème Humanisme et modernité, les entreprises installées avaient accepté d'organiser une table ronde sur Art et gestion des entreprises.

Artistes et PDG réunis en ont tiré, outre des enseignements d'une certaine généralité, la certitude  que l'innovation artistique, scientifique et managériale serait, pour une grande part, de même nature. J'en étais personnellement convaincu, comme bon nombre de neurologues, car il semble que ce soit la même zone du cerveau qui soit sollicitée dans ces différents cas.

J'en viens à l'essentiel de mon propos : la précarité se développe chez les intermittents du spectacle, surtout parmi les jeunes troupes.

Comment lutter contre cette précarité ? Je voudrais, monsieur le ministre, explorer des solutions tendant à augmenter l'offre de travail, dimension fondamentale pour des gens au chômage partiel une grande partie de l'année.

Mon caractère pragmatique me pousse à rechercher des solutions dans le domaine qui m'est familier, pour y travailler depuis plus de quarante ans avec un certain succès, notamment en matière d'emplois et de création de richesses ; je veux parler de l'innovation. En effet, dans mon département - je m'exprime sous le contrôle de l'ancien président de région et actuel maire de Marseille - près de la moitié du produit intérieur brut, soit environ deux milliards d'euros par an, proviennent de l'innovation dans les hautes technologies.

Comment faire pour que les zones d'innovation contribuent à apporter un appui aux intermittents du spectacle vivant ? Je crois, pour ma part, que le talent de ces derniers peut, par exemple, être mis au service d'une mobilisation nationale en faveur de l'innovation et de la diffusion de la culture scientifique, au demeurant réclamée par une commission que je présidais et dont deux rapporteurs, M. Ivan Renar et Mme Marie-Christine Blandin, sont aujourd'hui parmi nous.

Poser la question en ces termes, c'est, bien sûr, y répondre : acteurs-nés, les intermittents du spectacle peuvent, grâce à leur adaptabilité, à leurs qualités d'artiste et à leur talent de conviction, contribuer à diffuser les innovations.

De même, les animateurs des milliers d'entreprises innovantes, les milliers de chercheurs qui découvrent de nouveaux procédés et qui doivent exposer leurs produits en vue de les diffuser ont besoin d'une assistance pour apprendre à communiquer. Ce genre de formation suppose des centaines, voire des milliers d'heures de travail.

La France a besoin d'étudiants et d'enseignants plus nombreux, qui connaissent mieux les sciences et les techniques. Encore faut-il qu'ils sachent s'exprimer. Or la communication vivante est plus efficace que les documents, si savants soient-ils ! Elle passe par une chaleur humaine communicative, celles dont ont besoin également les malades des hôpitaux, les enfants des écoles, des lycées et des collèges.

Si l'on considère l'ampleur de ces besoins, la multiplicité des lieux où de telles communications sont nécessaires, il apparaît que, en exploitant ces gisements non satisfaits, on arriverait sans doute à diminuer sensiblement le volume du chômage et le nombre des intermittents. Je vois là un nouveau domaine, certes pas très aisé à explorer, mais rien n'est trop difficile.

L'expérience montre qu'un acteur de théâtre peut être fier à un double titre : non seulement, il est un créateur qui diffuse une culture littéraire, sociale ou musicale, mais il peut aussi aider à faire aimer telle ou telle recherche en histoire ou en physique, telle innovation médicale susceptible de faire jaillir des étincelles d'intérêt chez les jeunes et les moins jeunes.

Ce sont autant d'actions dont l'utilité sociale est considérable et qui donneront à tous les artistes la satisfaction de se savoir aptes à dépasser leur domaine d'action traditionnel pour apporter une aide réelle au développement économique, culturel, industriel et commercial de la nation.

Les deux expériences significatives citées au début de mon propos pourraient être multipliées dans le cadre des services décentralisés de nos provinces. 

Monsieur le ministre, vous qui avez, en particulier, la tutelle de la Cité des sciences, pourquoi ne feriez-vous pas sillonner toute la France par quelques milliers de sciences-bus ? Vous auriez l'appui certain de nombreuses collectivités locales, d'entreprises, de quantités d'associations qui aspirent à participer de façon bénévole à ce genre d'actions.

Les artistes au service de la science et de l'innovation c'est possible ! Je crois donc, monsieur le ministre, qu'il faudrait explorer cette piste. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste).

M. le président. La parole est à M. Marcel Vidal.

M. Marcel Vidal. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré la vitalité du spectacle vivant dans notre pays et l'importance du réseau de diffusion existant, la crise profonde, née de la réforme d'assurance chômage des intermittents, qui a remis en cause le statut de l'intermittence, ne peut nous laisser indifférents. Cette crise nous amène à nous interroger sur l'avenir même de la création artistique et culturelle, et implique une refondation de la politique publique de soutien au spectacle vivant.

La signature du protocole d'accord du 26 juin 2003 a été à l'origine de ce conflit sans précédent dans le monde du spectacle.

En effet, l'objectif fixé par ce protocole ne semble pas avoir été atteint : le déficit des annexes VIII et X de la convention UNEDIC, si tant est qu'il puisse être sérieusement chiffré, n'a pu être endigué. Les fraudes et abus au système d'indemnisation de l'assurance-chômage des intermittents demeurent.

De surcroît, les inégalités se sont accrues : la précarité de nombreux intermittents du spectacle s'est aggravée. Chaque jour, depuis le protocole de juin 2003, plusieurs d'entre eux en ont fait les frais.

La conclusion apparaît alors simple et fait l'unanimité parmi les parlementaires de la majorité et de l'opposition : la renégociation d'un nouveau protocole d'accord s'impose d'urgence, c'est-à-dire sans attendre décembre 2005, comme cela avait été initialement prévu.

Plusieurs problèmes accentuent la complexité de la résolution du conflit, qui est, à l'origine, lui-même délicat à résoudre, il nous faut bien le reconnaître.

On peut les répertorier schématiquement en deux catégories. Les premiers se posent déjà depuis longtemps et demeurent toujours, hélas ! Les seconds se poseront dans un avenir proche.

A propos des premiers, on doit déplorer la confusion des chiffres, comme l'absence de statistiques permettant d'avoir des données chiffrées relativement précises et réalistes. Ce défaut «d'objectivité du nombre» ouvre la porte aux critiques erronées du système d'indemnisation chômage qui est remis en cause.

Alors qu'il est reproché au secteur d'avoir un régime fortement déficitaire, nous savons qu'en 2002 les intermittents représentaient 4,9 % de l'ensemble des chômeurs indemnisés, mais ne percevaient que 3,6 % des allocations chômage, ce qui relativise leur responsabilité dans le déficit global de l'UNEDIC.

Il est absolument nécessaire de se donner les moyens d'opérer un croisement complet des fichiers et de mettre un terme à l'opacité des comptes de l'UNEDIC. En effet, nous ne connaissons toujours pas, ce qui est fort étonnant dans notre société adonnée à l'informatique et aux nouvelles technologies, le montant des salaires réels et le nombre des cotisants non indemnisés. Les écarts entre les chiffres avancés par l'UNEDIC, d'une part, et par la Caisse des congés spectacles, d'autre part, perdureront tant qu'aucun croisement sérieux de fichiers n'aura été effectué, comme l'exige la transparence. J'en veux pour preuve l'excellent rapport rédigé par M. Guillot, que la commission des affaires culturelles a eu l'honneur d'accueillir et d'entendre voilà quelques jours.

Un autre problème contribue à la confusion ambiante caractérisant la crise de l'intermittence : celui du contrôle effectif et efficace des abus et des fraudes. Le manque de moyens consacrés à l'augmentation du nombre d'inspecteurs du travail est à déplorer. Pourtant, il est évident qu'un tel investissement financier de la part de l'Etat serait particulièrement efficace pour lutter contre les fraudes en matière d'indemnisation du chômage. Prendre cette mesure urgente concourrait de manière importante à la diminution du déficit.

Ce contrôle doit aller de pair avec une délimitation précise des catégories professionnelles pouvant relever du statut de l'intermittence du spectacle. Procéder à cette délimitation est incontournable si l'on entend assainir le système et le rendre pérenne.

Enfin, il faut reconnaître l'absence de lisibilité des rôles des différents intervenants de ce secteur, à laquelle s'ajoutent une accumulation fréquente des priorités, des conventions, et une fragmentation systématique des décisions. Comment parvenir concrètement à mettre en oeuvre des orientations politiques claires, sans se perdre au quotidien dans des détails de procédure et des subtilités administratives ?

Quant aux difficultés auxquelles il faudra faire face demain, elles sont essentiellement liées à la décentralisation de la gestion culturelle et patrimoniale, de l'Etat en direction des collectivités territoriales. Alors que celles-ci contribuent déjà à hauteur des deux tiers au financement public de la culture, la décentralisation et les nouveaux désengagements financiers de l'Etat, notamment dans le domaine de la restauration des monuments historiques, orienteront les choix budgétaires locaux au détriment du spectacle vivant.

Dans ces conditions, quid, demain, de la diversité culturelle dans notre pays, dont chacun d'entre nous souhaite pourtant voir s'exprimer la richesse, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des frontières hexagonales ?

La flexibilité du travail des employés de la culture est un élément de cette diversité. Elle doit perdurer, mais le nouveau système à mettre en place devra permettre d'éviter la confusion entre flexibilité et précarité. Or, dans la pratique professionnelle, la limite entre flexibilité et précarité est rarement parfaitement respectée. Elle pourra l'être grâce à un plan ambitieux en faveur de l'emploi, conformément d'ailleurs aux recommandations du rapport Guillot. Il faut reconnaître que l'intermittence possède ses rythmes spécifiques : il est nécessaire de consacrer du temps, en amont de la présentation des spectacles, à la prospection, à l'écriture des scénarios ou des partitions. Cela étant, l'emploi doit demeurer la règle et le chômage l'exception. Si la flexibilité permet la diversité, la précarité, en revanche, la dessert.

Si l'emploi doit être l'objectif, l'urgence est l'abrogation de l'actuel protocole et le rétablissement des garanties du système de l'intermittence selon un nouveau protocole d'accord : je pense ici aux diverses mesures approuvées à l'unanimité par le comité de suivi du Parlement, au premier rang desquelles figure la restauration de la règle des 507 heures sur douze mois, avec une date fixe d'anniversaire.

Précisons, comme le fait à juste titre le rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les métiers artistiques, que l'activité des intermittents du spectacle, répartis entre les secteurs du spectacle vivant, de l'audiovisuel et du cinéma, engendre un chiffre d'affaires de 22 milliards d'euros, pour 300 000 emplois, soit autant que l'industrie automobile. Comme le souligne le rapporteur de la mission d'information précitée, M. Christian Kert, député des Bouches-du-Rhône, il s'agit « d'un secteur fort économiquement et en termes de symbole ».

En tout état de cause, monsieur le ministre, comment paraître crédible aux yeux des intermittents du spectacle, dont 80 % perçoivent l'équivalent du SMIC, quand ceux-ci apprennent par la presse, au travers d'un article du Monde du 25 septembre 2004, que l'Etat se donne les moyens de rémunérer deux directeurs de l'Opéra de Paris pendant plus de six mois, seul celui qui a été nommé en juillet dernier occupant effectivement le poste ? La crédibilité politique vacille lorsque la légitimité de l'action publique est fragile.

A chacun de prendre ses responsabilités ; si les partenaires sociaux n'y parviennent pas, il revient au Gouvernement de prendre les siennes, et à nous parlementaires, députés et sénateurs, d'assumer les nôtres. Il n'est pas excessif d'affirmer que la diversité culturelle et le spectacle vivant en dépendent, de même que les hommes et les femmes qui travaillent dans ce secteur, sur scène ou en coulisses.

Monsieur le ministre, en cette fin de période de présentation des voeux, je forme celui que le conflit de l'intermittence trouve rapidement une solution satisfaisante, équitable pour les différents acteurs, réjouissante pour les spectateurs et permettant de garantir notre chère diversité culturelle. A votre ministère, cogestionnaire de cette crise avec celui de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, d'aider les partenaires sociaux à résoudre enfin ce conflit, dans l'intérêt général, sans attendre l'échéance de décembre 2005, ce qui me dispensera d'avoir à renouveler mon voeu au début de l'année prochaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard.

M. Yann Gaillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on dit que, parvenue au bas des marches du grand escalier, au Casino de Paris, lors de la première de la revue Vive Paris, dans les années trente, Cécile Sorel, s'adressant à Mistinguett qui se tenait à l'avant-scène, lança son fameux : « L'ai-je bien descendu ? ». (Sourires.) Il n'est pas interdit d'évoquer ces deux grandes artistes du passé, qui ont fait la gloire de la France, dans un débat consacré au spectacle vivant.

En effet, cette question, à la fois grave et inquiète, il me semblait l'entendre - pardonnez-moi, monsieur le ministre ! - en relisant vos différents bilans et interventions. (M. le ministre rit.) Et la réponse, quand je considère les efforts déployés, les rapports présentés - tous remarquables, qu'ils soient signés Lagrave, Guillot, ou Charpillon -, les projets annoncés, les engagements pris et qui, je l'espère, pourront être tenus, me vient à l'esprit : oui, vous l'avez bien descendu, cet escalier, mais il reste encore une marche.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Très bien ! Attention à la dernière marche !

M. Yann Gaillard. Pourquoi ce débat au Sénat, suivant celui du 9 décembre dernier à l'Assemblée nationale ? Peut-être parce que, entre-temps, il y a eu votre impressionnante communication du 17 décembre devant le Conseil national des professions du spectacle - vous avez alors déclaré mobiliser les DRAC, les directions régionales des affaires culturelles, et mettre en place des commissions régionales des professions du spectacle, les COREPS -, plus probablement parce que le Sénat, enté sur les collectivités locales dont il émane, ne peut se désintéresser des festivals, des compagnies, des orchestres, des écoles d'art ou de musique qui animent la vie de nos terroirs. L'angoisse qui a dû vous saisir lorsque vous êtes arrivé rue de Valois, après la grande crise de l'été 2003, lequel d'entre nous, pourvu qu'il exerce quelque responsabilité dans l'organisation d'une animation importante pour son département, ne l'a éprouvée ? Qui n'a craint de voir réduits à néant ses efforts et ceux de son équipe en pensant à son festival, grand ou modeste - pour celui qui vous parle, il s'agissait des Nuits de Champagne, consacré par la ville de Troyes et la communauté d'agglomération à la chanson française ? Et lequel d'entre nous ne vous a été reconnaissant, alors, de pouvoir s'appuyer sur une action ministérielle résolue au moment où, de son côté, il prenait ses assurances pour garantir que tout se passerait bien ?

On ne peut nier non seulement que vous vous êtes multiplié, étant personnellement présent en tous lieux où cela se passait, au point de flirter avec le don d'ubiquité, mais aussi que vous avez procédé pas à pas, mesure par mesure, sans craindre ni les partenaires sociaux ni vos collègues du Gouvernement : mesures sociales, pour remédier à ce qui avait paru trop brutal dans le nouveau protocole, avec l'institution d'un fonds spécifique provisoire, suivi d'un fonds transitoire, pensés tous deux par M. Lagrave, les 507 heures en douze mois au lieu de onze, la prise en compte des congés pour maladie, celle des congés de maternité étant demandée à l'UNEDIC ; contrôle des abus, croisement des fichiers, appel à la conscience supposée des employeurs du secteur de l'audiovisuel, encore que, à mon avis, l'on n'ait pas assez fouillé le dossier, par-delà les chaînes de télévision, des sociétés de production, auxquelles est sous-traitée la réalisation de bien des programmes ; réflexion sur l'organisation d'un système pérenne, confiée à M. Guillot ; redéfinition possible du périmètre de l'intermittence demandée à l'inspecteur général Charpillon. Tous ces rapports remarquables vous ont d'ores et déjà été remis. On a envie de dire que vos missionnaires ont fait diligence !

Cela étant, monsieur le ministre, la meilleure volonté, la plus grande énergie peuvent-elles suffire, dans le secteur culturel comme dans le reste de l'économie nationale, à triompher des lourdeurs, des habitudes et des égoïsmes qui, depuis tant d'années, ont encrassé ce qu'il était convenu d'appeler le modèle français, et contribué à lui faire perdre son éclat ?

J'entends bien que vous êtes habité, depuis que vous avez succédé à Jean-Jacques Aillagon, ministre que beaucoup d'entre nous ont apprécié et qui a su lui aussi obtenir des résultats remarquables, par exemple avec sa loi relative au mécénat, aux associations et aux fondations, par une idée forte. Cette idée, vous y revenez sans cesse, avec chaque fois une modalité différente de l'expression.

Ainsi, à l'Assemblée nationale, le 9 décembre dernier, vous avez affirmé que « la culture a droit de cité, non seulement au coeur des Français, mais au coeur de la représentation nationale », ce qui, bien sûr, nous concerne aussi, nous sénateurs. Vous avez parlé, ce qui un est peu dur, de « démarginaliser le ministère de la culture ». En fait, à votre manière, vous voulez vous inscrire dans la grande lignée d'André Malraux, et mettre la culture au centre de la politique, au coeur de ce pays, la France, sans pour autant verser dans le chauvinisme ou la grandiloquence.

Si tel est votre dessein - il dépasse, bien entendu, le seul chapitre des intermittents du spectacle -, les obstacles ne manqueront pas.

Pour nous en tenir à ce qui fait l'objet de notre débat d'aujourd'hui, il y a bien sûr la situation financière de notre pays, même si vous avez été privilégié au titre du budget pour 2005. Il y a aussi et surtout le terrifiant salmigondis qui fait dépendre la situation des intermittents de l'assurance chômage, donc de la bonne volonté des partenaires sociaux. En effet, que représentent, par rapport aux masses gérées par l'UNEDIC, les « clients » des annexes VIII et X ? Est-il logique que la rémunération des acteurs de la vie culturelle repose sur l'ensemble des salariés ? Je sais bien que cet argument, tant de fois évoqué par le MEDEF, est peu sympathique, mais est-il pour autant dénué de tout fondement ?

Le rapport de M. Guillot va même plus loin dans l'analyse, quand il montre que, par-delà les périodes couvertes par la réforme de l'intermittence, « l'ensemble des acteurs concernés se sont habitués à intégrer les prestations de l'assurance chômage dans la fixation des prix et des rémunérations », faisant jouer à l'UNEDIC un rôle allant bien au-delà de l'assurance chômage.

Voilà une réflexion fondamentale, mais vous ne vous dérobez pas. Au contraire, vaillamment, vous réclamez - c'est la dernière marche de l'escalier - devant le Conseil national des professions du spectacle, le 17 décembre 2004, le remplacement du protocole d'assurance chômage passé avec les partenaires sociaux par un protocole portant sur l'emploi culturel dans toutes ses dimensions, et ce avant le 31 décembre prochain. Vous avez d'ailleurs trouvé un nom éclatant pour ce protocole : les accords de Valois. Dans Le Figaro de ce matin, le président d'un syndicat qui regroupe, paraît-il, « l'essentiel des structures subventionnées » vous répond : chiche ! J'ai envie de vous chuchoter : attention, danger ! Je souhaite pouvoir vous crier, le 31 décembre prochain : salut l'artiste ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avoir organisé ce débat est une initiative louable, mais son calendrier et sa finalité nous amènent à nous interroger.

En effet, il est bien tard pour entendre la représentation parlementaire, qui a, depuis plus d'un an, pu mesurer sur le terrain les dégâts causés par la ratification par le Gouvernement des accords dévastateurs de l'UNEDIC.

En outre, il est curieux de ne pas avoir de perspectives législatives, alors que les mois passent, nous rapprochant de la date fatidique de l'engagement de nouvelles négociations par ces mêmes partenaires sociaux non représentatifs qui avaient « commis » le précédent accord, autant inspiré par de mauvaises informations comptables que motivé par une conception réductrice de la culture.

C'est peut-être par là qu'il faut commencer : quel sens donnons-nous à la culture et quelle est la légitimité de son financement public ?

Alors que l'accès à toutes les formes de culture construit l'individu, l'ouvre, aiguise sa curiosité, lui permet la tolérance et lui donne la liberté de construire une société viable dans un monde durable, on ne peut pas fragiliser les artistes eux-mêmes sans prendre le risque d'avancer à l'aveugle. La complexité, voire le danger de ce qui nous entoure appelle à davantage de culture.

Ils sont nombreux les acteurs économiques qui froncent les sourcils en recensant les subventions culturelles de l'Etat et des collectivités, considérant que seuls le mécénat et les recettes des billetteries devraient financer la culture.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Qui a dit cela ?

Mme Marie-Christine Blandin. Certains se hasardent même à des calculs scabreux : ils comparent la fréquentation des salles de spectacle à celle des stades de football !

Il faut remettre en perspective le financement de chaque activité porteuse d'emplois. Les acteurs culturels n'ont pas à rougir de l'aide que leur apportent les pouvoirs publics, comparée aux milliards de subventions accordés aux entreprises, y compris celles qui délocalisent dans l'année qui suit, aux milliards engloutis par une agriculture sous perfusion, la France préférant l'accumulation des primes au juste prix de la qualité et à la dignité des paysans, ou encore aux milliards d'euros garantis par la COFACE, au risque d'encourager des exportations destructrices pour le Sud.

Non, décidément, ce n'est pas le soutien à la culture qui est contestable. Des pistes existent pour mieux faire et il est urgent de faire en sorte que l'accès du réseau institutionnel ne soit plus réservé à un public socialement favorisé. L'incapacité des structures fossilisées à faire circuler les oeuvres doit être remise en cause.

Comme l'évoque le Syndicat national des arts vivants, le SYNAVI, il faut aussi reconnaître d'autres pratiques, promouvoir les liens multiformes qui unissent l'art et la société, prendre en compte le critère de l'emploi dans les contrats d'objectifs (M. Louis de Broissia applaudit.), ne pas se contenter d'incitations mais se donner les moyens d'un contrôle réel.

Prenons un domaine moins médiatisé que celui des scènes du théâtre ou de la danse : les musiques actuelles. Les groupes de rock, de blues, ou d'autres musiques amplifiées sont pris depuis plusieurs années entre les mâchoires de l'étau.

D'un côté, s'applique la légitime loi sur le bruit, mais aucune aide pour l'insonorisation et la mise aux normes n'est prévue, et, de l'autre côté, il faut résoudre la quadrature du cercle pour que les musiciens d'un groupe soient à la fois correctement et légalement rémunérés. Entre l'insuffisant « coup à boire » du patron - indigne du travail accompli tant en amont que sur place, lors de la soirée d'animation du café - et le « juste prix », versé dans des conditions pouvant laisser soupçonner un salariat illicite, il est urgent de travailler avec les acteurs concernés et les responsables de lieux d'accueil pour restaurer l'expression du tissu musical foisonnant dans nos quartiers. Là aussi, des emplois sont en jeu.

Votre prédécesseur avait évoqué la possibilité d'une contribution des collectivités à la caisse de l' UNEDIC.

C'est non, mais il est superflu de le rappeler, vous l'avez vous-même inscrit dans votre discours, car il ne faut pas mélanger l'argent de la fiscalité locale et l'argent géré par les partenaires sociaux.

C'est non, parce qu'il serait bien imprudent d'abonder un dispositif si opaque que même un expert indépendant et compétent nommé par vos soins, Jean-Paul Guillot, a reconnu que les chiffres restaient inaccessibles ou incohérents avec d'autres sources.

C'est non parce que, en ces temps de décentralisation vue par le Premier ministre, de délocalisation des problèmes du Gouvernement, il est hors de question de charger la barque des dépenses forcées.

En revanche, nous pouvons faire mieux. Nous installons un groupe de travail afin de réfléchir à de meilleurs modes de financement de la culture par les collectivités, à une sorte de commande éthique. Je pense à des financements plus proches du juste prix, à la responsabilité de ne concevoir d'investissement que si l'on a dégagé les moyens du fonctionnement.

A ce sujet, le miel actuel du Louvre à Lens ne se transformera-t-il pas demain en potion amère ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Comment osez-vous ?

Mme Marie-Christine Blandin. Qui paiera le fonctionnement, le concierge, le chauffage, les assurances ?... (M. le ministre s'exclame.)

Je pense aussi à la priorité de l'emploi culturel durable sur le béton, à la priorité de l'épanouissement et de l'émancipation des habitants sur le rayonnement éphémère, riche en dettes du lendemain.

Revenons à la politique nationale. Vous savez comment est né le comité de suivi du nouveau protocole de la couverture chômage des artistes, techniciens et réalisateurs. Il est le fruit d'une initiative de Noël Mamère, de l'engagement de parlementaires de tous les partis, du travail assidu de professionnels, de syndicalistes et de la coordination des intermittents.

Rappelons le choc provoqué par les inacceptables et provocantes paroles du MEDEF, hélas ! relayées par François Fillon, qui distillaient un poison et tentaient d'opposer des gens qui sont à la peine : « N'oublions pas que ce sont les salariés qui payent les artistes à ne rien faire », disaient-ils !

Je sais, monsieur le ministre, que vous n'avez pas suivi cette voie, mais cela méritait d'être rappelé. Eh oui, monsieur le président de la commission, malgré vos recommandations, je remâche le passé, ...

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Eh bien, remâchez !

Mme Marie-Christine Blandin. ...mais c'est pour mieux construire l'avenir. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Le comité est également né d'une volonté d'expertise d'usage, celle qui, au plus près des réalités de l'emploi, des théâtres, des orchestres, des tournages, des ASSEDIC, du guichet unique pour le spectacle occasionnel, le GUSO, des pratiques opportunistes de l'audiovisuel, même public, permet de pointer les exclusions générées, les privilèges renforcés, les femmes enceintes et les malades oubliés, et toutes les structures fragilisées.

Nous parlions des hommes et des femmes, de leur couverture sociale et, ce faisant, nous touchions à la sève même de la pratique artistique, de la création, de la diffusion.

Nous parlions de droits sociaux et, ce faisant, nous étions au coeur du droit à l'art comme du bonheur et de la nécessité de l'éducation populaire. Les administratifs ne comptaient que les heures sur scène et les artistes levaient pertinemment le rideau sur les écritures, les répétitions, la formation reçue et donnée, qui sont si intimement tissées que les séparer relève de la déchirure de la matière elle-même.

Monsieur le ministre, bien que nous ne boudions pas ce débat - aucune opportunité démocratique ne doit être négligée - nous ressentons comme un fardeau l'absence de réponse globale du Gouvernement.

Le dialogue existe au Conseil national des professions du spectacle, le CNPS, avec la profession, au ministère avec le comité de suivi, avec la commission des affaires culturelles du Sénat, avec le Parlement par le biais de ces débats, à Avignon cet été avec le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles, le SYNDEAC, ou même dans la rue.

Mais, aujourd'hui, vous savez ce qui ne sera pas accepté : les fausses solutions d'une caisse particulière, le glissement en catimini vers les annexes de l'intérim, l'usage pervers de nouveaux contrats à sécurité limitée. Votre rôle ne peut plus se limiter à des réparations ponctuelles. Nous avons salué ces petites avancées en leur temps parce qu'elles allaient dans le bon sens. Nous vous avons d'ailleurs alerté sur la mutation dommageable que subissaient vos décisions dès lors qu'elles étaient rédigées sous la plume de l'UNEDIC.

Le temps est venu de passer à l'acte réel et de légiférer en associant le ministère des affaires sociales et celui de l'éducation nationale à un arbitrage motivé par l'intérêt général pour que la mission de service public de la culture sorte de l'incertitude.

Pour notre part, sous des formes traditionnelles ou inhabituelles, nous sommes prêts à prendre notre responsabilité, et nous pensons que le Gouvernement a d'ores et déjà trop attendu pour prendre les siennes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Louis de Broissia.

M. Louis de Broissia. Monsieur le ministre, vous nous proposez, et nous vous en remercions, de débattre du spectacle vivant et donc de la place de la culture vivante dans la société.

Comme de nombreux parlementaires, comme vous, monsieur le ministre, je partage ma vie culturelle entre Paris et la province, ce mot que je ne renie pas, comme le faisait André Malraux.

Paris offre d'immense possibilités culturelles comme le Louvre, le Palais de Tokyo, le Centre Pompidou, l'Opéra Bastille ou l'Opéra Garnier ; ce sont encore les inventives nuits parisiennes, les spectacles, les cinémas, les concerts.

La province, c'est Dijon, que vous connaissez bien - j'espère vous y accueillir, comme Jean-Claude Gaudin à Marseille - Dijon, capitale des ducs de Bourgogne, princes de l'Europe culturelle avant l'heure, ou les zones rurales discrètes où nous vivons.

Toutes les pratiques culturelles - musique, danse, cinéma, arts plastiques - sont au coeur de l'identité d'un territoire. C'est la raison pour laquelle - je ne suis pas tout à fait d'accord avec certains des intervenants précédents - j'estime que les élus communaux, départementaux, intercommunaux, d'agglomération ou régionaux doivent s'impliquer dans l'éveil et la pratique musicale, théâtrale, littéraire, picturale et patrimoniale.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C'est évident !

M. Louis de Broissia. Je le fais dans les collèges de Côte-d'Or comme le font Henri de Raincourt dans les collèges de l'Yonne et Jean Puech dans les collèges de l'Aveyron.

Après André Malraux, l'écrivain, le visionnaire, le passeur de civilisations que tout le monde connaît, la politique culturelle d'Etat s'était trop vite rangée sous la règle réductrice et comptable, qui m'a toujours choqué, du 1 % culturel.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Je suis d'accord !

M. Louis de Broissia. C'était une affreuse logique financière qui ignorait l'immense effort culturel réalisé par les collectivités territoriales, le mécénat, les associations, les entreprises, ou encore par l'industrie culturelle, et qui méconnaissait l'appétit culturel de nos compatriotes, qui dépasse largement 1 % de leur propre budget.

Depuis deux ans, nous traversons la crise dite « des intermittents », et ce n'est pas fini. Cette crise couvait sous la cendre depuis de nombreuses années, madame Blandin.

Votre mérite, monsieur le ministre, après celui de Jean-Jacques Aillagon, aura été de positiver cette crise pour prendre conscience de la nécessité d'une réflexion d'ensemble sur la création et la diffusion culturelles dans ce pays. C'est le sens de la contribution au débat apportée par Jacques Valade, qui souligne que la création culturelle, si elle reste foisonnante en France, se définit par trois caractéristiques principales.

Tout d'abord, elle est marquée par des incongruités. L'aspect budgétaire et financier reste lancinant, la création est insuffisamment financée et tout le monde note une dérive de l'indemnisation du chômeur culturel, contrairement à ce qui s'est passé pour d'autres catégories de chômeurs.

Ensuite, l'aspect social et même moral qui sublime la création précarise la situation des créateurs et de leurs collaborateurs.

Enfin, le troisième aspect, souligné dans son rapport par Jacques Valade et par certains autres sénateurs, est l'aspect démocratique ; il est sans doute le plus crucial pour nous. En effet, les créateurs ont du mal à trouver leur public.

Je cite une phrase du rapport : « il convient de remettre la population au centre des préoccupations du spectacle vivant. » Si le spectacle vivant rencontre des spectateurs moribonds, il n'y a plus de spectacle. (M. le président de la commission approuve.)

Le spectacle vivant aujourd'hui - parfois, j'ai l'impression d'enfoncer des portes ouvertes, mais nous sommes là pour cela - est un panaché permanent de baladins, de créateurs de génie, ou non, de spectateurs dans les salles ou derrière l'écran de télévision, à l'Opéra Bastille comme au parvis Saint-Jean à Dijon, dans les cinémas d'art et d'essai comme dans les concerts des petites écoles de musique de la Côte d'Or, réunis sur l'initiative du ministre de la culture ou sur celle de l'Association bourguignonne culturelle.

Mes chers collègues, ne pleurons pas sur une diversité culturelle morte ! Pour la quatrième année consécutive, la France a produit plus de 200 films et elle approche les 200 millions de spectateurs dans les salles de cinéma ; Chaque année, la musique française produit plus de 50 000 nouveautés, toutes variétés confondues, alors que 5 000 spectacles différents sont proposés, avec trop peu de spectateurs. Ce sont encore 8 000 ensembles et groupes musicaux, 3 300 compagnies professionnelles de théâtre, de danse ou de cirque.

Nous avons approuvé et encouragé votre projet de budget pour 2005, qui accorde une priorité absolue au spectacle vivant et à la création culturelle, y compris dans l'audiovisuel. Le spectacle vivant d'aujourd'hui doit être rénové et réconforté.

Permettez-moi de faire quelques propositions.

Tout d'abord, il me semble important que le spectacle vivant soit un vecteur d'animation de notre société par le biais de regards, d'écoutes, de sentiments croisés, mais il faut s'affranchir, monsieur le ministre, des trop nombreuses chapelles d'initiés qui caractérisent le milieu culturel français.

A cet égard, permettez-moi de vous donner un exemple. Lorsque j'ai voulu parler d'art contemporain à Dijon, on m'a répondu : c'est réservé à d'autres ! Pourtant, j'ai bien le droit de m'en occuper, d'autant que, lorsque j'étais jeune, j'ai bénéficié des conseils de M. Bernard Dorival, le créateur du musée d'art moderne.

Nous devons également placer la pratique culturelle - je sais que c'est l'une de vos préoccupations, monsieur le ministre - au coeur de la réforme de l'éducation. Ce n'est que jeune que l'on prend les bons réflexes culturels.

Nous voulons aussi que le spectacle vivant irrigue tous nos territoires, nos 4 218 cantons. Nous souhaitons que les Français aient droit à l'égalité des chances culturelles dans les 102 départements et les 22 régions.

Nous désirons en outre que prospèrent, car tout cela découle de ce que je viens de dire, les emplois culturels et que soient confortées les industries, entreprises et associations culturelles qui font vivre notre pays à la télévision, au cinéma, au théâtre, dans les salles de concert, et je n'aurais garde d'oublier de citer l'un de ces lieux.

Enfin, il faut que soit reconnu le rôle éminent des collectivités territoriales au côté de l'Etat.

Les collectivités territoriales, même si elles n'abondent pas le système de l'UNEDIC, sont des acteurs majeurs de l'animation culturelle ; Jean-Claude Gaudin l'a d'ailleurs dit avec beaucoup de talent. Elles sont proches des créateurs et des employés de la culture vivante. Elles sont accessibles aux entreprises et aux associations culturelles.

Il est en effet plus facile d'aller voir le président du conseil général de la Côte-d'Or pour financer le festival international de musique baroque de Beaune que d'obtenir des crédits nationaux. Par parenthèse, j'ai noté que le conseil général des Bouches-du-Rhône offrait 1 500 euros et une médaille. C'est un peu pingre ! (Sourires.) Nous faisons tous beaucoup mieux, mais M. Gaudin l'a dit si plaisamment ... (Nouveaux sourires.)

Ce matin, ce n'est bien évidemment pas un hasard, j'ai lu que le SYNDEAC, le syndicat national des entreprises artistiques et culturelles, plaidait pour un « Valois social ».

Je m'inscris dans l'esprit qui est le sien, en particulier lorsqu'il considère qu'il faut adjoindre un nouveau contrat politique - pas simplement social ! - entre les artistes, la nation et les institutions de la République. Il se demande en outre quelle contractualisation devons-nous imaginer entre les tutelles pour mettre en oeuvre une politique nationale décentralisée du spectacle vivant.

Le processus de refondation du spectacle vivant, donc de l'emploi culturel, est engagé. Il l'est dans un esprit nouveau. La crise des intermittents et la gestion intelligente que vous en avez faite, monsieur le ministre - que tout le monde a saluée -, permettront de l'aborder avec la commission des affaires culturelles du Sénat sur le long terme.

A ce « Valois social » et, permettez-moi de le rajouter, populaire, nous voulons être présents sans jamais oublier une double et ardente obligation.

Premièrement, celle d'un engagement pluriannuel - j'ai connu le temps où nous avions des programmes pour le patrimoine, c'était du temps d'autres ministres -, partenarial et conventionnel pour la culture vivante entre Etat, collectivités, entreprises, associations, mécénat, créateurs et diffuseurs culturels.

Deuxièmement, celle d'une volonté affichée - je le répète pour la dernière fois - de populariser les cultures en croisant les pratiques dès le plus âge.

Monsieur le ministre, lorsque vous mettrez de l'air dans la culture française, nous serons à vos côtés. La culture française le mérite ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.

Mme Catherine Tasca. Monsieur le ministre, l'avenir du spectacle vivant dépend, bien évidemment, des perspectives de la politique culturelle, pas seulement pour les prochaines semaines, mais aussi pour les années à venir !

Votre gouvernement a hérité, en 2002, d'un capital important, envié hors de nos frontières, avec un réseau considérable d'équipements et d'institutions, un vivier remarquable d'artistes, d'animateurs et de très nombreux techniciens professionnels. Ce réseau s'est bâti avec une relative continuité depuis quatre décennies et il a connu un essor renouvelé en 1981.

Ces acquis, vous en avez la responsabilité ! Or on ne sait pas grand-chose du projet culturel global de votre gouvernement. On ne discerne pas assez les perspectives.

Certes, on peut lire ce projet en creux dans les choix budgétaires. Après deux ans de cure d'amaigrissement et de mesures de retardement, on voit bien quelques annonces positives. Je pense à la création d'une chaîne d'information internationale, mais au prix d'un redéploiement des moyens du secteur, ...

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Mais non !

Mme Catherine Tasca. ... comme l'a indiqué M. Copé, ou à une certaine priorité donnée au patrimoine, mais au prix de l'assèchement des crédits de paiement.

On constate surtout des reculs : la baisse de la redevance par l'exonération des résidences secondaires, au mépris des développements nouveaux du secteur public - et l'apport de 20 millions d'euros supplémentaires ne la comblera pas ! -, la neutralisation de la Réunion des musées nationaux au profit de l'autonomisation des établissements publics - incités à se reposer de plus en plus sur le mécénat -, le recul de l'éducation artistique à l'école et, enfin, le blocage du dossier des intermittents.

Je commencerai par ce dernier dossier.

L'interrogation sur l'équilibre global de l'UNEDIC et sur la gestion du régime d'indemnisation du chômage dans le secteur culturel ne date, hélas ! pas d'hier. Tout comme n'est pas d'hier l'hostilité du patronat à l'égard de ce régime spécifique, dont on sait pourtant bien qu'il est indispensable à la vitalité des activités artistiques de notre pays et qu'il irrigue très positivement l'économie des territoires. Le maire d'Aix-en-Provence s'en est d'ailleurs rendu compte l'été dernier. C'est pourquoi le gouvernement de Lionel Jospin avait fait adopter une loi le 5 mars 2002 confirmant le maintien des annexes VIII et X jusqu'à accord entre les partenaires sociaux.

Certes, il n'est pas facile de faire aboutir une négociation lorsque l'un des partenaires - le MEDEF - n'en veut absolument pas et s'emploie à discréditer les bénéficiaires. Votre gouvernement, malheureusement, a choisi de lui donner raison en agréant un accord que tout le monde aujourd'hui considère comme injuste et inefficace, à savoir le protocole signé le 26 juin 2003.

Depuis lors, les services de l'UNEDIC et les intermittents sont plongés dans l'incertitude et dans la confusion sur les procédures à suivre. Cette confusion a encore été aggravée, semble-t-il, par la dernière circulaire de décembre 2004. Pendant ce temps, un nombre croissant d'acteurs de la vie culturelle sont en voie d'exclusion du système et des manifestations remarquables sont condamnées.

Les chiffres que vous avez cités prouvent assez que les intermittents ne sont pas des privilégiés. Il est donc temps de sortir du rituel des rencontres et des rapports afin de proposer une issue à ce conflit, qui mine le secteur dont vous avez la charge, en particulier le spectacle vivant.

Si, pour en sortir, vous devez choisir la voie législative, alors faites-le quand il en est encore temps !

La proposition de loi élaborée par le comité de suivi, que vous avez vous-même encouragé, vous en donne l'occasion. Mais il vous faudra aller plus loin : obtenir que l'UNEDIC donne enfin à la négociation des bases chiffrées complètes et fiables, prendre position sur le périmètre légitime de ce régime et, surtout, confirmer son maintien dans la solidarité nationale, et non dans un régime isolé.

Toutefois, j'ai entendu ce soir des propos - mais ils n'émanaient pas de vous, monsieur le ministre - qui confirment mes inquiétudes au sujet du maintien du régime des intermittents dans la solidarité nationale.

Concrètement, quelles mesures allez-vous prendre avec vos collègues du Gouvernement pour sortir de cette impasse ? Dans quels délais ?

Le deuxième point que je veux aborder est celui de la responsabilité de l'Etat à l'égard de la culture, notamment du spectacle vivant.

Dans ce secteur, comme dans tous les secteurs d'intérêt général, l'Etat ne peut s'exonérer de sa responsabilité, et la décentralisation ne saurait justifier son désengagement. Le spectacle vivant peut poursuivre son développement dans le pays, à la condition expresse que demeure un large secteur non marchand, et que celui-ci bénéficie de la double confiance des collectivités locales et de l'Etat.

Les choix artistiques, leur diversité, leur liberté et leur indépendance, ont besoin du soutien ferme et conjoint de l'Etat et des collectivités territoriales. Celles-ci ne peuvent en être les seuls maîtres d'oeuvre. D'abord, parce qu'elles risquent de ne pas en avoir les moyens budgétaires, compte tenu des transferts de charges orchestrés par M. Raffarin. Ensuite, parce qu'elles peuvent être tentées, ou contraintes, sous diverses pressions locales, de restreindre le champ de l'expression artistique.

C'est une question grave, qui touche au pluralisme et à la création artistiques dans la cité La codécision, et donc le cofinancement, demeure le meilleur garant de la liberté artistique, et donc de notre liberté à tous.

Monsieur le ministre, comment allez-vous mettre en oeuvre la décentralisation dans ce secteur ? Il s'agit là non pas « d'arrogance » de l'Etat, pour reprendre le terme qui a été utilisé tout à l'heure, mais tout simplement de responsabilité de l'Etat.

Le troisième sujet qui me tient à coeur est celui de l'éducation artistique, notamment à l'école.

La réussite de nos politiques culturelles réside dans l'extension et la richesse des productions, et donc de l'offre culturelle. Mais afin que celle-ci participe réellement à la démocratisation, à l'égal accès de toutes et de tous à l'art et à la culture, nous avons besoin d'une véritable ambition, d'une vraie politique d'éveil de l'intérêt et des appétits culturels chez tous les jeunes Français, de quelque milieu qu'ils soient, dès le plus jeune âge, et donc nécessairement à l'école.

C'est la voie que nous avions prise en 2001. Aujourd'hui, tout donne malheureusement à penser qu'elle est sacrifiée dans le projet éducatif de votre gouvernement, sinon dans les discours, du moins dans les actes.

Au moment où la culture marchande, la production industrielle de masse, la construction de quasi-monopoles allant de la production à la diffusion envahissent presque tous les domaines artistiques et où le monde virtuel finit par occulter le monde réel, il est vital pour notre société de donner toutes ses chances au spectacle vivant, à son visage humain, à sa diversité, à son renouvellement, à son invention.

Monsieur le ministre, quelles chances d'avenir votre gouvernement donne-t-il à tous ceux qui font vivre le spectacle sur scène, à tous ceux qui, dans les salles, viennent les voir et à tous ceux qui oeuvrent afin que cette rencontre soit riche de découvertes réciproques ? C'est la question à laquelle vous devez répondre dans ce débat. Les mots, souvent justes, nous importent moins que votre capacité à agir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Dufaut.

M. Alain Dufaut. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, élu de la ville d'Avignon depuis plus de vingt ans, que ce soit au sein du conseil municipal ou en tant que conseiller général, il était logique que j'intervienne dans ce débat.

Il faut dire que l'annulation de l'édition 2003 du festival d'Avignon - fait unique dans son histoire - est encore dans toutes les mémoires. Ce véritable traumatisme, conséquence directe de la crise liée à la réforme du régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle, a laissé des traces durables dans une ville qui a fait de la culture sa principale référence.

II est vrai qu'aucune ville de province de taille équivalente ne peut se prévaloir de posséder, outre l'un des premiers festivals de théâtre du monde et un patrimoine architectural historique remarquable, autant d'activités culturelles toute l'année. Même la ville de Marseille ne peut le faire. (Sourires.)

Malgré tout, les crispations et la situation de blocage autour de l'accord du 26 juin 2003 ont eu au moins deux avantages.

Le premier aura été de démontrer aux esprits chagrins, si besoin en était, l'importance, sur le plan économique, de cette manifestation pour Avignon, le Vaucluse et ses habitants.

Je remarque d'ailleurs, au passage, que le pouvoir d'attraction du festival d'Avignon, ses retombées économiques directes et indirectes, ainsi que son influence sur la renommée de notre ville n'auront jamais été aussi évidents qu'après son annulation.

De ce point de vue, monsieur le ministre, je ne peux que vous rejoindre lorsque vous affirmez, comme devant nos collègues députés, le 9 décembre dernier, qu'il ne faut pas réduire la culture « au loisir intelligent, au supplément d'âme », mais qu'il convient également de prendre en compte ses dimensions sociales et économiques, tout autant que son universalité. Ce qui est vrai pour Avignon l'est également pour le reste du pays. Le rapport Guillot a ainsi démontré le poids économique du secteur du spectacle vivant, de l'audiovisuel et du cinéma.

En termes d'activité, quelques chiffres sont en effet frappants : ce secteur représente 22 milliards d'euros ; sa production correspond à 1,2 % de la production totale de l'économie française ; sa valeur ajoutée est de 11 milliards d'euros, comme l'a dit tout à l'heure le président Valade. C'est vrai qu'il emploie près de 300 000 personnes, ce qui est considérable dans notre pays !

Monsieur le ministre, nous ne pouvons que vous soutenir dans l'action qui est la vôtre d'intégrer et de valoriser ce secteur au sein d'une stratégie globale du Gouvernement d'attractivité du territoire, de lutte contre les délocalisations et, bien sûr, de création d'emplois pérennes.

Ces résultats, ces chiffres, sont le fruit direct du talent et du savoir-faire de nos artistes et de nos techniciens. Aussi, n'oublions jamais le rôle majeur qu'ils jouent dans notre pays. La nation leur doit une véritable reconnaissance, et le débat qui nous réunit en témoigne.

Toutefois, notre reconnaissance ne doit pas se résumer à installer durablement nos artistes dans une logique de complément de salaire venant de l'assurance-chômage. Non ! Notre reconnaissance doit se traduire par la définition d'un nouveau système de financement global qui leur permette de vivre de leur talent, de leur travail en en tirant une juste rémunération.

N'oublions pas non plus que l'existence d'activités culturelles dans nos quartiers, au même titre d'ailleurs que les pratiques sportives, reste une source d'harmonie sociale irremplaçable et la garantie, le plus souvent, d'une intégration réussie.

N'oublions pas, enfin, que le rayonnement de notre pays tient pour beaucoup à la qualité et au foisonnement de sa création culturelle.

J'en viens au second mérite de cette situation de blocage : elle aura été, en quelque sorte, le détonateur, le catalyseur d'une crise plus profonde touchant aux fondements mêmes et à l'avenir de la création culturelle en France, crise qui, de toute façon, aurait fini par éclater au grand jour.

Permettez-moi de noter en la matière que ceux qui nous donnent des leçons aujourd'hui sont les mêmes qui ont laissé la situation se dégrader depuis 1992, année du premier plan Lang-Aubry pour l'emploi dans le spectacle vivant. Un tel plan n'a jamais été mis en oeuvre et, surtout, il n'a jamais obtenu de financement !

Le débat qui nous réunit aujourd'hui s'inscrit donc dans le souci d'apporter une contribution intéressante et, si possible, décisive à la réflexion collective qui s'est engagée pour redéfinir les modalités du soutien au spectacle vivant et à la création contemporaine dans notre pays.

Monsieur le ministre, grâce à votre ténacité et aux arbitrages du Premier ministre, vous avez répondu, par vos mesures et vos deux budgets successifs, à un grand nombre de propositions contenues dans le rapport de notre groupe de travail sénatorial sur la création artistique.

L'année 2004 a été incontestablement celle du renouveau du dialogue. Vous avez su prendre des mesures d'équité pour ramener tous les acteurs autour d'une même table. Vous avez enfin fait voter des crédits orientés essentiellement vers le développement de l'emploi culturel ; je pense, notamment, à votre politique de relocalisation des tournages.

L'année 2005 sera celle de la transition vers la construction d'un nouveau système. Celui-ci devra être juste et ferme : il devra être juste afin ne pas oublier les plus fragiles de nos artistes et techniciens, et donc reprendre les mesures provisoires et transitoires prises par le Gouvernement ; mais, il devra aussi être ferme en matière de redéfinition du périmètre pour éviter les abus, afin de rendre incontestables aux yeux de nos concitoyens le bénéfice d'un système spécifique et le maintien de la solidarité interprofessionnelle.

Voilà pourquoi, à ce moment de mon intervention, je tenais à vous féliciter sincèrement, monsieur le ministre, de la manière avec laquelle vous avez su prendre à bras- le -corps le dossier et vous remercier de cette initiative qui dénote une volonté forte d'associer la représentation nationale à l'effort de réflexion sur un sujet dont l'importance n'échappe à personne.

Sachez, monsieur le ministre, que l'élu de la ville de culture que je suis apprécie à sa juste valeur votre action à la tête du ministère de la culture et de la communication. Votre sens de l'écoute et votre ténacité constituent autant d'atouts pour mener à bien cette réforme et, au-delà, l'ensemble des chantiers que vous aurez à conduire dans les prochaines semaines.

La diversité des profils des orateurs qui se sont exprimés aujourd'hui à cette tribune démontre bien que vous avez su impulser une dynamique et que vous êtes soutenu au-delà de vos interlocuteurs naturels, au sein de la commission des affaires culturelles en particulier.

Le Sénat, la majorité sénatoriale, inutile de le préciser ici, a pris toute sa part dans cette démarche commune en mettant en place un groupe de réflexion dont nous avons déjà beaucoup parlé ce soir.

Je ne reviendrai donc pas sur les propositions contenues dans le rapport élaboré par ce groupe auquel j'ai participé avec beaucoup d'intérêt, rapport - c'est suffisamment rare pour être souligner - adopté à l'unanimité de ses membres, toutes tendances politiques confondues.

Je me bornerai simplement à rappeler qu'une délégation, constituée de sénateurs membres de ce groupe, de sensibilités politiques tout à fait différentes, conduite par notre président Jacques Valade, a largement contribué, dans le cadre de l'édition 2004 du festival d'Avignon, à la recherche d'une solution avec les partenaires sociaux et les artistes. Il convenait de sortir de cette situation qui risquait, cette fois sans doute de manière définitive, de remettre en cause l'existence même du festival d'Avignon.

J'ai gardé, monsieur le ministre, un excellent souvenir du débat du 8 juillet 2004, qui s'est déroulé dans la magnifique cour du cloître Saint-Louis, en présence de tout ce que notre pays compte de personnalités issues du monde du théâtre. Vous avez démontré, ce jour-là, votre sens du dialogue, votre détermination ainsi que votre courage. L'exercice n'était pas facile ! Comme vous l'avez dit tout à l'heure, il est vrai que « l'air était vif » !

La contribution de la commission des affaires culturelles a été, ce jour-là, d'autant plus appréciée et prise en compte qu'elle constituait l'aboutissement de quinze auditions différentes et de réunions de travail nombreuses ayant permis d'écouter tous les intervenants concernés, directement ou non, par la création culturelle, qu'ils soient artistes, techniciens, représentants des organisations socioprofessionnelles, syndicalistes, directeurs de service au ministère, etc.

Monsieur le ministre, et ce sera ma conclusion, le dialogue étant renoué et le climat devenant incontestablement plus serein, il convient maintenant, sur la base des nombreuses propositions élaborées par les différents acteurs ayant participé au débat, de passer à la phase active de l'ambitieuse refondation de la politique de soutien au spectacle vivant.

A cet égard, j'ai toute confiance en vous pour mener à son terme ce difficile chantier. La méthode choisie est incontestablement la bonne, et vous pourrez compter sur l'aide de la commission des affaires culturelles du Sénat et sur notre soutien le plus total dans cette tâche exaltante. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Yves Dauge.

M. Yves Dauge. Monsieur le ministre, avant le débat qui nous réunit aujourd'hui, nous avons rencontré les principales personnes intéressées par la question de l'intermittence. Toutes ont reconnu que ces derniers mois ont été l'objet d'un travail remarqué, utile, auquel vous avez directement participé, ainsi que de nombreux autres acteurs.

Toutefois, nous avons ressenti à nouveau une grande inquiétude face au calendrier. Peut-on raisonnablement penser qu'un accord sera obtenu ? On parle de la date butoir de la fin de l'année 2005. Mais, nous a-t-on dit, c'est plutôt avant l'été qu'il faut essayer de clarifier le sujet. Le calendrier politique est donc plus tendu que le calendrier juridique.

On risque fort de se retrouver dans une situation très difficile. Je vous le signale parce que nous l'avons ressenti, comme vous, monsieur le ministre, j'en suis persuadé Il ne s'agit donc pas d'une observation pessimiste. Vous connaissez suffisamment le dossier pour savoir qu'il vaut mieux être réaliste afin de franchir la dernière marche, comme l'a dit notre collègue Yann Gaillard...

On a beaucoup évoqué l'emploi - et l'on a raison - afin de régler un problème que même le meilleur des accords ne pourrait résoudre. A cet égard, on se tourne beaucoup vers les collectivités locales, et ce à juste titre ; vous avez rappelé les chiffres : un tiers, deux tiers.

Les régions disposent de budgets serrés. Par ailleurs, certains comportements lors des alternances n'ont pas toujours été ce qu'ils auraient dû être dans l'optique de la continuité des actions. (M. Louis de Broissia approuve.)

Si nous souhaitons créer de l'emploi, nous devons admettre que nos politiques nécessitent une vision sur le long terme ; il faut sortir à la fois du saupoudrage et du coup par coup qui peuvent conduire à soutenir telle opération une année, puis telle autre l'année suivante, etc. Il convient d'adopter, avec les collectivités locales, une démarche constructive sur la durée. Monsieur le ministre, vous êtes assez au fait des questions locales pour aller dans ce sens et l'Etat doit nous y aider.

Tel est le point sur lequel je souhaite insister. Les collectivités locales doivent mettre en place une politique structurée. Si tel n'est pas le cas, les DRAC, les régions et les départements risquent de voir affluer de nombreuses demandes, chacun essayant, en ordre dispersé, de négocier son festival, son action, sa structure... Je ne suis pas insensible aux propos des différents acteurs : la DRAC, en tête, réagit, face à cette situation, en invitant les uns et les autres à présenter des projets structurés et cohérents.

Monsieur le ministre, si l'on tient à trouver des marges de manoeuvre du côté de l'emploi culturel en se tournant vers les collectivités locales, on doit tout de même reconnaître que le contexte budgétaire est très dur. Lorsque l'on les sollicite, elles nous indiquent qu'il ne faut pas attendre grand- chose de leur part cette année ! Il est donc absolument nécessaire que l'Etat fournisse à ces secteurs les moyens dont ils ont besoin. Monsieur le ministre, c'est chose faite dans le budget 2005, avez-vous dit ? Tant mieux !

Je souhaite que les missions des DRAC soient bien déterminées afin que de tels moyens soient utilisés de façon à construire des politiques structurées permanentes avec tous les partenaires. Ce n'est pas facile à réaliser, car il faut résister à la pression des uns et des autres.

Une telle démarche s'inscrit dans la logique adoptée par plusieurs de mes collègues qui sont présidents de département : M. Jean Puech évoquait, tout à l'heure, l'école de musique départementale qu'il a créée du temps d'un ancien ministre avec lequel il a pu contractualiser ; mon collègue de Bourgogne a fait état de toutes les actions qu'il mène.

Monsieur le ministre, concernant la construction d'une politique structurée dans la durée, je tiens à insister sur un autre point qui me tient particulièrement à coeur, étant l'élu d'une ville moyenne : il faut absolument pénétrer les territoires en s'appuyant sur les relais que constituent les villes moyennes, et même les petites villes. En effet, il s'agit d'un point d'appui absolument évident ; les départements le comprennent bien, les régions le peuvent aussi.

Vous passez des conventions culturelles avec les grandes agglomérations, et vous avez parfaitement raison ! Toutefois, je souhaiterais que, à travers la structuration de la politique culturelle, vous incitiez également l'ensemble des acteurs à établir des conventions avec les villes moyennes. En effet, avec leurs 50 000 ou 80 000 habitants, elles représentent souvent l'endroit de référence où l'on ouvrira l'école de musique, où l'on pourra travailler sur le théâtre vivant, entraînant ainsi un rayonnement géographique. C'est aussi un lieu privilégié pour parler des arts contemporains ; Dieu sait si c'est important et si le manque est énorme dans ce domaine.

Il est possible de dégager des marges de manoeuvre pour l'emploi culturel, me semble-t-il ; mais cela ne s'improvisera pas. Il ne suffira pas de dire aux collectivités locales : allez-y ! Encore faudra-t-il que l'Etat nous aide à élaborer cette politique dans la durée.

Monsieur le ministre, comme d'autres avant moi, je souhaite évoquer un dernier point : l'enseignement artistique dans les écoles, qui soulève deux problèmes.

Le premier concerne l'éducation nationale. Selon moi, tous les enseignants, quelle que soit leur discipline, ont vocation à participer à la mise en place d'une politique d'enseignement culturel dans les classes.

Celle-ci devrait d'ailleurs faire partie des savoirs fondamentaux évoqués dans la future loi d'orientation sur l'école. Il va immédiatement nous être rétorqué : avec quelles heures ? La réponse à cette question figure-t-elle dans la circulaire interministérielle que vous élaborez avec le ministère de l'éducation nationale, monsieur le ministre ? On me dit que cette circulaire est excellente, mais je n'ai pas lue.

Le second problème a trait à l'intermittence, à la participation des artistes qui se rendent, le plus souvent bénévolement, dans les écoles et les collèges. Leur présence devrait systématiquement être prise en compte dans le calcul des heures requises pour bénéficier du régime d'indemnisation des intermittents.

Encore faut-il que ces artistes soient financés. Je crois savoir que, là aussi, vous disposez d'enveloppes déconcentrées au niveau des DRAC, dont le montant s'élèverait à une quarantaine de millions de francs. Cet argent est-il ciblé ou bien simplement globalisé ? Comment pouvons-nous avoir l'assurance que ces moyens seront bien mis à disposition ? En effet, le cofinancement par les collectivités locales n'est pas exclu ; encore faut-il que l'Etat participe.

C'est un point essentiel, monsieur le ministre, vous en avez conscience. Tous les intervenants l'ont souligné, notamment Mme Tasca, une politique de développement culturel ambitieuse en France passe par l'école. Au-delà des discours, venons-en aux actes !

Je souhaite que la future loi d'orientation aborde le sujet. Vous-même, monsieur le ministre, avec la circulaire que j'ai précédemment évoquée et les moyens qui ont été annoncés, j'espère que vous pourrez définir précisément quel sera le financement des artistes dans leur mission non pas d'enseignement artistique, mais de découverte du monde à travers les oeuvres. Ils ont en effet un rôle spécifique qui n'est pas celui des enseignants, mais qui est fondamental pour l'ambition de notre politique nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Alduy.

M. Jean-Paul Alduy. Monsieur le ministre, lorsque, voilà quelques mois, vous êtes arrivé à la tête du ministère de la culture et de la communication, nous étions en pleine crise des intermittents du spectacle, une crise née d'une mauvaise négociation du protocole d'assurance chômage. Mauvaise négociation parce que l'on avait trop tardé à engager les réformes incontournables, dans ce domaine comme dans d'autres ; mauvaise négociation parce que l'analyse des abus était sommaire et les moyens pour les combattre inadaptés faute d'avoir eu le courage de redéfinir les métiers, artistes et techniciens, de la création et de la diffusion culturelles ; mauvaise négociation parce que le diagnostic était erroné sur le rôle et la place de la culture dans nos cités.

Cette crise aura néanmoins eu le mérite de permettre une vraie prise de conscience, dans tout le pays, de l'importance sociale mais aussi économique de ce que l'on appelle les arts vivants. Vivants parce qu'ils produisent les émotions individuelles et collectives dans nos cités, depuis le plus petit village jusqu'à la grande métropole ; vivants parce qu'ils interpellent sans cesse les valeurs et les pratiques qui fondent notre cohésion sociale ; vivants, enfin, parce qu'ils bousculent notre conscience et nos regards sur l'humanité.

Cette prise de conscience, certes payée au prix fort par les villes qui ont vu leur festival annulé, était nécessaire. Vous avez eu le mérite, par votre écoute, votre présence, votre objectivité et vos actes, non seulement de permettre que le dialogue soit renoué, mais aussi et surtout d'avoir su dépasser le strict champ social pour redéfinir, étape après étape, une véritable stratégie de développement de l'emploi culturel.

Vous souhaitez faire du développement des industries culturelles et de l'emploi des instruments essentiels de l'attractivité de notre pays, de l'aménagement du territoire et de notre cohésion nationale. Votre démarche est la bonne, même si le chemin sera long et difficile. Après avoir renoué les fils du dialogue, vous avez eu raison de prendre le temps d'établir un diagnostic partagé et incontestable. De ce point de vue, l'apport du rapport Guillot, largement cité, est considérable.

Néanmoins, après la reprise du dialogue et le diagnostic, encore faut-il définir les bases du nouveau système.

Le protocole du mois de juin 2003 a-t-il atteint les objectifs que les partenaires sociaux s'étaient fixés ? La réponse est claire et sans ambiguïté : non ! L'application, plus peut-être que le protocole lui-même, a donné le sentiment d'une volonté de fragiliser les plus précaires, tout en maintenant les acquis des plus hauts revenus. De même, s'agissant des économies escomptées, nous sommes loin du compte puisque le déficit serait passé, si j'ai bien compris, de 800 millions d'euros à un milliard d'euros en 2004 !

Fallait-il pour autant revenir à l'ancien système ? Là encore, la réponse est négative, ne serait-ce que parce que la communauté nationale faisait reposer le financement de la culture en grande partie sur l'UNEDIC, et donc sur les salariés. Nous avons, de ce point de vue, une responsabilité collective, qu'il s'agisse de l'Etat et des différents gouvernements qui se sont succédé depuis 1992 ou des collectivités territoriales.

Il convient donc, aujourd'hui, de définir les principes et le champ d'un nouveau protocole qui soit juste et équitable. Bien entendu, il n'est pas question de se substituer aux partenaires sociaux. J'observe toutefois que l'absence d'une branche patronale des employeurs de la culture au sein du MEDEF se fait cruellement sentir.

Néanmoins, il n'est pas interdit au législateur de poser quelques grands principes. En ce qui me concerne, j'en vois au moins trois.

Le premier, c'est le maintien de la solidarité interprofessionnelle et donc de la spécificité des annexes VIII et X. Les artistes et les techniciens ne sauraient être assimilés à des travailleurs saisonniers. Je sais, monsieur le ministre, que vous partagez cette position.

Le deuxième principe, c'est la définition d'un périmètre incontesté et incontestable ; nous avons été nombreux à le dire, à cette tribune. C'est là, monsieur le ministre, l'un de vos plus grands défis. En effet, si nous voulons accentuer le soutien des élus et de nos concitoyens au maintien d'un régime spécifique, nous devons le rendre absolument incontestable.

Le troisième principe - l'un ne va pas sans l'autre - c'est la rigueur dans la lutte contre les abus. Je sais, monsieur le ministre, que vous avez conditionné tous les financements de l'Etat au respect de bonnes pratiques d'emploi. J'aimerais obtenir de votre part davantage de précisions sur les instructions données à vos directions régionales. De même, quel est le bilan de votre action commune avec le ministère du travail s'agissant des contrôles et de la lutte contre les abus, quasi inexistants voilà encore quelques mois ?

Permettez-moi d'aborder à présent un volet qui me tient particulièrement à coeur et qui me paraît décisif pour l'avenir ; je veux évoquer la nécessité de repenser et de réorganiser les partenariats entre l'Etat et les collectivités locales - régions, départements, intercommunalités et communes.

Puisqu'il est maintenant exclu de faire reposer le financement de la création culturelle sur l'UNEDIC, il faut définir un vrai pacte politique national pour la création artistique et l'emploi culturel afin d'additionner de manière cohérente les interventions de tous les partenaires publics.

Le rôle des collectivités territoriales est dès à présent décisif, mais il ira croissant, car les politiques culturelles sont de plus en plus au coeur des projets urbains, du combat contre les fractures sociales et le communautarisme qui minent la cohésion sociale de nos cités, mais également des stratégies de développement économique de nos territoires, et notamment de la compétition que ceux-ci se livrent entre eux.

Encore faut-il qu'à tous les niveaux de responsabilité où les électeurs nous ont placés, quelles que soient nos sensibilités politiques, nous acceptions d'organiser les partenariats afin d'additionner nos moyens et, surtout, d'assurer la continuité des actions, des équipes et des équipements structurants, ceux sur lesquels reposent la création, l'enseignement, la formation et la diffusion culturelle.

Le rôle de l'Etat va être essentiel- Mme Tasca l'évoquait précédemment -, car c'est lui qui devra veiller à ce que les autoritarismes sectaires ne viennent ici ou là briser, vassaliser, instrumentaliser la création culturelle et sa diffusion.

Permettez, monsieur le ministre, que je saisisse l'occasion de cette tribune pour dénoncer ce que j'appelle « la casse culturelle » en Languedoc-Roussillon.

Vous êtes venu à plusieurs reprises dans notre région pour constater la brutalité des attaques contre des institutions et des manifestations qui avaient le malheur de déplaire au nouveau prince, je devrais même dire au nouveau consul puisque la région a été rebaptisée « Septimanie » dans les documents officiels ! La situation pourrait prêter à sourire si elle n'était si grave.

Que ce soit la fermeture brutale du Centre régional des lettres, les annulations unilatérales de subventions comme à Nîmes, les menaces qui pèsent sur le festival « Visa pour l'image », véritable rendez-vous mondial du photojournalisme, ou encore sur l'orchestre de Perpignan, il ne se passe malheureusement pas un jour qui n'apporte son lot de démantèlement de l'action culturelle, et ce, sans le moindre respect pour le travail accompli, au fil des années, par les élus, les bénévoles et les nombreux professionnels, pour faire vivre la culture dans nos territoires.

Dès lors, monsieur le ministre, il est primordial que l'Etat soit le garant de la continuité et de l'équité des financements sur l'ensemble des territoires. Je sais que vous êtes très attentif à ces dérives, mais il faudra des actions fortes. Je ne vois pas, quant à moi, d'autre voie que celle de la négociation de conventions pluriannuelles sur chaque agglomération, où soit engagé et donc lié, aux côtés de l'Etat, l'ensemble des collectivités territoriales.

Pour conclure, monsieur le ministre, permettez-moi de vous témoigner à la fois mon soutien et mon admiration...

M. Charles Revet. Très bien !

M. Jean-Paul Alduy. ...pour avoir su, en si peu de mois, renouer les fils du dialogue par votre présence et votre écoute, prendre les mesures d'urgence pour soutenir les artistes et les techniciens les plus précaires, obtenir un budget en forte hausse pour le spectacle vivant - ce n'était pas simple -, faire voter des mesures décisives pour éviter en particulier les délocalisations de tournages dans l'audiovisuel et, surtout, définir une nouvelle approche qui mobilisera, j'en suis certain, toutes les collectivités territoriales.

Ainsi, parce que vous avez eu la clairvoyance de reconnaître la part essentielle apportée par les arts vivants dans le développement économique et le rayonnement de nos territoires, l'Etat, dans ce domaine, retrouve son vrai rôle de stratège et de partenaire, mais aussi de garant des valeurs qui nous rassemblent. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai le plus brièvement possible, afin que vous puissiez, les uns et les autres, honorer vos rendez-vous.

Je voudrais très simplement, non pas en mon nom personnel mais au nom des artistes et des techniciens dont nous devons être, dans la répartition de nos responsabilités, les serviteurs, vous remercier de votre présence nombreuse et de très grande qualité. Je vois un symbole dans l'ouverture de cette séance par le président du Sénat et dans le fait que les vice-présidents, les présidents de groupes et soixante-dix sénateurs se soient aujourd'hui rassemblés autour du spectacle vivant.

C'est, je le crois, très important. Il s'agit peut-être tout simplement de l'hommage légitime que nous devons rendre à ceux qui font la fierté de notre pays, à ceux qui permettent à nombre de nos concitoyens de dépasser leurs limites, leurs rancoeurs, leurs haines, à ceux qui sortent le meilleur d'eux-mêmes pour donner de notre pays la plus belle des images.

Certes, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis un homme de dialogue et d'écoute ; néanmoins, je ne laisserai pas caricaturer la situation : nous agissons !

Aujourd'hui a été publiée et signée la convention entre le ministère de la culture, le ministère des affaires sociales et le ministère de l'économie et des finances pour que le fonds de transition applicable en 2005 voie le jour et pour que nous puissions, heure par heure, jour après jour, en suivre l'exécution au sein de l'UNEDIC, tel que cela est prévu.

Mesdames, messieurs les sénateurs, sans vouloir afficher une autosatisfaction prématurée et en complet décalage avec la réalité telle que je la perçois, je dirai que cette convention est très importante dans la mesure où il faut, au-delà de vos travées, que les artistes et les techniciens sachent à quoi ils ont droit dans notre pays.

Ils ont droit, s'ils ont accompli 507 heures de travail en douze mois, à être indemnisés ; ils ont droit - c'est une mesure nouvelle - à la prise en compte de leurs arrêts maladie pour les maladies remboursées à 100 % par la sécurité sociale ; les congés de maternités sont maintenant intégrés dans le calcul, ce qui est très important ; par ailleurs - et c'est ma manière de participer à la politique de renforcement de l'éducation artistique -, le contingent du nombre d'heures éligibles passe de 55 heures à 120 heures pour les artistes se livrant à des actions d'éducation artistique au sein de l'univers scolaire.

Je l'indique, évidemment, pour que les artistes et les techniciens le sachent et qu'ils puissent en bénéficier. Cependant, je ne considère pas, disant cela, que tout est réglé ; je m'assurerai moi-même, par ma présence dans un certain nombre d'antennes, de la large diffusion de cette information.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons été amenés à évoquer aujourd'hui - cela est bien évidemment normal - les conditions économiques et sociales du travail des artistes et des techniciens. Néanmoins, il ne faut pas oublier la magie dont ils sont capables et le fait que, à côté du talent, il y a le travail.

Ce double rappel est nécessaire : parler du spectacle vivant, des artistes, des techniciens, du cinéma, de l'audiovisuel, ce n'est pas parler uniquement des agents économiques que les uns et les autres peuvent être ; c'est également parler de personnalités particulièrement remarquables de notre pays.

Je suis venu aujourd'hui devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, avec un triple souci.

Premièrement, je veux créer une synergie entre l'Etat et des collectivités territoriales. Vous l'avez évoquée les uns et les autres, et c'est un point important.

L'aspect positif de notre rencontre d'aujourd'hui est de voir les responsabilités des uns et des autres et de bien les délimiter. Je l'avais compris, je l'ai réaffirmé devant vous et vous l'avez exprimé de nouveau comme un souhait fondamental et formel : les collectivités territoriales n'ont pas vocation à participer directement à l'indemnisation du chômage.

Néanmoins, nous avons tous vocation à soutenir l'activité culturelle et artistique dans notre pays. De ce point de vue, certains orateurs, à juste titre, ont dénoncé un certain nombre de ruptures unilatérales de coopération autour de l'action culturelle.

Je me suis rendu vendredi dernier à Nîmes pour assister à une représentation de l'Enlèvement au sérail, l'Etat ayant été amené - cela ne peut évidemment se faire que de manière très exceptionnelle - à pallier une suppression de subvention de la région et donc, pour que le spectacle ait lieu, à apporter directement une contribution supérieure à ce qui lui incombe naturellement. Si j'avais un esprit polémique, mesdames, messieurs les sénateurs, je pourrais vous citer encore bien d'autres exemples, touchant l'ensemble des secteurs de mon ministère.

Il est véritablement urgent et nécessaire que cette synergie entre l'Etat et les collectivités territoriales se fasse sur des bases justes. Il n'y a pas de désengagement de la part de l'Etat ; je ne fais pas aux collectivités territoriales, qu'elles soient gérées par un exécutif de droite ou de gauche, le procès du désengagement. Chacun a ses priorités, et il est urgentissime que l'on se mette autour d'une table, région par région, pour effectuer l'addition des énergies.

Quoi qu'il en soit, c'est de la désinformation que de dire, secteur par secteur, que l'Etat se désengage. Cette allégation est tout simplement non vérifiée.

Deuxièmement, j'appelle de mes voeux la synergie entre mes deux « casquettes », la culture et la communication - les uns et les autres, vous y avez fait allusion. En effet, l'une et l'autre vont de pair.

J'ai assisté, hier, à une réunion sur les problèmes de captation à la télévision de toutes les formes de spectacles vivants. J'y attache énormément d'importance. Il faut ouvrir l'accès des spectacles aux nombreux publics qui n'en ont malheureusement pas l'habitude, en raison de précautions, de craintes, d'un coût trop élevé ou tout simplement faute d'en avoir reçu la culture.

Par conséquent, j'attache la plus extrême importance au contenu de l'offre télévisuelle de qualité, notamment dans le domaine culturel. Je fonde des espoirs raisonnables sur la multiplication des chaînes. De nouvelles chaînes publiques et privées gratuites verront le jour à la faveur de la télévision numérique terrestre.

L'Etat, grâce aux arbitrages récents du Premier ministre, a donné des moyens supplémentaires à l'audiovisuel public. Il s'agit de moyens fléchés, et non d'une nouvelle sorte de dotation globale de fonctionnement. Il y a des impératifs précis, et je ne peux pas non plus laisser dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que l'audiovisuel public est sans ressources : premièrement, les ressources affectées à la chaîne d'information internationale, dont chacun voit bien la nécessité, sont des recettes nouvelles et ne sont pas dues au redéploiement ; deuxièmement, en 2005, les crédits de l'audiovisuel public augmenteront de 3,2 %.

Tout cela est, selon moi, nécessaire et impératif, car il faut avoir le souci des rapports entre les uns et les autres. Je ne pense pas, par exemple, que le fait d'avoir rétabli les Molières, avec un accord entre le théâtre public et le théâtre privé, sauvera la politique du théâtre en France ; je pense simplement qu'il s'agit des différents éléments d'une stratégie tout à fait résolue de ma part.

De la même manière, en ce qui concerne la relocalisation d'un certain nombre de tournages, je suis très précis dans ma manière de conduire et de remplir ma fonction. Cela fait réagir, mais j'y suis complètement indifférent dans la mesure où je suis animé par la volonté de soutenir les artistes et les techniciens afin de parvenir à de vrais résultats.

Par ailleurs, la répartition des responsabilités entre l'Etat et les partenaires sociaux est, évidemment, très importante. Mon objectif politique, je l'avoue, est qu'il n'y ait ni vainqueur ni vaincu ; je veux faire en sorte, mesdames, messieurs les sénateurs, que les partenaires sociaux dans leur intégralité, qu'ils aient ou non signés le protocole de 2003, se réunissent en 2005 et parviennent à un accord pérenne et équitable au sujet de l'indemnisation du chômage.

J'ai indiqué devant le Conseil national des professions du spectacle, le CNPS, et je le redis officiellement devant vous, parlementaires de la République : deux fois de suite, l'Etat s'est engagé.

L'Etat flèche le contenu des futures négociations dans un certain nombre de domaines. Je ne me vois pas, mesdames, messieurs les sénateurs, sauf s'il y avait unanimité au moment de la conclusion d'un nouvel accord, considérer, par exemple, que la date de douze mois n'a jamais existé dans mon esprit ou dans celui du Premier ministre, sous l'autorité duquel j'ai l'honneur de travailler.

Par conséquent, les mesures de transition prises pour 2005 définissent un certain nombre d'éléments du contenu des futurs accords.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j'attire votre attention sur le fait que 2005 sera l'année de la révision globale de la convention d'assurance chômage pour l'ensemble de nos concitoyens. Je serai d'une extrême vigilance afin que la spécificité des artistes et des techniciens, dans notre pays, soit confortée, confirmée, au sein de la solidarité interprofessionnelle. Il n'y a pas la moindre ambiguïté sur ce point.

Cela suppose, comme Louis de Broissia, Alain Dufaut et Yann Gaillard, notamment, l'ont souligné, que le périmètre soit absolument incontestable.

J'ai évoqué à de nombreuses reprises les craintes de l'opinion publique, et je vous ai fait part de la nécessité dans laquelle je me trouvais d'expliquer en permanence, aux uns et aux autres, les spécificités du système.

Troisièmement - et je ne voudrais pas que ce souci soit caricaturé -, je souhaite initier une dialectique de l'écoute et de l'action.

Le dialogue, mesdames, messieurs les sénateurs, est une valeur absolument fondamentale et nécessaire, dans tous les domaines dont j'ai la responsabilité. Je découvre parfois avec stupéfaction - je vous le dis avec franchise - que les principaux acteurs d'un grand nombre de secteurs sous ma responsabilité n'ont pas l'habitude de travailler ensemble.

Faire en sorte que les points de vue s'échangent n'est pas une manoeuvre dilatoire de ma part : je veux tout simplement partir d'un socle de réalité pour construire ensuite sur des éléments solides.

J'ai pris des décisions. Je bénéficie régulièrement sur ce sujet - je veux l'en remercier publiquement devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs - des arbitrages du Premier ministre. Il n'est en effet pas facile, dans une conjoncture budgétaire et financière difficile, de faire de la culture et de la communication des priorités stratégiques. C'est pourtant le cas.

Mesure après mesure, sur le patrimoine, sur les crédits d'impôt, sur le soutien à l'éducation artistique, au spectacle vivant, bref, dans chacun des grands domaines de l'action de mon ministère, le gouvernement auquel j'ai l'honneur d'appartenir agit. Que ce soit en faveur de l'audiovisuel public, par une décision du Premier ministre prise à la fin de l'automne, ou de la chaîne d'information internationale - cela nous éloigne quelque peu du spectacle vivant, mais c'est une grande responsabilité publique -, le Gouvernement agit.

Je reviendrai très rapidement, mesdames, messieurs les sénateurs, sur les différents points que les uns et les autres ont évoqués.

Monsieur le président de la commission des affaires culturelles, je vous remercie tout d'abord une fois de plus du travail que vous accomplissez et de l'intelligence avec laquelle vous intervenez partout. Il n'est en effet pas facile de renouer les fils du dialogue, et il se peut que, de temps en temps, le ministre se sente un peu seul. En tout cas, j'ai bénéficié de votre concours.

Je n'ai pas non plus honte de reconnaître, même s'il est normal d'assumer sa responsabilité, que le concours de Jack Ralite, par exemple, a pu être, à certains moments, très important, pour dépasser les clivages et les caricatures.

Les contrôles que vous appelez de vos voeux, monsieur le président de la commission, afin que le système soit correctement perçu par nos concitoyens, fonctionnent. Par ailleurs, trente emplois supplémentaires d'inspecteur du travail sont prévus. Ces inspecteurs seront formés pour remplir leurs missions telles qu'elles ont été définies par le ministre des affaires sociales et par moi-même. Nous souhaitons qu'il y ait des priorités dans le champ des contrôles. C'est tout à fait important.

Vous avez également évoqué la nécessité que les décisions de l'Etat et du Parlement soient correctement appliquées par l'UNEDIC et par les ASSEDIC. C'est effectivement essentiel. J'y veille, dans un climat de confiance, car le travail de ces organismes n'est pas facile. Les situations sont complexes et je serai particulièrement vigilant quant à la mise en oeuvre des nouvelles mesures.

J'ai prolongé la mission de Michel Lagrave au-delà de la conception du fonds provisoire puis du fonds de transition afin qu'il effectue les réglages parfois nécessaires entre l'Etat et les partenaires sociaux, que les mesures de transition entrent en vigueur et que l'application se fasse dans les meilleures conditions. Cela signifie que vous devrez nous faire part des dysfonctionnements que vous constaterez, pour que nous puissions y remédier.

Vous avez évoqué, monsieur Valade, la question de la mise en place des COREPS. J'attache beaucoup d'importance à ce que tous soient installés, dans chacune des régions. Ce sera quasiment le cas dans le mois qui vient ; certains d'entre eux ont d'ores et déjà constitué de vraies commissions de travail et fonctionnent remarquablement bien.

Madame Catherine Morin-Desailly, vous avez évoqué, avec toute votre expérience, car la politique culturelle est particulièrement active à Rouen, le souci de l'éducation artistique. C'est également le mien.

Avec François Fillon, nous avions parfaitement compris que l'on était en train de nous faire le énième procès de la guerre à l'intelligence, comme si la majorité présidentielle et le gouvernement auquel nous appartenons voulaient renoncer à l'éducation artistique ! Tout au contraire, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes totalement mobilisés pour que les plus jeunes de nos concitoyens apprennent à dépasser leur violence et deviennent de futurs spectateurs, épanouis et libres dans leurs têtes.

Cette action que vous avez évoquée, madame la sénatrice, est donc très importante ; François Fillon et moi-même la menons, et il n'y a aucun désengagement de l'Etat à cet égard, comme vous pourrez le constater à la lecture de la circulaire portant sur ce sujet que nous avons fait parvenir aux recteurs et aux directeurs régionaux des affaires culturelles, que nous avons réunis.

Monsieur Ralite, je ne peux pas revenir sur tous vos propos. D'un mot, je voudrais vous indiquer en tout cas que la diversité culturelle, les débats qui vont jalonner l'année en vue de la préparation de la convention à l'UNESCO sont pour nous absolument fondamentaux, essentiels et emblématiques. Je ne ménagerai aucune peine ni aucune énergie, étant sur ce sujet non seulement soutenu mais encore surveillé par le Président de la République. (Sourires.) C'est pour nous un enjeu majeur. Nos concitoyens doivent comprendre que, à travers les sigles et les articles complexes, il ne s'agit ni plus ni moins de respecter le pluralisme, les identités et la culture de chacun ainsi que la légitimité de chaque Etat à soutenir sa propre politique culturelle. Ce n'est pas du protectionnisme, cela ne signifie pas que les oeuvres ne circuleront plus ou ne seront plus échangées. Cependant, pour permettre ces échanges, chacun doit pouvoir exister.

De ce point de vue, je fonde de véritables espoirs dans les contacts que j'ai récemment eus avec le nouveau président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Il est véritablement résolu, me semble-t-il, à faire de la culture une priorité stratégique pour l'Europe.

Michel Thiollière, avec raison, accorde une importance majeure au rôle des télévisions publiques dans la diffusion du spectacle vivant, tant par le biais de l'information que par la promotion de toutes les formes d'expression culturelle et artistique. Nous agissons aussi dans ce domaine. On peut toujours nous reprocher de parler, d'être habiles et de ne pas agir. La nuit de la chanson française, qui, le soir de sa diffusion, a battu de douze points d'autres chaînes traditionnellement concurrentes du service public, n'est pas née du hasard. C'est moi-même qui ai demandé qu'elle soit organisée et qui ai veillé à son financement. Je crois en la multiplication de ce genre d'initiatives.

Je fonde de grands espoirs dans la nouvelle chaîne France 4, ex-Festival, qui sera accessible grâce à la télévision numérique terrestre, dans la diffusion vingt-quatre heures sur vingt-quatre de France 5, d'Arte, etc. Je souhaite que l'on puisse avancer, parce c'est très important. Je rendrai publique chaque trimestre - les modalités sont en voie d'être définies - la manière dont les sujets culturels sont traités dans l'ensemble des journaux d'information télévisés. Il s'ensuivra une véritable émulation, et nous verrons quelle chaîne sera gagnante. Vous me demanderez sans doute de définir ce qu'est un sujet culturel. Même si cela peut être très complexe, nous trouverons le moyen de le définir, car je crois que culture et communication doivent aller de pair.

J'en viens aux propos qu'ont tenus un certain nombre d'orateurs de l'opposition. Ils sont évidemment libres d'exprimer le fond de leur conviction ainsi que leurs désaccords. Nous sommes en démocratie. Peut-être les chiffres n'ont-ils pas été suffisamment diffusés ; aussi, sachez que 4,5 millions d'euros ont été dépensés en 2004 à travers le fonds spécifique provisoire pour les professionnels du spectacle vivant, du cinéma et de l'audiovisuel. Je n'ai jamais fixé d'objectif quantitatif définitif. Nous souhaitons que les artistes et les techniciens bénéficient des mesures qui ont été prises en leur faveur, en fonction de critères donnés. L'Etat fait face à ses responsabilités.

Vous souhaitez que le protocole soit abrogé avant la négociation. Certes, c'est une possibilité ; mais alors quelle sera la situation pendant la période de négociation ? Je souhaite pour ma part que, dans l'attente d'un système définitif, pérenne et équitable, artistes et techniciens soient indemnisés sur des bases claires. L'Etat prend à sa charge le financement de ces mesures.

L'on nous parle du désengagement de l'Etat, d'un budget en baisse, etc. Nous sommes habitués ! Cela figure dans tous les propos qui sont tenus en permanence, tant sur le patrimoine que sur le spectacle vivant ! Je demande des preuves. Mais il est inutile que je les attende dans la mesure où elles n'existent pas ! Cela fait partie du débat politique.

En revanche, vous avez raison de souligner la nécessité d'étudier les chiffres et les réalités. C'est très important. Je souhaite que se mette en place dans chaque région une sorte d'observatoire de la réalité des politiques culturelles, des chiffres et des statistiques, pour permettre ensuite d'utiles négociations.

En ce qui concerne la directive « services », nous sommes à la manoeuvre. Le Président de la République lui-même s'est exprimé. La culture et les biens culturels ne sont pas des marchandises comme les autres, et nous cherchons à le faire savoir au niveau européen.

J'en viens aux propos tenus par Jean-Claude Gaudin. Je serai effectivement demain dans sa ville. Depuis neuf mois, je me suis rendu dans cinquante-quatre départements différents et ai effectué plus de cent déplacements. Un certain nombre de départements ou de régions ont plus d'activités ou de festivals que d'autres. J'essaie ensuite de me faire le propagateur ou le défenseur résolu d'un certain nombre d'artistes que j'ai eu la chance d'admirer.

Ainsi, à ce jour, deux projets à destination notamment de nos concitoyens les plus jeunes me semblent particulièrement importants. En effet, certains spectacles permettent l'éveil aux réalités ou la prise de conscience face aux drames du passé. Je dis cela à quelques jours de la commémoration de la libération des camps. Or deux spectacles extraordinaires - Nathan le sage et Kaddish pour un enfant qui ne naîtra pas - traitent de la déportation, de la guerre, de la barbarie, du nazisme. Je souhaite qu'ils soient captés pour être par la suite diffusés dans les écoles. Le travail des artistes peut en effet conduire à une prise de conscience politique, parfois nécessaire.

Pierre Laffitte, comme à son habitude, a insisté à juste raison sur ce que la technologie et la science peuvent apporter au spectacle vivant. Effectivement, certaines formes d'expression artistique sont liées à la capacité, à l'expertise et à la culture scientifique. Il a raison de le rappeler, avec sa flamme habituelle.

Marcel Vidal parle du désengagement de l'Etat, notamment en ce qui concerne les monuments historiques. Ce n'est pas le débat qui nous occupe aujourd'hui. Sincèrement, ce désengagement n'est pas avéré. Pour autant, la situation n'est pas facile. Je souhaite trouver des moyens supplémentaires pour le patrimoine, car nous sommes confrontés à des situations urgentes. Y faire face est évidemment très difficile.

En ce qui concerne les marches du festival et les marches tout court, il faut reconnaître, cher Yann Gaillard, que nous n'en aurons jamais fini. Plus on avance, plus on mesure la complexité des situations que nous devons régler, en raison de leur extrême diversité. Paradoxalement, un certain nombre d'artistes ou de compagnies s'opposent à la transformation d'emplois précaires en emplois permanents, considérant que leur forme d'expression artistique est liée à tel ou tel système, et refusent de ce fait tout contrôle. L'on me reproche alors de vouloir « bousiller » le court-métrage en France - c'est de cela qu'il s'agit. Il faut faire preuve de finesse tout en édictant quelques principes forts. J'espère en tout cas que les voeux que vous avez formulés seront exaucés.

Marie-Christine Blandin, je voudrais revenir d'un mot sur ce que vous avez dit du transfert à Lens d'une antenne du Louvre. C''est un comble ! Le choix de cette implantation est légitime. En effet, nous avons voulu tourner la page de la crise industrielle et en effacer les cicatrices dans une ville qui avait été particulièrement marquée. Au-delà de ce choix positif, il faut aussi saluer l'intelligence dont la majorité présidentielle a fait preuve  - j'espère que chacun aurait agi de la sorte - en décidant de ne pas attribuer ce joyau à l'une des deux villes dirigées par un ministre du Gouvernement ; Valenciennes et Amiens présentaient en effet toutes deux un magnifique projet. Chacun avait toutes les clés en main. La région a pris ses responsabilités. Une convention liant cette dernière, les collectivités territoriales et l'Etat sera très prochainement signée. Ne donnez pas à penser que vous renoncez à ces engagements, sinon l'Etat ne signera pas la convention. Tout a été clair depuis le début. Il ne faut donc pas qu'il y ait de double jeu sur cette question. Si la donne devait changer, cela remettrait en cause la décision de l'Etat, ce que je ne souhaite pas.

Mme Marie-Christine Blandin. Rassurez-vous, monsieur le ministre, je n'ai aucun pouvoir de décision au niveau local !

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Je ne le souhaite pas, je le répète, car nous avons justement réussi sur ce sujet à franchir de nombreuses frontières.

Louis de Broissia a raison d'insister sur la nécessité d'une culture qui soit véritablement populaire, pour faire en sorte qu'elle rassemble le plus grand nombre et le plus large public. A juste titre, il veut qu'on mette un terme à cette espèce d'antagonisme périmé entre la qualité et le grand nombre. Ce serait en effet très méprisant à l'égard de nos concitoyens que de penser que les spectacles de qualité sont inaccessibles au plus grand nombre. C'est aussi une question d'éducation, d'ouverture d'esprit, d'éveil et de formation.

Catherine Tasca ne m'a pas épargné dans ses propos. C'est sa liberté. Je ne répondrai pas directement à des questions qui n'ont pas trait au sujet de ce soir, tels la RMN, le mécénat, les désengagements divers et variés, les manifestations condamnées - j'ignore ce à quoi elle faisait allusion. Je serai toujours attentif à ce qu'il n'y ait pas de manifestations condamnées de mon fait. Je souhaite qu'elle soit attentive également aux manifestations condamnées en raison de l'action d'un certain nombre d'exécutifs régionaux. Tout cela permettra d'agir ensuite.

Alain Dufaut était particulièrement concerné par ce qui s'est passé à Avignon, par le drame et le gâchis que nous avons ressentis les uns et les autres. L'attractivité de nos villes et celle de la France reposent évidemment sur tous les spectacles qui y sont organisés.

Je partage l'inquiétude de Jean-Paul Alduy s'agissant du festival Visa pour l'image. Un partenariat entre l'Etat, la région, le département et les villes est nécessaire. Surtout, s'agissant de Perpignan, ne croyez-vous pas que Barcelone fera des offres de services afin d'accueillir chez elle ce joyau et cet emblème de nos activités culturelles et artistiques ?

Je souhaite que notre débat permette aux artistes et techniciens de se sentir épaulés et soutenus. Nous avons beaucoup de travail. Les partenaires sociaux doivent engager une négociation sur l'indemnisation du chômage. Evidemment, le Gouvernement prendra ses responsabilités chaque fois qu'il le faudra. De plus, l'Etat et les collectivités territoriales doivent soutenir ensemble l'action culturelle et artistique. Vous l'avez souhaité, chacun à votre manière. J'espère en tout cas que notre mobilisation commune donnera espoir et confiance aux artistes et aux techniciens de notre pays, parce qu'ils le méritent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Le débat est clos.

Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le n° 166 et distribuée.

7

organisme extraparlementaire

M. le président. J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine.

Conformément à l'article 9 du règlement, j'invite la commission des affaires sociales à présenter une candidature.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du règlement.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures trente, est reprise à vingt-deux heures trente, sous la présidence de M. Guy Fischer.)

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : projet de loi portant statut général des militaires
Discussion générale (suite)

Statut général des militaires

Discussion d'un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi portant statut général des militaires
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant statut général des militaires (nos 126, 154).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que nous examinons aujourd'hui prend rang parmi les textes fondateurs de nos institutions, sur lesquels, à intervalles réguliers, l'Assemblée nationale et le Sénat sont amenés à se pencher et qui déterminent le caractère et le fonctionnement des institutions de notre pays.

A la préparation de ce texte, qui a nécessité de longs mois, nous nous sommes efforcés d'associer tous ceux qui pouvaient, à un titre ou à un autre, être intéressés par ce sujet, dans le cadre d'une discussion la plus large possible.

Un travail extrêmement approfondi a d'abord été mené par la commission de révision présidée par M. Denoix de Saint Marc. Cette commission, elle-même composée de personnalités représentant la société civile, le monde militaire et le monde de la défense, a très largement ouvert ses portes à des consultations diverses, aussi bien au sein de l'institution militaire qu'auprès d'un certain nombre d'autres organismes.

A la suite des consultations des instances de concertation, après des débats sans tabou, nous avons pris en compte un certain nombre de demandes fortes.

De la même façon, de larges échanges, qui ont été extrêmement libres, ont eu lieu avec le Conseil supérieur de la fonction militaire, le CSFM.

C'est ainsi que ce texte, tel qu'il vous est présenté aujourd'hui, a fait l'objet d'une adhésion très consensuelle de la communauté militaire dans ses grandes lignes.

Pourquoi vous présenter aujourd'hui un tel projet de loi ?

D'abord, ce texte était nécessaire.

Le statut général en vigueur date de 1972. En trente-trois ans, la société a changé. L'environnement économique et social a profondément évolué, les rapports de la société à l'autorité se sont modifiés. Nous sommes entrés dans une société de l'information. Le monde du travail s'est largement féminisé, les mouvements associatifs se sont multipliés, les armées, elles aussi, ont changé en plus de trente ans.

Elles ont changé du fait même de la professionnalisation. Les militaires professionnels souhaitent à la fois plus de responsabilités et plus de dialogue.

Les armées comptent désormais autant de militaires sous contrat que de militaires de carrière. Cela implique de porter une attention particulière à la cohésion à réaliser entre ces deux catégories.

La professionnalisation de l'armée implique aussi de porter une grande attention aux conditions de recrutement et à l'attractivité de l'armée, qui se trouve mise en concurrence dans le domaine de l'emploi avec l'ensemble du secteur privé.

Pour les mêmes raisons, il est important aussi de fidéliser les meilleurs éléments dans les armées pour garantir le haut niveau de ces dernières.

Si la société française, les armées ont changé, le contexte stratégique a également évolué.

Aujourd'hui, les engagements auxquels sont confrontés les militaires, notamment dans les opérations extérieures, ou OPEX, sont de plus en plus complexes. Très souvent, les militaires se retrouvent dans des situations floues où le temps de paix et le temps de guerre sont difficilement discernables ou s'imbriquent totalement l'un dans l'autre.

Ce qui est vrai aussi, c'est que les activités militaires sont de plus en plus strictement encadrées par le droit, et la conjonction d'un droit très strict et de situations très floues sur le terrain introduit des difficultés supplémentaires.

Enfin, le lien entre les armées et la nation a lui-même profondément évolué avec la professionnalisation et la suspension du service national.

Les armées doivent donc aujourd'hui tisser des liens nouveaux avec la communauté des citoyens. Elles doivent s'insérer dans la société par d'autres moyens que ceux qui étaient liés à la conscription, obligatoire pour au moins la moitié des jeunes Français.

Le nouveau statut général des militaires que je vous présente ce soir tend à répondre à ces différentes évolutions et aux questions qu'elles soulèvent.

Il traduit une grande volonté de trouver un équilibre entre les principes fondamentaux qui garantissent l'efficacité du métier militaire et la juste reconnaissance de la responsabilité et du poids que représentent dans notre société les militaires de carrière.

Il contient donc à la fois le rappel d'un certain nombre de principes et des avancées significatives quant aux droits des militaires et à leur protection.

Ce statut a également trait à l'organisation et au fonctionnement des armées, qui, elles-mêmes, en raison de leur nouvelle composition, ont changé. Il prend donc en compte, pour le renforcer, le système de concertation, mais il adapte aussi la gestion des carrières.

Face aux crises nombreuses et exigeantes que nous connaissons et que nous connaîtrons sans doute encore plus dans l'avenir, le nouveau statut réaffirme en premier lieu les principes essentiels qui garantissent l'efficacité du métier militaire.

Dès l'article 1er du nouveau statut, ces principes sont rappelés : l'esprit de sacrifice - nous savons tout particulièrement cette année, notamment après les événements de Bouaké, ce qu'il veut dire -, mais également la discipline, la disponibilité, le loyalisme, la neutralité.

Un autre principe est maintenu, celui de l'unicité du statut militaire. Il s'applique aux trois armées, à la gendarmerie et aux services communs. Il consiste à soumettre aux mêmes sujétions l'ensemble de ceux qui y participent, tout en leur permettant, bien entendu, de bénéficier des mêmes compensations.

En revanche, j'ai voulu que ce qui ne relevait pas de l'efficacité du métier militaire donne lieu à des assouplissements.

Dans un souci d'harmonisation, les droits des militaires ont été rapprochés au maximum des règles applicables à l'ensemble des fonctionnaires, dans la mesure où cela ne remettait pas en cause leur spécificité, liée à leurs missions.

Ainsi, certaines dispositions qui étaient devenues obsolètes ont été supprimées. Je pense, par exemple, à l'autorisation de mariage,...

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. ...disposition que j'ai été quelque peu étonnée de découvrir en arrivant au ministère. Il ne sera désormais plus nécessaire de demander l'autorisation de se marier avec un étranger ni de déclarer la profession du conjoint.

De même, et c'est un point important, les militaires auront désormais la liberté d'exercer des responsabilités associatives. Je rappelle que les militaires avaient le droit d'adhérer à des associations, sous réserve qu'il ne s'agisse pas de syndicats ou de partis politiques, mais qu'ils ne pouvaient y exercer de responsabilités.

Par ailleurs, les règles régissant les conditions d'expression seront assouplies : elles seront calquées sur les règles de l'ensemble de la fonction publique, se référant simplement au devoir de réserve qui s'applique à tout fonctionnaire et qui est mesuré en fonction du degré de responsabilité de ce dernier.

Toujours dans ce souci de rapprochement avec la fonction publique civile, le projet de loi procède à une refonte du régime des sanctions disciplinaires. Il vise à rénover et à simplifier largement le droit disciplinaire, ainsi qu'à mieux asseoir les droits de la défense.

Ainsi, les principes nécessaires à l'exercice du métier militaire sont conservés, tandis que des assouplissements sont accordés pour tout ce qui ne relève pas directement de l'exercice de ce métier.

Un autre point de ce statut fait l'objet d'une avancée considérable, à laquelle je tenais tout particulièrement : la protection et les garanties que l'Etat apporte aux militaires sont renforcées.

J'ai en effet considéré, compte tenu de la complexité des situations que j'évoquais tout à l'heure et des risques que supposent les crises dans lesquelles les militaires apportent leur savoir-faire, qu'un certain nombre de protections étaient tout à fait insuffisantes. Désormais, les militaires bénéficieront d'une meilleure couverture sociale et juridique.

Ainsi, les dommages qu'ils pourraient subir au cours d'une mission seront considérés comme imputables au service et donneront droit à réparation.

Les membres de la commission de la défense de la Haute Assemblée connaissent bien certains de ces cas, tel celui d'un militaire qui avait été tué lors d'une permission en cours de mission. Le refus, d'ailleurs fondé sur le droit en vigueur, de considérer cet accident comme imputable au service a laissé sa veuve sans droit à réparation. Je souhaite que, désormais, si vous en êtes d'accord, mesdames, messieurs les sénateurs, du tout début jusqu'à la fin de la mission, tout dommage qui pourrait survenir soit imputable au service, sauf en cas de faute détachable du service, ce qui d'ailleurs est la règle.

En cas d'usage de la force en opération extérieure - et nous revenons ainsi sur les problèmes juridiques que j'évoquais tout à l'heure -, l'éventuelle responsabilité pénale est aujourd'hui examinée au seul regard de la règle de la légitime défense telle qu'elle est définie dans le droit interne français.

Avec le nouveau statut, cette responsabilité sera désormais examinée en prenant en compte l'impératif d'accomplissement de la mission, dans le respect de l'ensemble des règles du droit international public.

A l'évidence, on ne peut pas continuer à appliquer un droit qui est fait pour une situation normale à des situations aussi complexes que celles des opérations extérieures.

Il s'agit donc d'une extension considérable de la protection pénale dont bénéficieront nos militaires, indispensable aux nouvelles tâches qu'assument nos armées dans le monde.

En dehors de l'ensemble de ces dispositions qui touchent aux personnes, aux principes et aux droits des militaires, c'est le fonctionnement de l'institution militaire que nous avons voulu conforter au sein de ce nouveau statut général.

S'agissant du système de concertation, en temps normal, les conseils de fonction militaire seront présidés par les chefs d'état-major ou les directeurs de service. Ces conseils ayant vocation à régler les problèmes qui sont propres à chacune des armées, il me paraîtrait anormal que le ministre de la défense dépossède de leurs responsabilités les chefs d'état-major ou les chefs des services.

En revanche, le Conseil supérieur de la fonction militaire continuera, bien entendu, d'être présidé par le ministre de la défense. Il sera composé de membres désignés par et parmi les conseils de fonction militaire d'armée. C'est là, me semble-t-il, un élément de simplification et d'uniformisation du régime de tous ceux qui représentent les militaires au sein du conseil supérieur de la fonction militaire. La protection des membres de ces instances sera garantie. Il n'y avait guère de problèmes à cet égard, mais une telle garantie devrait répondre aux quelques suspicions dont j'ai été informée.

Pour compléter le dispositif de concertation, je vous propose la création d'une commission indépendante d'évaluation, à même de porter un regard sur la condition militaire et la fonction militaire en général. Certains commentaires s'élevant, tantôt pour souligner les privilèges des militaires, tantôt, au contraire, pour dénoncer leur situation très désavantageuse au regard de celle d'autres fonctionnaires ou d'autres corps, il me paraît intéressant, afin que les choses soient bien claires, de nous doter d'une telle commission. Cette dernière devra remettre périodiquement au Président de la République, chef des armées, un rapport faisant état de l'évolution des choses dans ce domaine.

Parallèlement, les grandes règles de gestion des carrières militaires seront modernisées pour répondre, là encore, aux nombreux changements qui sont intervenus.

Tout d'abord, les protections et les droits des personnels sous contrat seront rapprochés de ceux des militaires de carrière. C'est une mesure de cohésion importante car, comme je vous l'ai dit précédemment, les militaires sous contrat sont aussi nombreux aujourd'hui que les militaires de carrière ; ils effectuent la même tâche et partagent les mêmes risques.

Ensuite, les limites d'âge seront rationalisées pour concilier les conséquences de la réforme des retraites et de l'allongement de la durée d'activité, avec l'impératif de jeunesse qui s'impose aux armées, compte tenu des missions qu'elles remplissent.

Parallèlement, le dispositif de reconversion, qui est déjà très avancé à maints égards et dont l'efficacité mérite d'être soulignée - je l'ai dit à beaucoup d'entre vous -, sera encore amélioré, en permettant un meilleur accès des militaires à la fonction publique civile. En effet, certains militaires, notamment ceux qui sont sous contrat, quittent l'armée très jeunes alors qu'ils possèdent un savoir-faire pouvant profiter à la fonction publique.

Mesdames, messieurs les sénateurs, tel est l'esprit qui a présidé à l'élaboration de ce nouveau statut général. Ce dernier résulte plus d'une volonté d'adaptation que d'un désir de révolution. Il ne s'agissait pas, en effet, de tout changer, car nous devons avant tout conserver à nos armées leur efficacité, ce qui nous impose un certain nombre de contraintes.

S'il ne constitue pas une révolution, ce texte contient néanmoins de notables avancées que j'espère avoir démontrées.

Il s'agit des évolutions indispensables pour faire face aux enjeux actuels et futurs de sécurité et de défense, aussi bien dans le domaine de l'emploi des forces que dans celui de la gestion des ressources humaines.

Ce nouveau statut réaffirme les spécificités de l'état militaire et ses contraintes, dont les militaires ne demandent d'ailleurs pas un allégement, sachant qu'elles sont inhérentes à leur mission.

Je note que ce texte a fait l'objet d'un débat extrêmement ouvert dès le début et qu'il a suscité un très large assentiment, comme l'ont montré les auditions organisées par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

C'est effectivement ainsi qu'il convient de travailler sur des textes fondamentaux qui sont destinés à durer dans le temps, tout en garantissant le respect de l'une des obligations essentielles de l'Etat, à savoir la défense de notre territoire, la sécurité des Français et le rayonnement de la France.

Je vous remercie par avance, mesdames, messieurs les sénateurs, de votre participation à ce débat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. André Dulait, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, l'actualisation du statut général des militaires répondait à une nécessité après les profondes transformations intervenues dans notre outil de défense depuis près d'une quinzaine d'années.

D'un format plus réduit que par le passé, notre armée s'est réorientée vers les missions de projection. Elle est quotidiennement engagée hors du territoire national au titre d'une large gamme d'opérations, incluant de difficiles missions de gestion de crise.

La professionnalisation constitue une réponse à ce nouveau contexte, mais elle se traduit aussi par des défis à relever en permanence, à travers le recrutement, la formation et une gestion des carrières adaptée aux besoins des armées comme aux aspirations des personnels.

Toutefois, au delà de ces importants facteurs de changement, des éléments de permanence subsistent. Ils ont trait au caractère très spécifique du métier militaire, qui implique la mise en oeuvre des armes et qui crée des obligations et des contraintes, tout comme il justifie des garanties et des compensations.

Dans ces conditions, il était clair que la révision nécessaire du statut général des militaires exigeait une adaptation, beaucoup plus qu'une refonte de la législation existante.

C'est dans cet esprit qu'ont été menés les travaux préparatoires à cette révision, dans le cadre de la commission présidée par le vice-président du Conseil d'Etat, travaux qui ont très largement inspiré le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui.

Ce texte marque une nouvelle et importante étape dans l'évolution qui a été engagée en 1972 vers l'unicité du statut militaire. Il englobe dans le statut des dispositions qui n'y étaient pas incluses et renforce considérablement la proportion des règles communes qui concernent tous les militaires, quel que soit leur grade, qu'ils servent sous contrat ou comme militaire de carrière. Il permet aussi d'actualiser de très nombreuses dispositions statutaires pour répondre de la manière la plus adaptée possible aux exigences d'une armée professionnelle moderne.

Ce projet de loi recueille globalement un large assentiment, comme nous avons pu le constater lors des différents contacts établis avec toutes les catégories de militaires, des hommes du rang aux officiers généraux. Cela tient en grande partie aux nombreuses consultations qui ont précédé son élaboration. Des préoccupations qui s'exprimaient depuis plusieurs années dans la communauté militaire ont pu être ainsi prises en compte.

Je ne reviendrai pas sur la présentation des différents volets du projet de loi dont Mme le ministre vient de détailler les principaux aspects. Je me limiterai à exposer les principales observations de la commission des affaires étrangères et de la défense.

En premier lieu, le grand chapitre du projet de loi concerne les droits civils et politiques du militaire. Dans ce domaine plus que dans tout autre, la question s'est posée de l'équilibre entre la volonté d'actualiser le statut et celle de maintenir les principes fondamentaux sur lesquels repose la spécificité de l'état militaire, notamment la discipline et la neutralité.

Le texte supprime plusieurs restrictions qui n'étaient plus justifiées et ouvre un champ plus large aux possibilités d'expression des militaires. Il maintient, en revanche, les principes en vigueur concernant l'adhésion aux formations politiques et à des organisations syndicales ou professionnelles.

Fallait-il aller plus loin ? Certains de nos collègues semblent le penser puisqu'ils ont déposé des amendements en ce sens. Pour sa part, la commission des affaires étrangères et de la défense ne souhaite pas modifier l'équilibre défini par le projet de loi, un équilibre qui résulte non pas d'une quelconque timidité ou frilosité, mais bien d'une très ferme conviction : celle de la singularité du métier militaire.

La singularité du métier militaire n'est pas une simple formule d'usage. C'est une réalité sur laquelle s'accordent un grand nombre de nos concitoyens. Devant l'Assemblée nationale, notre collègue député Jean-Michel Boucheron déclarait ceci : « L'armée ne sera jamais un service de l'Etat comme les autres. Jamais on ne devra banaliser l'exercice du métier des armes ».

M. Didier Boulaud. C'est une bonne référence, mon cher collègue !

M. André Dulait, rapporteur. Je suis certain que beaucoup d'entre nous, sur toutes les travées, partagent cette conception que le projet de loi entend préserver.

De nos contacts avec des militaires de toutes catégories, il ressort qu'eux aussi demeurent extrêmement attachés aux principes de discipline et de neutralité.

Certains, il est vrai, ne sont pas insensibles à l'intérêt que pourrait représenter un assouplissement des règles actuelles en vue de pouvoir participer plus activement à la vie citoyenne, par exemple pour exercer des mandats municipaux. Mais, de manière assez unanime, un accord se dégage pour considérer que les risques liés à la politisation sont supérieurs aux bénéfices que l'on pourrait retirer d'une modification du texte sur ce point.

Nous nous sommes demandés si le fait, pour nos soldats, de participer à des opérations multinationales aux côtés d'armées étrangères pouvait les amener à souhaiter un alignement sur certains statuts en vigueur dans d'autres pays. Nous avons constaté que la plupart de nos partenaires appliquent un régime particulier à leurs militaires en matière de droits civils et politiques, avec, dans la plupart des cas, des restrictions comparables aux nôtres.

Une étude comparative menée par les services du Sénat voilà deux ans a montré qu'une minorité d'entre eux reconnaissaient une forme de droit syndical, et ce parfois dans des conditions très spécifiques, assez étrangères à nos traditions nationales. On cite souvent le cas de l'Allemagne, mais sait-on que la principale organisation professionnelle de militaires dans le pays compte parmi ses membres le ministre de la défense lui-même ? Chez nous, cela ne serait pas très facile à mettre en place !

M. Didier Boulaud. On n'est jamais trop prudent ! (Sourires.)

M. André Dulait, rapporteur. En tout état de cause, nous avons recueilli de nos contacts l'impression très nette que, aux yeux de nos militaires, l'expérience des opérations multinationales confortait les principes de notre statut général. Le professionnalisme de nos armées sur les théâtres extérieurs est largement reconnu et nos militaires en sont fiers. Ils sont conscients des risques qu'il y aurait à affaiblir la cohésion et l'efficacité opérationnelle des unités.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées approuve donc les principes retenus par le projet de loi en matière de droits politiques, comme sur la question des groupements professionnels ou syndicaux.

Nous croyons, en revanche, devoir insister sur l'attachement des personnels à la concertation au sein des armées. Les actuelles instances de concertation - en premier lieu, le Conseil supérieur de la fonction militaire- sont confortées par le projet de loi. Un chapitre du nouveau statut général des militaires leur est consacré, alors qu'elles étaient jusqu'alors régies par une loi spécifique. Le statut des représentants des personnels est renforcé pour garantir le libre exercice de leur mandat.

Au-delà de ces améliorations législatives, madame le ministre, c'est la pratique qui permettra à ces instances d'être davantage en prise directe avec les personnels et de devenir le lieu d'échange et d'information auquel aspirent les militaires. Nous souhaitions souligner ce point, madame le ministre, afin que ce souci soit pris en compte non seulement dans les textes d'application, mais également dans les modalités concrètes de fonctionnement des conseils d'armée et du CSFM.

J'ajoute enfin que l'instance d'évaluation de la condition militaire prévue par le projet de loi a créé une forte attente. Nous y voyons un complément particulièrement nécessaire au dispositif de concertation. Le malaise diffus qui s'est déclaré dans les armées voilà un peu plus de trois ans démontre l'intérêt d'une telle instance, capable de fournir aux responsables une information objective permettant de définir une véritable politique de la condition militaire.

J'en viens maintenant au deuxième grand volet du projet de loi, qui concerne les protections et garanties accordées aux militaires.

Comme vous l'avez souligné, madame le ministre, c'est certainement dans ce domaine que le projet de loi s'avère le plus novateur et qu'il apporte les plus grandes avancées, lesquelles ont été saluées, à juste titre, par les représentants de la communauté militaire.

Le projet de loi introduit dans les protections et garanties accordées aux militaires par leur statut la notion d'opérations extérieures et apporte des améliorations concrètes aux situations qui n'étaient pas correctement prises en compte dans le droit actuel.

S'agissant de la protection pénale dont bénéficient les militaires en opérations, nous savons que le droit actuellement applicable hors des situations de guerre est celui de la légitime défense, qui encadre de manière très limitative les conditions d'usage de la force. Ces restrictions placent nos militaires dans des situations extrêmement difficiles sur le terrain.

Un texte de loi ne pourra certes jamais couvrir l'extrême variété de situations rencontrées sur le terrain, mais l'article 17 du projet de loi apporte une amélioration très importante au travers d'une règle simple : il vise à établir une disposition spécifique aux opérations militaires se déroulant hors du territoire français, à savoir une exonération de la responsabilité pénale du militaire qui exerce des mesures de coercition ou fait usage de la force dès lors que cela est nécessaire à l'accomplissement de la mission et qu'il agit bien entendu dans le respect des règles du droit international. La référence à l'accomplissement de la mission couvre un nombre de situations beaucoup plus large que la légitime défense et permet notamment d'assurer la protection de points sensibles même si le militaire n'est pas confronté à une menace sur sa personne.

Ces dispositions, rappelons-le, sont destinées à être appliquées par le juge pénal français, en l'occurrence le tribunal aux armées de Paris, seul compétent pour connaître d'éventuelles infractions commises par les militaires français à l'étranger. Cette juridiction disposera désormais d'un cadre légal indiscutable, afin de mieux tenir compte des conditions parfois difficiles dans lesquelles nos militaires accomplissent leur mission. Ces dispositions sont, par ailleurs, cohérentes avec les accords de défense ou de stationnement des forces conclus avec les pays étrangers et qui prévoient la compétence de la juridiction française, tout comme avec le dispositif de la Cour pénale internationale, cette dernière ne pouvant intervenir qu'en cas de carence des juridictions nationales.

Dans le même esprit, le projet de loi clarifie les conditions d'usage de la force sur le territoire national, dans le cadre de la protection des zones de défense hautement sensibles.

Le projet de loi permet également de réaliser une seconde avancée dans le domaine, cette fois-ci, de la prise en charge des blessures survenues en opérations.

Ces blessures seront réputées imputables au service dès lors qu'elles seront intervenues entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris pendant les actes de la vie courante ou lors des escales des bâtiments. Il s'agit d'une extension notable de la protection sociale du militaire en opérations. Nous avons constaté qu'elle était ressentie d'une manière très positive, compte tenu de la situation relativement défavorable dans laquelle étaient maintenus les militaires par rapport à d'autres professions qui sont appelées à effectuer des missions à l'étranger.

L'Assemblée nationale a abordé la difficile question des maladies contractées en opérations. Il est évident que ces maladies peuvent se révéler des mois, voire des années, après le retour de mission. La présomption d'imputabilité au service ne peut donc jouer de la même manière que lorsque les blessures sont constatées instantanément.

L'Assemblée nationale a toutefois apporté deux améliorations au texte actuel. Elle a porté de trente jours à soixante jours après le retour d'opération la période au cours de laquelle une maladie déclarée est réputée imputable au service, ce qui semble de nature à faciliter les réparations pour les intéressés. Elle a également prévu la possibilité, pour les militaires concernés, de bénéficier, avant ce délai de soixante jours, d'un contrôle médical approfondi destiné à déceler d'éventuelles affections.

Nous vous proposerons, quant à nous, d'inscrire le principe de ce contrôle médical dans le statut général des militaires lui-même et de l'étendre à toutes les missions opérationnelles, et non pas seulement à celles qui sont reconnues comme étant des opérations extérieures.

J'en viens à la troisième partie du projet de loi, qui est consacrée au déroulement et à la gestion des carrières militaires.

Elle reprend de nombreuses dispositions de l'actuel statut, mais elle apporte, elle aussi, des avancées intéressantes que notre commission a approuvées.

Je citerai, tout d'abord, la volonté d'aligner, chaque fois que cela est possible, la situation des personnels sous contrat sur celle des personnels de carrière. Ce sera le cas pour de nombreuses dispositions statutaires, notamment, par exemple, l'accès à certaines positions comme le détachement ou les possibilités d'intégration dans la fonction publique. Cela se traduira également en termes de droits sociaux. Ainsi, les militaires non officiers sous contrat radiés des cadres par suite d'infirmités bénéficieront d'une pension militaire dans les mêmes conditions que leurs camarades de carrière, ce qui mettra fin à une discrimination injustifiée.

Par ailleurs, le projet de loi procède à une refonte du régime des sanctions disciplinaires, inspirée d'un souci de rapprochement avec la fonction publique civile et d'un renforcement des garanties accordées aux militaires.

Ainsi, le nouveau statut se conformera aux grands principes du droit de la défense. Je crois savoir que les textes d'application en cours d'élaboration ont déjà reçu un accueil favorable du Conseil supérieur de la fonction militaire.

En matière de recrutement, le projet de loi apporte deux innovations.

Tout d'abord, il redéfinit les conditions d'accomplissement d'un volontariat dans les armées. Cette formule instaurée lors de la suspension du service national a, en effet, rencontré un écho inégal. L'armée de terre a ainsi été amenée à réduire très sensiblement le nombre de postes de volontaires, dont beaucoup n'étaient pas pourvus, et à les transformer, en partie, en postes d'engagés. Le nouveau statut apportera beaucoup plus de souplesse au volontariat. Sa durée minimale, fixée par décret, pourra être inférieure à un an. Le volontariat pourra également être fractionné. Ces nouvelles dispositions devraient ouvrir de nouvelles perspectives en matière de recrutement des volontaires, ce type de contrat pouvant jouer un rôle très utile en prélude à un engagement dans l'armée d'active ou dans la réserve.

Ensuite, la création d'une nouvelle catégorie, celle des militaires commissionnés, répond, elle aussi, à un objectif de souplesse. Nous avons bien compris qu'elle concernera des recrutements exceptionnels, en nombre très limité. Elle pourra néanmoins fournir aux armées certaines compétences dont elles ont besoin, y compris en faisant appel à des spécialistes étrangers.

Lors du débat à l'Assemblée nationale, vous avez réaffirmé, madame le ministre, la place qui revient à la réserve opérationnelle dans le fonctionnement de nos forces armées. Le texte est clair sur ce point puisqu'il précise les dispositions s'appliquant au réserviste, militaire à part entière dès lors qu'il se trouve en activité.

Le projet de loi consacre également deux chapitres à la reconversion des militaires, soit dans le cadre d'un accès à la fonction publique civile, soit dans le cadre d'aides permettant de préparer une seconde carrière dans le secteur privé. Il s'agit là d'une question majeure qui influe directement sur l'attractivité des carrières, et donc sur le succès du recrutement.

S'agissant de la reconversion dans la fonction publique, on ne peut que se féliciter de voir le nouveau statut intégrer et pérenniser les dispositions de la loi de 1970 ouvrant aux officiers l'accès à des emplois proposés par les administrations civiles, y compris les collectivités territoriales et les hôpitaux.

Ces dispositions auront un caractère permanent, mais, surtout, elles seront étendues à tous les militaires, de carrière ou sous contrat, quel que soit leur grade. La commission s'est félicitée de cette extension potentielle très importante du nombre de bénéficiaires. Il reste bien entendu à donner à ces dispositions toute leur portée en convainquant les administrations civiles de proposer un nombre significatif de postes.

Enfin, parmi les nombreuses modifications proposées par le projet de loi figure la modification du mode de désignation des officiers généraux. Chacun reconnaît le caractère très insatisfaisant de la pratique des nominations à titre conditionnel qui rendait toutes théoriques les limites d'âge de la première section.

Suivant les recommandations de la commission Denoix de Saint Marc, vous avez proposé, madame le ministre, un dispositif plus transparent pour satisfaire des objectifs sensiblement analogues, à savoir maintenir un flux suffisant de promotion aux grades d'officiers généraux.

Au total, les nouvelles règles applicables aux officiers généraux devraient se traduire par un recul d'un an environ de l'âge moyen réel de départ. Maintenu à soixante et un ans, l'âge maximal de service en première section pour les officiers des armes reste inférieur à celui qui est en vigueur dans la fonction publique civile pour les corps de niveau équivalent. Un recul de cet âge maximal aurait cependant abouti à retarder l'avancement dans tous les autres grades d'officiers.

La commission Denoix de Saint Marc a estimé nécessaire que la suppression des nominations à titre conditionnel soit assortie de mesures d'accompagnement, en particulier d'une revalorisation de l'échelle indiciaire pour les emplois supérieurs. Il est assez étonnant de constater que, selon les chiffres qu'elle a cités, le nombre d'emplois dits « hors échelle », c'est-à-dire correspondant aux indices les plus élevés, ait pratiquement doublé en quinze ans dans la fonction publique civile alors qu'il a diminué, dans le même temps, dans les armées. Cela comporte un risque évident pour l'attractivité de la carrière militaire.

C'est pourquoi il paraît nécessaire que la mise en place du nouveau statut et des nouvelles limites d'âge s'accompagne, de manière plus générale, d'une réflexion globale sur les perspectives de carrière offertes aux militaires et sur les aménagements à y apporter.

Pour conclure, j'indiquerai que l'Assemblée nationale n'a que peu modifié le texte sur le fond, confortant les équilibres généraux du projet de loi et apportant plusieurs compléments qui s'inscrivent dans l'esprit du texte initial du projet de loi et permettent de l'améliorer. Elle a également pris en compte certaines préoccupations particulières, notamment celles des retraités militaires, dont les droits figurent désormais explicitement dans le statut, ce dont nous nous félicitons.

Le projet de loi a recueilli le vote favorable de trois des quatre groupes parlementaires de l'Assemblée nationale, le groupe des députés communistes et républicains ayant, quant à lui, opté pour une abstention que son représentant a qualifié de « positive ». (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

C'est donc un texte très consensuel qui nous revient de l'Assemblée nationale, et les amendements que vous proposera la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées n'en modifieront pas la physionomie générale.

Sous réserve de ces quelques amendements, la commission vous demande donc, mes chers collègues, d'adopter ce projet de loi qui modernise le statut de nos militaires et comporte des avancées significatives, en particulier pour la protection de nos militaires en opérations. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 75 minutes ;

Groupe socialiste, 49 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 20 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jacques Peyrat.

M. Jacques Peyrat. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, rassurez-vous, je n'utiliserai pas les soixante-quinze minutes qui sont dévolues à mon groupe ! (Rires, exclamations et applaudissements.) Il faut savoir plaire au tribunal ! (Sourires.)

J'introduirai mon propos par une brève observation préliminaire.

Sous l'autorité de M. le Président de la République, vous faites montre, madame le ministre, d'une véritable, d'une grande, d'une précieuse ambition pour nos armées. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Claude Carle. Tout est dit !

M. Jacques Peyrat. Vous nous avez proposé, en 2003, une importante loi de programmation militaire, pour laquelle vous avez su, d'année en année, obtenir, avec notre soutien, le budget adéquat. Et vous nous soumettez aujourd'hui ce projet de loi qui adapte, simplifie et modernise le statut général des militaires.

Ce texte est le fruit d'une intense et fructueuse réflexion dont le rapport de la commission de la révision du statut général des militaires, présidée par Renaud Denoix de Saint Marc - parent d'un des plus grands officiers qu'ait connus l'armée française -, est l'expression.

Partant de ce grand rapport, vous avez fait des choix qu'il nous revient de discuter. J'ai quelque mérite à le faire, madame le ministre, représentant ici un département sans troupe, si l'on excepte une base aérienne de radars.

Plus de trente ans après la loi de 1972, ce nouveau statut ne constitue pas, vous l'avez rappelé, une révolution. Mais c'est, à mes yeux, une refondation.

Ce statut offre l'occasion de s'interroger sur la place de l'armée dans notre démocratie contemporaine. Notre nation, et c'est heureux, ne vit plus sous la menace d'une guerre à ses frontières. Plus que jamais, notre société est acquise aux dividendes de la paix dans une Europe démocratique. Elle en oublierait presque, parfois, que la condition de cette paix repose sur la capacité à se défendre et, de plus en plus, à s'interposer ou à intervenir dans les régions du monde les plus périlleuses.

Depuis 1972, il s'est produit une révolution : l'armée n'est plus le passage obligé de tous les citoyens. L'« armée de métier », si longtemps annoncée, nous y sommes enfin ! Le souvenir, glorieux et terrible, des armées de conscrits s'éloigne dans les méandres douloureux de la mémoire historique : la Grande Guerre, la Deuxième Guerre mondiale, l'Indochine, l'Algérie.

Mais, pour autant, nous n'en avons pas nécessairement fini avec le prix du sang...

Tocqueville faisait cette réflexion profonde : une société démocratique désire naturellement la paix, mais, pour l'obtenir, elle doit savoir honorer son armée, afin que ceux qui se consacrent à la carrière militaire soient des gens honorables. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Rien n'est plus dommageable, pour une nation démocratique, qu'une armée négligée, déconsidérée, voire méprisée. La France a cette chance d'avoir toujours su, au cours de son histoire, honorer la carrière des armes. Et ce projet de loi l'atteste, qui propose un statut rénové, mais fidèle à la tradition française.

La force du projet de loi peut se résumer en une formule simple : il maintient le bon équilibre et la juste mesure entre les deux identités du militaire, celle qui fait de lui un citoyen à part entière et celle qui l'inscrit dans un métier à part, celui des armes.

Ce nouveau statut général des militaires récapitule tout ce que notre nation démocratique exige de ses militaires, mais également tout ce qu'en retour elle leur doit. Parce que c'est une chose bien extraordinaire que d'être prêt à mourir pour sa patrie. Or tel est l'ordinaire de l'état militaire. C'est, comme le rappelle l'article 1er du projet de loi, l'« esprit de sacrifice » qui fait le soldat.

La professionnalisation de l'armée, dit-on souvent, et à juste titre, comporte le risque de relâcher le lien, indispensable à notre République, entre l'armée et la nation. Mais si le lien social de la conscription se distendait, c'est un lien moral qu'il faudrait réaffirmer. Le militaire prend les armes au nom de la France, et pour la France. A présent, c'est au service de la paix et de la liberté dans le monde, à titre de la prévention et de la gestion des risques, le plus souvent dans le cadre de coopérations internationales, avec le concours de nos alliés et, de plus en plus, dans le contexte de l'Union européenne.

Dans ce projet de loi, un choix essentiel a été fait, et c'est le meilleur choix : celui de continuer à soumettre les militaires à un régime juridique qui, pour être le plus possible rapproché de celui des civils, et en premier lieu des fonctionnaires civils, demeure spécifique. Si statut général des militaires il doit y avoir, c'est que le métier des armes demeure à part.

Ce choix a été opéré en matière de droits civils et politiques : les militaires, rappelle l'article 3, « jouissent de tous les droits et libertés reconnus aux citoyens », mais « l'exercice de certains d'entre eux est soit interdit, soit restreint » ; c'est l'application des principes de « discipline », de « disponibilité » et, vous l'avez rappelé, madame le ministre, de « neutralité. »

Il y avait là une question de fond, presque une querelle philosophique. Affirmer la neutralité du militaire, c'est nécessairement lui demander de se mettre à l'écart de la vie politique, mais non de la vie de la cité.

Le nouveau statut reprend donc l'interdiction, pour un militaire en activité, d'adhérer à un parti politique. Il l'oblige à se mettre en disponibilité dans le cas où il voudrait exercer un mandat électif. En matière de liberté d'expression et de communication, l'évolution se fait intelligemment et prudemment. L'autorisation préalable du ministre est abandonnée afin de permettre aux militaires d'être plus visibles dans la cité. Bien sûr, par principe, certains peuvent s'opposer à toutes les restrictions. Mais ces choix sont guidés autant par la tradition que par la raison.

Il eût été possible de rapprocher les conditions d'embauche des militaires de celles des autres fonctionnaires. Mais, là encore, c'eût été déraisonnable : on ne s'engage pas dans l'armée comme on rentre dans une administration ; c'est du moins ce que je crois.

Toutefois, et c'est l'un des enjeux du projet de loi que vous nous proposez, il s'agit d'approfondir le mouvement vers l'unification du statut militaire. Ainsi, autant que faire se peut, le nouveau statut aligne la condition des militaires sous contrat sur celle des militaires de carrière, l'objectif étant de renforcer la cohésion de nos armées parce que, au combat, le risque est le même pour toutes les catégories de militaires.

Le nouveau statut permettra aussi à nos armées devenues professionnelles de relever un triple défi en matière de recrutement : le défi de l'attractivité du métier militaire, celui de la fidélisation des recrues et, enfin, celui de la cohésion essentielle de nos soldats.

Toute armée, fût-ce celle d'un pays en paix avec ses voisins et fût-elle professionnelle, doit demeurer composée pour l'essentiel de jeunes gens. Ainsi, par ce nouveau statut, il s'agit d'assurer à l'armée professionnalisée le renouvellement indispensable de ses cadres et d'attirer vers elle les spécialistes dont elle a besoin. Une armée de professionnels est une armée capable d'attirer les scientifiques et les techniciens qui lui sont nécessaires pour être opérationnelle. C'est une armée de plus en plus « confrontée » à des civils. Et surtout, c'est une armée dans laquelle les militaires sous contrat, qui commencent leur parcours professionnel sous les armes, sont majoritaires.

Le nouveau statut est à la hauteur du défi que constitue ce bouleversement sociologique.

Mais l'armée professionnelle, pour être attractive, doit être une armée qui professionnalise, en offrant, à ceux qui font le choix de servir, une meilleure visibilité de leur carrière et la possibilité de saisir des opportunités professionnelles au-delà de leur engagement dans l'armée. C'est une attente, une exigence légitime tant des militaires de carrière que des militaires sous contrat.

Les dispositions qui vont dans ce sens sont nombreuses.

Des droits sociaux élémentaires sont accordés aux militaires sous contrat, comme le droit à une allocation chômage.

Les dispositifs ouvrant des voies d'accès à la fonction publique sont inscrits dans le statut. Il ne doit pas simplement s'agir là d'un voeu pieux : les ressources humaines que représente le vivier des militaires pour le service de la nation, que ce soit au niveau de l'Etat ou dans les collectivités territoriales, demeurent sous-exploitées. Madame le ministre, pourrez-vous nous donner des engagements pour que ces dispositifs ne restent pas sans usage ? En 2004, je le signale, aucun poste d'administrateur civil n'a été proposé à des militaires.

Le nouveau statut développe enfin les dispositifs de reconversion ou de retour à la vie civile.

Une armée professionnelle est une armée qui adopte des méthodes modernes en termes de gestion des personnels militaires. Toutes ces mesures vont dans le bon sens. Elles peuvent néanmoins susciter parfois des interrogations légitimes.

L'esprit de cohésion est au coeur de la condition militaire : la tendance à l'unification des statuts que propose le projet de loi le renforce. Toutefois, madame le ministre, il est une disposition qui inquiète certains militaires, la rémunération au mérite, car elle leur apparaît de nature à remettre en cause cette cohésion.

Ne nous y trompons pas : l'armée est attachée à la récompense du mérite ; elle est même, dans notre histoire, la première école du mérite. Les décorations sont autant de distinctions qui l'établissent. Mais la part symbolique de la reconnaissance de la valeur militaire doit l'emporter sur la part matérielle. Le principe des primes au mérite, lié à la nouvelle bonification indiciaire destinée à tous fonctionnaires, ne risque-t-il pas de provoquer d'inutiles tensions ?

Vous y êtes certainement sensible, madame le ministre, et je suis assuré que vous saurez appliquer ces dispositions nouvelles avec finesse et pédagogie.

Permettez-moi une réflexion personnelle : il ne faudrait pas que la prime vienne amenuiser ou faire disparaître la reconnaissance qui s'attache à la décoration ni la fierté légitime de celui qui la conquiert.

Je l'ai déjà dit et je le répète, ce nouveau statut tire les conclusions de la fin de la conscription et il pose les fondations d'une armée française nouvelle, respectueuse de ses traditions et de son histoire.

Mais le nouveau statut général des militaires ne répond pas seulement aux défis de la professionnalisation. En effet, si les temps changent, c'est d'abord que la société change. Les mentalités évoluent. Notre société est plus individualiste. Chacun y semble plus attaché à ses intérêts immédiats et personnels. La quête du bien-être et le désir de sécurité envahissent toutes les strates et gagnent tous les milieux.

Comment, dès lors, maintenir ces activités qui, par essence, supposent une vocation, appellent un dévouement, exigent un don de soi, voire la capacité au sacrifice de soi-même, activités au premier rang desquelles se range le métier des armes ?

Il faut tenir compte des demandes nouvelles. Mais il faut aussi résister à une évolution vers le chacun-pour-soi et réaffirmer les grands principes sans lesquels il n'est pas de vie en commun.

C'est cela que le statut réalise non seulement pour les militaires auxquels il s'adresse, mais aussi pour chaque citoyen. Il montre à chacun d'entre eux, à chacun d'entre nous, ce qui fait la valeur militaire.

Si les militaires sont des citoyens à part entière, ce sont aussi des hommes, et de plus en plus des femmes, qui font le choix d'un métier à part.

Le nouveau statut tend à leur accorder les mêmes droits qu'un civil, dès lors que la restriction est désuète ou inutile. Il en est ainsi de la fin du contrôle sur la vie privée et sur le lien matrimonial des militaires que l'ancien statut permettait.

J'ai parlé de l'interdiction de militer. Mais l'interdiction d'adhérer à un syndicat fait l'objet d'une discussion, parfois éclairée par des exemples étrangers, comme ceux de l'Allemagne ou du Royaume-Uni. Le nouveau statut maintient l'habitude française, ce qui ne signifie toutefois pas que les militaires n'ont pas leur mot à dire sur ce qui les concerne.

L'éthique militaire française met au premier plan le principe de la cohésion et de la concertation. C'est ce que propose le nouveau statut en reconnaissant le rôle et la composition des conseils de la fonction militaire dans chaque arme, et du Conseil supérieur de la fonction militaire.

Ce nouveau statut permet également aux militaires d'être plus visibles dans l'espace public. L'un des instruments de cette meilleure visibilité et de cette présence plus forte dans la société sera le Haut comité d'évaluation de la condition militaire, lequel, comme le demande la commission des affaires étrangères du Sénat, devrait remettre un rapport annuel au Président de la République. Toutefois, de mon point de vue, il serait judicieux qu'il fasse une place à des parlementaires, comme l'a d'ailleurs prévu l'Assemblée nationale.

L'esprit de discipline est également au coeur de l'éthique militaire. Mais il ne délimite pas un cadre dans lequel l'individu est privé de ses droits. Le nouveau statut les formalise, les sanctions sont rationalisées. C'est bien ! La transparence ne nuit pas à l'obéissance.

Madame la ministre, vous avez su adapter le statut tout en conservant l'esprit. Bravo !

Mais il est une autre réalité qui a changé et qui est plus impérieuse encore pour le métier des armes : la guerre, loin de disparaître, revêt maintenant de nouveaux oripeaux. Elle est, en un sens, plus présente que jamais : elle n'est plus déclarée ; elle n'a pas plus de fin. Les derniers conflits impliquant notre pays, tant en Indochine qu'en Algérie, nous avaient fait déjà découvrir la guerre subversive, si bien d'ailleurs que l'on n'avait pas su la concevoir comme une guerre... et qu'on l'avait camouflée en opération de police.

Il y a là un paradoxe que nos concitoyens ne mesurent pas suffisamment : alors que la menace de la guerre s'éloigne de plus en plus de leur horizon quotidien, nos militaires sont, pour leur part, de plus en plus souvent exposés au feu. Leur quotidien à eux, ce sont ces pays du monde qui ne connaissent pas la douceur de la paix démocratique et qui sont, selon la formule consacrée, des zones de non-droit, en proie aux violences, aux destructions, aux guerres civiles, voire au chaos, le plus souvent sous un climat et dans un environnement qui ne sont pas les nôtres.

La guerre est donc sortie de son cadre traditionnel. C'est sur ce nouveau théâtre, qui n'est pas juridiquement une guerre, que nos soldats sont déployés dans ce que l'on appelle des « opérations extérieures ». Nos concitoyens ont ainsi entendu parler de leur présence au Kosovo, en Afghanistan, en Côte d'Ivoire. Ces opérations extérieures mobilisent, sur une année, plus de 40 000 soldats français. Le sait-on ?

Ces soldats ne risquent pas seulement leur vie, mais se retrouvent dans une véritable situation d'insécurité juridique, et ce au nom de la France et parce qu'ils sont au service de la paix et d'une certaine idée de la démocratie. Ils ne sont pas assurés d'être couverts au cas où ils seraient victimes d'un accident. Ils ne sont pas assurés d'être pénalement protégés au cas où ils auraient simplement rempli leur mission. Voilà ce que nos juridictions négligent. Voilà ce que nos concitoyens ignorent. Et voilà ce que ce texte vise à corriger.

Jusqu'à présent, les garanties et protections de nos militaires dans les opérations extérieures relevaient d'une accommodation acrobatique de la loi du 6 août 1955, destinée, à l'époque, aux opérations de police en Afrique du Nord, pour le « maintien de l'ordre dans certaines circonstances » ! Or les conflits dans lesquels se trouvent plongés nos soldats ne relèvent pas d'opérations de maintien de l'ordre.

Parce que notre pays sait ce qu'il doit à ses soldats, voilà ce que ce projet de loi tend à rectifier !

Le principe de l'imputabilité des blessures au service est étendu à toute la durée d'une mission opérationnelle, en y incluant les périodes de détente.

Le dispositif est-il suffisant ? Prend-il adéquatement en considération les risques de maladies qui peuvent être détectées tardivement, mais n'en sont pas moins liées au service ? L'Assemblée nationale a porté le délai de constatation de trente à soixante jours après le retour d'une opération. C'est mieux, mais c'est peu. Si le principe d'un « dépistage médical » au retour d'une mission est adopté, ce sera encore mieux et presque bien. En effet, s'il faut bien une limite à la présomption d'imputabilité, celle-ci paraît raisonnable.

Souffrez que je vous dise, madame la ministre, que pendant les quelque vingt années qui ont suivi la guerre d'Indochine, j'ai plaidé devant le tribunal des pensions militaires pour faire reconnaître la dysenterie amibienne, le paludisme, la dengue, la dartre annamite, et beaucoup d'autres maladies totalement inconnues et qui se révélaient si longtemps après. Châtel-Guyon et Vichy en ont fait leur litière !

L'autre grande insuffisance du statut de 1972 concerne la responsabilité juridique des militaires dans le cadre des opérations extérieures. Si le cadre juridique actuel, établi par l'article 59 du code de justice militaire, pose que le militaire en opération extérieure relève de la loi française, c'est dans le cadre de la légitime défense et du principe de nécessité que son action peut être jugée, comme pour un policier sur le sol français !

Sur le théâtre de guerres civiles, cela revient à désarmer des soldats qui, bien souvent, ne peuvent être que les spectateurs impuissants de conflits qu'ils sont censés apaiser. Tant que leur vie n'est pas explicitement menacée, ils sont censés n'appartenir qu'à une armée de papier ! Parce que notre pays sait la grandeur de la mission que remplissent nos soldats, voilà ce que le projet de loi portant statut général des militaires vient, heureusement, rectifier.

Le nouveau statut maintient le principe de la responsabilité individuelle du militaire, mais il établit, légalement, le cadre d'une opération extérieure et indique que le juge évaluera l'action d'un militaire dans le contexte de ce qui « est nécessaire à l'accomplissement de sa mission » et non plus sur la base de la simple légitime défense, qu'il a toujours été très difficile de prouver. Le progrès est réel.

Le nouveau statut protège, mais surtout il responsabilise. La protection juridique trouve son corollaire dans la rationalisation du régime disciplinaire. Là encore, toute la difficulté du projet de loi que vous nous proposez, madame la ministre, est de tracer la ligne de démarcation entre les droits reconnus à tous et les obligations spécifiques liées à la condition militaire.

Le grand historien Fustel de Coulanges observait que « l'état social et politique d'une nation est toujours en rapport avec la nature et la composition des armées ». C'est la raison pour laquelle ce projet de loi portant statut général des militaires revêt une telle importance.

Avec l'actuel statut, l'Etat n'était pas en mesure d'accomplir son devoir de protection envers ceux qui avaient choisi de le défendre. Le nouveau statut restaure les conditions d'acquittement de cette obligation morale, qui est celle de la nation.

A travers le lien rénové qui se noue ainsi entre notre nation et son armée, au regard de la place que nous réservons à la vocation militaire, mise au service de la paix et de la liberté, c'est notre ambition qui s'exprime, celle de maîtriser notre destin et de continuer à peser un peu sur le cours du monde.

Oui, c'est bien notre état social et politique qui se révèle, car n'oublions jamais qu'il n'est pas de politique étrangère sans une armée opérationnelle et protégée.

Telles sont, madame la ministre, les raisons pour lesquelles le groupe auquel j'ai l'honneur d'appartenir, après en avoir débattu, votera sans hésitation le projet de loi que vous nous proposez. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Nogrix.

M. Philippe Nogrix. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le présent texte, comme l'a déjà souligné M. le rapporteur, vient à temps pour modifier la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires. Il prend en compte les évolutions de la société, tout en préservant les caractéristiques essentielles de l'état militaire : discipline, neutralité, disponibilité et loyalisme.

La communauté militaire a dû progressivement s'adapter aux nécessités du temps. La place et l'image du militaire dans la société, ses rapports avec la nation sont autant de variables qui ont évolué dans l'histoire en fonction de la nature des régimes et des comportements sociaux qui se sont succédé.

Les caractéristiques historiques, qui sont au fondement du statut général des militaires, conditionnent de façon très forte l'efficacité de nos armées.

Ces grands principes historiques et essentiels nécessitaient aujourd'hui une actualisation. Plusieurs raisons l'exigeaient : l'évolution récente du cadre juridico-législatif régissant les conditions de vie des militaires, la transformation de notre société et de ses habitudes.

C'est d'ailleurs en tirant la leçon de ces évolutions de la société et de l'environnement géostratégique du pays que le Président de la République décidait, en 1996, de professionnaliser les armées et de suspendre la conscription. La loi du 28 octobre 1997 portant réforme du service national a profondément modifié l'organisation de la défense française : elle a bouleversé les équilibres et les liens entre la nation et ses armées et a fait apparaître des enjeux nouveaux, que le présent projet de loi prend en considération.

L'évolution la plus flagrante est la technicité croissante du métier de militaire. Les évolutions techniques ont, c'est vrai, rendu moins pénibles le métier ainsi que les conditions de déroulement des missions. Une évolution de la durée des carrières était donc souhaitable : ce projet de loi le propose.

Compte tenu de la spécialisation technique de certains métiers, il est aujourd'hui réellement nécessaire de fidéliser les techniciens des armées, qui, compte tenu de leurs compétences, pourraient être tentés, et ils le sont, de partir dans le secteur civil.

La nature des interventions a aujourd'hui évolué. Le plus souvent, nos forces armées sont amenées à intervenir lors de crises sur des terres éloignées. Elles peuvent servir de force d'interposition : il suffit de penser à la Côte d'Ivoire. Cette situation nécessitait une adaptation statutaire et un renforcement des garanties en matière de protection sociale et juridique, principalement du fait de l'évolution du régime de responsabilité. Sur ce point particulier, je tiens, au nom de mon groupe, à saluer les avancées apportées par le projet de loi.

Un autre aspect semble très important, celui de la place du militaire dans la société dans un moment où l'armée y joue un rôle de plus en plus important : guerre contre le terrorisme, bouleversement de l'ordre international, rééquilibrage des forces mondiales, respect des accords de non-prolifération des armes de destruction massive. L'armée intervient aussi dans les opérations de rétablissement de la paix, lors de catastrophes naturelles, mais aussi pour protéger la population sur le territoire national - ceux qui prennent le train le savent bien.

Le citoyen est, directement ou par le biais des médias, en contact régulier avec nos troupes, dont les actions peuvent désormais se mesurer au quotidien.

L'évolution des droits et libertés des militaires était nécessaire, d'autant que demeuraient, dans l'ancien statut général, des devoirs et obligations d'un autre temps. Vous en avez parlé, madame la ministre, et, de ce point de vue, le texte apporte une avancée significative.

Enfin, vous me permettrez d'émettre quelques réserves.

Si le présent projet de loi représente un grand progrès par rapport à la loi de 1972, il n'en reste pas moins qu'il ne nous semble pas tout à fait assez novateur en ce qui concerne la représentation des intérêts des militaires.

L'article 18 prévoit, certes, la mise en place d'instances consultatives, mais ces dernières nous paraissent trop complexes dans leur mode de désignation et nous en regrettons le caractère uniquement consultatif. Il conviendra donc, madame la ministre, de bien évaluer les résultats obtenus par ces instances pour éviter d'éventuels mécontentements.

L'évolution du statut avait également été rendue nécessaire par l'évolution du droit, notamment en ce qui concerne le régime des sanctions, que vise à rénover le texte. L'évolution de la jurisprudence du Conseil d'Etat ayant conféré une plus grande protection aux militaires, cette évolution était nécessaire. Je regrette, cependant, que la hiérarchie des sanctions disciplinaires soit désormais déconnectée de celle qui est en vigueur au sein de la fonction publique.

De la même façon, il est dommage que la suppression par l'Assemblée nationale de la notion de rémunération au mérite conduise à une seconde déconnection par rapport à ce qui se pratique aujourd'hui dans la fonction publique d'Etat. On y assiste, en effet, peu à peu, à une évolution concertée vers un mode de carrière et de rémunération au mérite, en particulier avec le système des primes proportionnelles au service rendu. Je considère donc souhaitable que ce principe soit rétabli dans le texte, à l'instar de ce que nous vous proposons et de ce que vous propose M. le rapporteur.

Ce dernier a dissipé une inquiétude quant à la position des militaires en retraite, qui ne doivent pas être écartés du présent statut. Leurs liens avec la communauté militaire devaient être préservés. Ils le sont désormais.

Pour conclure, je souhaite féliciter M. Dulait pour son rapport, dont la lecture permet de bien comprendre tous les aspects du texte, et je vous remercie, madame la ministre, pour la qualité législative de votre texte : je rappelle que le précédent statut comptait tout de même près de quatre cents articles, alors que celui-ci n'en contient plus que cent.

Le présent projet de loi possède donc une qualité que nous ne retrouvons pas assez souvent dans les textes qui sont soumis à notre examen : il se concentre sur des mesures qui relèvent bien de la compétence du législateur. Il suscitera, en cela, notre attention et notre intérêt.

Le groupe UC-UDF votera pour votre texte, madame la ministre, en espérant qu'il sera assorti de quelques-uns des amendements que nous avons déposés. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc.

Mme Hélène Luc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l'image de la société dans laquelle nous vivons, le visage de l'armée française a subi des mutations profondes.

La France et le monde de 1972 ne sont plus et, de ce fait, l'actuel statut des militaires est devenu obsolète sur de nombreux points.

Evolution des temps, évolution de l'économie, évolution du cadre de vie : autant d'aspects qui rendaient nécessaire une refonte de ce statut.

Il faut dire que l'armée a changé, en premier lieu, du fait de la professionnalisation et de la suspension du service national.

Ces changements concernent, tout d'abord, la détermination de notre politique de défense, qui doit faire face à la mise en oeuvre d'une défense européenne, ainsi que le recours aux OPEX, généralement menées sous mandat international.

Missionnaires de la paix au Kosovo ou en Afghanistan, où ils ont laissé une bonne image, les militaires ont parfois été obligés de se servir de leurs armes, ce qui souligne la complexité et la dangerosité de leur mission, sans compter qu'ils ont participé de nombreuses fois aux secours lorsque des catastrophes naturelles sont survenues.

Ces changements concernent, ensuite, la personnalité même des hommes... et des femmes, de plus en plus présentes, puisqu'elles représentent 18 % des effectifs de l'armée d'aujourd'hui.

Les mentalités changent. Oui, les militaires servent notre pays, mais ils n'en sont pas moins des êtres humains et ils tendent de plus en plus à affirmer cette dimension, tout en gardant bien à l'esprit la spécificité de la mission qui leur incombe.

Enfin, c'est la structuration propre à l'armée, avec la professionnalisation et la suspension de la conscription, qui pose les jalons d'une nouvelle approche des militaires, avec des notions de recrutement et de fidélisation nouvelles.

A l'occasion des discussions sur la professionnalisation des armées et la suspension du service militaire, le groupe communiste républicain et citoyen a mis chacun en garde sur les conséquences de tels bouleversements, qui privaient la France de la participation des jeunes à sa défense.

Bien sûr, il fallait transformer le service militaire, en optant pour une durée plus courte ; bien sûr, il fallait former en plus grand nombre des spécialistes dans nos armées ; mais il ne fallait pas suspendre la conscription !

De plus, avec la mise en oeuvre effective, en 2006, de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, la nouvelle structure budgétaire se fera sur la base d'un calcul en termes de masse salariale globale et non plus, comme c'est le cas actuellement, en termes de postes budgétaires. Or il est à craindre, à juste titre, de voir s'opérer une diminution d'emplois au sein des armées à masse salariale constante.

Pour autant, s'il est essentiel, à mes yeux comme à ceux de l'ensemble des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, d'opérer une amélioration des conditions du statut des militaire, il faut aussi, parallèlement, se prémunir contre des réductions drastiques des effectifs humains.

Protéger les personnels suppose, en effet, que tous soient confortés dans leur emploi. Or, madame la ministre, votre volonté affichée de recentrer l'armée sur son coeur de métier a déjà - et aura de plus en plus, je le crains - pour conséquence de confronter de plus en plus ce secteur à une logique managériale.

C'est la raison pour laquelle nous avons pu assister, en 2004, à une intégration croissante du secteur privé - que nous désapprouvons - au sein de nos armées, à différents niveaux.

Je rappelle pour mémoire, mes chers collègues, qu'à l'occasion de la discussion du projet de loi sur la professionnalisation des armées et la suspension du service militaire notre groupe vous avait mis en garde sur les conséquences de ce texte, notamment en matière de réduction des effectifs.

Je constate qu'aujourd'hui nous sommes en plein coeur du sujet !

Pour ce qui concerne l'architecture globale de nos armées, nous assistons désormais à une poussée du recours à des sous-traitances privées, alors même que le renouvellement des fonctionnaires a été largement réduit. On a ainsi pu parler du non-renouvellement d'un fonctionnaire sur deux.

Ainsi, madame la ministre, même si notre propos se concentre aujourd'hui essentiellement sur les militaires, il convient de ne pas oublier tous les emplois qui existent au sein des armés et d'engager - mais vous l'avez fait - une véritable réflexion sur le statut des personnels civils pour que ces derniers ne soient pas lésés dans l'exercice de leur travail.

En la matière, ce sont les Américains et les Britanniques qui font figure d'exemple dans la gestion des armées professionnelles. Ne suivons pas ces derniers sur le chemin de dérives gestionnaires excessives ! Nous savons tous combien le rôle des hommes est décisif, même avec du matériel moderne.

Le présent projet de loi, quant à lui, s'inscrit dans le sens d'une évolution positive de la perception des militaires et de leur place dans notre société. Ces derniers se prononcent eux-mêmes pour une politique de défense en faveur du maintien de la paix, et j'ai le sentiment que la politique française en Irak a été bien comprise.

C'est pour ces raisons que nous demandons, depuis de nombreuses années, une refonte du statut.

Ainsi, en 1996, alors que nous débattions de la professionnalisation des armées, mon collègue Jean-Luc Bécart avait, ici même, jugé plus opportun d'engager une réforme « pour la mettre à l'heure de cette fin de siècle et de l'évolution de notre société ».

Je ne peux donc que regretter que l'élan réformateur du statut présenté ce jour ne soit pas davantage novateur et ambitieux, comme le suggérait la commission Denoix de Saint Marc sur de nombreux points. Je le regrette d'autant plus que ces propositions étaient approuvées par de très nombreux militaires.

En réformant un statut vieux de plus de trente ans, nous avons vocation à inscrire le nouveau texte dans la durée. Or je constate que certaines des mesures qui nous sont proposées restent empreintes de timidité. Il ne faut pas qu'à peine votée la loi soit déjà dépassée !

C'est pourquoi, dans un objectif de durée et de mise en phase de l'armée avec ses hommes et ses femmes, nous proposerons un certain nombre d'amendements.

Bien évidemment, ce texte contient des avancées, et l'Assemblée nationale a également permis d'intégrer certaines mesures positives.

Ainsi, je ne peux qu'approuver le renforcement des garanties en matière de couverture juridique et sociale, comme, par exemple, l'institution du principe d'imputabilité au service des accidents pendant toute la période des opérations, la prise en compte de l'environnement familial, la suppression de la demande d'autorisation préalable du ministre pour les mariages avec des personnes de nationalité étrangère - disposition dont j'ignorais d'ailleurs, je l'avoue, l'existence tant elle paraît dépassée -, ou encore l'inscription dans le statut des droits de la défense en matière disciplinaire ou le rapprochement des droits et protections des personnels sous contrat avec ceux qui sont reconnus aux militaires de carrière.

Toutefois, le texte contient encore trop d'imperfections sur un certains nombre de points, notamment en ce qui concerne l'expression citoyenne des militaires, qu'il s'agisse, de leur participation civile et politique ou de la modernisation des instances de concertation.

J'ai, bien entendu, pris acte de la suppression de l'autorisation préalable du ministre pour que les militaires puissent s'exprimer sur des sujets politiques ou sur des questions internationales.

J'ai également pris acte de l'abrogation de l'interdiction de l'introduction de publications susceptibles de nuire au moral ou à la discipline dans les enceintes militaires.

J'ai, enfin, pris acte de la suppression de l'obligation pour les militaires de faire une déclaration avant d'adhérer à des associations non professionnelles et d'exercer des responsabilités au sein de ces dernières, tout comme de la suppression de la possibilité de leur démission forcée.

Il s'agit ici de mesures de bon sens, notamment parce qu'il est de notoriété publique que les militaires contournaient régulièrement ces restrictions.

Cependant, alors même qu'il est également de notoriété publique que des militaires militent au sein de formations politiques sous le couvert de l'anonymat ou de pseudonymes, je déplore que l'interdiction qui leur est faite d'adhérer à ces dernières demeure en l'état.

Ne pensez-vous pas, madame la ministre, qu'il serait préférable de les laisser agir en toute légalité et de leur faire confiance jusqu'au bout, de la même façon que vous faites confiance aux hauts fonctionnaires, qui sont soumis à une obligation de neutralité et au droit de réserve, d'autant que les militaires sont, eux, également soumis - cela va de soi - au secret défense ?

Qui plus est, n'est-il est pas paradoxal que les militaires aient la possibilité d'être candidats à une fonction élective et d'adhérer alors à un parti politique pendant la durée de la campagne et durant l'exercice de leur mandat ?

Que faut-il en déduire ? Les militaires seraient-ils des citoyens particuliers dont la conscience politique s'éveillerait un soir, les poussant à se porter candidat à une élection et à adhérer à un parti, et disparaîtrait purement et simplement un matin, une fois la campagne électorale ou le mandat achevés ?

Je m'interroge également fortement sur l'opportunité de maintenir une incompatibilité entre l'exercice du mandat électoral - qui sera surtout municipal - et l'activité de militaire. Dans ces conditions, quelles possibilités s'offrent à ces militaires à l'issue de la campagne électorale et de leur mandat ? Je m'inquiète des conditions de leur réintégration, s'ils en expriment le souhait : s'ils veulent continuer d'adhérer à un parti, il leur faudra inévitablement démissionner ou prendre une retraite anticipée. De telles solutions seront douloureuses et soulèveront de véritables cas de conscience chez des hommes et des femmes engagés à la fois civiquement et militairement.

Lors de votre audition par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, madame la ministre, vous avez indiqué que le droit d'adhérer à un parti politique ne correspondait pas à une attente forte de la communauté militaire. Pourtant, je sais, pour l'avoir entendu moi-même, que c'est là le voeu d'un grand nombre de ses membres.

Il est, à mon sens, primordial de laisser une liberté de choix aux militaires dans ce domaine. Or ce choix ne leur est pas laissé. Il faut se rendre à l'évidence, la neutralité imposée à tout militaire n'est pas incompatible avec l'adhésion à un parti politique, pas plus que ne le sont le loyalisme et la discipline.

L'expression et la participation civiques et politiques en France sont le fruit d'une longue histoire, d'avancées souvent décriées mais que personne aujourd'hui n'oserait remettre en cause. Nous avons aujourd'hui l'opportunité de faire encore un pas en avant, et nous vous proposerons des amendements en ce sens, tout comme nous le ferons en ce qui concerne le droit pour les militaires de se syndiquer.

Certains de nos pays voisins et alliés permettent à leurs militaires de se syndiquer. L'ordre dans ces armées n'en est pas pour autant troublé !

Ces observations sont d'autant plus nourries qu'elles se font au regard du dispositif de concertation tel qu'il est envisagé dans le présent texte. Vous avez voulu, madame la ministre, y apporter quelques ajustements, que nous approuvons, mais ceux-ci restent encore trop timides et en deçà des nécessités sur le terrain.

A ce jour, les critiques vis-à-vis des instances nationales se font au grand jour, à tel point que la commission nationale de révision du statut général des militaires a elle-même reconnu des dysfonctionnements, essentiellement dus à la faiblesse de la représentativité desdites instances, ce qui fait dire à cette commission que les attentes des militaires sont, dans ces conditions, bien peu prises en compte. Le fort mécontentement qui s'est exprimé à l'occasion de la manifestation des pompiers départementaux, auxquels se sont joints des gendarmes - qui sont aussi des militaires - démontre qu'aucun organisme de concertation ne l'avait senti, ce qui est bien dommage.

Parce que les organismes de concertation sont censés constituer une contrepartie à l'absence de droit syndical et d'organisation collective, le maintien du tirage au sort pour une partie de leur composition ne garantit pas, à mes yeux, leur crédibilité. Leur représentativité et leur autonomie ne sont donc pas réelles. Ce processus doit être totalement démocratique et dépendre, de ce fait, du seul système électif, et ces organismes devraient remettre chaque année un rapport au Président de la République et au Parlement.

D'autres points motiveront également certains des amendements du groupe communiste républicain et citoyen : je pense notamment aux restrictions relatives à la liberté de circulation et à la résidence des militaires, à la reconversion du personnel navigant, ou encore à la question des volontaires dans les collectivités d'outre-mer.

En ce qui concerne la position « en retraite », vous savez, madame la ministre, le mécontentement - pour ne pas dire l'indignation - qu'a soulevé sa disparition dans le statut, alors qu'il en était une partie intégrante jusqu'à présent. J'aurai l'occasion de revenir sur tous ces points lors de la discussion des articles.

Je dirai un mot également sur la rémunération au mérite. L'Assemblée nationale a supprimé, à juste titre à mon sens, cette possibilité et je regrette que notre commission ait voté un amendement visant à la réintégrer dans le projet de loi. Mais vous émettrez certainement, madame la ministre, un avis défavorable sur cet amendement !

Le groupe communiste républicain et citoyen ne peut s'associer à un tel retour en arrière. Nous nous sommes déjà opposés à cette idée s'agissant de la fonction publique, nous ne pouvons l'accepter s'agissant des militaires.

Enfin, il est dommage que le Gouvernement n'ait pas retenu les recommandations du rapport Denoix de Saint Marc en matière de congé d'éducation, car celui-ci aurait alors permis de concilier, en termes statutaires, disponibilité et aménagement du temps d'activité des militaires. Mais vous aurez la possibilité, mes chers collègues, de combler ce vide en adoptant nos amendements.

Pourtant, la féminisation des armées pose le problème de ce congé avec acuité. J'ai discuté avec des femmes qui s'inquiètent de l'absence de cette mesure dans le projet de loi. A mon sens, les dispositifs relevant actuellement de textes réglementaires sont insuffisants. Il faut donc conforter de façon législative les femmes - mais également les hommes - qui désirent prendre un tel congé, à l'image de ce qui existe dans le civil. Si cette mesure n'était pas adoptée, des femmes pourraient décider de ne pas s'engager et d'autres envisager de démissionner.

En définitive, être militaire au xxie siècle doit comporter des avancées évidentes en matière sociale, juridique, disciplinaire et civique. Mais surtout, madame la ministre, il est primordial d'engager un rapprochement étroit des droits et acquis des militaires avec ceux de l'ensemble des personnels de la fonction publique.

Eu égard à la spécificité même de la condition de militaire, qui, par certains aspects, reste dérogatoire par rapport aux droits de tout citoyen, nous estimons que ces dérogations doivent être réduites au maximum afin de garantir le lien indéfectible entre la nation et ses armées.

Cet alignement sur la fonction publique est une revendication majeure de nos militaires et constitue un préalable essentiel au devenir de notre armée, devenue professionnelle, le tout dans une pure logique d'équité.

M. le président. Veuillez conclure, madame Luc !

Mme Hélène Luc. Il convient que, dans les faits, le dispositif d'accès des militaires aux fonctions publiques civiles, notamment avec l'extension à tous les militaires des dispositifs de la loi du 2 janvier 1970 et des emplois réservés, ne constitue pas qu'une passerelle. Des postes doivent être ouverts.

Outre son caractère technique, ce dispositif doit reconnaître en fait le caractère naturel de la double carrière au service de l'Etat, l'une militaire, l'autre civile.

C'est en ce sens que nous devons concevoir le présent projet de loi. Or, en l'état actuel du texte, madame la ministre, mes chers collègues, et bien que nous approuvions une très grande partie du rapport de M. Dulait, de nombreuses imperfections demeurent. Par conséquent, le groupe communiste républicain et citoyen conditionnera son vote à l'évolution que notre Haute Assemblée réservera au texte. En l'état actuel, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. André Boyer.

M. André Boyer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la réforme du statut général des militaires était devenue plus que nécessaire afin de moderniser des dispositions aujourd'hui vieilles de trente-deux ans. Le statut des militaires de 1972 ne pouvait être maintenu en l'état, à l'heure où la disponibilité et l'emploi des forces armées subissent une mutation profonde.

La nouvelle donne géostratégique a totalement infléchi le rôle et l'action de nos armées. Plus rapides, plus réactives, plus flexibles, mais aussi plus techniques, celles-ci doivent faire face à des conflits plus localisés ou à des menaces asymétriques et plus complexes.

Parallèlement, la fin de la conscription, actée par la loi du 28 octobre 1997, a entraîné la professionnalisation des armées. Les effectifs sont désormais plus féminisés. Les personnels civils sont également plus nombreux. Le format et la doctrine d'emploi des forces se sont modifiés, avec le développement du concept de projection intérieure ou extérieure et la multiplication des OPEX. Enfin, l'opérationnalité permanente de la réserve rend celle-ci de plus en plus active. Un nouveau lien entre la nation et les armées est en train de se constituer.

La professionnalisation des armées induit une véritable adhésion des militaires, qui sont désormais recrutés sur la base du volontariat.

Les besoins en personnels sont croissants. Il est donc important de renforcer l'attractivité des métiers de l'armée, en supprimant certaines contraintes qui apparaissent obsolètes dans le contexte sociétal du xxie siècle. En d'autres termes, l'armée est presque devenue un débouché professionnel comme un autre. Elle doit séduire pour attirer les éléments les plus compétents et les plus motivés et les fidéliser.

Au vu de ces constats, il était naturel de s'interroger sur la redéfinition des droits et sujétions des personnels militaires, car le statut dont nous discutons ce soir restera en vigueur durant les vingt ou trente prochaines années et ne doit pas appeler de révisions trop fréquentes.

La commission de révision du statut général des militaires, présidée par M. Renaud Denoix de Saint Marc, a recueilli l'avis de l'ensemble des instances de concertation et de représentation, et notamment celui des conseils de la fonction militaire propres à chaque armée ou du service du Conseil supérieur de la fonction militaire. Ses conclusions ont permis de bâtir l'architecture du projet de loi dont nous sommes aujourd'hui saisis.

Ce texte, qui a recueilli un large accord à l'Assemblée nationale, opère des avancées importantes.

Le statut de 1972 reconnaissait déjà que le militaire devait jouir de l'ensemble des droits et libertés reconnus aux citoyens, les limitations à ce principe n'étant qu'inhérentes à l'état militaire.

Le projet de loi franchit une nouvelle étape en supprimant des dispositions particulièrement anachroniques et inadaptées en matière de droits civils et politiques, comme l'autorisation préalable en matière de droit d'expression ou en cas de mariage avec un conjoint étranger, ou encore l'obligation de déclaration de prise de responsabilité dans une association.

Par ailleurs, ce texte renforce le régime de protection juridique en s'adaptant aux nouvelles contraintes et aux risques encourus par les militaires dans l'exercice de leurs fonctions.

L'emploi croissant des forces armées en OPEX appelle ainsi une meilleure prise en charge juridique par l'Etat des risques inhérents à la fonction militaire.

Sur l'initiative de Jean-Claude Viollet, nos collègues de l'Assemblée nationale ont introduit une référence au droit international en ce qui concerne l'emploi de mesures légitimes de coercition ou l'usage de la force armée.

Les associations de retraités, plus particulièrement la Fédération nationale des officiers mariniers, quartiers-maîtres en retraite, se sont inquiétées de constater qu'à l'article 45 du projet de loi la position statutaire « en retraite » n'ait pas été retenue. Pouvez-vous me confirmer, madame la ministre, que le principe du bénéfice des soins et de l'action sociale des services de santé des armées ainsi que le droit à représentation au sein du CSFM resteront acquis pour les retraités ?

Enfin, je prends acte avec satisfaction de la modification apportée par l'Assemblée nationale visant à faire passer de trente à soixante jours le délai durant lequel les militaires ayant participé à une OPEX peuvent bénéficier d'un dépistage médical spécifique ainsi que d'un entretien psychologique adapté.

La citoyenneté dans les armées appelle aussi une amélioration de la concertation et du dialogue social en leur sein. Le texte comporte quelques avancées, encore trop timides, sur ce point.

L'indispensable neutralité des armées ne doit pas faire des militaires des citoyens de seconde zone. Le chemin fut historiquement long pour que le droit de vote leur soit enfin accordé par l'ordonnance du 17 août 1945, soit soixante-treize ans après qu'on les en eût privés.

Les aspirations des militaires à une citoyenneté mieux prise en compte sont légitimes. Il est normal qu'ils souhaitent, plus que par le passé, participer aux décisions qui les concernent, sans aller jusqu'à permettre d'aligner totalement leurs droits sur ceux de l'ensemble des fonctionnaires civils.

Le métier de soldat implique un lien particulier avec la nation, lequel se manifeste par un devoir de loyauté et de sacrifice rappelé par l'article 1er du texte. En contrepartie, la nation tout entière doit respect et considération aux armées.

Il ne nous semble pas opportun de donner aux personnels militaires le droit d'appartenir à un parti politique. La neutralité absolue est le gage de l'efficacité. L'armée est au service de toute la nation. Elle est le service public fondamental par essence. La nature particulière de cette mission est intrinsèquement incompatible avec l'idée d'une manifestation visible du désaccord des soldats avec la décision des politiques. Les convictions privées doivent céder le pas à l'intérêt général.

La soumission des armées au pouvoir temporel fut l'une des avancées majeures de la République. Aujourd'hui rappelée par l'article 15 de la Constitution, qui fait du Président de la République le chef des armées, cette même soumission appelle le maintien d'une conception particulière du droit d'expression des militaires, c'est-à-dire sa limitation lorsqu'il se heurte à la défense des intérêts supérieurs de la République.

L'évolution de notre société doit néanmoins conduire à s'interroger sur l'adoption de dispositions assurant de manière adaptée la réalité de la citoyenneté des militaires.

Cette réflexion n'a pas encore été pleinement menée. Mais une avancée dans ce domaine est souhaitable. Peut-être appartiendra-t-il au futur Haut comité d'évaluation de la condition militaire de la conduire à son terme, en tenant compte des spécificités de l'état de militaire. Il devra plus particulièrement se pencher sur la représentation des personnels et sur le développement tant du dialogue social que de la concertation.

L'esprit et la lettre de ce projet de loi ont réuni une large approbation, aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au sein de la commission des affaires étrangères. Je ne doute pas que nos débats viendront encore enrichir ce texte, par-delà toute préférence partisane. Pour sa part, le groupe du RDSE lui apportera son soutien. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le statut général des militaires, que nous abordons aujourd'hui, soulève des interrogations sur l'état militaire actuel.

En effet, le militaire qui sert en unité opérationnelle éprouve-t-il les mêmes besoins que le personnel qui se trouve en unité de soutien ou à l'état-major ? Les militaires sous contrat ont-ils les mêmes perspectives professionnelles que les militaires de carrière ? Comment vit-on dans les armées la « révolution culturelle » entraînée par la professionnalisation ? Qu'est-ce que la spécificité militaire aujourd'hui ? Quelle place faire aux femmes, de plus en plus nombreuses, dans la vie quotidienne des formations mais aussi dans la hiérarchie ? Les militaires modernes souhaitent-ils être des citoyens à part entière ?

Je sais que, pendant la période de consultations internes au sein des conseils de la fonction militaire, ces questions ont été abordées.

Je sais aussi que, depuis plusieurs années, existe un certain mal-être des militaires français, qui s'est traduit de façon spectaculaire par des actions collectives contraires aux règles et aux traditions de ce corps.

Nous devons nous interroger : s'agit-il de transgressions dues à de simples revendications sociales, ou sommes-nous confrontés à un malaise global, dont les causes sont profondes ? Le débat sur le statut militaire devrait apporter un début de réponse.

La réforme du statut général des militaires est devenue nécessaire pour prendre en compte la professionnalisation, les évolutions de la société et les modifications du contexte d'emploi des forces.

Il est évident que le statut général des militaires doit être modifié à la lumière de trois évolutions majeures, à savoir l'évolution de la profession, du métier militaire, les nouvelles exigences de l'exercice du métier militaire, telles que la projection, les OPEX, notamment, et le cadre européen. Or il semble que ce dernier ait été mis de côté, négligé, oublié.

Le statut des militaires définit des droits et des devoirs. A côté des droits qu'il institue, se trouvent les obligations et sujétions liées au métier des armes, au premier rang desquelles figurent l'obéissance et la disponibilité.

Je considère qu'il est temps de modifier l'idée selon laquelle l'armée serait composée de militaires qui ne seraient que des citoyens amoindris.

La reconnaissance que les militaires méritent de la nation passe aussi par l'extension de leurs droits civils et politiques. Je pense que l'armée doit évoluer au rythme de l'ensemble de la société. La professionnalisation doit lui permettre de trouver un nouvel équilibre, en s'ouvrant davantage sur le monde et en donnant aux soldats qui la composent plus de liberté dans la responsabilité. De surcroît, dans la perspective d'une défense européenne, de nouvelles perspectives s'ouvrent à nos militaires.

Permettez-moi en cet instant de faire un petit rappel historique.

Comme nous le savons tous dans cette enceinte, la loi du 13 juillet 1972 est la dernière loi portant statut général des militaires. Or, en plus de trente ans, ont pu être constatées bon nombre d'évolutions, tant de la société française que du contexte international dans lequel nous évoluons. Les lois de 1996 sur la professionnalisation des armées, la loi du 28 octobre 1997 portant réforme du service national sont autant de textes modifiant le lien existant entre l'armée et la nation, sans toutefois porter d'adaptation au statut général des militaires.

Toutes ces évolutions ont créé de nouveaux enjeux pour l'armée, du point de vue tant du recrutement que de la fidélisation du personnel militaire.

Modifier l'ensemble des règles régissant le statut des personnels militaires suppose de prendre en compte les évolutions de la société tout en préservant les caractéristiques essentielles de l'état de militaire.

Or, pour bien saisir ce qui a été constitutif de notre armée, il me semble bon de se replacer dans une perspective historique du régime juridique des militaires.

Ce sont cinquante-trois textes de natures diverses que la loi de 1972 a abrogés. Il s'agissait certes d'une abrogation juridique, mais les principes qui sous-tendaient ces nombreux textes n'en continuent pas moins d'irriguer la philosophie du régime juridique des militaires. Les ignorer dans la présente réflexion serait dommageable.

Evoquons la situation de la Révolution au Second Empire.

Transformer les militaires en citoyens de droit commun, favoriser l'exercice de leurs droits, notamment le droit de vote et l'éligibilité, considérés comme une juste récompense pour ceux qui risquent leur vie pour la patrie, étaient de véritables volontés affichées après 1789. Cette philosophie nouvelle ne s'applique toutefois pas dans les faits, et les militaires n'ont pas l'occasion de mettre en oeuvre leurs droits nouveaux.

Le Directoire restreint, de manière informelle, l'exercice des activités politiques des militaires, en instituant notamment des incompatibilités géographiques entre le lieu du service armé et le lieu où le militaire vote.

La Monarchie constitutionnelle apporte peu d'évolutions dans les règles particulières aux militaires pour ce qui concerne l'exercice de leurs droits politiques ; leur participation à la vie politique du pays se trouve réduite au strict minimum alors que se développe une morale militaire reposant sur quelques principes fondamentaux tels que le culte du règlement, de la discipline et, corollaire, l'obéissance passive à la hiérarchie.

Tout cela nous apparaît aujourd'hui comme un carcan extraordinaire pour le militaire en tant qu'individu.

Puis, l'année 1848 marque un tournant décisif pour la place des armées au sein de la nation : elle réprime les mouvements révolutionnaires et cristallise contre elle les rancoeurs et les haines de ceux qui aspirent à un bouleversement de l'ordre établi. Mais, par décret du 5 mars 1848, les militaires se voient reconnaître un droit de vote sans restriction, dans le cadre du nouveau suffrage universel. La loi électorale organise le droit de vote au sein des troupes. Reconnus éligibles, les militaires sont privés de leur solde s'ils sont élus, mais les officiers peuvent continuer à bénéficier de l'avancement à l'ancienneté pendant l'exercice de leur mandat.

Rapidement, toutefois, le Second Empire renvoie les militaires à leur rôle d'exécutants.

Les militaires n'ont exercé leurs droits que pendant la brève durée de la IIe République.

Cette réserve à considérer et à permettre au militaire d'être un citoyen comme les autres n'est pourtant pas issue d'une corrélation quelconque entre l'exercice de leurs droits par les militaires et leur propension à influer directement sur le cours des institutions.

Après 1870, le retour à l'obéissance passive des armées et la neutralité stricte du personnel de carrière prévalent, des mesures sont adoptées pour briser une trop grande autonomie de l'armée. Mais un paradoxe apparaît entre cette situation très contrainte des militaires et le véritable culte dont l'armée fait l'objet comme moyen de « revanche » contre l'Allemagne.

Par ailleurs, il me semble important de préciser qu'à partir de 1907 les officiers eux-mêmes mènent des actions de revendication, révélatrices de l'intérêt porté par les militaires à la vie publique. J'en veux pour preuve la proposition de loi de 1910.

II faut attendre l'ordonnance du 17 août 1945, la Libération et la volonté de construire une démocratie sociale, pour que soit restitué aux militaires le droit de vote, dans des conditions identiques à celles de tous les citoyens et avec des conditions d'éligibilité reprenant les arguments développés au début du siècle.

Toutefois, ne leur sont pas pour autant reconnus les mêmes droits d'expression et d'activité politique qu'aux autres citoyens, situation qui perdure encore à ce jour.

J'en viens maintenant aux conséquences de la professionnalisation.

La défense du pays, la défense de l'Europe, exigent une relation de confiance entre la société civile et les forces armées. Pour commencer, une meilleure connaissance mutuelle est nécessaire.

Le débat sur le statut général des militaires doit aussi être l'occasion de s'interroger sur ce qui fonde le métier de soldat à notre époque. La professionnalisation de notre armée induit certainement des changements forts, y compris dans la nature même du métier de soldat.

D'abord, nous devons constater que, aussi loin que nous portons notre regard prospectif, l'humanité étant ce qu'elle est, l'existence du fait militaire semble inéluctable. Pour autant, pourrions-nous aujourd'hui dire ce qu'Alfred de Vigny écrivait en 1835 : « L'existence du soldat est, après la peine de mort, la trace la plus douloureuse de barbarie qui subsiste parmi les hommes » ?

L'institution militaire a beaucoup changé ces derniers temps et nous sommes à l'aube d'une mutation encore plus grande, à savoir l'européanisation de nos forces armées.

De profonds bouleversements sont intervenus en 1996 avec la professionnalisation décidée par le chef de l'Etat. Cette décision, qui n'avait pas été précédée de beaucoup de concertation, était entachée d'un manque certain de préparation. Le coût du processus avait notamment été mal évalué - il avait même été sous-évalué - et ses conséquences sur la structure et sur la culture de l'institution avaient été quelque peu négligées. Comme disait l'autre, « l'intendance suivra » !

C'est ainsi que le gouvernement de Lionel Jospin a dû mener à bien, en y apportant les moyens nécessaires et une volonté de succès incontestable, une entreprise gigantesque, qui a été menée dans des conditions délicates et réalisée dans les délais prévus.

Ceux ou celles qui se plaisent, à répétition, à invoquer aujourd'hui la « réussite de la professionnalisation » ont tendance à l'oublier. C'est aussi cela, l'héritage ! Dans ce processus, il convient de saluer comme il se doit les efforts réalisés par les militaires.

Intéressons-nous maintenant au cadre européen.

Cette professionnalisation, avec la suspension du service national, a fortement modifié la situation de l'institution, sa place dans la nation, et a aussi transformé l'exercice du métier de soldat.

La réforme du statut des militaires est une réponse nécessaire à de telles évolutions.

Toutefois, il y a un point qui demande qu'on s'y attarde et qui concerne aussi l'avenir de l'institution et des personnels, un avenir très proche et qu'il convient de préparer dès maintenant : il s'agit de la construction de l'Europe de la défense, au sein de laquelle notre armée a et aura un rôle prééminent.

Par l'intégration des forces, par la création des unités communes et, qui sait, à plus ou moins long terme, par la naissance d'une armée européenne, nos forces armées auront à connaître des transformations majeures et continuelles. Nous avons l'objectif de constituer des forces communes, ce qui incitera à l'harmonisation des astreintes, des droits et des devoirs des militaires des différentes armées européennes agissant en commun.

Un comparatif au plan européen s'impose toutefois pour éclairer ce point de notre débat. Nos ambitions européennes en matière de défense nous incitent également à mener un comparatif des différentes règles qui prévalent pour les personnels militaires de nos voisins et partenaires européens.

L'examen des règles en vigueur dans quelques pays européens - Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni - fait apparaître deux axes de réflexion.

Si les droits d'expression et de réunion des personnels militaires, ainsi que leurs droits politiques, sont similaires dans tous les pays étudiés, l'expression collective de leurs intérêts professionnels s'exerce selon des modalités très différentes.

Tout d'abord, les droits d'expression et de réunion des militaires, ainsi que leurs droits politiques, sont similaires dans tous les pays étudiés : que ce soit en Allemagne, en Belgique, en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas, au Portugal ou au Royaume-Uni, les personnels militaires jouissent, comme n'importe quel citoyen, des droits d'expression et de réunion avec, certes, l'obligation de tenir compte de leur condition de militaire pour les exercer. Le devoir de réserve et le respect de l'image de l'armée s'imposent à eux. Toute activité politique leur est interdite pendant leur service. Toutefois, ils sont tout à fait libres de participer à des réunions dès lors qu'ils sont habillés en civil.

C'est pour la même raison qu'en Allemagne, en Espagne, en Italie, et au Portugal, les militaires qui souhaitent se présenter à une élection politique sont placés, dès le début de la campagne électorale, dans une position statutaire particulière. Cela leur permet alors de ne plus être soumis aux droits et obligations qui leur sont spécifiques. En fin de mandat, ils réintègrent le service actif.

II est par ailleurs à signaler qu'aux Pays-Bas le placement dans une position de non-activité n'a lieu qu'après l'élection.

L'expression collective des intérêts professionnels des personnels militaires s'exerce, quant à elle, selon des modalités différentes.

En Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, les personnels militaires peuvent se syndiquer. Exception faite de la Grande-Bretagne, où il n'existe pas de syndicat militaire et où les personnels militaires peuvent ainsi adhérer à des syndicats civils, en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, ils peuvent adhérer librement à n'importe quel syndicat, qu'il s'agisse d'une organisation strictement professionnelle ou d'une organisation affiliée à une centrale civile.

J'ose imaginer que la prochaine réforme du statut général des militaires confrontera les législateurs de demain à un contexte européen transformé et à des contraintes qui ne seront plus strictement nationales. Précisément, s'il y a un reproche d'ordre général à faire au texte qui nous est soumis aujourd'hui, c'est qu'il semble faire peu de cas du contexte européen dans lequel baigne d'ores et déjà l'armée française.

II en va ainsi des droits civils et politiques accordés aux militaires : nos soldats sont en contact permanent avec des militaires des pays européens qui connaissent des situations statutaires fort différentes de la leur. Nous souhaitons renforcer la formation et l'entraînement commun des militaires de différentes armées européennes ; nous allons donc développer les contacts, et même l'imbrication de nos forces armées ; nous aurons donc à réviser le statut des soldats à l'aune de l'Europe.

J'en arrive maintenant au texte du projet de loi proprement dit.

Le texte du Gouvernement, revu par l'Assemblée nationale, propose la suppression de certaines dispositions qu'il serait aujourd'hui difficile de justifier. Il s'agit notamment, vous l'avez dit, madame la ministre, de la demande d'autorisation de mariage lorsque le futur conjoint est un ressortissant étranger, de l'obligation de déclarer l'activité professionnelle de son conjoint à l'autorité militaire, de l'obligation de rendre compte des responsabilités exercées dans une association à caractère non professionnel. La liberté d'exercice des cultes, dans la limite des contraintes imposées par le service, a été confirmée.

Concernant la presse, le texte supprime la possibilité d'interdire l'introduction dans les enceintes militaires de certaines publications « pouvant nuire à la discipline ou au moral ». En matière de liberté d'expression, le texte aligne les militaires sur le droit commun de la fonction publique. L'autorisation préalable pour évoquer publiquement des questions militaires non couvertes par le secret est supprimée. Bien entendu, les militaires sont toujours soumis au devoir de réserve et de discrétion professionnelle.

Mais l'élan réformateur s'arrête là, puisque le projet de loi maintient les principales restrictions actuelles à l'exercice des droits civils et politiques : interdiction d'adhérer à un parti politique, sauf en cas de candidature à une élection ; mise en détachement d'office en cas de mandat électif ; interdiction des groupements professionnels militaires à caractère syndical.

Sur les droits politiques comme sur la question des groupements professionnels ou syndicaux la commission n'a pas souhaité modifier le texte du Gouvernement. Je le regrette ! Le maintien de l'interdiction d'adhérer à un parti politique et l'interdiction des groupements professionnels sont, à mon avis, des mesures incompatibles avec les perspectives, nationales et européennes, ouvertes à nos militaires professionnels.

Nous contestons le bien-fondé du maintien de l'incompatibilité entre l'exercice d'un mandat électoral et la situation d'activité, y compris pour des mandats municipaux dans de petites communes, les fonctionnaires civils n'étant pas soumis aux mêmes contraintes alors qu'ils peuvent se trouver dans des situations comparables vis-à-vis des obligations de disponibilité ou de mobilité.

Le rapporteur l'a signalé, c'est dans le domaine des protections et garanties accordées aux militaires que le projet de loi apporte des mesures très attendues. En effet, il introduit dans le statut la notion d'opérations extérieures et apporte des améliorations concrètes pour des situations qui n'étaient pas correctement prises en compte dans le droit actuel, en particulier, s'agissant de la protection pénale dont pourraient bénéficier les militaires en opérations, dans le strict respect du droit international.

Le texte définit aussi le régime de responsabilité pénale applicable en cas d'usage de la force sur le territoire national pour la protection des zones de défense hautement sensibles.

Par ailleurs, le texte améliore la prise en charge des blessures survenues en opérations. Ces blessures seront réputées imputables au service dès lors qu'elles seront intervenues entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris pendant les actes de la vie courante ou lors des escales des bâtiments.

Cette extension de la protection sociale du militaire en opérations était nécessaire. Toutefois, j'ai souhaité, lors du débat en commission, que l'article 96 du projet de loi soit amendé pour faciliter la reconnaissance du statut de grands mutilés de guerre aux militaires gravement blessés en opérations extérieures.

Les articles relatifs au déroulement et à la gestion des carrières militaires reprennent beaucoup de dispositions de l'actuel statut. Il s'agit en réalité d'un nécessaire toilettage de la législation existante.

En ce qui concerne la refonte du régime des sanctions disciplinaires et le droit de défense, on observe une volonté manifeste d'opérer un rapprochement avec la fonction publique civile.

L'alignement de la situation des personnels sous contrat sur celle des personnels de carrière est une constante du projet de loi ; il en va ainsi pour les rémunérations, l'accès à certaines positions comme le détachement ou l'intégration dans la fonction publique, ou les possibilités de reconversion.

Par ailleurs, les militaires ayant servi sous contrat et involontairement privés d'emploi ont droit à un revenu de remplacement sous forme d'allocations de chômage.

Les autres mesures nouvelles contenues dans le projet de loi concernant les militaires commissionnés, les volontaires, la reconversion des militaires, l'aménagement des limites d'âge et la fin annoncée du « conditionnalat » ont déjà été très bien abordées par le rapporteur. Je ne m'y attarderai donc pas.

Toutefois, un point important mérite un sort particulier : il s'agit de la concertation interne. A ce sujet, le projet de loi reste dans l'esprit qui est celui du statut de 1972 ; il rappelle que, dans les armées, c'est au chef, à tous les échelons, de veiller aux intérêts de ses subordonnés et de rendre compte, par la voie hiérarchique, de tout problème venant à sa connaissance.

Je me demande si ce système fonctionne toujours et s'il est vraiment adapté aux circonstances et au contexte dans lequel s'insère dorénavant l'armée professionnelle. Je pense que les mouvements - récents, en 2001, et passés, en 1989 - des gendarmes ont apporté une réponse négative à cette question.

Les instances de concertation actuelles, à savoir les conseils de la fonction militaire propres à chaque armée ou service et le Conseil supérieur de la fonction militaire, sont-elles suffisantes, sous leur forme actuelle, pour veiller aux intérêts des militaires ?

Les instances représentatives des personnels militaires, telles qu'elles sont maintenues par le projet de loi, restent cantonnées à une fonction strictement consultative et ne peuvent servir de cadre à une véritable concertation. Le recours au tirage au sort pour la désignation des membres des conseils de fonction militaire d'armée est une méthode peu démocratique et pour le moins désuète.

Certes, le nouveau statut tend à apporter aux représentants des personnels des garanties indispensables à leur liberté d'expression, ainsi que les facilités nécessaires à l'exercice de leurs fonctions. Mais ce type d'institution est-il aujourd'hui la réponse appropriée aux nouvelles exigences des personnels militaires ? Je pense, en tout cas, qu'il faut démocratiser ces institutions et poursuivre le travail commencé par le gouvernement précédent, en 2001. En particulier, je voudrais rappeler que la réforme des instances de concertation, engagée en 1999 par Alain Richard, mérite d'être poursuivie.

Concrètement, le moment est sans doute venu de généraliser, niveau par niveau, le principe d'élection : j'ai déposé, avec mes collègues du groupe socialiste, un amendement dans ce sens.

J'évoquerai enfin la notion de soldat citoyen.

La citoyenneté du militaire est une notion qui a évolué au cours du temps. Les soldats français, en ce début du XXIe siècle, aspirent à avoir des droits proches de ceux qui ne portent pas l'uniforme.

Je suis favorable à l'extension franche et nette du droit d'expression des militaires, à condition, bien sûr - mais les militaires sont des gens responsables -, que le devoir de réserve et de neutralité soit strictement respecté et que tout propos sur des questions touchant aux missions opérationnelles soit exclu.

La citoyenneté des militaires est aujourd'hui incomplète, car les syndicats leur sont interdits ainsi que l'adhésion à un parti politique. De même, il faudra se pencher sur les solutions techniques et juridiques adaptées afin de permettre l'accès des militaires aux fonctions électives locales.

Nous avons le souci, qui était déjà celui de Jean Jaurès, de ne pas avoir une armée repliée sur elle-même, sourde et imperméable à la société et à la nation. Nous souhaitons supprimer les instances inutiles qui peuvent incarner une séparation entre l'armée et la société civile. Ce fut le cas hier des tribunaux militaires, c'est le cas aujourd'hui du statut de « citoyen amoindri » accordé aux militaires, auxquels on refuse l'exercice plein et entier des droits civils et politiques. Parlant des officiers, Jean Jaurès disait : « il importe qu'ils soient recrutés le plus largement possible, dans tous les milieux sociaux ». On voit bien là le souci d'une volonté de ne pas mettre l'institution militaire en marge de la société. Nous nous inscrivons dans cette lignée.

La commission Denoix de Saint Marc avait souhaité maintenir la restriction relative à l'adhésion à des partis politiques ou à des groupements professionnels, au nom de la neutralité des armées. Le Gouvernement l'a suivie sur cette voie. Or nous devons constater - nous le savons tous - que ce principe est d'ores et déjà largement contourné. En réalité, le respect de cette interdiction est difficile, voire impossible dans la pratique. Nous connaissons tous des cas concrets : faut-il rappeler le précédent des quarante-cinq officiers généraux tancés vertement par François Mitterrand pour avoir appelé à voter contre lui ?

On nous dit que le problème qui pourrait se poser résiderait dans la publicité que les partis politiques pourraient faire de la présence de militaires dans leurs rangs. Curieuse conception qui fait porter au non-coupable le poids d'une interdiction, d'une punition ! Suivant ce raisonnement, la neutralité des armées risquerait d'en pâtir à cause de l'action des partis politiques, et c'est le militaire que l'on contraint au silence. Là, il y a vraiment quelque chose qui ne fonctionne pas !

Lors d'un colloque, en juillet 1995, au Collège interarmées de défense, le contrôleur général des armées Hoffmann disait que « le silence des armées conduit à leur mise à l'écart de la vie nationale ». Or nous souhaitons exactement le contraire : nous souhaitons une armée et des militaires faisant corps et âme avec la nation, avec leur société.

La limitation de la liberté d'expression civile et politique est ressentie par les militaires comme un manque de confiance. Nous pensons qu'il faut - c'est valable pour tous les fonctionnaires - faire respecter le devoir de réserve, mais aussi lui adjoindre un droit d'expression. C'est le sens de nos amendements.

La problématique du statut et de son avenir a donné lieu à des échanges très intéressants dans des revues officielles ou officieuses, dans des colloques, parfois avec la participation d'officiers généraux, parfois en leur absence : les autorisations ne sont pas toujours faciles à obtenir !

Dans ces lieux, des critiques policées furent entendues. Il y a eu aussi beaucoup d'échanges ces jours derniers sur des sites et des forums Internet. Des militaires, s'exprimant sous couvert d'anonymat, ont eu la dent dure à l'égard du projet du Gouvernement. On peut choisir de les faire taire ou, au contraire, écouter ce qu'ils ont à dire. Les faire taire ne servirait sans doute à rien puisqu'ils auront toujours des technologies performantes à leur disposition et que la clandestinité n'enlèvera rien à leur volonté d'exprimer leurs revendications. Et puis, qu'on se rassure : la République n'est pas en danger.

En particulier, nous savons que la coexistence de deux modes de désignation des instances de concertation, élection pour les instances locales et tirage au sort parmi des volontaires pour les instances nationales, suscite des interrogations - c'est un euphémisme - sur la représentativité de ces instances et sur leur légitimité, d'après Armées d'aujourd'hui de février 2004.

Les militaires acceptent en toute conscience les servitudes liées à leur métier. Cependant, ils sont nombreux à penser que ces servitudes ne doivent pas signifier une indifférence aux problèmes auxquels ils sont confrontés. La recherche des voies détournées pour s'exprimer ne peut pas être la bonne solution !

En conclusion, je vous le dis, madame la ministre, ce que vous refusez aujourd'hui en termes de libertés et de droit d'association, vos successeurs, demain ou après-demain, seront obligés de l'accorder.

M. Philippe Nogrix. Vous auriez dû commencer par là !

M. Didier Boulaud. Eh oui ! Voilà en tout cas qui prouve que la démocratie reste un problème...

Les socialistes ont toujours voulu, pour la réussite du processus de professionnalisation et par souci d'harmonie au sein de la fonction publique, que les militaires bénéficient, dans le strict respect des exigences de leur métier, d'une évolution comparable à celle des personnels du secteur civil.

Dans des conditions adaptées à l'exigence de disponibilité inhérente à leur statut, les personnels militaires doivent pouvoir bénéficier des améliorations de leur condition propres à une société moderne.

A cet égard, le projet de loi intègre de nombreuses mesures visant à apporter plus de cohérence au sein de dispositions anciennes ou inadaptées. C'est son aspect positif.

En revanche, son manque d'audace et son conservatisme constituent son aspect négatif.

Dans plusieurs domaines, des points concrets - l'exercice du commandement, la discipline, le déroulement des carrières, la reconversion, les garanties aux combattants - sont pris en considération par le projet de statut, qui apporte des réponses. Toutefois, l'inéluctable, à savoir la dimension européenne de notre défense et de nos institutions de défense, n'est pas abordé.

Nous allons donc proposer des amendements afin d'améliorer le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. André Rouvière.

M. André Rouvière. Madame la ministre, le projet de loi que vous nous présentez comporte des avancées. Elles ont été soulignées par vous-même, par le rapporteur, M. Dulait, et par plusieurs de mes collègues. Je ne le conteste pas et, pour faire court, je ne reviens pas sur ces avancées.

En revanche, je souhaite évoquer quelques lacunes qui, si vous le vouliez, madame la ministre, pourraient être comblées, et le groupe socialiste présentera quelques amendements qui vont dans ce sens.

A gauche comme ailleurs, nous sommes nombreux à penser et à dire qu'il est nécessaire de renforcer le lien armée-nation. Quelle contribution le présent texte apporte-t-il à la relation entre les militaires et les civils ? C'est la question que je vais essayer de traiter.

Je constate que la suppression du service militaire, réalisée dans la précipitation et sans étude objective, a fortement détérioré ce lien : le militaire est aujourd'hui beaucoup plus isolé qu'hier.

La disparition du service militaire a été une erreur, j'en suis convaincu. Sur le plan financier, son coût dépasse largement les économies annoncées par le ministre d'alors, M. Charles Millon. Il serait d'ailleurs intéressant de comparer les prévisions et la réalité constatée aujourd'hui.

Madame la ministre, pourriez-vous nous indiquer, dans quelque temps, le bilan financier de la suppression - certains diront de la « suspension » - du service militaire ?

Cette suppression a cependant eu d'autres conséquences.

Elle a encore davantage isolé le militaire, en l'éloignant notamment des jeunes, alors que le service transformé aurait pu être un précieux outil de formation du citoyen, du patriote apte à contribuer à la lutte contre le terrorisme et à intervenir sur les lieux de sinistres, en complément des militaires mais avec les militaires.

Le texte que vous nous présentez, madame la ministre, aurait pu recréer le lien armée-nation. Or il renforce l'isolement du gendarme, du soldat.

Le militaire demeure un citoyen brimé. Sa liberté d'expression est limitée. Des secteurs importants de la vie en société lui sont interdits : syndicats, partis politiques, assemblées élues. Cette citoyenneté tronquée le situe en marge de notre devise républicaine, « liberté, égalité, fraternité ». Son statut, même amendé, limite sa liberté d'une manière qui ne me paraît pas sérieusement fondée.

En effet, pourquoi un gendarme ne pourrait-il pas être conseiller municipal tout en demeurant gendarme ? Pourquoi un militaire ne pourrait-il pas exercer une fonction élective sans être obligé d'opter pour le détachement ?

Certains diront que leur autorité, leur neutralité, leur disponibilité en souffriraient. De nombreuses expériences démontrent le contraire. Des policiers et des gendarmes pratiquent des activités sportives avec des jeunes. Ils ne négligent pas pour autant les devoirs de leur service, mais ils comprennent mieux les jeunes et ils sont mieux compris d'eux. Ils créent un lien qui me paraît très fort.

D'aucuns avancent que les contraintes de leur profession sont trop grandes, mais d'autres activités s'accompagnent aussi de lourdes obligations sans que ceux qui les exercent soient pour autant assujettis à des interdits syndicaux et politiques.

Chacun, me semble-t-il, doit juger ce qu'il peut assumer, et l'engagement militaire pourrait comporter des obligations qui ne seraient pas assorties d'interdictions syndicales et politiques.

Le militaire est donc en situation de liberté limitée. Il ne bénéficie pas de l'égalité que notre Constitution garantit.

Quant à la fraternité armée-nation, ce n'est pas en isolant les militaires que vous favoriserez son développement, madame la ministre.

Nous sommes nombreux à combattre l'exclusion. Votre projet de loi, en quelque sorte, renforce l'exclusion sociale. A l'heure où le dialogue apparaît comme indispensable à l'harmonie sociale, il bâillonne le militaire, qui appartient encore, hélas ! à la « grande muette ».

Madame la ministre, donnez la parole au militaire : il n'en abusera pas, tout au moins pas plus que les autres citoyens ! Votre frilosité dans ce domaine me fait penser aux craintes que certains agitaient hier lorsque la société et le Parlement hésitaient à accorder le droit de vote aux femmes.

Un jour viendra où les militaires seront des citoyens à part entière. L'institution, la société et la République n'en seront pas pour autant affaiblies. Au contraire, elles se renforceront mutuellement par une connaissance plus étroite et par une solidarité fertile.

Cette évolution est inéluctable. Il serait préférable de l'organiser et de la planifier plutôt que de la subir.

C'est donc sans enthousiasme que, peut-être, je ne dirai pas « non » à votre projet de loi.

Il apporte, c'est vrai, quelques améliorations au statut des militaires. Je serais tenté de dire que c'est mieux que rien, mais en ajoutant aussitôt que c'est moins que suffisant.

Les amendements du groupe socialiste complètent, madame la ministre, vos propositions ; j'espère - sans trop y croire - que vous les ferez vôtres. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, bien que n'étant pas membre de la prestigieuse commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées - ou peut-être précisément parce que je ne le suis pas -, je me suis hasardé à intervenir dans ce débat, d'une part, parce que je crois depuis longtemps que l'armée concerne chaque citoyen, notamment chaque élu, et, d'autre part, parce qu'après avoir pris connaissance avec beaucoup d'intérêt du rapport de notre collègue André Dulait je voulais me livrer à quelques observations.

Certes, madame la ministre, votre texte comporte, personne ne le contestera, des avancées, en particulier sur le plan social, mais il faut bien reconnaître aussi qu'il est très décevant, et il l'est d'autant plus qu'il s'en faudrait finalement de peu pour qu'il rencontre une adhésion beaucoup plus large que celle que vous rencontrez aujourd'hui, notamment sur un plan qui vous est cher, celui des libertés publiques.

Je me souviens des débats qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale lors de la suppression des tribunaux permanents des forces armées et je constate que, depuis, tout est resté en l'état et que le présent texte n'y changera rien, car les quelques modifications qu'il apporte sur le plan des libertés publiques ne sont pas très importantes.

On l'a dit, l'abandon de la conscription et la professionnalisation de nos armées ont profondément modifié l'identité de l'armée. Pour s'en persuader, il suffit, comme vous le faites sans doute tous, de visiter nos régiments et d'aller dans les casernes. Pour ma part, je le fais souvent, dans le cadre de ce que l'on appelle un « parrainage » entre ma commune et un régiment proche, et je me suis rendu compte de la mutation, de la révolution culturelle considérable qui s'est produite.

D'abord, des officiers sont chargés de la gestion des ressources humaines, ce qui montre qu'ils sont face à des gens que l'on ne peut plus traiter uniquement sur le plan hiérarchique et disciplinaire, mais qu'il faut discuter avec eux.

Ensuite, la place de plus en plus importante qu'occupent les femmes dans les casernes modifie totalement le comportement des militaires - au demeurant dans le bon sens, il convient de préciser - aussi bien au niveau du langage que de la façon d'être.

Enfin, on a de plus en plus fréquemment recours dans les casernes à du personnel civil pour remplacer les appelés dans les « services généraux ».

Ces nouvelles données expliquent que coexistent des personnels qui, bien qu'ayant des statuts différents et sans faire exactement le même travail, participent néanmoins à une même synergie.

La société a évolué et l'on peut se demander pour quelle raison - j'avoue ne l'avoir trouvée ni dans le rapport ni dans vos récents propos, madame la ministre - le militaire, en France, aujourd'hui, n'est pas un citoyen à part entière.

M. Philippe Nogrix. C'est parce qu'il est militaire !

M. Jean-Pierre Michel. On met en avant la neutralité de l'armée. Mais cela n'a aucun sens dans la mesure où la fonction publique - et notamment la haute fonction publique - est astreinte à la neutralité, de même que le magistrature. Or, à l'exception de quelques corps qui ne disposent pas du droit de grève, tous les autres fonctionnaires ou assimilés jouissent de l'ensemble des droits politiques et syndicaux.

Pourquoi seuls les militaires n'auraient-ils pas ces droits ? Si on me l'explique, peut-être consentirai-je à me faire une raison, mais, pour l'instant, je ne trouve vraiment aucune explication...

M. Eric Doligé. Il faudra bien vous faire une raison !

M. Jean-Pierre Michel. Pour quelle raison supérieure et motivée une telle discrimination entre des citoyens à part entière et des citoyens qu'il faut bien appeler « de seconde zone » ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Mais non !

M. Jean-Pierre Michel. Au demeurant, les conventions internationales et les directives européennes ne plaident pas dans ce sens : elles plaident au contraire dans le sens de l'organisation, de la défense des intérêts professionnels des militaires par eux-mêmes au sein des armées et, hormis l'Italie, tous les grands pays européens, notamment ceux qui, avec la France, sont au coeur de l'Europe et ont signé le traité de Rome, ont doté leur armée de droits beaucoup plus importants que ceux dont bénéficie la nôtre. En Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, et même au Royaume-Uni, qui a une armée professionnelle depuis plus longtemps que nous, les militaires peuvent se syndiquer, en adhérant soit à des syndicats propres à l'armée, soit à des syndicats civils, comme c'est le cas en Grande-Bretagne, et ils négocient des conventions collectives.

Dès lors qu'il apparaît clairement que la hiérarchie et la discipline ne peuvent plus présider seules aux rapports existant au sein de l'institution militaire, pourquoi ne pas le dire dans la loi ?

Pourquoi la France fait-elle cavalier seul au sein de l'Europe ? On nous dit - c'est le grand débat - qu'il faut construire une Europe politique. Or, personnellement, je constate que l'on a construit une Europe de la finance, que l'on s'apprête à construire une Europe de la libre concurrence, et je suis de ceux qui pensent que l'on pourrait en effet construire une Europe politique, voire une Europe de la défense ou une armée européenne : je n'y ai jamais été hostile. Toutefois, si l'on fait coexister des militaires avec des contrats si différents, il faudra bien harmoniser leurs statuts par le haut !

Ce texte reflète peut-être la position d'une partie de l'état-major, il reflète peut-être la position des officiers supérieurs, mais en aucun cas celle de ces militaires professionnels qui, recrutés par contrat pour des durées différentes, sont à la recherche d'un emploi et parfois d'un avenir professionnel, mais intègrent souvent l'armée, il faut malheureusement le reconnaître, plus par intérêt que par vocation. Doivent-ils pour autant devenir des citoyens de seconde zone ?

Au moment où j'entends les chefs de corps dire que le recrutement n'est pas aussi facile qu'on l'avait prévu et qu'il faut faire de la publicité pour recruter des professionnels sous contrat, pensez-vous, madame la ministre, que ce statut de « citoyen diminué » que vous offrez aux militaires...

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Je ne peux pas vous laisser dire cela, monsieur Michel !

M. Jean-Pierre Michel. ... est de nature à encourager l'intégration de jeunes gens et de jeunes filles qualifiés et à assurer leur fidélisation au sein de l'armée ?

On peut, certes, plaider pour une exception française, en matière culturelle notamment, mais, dans ce domaine précis, je considère, madame la ministre, que c'est une erreur et qu'il faudrait peu de chose pour que, finalement, comme je l'ai dit au début de mon intervention, votre texte satisfasse aux normes internationales, aux normes européennes et à l'aspiration de l'ensemble de nos militaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi portant statut général des militaires
Discussion générale (suite)

9

TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI constitutionnelle

M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre un projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 167, distribué et renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

10

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI organique

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Pierre Bel, Mme Michèle André, M. Robert Badinter, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Pierre-Yves Collombat, Raymond Courrière, Michel Dreyfus-Schmidt, Bernard Frimat, Charles Gautier, Jacques Mahéas, Jean-Claude Peyronnet, Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Richard Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés une proposition de loi organique tendant à reporter les élections sénatoriales de septembre 2007 à janvier 2008.

La proposition de loi organique sera imprimée sous le n° 165, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

11

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Pierre Bel, Mme Michèle André, M. Robert Badinter, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Pierre-Yves Collombat, Raymond Courrière, Michel Dreyfus-Schmidt, Bernard Frimat, Charles Gautier, Jacques Mahéas, Jean-Claude Peyronnet, Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Richard Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés une proposition de loi tendant à reporter les élections municipales et cantonales de mars 2007 à octobre 2007.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 164, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

12

TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Lettre de la Commission européenne du 17 janvier 2005 relative à une demande de dérogation présentée par la République d'Allemagne en date du 14 janvier 2005, en application de l'article 30 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977, relative aux taxes sur le chiffre d'affaires. Système commun de taxe sur la valeur ajoutée, assiette uniforme.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-2818 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion de l'accord bilatéral entre la Communauté européenne et la République de Serbie sur le commerce de produits textiles.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-2819 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Lettre de la Commission européenne du 11 janvier 2005, relative à une demande de dérogation présentée par la République fédérale d'Allemagne et le Royaume des Pays-Bas en date du 8 octobre 2004 et du 25 octobre 2004 en application de l'article 27 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil et du 17 mai 1977, relative aux taxes sur le chiffre d'affaires. Système commun de taxe sur la valeur ajoutée, assiette uniforme.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-2820 et distribué.

13

ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mercredi 2 février 2005, à quinze heures et, éventuellement, le soir :

1. Nomination des membres de la mission d'information commune sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante

2. Examen de demandes d'autorisation présentées :

- par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information en Afghanistan pour apprécier la reconstruction politique du pays et rencontrer les forces militaires françaises déployées à Kaboul dans le cadre de la Force internationale d'assistance à la sécurité ;

- par la commission des affaires sociales tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information au Liban consacrée à l'examen de la mise en place d'un système d'assurance-maladie dans ce pays ;

- par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner deux missions d'information :

- sur les procédures accélérées de jugement en matière pénale ;

- sur la nouvelle génération de documents d'identité et la fraude documentaire ;

- par la commission des affaires économiques et du Plan tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information en Chine pour y étudier le système de recherche, la situation de l'environnement et l'état de l'appareil de production chinois.

3. Suite de la discussion du projet de loi (n° 126, 2004-2005), adopté par l'Assemblée nationale, portant statut général des militaires.

Rapport (n° 154, 2004-2005) fait par M. André Dulait, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.

Délai limite pour les inscriptions de parole et pour le dépôt des amendements

Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission des finances sur la proposition de loi de MM. Jean Arthuis et Philippe Marini tendant à créer un Conseil des prélèvements obligatoires (n° 143, 2004-2005) ;

Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 7 février 2005, à seize heures.

Question orale avec débat (n° 11) M. Ladislas Poniatowski à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur l'indépendance énergétique de la France ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 7 février 2005, à dix-sept heures.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au traitement de la récidive des infractions pénales (n° 127, 2004-2005) ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 8 février 2005, à dix-sept heures ;

Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 8 février 2005, à dix-sept heures.

Personne ne demande la parole ?...

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 2 février 2005, à une heure.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD