compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

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PROCÈS-VERBAL

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

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DÉPÔT D'UN RAPPORT du gouvernement

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre un rapport de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer portant, notamment, sur les conditions de fixation des taux bancaires dans les départements d'outre-mer et sur les raisons de leur écart par rapport aux taux pratiqués en métropole, en application de l'article 9 de la loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer.

Acte est donné de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des finances.

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respect effectif des droits de l'homme en france

Discussion d'une question orale avec débat

(Ordre du jour réservé)

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 11 de M. Jacques Pelletier à M. le Premier ministre sur le respect effectif des droits de l'homme en France.

La parole est à M. Jacques Pelletier, auteur de la question.

M. Jacques Pelletier. Monsieur le garde des sceaux, je veux d'abord vous remercier d'être présent dans cet hémicycle aujourd'hui. Je sais que votre emploi du temps est très chargé et que vous avez dû jongler avec des horaires d'avion afin de pouvoir venir répondre à cette question orale avec débat.

Le 15 février dernier était publié le rapport d'Álvaro Gil-Robles, commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, sur le respect effectif des droits de l'homme dans notre pays.

Ses conclusions sont malheureusement peu flatteuses pour l'État qui a vu naître la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Il a paru souhaitable à notre intergroupe des droits de l'homme que notre assemblée débatte du diagnostic préoccupant que dresse ce rapport et du suivi qui pourrait être apporté aux recommandations du commissaire.

Historiquement, la France s'est toujours présentée à l'avant-garde de la protection des droits de l'homme. Elle s'est progressivement dotée d'une législation très protectrice des libertés publiques, droit complété par une jurisprudence très engagée dès la fin du XIXe siècle, notamment sous l'impulsion du Conseil d'État.

Aujourd'hui, notre pays jouit d'un degré élevé de protection des droits fondamentaux. Mais cet état de fait ne saurait occulter des réalités dérangeantes, voire inacceptables, dans un État de droit.

Le rapport d'Álvaro Gil-Robles pointe ainsi des domaines aussi variés que le traitement des primo-arrivants, des demandeurs d'asile, l'administration de la justice, la discrimination, la traite des êtres humains ou encore les conditions de détention.

Il existe ainsi un large fossé entre le droit, tel qu'il est conçu et promulgué, et sa pratique effective. Le poids de la tradition n'interfère que trop souvent avec l'impératif de garantie des libertés.

Il apparaît donc indispensable, monsieur le garde des sceaux, que le Gouvernement s'assure, avec célérité, que son administration ne considère pas les droits des citoyens comme une norme supplétive et qu'il donne à l'administration les moyens de ses obligations. Sur ce terrain plus que sur tout autre, ne cédons pas à la démagogie.

De façon plus générale, le commissaire aux droits de l'homme s'est étonné que certains instruments internationaux de protection des droits de l'homme n'aient toujours pas été intégrés au droit français. On peut ainsi citer la convention-cadre pour la protection des minorités nationales de 1995 et le protocole n° 12 de la Convention européenne des droits de l'homme sur l'interdiction générale de la discrimination qui date de 2000, textes qui n'ont même pas été signés. On peut encore citer le protocole n° 13, de 2002, de la même convention, qui prohibe la peine de mort en toutes circonstances, et le protocole n° 14 de 2004, qui renforce l'efficacité du système de contrôle de la Cour européenne des droits de l'homme.

Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le garde des sceaux, les raisons qui, jusqu'à présent, ont conduit les gouvernements à ne pas signer ou faire ratifier l'ensemble de ces textes ?

Il est aussi symptomatique qu'en 2002 la France ait été le second État le plus condamné par la Cour de Strasbourg et le troisième en 2003 et 2004. En 2005, cinquante et une violations étaient encore constatées par les juges européens. Notre pays connut même le piteux déshonneur d'être le second État, après la Turquie, à être condamné pour actes de torture en 1999 dans les termes que je vous lis : « La Cour est convaincue que les actes de violence physique et mentale commis sur la personne du requérant, pris dans leur ensemble, ont provoqué des douleurs et des souffrances aiguës et revêtent un caractère particulièrement grave et cruel. De tels agissements doivent être regardés comme des actes de torture au sens de l'article 3 de la Convention. »

Malgré notre rôle prééminent de promotion de la démocratie et des droits de l'homme sur la scène internationale, de sévères rappels à l'ordre nous montrent chaque année les difficultés récurrentes auxquelles nous devons faire face en notre sein même.

Les dysfonctionnements de la justice font partie des maux les plus patents de notre administration. Si les moyens alloués annuellement à la justice sont en hausse constante depuis plusieurs années, l'ensemble des crédits reste cependant insuffisant et représente seulement 1,79 % du budget général de l'État.

Nos concitoyens, qui sont tous de potentiels justiciables, sont en droit d'attendre que l'État leur garantisse une administration de la justice équitable et digne. Est-il normal que les 570 juges d'instruction aient eu à traiter 34 000 dossiers en 2004, soit 60 affaires nouvelles par magistrat ?

Sans anticiper les conclusions de nos collègues députés membres de la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire dite « d'Outreau », force est de constater que ces dysfonctionnements évidents ont affaibli encore un peu plus la qualité, l'efficacité et l'image de notre justice. Par-delà cette affaire, la lenteur de la justice est patente et souligne les conditions extrêmement difficiles dans lesquelles travaillent les juges. Ce n'est donc pas un hasard si l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, qui pose notamment le droit à être jugé dans un délai raisonnable, est le texte le plus fréquemment violé par la France. Ainsi, des justiciables ont parfois dû attendre sept ans avant de voir leur recours examiné.

Le rapport Gil-Robles recommande sur ce point une augmentation des moyens financiers et techniques de la justice, ainsi qu'une profonde réorganisation de la carte judiciaire, notamment des tribunaux de grande instance et des cours d'appel. Quel accueil et quelles suites entendez-vous donner à ces recommandations, monsieur le garde des sceaux ?

Parallèlement, tout aussi inacceptable est le traitement réservé aux étrangers arrivant sur notre territoire, qu'ils soient demandeurs d'asile ou non. À la précarité déjà patente de leur situation économique s'ajoute la très grande complexité des procédures et des pratiques policières parfois contestables, comme le relève une nouvelle fois le dernier rapport annuel de la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

L'instabilité chronique du droit des étrangers, dont une nouvelle réforme va bientôt nous être présentée, renforce toujours un peu plus l'insécurité juridique de ces personnes le plus souvent en grande détresse. Les procédures se retrouvent parfois détournées de leur objet premier, comme c'est maintenant le cas de l'aide médicale d'État qui n'est plus reliée à la demande d'asile et dont ont bénéficié 178 000  personnes en 2005. Le cas est également flagrant pour ce qui concerne les zones d'attente, au statut ambigu, et qui sont toujours aujourd'hui inadaptées de façon scandaleuse.

Le rapport Gil-Robles met notamment en exergue la situation des demandeurs d'asile qui se heurtent à des procédures très lourdes mais avec une aide a minima de l'État. Si la France est le premier pays d'accueil de demandeurs d'asile dans le monde, elle ne peut faire l'économie d'une rationalisation du fonctionnement de l'Office national de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA, et de la Commission de recours des réfugiés, dont les décisions apparaissent parfois imprévisibles.

Monsieur le garde des sceaux, à quelles améliorations du sort des étrangers et des réfugiés le Gouvernement entend-il procéder à court terme ?

Si certains dysfonctionnements ou carences stigmatisés dans le rapport du commissaire aux droits de l'homme sont marginaux, il n'en reste pas moins vrai que se pose en filigrane la question même du rôle et de la place de l'État dans la protection des personnes les plus vulnérables.

On peut observer que de plus en plus de domaines sont progressivement pris en charge par les associations, en raison de l'incapacité des pouvoirs publics, voulue ou non, à assumer leur mission. À défaut de créations d'emplois publics, ce monde associatif, dont le travail est remarquable, doit bénéficier de financements pérennes pour assumer ces tâches d'intérêt général.

Parmi les pratiques judicaires qui me semblent devoir être combattues et éradiquées, il en est une particulièrement incompatible avec une société respectueuse de l'individu et des valeurs humanistes, à savoir la dénonciation anonyme et son accréditation par les services policiers, judiciaires et fiscaux, de même nature attentatoire aux droits de l'homme que la dénonciation elle-même. Cela nous rappelle une époque difficile de notre histoire.

Mes chers collègues, en raison des fonctions politiques que vous exercez comme moi, vous avez dû recevoir un certain nombre de lettres anonymes, dont les auteurs, évidemment, nous voulaient du bien, mais quelquefois dénonçaient des faits plus ou moins imaginaires. J'espère que, comme moi, vous les avez jetées immédiatement à la corbeille à papier. Je souhaiterais que tout le monde en fasse de même.

Outre le placement abusif en garde à vue ou encore la fouille à corps injustifiée, je veux maintenant m'attarder davantage sur un autre manquement à la procédure pénale, dont on ne parle que trop rarement et qui est pourtant de plus en plus fréquent, si l'on en croit la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS. Je veux parler du menottage.

Dans son dernier rapport, ladite commission, présidée par l'éminent Pierre Truche, souligne que « le menottage est de plus en plus systématique, alors que l'article 803 du code de procédure pénale ne le prévoit que lorsque l'individu est " considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite " », une exigence reprise, précise la commission, par les instructions ministérielles du 11 mars 2003 et la note du directeur général de la police nationale du 13 septembre 2004 sur l'utilisation des menottes.

Ces deux textes rappellent également la stricte prohibition du menottage serré qui demeure toutefois pratiqué, comme en témoignent certaines des saisines de la commission en 2004 et en 2005.

Il faut donc souligner que ce qui peut sembler comme un geste simple et ordinaire de la part des policiers est loin d'être toujours indispensable. C'est une question de respect de la déontologie bien sûr, mais également de la dignité humaine et donc de respect des droits de l'homme.

Au final, la plus grande atteinte aux droits de l'homme dans la République reste l'intolérable situation de nos prisons. Ce n'est pas à vous, monsieur le garde des sceaux, que je m'en prends particulièrement, car cette situation perdure depuis des décennies.

Le constat dressé par le rapport Gil-Robles sur l'état de nos établissements pénitentiaires rejoint en grande partie les conclusions déjà rendues en 2000 par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale et par celle du Sénat, qui décrivaient nos prisons étant comme une humiliation pour la République. En cinq ans, rien ne semble avoir été fait pour inverser la donne. Pourquoi la proposition de loi issue des travaux de la commission d'enquête du Sénat en 2000, adoptée dans cet hémicycle en 2002, n'a-t-elle jamais été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ? De surcroît, où en est l'élaboration de la Charte pénitentiaire européenne dont on nous parle depuis déjà un certain temps ?

La hausse continue de la population carcérale depuis 1980 - 59 456 détenus au 1er avril 2006 - n'a pas été compensée par la construction d'établissements modernes et dignes d'un État de droit.

Elle n'est pas plus compensée par un redéploiement de la population carcérale : malades psychiatriques en établissements de soins spécialisés, détenus âgés en hospices spécialisés, détention provisoire redevenue l'exception, comme en dispose la loi, application du bracelet électronique pour la détention provisoire, développement important des peines alternatives à l'emprisonnement.

L'enfermement est toujours, depuis 1791, au centre du dispositif judiciaire. C'est la peine de référence, la peine majoritairement prononcée.

N'est-il pas temps, enfin, de revenir sur ces principes, au risque de décevoir nos électorats ?

Les centres d'éducation renforcée, le service civil à long terme, la prison à domicile et tant d'autres peines substitutives à l'emprisonnement doivent être expérimentés puis développés. C'est la seule réponse crédible à la surpopulation carcérale : construire toujours plus de places ne résoudra en définitive pas grand-chose.

Punir autrement, soigner, éduquer, former, réinsérer me semblent des réponses modernes à des maux trop anciens.

Le taux de densité carcérale atteint 118 % au 1er avril 2006. Dans de nombreux établissements pénitentiaires, la superficie de vie moyenne d'un détenu oscille entre 2,4 mètres carrés et 4 mètres carrés. Ce surpeuplement a inévitablement engendré une insalubrité inacceptable, qui bafoue le plus souvent les conditions élémentaires de la dignité de la personne humaine. Je salue néanmoins les premiers résultats du plan de construction de 13 200 places engagé en 2002 par votre prédécesseur, monsieur le garde des sceaux : cela va permettre aux détenus de disposer d'une superficie plus acceptable.

Comme le remarque l'Observatoire international des prisons, l'indignité des prisons françaises provient essentiellement du fait que les détenus sont privés de l'exercice de leurs droits les plus élémentaires : qu'en est-il de l'arbitraire des commissions de discipline ? Que dire de l'isolement de longue durée, de l'insuffisance drastique de l'offre de soins psychiatriques, alors que les pathologies mentales sont surreprésentées, de la quasi-absence de dispositifs de réinsertion pour les détenus libérés, de la transformation des centres de détention en hospices pour les détenus âgés, du manque d'intimité des détenus dans leur moindre geste du quotidien ? Pourquoi tolère-t-on le droit de cantiner avec des prix supérieurs à ceux de l'extérieur ? Pourquoi des détenus entrent-ils séronégatifs en prison et en ressortent-ils séropositifs ? Pourquoi près de 6 % des détenus, selon l'INSERM, sont-ils initiés à la consommation de stupéfiants derrière les barreaux ?

Monsieur le garde des sceaux, vous avez présenté la construction de nouvelles prisons comme une réponse aux problèmes carcéraux. C'en est une, mais je ne pense pas que ce soit la seule. Il ne peut s'agir que d'un préalable à une refonte totale de notre politique pénitentiaire et du dispositif judiciaire.

Certes, un détenu est retiré de la place publique pour protéger la société, mais cela ne lui ôte pas sa qualité intrinsèque de personne humaine, ni sa dignité. Le préparer à se réinsérer dans la société une fois sa peine purgée est indissociable du droit légal à la rédemption et à la réhabilitation de tous ceux qui, à un moment ou à un autre, ont enfreint les règles posées par la collectivité.

La réflexion doit être engagée sur les motifs même de l'incarcération : la détention provisoire, qui est juridiquement l'exception, est devenue la norme.

Rappelons les termes de l'article 137 du code de procédure pénale : « La personne mise en examen, présumée innocente, reste libre. Toutefois, en raison des nécessités de l'instruction ou à titre de mesure de sûreté, elle peut être astreinte à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire. Lorsque celles-ci se révèlent insuffisantes au regard de ces objectifs, elle peut, à titre exceptionnel, être placée en détention provisoire. »

Au lieu d'être utilisée pour protéger l'ordre public, la détention provisoire sert souvent de moyen de pression physique et psychologique pour obtenir des aveux.

Le nombre de ces détentions ne cesse d'augmenter, alors que le nombre de condamnations finales reste stable.

En prison, des délinquants ordinaires se transforment en véritables criminels au contact de populations auxquelles ils ne devraient jamais être mélangés.

Je m'interroge donc sur la capacité expiatoire de nos prisons. Avec un taux de récidive légal supérieur à 33 % dans les cinq dernières années, la France ne peut continuer à entretenir des établissements où se fabrique légalement la désocialisation d'individus et où se renforce leur propension au crime.

Les dispositifs de surveillance alternatifs à la privation de liberté doivent être développés. C'est déjà le cas du bracelet électronique, qui est dû à l'initiative de M. Guy-Pierre Cabanel et dont le régime a été récemment renforcé. Cependant, il existe d'autres pistes, comme les travaux d'intérêt général ou les réductions et fractionnements de peines. Favoriser l'aménagement des peines, notamment par l'usage de la libération conditionnelle, me semble devoir être développé.

Pourriez-vous, monsieur le garde des sceaux, faire aujourd'hui un état des lieux de ces différents dispositifs ?

M. Jean-Jacques Hyest évoquait déjà, voilà six ans, la transformation des prisons en asiles. Aujourd'hui, près de 30 % de la population carcérale souffre de pathologies mentales et de 35 % à 40 % des détenus ont connu la psychiatrie avant la prison.

Des études ont montré qu'en prison les taux de pathologies psychiatriques sont jusqu'à vingt fois supérieurs à ce qu'ils sont dans la population générale.

Comment le Gouvernement compte-t-il développer l'offre de soins psychiatriques ?

Dans le même ordre d'idée, il est honteux que des trafics de drogues se développent dans nos établissements pénitentiaires. En tout état de cause, une personne dépendante de stupéfiants a sa place non pas en prison, mais dans un centre fermé spécialisé qui garantit une obligation effective de soins. Si le détenu est déjà drogué, il continuera à se droguer en prison et après sa sortie et il se retrouvera sous les verrous dans les six mois ou l'année à venir. Ce n'est pas très sérieux.

Par ailleurs, les personnels de probation et d'insertion représentent à peine 9 % des effectifs de l'administration pénitentiaire, qui n'y consacre que 11 % de son budget. Seul un quart des détenus bénéficie d'une formation, tandis que 22 % d'entre eux jouissent d'un projet de préparation à la sortie, que 5 % seulement se sont engagés, au moment de leur libération, dans une action concrète d'insertion professionnelle validée par l'ANPE, que 35 % sortent de prison sans moyens matériels ni formation, qu'un tiers est alcoolique ou drogué et, enfin, que 50 % d'entre eux sont illettrés ou analphabètes.

Il faut insister encore et toujours sur le fait que, selon l'article 137 du code de procédure pénale, la mise en détention provisoire est une exception.

À ce propos, je me félicite, monsieur le garde des sceaux, de la signature d'une convention entre vous-même et le médiateur de la République, plaçant ce dernier à l'écoute des personnes détenues pour faciliter le règlement amiable des différends dans leurs relations avec les administrations ainsi que leur réinsertion.

Faciliter l'intervention des délégués du médiateur me semble primordial ; poursuivre et pérenniser l'expérience est plus fondamental encore.

Quelles mesures d'accompagnement et de réinsertion des détenus le Gouvernement a-t-il l'intention de mettre en oeuvre ?

À propos de ce nécessaire accompagnement des détenus une fois leur peine de prison purgée, vos services et vous-même, monsieur le garde des sceaux, avez certainement été alertés sur le cas du QIS, le « quartier intermédiaire sortant », de la maison d'arrêt de Fresnes.

L'équipe de six personnes du QIS joue un rôle indispensable pour les détenus les plus fragiles. Or, voilà que, faute de budget, cette structure d'accompagnement, qui existe depuis quinze ans à Fresnes, va probablement devoir fermer, alors qu'il faudrait développer et généraliser ce type de structure d'accompagnement à toutes les maisons d'arrêt. Que pouvez-vous nous dire, monsieur le garde des sceaux, concernant le QIS de Fresnes ?

S'agissant toujours de la prison de Fresnes, nous avons par ailleurs appris, ces derniers jours, que le médecin-chef du service médicopsychologique régional de cet établissement envisage très sérieusement de faire valoir son droit d'alerte le 30 juin, mettant une fois de plus en exergue le criant manque de moyens et de personnels médicaux.

À Fresnes, il y aura, à partir du mois de juin, 1,8 équivalent temps plein d'infirmier pour 2 000 détenus, ce qui est tout à fait inadmissible.

Il n'est pas acceptable que, dans notre pays, des médecins en soient réduits à user de ce droit d'alerte.

Le rapport Gil-Robles pointe suffisamment de problèmes pour que les efforts d'amélioration de l'effectivité des droits de l'homme dans notre pays soient redoublés.

Ces droits sont profondément ancrés dans notre histoire et dans notre inconscient collectif. Conquis de haute lutte, ils incarnent l'universalité de la dignité de la personne humaine.

Je me réjouis que puisse se tenir aujourd'hui ce débat dans notre Haute Assemblée, afin que nous puissions, tous ensemble, déterminer quelles sont les nécessaires améliorations devant être apportées à notre droit et à notre société.

Je souhaite enfin, monsieur le garde des sceaux, que vous puissiez apporter des réponses concrètes aux questions qui ne manqueront pas d'être soulevées tout au long de ce débat. Dans un pays qui se veut exemplaire dans le combat en faveur des droits de l'homme, mettons enfin en chantier une politique de modernisation et d'humanisation de la prison, favorisant les peines alternatives, le suivi et la réinsertion ! Parce qu'une société, aux dires d'Albert Camus, se juge aussi à l'état de ses prisons, préparons très vite une loi pénitentiaire qui mette enfin nos actes en accord avec nos principes ! (Applaudissements.)

Mme la présidente. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens, tout d'abord, à remercier M. Jacques Pelletier, car c'est grâce à lui que se déroule au sein de cet hémicycle ce débat sur les droits humains en France rendu public et nécessaire par la conjoncture actuelle. À l'expression « droits de l'homme », permettez-moi de préférer celle de « droits humains », qui me semble moins restrictive et plus juste.

Je regrette, bien sûr, que M. le Premier ministre ne soit pas présent lors de ce débat essentiel, mais je suis certaine, monsieur le garde des sceaux, que vous saurez répondre à nos interrogations.

Mes questions s'axeront principalement autour de trois problèmes, s'agissant desquels nombre d'entre nous attendent de vous des réponses claires, justes et humaines.

Le premier est celui des établissements pénitentiaires et de la politique carcérale de la France, que M. Pelletier a déjà évoqué.

Vient ensuite celui des expulsions d'étrangers en général, des mineurs étrangers en particulier.

Enfin, se pose celui des droits politiques des résidents non nationaux et extra-communautaires.

Aborder l'effectivité des « droits humains » en France impose de se demander si certains droits sont fondamentaux pour les uns et moins fondamentaux pour les autres, en un mot, si les droits fondamentaux sont à géométrie variable.

S'agissant des personnes privées de liberté, la situation des personnes incarcérées en France est plus qu'alarmante.

En effet, l'effectivité de leurs droits est sans cesse remise en cause, comme l'a d'ailleurs fait remarquer avec justesse, dans son rapport, le commissaire européen aux droits humains, M. Álvaro Gil-Robles.

Dans le même sens, je vous rappelle que sept des avis, recommandations et décisions de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, contenus dans son dernier rapport 2005, concernent l'administration pénitentiaire, ce qui est révélateur.

Pourtant, la France est signataire de nombreux instruments juridiques internationaux et européens qui confèrent de nombreux droits à l'ensemble des citoyens.

Je citerai la charte des droits fondamentaux, signée à Nice en 2001, la charte sociale européenne de 1996, la convention européenne des droits humains de 1950, que notre pays a ratifiée en 1974, et, notamment, le protocole 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, ou son protocole 12, qui n'est d'ailleurs encore ni ratifié ni même signé par notre pays - quand, monsieur le garde des sceaux, cela sera-t-il enfin chose faite ? - sans oublier la convention des Nations unies relative aux tortures et traitements inhumains ou dégradants.

L'effectivité des droits conférés par ces textes, pourtant tous ratifiés par la France, semble trop souvent, malgré tout, s'arrêter aux portes des établissements pénitentiaires français.

Malheureusement, il convient de noter que la mise en oeuvre de la législation s'efface parfois devant les habitudes et que, souvent, les libertés publiques ou individuelles sont sacrifiées sur l'autel de la sacro-sainte sécurité.

Cette constatation est loin de relever d'une simple anecdote. Elle pose un évident problème d'effectivité du respect des droits humains. Je ne veux pas dire par là que les autorités françaises n'ont pas conscience des problèmes, mais on ne peut que regretter que les moyens mis en place ne soient peut-être pas toujours les meilleurs ou ne soient pas considérés comme urgents.

Ainsi, il semble exister, dans certains domaines, un fossé qui peut s'avérer très large entre ce qui est annoncé dans les textes et la pratique.

Un problème récurrent est celui de la surpopulation carcérale.

Ce douloureux constat est la conséquence des exigences de la société, ces dernières décennies, qui se caractérisent par un populisme pénal, favorisé par une certaine volonté politique.

Il est avant tout lié à une cause principale : une politique répressive qui prend le pas sur une politique préventive, entraînant une augmentation excessive du nombre de condamnations, notamment des longues peines, sur l'efficacité desquelles on peut d'ailleurs s'interroger.

Une politique pénale juste ne passe pas par la construction de nouveaux établissements pénitentiaires, qui ne sera jamais une solution. Seules des mesures alternatives, telles que les travaux d'intérêt général, les TIG, et les mesures d'aide à l'intégration des sortants, comme leur accompagnement par des agents de probation ou les suivis socio-judiciaires, peuvent répondre de façon positive au problème de la surpopulation des prisons et faire avancer les droits des personnes incarcérées.

Il n'est pas inutile de rappeler que trop de personnes se trouvent aujourd'hui derrière les barreaux alors qu'elles n'ont absolument rien à y faire, qu'il s'agisse d'étrangers en situation irrégulière, qui ne sont pas des délinquants, de personnes en fin de vie, très âgées, atteintes de maladies ou de déséquilibres psychiatriques - les prisons ne sont pas des asiles ! -, ou bien encore de suspects placés en détention provisoire, qui, selon notre droit, sont présumés innocents. Mais cette question sera abordée ultérieurement par M. André Rouvière.

La tendance à l'augmentation du nombre de détenus continue à se renforcer. Selon les statistiques fournies par les autorités françaises, au 1er novembre 2005, 58 082 personnes étaient incarcérées en France, ce qui représente une augmentation de 1,6 % par rapport au mois précédent. Dans le même temps, le nombre de places officiellement disponibles était de 51 195, ramenant le taux d'occupation moyen dans les établissements pénitentiaires à 113,5 %. À cette même date, les détenus provisoires représentaient 40 % de la population carcérale.

Ces chiffres témoignent de la crise patente des établissements pénitentiaires, qui accueillent 230 détenus de plus qu'ils ne peuvent en recevoir, et démontrent que les conditions réelles de détention sont très différentes de celles qui sont prévues par la loi.

La surpopulation carcérale empêche de mettre en pratique une véritable politique pénitentiaire et, pour les adultes comme pour les mineurs, de séparer les prévenus des condamnés. Elle ne permet pas de mettre en oeuvre un traitement social, psychologique ou médical ou une action spécifique pour chaque détenu, selon ses besoins.

Elle empêche également toute tentative de réinsertion ou de prévention, notamment contre les récidives. Si on ne met pas en avant le principe de l'intégration à la sortie, la politique pénale perd tout son sens et la privation de liberté devient vengeance. Ce n'est pas cela, la justice !

La réinsertion d'une personne détenue doit commencer dès le premier jour de son incarcération et continuer jusqu'à sa sortie effective. Il faut donc impérativement mettre un terme aux « sorties sèches », prévoir de réelles mesures d'accompagnement et de réinsertion, essentiellement par l'obtention d'un travail et de droits sociaux, et restreindre l'accès au casier judiciaire des employeurs dans certains domaines sensibles.

Se pose également la question des gardes à vue. Au-delà des conditions juridiques, il s'avère que les conditions matérielles des cellules dans lesquelles les gardes à vue se déroulent sont inacceptables. Dans de très nombreux commissariats, les personnes gardées à vue dorment à même le sol sans matelas ni linge. Il arrive qu'aucune nourriture, aucune boisson ne leur soient fournies. Parfois, ils ne peuvent même pas avoir l'assistance d'un médecin.

Le respect de la dignité humaine doit être effectif partout en France, y compris dans nos commissariats !

Les fonctionnaires de police demeurent soumis à l'obligation de respecter les règles de procédure et d'assurer la protection de la dignité des personnes placées en garde à vue. Les officiers de police judiciaire notamment semblent parfois méconnaître les textes régissant la procédure de garde à vue.

Le directeur général de la police nationale, répondant à une question de la CNDS, a avoué que la circulaire du 11 mars 2003 restait insuffisamment appliquée.

Dans son rapport, M. Gil-Robles recommande également de « combattre avec fermeté tous les cas de brutalités policières recensées » et évoque notamment le menottage excessif des jeunes ou des sans-papiers.

Monsieur le garde des sceaux, à la suite des rapports successifs du commissaire européen aux droits de l'homme et de la CNDS, souvent saisie à propos des pratiques de la police, quelles mesures concrètes votre gouvernement compte-t-il prendre pour uniformiser ces pratiques et mettre un terme à l'impunité de ceux qui violent la loi, notamment dans nos commissariats ?

De même, les établissements pénitentiaires ne doivent plus demeurer des territoires en dehors de la loi. Il ne peut y avoir d'effectivité des droits des détenus s'il n'y a pas un droit à la réinsertion, qui passe avant tout par une réelle politique de réinsertion, si ce n'est d'insertion, puisque, souvent, les personnes incarcérées ont presque toujours connu l'exclusion.

Cette politique doit être fondée sur des garanties claires et fermes pour les personnes incarcérées. Il ne saurait y avoir moins de droits dedans que dehors ! Ainsi, pourquoi ne pas poser la question de l'exercice des droits civiques des prévenus et des personnes condamnées, dès lors que la justice ne les en a pas privés ?

Tout cela pose le problème des investissements et des moyens, notamment humains. Pour ma part, il s'agit non pas forcément de construire de nouvelles prisons, mais plutôt de mettre en oeuvre une politique pénale et carcérale beaucoup plus ouverte, avec des moyens humains plus importants.

Ce qui compte, c'est de prévoir un renforcement massif du financement des structures d'éducation, de santé, d'insertion professionnelle et d'aide au maintien des liens familiaux. Le contact avec l'extérieur, à commencer avec les familles, constitue une première étape dans ce processus, car une démarche contraire mènerait vers une nouvelle exclusion.

Aujourd'hui, l'administration pénitentiaire, non contredite par la politique pénale, a développé une pratique d'éclatement des liens familiaux, ce qui est en totale contradiction avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Elle ne semble pas avoir pour objectif prioritaire de rapprocher le lieu de détention des personnes condamnées, notamment des « longues peines », du domicile de leurs proches, afin de faciliter le maintien des liens familiaux. Ainsi, on ne se contente pas de condamner le coupable, on condamne aussi sa famille et ses proches. C'est inacceptable !

Monsieur le garde des sceaux, que comptez-vous faire pour mettre un terme à cette pratique de l'éloignement des détenus, accentuée par la loi dite Perben II ?

En outre, aux pratiques discriminantes de l'administration pénitentiaire s'ajoute l'attentisme coupable du Gouvernement concernant le droit à la vie privée.

C'est en 2003 qu'a été ouverte la première unité expérimentale de vie familiale, UEVF. Malgré leurs lacunes, les UEVF offrent aux détenus et à leurs familles un moyen de maintenir une certaine continuité dans leurs liens familiaux et des conditions matérielles leur permettant de préserver un minimum de vie privée et des moments d'intimité.

Les sites pilotes de Rennes, Saint-Martin-de-Ré et Poissy ont montré tout l'intérêt des UEVF non seulement pour les personnes incarcérées et leurs familles, mais également pour le personnel de l'administration pénitentiaire. Or, aujourd'hui, cette expérimentation n'est toujours pas généralisée.

Il y a pire : les détenus de certains centres pénitentiaires, comme ceux de Liancourt, Toulon et Avignon, où sont déjà construites des UEVF, n'ont toujours pas accès à celles-ci. Pouvez-vous nous en expliquer la raison, monsieur le garde des sceaux ?

Où est l'effectivité de meilleures conditions de vie, de l'assouplissement de la dure privation de liberté lorsque des détenus ne peuvent même pas circuler librement à l'intérieur des blocs fermés ?

J'évoque ici la procédure dite de « fermeture des portes », mise en oeuvre à la suite de l'affaire de la prise d'otage de Moulins et qui marque un net recul par rapport à la précédente politique dite « d'ouverture des portes de cellules », inspirée de l'exemple de certains pays voisins. Depuis février 2003, une procédure d'interdiction de circuler pendant la journée à l'intérieur des blocs fermés s'est progressivement mise en place dans les cinq maisons centrales réservées aux longues peines.

D'autres pratiques de l'administration pénitentiaire portent également largement atteinte aux droits des personnes détenues.

La CNDS a notamment été saisie par mon collègue et ami Robert Bret du cas d'un « détenu particulièrement surveillé », dit DPS, de la prison d'Angers, qui a fait l'objet de mises en isolement successives pendant plus de deux ans. Vous rendez-vous compte, monsieur le garde des sceaux, de ce que représentent 737 jours en isolement. C'est inhumain !

Ces faits, et ils sont nombreux, ne sont pas en conformité avec les critères de légalité retenus par la jurisprudence et sont même susceptibles de constituer un traitement inhumain ou dégradant au regard de la réglementation européenne.

L'isolement pose d'autres problèmes, pouvoir saisir la justice et avoir le droit d'être assisté dans sa défense.

Trop souvent, des détenus qui ont engagé des procédures judiciaires se voient directement ou indirectement sanctionnés. Le détenu peut faire du « tourisme carcéral », il est déplacé de prison en prison et éloigné de sa famille, ou sanctionné par l'administration, parfois même violenté.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Ce n'est pas croyable ! On entend dire n'importe quoi !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Par ailleurs, les personnes incarcérées malades, qui vont consulter un médecin à l'extérieur, sont souvent privées du droit à la confidentialité lié au secret médical puisqu'il arrive que la consultation se fasse en présence de policiers. De plus, les conditions de cette consultation sont contraires à la circulaire gouvernementale et aux dispositions européennes en vigueur, car ces personnes sont entravées et menottées. Pour ma part, j'ai saisi la CNDS d'un cas récent qui m'avait été signalé.

Il convient donc d'oeuvrer à un renforcement des moyens de contrôle de l'administration pénitentiaire et du respect des droits à la confidentialité et à la dignité des personnes incarcérées, notamment des malades.

S'agissant de la situation des droits des mineurs étrangers, les règles de procédure pénale spécifiques aux droits des mineurs, qu'ils soient français ou étrangers, sont déterminées par l'ordonnance du 2 février 1945, modifiée.

La situation des mineurs en France s'est constamment dégradée, comme l'a rappelé la Défenseure des enfants dans son dernier rapport. Cette dégradation constante est d'autant plus flagrante et injuste dans les quartiers populaires dits « sensibles » que les manquements des policiers tendent à se systématiser.

Monsieur le garde des sceaux, allez-vous répondre favorablement à la demande de la CNDS, incluse dans son avis de décembre 2005, tendant à compléter l'instruction ministérielle du 11 mars 2003 par une directive spécifique relative aux mesures que les services de police peuvent être amenés à prendre à l'égard des mineurs ?

Enfin, je tiens à me faire l'écho dans cet hémicycle des cas humains déchirants d'enfants « accompagnants », ainsi que de mineurs et de jeunes majeurs scolarisés qui, à partir du 30 juin, pourront faire l'objet d'une mesure d'expulsion. Or la scolarité ne s'arrête pas à la fin du mois de juin !

Ces enfants sont aujourd'hui scolarisés avec nos enfants, et il serait dommage de les priver de leurs droits à l'éducation et à la scolarité. Aussi, je vous demande, monsieur le garde des sceaux, en vertu de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, de mettre fin immédiatement aux procédures d'expulsion à l'encontre de ces jeunes.

J'en viens à la question des droits politiques effectifs des résidents non communautaires.

Monsieur le garde des sceaux, on ne saurait aborder la question de l'effectivité des droits fondamentaux sans aborder celle des droits politiques des résidents non communautaires. Cette question est délicate, sensible, tout en étant fondamentale pour le débat politique, car elle touche à l'essence même de ce qui constitue notre démocratie, à ce qu'elle est, à ce qu'elle peut et doit devenir : une question de droit et de justice sociale, mais aussi d'égalité des droits et de citoyenneté.

Il en va aussi de la reconnaissance politique, notamment au regard de l'histoire et du devoir de mémoire que celle-ci nécessite.

Au moment où s'amorce la reconnaissance des responsabilités historiques de notre pays, notamment à travers les débats portant sur la commémoration de l'abolition de l'esclavage et sur la colonisation, il est important de rappeler que ces hommes et ces femmes, au nom de cette mémoire, doivent aussi avoir des droits.

C'est une question de justice sociale et politique, car ces non-nationaux paient les mêmes impôts, taxes et cotisations que les Français et participent pleinement à la solidarité nationale. De même, ils contribuent au financement des infrastructures que tous les Français utilisent.

Il est important de rappeler que le respect des droits fondamentaux des citoyens français passe par celui des droits politiques de ces résidents non européens. Reconnaître le droit de vote aux résidents extra-communautaires, c'est répondre à une exigence d'égalité des droits et de justice, mais c'est aussi participer au renforcement de la notion de citoyenneté.

Nous ne pouvons pas, en effet, exiger un comportement citoyen des plus jeunes lorsque leurs parents sont exclus de la citoyenneté.

Pour conclure, je rappellerai que la construction de la citoyenneté mais aussi de l'identité européenne passe par le droit de vote, notamment par le droit de vote pour les résidents de l'Union européenne.

Il est temps que la France, à l'instar d'autres pays d'Europe, accomplisse cet élargissement du corps électoral, condition sine qua non de la modernisation de notre démocratie.

Monsieur le garde des sceaux, alors que de nombreuses personnalités au sein même de votre famille politique se sont déclarées en faveur de ce droit de vote, nous pourrions peut-être aujourd'hui nous engager un peu plus avant.

D'ailleurs, face aux défis que lancent la révolte des banlieues, s'insurgeant contre les discriminations et les exclusions, y compris politiques, ainsi que les mouvements appelant à un vrai débat sur la mémoire, nous devrions cesser de reléguer la question de l'élargissement du corps électoral au rang de gadget électoral pour en faire une vraie question du droit, notamment des droits politiques.

N'oubliez pas qu'il s'agit non seulement d'un droit fondamental, mais aussi d'une arme efficace qui permettrait de lutter contre le racisme et de répondre à une urgence démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - M. Jacques Pelletier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Grignon.

M. Francis Grignon. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la France, plus que tout autre pays, par sa tradition humaniste, par les valeurs du siècle des lumières qu'elle a transmises au-delà de ses frontières et parce qu'elle est à l'origine de la Déclaration universelle des droits de l'homme, se doit d'être exemplaire en matière de respect des droits de chacun.

Inspiratrice, avec René Cassin, et signataire de la Convention européenne des droits de l'homme en 1950, membre fondateur du Conseil de l'Europe à Strasbourg en 1949, avec un droit de recours individuel des citoyens français devant la Cour européenne des droits de l'homme, la France est considérée dans le monde comme le berceau et la patrie de ces droits humains universels.

Le rapport de l'ancien commissaire du Conseil de l'Europe aux droits de l'homme, M. Álvaro Gil-Robles, se fait l'écho de certains dysfonctionnements et de certaines lacunes relevés lors de ses visites en septembre 2005.

Prétendre que tout est parfait dans le meilleur des mondes possibles relèverait de la naïveté. La France, dans son histoire, a connu des zones d'ombre. Le manichéisme ne correspond malheureusement qu'à une réalité relevant d'une vision enfantine du monde. Nos sociétés sont de plus en plus complexes, et nul ne peut garantir des comportements individuels exemplaires. Il relève en revanche de notre responsabilité politique de tenter de canaliser collectivement ce facteur risque individuel.

Il est donc nécessaire de se saisir régulièrement de ces questions afin de dresser un bilan des actions qu'il reste à mener, et je tiens moi aussi à remercier M. Pelletier de nous donner l'occasion de le faire.

Sans avoir la prétention d'être exhaustif, je voudrais dans mon intervention apporter un autre éclairage et rappeler plutôt les éléments positifs mis en oeuvre dans notre pays en direction des droits de l'homme, tout en sachant, bien sûr, la limite de l'exercice, puisque chacun sait qu'en matière de communication, notamment de communication aussi sensible, il faut bien dix messages positifs pour contrecarrer un message négatif.

Néanmoins, nombre de réformes engagées par gouvernement dirigé jusqu'à l'année dernière par notre estimé collègue Jean-Pierre Raffarin ainsi que par l'actuel gouvernement ont déjà amélioré considérablement la situation.

En matière de prisons, par exemple, si la réalité constatée ne correspond pas à l'idéal que nous souhaiterions tous, des efforts importants sont consentis depuis 2002 et la situation devrait encore s'améliorer.

La surpopulation carcérale, qui est une réalité, a pour corollaire une dégradation des conditions de vie des détenus. C'est la raison pour laquelle une politique très ambitieuse de renouvellement du parc pénitentiaire a été engagée depuis 2002, prolongeant ainsi les efforts déjà consentis, chaque fois sous des gouvernements de droite, par M. Chalandon en 1987, avec la création de 13 000 places, et par M. Méhaignerie en 1994, avec la création de 4 000 places.

La loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 a ainsi prévu la construction de 13 200 places nouvelles de détention. Jamais un tel programme de construction n'avait été mis sur pied. Notre groupe se félicite ainsi, monsieur le garde des sceaux, que votre gouvernement ait prévu de construire seize nouveaux établissements pénitentiaires pour majeurs, sept établissements pénitentiaires pour mineurs, trois quartiers courtes peines et quatre centres de semi-liberté.

Le respect des droits humains dans les prisons passe aussi par une protection des mineurs : les structures construites seront adaptées pour les séparer des détenus majeurs. Plus largement, seront séparés les prévenus des condamnés et les primo-délinquants des multirécidivistes. Il s'agit d'une avancée fondamentale en matière pénitentiaire. Je note d'ailleurs que M. Gil-Robles considère que les centres fermés tant décriés ont été une réponse adaptée à la désocialisation de certains mineurs récidivistes.

Au-delà des bons sentiments et des leçons de morale, il s'agit d'un engagement concret pour l'amélioration des conditions de détention.

La construction de ces nouveaux centres pénitentiaires permettra également la fermeture des centres actuels les plus vétustes. D'autres centres, comme Fleury-Mérogis, Les Baumettes et la Santé, seront quant à eux rénovés. À terme, 6 000 places devraient avoir les normes retenues pour les constructions neuves. À Fleury-Mérogis, les travaux engagés répondent à cet objectif de rénovation grâce à un effort financier particulièrement important, puisque 100 000 euros sont investis par place de prison.

Enfin, un programme supplémentaire d'extension des capacités des établissements existants permettra de dégager, d'ici à 2007, 3 000 places d'hébergement sur l'ensemble du territoire, dont 500 places dédiées à la semi-liberté.

Cet effort en matière de programmes immobiliers pénitentiaires va indubitablement améliorer les conditions de vie des détenus, car il permettra de résoudre les problèmes essentiellement causés, selon M. Gil-Robles, par la surpopulation des établissements actuels.

Loin des caricatures, la politique pénale menée par le Gouvernement n'est pas fondée sur le « tout carcéral ». Notre pays a un nombre de détenus rapporté à sa population inférieur à celui de nos voisins européens : notre taux de détention pour 100 000 habitants est de 93, contre environ 97 en Allemagne et en Italie, voire 140 en Espagne ou en Grande-Bretagne.

Depuis 2002, le Gouvernement a favorisé les alternatives à l'incarcération et le suivi des détenus libérés. Plus de 19 000 mesures d'aménagement de peine ont été prononcées en 2005.

Par ailleurs, les garanties offertes aux détenus se sont améliorées par la mise en place de points d'accès au droit.

Des délégués du médiateur de la République sont présents dans dix établissements depuis 2005.

Par ailleurs, il y a désormais des aumôniers de toutes confessions dans les centres pénitentiaires.

Il faut enfin rappeler que, depuis 2002, près de 3 000 emplois de personnels de surveillance et de travailleurs sociaux ont été créés pour améliorer le fonctionnement des services pénitentiaires et, par conséquence directe, les conditions de détention.

D'une manière plus générale, si des problèmes matériels demeurent, l'effort budgétaire consenti par le Gouvernement pour le budget de la justice est sans précédent : le projet de budget pour 2006 de la justice progresse de 17,2 % en autorisations de programme et de 4,6 % en crédits de paiement, cela dans un contexte particulièrement contraint.

Certes, cela ne suffit pas encore et nous devons rester vigilants pour évaluer les besoins subsistants. Malgré tout, même en ayant conscience que, lorsqu'on engage un plan aussi important, il faut un peu de temps pour constater des résultats positifs, on peut estimer que ce qui était constatable en 2005 ne devrait plus l'être d'ici à quelques années.

Les efforts faits pour les populations carcérales ne sont, bien sûr, pas les seuls efforts faits pour améliorer en permanence l'approche des droits de l'homme dans notre pays.

Pour ce qui concerne l'immigration, le projet de loi à venir devrait permettre de mieux contrôler les flux pour que les immigrés qui arrivent en France puissent bénéficier de meilleures conditions pour s'intégrer.

Concernant la situation des gens du voyage, le Gouvernement a fortement incité les maires à mettre en application la loi relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, dite loi Besson, qui vise à améliorer les conditions de vie des gens du voyage.

Concernant le problème des violences domestiques, je rappelle que le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a mis en oeuvre une politique pénale humanisée sur l'ensemble du territoire national.

Il mit ainsi en place en octobre 2003 un groupe de travail associant des magistrats, des policiers et gendarmes, ainsi que des représentants du secteur associatif. Le fruit de leur travail prit la forme d'un guide de l'action publique intitulé La lutte contre les violences au sein du couple.

La toute récente loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, qui résulte de deux propositions de loi d'origine sénatoriale de nos collègues de l'opposition, va permettre de défendre les droits des hommes et des femmes victimes de violences exercées par leur époux, pacsé ou concubin, actuel ou passé, le fait que ces violences soient commises au sein d'un couple devenant une circonstance aggravante de l'infraction.

Grâce à un amendement de notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam, l'âge nubile est porté de quinze à dix-huit ans pour les femmes et des mesures de lutte contre les mariages forcés, les mutilations sexuelles, le tourisme sexuel et la pédopornographie, qui constituent autant d'atteintes graves aux droits humains des femmes ou des enfants par exemple, ont été adoptées.

Ces réponses pénales s'articuleront avec les dispositions civiles votées dans la loi relative au divorce qui organisent l'éviction du conjoint violent du domicile conjugal.

Cette politique publique, qui repose sur une démarche partenariale, témoigne de la volonté déterminée du Gouvernement d'agir en faveur du droit des victimes de violences conjugales.

Concernant l'action des forces de l'ordre, je tiens à mentionner ici le comportement exemplaire de nos gendarmes et policiers qui, confrontés sur le terrain à des situations extrêmement violentes, ont su, tant pendant les émeutes urbaines dans les cités sensibles que lors des manifestations anti-CPE, faire preuve d'un sang-froid exemplaire ainsi que les instructions fermes et précises du ministre de l'intérieur prônant la retenue des forces de l'ordre.

Je salue également la détermination constante du ministre de l'intérieur à sanctionner tout comportement répréhensible des agents du maintien de l'ordre. Je constate avec satisfaction que, à plusieurs reprises ces dernières années, lorsque de tels comportements ont été avérés, ils ont été très sévèrement sanctionnés.

Je me félicite aussi de la mise en place par le comité interministériel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, créé par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, d'un guide pratique en matière de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, qui a été diffusé aux policiers et aux gendarmes, ainsi que d'un fascicule à l'attention des victimes.

Concernant le racisme et l'antisémitisme, si beaucoup de nos compatriotes en sont encore aujourd'hui victimes, depuis 2002, notre action législative dans ce domaine a été des plus intenses. Ont ainsi été adoptées successivement la loi du 3 février 2003 visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe, la loi « Perben II » du 9 mars 2004 dont le chapitre IV concerne la lutte contre les discriminations et, enfin, la loi du 30 décembre 2004 portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité.

À cet arsenal répressif, il convient d'ajouter les nouveaux moyens de lutte contre les discriminations qui viennent d'être confiés à cette Haute autorité par la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances. Les agents de la Haute autorité pourront désormais constater par procès-verbal des délits de discrimination et des transactions pourront être proposées aux auteurs de ces délits.

Ainsi, l'année 2005 a été marquée par une très forte diminution des violences et des menaces : moins 47 % pour les actes antisémites et moins 22 % pour les autres actes racistes et xénophobes. Néanmoins, quelques évènements marquants du début de l'année 2006 nous incitent à ne pas baisser la garde.

Enfin, si la loi punit sévèrement les injures racistes proférées au sein d'une enceinte sportive, l'on ne peut que souscrire à la décision des ministres de la justice et de la jeunesse et des sports, de rencontrer très prochainement les dirigeants des grands clubs de football et de la Fédération française de football afin de travailler à la mise en place de mesures de prévention pour lutter contre le racisme dans les stades.

Si la France ne peut se prévaloir avec arrogance d'une quelconque supériorité pour donner aux autres pays des leçons en matière de droits de l'homme, la situation à l'intérieur de nos frontières n'étant pas toujours parfaite, j'en conviens, et des améliorations demeurant possibles dans plusieurs domaines, elle dispose néanmoins d'ores et déjà d'un arsenal législatif important qui garantit à nos concitoyens un respect assez satisfaisant de leurs droits humains, comparativement aux autres pays.

L'action entreprise sous le quinquennat du Président Jacques Chirac, qui a décidé de faire du 10 mai la journée commémorative de l'abolition de l'esclavage en France, étant ainsi le premier chef d'État français à reconnaître notre passé esclavagiste, et l'action entreprise par ses différents gouvernements, prouvent que la défense de ces droits universels est un combat qui nous rassemble tous, au-delà de nos clivages partisans, autour de ce qui fonde l'essence républicaine de notre nation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier Jacques Pelletier d'avoir suscité en notre Haute Assemblée un débat sur un sujet aussi important que le respect des droits de l'homme dans notre pays.

La France peut s'enorgueillir d'avoir vu naître la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, dont les valeurs, nées de l'universalisme des Lumières, ont inspiré les hommes et les femmes dans leur conquête de la démocratie. Nous devons continuer à porter ce message de par le monde, en oeuvrant activement au respect de la dignité de la personne humaine.

Pourtant, l'image que nous retenions de notre pays vient d'être soudainement assombrie. La publication, le 15 février dernier, du rapport du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe Alvaro Gil-Robles met en lumière des manquements incompatibles avec les droits de l'homme.

Malgré un droit et une jurisprudence qui se veulent toujours plus protecteurs des libertés publiques, la France est décrite par le commissaire comme « traversée de difficultés persistantes, voire récurrentes ». Cette situation a été stigmatisée par le nombre important de condamnations prononcées par la Cour européenne des droits de l'homme.

Le rapport met en exergue les problèmes constatés dans des domaines aussi différents que la situation des étrangers, la discrimination et la xénophobie, l'action des forces de l'ordre, le traitement des mineurs délinquants, les gens du voyage, le système carcéral ou l'administration de la justice. Je ne reviendrai pas sur l'inacceptable situation de nos prisons, déjà longuement évoquée par M. Pelletier. Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous apporterez des réponses précises et concrètes aux questions soulevées sur ce point.

Nous avons commémoré hier, dans le jardin du Luxembourg, l'abolition de l'esclavage. Néanmoins, la discrimination raciale reste d'actualité. L'année 2004 a été marquée par une hausse de plus de 132 % des actes de racisme et d'antisémitisme, soit 1 565 faits recensés.

Le législateur s'est pourtant engagé depuis de nombreuses années dans le renforcement de la répression de tels actes : loi Pleven en 1972, loi Gayssot en 1990, loi relative à la lutte contre les discriminations en 2001, loi Perben II et création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations, la HALDE, en 2004. Grâce à cette dernière, nous disposons désormais de statistiques fiables, véritable baromètre de la discrimination dans notre pays.

Cette Haute autorité a été saisie de 1 822 cas depuis sa création, soit près de dix réclamations par jour. Deux éléments émergent très nettement parmi les réclamations dont la HALDE est saisie : l'emploi est le champ d'activité dans lequel le plus grand nombre de réclamations se sont exprimées, soit 45 %, suivi par l'accès aux services publics, avec 18 % ; l'origine ethnique est le premier critère mis en avant par les réclamants, 40 %, loin derrière viennent la santé et le handicap, 14 %, puis le sexe, 6 %, et l'âge, 5 %. Cette liste n'est, bien sûr, pas exhaustive.

Mes chers collègues, les discriminations ébranlent les bases mêmes de notre société fondée sur la cohésion, l'égalité réelle des chances tout au long de la vie, le respect égal des droits et de la dignité de toutes les personnes, en toutes circonstances, le refus de toutes les exclusions.

Monsieur le garde des sceaux, cette situation plus que préoccupante nous interpelle sur la capacité de la France à faire coexister dans le modèle républicain des populations de toutes origines.

Encore plus préoccupante est l'augmentation très significative des violences contre les personnes et les biens, comme des profanations des lieux de culte.

Toutefois, il ne s'agit là que de la partie la plus visible des problèmes de racisme. Le rapport Gil-Robles dénonce, à juste titre, les discriminations plus insidieuses qui entravent l'accès à l'emploi, au logement, aux services ou aux loisirs des personnes dont le nom est à consonance étrangère. À diplôme égal, ces dernières sont deux fois plus exposées à un risque de chômage.

Le respect de la dignité humaine concerne, certes, la protection de l'intégrité physique. Mais elle renvoie surtout à une lutte quotidienne qui doit intégrer tous les aspects de la vie d'un citoyen. En filigrane se pose donc l'efficacité des politiques d'intégration menées depuis vingt ans, souvent de façon erratique et donc sans cohérence. L'État se doit de garantir l'égalité effective entre tous les individus afin que le modèle républicain auxquels nous sommes attachés ne soit pas vidé de sa substance.

Monsieur le ministre, si notre arsenal législatif est déjà très important en la matière, quelles mesures d'ordre social et éducatif le Gouvernement entend-il prendre pour faire cesser cette intolérable inégalité de traitement, qui n'est pas digne des traditions héritées du siècle des Lumières et de la tentative de leur mise en pratique en 1789 ?

Au travers de la discrimination se pose la question de la situation des étrangers en France. Notre assemblée aura prochainement l'occasion de débattre longuement de ce point à l'occasion de l'examen du projet de loi sur l'immigration et l'intégration. Mais force est de constater que les zones d'attente, spécialement à l'aéroport de Roissy, constituent des lieux où le droit ne s'applique pas toujours conformément à la lettre.

Le commissaire Gil-Robles met également en exergue les allégations de violences lors des expulsions et des reconduites à la frontière. Si les agents de la police aux frontières doivent recourir à des moyens proportionnés lorsqu'ils escortent un individu devant quitter le territoire national, de nombreux certificats médicaux font état d'ecchymoses et autres traces de coup.

Je sais, monsieur le ministre, que votre collègue ministre d'État, ministre de l'intérieur, est particulièrement attentif à ce que les forces de l'ordre soient irréprochables sur ce point. Mais les difficultés de la reconduction génèrent des tensions et donc des violences explicables, quoique non excusables dans notre pays. Faudrait-il que des certificats médicaux soient transmis au procureur de la République ?

Par-delà la situation des étrangers, je ne peux passer sous silence l'existence alléguée de véritables traites des êtres humains sur notre sol : 75 % des victimes de telles pratiques sont d'origine étrangère, principalement en provenance d'Europe de l'Est et des Balkans, d'Afrique de l'Ouest et de Chine.

Nous savons malheureusement comment se manifeste cette traite : travail non rémunéré, exploitation domestique, parfois avec violence, et prostitution. Cette violation continue de la dignité humaine se retrouve dans tous les milieux, des moins nantis aux plus aisés.

En réaction à cette pratique honteuse, le législateur a créé en 2003 l'incrimination pénale de traite des êtres humains, doublée d'une protection accrue offerte aux victimes, le plus souvent réduites au silence et à la honte. C'est une mesure tout à fait positive.

C'est sur ce terreau malsain que se greffent des réseaux de criminalité organisée qui s'enrichissent à bon compte en bafouant les droits de ces hommes et de ces femmes, souvent venus de loin pour trouver chez nous une vie meilleure.

Depuis 2002, les pouvoirs publics ont considérablement consolidé les dispositifs de répression à l'égard de ce type de criminalité ; je pense surtout à la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

Pourtant, l'application de ce dispositif semble encore peu fréquente. À cela s'ajoute l'inexistence des dispositifs d'accompagnement et de réinsertion des victimes. Il est consternant que la Cour européenne des droits de l'homme ait estimé en 2005 que l'esclavage et la servitude ne sont pas « en tant que tels réprimés par le droit pénal français », cela malgré l'intervention du législateur que je viens de mentionner.

La Cour a exhorté la France à adapter rapidement la législation issue de la loi du 18 mars 2003. Le commissaire Gil-Robles abonde en ce sens. Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le garde des sceaux, si votre ministère a d'ores et déjà amorcé cette démarche législative ?

Le constat du commissaire aux droits de l'homme est sans ambiguïté : la France doit mieux faire. L'intensification de la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie doit être une priorité des pouvoirs publics. Cette politique passe par une application systématique des dispositifs de lutte contre les discriminations, mais aussi par une prise de conscience de l'ensemble de nos concitoyens.

Il est temps de mettre fin à des pratiques qui entachent l'image de la France à l'étranger et heurtent beaucoup de Français.

Je souhaite, monsieur le ministre, que vous nous apportiez des réponses concrètes qui permettent de rendre effectif pour tous le respect des droits de l'homme. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le garde des sceaux, vous êtes irrité par le rapport de M. Gil-Robles, mais il n'a, hélas, surpris ni les professionnels, ni les associations, ni les citoyens qui dénoncent les atteintes aux droits en France et militent pour des avancées.

De rapport en rapport, notre pays est montré du doigt : par le Comité contre la torture de l'ONU, par Amnesty International pour de « graves violations des droits humains » commis par des policiers souvent contre des jeunes, ou encore par la Ligue des droits de l'homme ou la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

J'ai bien noté la promesse du Président Chirac de faire ratifier, après de nombreuses années, le protocole n° 13 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Mais je déplore le peu d'empressement qui est mis à inscrire cette question à l'ordre du jour du Parlement ; il faut que les paroles et les actes concordent.

En ce qui nous concerne, nous ne saurions envisager les droits fondamentaux dont nous parlons aujourd'hui, ce dont je remercie notre collègue Jacques Pelletier, sans souligner qu'un grand nombre de nos concitoyens sont privés des droits élémentaires : avoir un toit, un travail, une protection sociale. Cela contribue évidemment à déliter le lien social, à accroître la crise sociale et le fossé entre ceux qui dirigent et la population, fossé dont nous mesurons, hélas, la profondeur.

Dire cela, c'est mettre en cause les politiques menées depuis des années et, pour mon groupe, pour nous qui avons une conception globale des droits, il est évident que le respect de ces droits élémentaires est essentiel et appelle des changements politiques pour lesquels nous agissons.

Quant aux violations des libertés, objet plus particulier de notre débat, notre collègue a pointé les rapports accusateurs à l'égard de notre pays et souligné le fossé entre le droit et sa pratique effective.

Je voudrais souligner que, s'il y a des pratiques éminemment contestables qui ne sont pas sanctionnées, nous avons affaire, au-delà, à une régression très préoccupante du droit lui-même dans notre pays.

Ces quatre dernières années, Gouvernement et majorité se sont livrés à une escalade sécuritaire. En effet, pas moins de six lois ont été votées par la majorité qui, toutes, ont contribué à la stigmatisation de telle ou telle catégorie de personnes et à la surenchère pénale, spirale sans fin désagrégeant la solidarité entre les personnes, exacerbant la violence des rapports sociaux et n'ayant aucun effet sur la baisse de la criminalité ; le modèle américain est là pour le prouver.

Et ce n'est pas fini ! J'en veux pour preuve, d'une part, le projet de loi sur l'immigration, modifiant le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou projet CESEDA, qui tend tout simplement à nier les droits des étrangers, et, d'autre part, la nouvelle remise en cause de l'ordonnance de 1945, qui régit la justice des mineurs.

Le vote de l'état d'urgence a été, quant à lui, emblématique de l'idéologie dangereuse véhiculée par la droite et alimentée par les dérapages verbaux du ministre de l'intérieur avec le soutien du Gouvernement.

La crise sociale a été ethnicisée. Des boucs émissaires ont été désignés dont, en premier lieu les étrangers, avec le cortège de lieux communs que sont la polygamie, le rap ou les mariages mixtes ! Après les mendiants, les prostituées, hommes ou femmes, ou encore les gens du voyage, ce sont les habitants des quartiers populaires, les pauvres, les jeunes, ainsi, je le répète, que les étrangers, qui ont été stigmatisés.

Ces derniers sont, en effet, l'objet d'une traque grandissante. Ainsi les préfets sont-ils sommés de faire du chiffre en matière de reconduites à la frontière. Quant à la police, elle n'hésite pas à aller chercher les enfants d'immigrés à l'école pour les mener en centres de rétention, alors que l'expulsion de mineurs est interdite en droit français !

Contre ces pratiques honteuses, des associations, des enseignants, des parents d'élèves, des citoyens agissent au sein du Réseau éducation sans frontières, ou RESF, qu'ils ont créé tous ensemble.

Pour sa part, le groupe auquel j'appartiens a déposé une proposition de loi en faveur du respect du droit à l'éducation de ces jeunes, disposition qui empêcherait au couperet de l'année scolaire de fonctionner. Dès lors, monsieur le garde des sceaux, je souhaiterais savoir, comme la collègue qui m'a précédée à cette tribune, ce que vous comptez faire pour éviter que le 30 juin, date des vacances scolaires, les enfants ne soient reconduits à la frontière, car, que je sache, l'éducation est l'un des moyens les plus efficaces de cette intégration dont vous nous rebattez les oreilles.

De plus, dans une circulaire ministérielle du 21 février, il est prévu que les étrangers en situation irrégulière pourront être arrêtés même s'ils se trouvent dans un bloc opératoire. Voilà qui est pour le moins monstrueux !

S'agissant de la justice, sa lenteur, qui est surtout due à l'insuffisance de personnels, ne doit pas masquer la multiplication des procédures expéditives à l'encontre tant des jeunes des banlieues, en novembre dernier, que des manifestants anti-CPE ou encore des étrangers en zone d'attente, comme le confirme le rapport de l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers, l'ANAFE.

En revanche, monsieur le garde des sceaux, rien n'est fait pour favoriser le « vivre ensemble », qui repose avant tout sur l'intégration dont vous nous parlez sans cesse. Vous avez même refusé d'accorder le droit de vote aux étrangers lors des élections locales, alors que vous savez pertinemment combien ce droit est symbolique de l'intégration et du lien social ; dois-je rappeler que ce droit de vote est réclamé par la majorité de la population ?

S'agissant de la détention, je fais partie des quelques parlementaires, sénateurs ou députés, qui se rendent régulièrement dans les centres de détention. J'invite donc l'ensemble de mes collègues à faire de même.

La réalité, souvent insupportable, correspond tout à fait à celle qu'a décrite M. Gil-Robles. C'est ainsi que le centre de rétention de Paris, par exemple, est bien dans l'état immonde qu'il évoque. Or ce centre est toujours ouvert, alors qu'il aurait dû être fermé l'an dernier. On nous dit maintenant qu'il fermera ses portes au mois de juin prochain ; quoi qu'il en soit, nous serons très vigilants sur ce point.

Il est, par conséquent, inconcevable, monsieur le garde des sceaux, que vous ayez considéré le rapport de M. Gil-Robles comme « injuste » et ne reflétant pas « la réalité des efforts menés par les gouvernements successifs depuis 2002 ».

Concernant les prisons, notre collègue a raison d'affirmer que le fait de continuer à en construire, loin d'apporter une solution à la surpopulation carcérale, participe, au contraire, d'une véritable fuite en avant.

À Liancourt, une nouvelle prison a été construite pour remplacer l'ancienne. Or le résultat est le suivant : les deux fonctionnent !

Comment d'ailleurs pourrait-il en être autrement quand les lois sécuritaires que j'ai évoquées ont pour effet direct l'augmentation constante du nombre des détenus ?

Pour ce qui est des mineurs, vous avez, monsieur le garde des sceaux, confirmé la création de vingt-neuf centres éducatifs fermés et de six nouveaux établissements pénitentiaires d'ici à 2007 : autant de « réponses » correspondant à l'abaissement de l'âge de la responsabilité pénale et à la primauté donnée à la sanction sur l'éducation et la prévention, cette dernière étant toujours absente des projets de ce Gouvernement et de sa majorité.

Parallèlement, j'ai dénoncé la fermeture programmée du quartier intermédiaire pour sortants, ou QIS, du centre pénitentiaire de Fresnes, l'une des rares structures participant à la réinsertion des détenus les plus vulnérables et à la lutte contre la récidive.

À cet égard, le médecin chef-psychiatre de Fresnes, Mme Christiane de Beaurepaire, envisage, comme cela a déjà été dit, d'user de son droit d'alerte pour obtenir des effectifs infirmiers. Pour avoir personnellement visité ce centre l'an dernier, je comprends vraiment son inquiétude. Quelle réponse allez-vous y apporter, monsieur le garde des sceaux ?

Il vous faut entendre cette personnalité, comme il vous faut être attentif à l'appel des associations et des personnalités qui déclarent, au sujet des prisons, que « trop c'est trop » ; par ailleurs, il vous faudra tenir compte des propositions des états généraux de la condition pénitentiaire, idée lancée par l'Observatoire international des prisons, l'OIP.

Pour l'heure, vous semblez rester sourd alors que vous devez agir : les discours ne suffisent pas !

En 2001, des sénateurs, dont certains sont présents aujourd'hui, avaient qualifié les prisons françaises « d'humiliation pour la République ».

Combien faudra-t-il de condamnations de la France, voire de suicides dans les prisons, pour que vous acceptiez de réfléchir réellement à une transformation des conceptions carcérales ? En effet, depuis 2001, je n'ai guère eu de soutien de votre part en faveur de tous ceux - professionnels, associations, détenus - qui tirent la sonnette d'alarme et se mobilisent pour que le rapport parlementaire de 2001 ait une suite.

Vous étiez même favorables à l'époque, mes chers collègues, à la mise en place d'un contrôleur général des prisons, extérieur à l'administration pénitentiaire. Or, depuis, rien ne s'est passé !

En outre, selon le rapport de la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs, il ressort que vous étiez hostiles à l'incarcération de ces derniers. Pourtant, depuis cette date, le Gouvernement n'a cessé de la promouvoir !

La lamentable affaire d'Outreau a amené certains à pousser des cris d'orfraie sur la détention provisoire. Or tout ce qui a été voté depuis quatre ans va précisément dans le sens de la détention provisoire !

Voilà plus de trente ans, Valéry Giscard d'Estaing avait eu le mérite de dire que la prison était la privation de liberté et rien d'autre. Hélas, les conditions de détention dans nos prisons entraînent non seulement la privation de liberté, mais aussi la dégradation à coup sûr de l'état social, sanitaire et psychique des détenus !

Aujourd'hui, la prison fait d'eux des personnes irresponsables, sans droits, sans avenir. Il est donc urgent d'améliorer les conditions matérielles de détention, en luttant contre l'oisiveté grâce au travail et à la formation, et en permettant aux détenus de participer à l'organisation de la vie en détention. Il convient de leur octroyer des droits - je pense, notamment, à un revenu minimum - et de leur donner les moyens de se réinsérer, comme nous y invite, d'ailleurs, le rapport du Conseil économique et social de février dernier. Il s'agit là d'un rapport très intéressant et que les parlementaires qui, en 2001, se sont insurgés contre les conditions de détention ont dû lire avec intérêt !

De la même manière, il faut accorder des droits supplémentaires aux personnels pénitentiaires, passant par une formation de qualité et une redéfinition de leurs statuts qui ne les excluent plus des droits généralement accordés aux citoyens. Il faut leur donner les moyens de travailler dans la dignité et de prendre en charge les personnes incarcérées dans le respect des droits de chacun.

En outre, il est urgent de lever le secret sur l'administration des prisons, grâce à la création du poste de contrôleur général des prisons, extérieur à l'administration pénitentiaire, rôle que ne peut remplir le Médiateur de la République, malgré les qualités de ce dernier.

Enfin, il est nécessaire d'engager un débat serein sur la perpétuité et les peines de sûreté. Vous qui aimez les comparaisons européennes, monsieur le garde des sceaux, ayez donc le courage de constater que la France est le seul pays à prévoir des peines de sûreté aussi longues. Aux dix condamnés à perpétuité de Clairvaux qui, l'an dernier, ont demandé « le rétablissement de la peine de mort » pour eux-mêmes, vous avez répondu en ironisant sur leur démarche et sur les conditions de détention dans cette prison. S'il n'y a rien de très étonnant dans cette prise de position de la part d'un ancien député ayant voté contre l'abolition de la peine de mort, elle n'en est pas moins proprement scandaleuse lorsqu'elle émane d'un ministre de la justice !

Il est grand temps d'entamer un débat national - certains parlent d'un projet de loi pénitentiaire que la gauche n'a pas eu le courage de présenter ni, a fortiori, de faire voter, ce que, personnellement, je regrette - qui porterait sur l'utilité et le sens de la peine ainsi que sur les missions de l'administration pénitentiaire.

Il est grand temps d'appliquer les préconisations européennes en matière de détention concernant, en particulier, les moyens que notre pays entend consacrer à la justice, alors qu'il se situe aujourd'hui au vingt-troisième rang des pays européens ; puisque vous aimez les comparaisons, monsieur le garde des sceaux, essayez donc de prendre en compte les besoins réels de la justice dans notre pays !

Notre collègue Jacques Pelletier a été bien inspiré en souhaitant qu'un tel débat ait lieu aujourd'hui. Pour ma part, j'émets le voeu que le groupe d'études sur les droits de l'homme du Sénat, qu'il préside et auquel je participe, soit en état de veille permanente pour dénoncer toute atteinte aux droits des personnes.

En effet, il nous faut tenir compte tout à la fois de certaines évolutions préoccupantes telles que le développement de la surveillance et du fichage, de différents textes actuellement en discussion ou en préparation concernant les migrants ou la justice des mineurs. Je n'aurai garde d'oublier le gigantesque « bordel » qui se produira à l'occasion de la prochaine Coupe du monde de football, si nous ne nous mobilisons pas. À cet égard, il me semble que les parlementaires devraient montrer l'exemple !

En conclusion, je dirai simplement que l'on ne saurait être sélectif en matière de droits de la personne. C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous invite à vous préoccuper constamment de la situation de notre pays dans tous les domaines que j'ai évoqués. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Vallet.

M. André Vallet. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en matière de droits de l'homme comme, d'ailleurs, dans les domaines culturel ou économique, la France ne doit pas vivre sur ses acquis ni se cacher derrière son image.

Le 15 février dernier, le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe Álvaro Gil-Robles rendait public son rapport « sur le respect effectif des droits de l'homme en France », rapport qui a souvent été évoqué au cours de ce débat.

Rédigé à la suite d'une série de visites dans des centres d'accueil et de rétention pour étrangers, dans des commissariats de police, dans des maisons d'arrêt et des prisons, dans un hôpital psychiatrique ainsi que dans des centres pour victimes de violences domestiques, ce rapport, très critique, dresse un bilan qui n'honore pas notre République, monsieur le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est vrai !

M. André Vallet. Il met notamment l'accent sur d'importants dysfonctionnements et insuffisances de notre système policier, judiciaire ou carcéral. Il met également en relief le mauvais traitement réservé aux étrangers arrivant sur le territoire national ainsi que la persistance de nombreuses formes de discriminations raciales.

Pour remédier à cette situation, ce rapport formule plus de soixante-dix recommandations dans des domaines variés.

Ce faisant, le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe n'a fait que constater une fois de plus ce que, hélas, un certain nombre de professionnels et d'acteurs de la société civile n'ont de cesse de dénoncer. C'est ainsi que les syndicats pénitentiaires ont déclaré ne « pas être surpris » par les conclusions de ce rapport qui est pourtant, à certains égards, accablant.

Le rapport Gil-Robles fait aussi écho au rapport parlementaire de nos collègues Hyest et Cabanel de 2000 portant sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires, lesquelles constituaient, selon eux, « une humiliation pour la République » !

Or, à la lumière des conclusions de ce rapport et du constat fait par le commissaire européen aux droits de l'homme, il semble, hélas, que les choses aient très peu évolué en la matière dans notre pays depuis six ans. Je pense même qu'elles se sont aggravées, ce qui est pour le moins alarmant.

Parallèlement, la délégation de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen, présidée par Jean-Marie Cavada, député de l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe, l'ADLE, a rejoint les observations faites par le commissaire aux droits de l'homme lors de sa visite de deux centres de rétention administrative en France il y a deux mois.

Les conclusions de M. Gil-Robles ne sont donc pas isolées. Dans ces conditions, tout porte à croire que l'effectivité du respect des droits de l'homme en France est plus que perfectible.

Or, à la suite de la publication du rapport Gil-Robles, vous avez, monsieur le garde des sceaux, violemment réagi, suscitant de ce fait une polémique. Si, selon vos propres termes, ce rapport contient des « éléments incontestables », relatifs, notamment, à « la modernisation et l'élargissement de notre parc pénitentiaire », vous en avez stigmatisé le caractère erroné ou obsolète sur de nombreux autres points d'importance.

Ce type de débat, qui est très utile et vivifiant pour notre démocratie, doit être prolongé, me semble-t-il.

Monsieur le garde des sceaux, il vous a donné l'occasion de communiquer sur les principaux axes de votre politique de réforme du fonctionnement de la justice et de l'administration pénitentiaire. Vous avez annoncé, parmi les mesures les plus notables, le lancement d'un plan de sûreté des juridictions, la création de 850 postes de greffiers ou encore la refonte partielle de la carte judiciaire.

En matière pénitentiaire, le Gouvernement s'est engagé à tout faire pour améliorer rapidement les conditions de vie des détenus, en luttant contre l'encombrement et la vétusté des prisons grâce à la construction de nouveaux établissements.

Monsieur le garde des sceaux, où en êtes-vous dans la mise en oeuvre de ces mesures ?

De manière plus fondamentale, nous pouvons nous interroger sur la cohérence de la politique judiciaire et pénitentiaire.

Les mesures que je viens d'évoquer, pour fondamentales et urgentes qu'elles puissent sembler à court terme, ne paraissent toutefois pas suffisantes. Elles ne signalent pas la mise en place d'une politique judiciaire et pénitentiaire globale.

Comme certains orateurs l'ont déjà souligné, la prison n'est pas un but en soi. Elle doit garantir que les condamnés, une fois leur peine purgée, pourront se réinsérer dans la société et ne récidiveront pas.

Le Gouvernement met-il l'accent sur la réinsertion ? Quelques mesures, telle la création d'unités expérimentales de visite familiale et de postes de travailleurs sociaux chargés d'accompagner les détenus, semblent l'attester. Toutefois, elles ne paraissent pas suffisantes.

L'amélioration des conditions de vie en prison va de pair avec le maintien de liens sociaux avec le monde extérieur, eux-mêmes garants du succès de la réinsertion des détenus.

Par ailleurs, le rapport Gil-Robles met l'accent sur les nombreuses entorses faites aux droits de l'homme, dont la plupart ne résultent pas des insuffisances de notre législation - nous ne pouvons tout demander à la loi ! - mais de sa mauvaise application.

C'est le cas en matière de « bavures policières », de racisme, d'antisémitisme, de xénophobie et de discriminations ou de conditions de vie des gens du voyage. Par définition, toutes ces questions ne nécessitent pas une réforme du droit, mais une prise de conscience collective et une volonté politique d'améliorer la situation. Or le Gouvernement ne s'est pas exprimé sur ces thèmes.

Monsieur le garde des sceaux, ces problèmes sortent sans doute de votre domaine de compétence, mais quelles leçons entendez-vous tirer du rapport de M. Gil-Robles pour tenter de les résoudre ?

Notre pays est le berceau et la patrie des droits de l'homme, mais notre histoire n'est pas une garantie. Au contraire, elle ne nous confère que des devoirs ! La France se doit d'être irréprochable en la matière.

La protection des droits et de la dignité de la personne humaine est un combat de chaque jour. C'est pourquoi je remercie notre collègue Jacques Pelletier d'avoir fait inscrire cette question à l'ordre du jour du Sénat. J'espère que ce débat se poursuivra, car la protection des droits de l'homme passe aussi par l'information de la représentation nationale. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, de l'UMP et sur certaines travées du RDSE. - M. André Rouvière applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Rouvière.

M. André Rouvière. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne tenterai pas de définir ce que sont les droits de l'homme, car cela prendrait trop de temps, sinon pour affirmer qu'il s'agit du respect de l'homme et de ses droits tels qu'ils sont définis dans de très nombreux textes nationaux et internationaux.

En revanche, il est facile, hélas, de constater les infractions au respect de ces droits. En France, les exemples sont beaucoup trop nombreux. Je rappellerai, à la suite de nos collègues, les prisons surpeuplées, les contrôles et les arrestations parfois trop « musclées », la lutte contre les immigrés clandestins, les agressions racistes et autres, notamment en Corse.

Toutes ces affaires, que révèlent les médias, attestent que, même en France, le problème du respect des droits de l'homme se pose réellement et quotidiennement. Cette situation est inquiétante, mais l'évolution de notre société l'est plus encore, me semble-t-il, car elle rend plus difficile le respect des droits de l'homme.

Si, en disposant d'un temps de parole plus long, je pourrais évoquer bien d'autres domaines, je n'aborderai ici que trois secteurs, la justice, le travail et l'éducation, qui me suffiront pour lancer un cri d'alarme : en France, les droits de l'homme sont en danger !

La justice, tout d'abord, pour des raisons diverses, sur lesquelles je ne m'étendrai pas, a tendance à substituer à la présomption d'innocence la présomption de culpabilité.

Monsieur le garde des sceaux, on emprisonne d'abord, on juge après, parfois des mois ou des années plus tard ! La détention provisoire, qui devrait être l'exception, devient la règle, hélas. À la fin de l'année 2005, les prisons françaises comptaient plus de 21 000 prévenus, soit environ 35 % du total des personnes écrouées. Celles-ci sont enfermées dans des cellules exiguës, où prévenus et condamnés sont trop souvent entassés et mélangés.

L'article IX de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 n'a toutefois pas été abrogé ! Il dispose que « tout homme [est] présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ».

La dérive qui consiste à sanctionner a priori s'insinue dans de nombreux domaines de notre vie quotidienne, malheureusement. Un exemple fréquent, dérisoire, bien sûr, au regard de l'emprisonnement, mais qui illustre, à mon sens, l'évolution des mentalités, peut être trouvé dans les procès-verbaux que nous inflige l'éclair d'un radar sur le bord d'une route.

Mes chers collègues, lorsque vous êtes persuadé qu'il y a erreur, que vous adressez une requête en exonération et utilisez le point 3 du procès-verbal, il vous est indiqué qu'en envoyant le formulaire de requête vous devez acquitter 135 euros de consignation. Certes, il est précisé que cette consignation n'est pas assimilable au paiement d'une amende, mais je note qu'avant d'être reconnus coupables nous subissons une sanction, même si celle-ci est dénommée consignation. La présomption d'innocence se trouve ainsi écartée.

Cette dérive se généralise, ce qui est grave au regard des droits de l'homme. Le rejet de la présomption d'innocence favorise la délation, l'accusation non vérifiée.

Hier, c'était Outreau, aujourd'hui, c'est la lamentable affaire Clearstream. Si nous n'arrêtons pas cette folie, demain, chacun d'entre nous risquera de devoir saisir la justice afin de prouver son innocence. Nous serons coupables a priori, potentiellement d'abord, réellement ensuite.

Il faut donc restaurer la présomption d'innocence et lui donner toute sa place. Monsieur le garde des sceaux, l'exemple - je parle du bon exemple - doit venir d'en haut. Or, je ne vois rien venir.

S'agissant à présent du travail, la recherche à tout prix d'une rentabilité toujours plus grande n'est pas compatible avec le respect des droits de l'homme. Une course folle à toujours plus de profit entraîne la disparition d'entreprises, des suppressions d'emploi et des réductions de salaires. Le chômage s'installe, même si les statistiques officielles s'efforcent de prouver le contraire. La précarité fragilise le travailleur.

Dans ce contexte, les droits du travail, qui font partie des droits de l'homme, sont trop souvent considérés par certains comme un obstacle au profit et à la rentabilité.

Une nouvelle donne économique s'abat sur la France. Elle ne frappe pas seulement notre pays, mais elle ne l'épargne pas. Les salaires doivent être sacrifiés aux profits, parfois aux superprofits.

Notre pays s'enrichit, certains groupes industriels accumulent des bénéfices faramineux, mais leurs employés s'appauvrissent, que la précarité menace et la colère habite. Parfois, les banlieues explosent.

Enfin, j'évoquerai l'éducation du citoyen, pour souligner que l'école n'a plus les moyens de l'assumer. L'école communique des savoirs, elle les transmet, souvent bien, voire très bien. Néanmoins - tout comme la famille désormais - elle n'éduque plus le citoyen. Le respect de l'autre et l'acceptation de la différence font partie d'une indispensable éducation, mais qui l'assume aujourd'hui ? Presque personne, car nous n'apprenons plus à respecter, nous cherchons à obliger à respecter.

La répression a remplacé la prévention, mais elle a ses limites. Elle est peut-être indispensable dans certains cas, mais en général elle est insuffisante. Le respect de l'autre ne s'impose pas, il s'apprend, par l'éducation et par l'exemple.

Le service militaire aurait pu contribuer à cette éducation citoyenne. En le supprimant, le président Chirac a commis une lourde faute. Un jour, j'en suis convaincu, il faudra rétablir le service national obligatoire pour toutes et pour tous.

En résumé, il n'y a plus d'éducation citoyenne, et l'exemple qui nous est donné en haut lieu n'est pas bon. Une rupture est effectivement nécessaire, afin de retrouver le sens des valeurs qui est indispensable au respect des droits de chacune et de chacun.

Je le répète, le bon exemple doit venir d'en haut, mais je ne vois rien venir. En France, les droits de l'homme sont en danger. Monsieur le garde des sceaux, le Gouvernement en est-il conscient ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Denis Badré.

M. Denis Badré. Monsieur le garde des sceaux, comme je suis le second orateur de l'UDF, ainsi que le dernier intervenant du débat avant vous-même, je ne peux que constater que tout a été dit, ou presque, sur l'état de nos centres de rétention et de nos prisons et sur ce que nous pouvons penser du rapport du commissaire au Conseil de l'Europe Gil-Robles. Je tenterai cependant, si c'est possible, d'aborder des questions qui n'ont pas encore été soulevées.

À mon tour, je remercie et félicite Jacques Pelletier d'avoir pris l'initiative de ce débat. Celui-ci vient à son heure, pour toutes les raisons qui ont été évoquées par les orateurs précédents, auxquelles j'ajouterai une autre considération.

Francis Grignon évoquait tout à l'heure le Conseil de l'Europe, en rappelant le rôle joué dans la genèse de cette institution par la France et par René Cassin, voilà près de soixante ans.

Je situerai mon propos dans le contexte de la panne - le mot est faible - que subit la construction européenne en ce moment. Aujourd'hui, il est urgent que l'Union européenne retrouve le sens de l'intérêt commun. Elle ne sortira de la crise qu'elle traverse que si elle s'efforce d'avancer dans cette direction.

Pour cela, elle doit se souvenir qu'elle a été créée pour construire la paix et, plus largement, pour défendre tous les droits de l'homme. Telle est la finalité profonde de la construction européenne.

Bien sûr, la « méthode Schuman », à laquelle je rends hommage tous les jours, nous a incités à construire la paix en apprenant aux hommes à travailler ensemble. Elle nous a encouragés à bâtir une grande oeuvre humaine et à la faire entrer dans notre vie quotidienne.

Malheureusement, le balancier est allé un peu loin du côté de la gestion du quotidien. Aujourd'hui, nous avons quelque peu perdu de vue la finalité profonde de la construction européenne, à savoir, je le répète, la défense de la paix et des droits de l'homme. Il revient à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe d'assumer un rôle central en nous rappelant cette finalité.

À cet égard, le rapport de l'ancien commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, M. Álvaro Gil-Robles, a eu le mérite de réveiller nos esprits et de nous ramener à l'essentiel en remettant en avant le rôle incombant à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui est de nous rappeler à temps et à contretemps qu'il n'y a pas d'entreprise et de prospérité sans liberté ni de développement sans respect des droits de l'homme.

Puisque la paix est la finalité de la construction européenne, je rappellerai ce qu'avait déclaré Paul VI au cours de son pontificat : « Le développement est le nouveau nom de la paix ».

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Populorum progressio !

M. Denis Badré. Absolument, monsieur le ministre ! Vous le voyez, je ne cite pas que Jean-Paul II ! (Sourires.)

Par développement, nous entendons celui de tous les hommes et de tous les peuples de notre planète. Il n'y aura pas de paix si nous ne prenons pas conscience de cette nécessité.

Dans un tel contexte, nous nous interrogeons régulièrement à Strasbourg pour savoir si certains pays ont toujours leur place au sein du Conseil de l'Europe et s'ils en respectent toujours la charte. Ainsi, certains, au cours des débats, demandent l'exclusion de tel ou tel pays pour non-respect des droits de l'homme. Récemment, c'est l'Azerbaïdjan qui a ainsi été stigmatisé pour des conditions de vote jugées incorrectes lors des dernières élections.

Pour ma part, je suis de ceux qui pensent qu'il ne faut pas exclure ces pays. En effet, il est souhaitable d'avoir une assemblée réunissant tous les peuples d'Europe, au sein de laquelle nous puissions pratiquer la « correction fraternelle », dans la réciprocité. Autrement dit, si nous voulons être crédibles quand nous jugeons les autres, nous devons accepter les regards extérieurs sur nous-mêmes.

En ce sens, il nous faut tenir compte des remarques de M. Gil-Robles, respecter ce qu'il a écrit. Personnalité à l'autorité incontestée, il ne peut que nous alerter dans sa manière de percevoir la situation de notre pays. Sur certains points, il a effectivement pointé du doigt de réels problèmes. Sur d'autres, il a quelque peu exagéré, n'évitant pas les excès ni les inexactitudes.

En tout cas, il faut lire son rapport sereinement et objectivement. Si nous voulons être crédibles lorsque nous participons à la condamnation des crimes des régimes communistes autoritaires, nous devons accepter que d'autres portent un regard sur nos propres pratiques. Tout est lié : nous devons admettre les critiques sereinement, si nous voulons garder une influence.

D'ailleurs, monsieur le ministre, notre participation au Conseil de l'Europe est à l'origine de bien des réformes dans notre pays, depuis l'acceptation du recours individuel jusqu'à l'institution de l'appel pour les verdicts de cour d'assises et l'organisation d'un nouveau procès lorsqu'une procédure a été jugée non conforme par la Cour européenne des droits de l'homme.

À ce titre, je me plais à relever dans le rapport de M. Gil-Robles la reconnaissance de nombre d'améliorations récentes, au profit, par exemple, des détenus, y compris des détenus étrangers en situation irrégulière.

Avant de conclure, monsieur le ministre, je voudrais moi aussi, après Jacques Pelletier, attirer votre attention sur la convention pénitentiaire européenne. Cette question, sur laquelle notre collègue député Michel Hunault s'est fortement impliqué, a fait l'objet d'un long débat lors d'une récente session à Strasbourg. Nous avons d'ailleurs insisté auprès de notre ambassadeur auprès du Conseil de l'Europe pour qu'il transmette à l'ensemble du Gouvernement les propos qui ont été tenus à cette occasion.

Monsieur le ministre, désormais, les temps sont mûrs pour que la France ratifie cette convention. Il s'agirait d'une décision symbolique et d'un signal fort : dans le contexte actuel, nous montrerions notre attachement à nous inscrire dans le monde réel et à contribuer, comme nous l'avons toujours fait, à la promotion des droits de l'homme, non seulement sur notre vieux continent, mais aussi dans le reste du monde.

Sur ce point, le débat d'aujourd'hui s'est révélé très précieux. Si nous arrivons à progresser dans un bon état d'esprit sur des sujets concrets comme la convention pénitentiaire européenne, alors la France honorera vraiment sa réputation de patrie des droits de l'homme : elle assumera mieux son rôle, sa responsabilité de pays fondateur de la communauté européenne. En ce sens, nous aurons contribué à relancer la construction européenne sur de bonnes bases, ces bases qui doivent permettre à l'Europe de renouer avec son histoire et avec son destin. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord rendre hommage à votre assemblée pour l'intérêt qu'elle porte aux questions pénitentiaires. En effet, je le rappelle, le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, publié en 2000, avait marqué le début d'une prise de conscience sur la situation trop souvent inacceptable dans nos établissements pénitentiaires. En outre, voilà quelques mois, j'avais répondu à l'invitation de la commission des finances de votre assemblée pour débattre de la détention et, d'une manière générale, du problème de nos prisons.

Aujourd'hui, je tiens à saluer le groupe d'études des droits de l'homme du Sénat et notamment son président, M. Jacques Pelletier, qui est à l'origine du débat qui nous réunit ce matin.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la situation est bien connue : le rapport de l'ancien commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe M. Álvaro Gil-Robles, qui a été souvent cité, fait donc suite aux rapports des commissions d'enquête du Sénat et de l'Assemblée nationale, au livre du docteur Vasseur, mais aussi à d'autres avertissements que la société française n'avait pas manqué de lancer. Il a été publié après l'alternance politique que notre pays a connue en 2002, plus précisément après le vote de la loi d'orientation et de programmation pour la justice.

Or les commentaires sur ce rapport ont laissé croire que nous n'avions rien fait depuis 2000, depuis le premier constat établi par la Haute Assemblée. Devant de telles inexactitudes, j'ai réagi fortement, m'exprimant au nom de la France, et pas seulement au nom d'un camp partisan, pour affirmer que nous avions pris toute la mesure du problème. Cette prise de conscience a d'ailleurs débouché sur la loi d'orientation et de programmation pour la justice et sur la création de 13 200 places de prisons, qui sont actuellement en construction. Ainsi, dès 2007, nous disposerons de sept établissements pour mineurs, d'une capacité de soixante places chacun, ce qui constituera une bonne base de départ pour tenter de résoudre le problème de la délinquance des jeunes.

En définitive, le constat repris par tous exigeait une réponse vigoureuse du Gouvernement. C'est tout à l'honneur de la majorité actuelle d'avoir agi comme elle l'a fait.

Je tiens tout de suite à rectifier une erreur matérielle. Certains d'entre vous ont considéré qu'il n'était peut-être pas opportun d'être chicanier et de répondre point par point à toutes les assertions de M. Gil-Robles. Je ne vais certes pas faire un procès au commissaire du Conseil de l'Europe que j'ai eu l'occasion de rencontrer et à qui j'ai exprimé personnellement tout mon respect. D'ailleurs, dans cette affaire, il n'est pas le seul responsable : son travail n'aurait pas eu un tel écho s'il n'avait pas été suivi d'une quantité de commentaires plus ou moins objectifs.

Cela étant, je tiens à souligner, disais-je, une erreur qu'il a commise, car elle est tout de même fondamentale. En effet, M. Gil-Robles affirme que le budget de la justice représente, en France, 1 % du budget de l'État. Vous-même, monsieur Pelletier, vous vous êtes également trompé, quoique moins gravement, en déclarant que celui-ci s'établissait à 1,73 %. En réalité, le pourcentage exact est 2,16 %. (Mme Gisèle Printz s'exclame.) Madame la sénatrice, entre 1 % et 2,16 %, il y a plus que du simple au double ! Dans ces conditions, nous expliquer que la situation française n'aurait pas changé depuis l'an 2000 est véritablement malhonnête !

Serait-ce une simple faute de plume ? Si certains commentateurs ne s'étaient pas fondés sur ce taux pour démontrer que la situation française était calamiteuse, j'aurais volontiers oublié cette erreur, qui aurait effectivement pu alors être considérée comme une erreur matérielle. Tel n'est malheureusement pas le cas : sur cette fausse information, les commentateurs se sont appuyés pour en déduire des conséquences fallacieuses.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il ne s'agit pas pour moi d'affirmer que tout est bien dans le meilleur des mondes. Vous le savez, je ne le pense pas, je l'ai déjà dit ici. Pour autant, je n'accepte pas que ceux qui n'ont rien fait auparavant nous intentent un faux procès, en s'efforçant de faire oublier le formidable effort politique qui est réalisé depuis trois ans ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Ensemble, il nous faut poursuivre notre travail : l'amélioration de la situation prendra encore de nombreuses années, et Dieu sait que nous n'aurons pas fini à la fin de la législature ! J'appelle d'ailleurs de mes voeux une deuxième loi d'orientation et de programmation pour la justice. Je ne sais pas à qui ces voeux s'adressent : n'étant pas prophète, je ne connais pas la majorité de demain ! Cela étant, il est indispensable de continuer notre effort, non seulement en direction de l'administration pénitentiaire, mais aussi vers l'ensemble du ministère de la justice, qui est en train, depuis quatre ans, de retrouver un budget digne du grand service public qu'il gère. Partant de très loin, nous nous situons encore très au-dessous de ce qui est nécessaire.

J'en viens maintenant aux questions qui m'ont été posées. J'aborderai d'abord ma politique pénitentiaire, qui repose sur deux principes simples.

D'abord, il est inutile, et même stérile, d'opposer les deux missions qui incombent aux personnels pénitentiaires, à savoir la sécurité et la réinsertion. Ces deux objectifs sont, en réalité, intimement liés : la sécurité de la société est assurée lorsque la réinsertion d'un condamné est réussie et que disparaît la récidive.

Inversement, je n'envisage pas de véritable politique d'accompagnement des détenus, de développement des activités culturelles, sportives, de travail et d'enseignement au sein d'un établissement si la sécurité des personnes en détention n'est pas assurée.

Je veux le rappeler avec fermeté : la prison est le miroir de notre société, avec ses déconvenues, ses difficultés et, évidemment, ses échecs. Les personnels pénitentiaires exercent un métier d'une extraordinaire difficulté et ils ont droit à un hommage appuyé de la nation et de ses représentants. Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne doute pas que votre assemblée partage cette conviction. (MM. Jacques Pelletier, Michel Houel et Bernard Fournier applaudissent.) Je vous remercie, messieurs les sénateurs, d'appuyer mes propos !

Telles sont les raisons pour lesquelles je n'ai jamais cru à un quelconque « grand soir pénitentiaire ». Les pétitions de principe s'appuient souvent sur des réponses simplistes et, me semble-t-il, inefficaces.

Ainsi en est-il du projet de numerus clausus, si vague, mais si souvent avancé. Comme certains de ses promoteurs me l'ont expliqué, il ne faut pas tenir compte de l'étymologie ni de la signification première de cette expression. Lorsque je leur ai fait remarquer que le recours au numerus clausus serait en l'occurrence inconstitutionnel, ils m'ont répondu qu'il ne fallait pas l'entendre au sens habituel. Dans ce cas, qu'ils précisent clairement de quoi il retourne !

S'il s'agit de chercher des solutions de remplacement à l'incarcération, je suis au rendez-vous. Mais s'il s'agit de fixer un nombre maximum de détenus par prison, cela pose un problème. Imaginez, en effet, deux personnes condamnées pour des faits identiques : l'une, plus chanceuse, ne serait pas incarcérée au motif que la prison qui devait l'accueillir serait pleine, tandis que l'autre devrait normalement purger sa peine dans une prison voisine ! Je ne peux que m'élever contre une telle rupture d'égalité entre les citoyens, qui est évidemment inconstitutionnelle. Par conséquent, si ceux qui ont lancé cette thématique ont autre chose en tête, qu'ils veuillent bien m'en faire part !

D'une manière générale, la décision de libérer un délinquant est une solution envisageable uniquement dans les cas où cela correspond vraiment à une volonté politique, à l'image de la libération conditionnelle. Mais, en aucun cas, une telle décision ne doit être prise parce qu'un chiffre symbolique serait atteint.

Je souhaite humaniser davantage nos prisons. C'est pourquoi j'appuie et j'accompagne le programme de constructions d'établissements pénitentiaires dont j'ai parlé tout à l'heure.

Certains d'entre vous m'ont interrogé sur le devenir de la charte. Mesdames, messieurs les sénateurs, s'il ne s'agit simplement que de coucher quelques promesses sur le papier, rédigeons-la tout de suite ! Mais cela suffira-t-il à retrouver dans nos prisons le minimum d'humanisme que nous exigeons ? Bien sûr que non !

Ceux qui me réclament cette charte sont ceux qui n'ont pas mis un sou dans les prisons ! Je vous le promets, cette charte verra le jour. Mais, par décence, attachons-nous d'abord à humaniser les prisons ; nous pourrons ensuite réfléchir sur leur finalité. Si nous n'agissons pas dans cet ordre, cette charte n'est qu'une immense hypocrisie !

Puisque M. Badré a évoqué Paul VI et son encyclique Populorum progressio, je citerai saint Thomas d'Aquin (Sourires), selon lequel on ne peut pratiquer la vertu qu'avec un minimum de bien-être. Eh bien, mesdames, messieurs les sénateurs, on ne peut pratiquer l'humanisme carcéral qu'avec un minimum de bien-être matériel, et la première chose à faire en la matière, c'est de réhabiliter nos prisons. (Mme Adeline Gousseau acquiesce.)

Comme vous l'avez rappelé, monsieur Grignon, la seule manière de lutter concrètement contre la vétusté et le surencombrement de nos prisons est d'en construire de nouvelles.

Vous avez mentionné l'action d'Albin Chalandon et de Pierre Méhaignerie, et rappelé la politique que nous conduisons actuellement en la matière. Vous savez que l'agence de maîtrise d'ouvrage de travaux du ministère de la justice a été créée à cet effet, en 2002. Cet effort devrait porter ses fruits dans les années qui viennent.

Cette politique de construction conduira à de réelles améliorations pour les détenus. Les cellules seront plus confortables, les douches individuelles, les équipements socio-éducatifs plus adaptés, les espaces de loisirs plus accueillants et les parloirs familiaux plus nombreux.

Les conditions de travail des personnels s'en trouveront améliorées.

Je rappelle, à cet égard, que la France n'a pas fait le choix du « tout carcéral », comme je l'entends dire parfois avec stupéfaction.

Le taux d'emprisonnement y est d'environ 93 pour 100 000 habitants. Ce taux est inférieur à celui de la plupart des pays européens voisins, surtout au taux enregistré par le Royaume-Uni, et je ne parle pas des États-Unis ou de la Moldavie. Dans ce dernier pays, le taux est de 303 pour 100 000 habitants, ce qui rend toute comparaison avec la France, non pas blessante mais insupportable.

Sachons donc raison garder et essayons de comparer, à partir des chiffres qui sont en notre possession, la situation française avec celle des autres pays. Soyons francs : cette situation, qui certes n'est pas en tous points brillante, est - et ce n'est pas une consolation - assez répandue dans l'Union européenne et je crains qu'en la matière peu de pays voisins puissent nous donner des leçons. Pour ce qui nous concerne, nous faisons de gros progrès et j'espère que, bientôt, la France méritera de nouveau son titre de pays des droits de l'homme. Si nous avons encore peu de motifs d'être fiers, disons simplement notre volonté de le devenir.

Il n'y a donc pas trop de détenus en France, mais il n'y a pas assez de places de prison dignes et modernes. C'est le constat qu'ont d'ailleurs fait, chez eux, nos voisins qui ont, eux aussi, engagé d'importants programmes immobiliers.

Certains s'élèvent avec vigueur contre l'augmentation du nombre des détenus. Malheureusement, ce « populisme pénal », comme l'appellent certains, est contredit par les chiffres. Je constate qu'il y avait 63 000 détenus en mai 2005 et qu'en mai 2006 ce chiffre a été ramené à 59 000, soit 4 000 de moins, ce qui est l'inverse de ce qui était dénoncé à cette tribune il y a moins d'une demi-heure...

Là encore, les chiffres contredisent des affirmations qui traduisent des idées toutes faites ! Ils sont le résultat d'une politique pénitentiaire qui est ferme et humaine et qui utilise toutes les alternatives possibles à l'incarcération.

Comme je vous l'ai indiqué, ce programme nous permettra en priorité de fermer les établissements les plus vétustes.

Je sais qu'il y a en ce domaine une grande impatience. Je la ressens fortement dans ma propre région : comment ne pas être honteux face à la situation des maisons d'arrêt Saint-Paul et Saint-Joseph de Lyon ? Elles pourront être fermées aussitôt que seront construits les établissements de Bourg-en Bresse, de Roanne et de Corbas, pour parler de cette région, étant entendu que d'autres fermetures seront également envisageables ailleurs. C'est notamment le cas des maisons d'arrêt de Basse-Terre en Guadeloupe, de Saint-Denis à la Réunion, de Papeete ou d'autres encore que j'ai visitées et qui se trouvent dans un tel état que je souhaite que soient très vite construits de nouveaux locaux pour pouvoir fermer les anciens.

Bientôt, nous verrons le fruit de ces quatre années de travail, ou plus exactement de ces cinq années de législature. Au reste, comme ces prisons ouvriront officiellement entre 2008 et 2010, elles ne seront pas inaugurées par ceux qui auront pris l'initiative de leur construction. Je souhaite donc que certains n'en profitent pas, alors, pour se parer des plumes du paon ; je n'en dirai pas plus...

Parallèlement, certains établissements anciens seront conservés, mais rénovés. C'est le cas d'établissements emblématiques et très symboliques, compte tenu de leur importance, comme La Santé, Fleury-Mérogis, qui est la plus grande prison d'Europe, ou les Baumettes.

L'investissement sera à la hauteur de l'enjeu puisque la rénovation de chaque place coûtera près de 100 000 euros. C'était également une des priorités de la commission d'enquête et je suis heureux de vous montrer, monsieur Pelletier, que ses orientations ont été suivies.

Nous avons en outre mis à profit ce programme de construction pour réformer les conditions de détention.

En effet, nous avons entrepris de diversifier les structures pénitentiaires afin de les adapter à tous les publics accueillis. C'est ainsi seulement que nous pourrons garantir la séparation des mineurs et des majeurs, des primo-délinquants et des récidivistes et enfin des prévenus et des condamnés. C'est en passant par la séparation de ces différentes catégories de détenus que notre pays sera respectueux des droits de l'homme.

Nous expérimentons en ce moment sur trois sites la mise en place de « quartiers courtes peines » au sein des maisons d'arrêt. Je suis très attaché à ce concept, pour l'instant expérimental.

C'est le moyen qui me semble le plus adéquat pour séparer de manière étanche les prévenus en détention provisoire des condamnés à une peine d'emprisonnement. L'affaire d'Outreau nous a montré qu'il n'était pas acceptable de faire coexister ceux qui sont présumés innocents et ceux qui ont été déclarés coupables. Nous pourrons ainsi rendre plus réel ce principe essentiel de séparation des détenus et des prévenus.

À ce titre, j'ai eu l'occasion de dire à plusieurs reprises, monsieur Rouvière, que l'on recourait trop à la détention provisoire en France et qu'il fallait faire évoluer les mentalités. Vous savez que c'est un excès que j'ai moi-même dénoncé et que je m'emploie activement à freiner : le nombre de prévenus est d'ailleurs passé de près de 23 000 à 13 000 aujourd'hui et j'entends bien poursuivre dans cette voie.

Concrètement, j'ai décidé en décembre dernier la construction de 500 places supplémentaires en centres de semi-liberté. Vous savez que ces centres donnent aux détenus qui y sont prêts la possibilité de se réinsérer par le travail pendant la journée tout en étant surveillés la nuit. Ces places seront affectées en priorité à Aix-en Provence, à Bordeaux, à Villefranche-sur-Saône, à Saint-Etienne et à Lille.

De même, la construction de sept établissements pénitentiaires pour mineurs sera effective d'ici à l'année prochaine. Ils permettront de séparer les mineurs des condamnés majeurs dans un établissement organisé autour d'une salle de classe. « Une prison autour d'une salle de classe », telle est ma définition des établissements pour mineurs. Ils offriront l'opportunité d'accueillir des mineurs délinquants dans une structure qui leur fournira les outils éducatifs et pédagogiques destinés à les sortir de la spirale infernale dans laquelle ils s'étaient enfermés.

Nous avons également prévu des unités pour soigner les détenus malades, ce dont se sont inquiétés plusieurs d'entre vous dans leur intervention.

Lorsque les soins dispensés au détenu nécessitent une hospitalisation, en urgence ou pour une courte durée, celui-ci est conduit à l'hôpital de proximité, sa garde étant assurée par les forces de l'ordre. Lorsqu'il s'agit d'une hospitalisation programmée de plus de quarante-huit heures, le détenu est alors transféré dans une unité hospitalière sécurisée interrégionale, dite UHSI.

J'ai inauguré, vendredi dernier, la quatrième de ces unités. Elle se trouve au CHU de Bordeaux, au dernier étage qui est totalement sécurisé et desservi par un ascenseur autonome. Cette unité mérite d'être visitée, monsieur Pelletier, car c'est tout à l'honneur de la France qu'un CHU comme celui de Bordeaux ait pu réserver aux détenus de la région des conditions d'hospitalisation de cette qualité. Comme il est habituel de ne parler que de ce qui ne va pas, je me plais à signaler cette réalisation.

Vous m'avez interrogé, monsieur Pelletier, sur la situation du « quartier intermédiaires sortants » de la maison d'arrêt de Fresnes, qui permettait à des détenus en grande difficulté de suivre un stage, avec le concours de psychologues et de spécialistes de la toxicomanie, avant leur libération définitive.

Le départ récent de l'animatrice de ce quartier fait tourner, pour l'instant, ce service au ralenti. Celui-ci a concerné cinquante personnes l'an dernier. Je souhaite qu'une solution soit trouvée rapidement en partenariat avec le ministère de la santé.

La prise en charge des détenus souffrant de troubles psychiatriques constitue d'ailleurs l'une de mes priorités. C'est en effet l'un des grands problèmes posés à notre pays comme, je le suppose, à nos voisins. Je souhaite donc apporter le plus rapidement possible une réponse aux difficultés que nous connaissons depuis trop longtemps en ce domaine.

C'est l'objectif des unités hospitalières sécurisées adaptées, les UHSA, sur lesquelles nous voulons, avec mon collègue et ami Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, obtenir des résultats d'ici à 2008. C'est vrai qu'en la matière nous partions de loin et que les UHSA devront être multipliées comme c'est déjà le cas des UHSI, qui concernent les malades ne relevant pas de la psychiatrie.

Mesdames et messieurs les sénateurs, ma politique pénitentiaire ne s'arrête pas à ces aspects immobiliers. Le béton n'a jamais réussi à changer un homme ! J'ai la conviction que la prison doit être un espace de droit qui garantit le respect de l'intégrité des détenus et leur offre des possibilités concrètes de réinsertion.

La délinquance repose en effet avant tout sur les rapports de force et la négation des droits de l'autre. Ce n'est qu'au sein d'une prison républicaine et citoyenne ayant proscrit tout recours à l'arbitraire que nous pourrons favoriser l'insertion des détenus.

Les valeurs d'humanité, de fraternité et de justice, fondatrices de notre pacte républicain, doivent avoir toute leur place au sein de nos établissements. Je le répète, la prison n'est pas l'ennemie du droit, bien au contraire.

Cela signifie d'abord que les détenus doivent avoir accès au droit. Le développement des points d'accès au droit dans de très nombreux établissements grâce à la forte implication des magistrats, des avocats et des associations garantit aux détenus les plus démunis de trouver des informations pratiques. Ils peuvent ainsi faire valoir leurs intérêts dans les litiges de la vie quotidienne, par exemple dans le cadre d'une succession ou d'un divorce.

Cette action s'est trouvée récemment renforcée par l'intervention de délégués du médiateur dans les prisons. L'expérimentation qui avait été lancée dans dix établissements, dont Fresnes ou les Baumettes, a été un succès.

Le droit implique aussi de garantir la transparence des établissements pénitentiaires par un contrôle indépendant des prisons.

La prison est un lieu déjà très contrôlé, tant par des instances internationales, tel le Conseil de l'Europe, que par les juridictions, administratives ou judiciaires. Je ne souhaite pas superposer une structure supplémentaire ; elle ne créerait que de la bureaucratie et ne favoriserait pas une grande cohérence. Je privilégie dans ce domaine, comme dans bien d'autres, l'efficacité et le pragmatisme.

J'ai proposé, la semaine dernière, que le projet de création d'une autorité extérieure de contrôle des prisons puisse être confié à une instance indépendante déjà existante, comme le Médiateur de la République ou la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

Vous m'avez interrogé également, monsieur Pelletier, sur les conditions du menottage constatées par cette commission.

Je note que, dans son rapport de l'année 2005, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, a été saisie de trois recours relatifs aux conditions du menottage par la police nationale, contre cinq l'année précédente.

Je tiens en tout cas à vous assurer que, chaque fois que l'autorité judiciaire est en mesure d'exercer un contrôle sur les conditions du menottage d'une personne placée sous main de justice, elle intervient systématiquement.

Favoriser l'accès au droit, c'est aussi respecter les droits des détenus au sein de l'établissement carcéral. Le maintien des liens familiaux est à cet égard prioritaire. La construction de nouveaux établissements partout en France permettra aux détenus d'être incarcérés à proximité de leur famille.

Quatre unités de visites familiales vont ouvrir en septembre prochain et, bien entendu, tous les établissements pour peine du programme 13 300 places en seront dotés.

Vous l'avez souligné, monsieur Pelletier, le respect du droit en prison est une exigence dans une démocratie.

J'ajouterai même que c'est une condition de la compréhension par le détenu des règles de vie en société. Renoncer à la violence, c'est aussi comprendre que la violence n'a pas le droit de cité dans notre République.

C'est pourquoi, comme vous le souhaitiez, la procédure disciplinaire et la procédure d'isolement ont été réformées. Les détenus disposent désormais de la possibilité de se faire assister d'un avocat et peuvent faire appel des décisions les concernant. De même, l'application des peines est désormais totalement judiciarisée et, depuis le 1er janvier de cette année, les détenus peuvent faire appel de toutes les mesures les concernant.

En matière financière, les prélèvements pour frais d'entretien sur les salaires versés aux détenus ont été supprimés. Les coûts des cantines et de la location de téléviseurs, dont les barèmes sont actuellement, comme beaucoup d'entre vous l'ont souligné, très hétérogènes, seront harmonisés dès l'an prochain puisque leur gestion sera externalisée.

Je voudrais également souligner que la France a déjà joué un rôle moteur dans l'adoption des règles pénitentiaires européennes, qui fixent des objectifs à atteindre en matière de détention. Elles concernent, par exemple, l'accès à la santé des détenus ou bien la répression des infractions commises au sein des prisons.

Les valeurs du Conseil de l'Europe sont celles de la France, et la France respecte déjà largement les prescriptions de ces règles.

Faut-il aller plus loin dans la formalisation et envisager une loi pénitentiaire qui déterminerait plus concrètement le fonctionnement des établissements pénitentiaires ? Je sais que la demande en a été formulée : est-ce l'essentiel ? Comme je le disais précédemment, c'est souvent l'arbre qui cache la forêt, c'est-à-dire notre paresse à faire les efforts budgétaires minimums en matière d'humanisation.

Pour autant, je lancerai prochainement une série de consultations auprès des acteurs politiques associatifs et religieux pour aborder ces questions. Vous y aurez, mesdames et messieurs les sénateurs, bien entendu, toute votre part. Si un consensus se dégage sur l'utilité et la pertinence d'une telle loi, la représentation nationale et le Gouvernement prendront évidemment leurs responsabilités.

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J'ai noté enfin que vous vous inquiétiez des progrès de la signature ou de la ratification des protocoles additionnels à la Convention européenne des droits de l'homme.

La France est partie aux grands instruments internationaux prohibant la discrimination et, ces dernières années, notre pays a renforcé son arsenal législatif pour lutter plus efficacement contre toutes les formes de discrimination.

Toutefois, le Gouvernement n'envisage pas, à court terme, d'adhérer au protocole additionnel n° 12 à la CEDH. En effet, cet instrument élargit dans des proportions très importantes la compétence de la Cour de Strasbourg et aggraverait encore la situation d'engorgement dans laquelle celle-ci se trouve actuellement.

Le protocole additionnel n° 13 à la CEDH portant sur l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, qui a été signé par la France le 3 mai 2002, est en cours de ratification.

Quant au protocole n° 14 portant réforme de la Cour de Strasbourg, il a été signé par la France le 13 mai 2004. Il est actuellement en cours d'examen par les assemblées en vue de sa ratification, conformément à nos engagements. Le projet de loi a été adopté par l'Assemblée nationale et devrait être examiné par le Sénat le 16 mai prochain.

Je crois cependant que la priorité consiste plutôt à soutenir plus vigoureusement les dispositifs de réinsertion au sein des prisons. Le temps qu'une personne passe en détention doit être pour elle l'occasion de rompre avec une spirale d'échecs et lui permettre de prendre enfin un nouveau départ et de préparer son insertion dans la vie sociale et professionnelle.

En ce domaine, j'ai un principe : tout détenu doit se voir proposer, s'il le souhaite, un travail, une formation ou un dispositif éducatif. C'est un objectif ambitieux, mais réaliste. Il nous faut donc nous engager résolument dans cette voie, en partenariat avec les services chargés de l'emploi et de l'éducation.

En 2004, près de 40 % des détenus travaillaient ou étaient en formation professionnelle. Ce chiffre est déjà supérieur à la performance de nos voisins, mais je souhaite l'accroître. Là encore, on croit que la France fait moins bien que les autres : elle fait mieux.

Le travail est un instrument majeur de la réinsertion des détenus. C'est en ayant une activité professionnelle qu'un détenu peut envisager l'avenir avec confiance. Travailler est aussi un moyen d'améliorer son quotidien, d'aider sa famille et d'indemniser les victimes. C'est particulièrement important pour les condamnés à de longues peines.

Je tiens à ce propos à rappeler à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat que les condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité sont dix fois moins nombreux en France qu'en Angleterre : on en compte 5 700 en Angleterre, contre 500 en France.

L'implication dans ce projet des personnels des SPIP, les services pénitentiaires d'insertion et de probation, est essentielle. La loi d'orientation et de programmation pour la justice a prévu, sur cinq ans, la création de 3 740 emplois pour l'administration pénitentiaire, dont 1 000 travailleurs sociaux. En 2006, l'École nationale d'administration pénitentiaire accueillera 2 300 élèves, dont 1 700 surveillants et 300 travailleurs sociaux. Je souligne que les indicateurs de gestion des établissements pénitentiaires mis en place dans le cadre de la LOLF concernent la sécurité, mais désormais, aussi, la réinsertion.

La réinsertion, enfin, se construit en développant les aménagements de peine, dont vous avez souligné, monsieur Pelletier, la nécessité. Les dispositifs sont déjà nombreux et diversifiés. En plus du placement en semi-liberté, du placement extérieur ou de la libération conditionnelle, l'administration pénitentiaire a recours au bracelet électronique fixe, qui a déjà concerné 10 000 détenus, et commence dès ce mois-ci l'expérimentation du bracelet électronique mobile dans le ressort de deux cours d'appel.

Pour la première fois depuis de nombreuses années, le nombre d'aménagements de peine accordés a été en hausse sensible depuis 2004, passant de 15 000 mesures à 20 000 en 2005. Nous atteindrons 25 000 mesures en 2006, ce chiffre ayant vocation à s'accroître avec l'expérimentation, puis l'entrée en vigueur du bracelet électronique. J'insiste à dessein sur ces résultats, car ils témoignent d'une réelle volonté politique de favoriser la réinsertion des détenus, comme l'a souligné avec raison M. Francis Grignon.

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, votre souhait de débattre aujourd'hui, en toute transparence, de la situation des prisons était une oeuvre utile. Elle nous a permis de montrer l'importance du travail qui a été fourni depuis 2002 et de rendre compte de notre gestion.

Je conclurai en formulant un espoir. D'ici deux ans, la question du surencombrement des prisons sera temporairement réglée grâce à notre programme de constructions. Afin d'éviter de nouveaux drames et de nouvelles polémiques dans les prochaines années, nous devrons poursuivre cet effort. J'engage donc la représentation nationale à être exigeante et à demander le dépôt d'une nouvelle loi de programmation en 2007. Les personnels pénitentiaires et les détenus ne doivent pas souffrir, comme ils l'ont déjà fait, d'alternances à répétition. Les prisons ne doivent pas être un enjeu idéologique ; elles doivent au contraire faire l'objet d'un consensus républicain et d'une continuité dans l'action. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.