PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est reprise.

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Éloge funèbre d'André Labarrère, sénateur des pyrénées-atlantiques

M. le président. Messieurs les ministres, mes chers collègues, je vais prononcer l'éloge funèbre d'André Labarrère. (MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)

C'est avec beaucoup de tristesse et d'émotion que nous avons appris la mort de notre collègue André Labarrère, sénateur des Pyrénées-Atlantiques, survenue le 16 mai dernier.

L'annonce de la disparition d'André Labarrère a cruellement frappé toutes celles et tous ceux qui le connaissaient et qui l'aimaient. André Labarrère avait fait état publiquement du mal qui le frappait en annonçant, le 22 mars  2006, qu'il était atteint d'un cancer et qu'il se promettait d'y faire face avec la même détermination qu'il avait montrée tout au cours de sa vie. « Je me battrai à mort », avait-il déclaré.

Il a été face à la mort comme il avait été face à la vie : d'un courage peu commun. Il s'est conduit face à la mort comme il s'est toujours comporté, en faisant preuve d'un attachement viscéral à ce qu'un homme a de plus précieux : l'énergie, l'intelligence, la force de conviction et l'honneur de servir.

La vie d'André Labarrère avait commencé le 12 janvier  1928 à Navailles-Angos, dans les dépendances du château de la famille Gontaut-Biron, où ses parents étaient employés : son père, cocher de fiacre, et sa mère, crémière aux halles de Pau.

Malgré la modestie de ses origines sociales, notre collègue reçut une éducation solide : d'abord, à l'école communale Henri IV, puis au collège catholique Beau-Frêne, enfin à Paris.

C'est dans la capitale qu'il parachèvera sa formation par une brillante collection de titres universitaires : licence ès lettres, agrégation d'histoire, doctorat ès lettres.

Nommé professeur, il passa ses premières années à Digne, dans les Alpes de Haute-Provence, puis il obtint la première bourse qui fut accordée à un Français par les autorités universitaires du Québec.

Étudiant, puis enseignant à l'université de Laval, il participa activement à des émissions de radio et de télévision ; celle-ci était alors naissante. L'une de ces émissions, en particulier, intitulée « pattes de mouches », ouvrait au grand public les secrets de la graphologie. Passionné par cette science, il en était devenu, au fil des ans, un connaisseur notoire et respecté.

Poursuivant sa carrière d'enseignant, il fut successivement professeur à Paris, au Lycée Carnot, puis à Auch, avant de revenir dans sa ville natale pour solliciter une première fois le suffrage des électeurs lors des législatives de 1967.

Élu député sous l'étiquette de la fédération de la gauche démocratique et socialiste, la FGDS, animée par François Mitterrand, il fut battu l'année suivante par Pierre Sallenave. Aux élections de 1973, il retrouvera le siège de la première circonscription des Pyrénées-Atlantiques, qu'il occupa constamment jusqu'en octobre 2001, date à laquelle il rejoignit le Palais du Luxembourg.

Mais c'est en 1971 que la carrière - la destinée devrais-je dire -d'André Labarrère prit un tour décisif. À la faveur des élections municipales, il conquit la mairie de Pau. Ce mandat municipal, il allait le détenir sans interruption pendant trente-cinq ans. C'est le mandat auquel il tenait le plus.

La mairie de Pau ne l'empêche cependant pas d'être conseiller général de Jurançon, membre du conseil régional d'Aquitaine, dont il assuma la présidence de 1979 à 1981 et, enfin, président de la communauté d'agglomération de Pau. Avec l'humour qui le caractérisait, il disait qu'il ne lui manquait que d'avoir été évêque de Bayonne !

L'engagement au service de ses compatriotes palois et béarnais allait de pair avec celui de la mise en place du nouveau parti socialiste, dans les années soixante-dix, après le congrès d'Épinay.

En 1981, François Mitterrand lui demande tout naturellement d'entrer dans le gouvernement conduit par notre collègue Pierre Mauroy.

Il n'accepta pas sans hésitation.

Sollicité pour le ministère de l'éducation nationale, puis pour celui du temps libre, c'est finalement au ministère des relations avec le Parlement qu'il fut nommé par le Président de la République. Cette nomination s'avéra des plus heureuses. Il fallait - et il faut toujours - faire preuve de remarquables qualités pour occuper ce portefeuille, ô combien délicat !

À l'Assemblée nationale comme au Sénat, en conférence des présidents comme dans l'hémicycle, ne dédaignant point les assauts de ses adversaires, il affrontait les séances les plus remuantes dans d'interminables joutes oratoires où pointaient la vivacité de son intelligence et une rhétorique à toute épreuve. On se souvient, ici même, de son ardeur à débattre lors de l'examen des lois de décentralisation, des lois sur les nationalisations ou encore sur l'enseignement privé. Ces qualités, que chacun d'entre nous s'accordait à lui reconnaître, valurent à André Labarrère d'être reconduit dans ce ministère clef par Laurent Fabius jusqu'au terme de la législature, en 1986.

Ayant épuisé les charmes d'une carrière nationale qu'il n'ambitionnait d'ailleurs pas, André Labarrère se consacrera désormais et quasi exclusivement à « sa ville », comme il aimait à le dire.

« Élu de gauche dans une ville de droite », il fit franchir à la capitale du Béarn le cap du XXIe siècle. Les hommages qui lui furent rendus à l'annonce de sa mort et à l'occasion de ses obsèques ont été à la mesure de l'oeuvre qu'il a accomplie pendant trente-cinq ans.

Parmi les sujets qui lui inspiraient la plus grande satisfaction, figurait ce classement des villes dans lequel Pau se situait immédiatement après Washington pour le rapport entre la superficie des espaces verts et le nombre d'habitants.

Homme politique subtil, fin connaisseur des arcanes de son département et de sa région, André Labarrère était aussi très proche de ses administrés. Travailleur infatigable, il impressionnait ses collaborateurs et ses concitoyens. Il ne détestait pas, non sans une certaine malignité, leur fixer des rendez-vous à l'hôtel de ville aux aurores, alors même que, la veille, le conseil municipal s'était achevé fort tard.

Même s'il fut le premier maire de Pau à être député, puis sénateur, c'est pour l'écharpe de maire qu'il avait le plus d'affection : « le plus beau des mandats », aimait-il à répéter. De fait, la mémoire d'André Labarrère sera attachée de façon indissociable à l'histoire de Pau.

André Labarrère fait partie de ces grands édiles qui ont porté la réputation de leur ville dans l'Hexagone, et même au- delà, comme, à d'autres époques, Jacques Chaban-Delmas à Bordeaux, Gaston Defferre à Marseille, Édouard Herriot à Lyon, et tant d'autres.

Avec la force de l'engagement au service de ses concitoyens et la fermeté de ses convictions, André Labarrère n'a cessé de prendre une part active aux débats et aux évolutions récentes de notre société.

À son parcours politique André Labarrère a ajouté toutes les idées d'un homme pour qui la culture revêtait une importance capitale. Sa politique municipale en fut marquée et, quelques semaines avant sa mort, son esprit fourmillait encore de projets pour « replacer la culture au centre-ville ».

Nous garderons en mémoire sa silhouette élégante, une noblesse de port rappelant ces gentilshommes gascons qui offrirent tant et tant d'illustres serviteurs à notre pays. Nous n'oublierons pas son visage souriant, souvent surmonté d'un chapeau de feutre noir à large bord, qui faisait irrésistiblement penser à Jean Moulin ou à François Mitterrand, deux hommes qu'il admirait profondément.

La foule des habitants de sa ville présente à ses funérailles, son recueillement et son émotion ont témoigné de façon éclatante du lien profond qui unissait sa ville à son maire.

Ce lien ne résultait pas seulement de la légitimité du suffrage. Il était enrichi de cette alchimie subtile qui peut attacher l'élu municipal à ses administrés. Pour l'avoir vécu aussi intensément avec ses compatriotes, André Labarrère méritait bien de siéger dans cet hémicycle.

À sa famille et à ses proches, à ses collaborateurs et à ses administrés, aux collègues de son groupe et à ceux de la commission des affaires culturelles, je tiens à dire la part que nous prenons tous à leur peine. Qu'ils soient assurés que nous garderons longtemps en mémoire celui qu'ils ont légitimement estimé, admiré et aimé.

(MM. les ministres ainsi que Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement. . Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom du Gouvernement, je tiens à m'associer à l'hommage qui est aujourd'hui rendu à André Labarrère.

Avec André Labarrère, disparaît une grande figure de la vie politique française, un homme qui, en trente-cinq années passées au service de l'État et de ses concitoyens, a exercé de très nombreux mandats dans un esprit d'ouverture en tous points remarquable.

André Labarrère était à proprement parler un personnage hors norme. La longévité de sa carrière politique témoigne de sa grande capacité à anticiper les évolutions de notre société.

Élu pour la première fois député des Pyrénées-Atlantiques en 1967, battu en 1968, il est de nouveau élu en 1973 et sera réélu sans discontinuer jusqu'en 2001, année où il entre au Sénat.

André Labarrère est, en outre, maire de Pau de 1971 jusqu'à sa mort. Sa ville était sa passion, son terroir, ses racines. Féru de nouvelles technologies, il a fait de Pau l'une des premières villes de France dotées d'une infrastructure publique de fibre optique et de l'Internet à très haut débit. Il était en parfaite osmose avec sa ville et avec les Palois, qui lui ont renouvelé sans cesse leur confiance.

Successivement député, puis maire, André Labarrère est également président du conseil régional d'Aquitaine de 1979 à 1981. Il était de ceux qui savent durer en politique, un monde dont il connaissait l'âpreté, lui qui aimait à dire que, s'il est un domaine où la tendresse ne tient pas royaume, c'est bien la politique. Pourtant, il a su s'y faire des amis de tous bords, preuve s'il en est qu'il avait le sens inné du contact et aimait aller vers les autres.

De ce parcours hors des sentiers battus nous retiendrons évidemment les fonctions de ministre qu'il a exercées de 1981 à 1986.

Proche de François Mitterrand, André Labarrère a été le premier socialiste à occuper les délicates fonctions de ministre chargé des relations avec le Parlement, pendant une législature complète, sous l'autorité de deux Premiers ministres successifs, Pierre Mauroy et Laurent Fabius.

Parmi bien d'autres qualités, André Labarrère possédait celles d'un fin négociateur ; avec fermeté et humour, il savait conduire l'ordre du jour de la toute nouvelle majorité.

En 2001, il est élu sénateur, une fonction qui correspondait parfaitement au grand connaisseur des collectivités locales qu'il était.

André Labarrère a conservé jusqu'à la fin de sa vie une authentique jeunesse d'esprit. Homme de grande culture, passionné d'histoire, il aimait également à tenir à jour son blog, lui qui, né en 1928, n'avait découvert que sur le tard la magie des nouvelles technologies.

C'est donc l'image d'un homme moderne, en phase avec son temps, que nous conserverons, celle aussi d'un homme qui s'est battu jusqu'au bout contre la maladie, pour mener à bien son engagement politique. André Labarrère n'était pas de ceux qui abandonnent ; il était de ceux qui luttent, qualité inestimable.

À sa famille, à ses proches, à ses collaborateurs, aux collègues de son groupe, j'exprime, au nom du Gouvernement, notre profonde tristesse et notre solidarité dans l'épreuve qu'ils traversent.

M. le président. Messieurs les ministres, mes chers collègues, selon la tradition, en signe de deuil, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

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RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour un rappel au règlement.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, mon intervention a trait à l'organisation de nos travaux.

En effet, au terme d'un incroyable imbroglio interne à la majorité, nous venons d'apprendre que l'examen du projet de loi de privatisation de Gaz de France a été repoussé au mois de septembre.

Je tiens d'abord, au nom du groupe CRC, à me féliciter de ce recul du Gouvernement et de sa majorité, qui renoncent donc, au moins provisoirement, à un nouveau coup de force en période estivale.

En effet, depuis 2002, pendant que les Français sont en vacances, ou tout au moins une partie d'entre eux puisque nombre de nos concitoyens n'ont pas cette chance, les sessions extraordinaires de juillet sont mises à profit pour permettre l'adoption de textes antisociaux : ce fut le cas de la loi portant réforme des retraites, en 2003, et de la loi relative à l'assurance maladie, en 2004.

Cette fois-ci, le mauvais coup envisagé, à savoir la privatisation de GDF, n'a heureusement pas pu être porté. Au-delà des querelles intestines, des rivalités présidentielles, de la perte de confiance d'une majorité à l'égard d'un Gouvernement et d'un Premier ministre affaiblis, c'est bien d'un recul qu'il s'agit, un recul face au mouvement social, face au rejet du libéralisme qui va croissant dans le pays. Nombre de parlementaires de la majorité l'ont d'ailleurs fait cet aveu, et je me plais, pour une fois, à les citer : les élections approchent !

Cela étant, monsieur le ministre, une nouvelle fois, le Parlement est particulièrement maltraité. En effet, les tergiversations internes au Gouvernement et les querelles internes à la majorité se règlent par médias interposés, le Parlement n'étant informé que par voie de presse.

M. Roland Muzeau. Y en a marre !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. D'ailleurs, je suppose que la conférence des présidents, qui se réunira demain, ne fera qu'entériner ce que les Parlementaires ont appris par la presse. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.

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MISE AU POINT AU SUJET D'UN VOTE

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Monsieur le président, deux de mes collègues, MM. Bruno Retailleau et Philippe Darniche, me demandent de vous préciser qu'ils ne souhaitaient pas prendre part au vote, lors du scrutin n° 214, sur l'ensemble du projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration.

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue.

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Dossier législatif : projet de loi réformant la protection de l'enfance
Discussion générale (suite)

protection de l'Enfance

Discussion d'un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi réformant la protection de l'enfance
Article additionnel avant l'article 1er

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi réformant la protection de l'enfance (nos 330, 393).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui s'attaque à une réalité que nous ne pouvons ignorer.

Cette réalité, c'est la souffrance de dizaines de milliers d'enfants, qui sont la proie de certains adultes : des enfants victimes de négligence, d'indifférence, de manque d'amour ; des enfants victimes, aussi, de violences morales et psychiques, d'humiliations et de brimades ; des enfants victimes, encore, de conflits familiaux aigus, et qui subissent la cruauté de ces rapports dégradés.

Cette souffrance, souvent méconnue et silencieuse, est intolérable.

Si la loi de 1989 a permis de progresser dans la lutte contre la maltraitance, aujourd'hui, nous devons aller plus loin. Ainsi, ce projet de loi est porteur d'une ambition nouvelle pour chaque enfant : lui donner les meilleures conditions pour s'épanouir et pour grandir, et lui permettre de trouver ses repères, pour se développer sur le plan physique, intellectuel, moral, affectif, spirituel et social.

Parce qu'un tel sujet nous concerne tous, j'ai souhaité que cette réforme s'appuie sur la concertation la plus large. Voilà donc près d'un an que les professionnels, les associations et les élus sont consultés.

Moi-même, j'ai beaucoup oeuvré en ce sens, en rencontrant un grand nombre d'acteurs de la protection de l'enfance, qu'il s'agisse des présidents de conseil général, des experts, des professionnels, des représentants d'organisations professionnelles, des responsables d'associations ou des signataires de « l'appel des Cent ».

J'ai pris connaissance du contenu de plusieurs rapports parlementaires, qui ont permis d'éclairer les questions en débat. Pour ne parler que du Sénat, je veux citer ceux de Mme Marie-Thérèse Hermange et de MM. Philippe Nogrix et Louis de Broissia.

Je me suis à de nombreuses reprises auprès des acteurs de terrain. J'ai organisé des journées thématiques, pour approfondir les points les plus complexes et j'ai créé un comité national, qui a guidé mes réflexions.

Enfin, j'ai invité tous les présidents de conseil général à organiser, chacun dans son département, un débat sur la protection de l'enfance. Pendant plusieurs mois, ces débats, auxquels j'ai souvent moi-même pris part, ont rassemblé des centaines de personnes d'origine très diverse, notamment des magistrats, des élus, des travailleurs sociaux, des experts, des responsables associatifs, des éducateurs, des médecins et des pédopsychiatres.

Les synthèses de ces débats, les multiples contributions que j'ai reçues, pour la plupart de façon spontanée, émanant notamment des grandes associations, les rencontres que j'ai faites ont permis de constater l'émergence d'un consensus fort sur la nécessité d'agir et sur les pistes d'action à envisager.

Je tiens à saluer l'engagement des départements et de leurs services, avec lesquels nous avons su construire un véritable réseau de proximité. Depuis l'adoption des lois de décentralisation, l'intervention des départements a en effet permis d'améliorer notre dispositif de protection de l'enfance. Chaque année, ceux-ci lui consacrent ainsi la première part de leur budget, soit plus de 5 milliards d'euros en 2005. Aujourd'hui, 270 000 enfants sont pris en charge par les services départementaux de l'aide sociale à l'enfance, l'ASE.

Je tiens à saluer aussi, bien sûr, l'action des centres communaux d'action sociale et celle de tous les autres professionnels, sans oublier le dévouement des dizaines de milliers de bénévoles qui s'engagent, sans relâche, auprès des enfants.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui témoigne du consensus qui s'est affirmé au cours de cette longue concertation.

Notre dispositif de protection de l'enfance est construit sur des bases saines et solides : il repose sur le principe de la primauté de l'enfant et de son intérêt. Malgré tout, nous déplorons toujours des failles, des dysfonctionnements et des défauts dans l'organisation de ce dispositif, lesquels empêchent les professionnels d'aider comme ils le voudraient les enfants qui souffrent ou qui risquent de souffrir. Il faut remédier à cette situation, pour protéger les enfants et leurs familles.

Nous devons agir dans trois directions : renforcer la prévention, pour venir en aide aux enfants et à leurs parents avant qu'il ne soit trop tard ; organiser le signalement, pour détecter plus tôt et traiter plus efficacement les situations de danger ; diversifier les modes de prise en charge, afin de les adapter aux besoins de chaque enfant.

Notre premier levier d'action, qui fait l'objet du titre Ier du projet de loi, est donc le renforcement de la prévention.

Cette dernière est aujourd'hui le parent pauvre de notre dispositif. Il n'est pas normal que seulement 4 % des 5 milliards d'euros, soit 200 millions d'euros, qui sont consacrés chaque année par les départements à la protection de l'enfance, soient dédiés à la prévention.

Puisque la loi était jusqu'à présent muette sur ce point, je vous propose d'inscrire dans notre droit que la prévention fait partie des missions de la protection de l'enfance. À cette fin, j'entends faire porter notre effort de prévention sur les moments clés de la vie de l'enfant.

Plus nous interviendrons tôt, c'est-à-dire au moment de la grossesse, de la naissance et de la petite enfance, plus nous pourrons être efficaces et agir avant que les conséquences ne deviennent irréparables.

Mon objectif est de multiplier les points de contact entre l'enfant, sa famille et les professionnels, pour anticiper les difficultés et soutenir les familles avant que la situation ne se détériore.

À cet égard, je souhaite faire de la protection maternelle et infantile, la PMI, un acteur pivot de la prévention.

Nous devons rendre systématique l'entretien au quatrième mois de grossesse et organiser le suivi qui en découle pour les femmes enceintes qui rencontrent des difficultés. Au-delà d'un simple examen de santé, cet entretien constitue un moment clé, d'une part, pour détecter les problèmes que peut connaître au cours de sa grossesse une femme en détresse, mal préparée à accueillir son enfant, isolée, en crise ou en conflit aigu avec le père de l'enfant à naître et, d'autre part, pour l'aider à surmonter ces difficultés et à préparer l'arrivée du bébé dans de meilleures conditions.

Le séjour à la maternité et les premiers jours de la vie de l'enfant à son domicile sont également cruciaux pour l'établissement du lien entre la mère et son enfant. Je souhaite, là encore, qu'un contact systématique avec la protection maternelle et infantile ait lieu dès la maternité, en liaison avec les professionnels de la maternité.

Cette rencontre permettra d'identifier les situations difficiles. Je pense, par exemple, aux femmes qui se trouvent seules au moment de leur grossesse, à celles dont la grossesse n'est pas suivie ou aux mères qui rencontrent de graves problèmes d'ordre psychologique. Ce sont autant de situations de fragilité qui peuvent entraver la naissance du lien entre la mère et son enfant et, par conséquent, créer des situations préjudiciables à ce dernier.

Autre moment clé de la vie de l'enfant, le retour de la maternité doit aussi être l'objet de toute notre attention. Je souhaite que la PMI propose systématiquement à la jeune maman de venir la voir à son domicile, au retour de la maternité. Cette visite sera d'ailleurs automatique lorsque le séjour à la maternité aura permis d'identifier des difficultés particulières pour la mère, qui pourraient mettre en jeu la santé ou le développement du nourrisson.

D'autres carrefours de la vie de l'enfant doivent aussi être systématiquement mis à profit en ce sens.

Si les enfants sont en majorité suivis régulièrement par un médecin généraliste, un pédiatre, voire par la protection maternelle et infantile, près de 10 % d'entre eux échappent encore aujourd'hui à tout suivi médical.

L'école est le lieu le plus naturel et le plus propice pour assurer une prévention générale et pour détecter les risques de danger pour l'enfant. L'examen d'entrée à l'école maternelle est une occasion de repérer les situations problématiques. Celui de l'entrée à l'école primaire est aussi un carrefour important dans la vie de l'enfant. Il vous est donc proposé qu'un bilan systématique soit assuré à l'école pour tous les enfants âgés de trois à quatre ans, car, aujourd'hui, seuls 40 % d'entre eux bénéficient d'un tel bilan.

Dans la même logique, je souhaite que la visite médicale de la sixième année soit assurée pour tous les enfants, ce qui, actuellement, n'est pas le cas. Seuls trois quarts des enfants en bénéficient. Il faut que nous atteignions 100 % d'ici à trois ans.

Le deuxième volet du projet de loi concerne l'organisation du signalement. Sur ce point, la priorité consiste à mieux détecter et à mieux évaluer les situations de danger.

Aujourd'hui, l'organisation du signalement varie selon les départements. Elle est parfois peu claire, voire peu fiable, pour les professionnels comme pour les particuliers. Au contraire, dans certains cas, elle constitue un modèle, que nous devons suivre.

J'ai pu constater l'isolement des professionnels, en particulier des enseignants, face à de graves décisions, lourdes de conséquences.

Nous ne devons plus laisser seuls face à leur conscience, sans critère de décision, sans formation spécifique à cette question, les enseignants, les éducateurs, les travailleurs sociaux, les soignants qui s'interrogent sur d'éventuelles difficultés rencontrées par un enfant, sans avoir aucune certitude ni aucun moyen de comprendre la réalité de la situation que connaît ce dernier.

Aujourd'hui, ces professionnels doivent choisir entre se taire, au risque de laisser perdurer des situations qui appellent une intervention urgente, ou déclencher une procédure judiciaire, au risque de se tromper, ce qui peut emporter des conséquences parfois très graves et traumatisantes pour l'enfant et sa famille.

Désormais, si le projet de loi que vous examinez est adopté, une cellule pluridisciplinaire de recueil des signalements, de conseil, d'expertise, d'évaluation et de traitement des informations préoccupantes sera créée au sein de chaque département. Une telle structure existe déjà dans certains d'entre eux : je souhaite que cette pratique soit généralisée à l'ensemble du territoire et que toutes les cellules appliquent les normes de bonnes pratiques les plus efficaces pour la protection de l'enfant.

Il faut qu'une évaluation collégiale permette de croiser les regards et de prendre à plusieurs la meilleure décision pour l'enfant. En l'espèce, je crois beaucoup à la collégialité des décisions, ce qui suppose le partage des informations préoccupantes. En effet, des bribes d'informations différentes relatives à la situation de l'enfant peuvent être détenues par plusieurs professionnels. Dans l'intérêt même de l'enfant, nous devons autoriser et organiser le partage de ces informations, mais uniquement entre professionnels de la protection de l'enfance soumis au secret professionnel, afin de mieux évaluer ou prendre en charge la situation.

Le secret professionnel est en effet gage de confiance et de coopération entre les parents et les intervenants de l'aide sociale à l'enfance. En dehors des cas les plus graves, cette coopération reste indispensable pour mieux aider les enfants en difficulté. Il faut donc préserver ce secret vis-à-vis de l'extérieur.

Par ailleurs, le signalement soulève la question de l'articulation entre l'autorité sociale et l'autorité judiciaire. C'est un point central. Il faut préciser les règles de signalement pour que la justice ne soit saisie qu'en cas de nécessité.

Lorsque l'enfant est protégé et qu'il ne court pas de danger immédiat, l'accompagnement éducatif de l'enfant et des familles doit primer. La protection sociale doit alors prévaloir parce qu'il est toujours préférable que l'enfant reste chez lui, quand son intérêt est préservé, et que le travail social s'effectue de manière efficace, en accord avec les parents.

Le recours au juge doit donc être strictement réservé à deux types de cas : lorsque l'enfant est en danger grave et manifeste et lorsque les parents refusent l'accompagnement proposé par le service de l'aide sociale à l'enfance.

Ainsi, nous disposerons d'un système de signalement cohérent et efficace, dans lequel le président du conseil général pourra jouer pleinement son rôle de chef de file de la protection de l'enfance et de référent.

Enfin, le troisième axe du projet de loi est de diversifier les modes de prise en charge des enfants, afin d'offrir des solutions adaptées aux besoins de chacun d'eux.

La loi doit autoriser de nouveaux modes de prise en charge, plus souples, qui permettent de dépasser l'alternative strictement binaire entre placement et maintien à domicile. La diversification des modes permettra de graduer les réponses selon les besoins de l'enfant et selon l'évolution de sa situation familiale.

Je tiens à mettre en avant certains des modes de prise ne charge.

L'accueil de jour permet à l'enfant de bénéficier d'un soutien éducatif en dehors du domicile familial. Ce dispositif a notamment l'avantage d'associer les parents.

L'accueil périodique fait alterner le maintien à domicile et des périodes d'accueil en dehors de la famille. Ce dispositif permet de surmonter les périodes difficiles. L'enfant retourne chez lui lorsque les tensions familiales sont apaisées.

L'accueil mixte, quant à lui, est à la fois éducatif et thérapeutique. Il s'agit d'accueillir et de soutenir des enfants souffrant de troubles psychologiques parce que leurs propres parents sont atteints d'affections psychiques aiguës.

La loi doit aussi autoriser l'accueil d'urgence des adolescents qui fuient le domicile familial. Car, même s'ils ne sont pas en danger chez eux, en fuguant, ils se retrouvent à la rue et s'exposent à des risques graves. Je crois nécessaire de les accueillir en un lieu sûr, qui les mette à l'abri pour un temps n'excédant pas soixante-douze heures. Naturellement, les parents et le procureur de la République devront en être informés.

Enfin, certains problèmes de l'enfant résultent des difficultés que rencontrent ses parents pour gérer le budget familial. Un accompagnement social et budgétaire par un professionnel de l'économie sociale et familiale peut alors s'avérer très utile. Il vous est donc proposé, mesdames, messieurs les sénateurs, d'instituer une nouvelle prestation pour accompagner les familles qui rencontrent de telles difficultés.

Cet accompagnement pourra être proposé dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance et dans celui de la protection judiciaire. Il sera assuré par des professionnels formés à cet effet : des conseillères en économie sociale et familiale, dont c'est le métier, mais aussi des travailleurs sociaux, voire des techniciennes d'intervention sociale et familiale, anciennement dénommées « travailleuses familiales ».

Je veux souligner le rôle essentiel de ces dernières en matière de prévention. Elles interviennent au sein même des familles -  ce sont les seules dans ce cas parmi les personnels de l'action sociale - et soutiennent les parents pour que les difficultés et les tensions familiales s'apaisent au moment des devoirs, de la préparation des repas, de la toilette des enfants. En effet, tous ces actes quotidiens peuvent être propices à l'apparition de tensions entre les parents et les enfants, ce qu'il faut éviter à tout prix, tout particulièrement dans les situations de mauvais traitements ou d'absence de « bientraitance ».

Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est soumis conforte le rôle de chef de file du président du conseil général en matière de protection de l'enfance. Le conseil général, qui exerce cette compétence depuis 1984, pourra ainsi assurer une plus grande continuité et une plus grande cohérence de la prise en charge de l'enfant dans le temps. Bien sûr, il ne portera pas seul la responsabilité de la protection de l'enfance. L'État prendra sa part : l'autorité judiciaire, tout particulièrement, ainsi que la protection judiciaire de la jeunesse.

Je connais la sensibilité dont font preuve les départements à l'égard des questions de financement. Je tiens à rassurer ceux d'entre vous qui pourraient être inquiets...

M. Michel Mercier. Nous ne l'étions pas, mais cela va venir ! (Sourires.)

M. Guy Fischer. Méfiez-vous, messieurs les présidents de conseil général !

M. Philippe Bas, ministre délégué. Il s'agit, avant tout, d'une réforme d'organisation plus que de moyens. Mais il faut aussi des moyens, notamment pour la prévention.

M. Guy Fischer. Et les conseils généraux les ont, à votre avis ?

M. Philippe Bas, ministre délégué. Aussi je tiens à vous confirmer, dès le début de la discussion générale, que le Gouvernement s'engage à ce que toutes les charges induites par la réforme soient compensées.

M. Michel Mercier. Fabuleux ! (Nouveaux sourires.)

M. Guy Fischer. Mensonge !

M. Philippe Bas, ministre délégué. Je le répète : toutes les charges induites par la réforme seront compensées.

M. Roland Muzeau. À l'euro près ?

M. Guy Fischer. On ne vous croit pas !

M. Alain Vasselle. Et la branche « famille » ?

M. Philippe Bas, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai d'ailleurs déposé un amendement, au nom du Gouvernement, en ce sens.

Enfin, je voudrais souligner que, à elle seule, la loi ne suffira pas à réformer notre dispositif national de protection de l'enfance. Bien des points relèvent, en réalité, des pratiques et des procédures.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Eh oui !

M. Philippe Bas, ministre délégué. Depuis le mois de mai, un travail est engagé pour accompagner le projet de loi par des mesures qui ne relèvent pas du domaine législatif. Ce travail, qui aboutira à l'élaboration de guides de bonnes pratiques et de référentiels, se fait dans la concertation, en associant, comme cela a été le cas pour l'élaboration du projet de loi, experts et professionnels de tous horizons.

Le travail pour la réforme de la protection de l'enfance se poursuit. L'essentiel du programme doit s'achever d'ici à la fin de l'année pour que la loi qui sera adoptée soit immédiatement appliquée dans les meilleures conditions possibles.

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, cette réforme est ambitieuse.

Nous la voulons à la hauteur des attentes et des espoirs qui se sont exprimés.

Nous la voulons à la hauteur de la mobilisation sans précédent qui a été, ces derniers mois, celle de tous les acteurs concernés, afin d'améliorer le système de protection de l'enfance et, en quelque sorte, de resserrer les mailles du filet.

Nous la voulons à la hauteur des enjeux que sont, pour notre société, la protection des enfants comme celle des adolescents.

J'attends beaucoup du dialogue que nous allons avoir et des travaux de la Haute Assemblée.

Pour réussir cette réforme, il nous faudra compter sur l'engagement et la responsabilité de tous. Au-delà de la loi, au-delà du programme d'actions que nous devons mettre en oeuvre, ce sont les professionnels qui auront entre leurs mains les outils permettant de mieux protéger les enfants.

C'est pourquoi toute mon attention se tourne dès maintenant vers eux. Je serai très attentif à la qualité de leurs échanges réciproques, du soutien qu'ils peuvent recevoir et s'apporter mutuellement, des différentes formations qu'ils peuvent suivre tout au long de leur activité et des guides de bonnes pratiques que nous devons élaborer avec eux.

Mai au-delà de ce que nous allons faire par le biais de la réforme, au-delà de ce que nous pouvons faire en mobilisant tous les moyens de la solidarité, c'est aux parents que reviendra toujours la responsabilité principale.

Ils sont parfois moins bien préparés que leurs aînés à assumer ce rôle. Nombre d'entre eux ont été particulièrement exposés aux difficultés de la vie, qu'il s'agisse de difficultés économiques et sociales ou de difficultés liées aux fréquents coups de boutoir que la cellule familiale a pu subir.

N'oublions pas, non plus, tout ce qui peut parfois transformer le désir d'enfant en volonté de possession plutôt qu'en don de soi. Tel est le noeud de nombre de difficultés qui apparaissent lors de l'établissement du lien entre parents et enfants, quand l'égoïsme nourrit la frustration et quand la frustration alimente la violence.

Personne n'est jamais sûr de savoir ni de pouvoir être un bon parent. Mais ce projet de loi rappelle à tous une exigence fondamentale : l'intérêt bien compris de l'enfant, qui suppose l'exercice d'une autorité juste et rassurante, doit toujours être la première préoccupation des parents.

Il n'incombe pas à la société d'élever les enfants. Elle doit seulement être présente pour venir à leur secours le plus tôt possible et le plus efficacement possible quand les limites sont ou risquent d'être dépassées, et de préférence avant qu'elles le soient. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Cette articulation entre la nécessaire responsabilité des parents et les missions de la protection de l'enfance est au coeur des défis qu'il nous faut relever. De ce point de vue, je suis convaincu que cette réforme permettra d'atteindre un bien meilleur équilibre que celui qui prévaut à l'heure actuelle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. André Lardeux, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le droit à la sécurité est un droit fondamental de toute personne humaine et l'État doit en être le garant, en particulier vis-à-vis des plus vulnérables. Or qui est plus vulnérable qu'un enfant, par nature totalement dépendant des adultes qui en ont la charge ?

C'est naturellement aux parents qu'il revient, en premier lieu, de veiller à la sécurité physique, matérielle et affective de leurs enfants et il est nécessaire de les soutenir dans cette mission. Mais, quand cette protection parentale est défaillante, les pouvoirs publics ont le devoir de prendre le relais, dans l'intérêt supérieur de l'enfant.

Tels sont, depuis toujours, les fondements de notre politique de protection de l'enfance. Ses principes sont largement partagés, comme la concertation engagée par le Gouvernement lors de la préparation du présent projet de loi l'a encore démontré.

Cependant, les drames récents de la maltraitance, largement médiatisés, et les informations relayées par les professionnels de terrain montrent que des failles existent, notamment en matière de repérage et de signalement des enfants en danger.

Comment comprendre qu'aujourd'hui encore certaines situations de maltraitance puissent passer inaperçues simplement parce que les indices laissés par l'enfant n'ont pas pu être recoupés ? Comment admettre que le secret professionnel, pourtant conçu comme un instrument de protection de l'individu, puisse encore se retourner contre l'enfant et faire obstacle à une intervention légitime pour le mettre à l'abri ?

Nos procédures de signalement sont en effet encore largement perfectibles. La coopération entre départements et autorité judiciaire, en particulier, demande à être renforcée : aujourd'hui, 20 % des signalements qui parviennent au juge émanent de personnes extérieures au dispositif départemental de coordination des signalements et, la plupart du temps, le président du conseil général n'en a pas connaissance.

Parmi ces signalements non transmis au département, beaucoup seront classés sans suite faute d'entrer dans les « cases » de la protection judiciaire, et beaucoup auraient nécessité un suivi social, qui ne viendra malheureusement jamais, les services sociaux n'étant pas informés de la situation.

De la rencontre avec les professionnels de terrain a également émergé le constat de la trop grande rigidité de nos modes de prise en charge. L'alternative actuelle, entre intervention à domicile et accueil de l'enfant à temps complet hors de son lieu de vie habituel, ne permet plus de répondre à la diversité des situations. S'agissant, plus particulièrement, de la protection judiciaire, elle apparaît comme un carcan puisque toute évolution, même ponctuelle, de la prise en charge suppose de repasser devant le juge.

Chacun s'accorde, enfin, à regretter la faiblesse des actions de prévention en matière de protection de l'enfance.

Les associations concourant à cette mission insistent sur la nécessité de passer d'un simple dispositif de traitement des difficultés familiales, souvent mis en oeuvre dans l'urgence, à un système fondé sur la promotion de la « bientraitance » et, par conséquent, sur le soutien à la parentalité.

La commission partage ces trois constats, établis lors de la concertation conduite par le Gouvernement pour préparer cette réforme de la protection de l'enfance.

Je tiens, d'ailleurs, à saluer la démarche que vous avez su mettre en oeuvre, monsieur le ministre : à partir de juin 2005, des débats avec les acteurs de terrain ont été organisés dans les deux tiers des départements et une douzaine de journées thématiques se sont déroulées à l'échelon national ; enfin, les 10 et 11 avril dernier, les premières assises nationales de la protection de l'enfance se sont tenues à Angers.

L'élaboration du projet de loi a également été précédée de nombreux rapports - je citerai simplement ceux de nos collègues M. Louis de Broissia, M. Philippe Nogrix et Mme Marie-Thérèse Hermange - dont les enseignements enrichissent le texte qui est soumis à notre examen.

Tirant la leçon du diagnostic établi lors de cette concertation, le projet de loi fixe trois objectifs : rendre plus efficace le signalement, sous le pilotage des départements ; diversifier les modes d'accueil des enfants afin de s'adapter à leurs besoins ; enfin, promouvoir une prévention précoce dans le domaine de la protection de l'enfance.

La commission approuve ces trois objectifs et estime que les mesures proposées dans le projet de loi permettent d'y répondre efficacement.

La création, dans chaque département, d'une cellule opérationnelle chargée de centraliser les informations préoccupantes transmises par les professionnels de la protection de l'enfance lui semble être un élément essentiel d'amélioration du repérage des mineurs en danger.

Elle permettra d'assurer la visibilité du dispositif départemental de signalement et constituera ainsi une structure de référence facilement identifiable pour le grand public. Elle devrait également autoriser les procédures de recoupement des signaux de maltraitance nécessaires pour mieux repérer les enfants en danger et favoriser le travail d'analyse de la situation, afin d'orienter l'enfant vers la prise en charge la plus adaptée.

Notre commission approuve l'ensemble des dispositions qui permettent d'assurer l'exhaustivité de l'information du président du conseil général sur les signalements.

Puisque les professionnels n'ont pas su acquérir seuls le réflexe d'informer le département quand ils saisissent directement la justice, la loi les y oblige désormais. C'est une bonne chose.

Cependant, le projet de loi ne va pas au bout de cette logique, et c'est regrettable. La commission estime ainsi indispensable que le département soit systématiquement informé de l'ensemble des saisines directes du juge, y compris lorsqu'elles viennent de particuliers.

M. Louis de Broissia. Absolument !

M. André Lardeux, rapporteur. Il doit également pouvoir obtenir un retour d'information sur les suites données à ces signalements.

Pour autant, l'information ne doit pas être à sens unique : je comprends l'agacement de certains maires qui signalent des familles en difficulté, mais ne parviennent jamais à savoir si une solution leur a été proposée.

La loi en vigueur pose déjà cette obligation de retour d'information dans le cas de professionnels ayant effectué un signalement. Il convient, à notre sens, de faire preuve de la même rigueur à l'égard des élus.

La commission apprécie également de manière favorable la solution équilibrée à laquelle sont parvenus les rédacteurs du projet de loi en matière de secret professionnel : les informations à caractère confidentiel pourront être partagées entre professionnels liés par le même devoir de discrétion, dans la limite de ce qui est strictement nécessaire pour assurer la protection de l'enfant.

Enfin, nous soutenons la proposition organisant la clarification des critères qui permettent d'orienter un enfant vers une protection soit administrative, soit judiciaire.

Le principe de subsidiarité de l'intervention du juge donne, enfin, un outil pour définir la ligne de partage entre ces deux modes de protection complémentaires.

En ce qui concerne la diversification des modes de prise en charge, la commission se réjouit que, dans le projet de loi, soit reconnue la validité de solutions innovantes comme l'accueil de jour ou encore l'accueil périodique ou exceptionnel, solutions déjà expérimentées par certains départements. Leur mise en oeuvre repose, jusqu'à présent, sur la bonne volonté de quelques magistrats et sur la bienveillance des conseils généraux, qui acceptent d'imaginer des formules de financement à la carte. Il était temps de leur donner une base légale.

S'agissant de ce point précis des modes de prise en charge, je m'attarderai un instant sur la question de l'accueil exceptionnel ou d'urgence.

Cette dernière formule, très originale, est plus spécifiquement destinée aux jeunes fugueurs : elle consiste en une mise à l'abri provisoire, d'une durée de soixante-douze heures, qui peut permettre de dénouer la crise.

La commission approuve la souplesse de ce dispositif, qui évite l'ouverture systématique d'une procédure d'admission à l'aide sociale à l'enfance, mais il lui paraît nécessaire d'en préciser un peu plus les modalités.

Parmi les nouveaux modes de prise en charge prévus dans le projet de loi, je citerai également la création d'une mesure administrative d'accompagnement en économie sociale et familiale, destinée à la prise en charge précoce des familles, avant l'intervention éventuelle d'une mesure de tutelle aux prestations familiales.

Cette innovation mérite d'être saluée, mais nous craignons les difficultés pratiques que sa mise en place risque de poser aux départements, car les professionnels capables d'assurer ce type de prestation sont pour l'instant faiblement représentés parmi les effectifs employés par les conseils généraux.

La commission se félicite, enfin, de l'esprit qui guide cette réforme des modes de prise en charge, quand elle s'attache à assurer la continuité de la prise en charge pour l'enfant et à associer ses parents, pour autant que cela soit conforme à l'intérêt de l'enfant, à la définition des mesures et à leur mise en oeuvre.

Témoigne de cette double préoccupation le document de prise en charge qui sera désormais obligatoire pour chaque enfant confié à l'aide sociale à l'enfance. Cette mesure traduit un vrai souci du respect des droits de l'usager ; il s'agit non d'un « contrat-sanction », mais de la traduction concrète du droit des parents à être informés et à consentir, autant que possible, à la prise en charge de leur enfant.

Pour ce qui est de la prévention précoce, la commission se reconnaît tout à fait dans l'objectif annoncé dans le projet de loi de multiplier les occasions de contact entre les familles et les professionnels, avant que les difficultés ne soient avérées.

À cet effet, le texte s'appuie sur la protection maternelle et infantile, qui voit ses missions étendues au-delà de la prévention sanitaire jusqu'à une forme de prévention sociale.

Notre commission accorde un intérêt tout particulier à deux des nouveaux moyens d'action mis à sa disposition : d'une part, l'entretien obligatoire pour les femmes enceintes au cours du quatrième mois de grossesse, pour repérer celles qui pourraient avoir besoin d'un soutien particulier à l'occasion de la naissance de leur enfant ; d'autre part, la possibilité, pour les services de PMI, d'entrer en contact avec les parents dès la maternité, afin de leur proposer un suivi à domicile pendant les suites de couches.

Il s'agit d'apporter aux jeunes parents un soutien matériel et psychologique dans ce grand moment de fragilité que constitue le retour à la maison après la naissance d'un enfant.

Ce souci de développer la prévention nous conduira d'ailleurs à proposer quelques mesures supplémentaires, notamment pour mieux y associer la médecine scolaire.

M. Louis de Broissia. Très bien !

M. André Lardeux, rapporteur. La prévention ne doit pas, en effet, s'arrêter à la petite enfance, avec la fin de la compétence des PMI. Il serait même particulièrement utile de se fixer d'autres rendez-vous, par exemple lors de l'entrée au collège, qui signe également l'entrée dans l'adolescence, et qui constitue un moment clé pour faire le point sur la situation de l'enfant.

Je ne saurais conclure mon propos sans aborder les aspects financiers de cette réforme.

Le Gouvernement en a évalué le coût annuel à 150 millions d'euros, lorsque le dispositif fonctionnera à plein, d'ici à trois ans.

Dans le contexte budgétaire difficile que connaissent les départements, avec l'explosion des dépenses liées au RMI et l'augmentation rapide de la nouvelle prestation de compensation du handicap, la commission considère qu'il faut leur donner les moyens de mettre en oeuvre cette réforme très attendue sans avoir à alourdir encore la fiscalité locale.

C'est pourquoi elle proposera de compenser ces charges nouvelles pour les départements.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission vous demande, mes chers collègues, d'adopter ce projet de loi, complété par les amendements que je vous présenterai en son nom. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)