PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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RAPPels au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas About, pour un rappel au règlement.

M. Nicolas About. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a une quinzaine de jours, nous adoptions en première lecture le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, en particulier l'hospitalisation sans consentement, dans le but d'améliorer la protection des droits et la sécurité des personnes.

Permettez-moi d'évoquer devant vous des faits précis.

Mardi dernier, à seize heures trente, une personne handicapée, estimant qu'elle était spoliée de ses droits, est venue dénoncer devant l'Assemblée nationale, à l'aide d'une pancarte, le sort que lui réservait l'UNEDIC ;  quelques minutes plus tard, elle était saisie par neuf policiers, dont trois en civil, et emmenée à l'hôpital Georges-Pompidou.

À une heure du matin - l'hôpital n'a sans doute pas souhaité le garder -, cet homme a été transporté à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, 3, rue Cabanis. Déshabillé, mis en cellule, privé de toute possibilité de joindre ses proches, cet homme est resté jusqu'au lendemain matin à attendre l'arrivée du psychiatre, qui n'aura mis que dix minutes pour reconnaître qu'il n'avait aucun doute sur l'intégrité psychique et psychologique de la personne examinée. Il est regrettable que les policiers ne s'en soient pas aperçus dans le même délai !

Madame la présidente, je souhaite que la souffrance et la solitude des plus faibles ne soient plus prises pour de la folie, et, en tous les cas, que les débats que nous avons et les textes que nous votons servent à les protéger.

Pouvez-vous, madame la présidente, attirer l'attention des ministres de l'intérieur et de la justice sur cette affaire révoltante et faire en sorte que ce qui est arrivé à M. Langeron ne se reproduise plus ? Il est très important de veiller, à l'avenir, à renforcer la protection des personnes.

Je souhaite que des comptes nous soient rendus avant que nous ayons à examiner en deuxième lecture le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance. À défaut, nous pourrions adopter d'autres mesures pour mieux protéger les personnes saines. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Je vous donne acte de votre rappel au règlement, mon cher collègue. La Haute Assemblée sera attentive aux suites qui seront données à cette affaire.

La parole est à M. le ministre.

M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités. Monsieur About, ce que vous venez de dire est grave. Je ne sais pas quelle connaissance précise vous avez de ces faits, aujourd'hui portés à notre connaissance.

M. Nicolas About. Cet homme est un ami proche !

M. Xavier Bertrand, ministre. Vous avez interpellé les ministres de l'intérieur et de la justice. Je me sens bien évidemment aussi concerné, étant moi-même chargé, en tant que ministre de la santé, de l'AP-HP et donc de l'hôpital Georges-Pompidou.

Il est important, non seulement de faire toute la lumière sur cette affaire, mais aussi de veiller à éviter tout amalgame- je ne parle évidemment pas pour vous, monsieur About -entre la prévention de la délinquance et la prise en charge des plus démunis, en l'occurrence, des plus faibles.

Mais je sais que nous avons en commun, monsieur About, le souci d'éviter toute confusion à cet égard.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales, pour un rappel au règlement.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Avant que nous abordions la suite de nos travaux, je souhaiterais, cette fois en tant que président de la commission des affaires sociales, répondre au rappel au règlement que M. Bel, président du groupe socialiste, a fait avant-hier, pour protester contre la non-inscription à l'ordre du jour réservé du 17 octobre de la proposition de loi déposée par Michel Dreyfus-Schmidt et plusieurs de ses collègues relative aux droits des parents séparés en cas de garde alternée des enfants, prévoyant un partage des allocations familiales entre les détenteurs de l'autorité parentale.

Je voudrais rassurer M. Bel : si la conférence des présidents du 11 octobre décide l'inscription de cette proposition de loi à l'ordre du jour réservé du 17 octobre, la commission des affaires sociales sera tout à fait prête à la rapporter.

Comme je l'ai clairement indiqué lors de la dernière conférence des présidents, nous sommes à la disposition du Sénat.

Mme la présidente. Je vous donne acte de votre rappel au règlement, mon cher collègue. Je vous remercie d'avoir répondu aux interrogations de M. Bel, qui intéressent l'ensemble des sénateurs.

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Candidature à un organisme extraparlementaire

Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du conseil d'administration du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres.

La commission des lois a fait connaître qu'elle propose la candidature de M. Simon Sutour pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.

Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.

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Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un ordre national des infirmiers
Discussion générale (suite)

Création d'un ordre national des infirmiers

Adoption d'une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un ordre national des infirmiers
Motion d'ordre

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant création d'un ordre national des infirmiers (nos390, [2005-2006], 1).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que vous allez examiner est un texte attendu, très attendu, par les 460 000 infirmiers et infirmières de notre pays. Il créera l'ordre national des infirmiers, dont les représentants, élus par la profession, seront chargés d'élaborer les règles de déontologie, de les faire respecter et de concourir à la diffusion des règles de bonne pratique professionnelle.

Cette proposition de loi a été adoptée par les députés des groupes UMP et UDF à l'Assemblée nationale. Je veux ici rendre hommage au travail d'écoute et de concertation du rapporteur à l'Assemblée nationale, Mme Maryvonne Briot, et de l'auteur de la proposition de loi, M. Richard Mallié. Ce travail a permis d'élaborer un texte qui correspond aux attentes de la profession.

L'ordre des infirmiers doit répondre aux aspirations de l'ensemble des infirmiers, quels que soient leur statut ou leur mode d'exercice.

La profession infirmière occupe une fonction centrale dans la chaîne de soins. Au sein des établissements de santé, en collaboration avec les médecins qui y exercent, les infirmiers mettent en oeuvre des techniques et des protocoles toujours plus pointus, qui nécessitent des compétences et une formation toujours plus spécialisées. En exercice libéral ou au sein des services de soins à domicile, ils sont des intervenants essentiels pour le maintien à domicile des personnes les plus âgées et les plus faibles.

Les infirmiers et infirmières jouent également un rôle décisif dans toute politique de prévention ambitieuse. Leur implication est indispensable dans l'éducation thérapeutique et le suivi des malades chroniques, et l'apport de leur culture du soin est primordial dans la prise en charge des malades en soins palliatifs.

Les infirmiers et infirmières attendent donc une reconnaissance de leur profession à la hauteur de leur apport au système de santé. Ils veulent en maîtriser les enjeux éthiques, comme ceux qui portent sur la qualité de leur pratique.

Le texte qui vous est proposé répond à ces attentes. Fruit de la concertation engagée à ma demande par M. Édouard Couty et de celle menée à l'occasion de l'examen de la proposition de loi par le Parlement, ce texte traduit avant tout une volonté d'équilibre.

Le premier point de cet équilibre a trait au champ de compétence de l'ordre. Cet ordre sera chargé d'élaborer les règles de déontologie régissant les rapports entre infirmiers et patients et entre infirmiers eux-mêmes. Il sera également chargé de les faire respecter, au travers des chambres disciplinaires. Mais la compétence de l'ordre ne s'arrête pas là ; il est aussi chargé, avec la Haute autorité de santé, d'organiser l'évaluation des pratiques professionnelles et de diffuser les règles de bonne pratique. Il pourra enfin contribuer au débat, important, sur l'évolution de la démographie de la profession.

Les missions de l'ordre sont ainsi clairement distinctes de celles des syndicats qui, pour les salariés comme pour les infirmiers libéraux, conservent bien entendu leur pleine vocation de défense des intérêts des professionnels.

Le deuxième point de cet équilibre a trait à la représentation, au sein de l'ordre, des divers modes d'exercice. L'ordre doit assurer une représentation à la fois unitaire et fidèle de la profession. L'objectif est, je crois, atteint. Les conseillers ordinaux seront élus au sein de trois catégories représentant les trois principaux modes d'exercice - les salariés du secteur public, ceux du privé et les infirmiers libéraux -, mais aucune catégorie n'aura à elle seule la majorité des sièges, ce qui garantit la prise en compte des aspirations de l'ensemble de la profession.

Représentant l'ensemble des infirmiers, l'ordre devra être financé, pour assurer son indépendance, par une cotisation de tous les professionnels. Cette cotisation devra être modique - j'ai eu l'occasion de l'indiquer à différentes reprises -, c'est-à-dire forcément symbolique.

Le troisième point d'équilibre porte sur la structuration de l'ordre en trois échelons, départemental, régional et national. La concertation préalable à la loi a en effet montré le besoin de structures de proximité et d'un échelon départemental, qui se justifie largement par le nombre des professionnels et leur répartition sur le territoire.

La commission des affaires sociales, y compris vous-même, madame le rapporteur, s'est appuyée sur ces trois lignes de force pour améliorer la cohérence d'ensemble du texte. Je veux saluer tout particulièrement votre travail, madame Desmarescaux, un travail méthodique et approfondi qui s'accompagne d'une véritable vision des enjeux de la profession.

Je voulais mentionner un quatrième point, essentiel, mais qui ne figure pas dans ce texte, puisqu'il peut être mis en oeuvre par voie réglementaire. J'ai évoqué la mission de concertation confiée à M. Édouard Couty. Ses conclusions étaient claires : elles préconisaient à la fois la création d'un conseil national infirmier chargé de représenter la profession, d'établir ses règles déontologiques et de les faire respecter, et la création d'un haut conseil des professions paramédicales, destiné à remplacer l'actuel Conseil supérieur des professions paramédicales, qui n'est plus adapté.

Certains ne voudraient que d'un ordre sans conseil interprofessionnel, d'autres que d'un conseil interprofessionnel sans ordre. Les deux sont en fait indispensables. Au fur et à mesure que les professions se structurent, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, infirmiers maintenant, le besoin d'une organisation interprofessionnelle plus forte, traitant des sujets communs à l'ensemble des professions, est plus grand.

Toutes les organisations membres du Conseil supérieur des professions paramédicales ont été consultées. Comme je m'y étais engagé, le décret nécessaire à la création d'un haut conseil des professions paramédicales cheminera parallèlement à cette proposition de loi et sera publié avant la fin de l'année.

Je voudrais, à ce stade, évoquer un autre conseil interprofessionnel, le Conseil interprofessionnel des professions paramédicales, créé par la loi du 4 mars 2002. Il n'a jamais fonctionné et la création des ordres propres aux masseurs-kinésithérapeutes, aux podologues et aux infirmiers le rend de fait caduc. Vous allez proposer, madame le rapporteur, d'en tirer toutes les conséquences et de supprimer ces dispositions. Sachez d'avance que le Gouvernement vous soutiendra dans cette initiative.

La création de cet ordre, mesdames, messieurs les sénateurs, n'est que l'un des aspects de la politique que nous menons pour valoriser à sa juste mesure le métier d'infirmier.

Vous allez dans quelques semaines examiner le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il comportera une disposition attendue par la profession, la reconnaissance du droit de prescrire des dispositifs médicaux. C'est une mesure de reconnaissance de la pleine compétence des infirmiers dans ce domaine, c'est aussi une mesure de simplification pour les infirmiers, les médecins et les patients. Ce premier pas en appelle d'autres, qui devront être largement concertés avec les différentes professions.

La valorisation de la profession passe également par une politique sociale et statutaire plus ambitieuse. S'agissant des infirmiers exerçant en établissement de santé, je viens de conclure le cycle de négociations entamé le 27 janvier dernier avec l'ensemble des organisations syndicales représentatives de la fonction publique hospitalière. Un protocole d'accord sera proposé à leur signature le 19 octobre prochain.

Nous aurons dans les prochaines années à faire face à un choc démographique sans précédent puisque la moitié ou presque des effectifs hospitaliers partiront à la retraite d'ici à 2015.

Il nous faut tout faire pour donner envie non seulement d'entrer dans la profession, mais aussi et surtout de rester dans la profession, car notre volonté, donc notre politique, est d'éviter dans les années qui viennent toute crise des vocations. Mon ambition est à la fois d'agir sur le début des carrières et de prolonger la réflexion sur les fins de carrière.

Pour valoriser ces métiers, nous comptons non seulement rénover les statuts, améliorer le déroulement de carrières et le régime indemnitaire, mais aussi agir sur les conditions de travail.

Nous voulons ainsi réactiver les contrats locaux d'amélioration des conditions de travail pour, entre autres choses, réduire la pénibilité - mot qui pour moi n'est pas tabou s'agissant des infirmiers et infirmières -, prévenir les risques professionnels, la violence, et garantir l'hygiène et la sécurité au travail.

Nous comptons aussi donner accès à des facilités comme les crèches, par exemple en mutualisant plus que ce n'est le cas aujourd'hui les crèches relevant des établissements hospitaliers, de l'État ou des collectivités territoriales, voire des entreprises privées. J'envisage aussi d'améliorer l'accès au logement, en particulier dans les régions où les loyers sont élevés, notamment par la construction de logements sociaux locatifs supplémentaires.

Nous devons ainsi créer un meilleur environnement professionnel, car nous savons bien qu'aucun discours ne suffira si les choses ne changent pas sur le terrain. Notre objectif est donc de faciliter l'entrée dans la profession, mais aussi de penser tout particulièrement à la seconde partie de la carrière, et vous m'excuserez d'y insister autant ; car, même si les motivations sont intactes, on n'a pas forcément les mêmes capacités de travail à vingt-cinq ou à cinquante-deux ans, en raison notamment de la pénibilité que j'évoquais à l'instant.

Nous devons montrer que les choses changent pour les hospitaliers. C'est pourquoi le métier d'infirmier aura toute sa place dans la grande campagne de valorisation des métiers de l'hôpital qui sera lancée le 9 octobre prochain.

Tout cela participe de notre volonté de créer des conditions favorables au recrutement et à la pérennisation de l'emploi infirmier.

Vous savez combien je suis sensible à la question de la démographie des professions de santé ; aussi, je souhaite que nous analysions les besoins de la profession pour les années à venir, région par région. Je veux être sûr, tout comme vous, que le quota de places en instituts de formation en soins infirmiers, IFSI, actuellement fixé à 30 000, est bien suffisant, non seulement pour aujourd'hui ou demain, mais aussi pour après-demain. Je demanderai donc dans les semaines à venir à un conseiller général des établissements de santé d'expertiser cette question, bien sûr dans un cadre concerté, et de porter toute son attention sur les infirmiers spécialisés, en particulier les infirmiers anesthésistes et les infirmiers de bloc opératoire diplômés d'État, les IADE et les IBODE, ainsi que sur ceux qui choisissent de travailler en psychiatrie. Car il ne sera plus temps, dans cinq ans ou dans dix ans, de regretter de ne pas avoir accepté aujourd'hui de relever ces quotas : je veux que la question soit tranchée dès maintenant.

S'agissant des infirmières libérales, il est indispensable que les négociations entre l'assurance maladie et la profession débutent rapidement - débutent enfin. L'enquête de représentativité, qui doit déterminer les syndicats habilités à négocier avec l'assurance maladie, sera achevée au mois d'octobre. Par ailleurs, je viens d'écrire au directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, l'UNCAM, afin qu'il engage immédiatement les négociations avec les syndicats représentatifs, que ce soit sur l'évolution des indemnités kilométriques, sur l'évolution de la nomenclature, ou encore sur le développement de la démarche de soins infirmiers. C'est avant tout une question de reconnaissance pour ces professionnels.

M. Charles Revet. C'est tout à fait important !

M. André Ferrand. Très bien !

M. Xavier Bertrand, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, il s'agit d'un moment important pour les infirmiers et infirmières de France, celui qui confère à leur profession le moyen de s'organiser de façon autonome et de prendre davantage leur avenir en main. C'est cet ordre, porteur des valeurs essentielles de la profession, l'humanisme, l'éthique, le professionnalisme, l'attention au patient, que vous êtes appelés à créer aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Charles Revet. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que l'ordre du jour nous conduit à examiner aujourd'hui a pour objet de créer un ordre professionnel pour les 450 000 infirmiers que compte notre pays.

Sans qu'il faille en faire un argument décisif, l'aspect numérique du débat n'est pas négligeable. À titre de comparaison, l'effectif des infirmiers équivaut au double de celui des médecins ; il est aussi infiniment supérieur à celui des pharmaciens, des sages-femmes, des masseurs-kinésithérapeutes et des pédicures-podologues, autant de professions qui disposent déjà d'une structure ordinale pour leur représentation, la fixation des règles déontologiques et le règlement des contentieux disciplinaires.

L'absence d'un ordre infirmier apparaît plus singulière encore au regard du rôle dévolu aux infirmiers dans le système de santé, notamment auprès des malades âgés ou en soins palliatifs et dans les domaines de la prise en charge de la douleur et de la prévention, rôle d'ailleurs reconnu et renforcé par la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, qui a favorisé le développement des délégations de soins entre professionnels de santé.

Plus que jamais, la profession d'infirmier a donc besoin aujourd'hui d'une meilleure reconnaissance, en cohérence avec les fonctions qu'elle assume désormais, et d'un cadre déontologique adapté aux nouveaux enjeux de qualité et de permanence des soins. De fait, le respect des règles éthiques et des bonnes pratiques professionnelles est loin d'être assuré, la fixation des principes déontologiques par les décrets de 1993 ne s'étant pas accompagnée de la création d'une instance de contrôle et de sanction.

Devant ce constat, la mise en place d'un ordre professionnel constitue depuis plusieurs dizaines d'années une revendication forte des infirmiers libéraux, qui, plus que leurs confrères exerçant en établissement de santé, sont confrontés aux carences de la profession en matière tant de discipline interne que de représentativité.

Depuis 1996, cette attente s'est traduite par plusieurs initiatives parlementaires, dont aucune à ce jour n'a abouti. La raison de ces échecs a longtemps tenu aux réticences d'une partie de la profession. Je rappelle que celle-ci comporte une part largement majoritaire d'agents publics travaillant dans les hôpitaux et de salariés des établissements de santé privés, les infirmiers libéraux, fervents défenseurs d'une structure ordinale, représentant moins de 15 % de la profession. Or, les fonctionnaires et les salariés, qui disposent déjà d'un cadre disciplinaire défini par leurs statuts, ont longtemps considéré comme inutile et coûteuse la création d'une telle instance.

Cependant, ces positions de principe ont fortement évolué, et un consensus s'est progressivement dégagé sur le caractère insuffisant du système institutionnel actuel, sur les carences présentées par la procédure disciplinaire et sur la nécessité de mieux reconnaître l'identité et la compétence professionnelle des infirmiers. Telles sont aussi les conclusions de la mission de médiation que vous avez mise en place, monsieur le ministre, au début de cette année.

La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale le 13 juin dernier constitue la traduction législative de ce nouveau consensus puisqu'elle vise la création d'un ordre national des infirmiers chargé des traditionnelles missions ordinales de contrôle de la déontologie et de défense des intérêts de la profession, mais aussi du suivi de la démographie et de l'évaluation des pratiques professionnelles.

Ainsi, les infirmiers français disposeront enfin, comme la plupart de leurs homologues européens, d'une instance capable de les représenter aux niveaux national et international. C'est désormais nécessaire, ne serait-ce que si l'on se réfère à la situation de la France au sein du Conseil international des infirmiers, qui compte 112 membres : en raison de la fragmentation des associations représentatives nationales, notre pays n'y occupe aujourd'hui que la 37e place, alors qu'il est celui où exercent le plus d'infirmiers.

L'ordre rassemblera de manière obligatoire l'ensemble des infirmiers, à l'exclusion des infirmiers militaires. Il assurera ses missions, comme l'a précisé M. le ministre, par le biais de trois échelons territoriaux - départemental, régional et national - et sera financé par la cotisation de ses membres.

Ses conseils comprendront chacun un nombre égal de membres titulaires et suppléants, calculé en fonction du nombre de professionnels établis sur leur territoire. Ceux-ci les éliront par catégorie : fonctionnaires, salariés du secteur privé ou infirmiers libéraux. À cet égard, l'Assemblée nationale a souhaité qu'aucune catégorie professionnelle, quelle que soit son importance numérique, ne puisse détenir la majorité des sièges afin d'éviter une surreprésentation des fonctionnaires dans les instances ordinales.

S'il est prévu que le conseil départemental soit plus particulièrement chargé des missions administratives de l'ordre, le règlement des contentieux sera confié aux conseils régionaux et au conseil national. Le conseil régional comprendra ainsi en son sein une chambre disciplinaire de première instance, compétente pour les infirmiers libéraux et les fonctionnaires qui seront déférés par les autorités habilitées. Pour les salariés du privé, l'employeur sera seulement tenu de prévenir le président du conseil national de toute sanction disciplinaire prononcée en raison d'une faute professionnelle. Le conseil national de l'ordre, pour sa part, comprendra une chambre disciplinaire nationale d'appel dont les décisions seront susceptibles de recours devant le Conseil d'État.

J'observe enfin que, si la proposition de loi ne mentionne plus l'existence de conseils interrégionaux - on a sans doute estimé, et c'est assez légitime, que la région constitue le seul échelon pertinent pour la mise en oeuvre des politiques de santé -, elle a conservé les références aux interrégions existant pour les autres ordres professionnels. Il en résulte que la possibilité de créer de telles instances pour l'ordre des infirmiers demeure. La commission s'en félicite dans la mesure où la plupart des ordres sont aujourd'hui dotés de ce type de structures lorsque le nombre de praticiens est trop faible sur un territoire donné : c'est notamment le cas outre-mer, où des conseils interrégionaux existent, par exemple pour les médecins et les chirurgiens-dentistes de la Réunion-Mayotte et des Antilles-Guyane.

À ce sujet, monsieur le ministre, la commission, sollicitée par les infirmiers et les élus de Nouvelle-Calédonie, souhaite que le projet de loi relatif à l'outre-mer que nous serons amenés à examiner dans les prochaines semaines prévoie la possibilité de créer en Nouvelle-Calédonie un ordre des infirmiers qui dépendrait du conseil national de l'ordre de métropole pour les questions disciplinaires.

Les auditions organisées par la commission ont révélé l'ampleur des besoins des infirmiers et l'ont convaincue de l'utilité de créer une instance ordinale. Elle proposera toutefois d'améliorer son dispositif sur deux points : par souci d'efficacité, d'abord, et pour organiser la compétence disciplinaire du futur ordre à l'égard de l'ensemble de la profession, en prévoyant que les infirmiers salariés du secteur privé relèvent aussi de ses chambres disciplinaires en cas de faute professionnelle ; par souci de cohérence, ensuite, en suggérant de supprimer le conseil national des professions paramédicales.

Ce dernier conseil, créé par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, n'ayant jamais vu le jour faute de décrets, la participation des infirmiers y est totalement virtuelle. Dans le texte qui nous est soumis, il est proposé que, lorsque les infirmiers auront un ordre, ils seront exclus de cette instance, ce qui paraît logique. Pourtant, une option différente avait été retenue en 2004 pour les masseurs-kinésithérapeutes et les pédicures-podologues : malgré la création de leurs ordres respectifs, ils sont demeurés membres de l'assemblée interprofessionnelle du conseil. La situation ubuesque qui résulte aujourd'hui de la succession de textes relatifs à la représentation des professions paramédicales appelle à mon sens une solution radicale : la suppression d'un conseil qui ne me semble plus être de grande utilité.

En effet, les orthophonistes et les orthoptistes, dorénavant les seules professions paramédicales dépourvues de structure ordinale, nous ont fait savoir qu'ils préfèrent que les règles déontologiques soient fixées par la voie réglementaire et que le respect en soit assuré par l'autorité judiciaire. Nous souhaitons, monsieur le ministre, que vous puissiez prendre l'engagement devant la Haute Assemblée de satisfaire sans délai cette exigence légitime.

Je voudrais, pour conclure, saluer le travail de concertation mené depuis plusieurs mois par nos collègues députés Maryvonne Briot et Richard Mallié avec les associations et les syndicats infirmiers, ainsi qu'avec vous, monsieur le ministre.

La possibilité est envisagée d'organiser les premières élections ordinales dès le premier semestre de l'année prochaine. Nous souhaitons que cette échéance puisse être respectée. C'est pourquoi, mes chers collègues, au nom de la commission des affaires sociales, je vous invite à adopter cette proposition de loi, attendue par une profession dont nous reconnaissons tous le rôle essentiel dans notre système de santé. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Motion d'ordre

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un ordre national des infirmiers
Discussion générale

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Pardonnez-moi, madame la présidente, d'interrompre quelques instants la discussion générale, mais je me dois d'indiquer d'emblée notre souhait de modifier l'organisation de nos débats.

En examinant les amendements extérieurs, la commission des affaires sociales a en effet constaté que, sur l'article 1er, trente et un d'entre eux se trouvaient en discussion commune du fait de l'existence d'un amendement de suppression, portant le numéro 20, présenté par Claude Domeizel. C'est là une situation classique, résultant d'une procédure traditionnelle, mais qui, en l'espèce, risque de rendre bien complexes la discussion et le vote de cet article.

C'est pourquoi je demande au Sénat de bien vouloir accepter de disjoindre l'examen de cet amendement de suppression. Ainsi, nous l'examinerions en premier lieu et, s'il devait ne pas être adopté par notre assemblée, nous procéderions à l'examen des amendements suivants dans l'ordre du texte, soit un par un lorsqu'ils se rapportent à des sujets distincts et que leur vote reste sans effet sur les autres, soit en discussion commune lorsqu'ils relèvent d'une même thématique.

Je précise que, lors de la réunion de la commission des affaires sociales, j'ai informé de cette démarche nos collègues de tous les groupes, notamment ceux du groupe socialiste, dont émane l'amendement n° 20. Je crois pouvoir dire qu'ils ont partagé cette analyse et soutenu la solution que je préconise.

M. Jean-Pierre Godefroy. Je le confirme !

Mme la présidente. Il n'y a pas d'opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

Discussion générale (suite)

Motion d'ordre
Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un ordre national des infirmiers
Article 1er

Mme la présidente. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Madame la président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quoi que certains nous en disent, la proposition de loi que nous nous apprêtons à examiner ne fait pas consensus. Pour preuve, c'est déjà la troisième fois depuis le début de cette législature que le Parlement est saisi de la création d'un ordre national des infirmiers !

Jusqu'à présent, monsieur le ministre, vous encouragiez les assemblées à reporter à plus tard l'examen de cette question,...

M. Xavier Bertrand, ministre. Pas moi !

M. Guy Fischer. ...mais le rapport de force semble aujourd'hui avoir évolué : il est apparemment devenu plus favorable à quelques organisations d'infirmières et d'infirmiers libéraux qui, bien qu'ultraminoritaires, ont néanmoins réussi à nous imposer à nouveau ce débat...

Certes, la profession infirmière est confrontée à de nombreuses difficultés, principalement en matière de reconnaissance, de formation, de statut ou encore de salaire, et les réformes nécessaires sont nombreuses, ne serait-ce que parce que ce métier évolue en permanence, avec la science mais aussi avec la société dans son ensemble.

Cette profession subit d'importantes mutations, souvent contre son gré : elle est à notre sens l'une des nombreuses victimes de la politique de santé publique menée par la présente majorité.

D'un côté, les infirmiers se trouvent déqualifiés et mis en concurrence avec d'autres professions,...

M. Xavier Bertrand, ministre. Lesquelles ?

M. Guy Fischer. ...en particulier dans le domaine des services à la personne, évolution qui se produit malheureusement parfois au détriment de la qualité des soins dispensés aux personnes âgées, privées du savoir-faire des infirmiers et infirmières.

M. Xavier Bertrand, ministre. Certainement pas !

M. Guy Fischer. La situation est particulièrement difficile, parfois même dramatique, dans les EPAD, les établissements pour personnes âgées dépendantes.

D'un autre côté, les infirmiers et infirmières sont de plus en plus sollicités pour pallier les manques de médecins - vous avez d'ailleurs formulé à cet égard des propositions qui seront examinées dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale dans quelques semaines - ou de personnels spécialisés et voient ainsi augmenter, bien malgré eux, les risques qu'ils encourent en termes de responsabilité. Encore convient-il d'ajouter que ces responsabilités sont assumées en toute connaissance de cause, comme nous avons pu le constater lors des auditions.

Les infirmiers voient ainsi, hélas ! leur profession « écartelée » par les incohérences des politiques menées par cette majorité.

Il est toutefois regrettable que certains veuillent utiliser les difficultés professionnelles auxquelles ils sont confrontés ou leurs légitimes interrogations face à l'avenir pour imposer la création d'un ordre infirmier qui ne sera au service que du plus petit nombre.

Non seulement la création d'un ordre ne se justifie d'aucune manière mais on est en droit de craindre qu'elle n'amène pour l'immense majorité de ces professionnels bien plus de difficultés que d'améliorations.

Nous rejoignons les organisations syndicales et les associations d'infirmiers, qui estiment à la quasi-unanimité...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Combien de professionnels représentent-elles ?

M. Guy Fischer. ...que la création de cet ordre ne répondra pas du tout efficacement aux nombreuses interrogations auxquelles est soumise cette profession.

Si la création d'un ordre ne se justifie aucunement, cela s'explique avant tout par la répartition professionnelle.

Sur 460 000 professionnels, tous secteurs confondus, seuls 80 000 relèvent exclusivement du secteur libéral, ce qui signifie que près de 86 % des infirmiers exercent en établissements, publics ou privés.

Or il n'est pas inutile de rappeler après Mme le rapporteur que les ordres, comme l'ordre des médecins ou celui des sages-femmes, se justifient ou se sont justifiés dans le passé par la spécificité de professions exercées presque exclusivement de manière libérale.

M. Guy Fischer. Pour ces professions, l'existence d'un ordre pouvait trouver sa justification dans la nécessité de pallier les carences liées à l'absence de structures collectives.

On est bien loin de ces cas avec les infirmiers : le monde infirmier ne souffre certainement pas d'une absence de structures ou d'encadrement puisque le métier s'exerce déjà dans des cadres institutionnels très réglementés, que ce soit dans le domaine public ou dans les établissements privés.

Je relèverai quelques points spécifiques.

L'ordre aurait compétence pour étudier les questions concernant l'exercice de la profession.

Mais les règles professionnelles existent déjà, qu'elles soient fixées par les statuts de la fonction publique ou par les conventions collectives !

J'ajoute que, avant les regroupements, 120 associations professionnelles ou syndicales représentaient les infirmiers.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est beaucoup !

M. Guy Fischer. L'ordre aurait des compétences en matière disciplinaire.

Mais les infirmiers sont déjà soumis, en cas de faute ou de présomption de faute, au conseil de discipline ou aux autres instances judiciaires !

La loi, et notamment les procédures pénales qu'elle prévoit, encadre déjà le travail des infirmières et infirmiers. Pourquoi ajouter encore une instance de discipline ?

Et ce n'est pas tout : l'ordre aurait compétence pour préparer un code de déontologie.

Mais, là encore, les bases légales existent déjà puisque les règles professionnelles sont définies dans un texte qui constitue un véritable code de déontologie.

Enfin, l'ordre pourrait organiser toute oeuvre d'entraide et de retraite.

Mais les infirmiers peuvent, comme tous les autres citoyens, disposer du système de solidarité nationale. Pourquoi mettre en place des dispositifs annexes ou subsidiaires s'ajoutant à ceux qui existent ?

Décidemment, la création de cet ordre paraît bien hors de propos au regard des questions qu'il faudrait aborder, et il est regrettable que ce débat vienne court-circuiter les discussions de fond sur le métier infirmier.

Ce métier est en pleine mutation. Les moyens sont de plus en plus insuffisants alors que les besoins vont croissant. La population est vieillissante et la question de la dépendance se pose avec force. La précarité et la pauvreté qui, malheureusement, s'étendent dans notre pays conduisent aussi à l'augmentation des besoins en soins.

Parallèlement à ces besoins matériels et humains en hausse, les infirmiers et infirmières subissent de plein fouet les restrictions budgétaires et sont contraints de soumettre leurs pratiques à des objectifs d'économie et de rentabilité.

Il est regrettable d'opposer, de mettre dos à dos infirmiers libéraux et infirmiers salariés, ou encore infirmiers du secteur public et infirmiers du secteur privé. Cela ne correspond pas à la réalité, car, sur le terrain, il n'y a pas d'opposition de cette sorte entre les différentes organisations de personnels, qu'elles soient syndicales ou associatives.

Il est regrettable d'exploiter le malaise d'une profession attaquée de toute part dans ses fondements en montant les catégories professionnelles les unes contre les autres.

La création de cet ordre infirmier ne va décidemment pas dans le bon sens : au-delà des différents points que je viens d'aborder, comment justifier le caractère obligatoire de la cotisation pour adhérer à l'ordre ?

C'est un bouleversement profond et sans réelle justification de l'organisation de la profession. D'ailleurs, ce dont nous discutons est pratiquement ignoré par le plus grand nombre.

L'entrée dans le métier se faisait jusqu'à présent par l'obtention d'un diplôme, garant d'un niveau de qualifications et de compétences spécifiques. Avec l'adhésion obligatoire à l'ordre pour pouvoir exercer, on ajoute une étape supplémentaire qui ne se justifie aucunement.

Surtout, si l'adhésion est obligatoire, elle met en cause le libre droit de se syndiquer ou d'adhérer à une association quelconque. Qu'est-ce qui justifie une telle mise en cause des libertés fondamentales ?

Enfin, cette cotisation obligatoire, dont le montant pourrait être fixé à 40 euros, constituera une lourde charge supplémentaire pour des personnels dont le niveau de rémunération n'est pas très élevé.

Si cet ordre ne remplit des fonctions d'aide et de soutien qu'au bénéfice des personnels libéraux, pourquoi rendre cette cotisation obligatoire pour tous ? Pourquoi tous devraient-ils adhérer à une instance qui risque de surcroît de se révéler un outil de surveillance et de contrainte supplémentaire au lieu d'un outil de défense des droits ?

L'exemple des professions dans lesquelles existe un ordre devrait d'ailleurs plutôt nous inciter à nous méfier des risques que ferait peser sur les infirmiers la création d'un nouvel ordre.

Ainsi, pour les masseurs-kinésithérapeutes, le montant des cotisations ne cesse de s'élever - il doit passer à 200 euros l'an prochain - et l'ordre demande de plus en plus de moyens. Il serait étonnant qu'il n'en aille pas de même pour les infirmiers puisque l'on reçoit des demandes de budgets supplémentaires pour le fonctionnement de leur ordre alors que celui-ci n'est pas même créé !

Pourquoi ne pas donner des moyens aux organisations existantes plutôt que de créer une instance qui est loin d'avoir fait ses preuves dans les autres professions ? Je souligne par ailleurs que, depuis plusieurs années, un nombre croissant de médecins refusent de payer leur cotisation à l'ordre pour dénoncer l'inefficacité et l'opacité du système.

Plus généralement, l'expérience montre que les ordres s'occupent surtout de discipline et qu'ils laissent souvent le professionnel seul responsable des difficultés de son métier.

M. Xavier Bertrand, ministre. Que de préjugés !

M. Guy Fischer. En raison justement des difficultés, matérielles et humaines, croissantes d'exercice des professions médicales, nous nous opposons à l'instauration d'un organe supplémentaire de sanction des personnels qui ne prendrait pas en compte le cadre dans lequel leur métier s'exerce mais qui les ramènerait sans cesse à leur manquement à « l'honneur » de leur profession.

Cette individualisation des rapports professionnels est, ici comme ailleurs, dangereuse pour les travailleurs.

Si la majorité souhaite s'intéresser pleinement aux conditions d'exercice et de représentativité du monde infirmier, elle ferait mieux de renforcer les structures existantes, principalement en leur donnant de véritables moyens budgétaires pour leurs actions.

Je veux parler en particulier du Conseil supérieur des professions paramédicales, qui appelle à être rénové.

Le caractère « transprofessionnel » de ce conseil répond déjà plus directement aux enjeux de la médecine actuelle que le repli sur des logiques corporatistes.

De surcroît, les infirmiers de toute catégorie sont représentés dans ce conseil, et ce n'est pas parce que le Gouvernement freine à dégager les moyens nécessaires pour le rendre vraiment efficace qu'il faut le condamner et le rendre carrément inopérant.

Les structures existantes sont nombreuses ; elles sont le fruit de la longue histoire de la construction des professions paramédicales. Plutôt que d'imposer un ordre infirmier, il faut au contraire augmenter les moyens des structures existantes et mettre en place une véritable démocratie sanitaire en renforçant la représentativité des personnels, des syndicats et des associations professionnelles.

Nous demandons aussi que la profession se démocratise dans le domaine de la formation, par l'extension du droit aux formations continues et par des recrutements de personnels en nombre suffisant à l'issue de la formation initiale.

Ces différentes demandes ne seront certainement pas relayées par un ordre infirmier soucieux des intérêts d'une minorité. C'est pourquoi, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voterons résolument contre ce texte à l'opposé des attentes des personnels infirmiers.

Loin de nier la nécessité d'améliorer les conditions de travail et les moyens qu'il conviendrait de donner aux infirmières et aux infirmiers, nous croyons que, tout comme nous, ces derniers sont déçus de constater que, une fois encore, les enjeux de leur profession sont réduits à la question de la création d'un ordre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je dois vous avouer mon scepticisme à l'égard de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui. Ce n'est sans doute pas une surprise pour vous, monsieur le ministre !

Ce scepticisme est d'ailleurs général à l'égard des ordres, je dois bien le reconnaître,...

M. Xavier Bertrand, ministre. Même l'ordre juste ?

M. Jean-Pierre Godefroy. ...mais il est surtout dû à l'opportunité et à la méthode choisie pour la création de cet ordre-ci.

La France compte aujourd'hui 460 000 infirmiers, qui exercent dans nos hôpitaux, dans nos cliniques ou en libéral. Cela en fait la profession de santé la plus importante.

M. Xavier Bertrand, ministre. C'est exact !

M. Jean-Pierre Godefroy. Le rôle des infirmiers est essentiel dans la chaîne de soins, c'est évident. Leur professionnalisme et le dévouement en font également l'une des professions les plus appréciée de nos concitoyens.

M. Guy Fischer. C'est vrai !

M. Jean-Pierre Godefroy. Aujourd'hui, les infirmières et les infirmiers demandent la reconnaissance de leur identité et de leurs compétences ; c'est bien la moindre des choses. Or cela justifie-t-il pour autant la création d'un ordre ? À mon sens, la réponse est non, et ce pour plusieurs raisons.

La première raison concerne le rôle des infirmiers. Celui-ci ne se conçoit qu'au sein des équipes de soins. L'infirmier n'intervient en effet jamais seul auprès du patient ; son action est coordonnée, en fonction de la pathologie du patient, avec celle d'autres professionnels paramédicaux tels les aides-soignants, les kinésithérapeutes, etc. L'évolution du métier et des compétences des infirmiers impose non pas le refuge dans des corporatismes, mais le développement d'organisations interdisciplinaires aptes à évaluer les pratiques et à élaborer des règles professionnelles tournées vers un but commun : améliorer la qualité de notre système de santé.

C'est d'ailleurs ce que prévoyait l'article 71 de la loi du 4 mars 2002 relative au droit des malades et à la qualité du système de santé en instituant un conseil interprofessionnel des professions paramédicales regroupant les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes, les orthophonistes, les orthoptistes et les pédicures-podologues. En 1998, le rapport Brocas, puis, en 2000, le rapport Nauche considéraient qu'il s'agissait là de la mesure « la plus rationnelle pour réaliser les objectifs fixés -  règles communes, représentation nationale et régionale des professions, promotion du service rendu - en permettant une représentation collégiale et unifiée des professionnels paramédicaux ».

De par sa composition et ses missions, ce conseil interprofessionnel permettait ainsi d'exercer à la fois les fonctions traditionnelles dévolues aux ordres et des fonctions comparables à celles que remplissent les unions régionales des médecins libéraux. Au-delà des schémas classiques, ce conseil permettait d'innover et de moderniser la représentation de ces professions.

Je rappelle, à cet égard, qu'en 2002 la commission des affaires sociales avait jugé la création de ce conseil interprofessionnel tout à fait pertinente et que, dans son ensemble, la loi Kouchner avait été votée de manière consensuelle. Un changement de législature est malheureusement intervenu par la suite et, pendant ces cinq années, la volonté du Parlement n'a pas été respectée. Sans doute allez-vous me dire, monsieur le ministre, que le Parlement est saisi à nouveau de ce problème ; c'est vrai. Néanmoins, faire l'impasse pendant cinq ans, soit tout au long d'une législature, sur la volonté exprimée par celui-ci, rendant de ce fait son rôle inopérant...

M. Xavier Bertrand, ministre. Il ne faut pas exagérer !

M. Jean-Pierre Godefroy. ...et son vote non pas caduc, mais sans effet, est pour le moins contestable et nous conduit à nous interroger véritablement sur le rôle exact du Parlement.

M. Guy Fischer. C'est sûr !

M. Jean-Pierre Godefroy. Sans doute serait-il souhaitable d'avoir un vaste débat sur les décrets, mais cela fera certainement l'objet d'une autre discussion au sein de cet hémicycle.

M. Xavier Bertrand, ministre. Il n'y a pas de problème !

M. Jean-Pierre Godefroy. Ni vos prédécesseurs ni vous-même, monsieur le ministre de la santé, n'avez depuis cinq ans publié les décrets d'application de la loi de 2002, pourtant nécessaires. Vous êtes donc en partie responsable du vide dont vous vous prévalez aujourd'hui.

M. Guy Fischer. Eh oui !

M. Jean-Pierre Godefroy. Pire, vous vous êtes empressé de vider cet article de son sens en créant un ordre des masseurs-kinésithérapeutes, qui concerne 50 000 personnes, et un ordre des pédicures-podologues, qui touche à peine 10 000 personnes.

M. Xavier Bertrand, ministre. Ce sont donc les données chiffrées qui sont les plus importantes à vos yeux ?

M. Jean-Pierre Godefroy. Vous privilégiez ainsi une vision fractionnée de la chaîne de soins plutôt qu'une gestion globale en réseau, qui me paraît pourtant bien plus efficace que celle des individualismes corporatistes, notamment dans le cadre des efforts accomplis pour redresser les comptes de la sécurité sociale.

À ce stade de mon intervention, permettez-moi de faire un aparté - avec un peu de malice, mais sans méchanceté, soyez-en sûr - pour évoquer une question que j'ai soulevée auprès de vous à de multiples reprises. Ainsi, de courriers en questions écrites et orales, j'ai tout utilisé pour vous demander de publier les décrets d'application d'un autre article de la loi Kouchner, relatif à la reconnaissance de la profession d'ostéopathe. Or, à chaque fois, vous me promettiez une publication imminente de ces décrets et il ne se passait toujours rien !

M. Xavier Bertrand, ministre. Je n'ai jamais promis de publication imminente !

M. Jean-Pierre Godefroy. Finalement, c'est le Conseil d'État qui vous a enjoint de publier ces décrets avant le 23 novembre prochain sous peine d'astreinte. La date approche ; où en êtes-vous ? On entend tout et son contraire. Peut-être vous sentirez-vous enclin à publier ces décrets si je vous dis que, ce faisant, vous aurez alors tout loisir de créer un ordre supplémentaire pour les ostéopathes.

J'en reviens au texte proprement dit.

La deuxième raison de mon scepticisme tient à l'inadaptation du système proposé. En effet, la création d'un ordre est une demande des infirmiers libéraux, qui représentent grosso modo 14 % des professionnels concernés - l'on peut discuter de la fourchette qui semble se situer entre 15 % et 20 % -, ce qui, certes, est loin d'être négligeable.

Comme le souligne d'ailleurs parfaitement le rapport de la mission de concertation que vous avez confiée à M. Couty, les infirmiers salariés ne sont majoritairement pas favorables à la création de cet ordre, considérant que les missions qui lui seraient dévolues sont déjà assez largement prévues par la réglementation.

En premier lieu, le code de la santé publique définit déjà les modalités d'exercice de la profession d'infirmier, tant dans le secteur libéral que dans le secteur salarié, tout comme il définit déjà clairement les règles professionnelles et déontologiques de la profession.

En deuxième lieu, les règles de bonnes pratiques et l'évaluation des pratiques professionnelles relèvent de la Haute autorité de santé.

En troisième lieu, le suivi de la démographie et l'enregistrement des diplômes sont effectués par le ministère de la santé ; ce sont les DDASS qui assurent cet enregistrement au niveau départemental.

Enfin, en quatrième lieu, l'exercice illégal de la profession est depuis peu défini par l'ordonnance n°2005- 1040 du 26 août 2005.

La seule valeur ajoutée serait donc celle de la mise en place d'une procédure disciplinaire pour les infirmiers libéraux. Pourtant, le conseil interprofessionnel de la loi Kouchner prévoyait, lui aussi, la mise en place d'une procédure disciplinaire qui, il est vrai, fait aujourd'hui défaut. Or il suffisait de publier les décrets !

S'agissant des infirmiers salariés, nous sommes opposés, d'une part, à ce que je qualifierais la « double peine » introduite par l'Assemblée nationale pour les fonctionnaires et, d'autre part, à la proposition de la commission concernant les salariés du privé. Des institutions et des procédures existent dans les hôpitaux et les cliniques ; laissons-les fonctionner !

Pour ce qui est de la méthode, l'on peut également s'étonner qu'après avoir confié une mission de conciliation à un éminent spécialiste, et alors que celui-ci a fait des propositions équilibrées permettant de concilier les préoccupations de tous les acteurs concernés, vous avez décidé, monsieur le ministre, de ne pas suivre ces recommandations, préférant donner satisfaction aux infirmiers libéraux.

En début d'année, lorsque l'Assemblée nationale examinait la proposition de l'UDF, vous reconnaissiez l'existence d'un clivage...

M. Xavier Bertrand, ministre. C'est faux !

M. Jean-Pierre Godefroy. ...et prôniez la nécessité de trouver une solution acceptable par tous les infirmiers. Quelques mois plus tard, la concertation a eu lieu, mais le clivage existe toujours !

M. Xavier Bertrand, ministre. C'est faux !

M. Jean-Pierre Godefroy. Le consensus n'est plus d'actualité ! Tout au long d'un débat qui a duré quinze jours, c'est devenu une vérité !

M. Guy Fischer. Il faut écouter les minorités, monsieur le ministre !

M. Xavier Bertrand, ministre. Je vous écoute !

M. Jean-Pierre Godefroy. La création d'un ordre est en fait une solution réductrice. À mes yeux, elle ne permettra de répondre ni aux enjeux tels que la reconnaissance des évolutions de la profession d'infirmier, l'environnement professionnel, la formation et la place dans le système de santé, ni à ceux qui touchent aux conditions de travail - pénibilité, évolution des carrières, niveau des salaires, accès au logement. Elle ne réglera pas non plus, monsieur le ministre, le problème de la démographie paramédicale, qui va de pair avec la démographie médicale, car ce sont les mêmes territoires qui manquent cruellement de médecins et d'infirmiers.

En fait, l'organisation ordinale est peu propice au principe du travail en réseau et aux transferts de compétences. Elle ne favorisera en rien le nécessaire engagement d'une réforme des professions paramédicales. Au contraire, elle ne fera qu'accentuer les corporatismes que le Gouvernement critique régulièrement par ailleurs. Il est vrai que ce dernier stigmatise le plus souvent le « corporatisme » des fonctionnaires et qu'il sait se montrer beaucoup plus tolérant avec celui des professions libérales.

M. Guy Fischer. Voilà !

M. Jean-Pierre Godefroy. Au lieu de créer un ordre, ne serait-il pas temps de renforcer les structures existantes et de dynamiser les instruments actuels ? Je pense notamment au conseil supérieur des professions paramédicales. Pour ce faire, il eût été préférable de suivre les préconisations du rapport Couty, c'est-à-dire de commencer par donner au système institutionnel actuel les moyens de fonctionner. Mon collègue Serge Lagauche reviendra en détail sur les raisons qui nous amèneront à voter contre la création d'un ordre national des infirmiers. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, devenir infirmière ou infirmier, c'est embrasser une bien noble profession plébiscitée par notre population depuis des années sans que celle-ci soit toujours consciente de tout le dévouement, des compétences, des conditions de travail ainsi que des rémunérations de ces professionnels.

Si j'en parle aussi aisément, c'est parce que, voilà quelques années, j'ai exercé ce métier, et je ne suis d'ailleurs pas le seul ici dans ce cas.

M. Guy Fischer. En effet, moi aussi, je l'ai fait !

M. Jean-Jacques Jégou. D'autres, sur ces travées, ont suivi un parcours comparable au mien, toutes tendances confondues.

La création d'un ordre national des infirmiers devrait être une pure question d'intérêt général, transcendant les clivages partisans. Or, depuis dix ans, c'est tout le contraire, et une polémique vient à nouveau de s'engager sur ce point.

Depuis dix ans, la création d'un ordre national des infirmiers est réclamée par une part substantielle de la profession. Déjà, en 1993, un collectif réunissant trente-deux organisations et syndicats se formait en faveur d'une telle création. De nos jours, des enquêtes récentes montrent que 65 % à 80 % des infirmiers sont favorables à une structure à cotisation obligatoire. Dernièrement, un groupement de 38 associations s'est constitué sous l'appellation de « Groupe Sainte-Anne » pour réclamer la création d'un tel ordre. Enfin, lors de la journée nationale d'action du 12 mai 2005, la création d'un ordre national figurait au nombre des revendications principales de la profession.

Monsieur le ministre, l'UDF appelle de ses voeux la création d'un ordre national des infirmiers, et ce depuis plus de dix ans. Mon collègue et ami député Jean-Luc Préel a déposé trois propositions de loi sur ce thème en 1995, 2002 et 2005.Or la gauche puis la droite les ont tour à tour rejetées.

L'argument socialiste était simple et peut se résumer ainsi : nul n'est besoin d'un ordre national des infirmiers ; l'essentiel figure déjà dans le décret !

Quant à l'UMP, si elle se déclarait favorable à la création d'un ordre national des infirmiers, elle ajoutait : « pas tout de suite, plus tard, nous verrons ! ». Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir fait cesser ces atermoiements.

Ces deux arguments sont fallacieux : non, la création d'un ordre infirmier n'est pas inutile ; oui, il est urgent de s'y atteler.

La création d'un ordre national des infirmiers est indispensable, car l'éclatement de leur représentation affaiblit toute la profession sur le plan tant national qu'international.

Du point de vue national, la représentation des infirmiers et infirmières est éparpillée entre plus de cent cinquante associations ou syndicats professionnels dont la représentativité est assez faible, puisque seuls 4 % des infirmières adhèrent à une confédération syndicale et 8 % à une association professionnelle.

Sur les plans européen et international, la France, cela a été parfaitement démontré, est sous-représentée au Conseil international des infirmières, alors que l'importance numérique de la profession lui donnera la première place lorsque la représentation sera unifiée. Cette situation est d'autant plus regrettable qu'elle est marginale.

En France, la profession d'infirmier est, avec ses 460 000 membres, dont 60 000 libéraux, la profession de santé la plus nombreuse. Or elle n'est toujours pas organisée, alors que les 206 000 médecins, les 69 000 chirurgiens-dentistes et pharmaciens, les 60 000 kinésithérapeutes, les 16 550 sages-femmes, sans parler des 10 500 pédicures-podologues, disposent de leur propre ordre professionnel.

Cette marginalité existe aussi à l'échelle européenne, puisque dans de nombreux pays européens tels que l'Espagne, l'Irlande, le Danemark, l'Italie ou le Royaume-Uni, des ordres infirmiers existent déjà.

S'il est nécessaire de créer un ordre national des infirmiers, c'est parce que ces professionnels de santé jouent un rôle médical de premier plan dans notre pays ; ils sont ainsi par tradition des partenaires privilégiés du médecin. En France, médecins et infirmiers forment un tandem inséparable et complémentaire.

En outre, au cours de la période récente, cette caractéristique du métier d'infirmier français s'est fortement accentuée, ce qui explique que la création de l'ordre national des infirmiers est non seulement nécessaire, mais aussi urgente.

Comme nombre de procès l'attestent, hélas ! les infirmiers sont aujourd'hui confrontés à des questionnements éthiques extrêmement lourds, notamment au moment de la fin de vie des patients.

Plus généralement, l'évolution des techniques médicales, particulièrement dans les domaines du génie génétique, des soins palliatifs et de la lutte contre la douleur, ainsi que l'utilisation de molécules très efficaces, et donc potentiellement dangereuses, ont compliqué les protocoles et accru sans cesse les compétences médicales des infirmiers et infirmières.

La technicité de cette profession s'est fortement affirmée. En témoigne l'allongement des études, dont la durée est passée de deux ans à trois ans et demi.

Le partenariat entre médecins et infirmiers est de plus en plus étroit. Ces derniers sont au coeur de ce que l'on nomme désormais « l'équipe médicale ». L'infirmière et l'infirmier accomplissent la prescription, nouent des liens privilégiés avec le patient et, dans les cas les plus graves, l'accompagnent jusqu'au bout.

Tout cela, nous n'avons cessé de le clamer. Nous ne pouvons donc aujourd'hui que nous réjouir : nous avons apparemment été entendus par ceux-là même qui dénonçaient naguère notre « harcèlement textuel ». Mais peu importe l'origine du texte - nous ne défendrons pas nos droits d'auteurs ! -, ce qui compte, c'est que l'ordre national des infirmiers soit finalement créé.

Que signifie la création d'un ordre national des infirmiers ? Il s'agit d'un acte de reconnaissance, qui atteste l'importance et la compétence d'une profession. Le texte qui nous est soumis aujourd'hui constitue-t-il un acte réel de reconnaissance ? Pour une large part, oui !

Dorénavant, l'adhésion à l'ordre national des infirmiers sera une condition d'exercice de ce métier. Ainsi, les pouvoirs publics trouveront en cette instance l'interlocuteur représentatif de toute la profession dont ils avaient besoin, afin de débattre des problèmes de déontologie, d'éthique, de formation initiale et continue, de définition et d'évaluation des bonnes pratiques.

C'est d'ailleurs parce que l'universalité est la condition sine qua non de l'utilité de l'ordre national que nous ne comprenons pas pourquoi les infirmiers militaires en seraient exclus. Nous proposerons de supprimer cette disposition.

Certains aspects de la proposition de loi peuvent encore laisser penser aux esprits chagrins que l'ordre national des infirmiers que l'on entend créer s'apparentera plus à une association loi de 1901 ou à un club qu'à un véritable ordre.

Rappelons que les termes « assemblée générale » figuraient dans la première version du texte, ce qui constituait un indice fâcheux ! Heureusement, ils ont été supprimés, mais il faut encore faire le ménage.

Le texte prévu pour l'article L. 4312-2 du code de la santé publique donne comme toute première mission à l'ordre celle d'assurer « la défense de l'honneur et de l'indépendance de la profession d'infirmier ». Qu'est-ce que cela peut bien signifier ? De qui se moque-t-on ? Ce qu'attendent les infirmières, ce n'est pas qu'on lave leur honneur, c'est qu'on reconnaisse leur compétence !

Et qu'en est-il de l'indépendance ? S'exerce-t-elle vis-à-vis du médecin ? C'est ridicule ! Par définition, l'infirmier ne peut être indépendant du médecin. Une fois de plus, pour faire plaisir à certains, on a demandé à des fonctionnaires de « pondre » un texte, bien loin des attentes des populations concernées. Je défendrai un amendement tendant à mettre un terme à cet égarement.

Si l'ordre national des infirmiers n'est pas une association loi de 1901, il n'est pas non plus un syndicat. Des syndicats, il en existe déjà ; il n'est pas besoin d'en créer par la loi !

C'est pourquoi la possibilité donnée à l'ordre d'organiser « toutes oeuvres d'entraide et de retraite au bénéfice de ses membres et de leurs ayants droit » ne me semble pas avoir sa place dans ce texte.

M. Guy Fischer. Absolument !

M. Jean-Jacques Jégou. Ce n'est pas à l'ordre d'organiser la retraite de ses ressortissants, c'est à la représentation syndicale.

Par ailleurs, la présente proposition de loi passe sous silence une question qui nous semble très importante, à savoir la représentativité des conseils départementaux et régionaux, ainsi que du conseil national de l'ordre.

Certes, il est normal que la loi n'entre pas dans ces détails, car tel n'est pas son rôle. Toutefois, monsieur le ministre, je m'interroge : comment les diverses catégories d'infirmières et d'infirmiers seront-elles représentées dans les instances de l'ordre ? Avez-vous prévu une disposition pour répondre à ce problème, qui n'est pas négligeable ?

M. Guy Fischer. On aimerait bien le savoir !

M. Jean-Jacques Jégou. En conclusion, l'UC-UDF votera ce texte, mais nous ferons très attention à ce qu'il soit appliqué. Il ne suffit pas de créer sur le papier un ordre national des infirmiers. Encore faut-il qu'il voie effectivement le jour ! Pour mémoire, la création de l'ordre des kinésithérapeutes, votée en 1995, a été suspendue, puis supprimée, avant d'être rétablie l'an dernier.

Monsieur le ministre, puisse l'ordre des infirmiers ne pas connaître le même sort ! Pour ma part, je veillerai à ce qu'il n'en soit pas ainsi. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Janine Rozier.

Mme Janine Rozier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les infirmières et les infirmiers jouent un rôle essentiel dans notre pays. Nous sommes tous conscients du travail difficile et formidable qu'ils effectuent chaque jour.

Sur l'ensemble de notre territoire, 460 000 infirmiers et infirmières interviennent chaque jour pour soulager et soigner des patients. Ces professionnels participent à la prévention et à l'éducation pour la santé et maintiennent bien souvent le lien social au plus près des malades, avec dévouement. Nous le constatons chaque jour dans nos villes et villages.

Monsieur le ministre, vous nous proposez aujourd'hui de créer une structure ordinale, interlocuteur unique des pouvoirs publics, qui accompagnera l'évolution de la profession, répondra de manière optimale aux demandes de soins et développera les démarches de qualité qu'attendent les professionnels.

Cette instance permettra à la profession d'évoluer au plus près des réalités locales et de suivre le progrès des techniques, tout en veillant au respect de la déontologie. Elle sera non seulement un organisme disciplinaire, mais encore un lieu de discussion et de concertation, dont l'objectif sera la promotion du métier d'infirmier. C'est d'autant plus important qu'en raison du rôle central des infirmiers et infirmières dans la chaîne de soins, les responsabilités qui leur sont confiées iront croissant.

Nous savons tous que la mise en place d'un tel ordre, qui sera un atout majeur pour la profession, est devenue une véritable nécessité. Elle était d'ailleurs très attendue par l'immense majorité des professionnels.

Tout d'abord, il est paradoxal qu'en dépit de leur nombre les infirmiers français soient si mal représentés à l'échelle européenne et internationale, face à leurs homologues étrangers qui disposent de longue date d'un ordre.

Ensuite, nous souffrons d'une grave pénurie d'infirmières, ce qui est particulièrement inquiétant. L'ordre jouera un rôle de premier plan dans les actions menées pour valoriser cette filière et améliorer le rapport démographique de la profession.

Enfin, les procédures disciplinaires manquent singulièrement de cohérence. Un ordre professionnel permettra de mieux les organiser.

Attendue par les infirmiers depuis une trentaine d'années, cette proposition de loi a fait l'objet d'une réelle concertation, qui a permis d'informer les professionnels et de mesurer leurs attentes, leurs besoins, mais aussi leurs craintes, qui sont habituelles face à une nouveauté.

Nous savons que la concertation entre professionnels n'a pas toujours été facile, car les salariés ont, dans un premier temps, émis des réserves sur la création d'un ordre. Aujourd'hui, grâce au dialogue qui s'est instauré, les infirmiers salariés et hospitaliers perçoivent mieux l'utilité de la création d'une structure ordinale.

À ceux qui craignent que l'ordre ne soit pas compatible avec l'existence de syndicats, il faut rappeler que nombre de professions ont à la fois un ordre national et des syndicats, les deux entités ne jouant pas le même rôle.

Un effort de pédagogie sera donc indispensable afin de délimiter les missions respectives de chacun. Ainsi, l'ordre national des infirmiers ne sera pas chargé de traiter les problèmes relatifs aux conditions de travail. Ceux-ci relèvent par nature de la compétence des syndicats, qui accomplissent aujourd'hui un travail remarquable, qu'il n'est pas question de mettre en cause.

En revanche, l'ordre devra rassembler l'ensemble de la profession pour évoquer tous les dossiers liés à la santé publique, tout particulièrement en matière de définition des bonnes pratiques et de déontologie.

Néanmoins, rassurons ceux qui craignent que la création de l'ordre n'aboutisse à la construction d'une « pensée unique » à laquelle les professionnels seraient tenus d'adhérer. Personne ne le souhaite ! L'ordre sera institué pour profiter à toute la profession, et non pour imposer quoi que ce soit.

Et s'il m'est permis de répondre avec malice à mes collègues intervenus pour s'opposer à la proposition de loi, je dirais même que l'ordre empêchera peut-être qu'une certaine pensée unique, négative parfois, ne finisse par s'installer dans les esprits. (Sourires.)

M. Guy Fischer. Ne nous provoquez pas ! (Nouveaux sourires.)

Mme Janine Rozier. D'ailleurs, il est intéressant de relever l'une des remarques formulées par le représentant des masseurs kinésithérapeutes devant la commission des affaires sociales, au cours des auditions : la distinction traditionnellement opérée entre les masseurs kinésithérapeutes libéraux, d'une part, et ceux qui sont salariés, d'autre part, est finalement secondaire au regard des grands enjeux de la profession, sur lesquels il est indispensable qu'une réflexion soit menée, tels que la notion de bonnes pratiques professionnelles.

L'institution ordinale répond donc à de réels besoins, et non pas, comme on l'a parfois prétendu, à une soif de reconnaissance de certains professionnels.

Les attentes des infirmiers sont nombreuses et importantes. Le futur ordre devra contribuer à l'évolution de la profession, en réponse aux nouveaux enjeux et besoins de la santé publique, afin de garantir aux patients la sécurité et la qualité des soins.

Il veillera à l'application des principes éthiques et au respect des règles énoncées par le code de déontologie de la profession, qui sera préparé par le conseil national de l'ordre des infirmiers et édicté sous la forme d'un décret en Conseil d'État.

Par ailleurs, l'ordre jouera le rôle d'interlocuteur des pouvoirs publics pour les projets de loi ou de règlement relatifs à l'exercice de la profession.

En accord avec la Haute Autorité de santé, il organisera l'évaluation des règles de bonnes pratiques et participera à leur diffusion auprès des professionnels. Il contribuera également au suivi de la démographie de la profession et à la production de données statistiques, au regard, notamment, des besoins de santé.

L'ordre sera structuré en trois niveaux, départemental, régional et national, et chacun aura des attributions claires et distinctes.

Le conseil départemental assurera la représentation de la profession dans le département, ainsi qu'une mission de conciliation en cas de litige entre un patient et un professionnel ou entre professionnels.

Le conseil régional représentera la profession dans la région et comprendra une chambre disciplinaire de première instance, compétente pour les infirmiers libéraux, qui pourra décider la suspension temporaire du droit d'exercer en cas d'infirmité du professionnel ou d'état pathologique rendant dangereux l'exercice de sa profession, ce qui permettra plus de cohérence, s'agissant en particulier des procédures de radiation.

Le conseil national élaborera le code de déontologie et étudiera les questions qui lui seront soumises par le ministre chargé de la santé. Il fixera le montant unique de la cotisation versée à l'ordre et exercera l'appel des décisions rendues par les chambres disciplinaires de première instance.

Enfin, l'Assemblée nationale a souhaité supprimer l'échelon interrégional, qui lui paraissait inadapté et superflu, mais cela n'empêchera pas pour autant les coopérations entre les régions.

S'agissant de la cotisation qui devra être versée à l'ordre, nous avons pu constater que certains professionnels étaient réticents. Pourtant, sur le plan des principes, le caractère obligatoire de la cotisation assurera l'indépendance de l'ordre.

En ce qui concerne le niveau de cotisation, vous avez assuré, monsieur le ministre, qu'il resterait modeste, des déductions fiscales étant utilement mises en place afin d'alléger la charge qui pèsera réellement sur les professionnels.

Pour autant, certains continuent à s'opposer à une telle contribution, qui serait contraire au principe de droit communautaire tendant à proscrire toute obligation de payer pour travailler. Monsieur le ministre, qu'en est-il exactement ? Je suis certaine que vous répondrez à cette interrogation.

Par ailleurs, la profession attend d'autres réponses, complémentaires à la création de l'ordre.

Pour ce qui est des infirmières qui exercent dans les établissements de santé, vous nous avez indiqué, monsieur le ministre, que vous aviez engagé le 27 janvier dernier des négociations avec l'ensemble des représentants de la fonction publique hospitalière, afin de rendre attractive une profession confrontée à une véritable crise des vocations. Il a été question de réactiver les contrats locaux d'amélioration des conditions de travail, afin, entre autres, de réduire la pénibilité, mais aussi de repenser la dernière partie de la carrière.

S'agissant des infirmières libérales, des négociations entre l'assurance maladie et la profession ont également été engagées, qui portent, en particulier, sur l'évolution de la nomenclature et l'affirmation du rôle propre des infirmières, grâce au développement de la démarche de soins infirmiers et à la reconnaissance de leur place dans le suivi des malades chroniques et l'éducation thérapeutique des patients.

Nous savons aussi que, tout récemment, le statut des infirmiers de sapeurs-pompiers professionnels de catégorie A a été réétudié pour le rendre compatible avec celui des cadres territoriaux de santé infirmiers sans qu'il leur soit nécessaire d'effectuer un passage dans la fonction publique hospitalière, comme cela était prévu précédemment.

Toutes ces attentions, ces compréhensions et ces améliorations sont à mettre au crédit de votre écoute et des concertations que vous avez menées, monsieur le ministre. Elles n'ont pas eu de retour médiatique et je le regrette.

En conclusion, cette proposition de loi constitue un geste fort de reconnaissance de l'identité, des compétences et du dévouement des infirmières et des infirmiers. C'est un texte qui rassemble. La création de cet ordre doit être considérée comme une chance à saisir par la profession, qui pourra ainsi se construire une identité propre et un bel avenir

C'est pourquoi le groupe UMP soutiendra la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après plusieurs tentatives laborieuses, l'Assemblée nationale a adopté la proposition de loi portant création d'un ordre national des infirmiers.

Il est vrai que, depuis plusieurs années, ce sujet revient comme un serpent de mer, rencontrant la même opposition quasi unanime. Faisons le point !

Cette proposition de loi satisfait-elle les professionnels concernés ? Pas tous, loin de là ! Sur les 450 000 infirmiers que compte la profession, les 400 000 infirmiers salariés ne réclament rien de tel. Les 50 000 infirmiers libéraux seraient-ils vraiment intéressés ? Si oui, dans quelle proportion ?

Nous avons malheureusement tous l'occasion de rencontrer ces professionnels de santé, qui exercent courageusement un métier difficile et d'une grande responsabilité. Pris entre le marteau et l'enclume, ils font, avec les aides-soignants, le lien entre le médecin, le patient et sa famille, dans toutes les circonstances de la vie du patient.

La création d'un ordre est-elle la première de leurs préoccupations ? Non ! Les infirmiers et infirmières vous interpellent surtout sur les salaires, la formation ou les conditions de travail.

Savez-vous que, dans la fonction publique hospitalière, qui compte 250 000 infirmiers, ce métier est, avec celui d'aide-soignant, celui qui connaît le plus grand nombre de pensions d'invalidité ? C'est bien la preuve incontestable de la pénibilité de cette profession. Ce constat est identique pour les salariés du privé. Il doit être pire pour les infirmiers libéraux, qui ne trouvent pas toujours les meilleures conditions ergonomiques pour dispenser les soins, en particulier pour relever un malade.

Face à des préoccupations majeures - conditions de travail, formation continue ou salaires -, la création d'une structure ordinale passe au second plan.

Cette proposition de loi satisfait-elle les syndicats représentatifs de la profession ? Non, ceux-ci sont farouchement contre ! J'en veux pour preuve le communiqué commun que tous les syndicats ont signé et par lequel ils réaffirment leur refus de la création d'un ordre : « Cette instance supplémentaire n'est pas la priorité des professionnels aujourd'hui.

« Ce qu'ils réclament, ce sont de meilleures conditions de soins, de meilleures conditions de travail, des salaires qui reconnaissent leur qualification. [...]

« Le Conseil supérieur des professions paramédicales, le CSPPM, représentatif tant de la pluralité syndicale qu'associative de la profession infirmière et des différents types d'exercice, doit voir son rôle renforcé avec un pouvoir décisionnel et non consultatif.

« Les textes législatifs donnent la possibilité d'interdire d'exercer, momentanément ou définitivement, pour insuffisance ou faute professionnelle ; les structures disciplinaires pour les salariés fonctionnent, mais, semble-t-il, pas pour les libérales, alors que les textes de 1980 le prévoient. Il faut donc examiner les formes de mise en place avec les représentants des libérales. Les DDASS et les DRASS doivent être en capacité d'accomplir les missions qui leur sont dévolues. »

Cette proposition de loi satisfait-elle le groupe UMP ? Pas si sûr ! Il n'est qu'à constater qu'à l'Assemblée nationale ce texte a singulièrement manqué de signatures : celle du président du groupe de l'Assemblée nationale et du président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, tous deux UMP et, qui plus est, médecins.

Et c'est sans aucun doute face à l'absence évidente de consensus sur le texte qu'une mission de concertation a été confiée le 25 janvier 2006 à M. Édouard Couty, afin de définir « les missions et le fonctionnement d'une instance représentative de la profession ».

Mes chers collègues, les conclusions de ce rapport ont bien mis en évidence le fort besoin de reconnaissance de la profession. En effet, les infirmiers et infirmières ont des revendications des plus légitimes : reconnaissance des évolutions de la profession, formation et place dans le système de santé, environnement professionnel, conditions de travail, niveau des salaires, etc.

Le rapport Couty a mis également au jour le caractère insatisfaisant du système institutionnel en place, notamment le Conseil supérieur des professions paramédicales. Face à ce constat, il recommande d'éviter la multiplication des structures et la redondance de leurs missions. Il ne propose absolument pas la création d'un ordre, mais suggère l'instauration d'un conseil national et de conseils régionaux d'infirmiers.

En outre -°et c'est le plus important -, le rapport préconise la création d'un Haut Conseil des professions paramédicales, qui remplacerait le CSPPM.

Or cette proposition de loi ne reprend aucune des recommandations, pourtant intéressantes, de ce rapport, qui a été remis au mois de mars dernier. Dans ces conditions, pourquoi créer un ordre ?

Par ailleurs, cet ordre regrouperait l'ensemble des infirmiers habilités à exercer en France, à l'exception toutefois de ceux qui relèvent du service de santé des armées. L'adhésion obligatoire et la cotisation qui s'ensuivra suscitent néanmoins quelques doutes. N'est-ce pas l'obtention du diplôme d'État qui doit être le fondement de l'exercice de la profession ?

À la question de l'adhésion obligatoire s'ajoute celle de la représentativité de la profession dans ses différents modes d'exercice. Il se trouve que 86 % des infirmiers refusent la création d'un tel ordre. Mme le rapporteur le souligne elle-même dans son rapport : les infirmiers libéraux, fervents défenseurs d'une structure ordinale, représentent moins de 15 % de la profession.

Les fonctionnaires et les salariés, soutenus par les syndicats, ont depuis longtemps considéré comme inutile et coûteuse la création d'une telle instance, dans la mesure où ils disposent déjà d'un cadre disciplinaire défini par leurs statuts. La très grande majorité de salariés - ils représentent 86 % de la profession - s'est d'ailleurs largement exprimée par voie de pétitions, que nous avons tous reçues.

Dans ces conditions, pourquoi insister, alors que le rôle central des infirmiers dans la chaîne de soins impose plus que jamais à la fois le développement d'organisations interprofessionnelles aptes à évaluer les pratiques et à élaborer des règles professionnelles tournées vers un but commun, et l'amélioration de la qualité de notre système de santé, et non le refuge dans les corporatismes, à l'image des médecins, dont les infirmiers veulent pourtant s'affranchir ?

La création d'un ordre apparaît donc réductrice. Elle n'est en mesure de répondre ni aux enjeux actuels, tels que la reconnaissance des évolutions de la profession d'infirmier, l'environnement professionnel, la formation et la place dans le système de santé, ni même à ceux qui concernent les conditions de travail : pénibilité, évolution des carrières, niveau des salaires, frais de déplacements, accès au logement.

L'organisation ordinale est en effet peu propice au principe du travail en réseau et aux transferts de compétences.

L'accentuation des corporatismes ne favorisera en rien la nécessaire réforme des professions paramédicales. Au contraire, elle ne peut que contribuer encore d'avantage à l'éclatement des différentes professions, qui est déjà accentué par la création des ordres de masseurs-kinésithérapeutes et de pédicures-podologues.

Enfin, un constat s'impose : de nombreuses instances et de multiples textes existent ; des représentants de la profession siègent déjà dans des instances nationales, tels le CSPPM et le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, le CSFPT.

Le CSPPM est composé de membres appartenant à la profession, désignés par les syndicats de professionnels salariés, de syndicats de professionnels libéraux et d'associations reconnues par le ministère.

Les commissions professionnelles du CSPPM comprennent une « commission infirmière », qui est composée de représentants de toutes les spécialités et de tous les exercices professionnels : secteurs public, privé et libéral. Celle-ci rassemble la pluralité des organisations syndicales et associatives. Sa représentation couvre l'ensemble de l'exercice professionnel infirmier, y compris l'encadrement et l'enseignement. C'est dans ce cadre que sont notamment donnés des avis sur les quotas étudiants, les contenus de formation et les règles professionnelles...

Que demander de plus ?

Au lieu de créer un ordre qui se surajoute à d'autres structures, il conviendrait de donner au CSPPM de nouvelles prérogatives et les moyens d'un fonctionnement efficace.

Par ailleurs, les commissions administratives paritaires, les conseils de prud'hommes, la commission des soins, la Haute Autorité de santé, toutes ces structures répondent aux besoins d'évaluation des pratiques professionnelles. L'obligation d'inscription auprès de la DDASS est également prévue dans le code de la santé publique.

L'éthique de la profession est déjà précisée par voie réglementaire : le décret n° 2004-802 unifie dans un seul texte le code de déontologie et le champ des compétences s'appliquant à l'exercice professionnel aussi bien libéral que salarié.

Enfin, je rappelle que la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé du 4 mars 2002, dite « loi Kouchner », a créé un conseil interprofessionnel regroupant les professions d'infirmier, masseur-kinésithérapeute, pédicure-podologue, orthophoniste et orthoptiste, codifié aux articles L. 4391-1 à L. 4398-5 du code de la santé publique. Mais les décrets d'application n'ont jamais été publiés !

Au risque de me répéter, je réaffirme qu'il est grand temps, au lieu de créer un ordre, de renforcer les structures existantes et de dynamiser les instruments actuels. En d'autres termes, il convient de suivre la préconisation du rapport Couty, en commençant par donner au système institutionnel actuel les moyens de fonctionner.

Se donner bonne conscience en créant une nouvelle instance pour régler tout, sans s'attribuer les moyens de faire fonctionner ce qui existe déjà, risque fort de ne rien régler du tout et d'ajouter de la confusion aux problèmes rencontrés par la profession.

Les membres du groupe socialiste du Sénat, très sceptiques sur ce texte, voteront contre cette proposition de loi. Néanmoins, dans un esprit constructif et prenant acte des conclusions du rapport Couty, ils vous proposeront quelques amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Xavier Bertrand, ministre. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai bien saisi l'esprit qui ressortait de cette discussion : être constructif. Nous verrons, à l'issue de ce débat, s'il y a loin des mots aux actes.

Je commencerai par saluer, une fois encore, le travail de la commission des affaires sociales pour améliorer ce texte, donc l'organisation de la profession infirmière. Madame le rapporteur, vous avez évoqué le double souci d'efficacité et de cohérence. Sachez que, sur ces deux points, le Gouvernement suivra les propositions de la commission et émettra un avis favorable s'agissant du CSPPM.

Madame le rapporteur, vous avez également évoqué le souhait de nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie de disposer d'un ordre infirmier. À l'évidence, la création d'un tel ordre relève d'une décision propre aux autorités locales. Je ne vois aucun obstacle à ce que les dispositions de coordination avec l'ordre métropolitain puissent être adoptées prochainement.

Enfin, s'agissant des professions d'orthophoniste et d'orthoptiste, qui ne souhaitent pas nécessairement la création d'un ordre, je suis tout à fait disposé à travailler dès à présent avec elles pour élaborer les règles professionnelles dont vous avez fait état lors de votre intervention.

Monsieur Fischer, je n'ai jamais entendu reporter le débat sur la création d'un ordre infirmier. J'avais pris un engagement devant l'Assemblée nationale et, comme tout engagement que je prends, je l'ai tenu. En revanche, j'ai voulu prendre le temps d'engager une concertation sur la création de cet ordre, et tel est le sens de la mission que j'ai confiée à M. Édouard Couty, au mois de janvier dernier. Cela nous permet d'aboutir aujourd'hui à un texte équilibré, ce qui n'était peut-être pas le cas à une certaine époque.

Par ailleurs, l'ordre n'est pas réservé aux seuls infirmiers libéraux. Vos propos ont retenu mon attention, monsieur Fischer : selon vous, le nombre de professionnels libéraux ne justifierait pas la création d'un tel ordre. J'avais pourtant le sentiment qu'en matière de santé vous étiez attaché, tout comme moi, à la qualité plus qu'à la quantité. En matière de santé, c'est l'aspect qualité des soins qui doit guider nos pas : c'est du moins ce que j'avais cru comprendre à l'occasion des nombreux débats auxquels vous avez participé au sein de la Haute Assemblée.

En outre, l'ordre me semble nécessaire à l'organisation commune de l'ensemble de la profession. Peut-on imaginer des règles de déontologie qui ne s'appliqueraient qu'à une seule partie de la profession ? Ce n'est ni pensable ni souhaitable !

Monsieur Godefroy, l'ordre n'est certainement pas le refuge des corporatismes. Il offre, au contraire, la possibilité d'organiser, avec toute une profession, l'évaluation des pratiques professionnelles. C'est ce que tous - les professionnels, comme les patients - demandent aujourd'hui.

Il en est de même en ce qui concerne la diffusion des recommandations de bonnes pratiques. C'est véritablement une organisation tournée vers la qualité qui est attendue à présent.

Pour ce qui est du conseil interprofessionnel des professions paramédicales, créé par la loi du 4 mars 2002, il faut entendre le souhait exprimé par toute une profession. Sans doute, à l'époque, n'avons-nous pas examiné suffisamment le problème, notamment s'agissant des modalités d'application du texte. En tout état de cause, nous ne pouvons envisager de créer un ordre pour la seule partie libérale de la profession.

Invoquer des « petites » ou des « grandes » professions dans le domaine de la santé, cela n'a pas de sens ! Chaque acteur représente un maillon de la chaîne de santé. Il est pour le moins surprenant d'établir une hiérarchie en fonction du nombre de professionnels.

Par ailleurs, dans le rapport Couty, les préconisations émises ont été suivies. Dans le cadre de la concertation globale, des solutions générales ont été reprises.

Monsieur Jégou, dans vos propos, vous avez résumé les enjeux de la création de cet ordre national des infirmiers, permettant une représentation unitaire globale. Bien évidemment, nous avons besoin d'avoir un interlocuteur fort.

Vous avez également fait allusion à l'apport de Jean-Luc Préel. Lors de la dernière ligne droite, à savoir la présentation de cette proposition de loi à l'Assemblée nationale, l'UMP et l'UDF ont accordé leur vote, ce que je n'avais pas manqué de souligner.

Vous avez aussi noté l'importance des questionnements éthiques, notamment lors de la phase de concertation préalable.

Par ailleurs, vous avez évoqué les décrets. Je sais que, comme tout parlementaire, vous êtes très attaché à ce que l'exécutif puisse mettre en oeuvre les mesures prises.

Au cours de l'exercice de mes fonctions précédentes de secrétaire d'État à l'assurance maladie, j'ai toujours eu à coeur, notamment lors de la réforme de l'assurance maladie, de publier les décrets en temps et en heure. J'avais même pris l'engagement que 80 % des décrets d'application de la loi du 13 août 2004 seraient publiés d'ici à la fin de l'année en question. En définitive, 85 % desdits décrets ont été publiés.

Je suis toujours la même ligne de conduite, parce que tant qu'une réforme n'est pas appliquée, elle n'existe pas pour nos concitoyens, et ceux-ci ont raison. Cette ligne de conduite doit concerner tant les décrets que les circulaires ou les arrêtés.

Mme Rozier a retracé la genèse de ce texte, attendu depuis longtemps. Elle en a également rappelé les enjeux. Il s'agit non pas de créer une structure disciplinaire, mais de mettre en place une organisation, instance de réflexion, de débats et de propositions.

Monsieur Lagauche, chacun doit veiller à ne pas susciter ou entretenir une quelconque confusion entre le rôle, la place des syndicats, qui sont absolument inchangés, et ceux de l'ordre. Ne cherchons pas à créer artificiellement une confusion qui n'existe pas.

À la fin de votre propos, vous nous avez fait part de votre scepticisme. Vous avez indiqué que vous étiez attaché aux conclusions du rapport Couty. Eh bien ! ce texte constitue la base de la proposition de loi qui vous est soumise. J'espère donc que l'appel de chacun à être constructif nous réunira sur un sujet qui rassemblera l'ensemble de la profession d'infirmier. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.