Article 6 quater
Dossier législatif : projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats
Article 6 sexies

Article 6 quinquies

Après l'article 48 de la même ordonnance, il est inséré un article 48-2 ainsi rédigé :

« Art. 48-2. - Toute personne physique ou morale qui estime, à l'occasion d'une affaire la concernant, que le comportement d'un magistrat est susceptible de constituer une faute disciplinaire peut adresser une réclamation à un membre du Parlement. Celui-ci la transmet directement au Médiateur de la République si elle lui paraît entrer dans sa compétence et mériter son intervention.

« Le médiateur sollicite tous éléments d'information utiles des premiers présidents de cour d'appel et des procureurs généraux près lesdites cours, ou des présidents des tribunaux supérieurs d'appel et des procureurs de la République près lesdits tribunaux.

« Il ne peut porter une quelconque appréciation sur les actes juridictionnels des magistrats.

« S'il l'estime susceptible de recevoir une qualification disciplinaire, le médiateur transmet la réclamation au garde des sceaux, ministre de la justice. Il avise l'auteur de la réclamation et tout magistrat visé par celle-ci de la suite qu'il lui a réservée.

« Copie des pièces transmises par le médiateur au ministre de la justice est adressée à tout magistrat visé.

« Le ministre de la justice demande une enquête aux services compétents. Des poursuites disciplinaires peuvent être engagées par le ministre de la justice dans les conditions prévues à l'article 50-1 et au premier alinéa de l'article 63. Le ministre de la justice avise le médiateur des résultats de l'enquête et des suites qu'il lui a réservées.

« Lorsque le ministre de la justice décide de ne pas engager des poursuites disciplinaires, il en informe le médiateur par une décision motivée. Celui-ci peut établir un rapport spécial qui est publié au Journal officiel. »

M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 21, présenté par M. Hyest, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit cet article : 

Après l'article 50-2 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, il est inséré un article 50-3 ainsi rédigé :

« Art. 50-3.- I.- Il est institué, auprès du ministre de la justice, une commission de transparence de la justice.

«Toute personne physique ou morale qui s'estime lésée par un fait susceptible de recevoir une qualification disciplinaire commis par un magistrat dans l'exercice de ses fonctions peut saisir la commission de transparence de la justice.

« Cette commission ordonne soit le classement de la procédure, soit sa transmission au ministre de la justice aux fins de saisine du Conseil supérieur de la magistrature.

« II.-  La commission de transparence de la justice est composée de cinq membres :

« 1° Quatre anciens membres du Conseil supérieur de la magistrature, dont deux personnalités n'appartenant pas à l'ordre judiciaire, désignés par le ministre de la justice ;

« 2° Une personnalité qualifiée n'appartenant pas à l'ordre judiciaire, désignée conjointement par le premier président de la Cour de cassation et par le procureur général près la Cour de cassation.

« Les membres de la commission sont nommés pour une durée de cinq ans non renouvelable.

« La commission élit en son sein un président. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale pour assurer le traitement des réclamations des justiciables paraît fort complexe.

Alors qu'il s'agissait de créer une voie de recours directe et efficace pour les justiciables s'estimant lésés par le comportement d'un magistrat, le nouvel article 48-2 adopté par l'Assemblée nationale aboutit, en effet, à une procédure peu lisible.

Il soumet effectivement la saisine finale du CSM, autorité disciplinaire, à trois filtres : un parlementaire, le Médiateur de la République et le ministre de la justice ou, le cas échéant, les chefs de juridiction. Or, les justiciables peuvent et pourront encore demain s'adresser directement au garde des sceaux ou aux chefs des cours d'appel.

On peut, en outre, s'interroger sur l'attribution de cette mission au Médiateur de la République.

Aux termes de l'article 1er de la loi du 3 janvier 1973 instituant un médiateur, ce dernier reçoit les réclamations concernant le fonctionnement des administrations. Entrent, par conséquent, dans son champ de compétence les demandes relatives aux dysfonctionnements du service de la justice.

En revanche, le médiateur n'a aucune compétence pour connaître des comportements des magistrats susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire. Les garanties attachées à l'indépendance de la magistrature rendent indispensable l'intervention, en ce domaine, d'une autorité légitime.

Pourtant, l'objet des réclamations mettant en cause le comportement des magistrats paraît suffisamment spécifique pour que leur examen soit confié à un organe collégial, rassemblant des personnes ayant l'expérience du milieu judiciaire.

La commission souhaite que les personnes désirant présenter une réclamation sur le comportement d'un magistrat puissent s'adresser directement à une instance spécifique et collégiale, dont la saisine pourra effectivement aboutir à l'intervention de l'autorité disciplinaire.

Tel est l'objet de cet amendement, qui vise à insérer, au sein de l'ordonnance du 22 décembre 1958, un dispositif permettant à toute personne physique ou morale qui s'estimerait lésée par un fait susceptible de recevoir une qualification disciplinaire commis par un magistrat dans l'exercice de ses fonctions de saisir la commission que nous avons appelé - mais nous pouvons évoluer - « de transparence de la justice ».

Cette commission serait placée auprès du ministre de la justice, dans un objectif de cohérence avec le pouvoir de saisine du CSM dont il est investi.

Sur le modèle de la commission des requêtes près la Cour de justice de la République, elle serait chargée d'examiner ces réclamations afin d'ordonner soit leur classement, en l'absence d'éléments tendant à établir une faute disciplinaire de la part du magistrat, soit, à l'inverse, leur transmission au ministre de la justice, à qui il appartiendrait, le cas échéant, de saisir le CSM.

La composition de la commission lui donnerait la légitimité requise pour exercer sa mission de filtrage des requêtes. Elle comprendrait en effet exclusivement des spécialistes du fonctionnement de la justice, à savoir quatre anciens membres du CSM, dont deux personnalités n'appartenant pas à l'ordre judiciaire, désignés par le ministre de la justice, et une personnalité qualifiée n'appartenant pas à l'ordre judiciaire, désignée conjointement par le premier président de la Cour de cassation et par le procureur général près cette cour, ce qui leur donnerait l'occasion de collaborer efficacement.

Ces membres, nommés pour une durée de cinq ans non renouvelable, éliraient en leur sein un président.

L'équilibre ainsi défini au sein de la commission entre magistrats et non magistrats garantirait le traitement impartial des requêtes.

M. le président. L'amendement n° 21 est assorti de quatre sous-amendements.

Le sous-amendement n° 58 rectifié, présenté par MM. Badinter,  Collombat,  Dreyfus-Schmidt,  Sueur et  Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par l'amendement n° 21 pour l'article 50-3 de l'ordonnance n° 58-1270 du 21 décembre 1958 :

I. Dans le premier alinéa du I :

1° remplacer les mots :

ministre de la justice

par les mots :

Conseil supérieur de la magistrature

2° après les mots :

une commission

remplacer les mots :

de transparence de la justice

par les mots :

d'examen des réclamations des justiciables

II. Rédiger comme suit le dernier alinéa du I :

« Cette commission ordonne soit le classement de la procédure soit saisit la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature. »

III. Dans le 1° du II, remplacer les mots :

ministre de la justice

par les mots :

Conseil supérieur de la magistrature

La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous demandons que, si commission de transparence de la justice il doit y avoir - l'expression est peut-être curieuse - elle soit instituée non pas auprès du ministre de la justice, mais auprès du Conseil supérieur de la magistrature. Ainsi, « toute personne physique ou morale qui s'estime lésée par un fait susceptible de recevoir une qualification disciplinaire commis par un magistrat dans l'exercice de ses fonctions » pourra saisir la commission non pas « de transparence de la justice », mais « d'examen des réclamations des justiciables ».

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Enfin, cette commission, qu'il convient donc de baptiser « d'examen des réclamations des justiciables », « ordonne soit le classement de la procédure soit saisit la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature. »

Nous souhaitons, enfin, que les cinq membres qui composent ladite commission soient désignés non pas par le ministre de la justice, mais par le Conseil supérieur de la magistrature.

Pour être franc, je ne vois pas pourquoi il faudrait instituer une commission, que l'on l'appelle « de transparence de la justice » ou « d'examen des réclamations des justiciables ». Le CSM devrait pouvoir être saisi directement. Ce serait beaucoup plus clair, beaucoup plus net.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est un autre problème !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Comme je l'ai rappelé lors de la discussion générale, Mme Guigou, alors garde des sceaux, avait proposé que les chefs de cour puissent saisir le garde des sceaux : nous avions estimé, dès cette époque, que ce n'était pas du tout une solution et qu'il n'y avait aucune raison que ce soient les chefs de cour qui saisissent ou ne saisissent pas le garde des sceaux, le plus simple étant que le Conseil supérieur de la magistrature puisse être saisi directement.

Mon avis est resté le même. Si le Sénat voulait aller plus loin, ou aussi loin que cela, il suffirait qu'il le dise. Nous pourrions nous prononcer sur ce sujet en commission mixte paritaire, si du moins cette dernière ne se réunissait pas un vendredi matin, ce qui serait tout de même excessif pour beaucoup d'entre nous.

En attendant, j'insiste vivement sur ce point, dont l'importance est telle, s'agissant de la responsabilité des magistrats, que nous demanderons un scrutin public.

Le plus simple n'est-il pas que les justiciables puissent saisir directement le CSM ?

L'on m'objectera qu'il y a beaucoup de fous.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oh oui ! On en reçoit, des réclamations bizarres !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Évidemment ! Que les fous s'adressent au ministre de la justice ou au CSM, leurs demandes seront passées au crible, et ils seront immédiatement et facilement reconnus comme tels. Ce n'est pas cela qui devrait poser un problème.

Pour les cas sérieux, il est tout à fait normal que ce soit le CSM qui statue.

M. le président. Le sous-amendement n° 61, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat,  Assassi,  Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par l'amendement n° 21 pour l'article 50-3 de l'ordonnance n° 58-1270 du 21 décembre 1958 :

I. Dans le premier alinéa du I :

1° remplacer les mots :

ministre de la justice

par les mots :

Conseil supérieur de la magistrature

2° après les mots :

une commission

remplacer les mots :

de transparence de la justice

par les mots :

d'examen des réclamations

II. Rédiger comme suit le dernier alinéa du I :

« Cette commission ordonne soit le classement de la procédure soit saisit la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature. »

III. Dans le 1° du II, remplacer les mots :

ministre de la justice

par les mots :

Conseil supérieur de la magistrature

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. La commission des lois souhaite modifier complètement l'esprit de l'article 6 quinquies puisqu'elle nous propose de créer la commission de transparence de la justice, destinée à recevoir les réclamations de toute personne physique ou morale qui s'estime lésée par un fait susceptible de recevoir une qualification disciplinaire commis par un magistrat dans l'exercice de ses fonctions.

Le médiateur ne serait donc plus l'instance chargée de recevoir ces réclamations, ce qui est plutôt positif. Nous n'étions pas totalement convaincus, en effet, de l'efficacité d'une telle mesure, tout du moins dans les conditions prévues par cet article.

Néanmoins, le dispositif présenté par M. le rapporteur n'est pas tout à fait parfait. En effet, ladite commission de transparence de la justice, outre le fait que son nom paraît quelque peu cérémonieux et sans lien direct avec le caractère disciplinaire des réclamations, serait instituée auprès du ministre de la justice : cette disposition soulève quelques problèmes.

Nous ne souhaitons pas retomber dans les travers existants et maintenir le filtre du ministre de la justice avant la saisine du CSM.

Nous voudrions que soit engagée, avant toute autre réforme, celle du CSM, afin qu'il puisse être saisi directement par les justiciables, comme le propose d'ailleurs lui-même le CSM.

Toujours est-il qu'en l'absence de toute réforme constitutionnelle sur le statut du Conseil supérieur de la magistrature, nous proposons, par notre sous-amendement, non seulement de renommer la commission de transparence de la justice et d'en faire la « commission d'examen des réclamations », ce qui sonnerait un peu plus juste, mais également de prévoir qu'elle sera rattachée directement au Conseil supérieur de la magistrature.

Cela pourrait constituer, pour reprendre les termes de M. le garde des sceaux, une première étape vers un nouveau statut du CSM.

Nous souhaitons par conséquent préciser que la commission des réclamations rattachée ainsi au CSM a les mêmes attributions que la commission des requêtes.

Enfin, le mode de nomination prévu ne garantit pas totalement l'indépendance des membres de la commission. Nous préférons que ceux-ci soient désignés par le Conseil supérieur de la magistrature lui-même.

M. le président. Madame Mathon-Poinat, j'attire votre attention sur le fait que, si vous complétez le titre de la commission par les mots : « des justiciables », vous rendez votre sous-amendement identique au sous-amendement n° 58 rectifié. Ce serait une heureuse simplification !

Mme Josiane Mathon-Poinat. J'accepte volontiers de rectifier le sous-amendement en ce sens, monsieur le président.

M. le président. Je suis donc saisi d'un sous-amendement n° 61 rectifié, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat,  Assassi,  Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, et qui est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par l'amendement n° 21 pour l'article 50-3 de l'ordonnance n° 58-1270 du 21 décembre 1958 :

I. Dans le premier alinéa du I :

1° remplacer les mots :

ministre de la justice

par les mots :

Conseil supérieur de la magistrature

2° après les mots :

une commission

remplacer les mots :

de transparence de la justice

par les mots :

d'examen des réclamations des justiciables

II. Rédiger comme suit le dernier alinéa du I :

« Cette commission ordonne soit le classement de la procédure soit saisit la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature. »

III. Dans le 1° du II, remplacer les mots :

ministre de la justice

par les mots :

Conseil supérieur de la magistrature

Le sous-amendement n° 62, présenté par MM. Badinter,  Collombat,  Dreyfus-Schmidt,  Sueur et  Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par l'amendement n° 21 pour l'article 50-3 de l'ordonnance n° 58-1270 du 21 décembre 1958 :

I. Dans le premier alinéa du I, remplacer les mots :

de transparence de la justice

par les mots :

d'examen des réclamations des justiciables

II. À la fin du deuxième alinéa du même paragraphe, remplacer les mots :

de transparence de la justice

par les mots :

d'examen des réclamations des justiciables

III. Dans le premier alinéa du II, remplacer les mots :

de transparence de la justice

par les mots :

d'examen des réclamations des justiciables

La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce sous-amendement est défendu.

M. le président. Le sous-amendement n° 44, présenté par M. Lecerf, est ainsi libellé :

I - Dans le premier alinéa du II du texte proposé par l'amendement n° 21 pour l'article 50-3 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, remplacer le mot :

cinq

par le mot :

six

II - Rédiger comme suit le troisième alinéa (2°) du même II :

« 2° Une personnalité qualifiée désignée par le Médiateur de la République

La parole est à M. Jean-René Lecerf.

M. Jean-René Lecerf. Il s'agit d'un sous-amendement de repli. En effet, la commission de transparence de la justice n'est pas la solution qui a ma préférence mais, si elle était retenue, je souhaiterais que sa composition passe de cinq à six membres, de façon qu'y soit intégrée « une personnalité qualifiée désignée par le Médiateur de la République » : cette idée est inspirée, d'ailleurs, de l'avant-projet de réforme de 1999.

M. le président. L'amendement n° 57 rectifié, présenté par MM. Badinter,  Collombat,  Dreyfus-Schmidt,  Sueur et  Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit cet article : 

Après l'article 50-2 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, il est inséré un article 50-3 ainsi rédigé :

« Art. 50-3. - Il est institué auprès du Conseil supérieur de la magistrature une commission d'examen des réclamations des justiciables chargée d'examiner les plaintes de ces derniers.

« Toute personne physique ou morale qui s'estime lésée par un fait susceptible de recevoir une qualification disciplinaire commis par un magistrat dans l'exercice de ses fonctions peut saisir la commission d'examen des réclamations des justiciables.

« Cette commission ordonne soit le classement de la procédure soit saisit la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature.

« La commission d'examen est composée de cinq membres :

« 1° Quatre anciens membres du Conseil supérieur de la magistrature, dont deux personnalités n'appartenant pas à l'ordre judiciaire, désignés parmi les anciens membres du Conseil supérieur de la magistrature.

« 2° Une personnalité qualifiée n'appartenant pas à l'ordre judiciaire, désignée conjointement par le premier président de la Cour de cassation et par le procureur général près la Cour de cassation.

« Les membres de la commission sont nommés pour une durée de cinq ans non renouvelable.

« La commission élit en son sein un président. »

La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je ne relis pas cet amendement, qui se comprend par son texte même. Il prévoit que le Conseil supérieur de la magistrature est saisi directement, puisque la commission chargée d'examiner les réclamations est instituée auprès de ce dernier. Soit elle ordonne le classement de la procédure, soit elle saisit la formation disciplinaire du CSM. Ce serait le plus simple, et ce serait nouveau et logique.

J'insiste sur le fait que c'est vraiment cet amendement - ci qui a ma préférence et je me permets donc, monsieur le président, de reporter sur lui la demande de scrutin public que j'ai formulée tout à l'heure, s'agissant du sous-amendement n° 58 rectifié.

M. le président. L'amendement n° 43, présenté par M. Lecerf, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 48-2 à l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 :

Toute personne physique ou morale qui estime, à l'occasion d'une affaire la concernant, que le comportement d'un magistrat est susceptible de constituer une faute disciplinaire peut adresser une réclamation au Médiateur de la République.

La parole est à M. Jean-René Lecerf.

M. Jean-René Lecerf. Je me suis expliqué longuement lors de la discussion générale et M. le garde des sceaux a répondu d'une manière que je trouve, pour ma part, tout à fait satisfaisante.

Cet amendement vise, dans l'hypothèse où nous en reviendrions à la solution de l'Assemblée nationale et, donc, à la compétence du médiateur, à ce que les justiciables puissent saisir directement ce dernier, sans passer par le canal d'un parlementaire.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est le texte d'origine du Gouvernement !

M. le président. L'amendement n° 39, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat,  Assassi,  Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Dans la première phrase du premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 48-2 de l'ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958, remplacer les mots :

comportement d'un magistrat est susceptible de constituer une faute disciplinaire,

par les mots :

service public de la justice a dysfonctionné

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Il s'agit d'un amendement de nature rédactionnelle.

M. le président. L'amendement n° 40, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat,  Assassi,  Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Compléter le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 48-2 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 par une phrase ainsi rédigée :

Il peut également décider de saisir le Conseil supérieur de la magistrature

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet amendement découle du précédent.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements et sous-amendements autres que l'amendement n° 21, qu'elle a déposé ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le sous-amendement n° 58 rectifié tend non seulement à proposer une dénomination différente de la commission de transparence de la justice, mais aussi à placer ladite commission, appelée « d'examen des réclamations des justiciables », auprès du CSM et à lui permettre de saisir directement ce dernier. Telle n'est pas la position de la commission des lois, qui souhaite que ce soit le garde des sceaux qui saisisse le cas échéant le CSM.

La commission est donc défavorable.

Le sous-amendement n° 61 rectifié étant identique au précédent, la commission y est défavorable pour les mêmes raisons, même si nous allons voir tout à l'heure ce que nous pensons de l'examen des réclamations.

Monsieur Dreyfus-Schmidt, au sujet de la dénomination retenue, je conviens que la « commission de transparence de la justice », proposée par la commission des lois, pourrait être mal comprise, mais je ne doute pas qu'elle aurait été rapidement connue, tout comme ce fut le cas pour le Médiateur de la République. En tout état de cause, les réclamations doivent être adressées à une telle instance et pas au médiateur, notamment pour tout ce qui a trait aux fautes disciplinaires.

Par conséquent, la commission émet un avis favorable sur le sous-amendement n° 62, sous réserve que soient supprimés les mots « des justiciables », lesquels nous paraissent redondants. Il s'agirait alors de la « commission d'examen des réclamations », dénomination qui, me semble-t-il, a emporté votre accord en réunion de commission.

M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, acceptez-vous la rectification suggérée par M. le rapporteur ?

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est moins mal, en effet...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je vous rappelle que la commission avait émis un avis favorable sous cette réserve, mon cher collègue.

M. le président. Je suis donc saisi d'un sous-amendement n° 62 rectifié, présenté par MM. Badinter, Collombat, Dreyfus -Schmidt, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par l'amendement n° 21 pour l'article 50-3 de l'ordonnance n° 58-1270 du 21 décembre 1958 :

I. Dans le premier alinéa du I, remplacer les mots :

de transparence de la justice

par les mots :

d'examen des réclamations

II. À la fin du deuxième alinéa du même paragraphe, remplacer les mots :

de transparence de la justice

par les mots :

d'examen des réclamations

III. Dans le premier alinéa du II, remplacer les mots :

de transparence de la justice

par les mots :

d'examen des réclamations

Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur Lecerf, la composition retenue pour la « commission de transparence de la justice » vise à prévenir le reproche que vous avez évoqué en défendant le sous-amendement n° 44.

Composée de trois personnes n'appartenant pas à l'ordre judiciaire et deux magistrats, cette commission répond donc au souci d'indépendance, souci légitime quand il s'agit d'examiner des faits susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire. Dès lors, la nomination d'un sixième membre par le médiateur, qui n'exerce aucune compétence dans le domaine de la discipline des magistrats, ne paraît pas indispensable.

Au surplus, l'adoption de votre sous-amendement risquerait d'ouvrir la voie à des évolutions dangereuses. Si tous les présidents d'autorité indépendante peuvent nommer des membres de commissions, où allons-nous ? Nous avons proposé, quant à nous, la désignation de la personnalité qualifiée n'appartenant pas à l'ordre judiciaire par le Premier président de la Cour de cassation et par le procureur général près cette cour.

La commission vous demande donc de bien vouloir retirer ce sous-amendement ; à défaut, elle émettrait un avis défavorable.

Monsieur Dreyfus-Schmidt, la commission souhaite le retrait de l'amendement n° 57 rectifié, qui ne s'inscrit pas dans la solution qu'elle a retenue. Vous proposez un système différent du nôtre, avec une commission instituée auprès du CSM. Cela répond à la demande d'un certain nombre de membres du CSM, que nous avons nous-mêmes bien entendue. Néanmoins, nous estimons que le rôle du garde des sceaux est indispensable en la matière, une fois la saisine effectuée et éventuellement après enquête des services placés sous son autorité, notamment l'Inspection générale des services judiciaires, ou après intervention d'un des chefs de cour, qui, je le rappelle, peuvent saisir eux-mêmes le Conseil supérieur de la magistrature.

Dans votre système, seuls seraient transmis au CSM, après examen, les dossiers qui justifieraient des sanctions disciplinaires. Si nous avons les mêmes objectifs, c'est-à-dire faciliter la saisine par les justiciables, la saisine directe du CSM modifierait complètement le dispositif que nous avons proposé. Nous y sommes donc défavorables.

Monsieur Lecerf, la saisine du garde des sceaux par le médiateur, que vous visez dans l'amendement n° 43, était déjà prévue dans le projet initial du Gouvernement : elle figurait alors non pas dans un projet de loi organique mais dans un projet de loi ordinaire. À la limite, ce dispositif ne nous gênait pas : les justiciables pouvaient saisir directement le médiateur, sans aucun filtrage, et celui-ci n'était pas compétent pour vérifier les comportements des magistrats susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire.

Tel était donc bien le projet initial. On pourrait d'ailleurs envisager d'ajouter cette possibilité à notre système, mais cela n'apporterait rien, car il est déjà prévu de saisir le garde des sceaux.

Pour ma part, il m'est arrivé de vous saisir, monsieur le garde des sceaux, à la suite de réclamations de mes administrés relatives au fonctionnement de la justice, et ce sans avoir à passer par le médiateur ni par une autre instance !

M. Jean-Pierre Sueur. Nous vous écrivons tous les jours, monsieur le ministre !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Les chefs de cour sont parfois saisis.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Ce n'est pas pareil !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Quoi qu'il en soit, la commission est défavorable à l'amendement n° 43 puisque, dans l'immédiat, elle propose une autre formule.

Par ailleurs, la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 39, dont l'adoption aboutirait à retirer tout intérêt à la procédure retenue. Pour les mêmes raisons, elle est défavorable à l'amendement n° 40.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, comme je l'ai déjà annoncé lors de la discussion générale, le Gouvernement n'est évidemment pas favorable à l'amendement n° 21 de la commission des lois, qui tend donc, en la matière, à substituer au médiateur une « commission de transparence de la justice ».

En définitive, par ces textes, nous avons voulu répondre à la très forte demande de l'opinion, qui veut une responsabilisation plus grande des magistrats. Chemin faisant - nous en avons d'ailleurs fait une partie ensemble, monsieur le rapporteur -,...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. ...nous découvrons qu'un tel objectif est très facile à fixer mais très difficile à définir sur le plan juridique, notamment pour rester conforme aux orientations du Conseil d'État, qui est le juge d'appel après le CSM et qui a donc un rôle éminent dans ce domaine.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. La marge de manoeuvre est étroite. Au vu de la nouvelle rédaction de l'article 6 quinquies que vous avez présentée tout à l'heure, la mise en cause de la responsabilité des magistrats ne pourra pas, quoi qu'il arrive, être déclenchée très facilement. Et encore, disant cela, j'ai l'impression d'employer un énorme euphémisme ! (Sourires.)

Face à la responsabilité des magistrats, il y a l'opinion du justiciable. Ce dernier a une forte tendance, qui n'est d'ailleurs pas tout à fait étrangère au tempérament français, à considérer que, chaque fois qu'il perd dans une procédure, c'est la faute du juge !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. S'il ne s'agit donc pas d'« ouvrir les vannes » pour accepter toutes les plaintes, sinon, au civil, une affaire sur deux entraînerait une saisine, il ne s'agit pas plus, monsieur Dreyfus-Schmidt, d'« embouteiller » le CSM. C'est pourtant ce à qui aboutirait la solution que vous préconisez. J'y reviendrai, mais je vous le dis tout de suite : votre proposition est invraisemblable sur le plan pratique (M. Michel Dreyfus-Schmidt marque son désaccord), et je vous le démontrerai.

À l'évidence, il nous faut trouver une solution médiane et raisonnable, qui ne déstabilise pas l'institution judiciaire, mais qui permette aux Français de révéler les dysfonctionnements apparus dans le comportement d'un juge, tout en assurant une certaine cohérence avec le rôle attribué aujourd'hui au médiateur. Voilà bien les termes du problème.

Mesdames, messieurs les sénateurs, quel est le rôle du médiateur ? D'ailleurs, en a-t-il un ? La réponse est : oui.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Certes !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Aujourd'hui, sur l'ensemble des plaintes recueillies par le médiateur, 23 %, soit près d'un quart, concernent la justice.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais elles ne portent pas sur les fautes disciplinaires !

M. Jean-Pierre Sueur. Il n'en a pas la compétence !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Laissez-moi terminer ! Le médiateur est compétent s'agissant des plaintes qui concernent les dysfonctionnements de l'institution judiciaire. Il s'agit donc bien de problèmes de justice, monsieur Hyest !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Là, nous sommes d'accord.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Avec l'article 6 quinquies, nous passons des dysfonctionnements de l'institution judiciaire aux dysfonctionnements liés au comportement des magistrats eux-mêmes. Et là, au lieu de rester dans la logique de la saisine du médiateur, qui est déjà compétent pour les plaintes relatives aux dysfonctionnements de l'institution judiciaire, vous ne trouvez rien de mieux que d'inventer une nouvelle commission, qui viendrait s'ajouter aux 153 déjà existantes ! En donnant un tel chiffre, je pense être passablement optimiste, car il y en a sûrement beaucoup plus !

M. Jean-Pierre Sueur. Effectivement !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Autrement dit, votre proposition sera incompréhensible, au sens élémentaire du terme, pour l'opinion : elle ne s'apercevra même pas qu'il y a eu une réforme. Tout ce qu'on lui dira, c'est qu'il y a une nouvelle commission Théodule - une de plus, mais, en France, on adore ! -, qui sera chargée de recueillir les plaintes concernant le comportement des magistrats. Au final, on aura fait une réforme pour rien : ce sera un coup d'épée dans l'eau !

Le médiateur, je le répète, est responsable pour les affaires relatives aux dysfonctionnements de l'institution judiciaire. Lui confier en plus les dysfonctionnements relatifs aux comportements des magistrats assure incontestablement une cohérence à l'ensemble. Telle est bien la volonté du Gouvernement.

J'en reviens plus particulièrement à votre proposition, monsieur Dreyfus-Schmidt : le moins que l'on puisse dire, c'est que, dès qu'on ouvre les vannes, on se permet tout, à l'Assemblée nationale comme au Sénat. En l'occurrence, vous souhaitez que tout justiciable puisse saisir le CSM. Mais, enfin, y avez-vous sérieusement réfléchi ?

Premièrement, les membres du Conseil supérieur de la magistrature n'exercent pas cette activité à plein temps. Si votre idée était retenue, ce n'est même pas un plein temps qu'il leur faudrait, c'est un « super-plein temps », que dis-je, un « super-super-super plein temps » ! (Sourires.) Ils seraient en effet saisis de centaines, voire de milliers de plaintes chaque mois : ils ne feraient plus que cela !

Deuxièmement, si vous voulez vraiment que les membres de la commission ainsi instituée puissent accomplir leurs tâches, il convient de placer l'Inspection générale des services judiciaires sous leur autorité, laquelle quitterait donc de fait le giron du ministre de la justice. Il ne pourrait en être autrement, car je ne vois pas comment cette commission peut avoir la moindre compétence si elle n'est pas capable d'aller au fond des choses pour apprécier si la plainte est réellement fondée et si le comportement du magistrat peut effectivement recevoir une qualification disciplinaire.

Monsieur Dreyfus-Schmidt, reconnaissez-le, le rattachement de l'Inspection générale des services judiciaires auprès du CSM serait un énorme changement ! Mais, dans votre proposition, vous ne le spécifiez même pas : vous manquez donc de cohérence depuis le début, car vous auriez dû déposer un amendement de coordination en ce sens, qui eût d'ailleurs été plutôt ardu à rédiger, je vous l'accorde.

Troisièmement, une fois que cette inspection est placée sous l'autorité de la nouvelle commission chargée de l'instruction en vue de la saisine directe du CSM, je vous pose la question : à quoi sert le garde des sceaux ? Si vous voulez le supprimer, dites-le et rédigez un amendement !

M. Pierre-Yves Collombat. Ah ! Voilà une idée !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Si vous trouvez que l'idée est bonne, ayez le courage de vos opinions et proposez-le !

Au final, le système marchera sur lui-même ; ou plutôt, il courra sur son erre. L'Inspection générale des services judiciaires n'aura plus qu'une seule compétence, contre plusieurs actuellement. Je vous le rappelle, elle réalise notamment des audits de modernisation pour tenter d'améliorer le fonctionnement de l'institution. Elle compte actuellement une trentaine d'inspecteurs. Rendez-vous compte : avec ce que vous proposez, ils seront débordés, les pauvres ! Compte tenu du nombre de plaintes à attendre, il faudra, que sais-je, cent, cent cinquante, deux cents inspecteurs. Bref, votre proposition est totalement déraisonnable !

Je ne comprends pas que l'on ose, sans rire, sans aucune réflexion, « lâcher » ce type d'amendement.

M. Jean-Pierre Sueur. Il n'y a pas que vous qui réfléchissiez !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est tout à fait désolant.

M. Pierre-Yves Collombat. Ce serait, certes, une révolution !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Même pas la révolution, pire ! Vous changez complètement l'organisation judiciaire de notre pays.

Si vous souhaitez vraiment prendre une telle orientation, monsieur Dreyfus-Schmidt, faites-le sérieusement, prenez le temps d'écrire, et il vous faudra des volumes, car la refonte totale du système judiciaire français mérite tout de même mieux qu'un amendement rédigé sur un coin de table ! (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)

Ici, nous faisons la loi, nous travaillons sérieusement. Vous ne pouvez pas lancer de telles idées, comme si vous étiez à une réunion publique d'une candidate à l'élection présidentielle ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Monsieur le président de la commission des lois, je ne suis pas favorable à l'amendement n° 21, et je m'en suis expliqué.

Monsieur Lecerf, si je ne suis pas favorable non plus au sous-amendement n° 44, dans lequel vous en restez à la logique de la commission de transparence, en revanche, je suis très favorable à l'amendement n° 43, qui me semble intéressant. Vous proposez en effet de perfectionner le système existant, en essayant de ne pas passer par le filtre parlementaire et en simplifiant l'accès au médiateur.

Par ailleurs, je ne suis pas favorable à l'amendement n° 57 rectifié du groupe socialiste, ni aux amendements nos 39 et 40 du groupe communiste républicain et citoyen.

Mesdames, messieurs les sénateurs, sachez-le, cet article constitue à mes yeux l'un des points les plus importants du projet de loi organique. Voilà pourquoi j'y ai mis un peu de coeur. Maintenant, vous ferez ce que vous voulez. Lors de la commission mixte paritaire, vous négocierez au mieux, j'en suis sûr, avec vos collègues de l'Assemblée nationale. Mais, de grâce ! évitez les « querelles de boutique » entre l'Assemblée nationale et le Sénat, et pensez un peu aux Français. C'est en tout cas l'appel que je lance ce soir à la Haute Assemblée.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur le garde des sceaux, comme le Gouvernement, la commission des lois du Sénat pense d'abord aux Français et n'a aucunement l'intention de mener une guerre contre l'autre assemblée.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je m'en suis déjà expliqué : à la limite, nous aurions pu accepter votre dispositif initial ; mais celui-ci ne figurait pas dans le projet de loi organique concernant le statut des magistrats.

Vous nous dites que 23 % des plaintes recueillies par le médiateur relèvent de la justice. Soit ! Mais cela comprend, entre autres, les affaires relatives à l'état civil, à la situation des étrangers, ainsi qu'à tout ce qui a trait aux auxiliaires de justice, et Dieu sait s'il y a des dysfonctionnements en la matière ! Pour ma part, je pense que le médiateur n'aurait que très peu à intervenir s'agissant de fautes disciplinaires commises par des magistrats. Il n'en a d'ailleurs pour l'instant pas la compétence.

Monsieur le garde des sceaux, je comprends votre souci de voir la réforme acquérir une certaine notoriété auprès de l'opinion. Mais si je comprenais votre projet initial, je ne comprends pas du tout celui qui a été adopté par les députés !

Actuellement, le Médiateur de la République est assisté de deux magistrats, l'un chargé des études, l'autre exerçant les fonctions de conseiller « justice ». Vous n'allez pas me dire que le médiateur va pouvoir filtrer et vérifier toutes les plaintes avec seulement deux magistrats à sa disposition, et il n'y arrivera pas plus avec quatre. Ils ont déjà beaucoup de travail à la Médiature, notamment pour connaître des éventuels dysfonctionnements de la justice. À cet égard, le médiateur est pleinement dans son rôle en vous transmettant les cas litigieux. Au demeurant, l'État est parfois amené à accorder une indemnisation à la suite de tels dysfonctionnements.

En l'espèce, ce n'est pas de cela qu'il s'agit. L'article 6 quinquies porte sur les réclamations relatives aux comportements des magistrats susceptibles de constituer des fautes disciplinaires.

Il serait tout à fait possible, et cela ne me gênerait en aucune façon, d'intégrer le médiateur au sein de ce dispositif. Mais il convient également, monsieur le garde des sceaux, qu'une commission indépendante, dont vous auriez désigné la majorité des membres, et qui aurait un rôle de filtre, soit placée auprès de vous, afin, notamment, de vous protéger.

Nous pourrions, certes, mettre en place cette commission au sein de la Médiature, mais, dans ce cas, elle ne dirait pas son nom. Pour ma part, je préfère la transparence.

Notre intention n'est pas de vous être désagréable, monsieur le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est le débat !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous avons, d'ailleurs, fait en sorte d'améliorer les autres dispositions de ce projet de loi organique.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est vrai !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Seul subsiste entre nous ce point de divergence. Adopter une position claire sur ce sujet nous permettra d'établir un dialogue constructif avec nos collègues députés.

En tout état de cause, je demeure hostile, dans tous les cas de figure, au maintien de cette fiction que constitue le passage obligatoire par un parlementaire. Et c'est sur ce point que nous sommes en total désaccord avec l'Assemblée nationale. Comment et au nom de quoi, en effet, un député pourrait-il juger qu'une plainte est ou n'est pas de nature disciplinaire ?

En outre, deux cas peuvent se produire qui ruineraient l'initiative que nous prenons aujourd'hui. Si en effet le parlementaire s'entend bien avec les magistrats de sa circonscription et ne souhaite pas les mettre en difficulté, il peut ne pas transmettre la plainte. En revanche, si leurs relations sont mauvaises, le parlementaire risque de transmettre la plainte au Médiateur de la République même si aucune faute disciplinaire n'a été commise.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je comprends les motivations d'un parlementaire qui, dans le cas d'un dysfonctionnement de l'administration, ayant étudié toutes les solutions possibles et ne sachant plus que faire, saisit le Médiateur de la République et lui demande de rapprocher les points de vue de l'administré et de l'administration. C'est en effet le rôle de la Médiature. Mais il s'agit là d'une situation complètement différente de celle que nous visons ici, c'est-à-dire la matière disciplinaire ! (M. Pierre-Yves Collombat opine.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je propose donc, monsieur le garde des sceaux, que nous poursuivions la réflexion, afin de trouver une solution qui vous agrée et qui soit susceptible d'offrir une garantie effective aux justiciables. (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, je demande le vote par priorité de l'amendement n° 57 rectifié.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur cette demande de priorité ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pour ma part, je souhaite que nous nous prononcions auparavant sur l'amendement n° 21 de la commission.

L'avis de la commission est donc défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Même avis !

M. le président. Je consulte le Sénat sur la demande de priorité formulée par M. Michel Dreyfus-Schmidt.

(La priorité n'est pas ordonnée.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. J'ai trouvé les propos de M. le président de la commission des lois, et rapporteur, significatifs et importants.

Je souhaite pour ma part, au travers de cette explication de vote, soutenir l'amendement et les sous-amendements présentés par Michel Dreyfus-Schmidt, en particulier celui qui a reçu l'avis de favorable de M. le rapporteur.

J'ai été très surpris quand M. le garde des sceaux s'est exclamé, tout à l'heure, que notre proposition provoquerait une révolution.

M. Jean-Pierre Sueur. Or, quand on connaît M. Clément, on sait que ce genre de référence est assez éloigné de ses aspirations personnelles. (Exclamations amusées.)

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est vrai !

M. Jean-Pierre Sueur. Il nous a même dit qu'une telle mesure serait « pire » que la révolution.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est la contre-révolution !

M. Jean-Pierre Sueur. Imaginez, mes chers collègues ce qui, dans l'esprit de M. le garde des sceaux, peut être pire que la révolution ! (Sourires.)

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Affreux ! Un vrai cauchemar ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. Nous sommes saisis de vertige face à une vision qu'il qualifie lui-même de cauchemardesque !

Pour revenir à des propos plus mesurés, je souhaite vous faire observer, monsieur le garde de sceaux, que, dans tous les cas de figure, s'agissant de ce genre d'affaires, il existe un risque d'embouteillage.

En effet, comme l'a dit très justement M. Hyest, si le Médiateur de la République est susceptible d'être saisi à chaque fois qu'un justiciable pense qu'un magistrat a commis une faute disciplinaire, il faut s'attendre à ce qu'il reçoive un abondant courrier, qu'il faudra trier et auquel il faudra répondre.

Si une commission est mise en place, elle devra également gérer un grand nombre de plaintes.

De même, si le Conseil supérieur de la magistrature peut être saisi directement, comme nous le souhaitons, il faudra bien examiner les saisines.

Dans ces différents cas, le problème sera le même, et je ne vois pas où est la différence, à cet égard, entre ces propositions, ni entre la situation actuelle et ce que vous qualifiez de mesure « pire que la révolution ».

Dans tous les cas, il faudra prendre des dispositions afin d'assurer le traitement des saisines.

Je souhaite remercier M. le président de la commission des lois d'avoir bien voulu renoncer à sa proposition de création d'une commission de transparence de la justice, car c'était une profonde erreur. Nous avons, bien sûr, un grand respect pour les commissions, mais, en l'occurrence, une telle instance ainsi dénommée aurait laissé supposer que la justice est opaque. Or la justice est publique et contradictoire, et les juges statuent en leur âme et conscience.

Il serait faux de penser que la transparence, en cette matière, pourrait découler de la création d'une commission ainsi dénommée. Nous préférons, de loin, le nouvel intitulé, plus modeste et plus réaliste.

Pourtant, une difficulté subsiste : ce texte ne permet pas d'établir un nouvel équilibre. Nous proposons, pour notre part, que les citoyens puissent saisir directement le Conseil supérieur de la magistrature, c'est-à-dire un organisme indépendant, et qui pourrait l'être encore plus. Il y aurait là une grande logique. Nous sommes donc prêts à défendre cette proposition et à en tirer toutes les conséquences.

Tel n'est pas votre point de vue, et nous le regrettons. Mais nous estimons qu'il est salutaire, en tout état de cause, de ne plus se référer au Médiateur qui risquerait, d'une part, d'être rapidement débordé, au même titre que les autres instances, et se trouverait, d'autre part, dans une situation ambiguë.

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

M. Christian Cointat. Mes chers collègues, si nous débattons au milieu de la nuit, nous ne sommes pas pour autant coupés du monde extérieur. Et nous ne légiférons pas pour faire plaisir à quiconque, ni pour nous faire plaisir, mais parce que tel est le devoir que nous avons vis-à-vis de nos concitoyens.

Or, s'agissant de la responsabilité des magistrats, question au centre de ce projet de loi organique et au coeur de nos discussions, nous devons davantage prendre en compte les souhaits de nos concitoyens, qui veulent une réforme profonde, mais aussi des garanties. Or, malheureusement, je ne vois rien, dans le texte qui nous est présenté, qui réponde à l'attente de nos concitoyens, et je le regrette profondément.

J'avais trouvé très intéressante l'idée de Jean-Jacques Hyest de créer, non pas une « commission Théodule », mais une commission dédiée au tri, à l'examen et à l'étude des plaintes, dotée de moyens appropriés et destinée à éviter l'engorgement des diverses instances. Nous savons tous, en effet, qu'un grand nombre de saisines seront purement fantaisistes.

Mais une telle commission ne peut, selon moi, répondre à l'attente de nos concitoyens que si ses décisions sont suivies d'effets. C'est pourquoi je ne comprends pas la volonté de M. le garde des sceaux de rester le maître du jeu.

Le ministre de la justice a pourtant assez de tâches à assumer pour ne pas, en plus, s'occuper des réclamations de nos concitoyens !

Que se passerait-il si cette commission, ou le Médiateur - si nous en revenions à cette idée -, se prononçait pour la saisine, par l'intermédiaire du garde des sceaux, du Conseil supérieur de la magistrature, et que le garde des sceaux ne donne pas suite à la décision ? Un tel comportement, scandaleux, ne serait pas compris par l'opinion !

Si nous voulons vraiment répondre à l'attente de nos concitoyens, pourquoi faire intervenir le garde des sceaux, qui sera lié, en tout état de cause, par la décision de la commission ? Il serait plus simple de prévoir d'emblée qu'il doit rester en dehors de ce dispositif. Il sera, ainsi, protégé et ne pourra être accusé de s'immiscer dans le fonctionnement de la justice.

La proposition de la commission des lois me semblait donc excellente, pour autant que la logique soit suivie jusqu'au bout et que l'instance mise en place soit une véritable commission de vérification et de tri des plaintes, placée auprès du Conseil supérieur de la magistrature.

Il en a, hélas ! été décidé autrement. Je vous le dis, et vous le verrez bien, l'opinion publique nous reprochera de ne pas être allés assez loin ! Le candidat à l'élection présidentielle que je soutiens a d'ailleurs insisté, récemment, sur la nécessité, pour tout homme et toute femme détenant un pouvoir sur les autres, d'assumer ses responsabilités et de rendre des comptes. Chacun est concerné et, en tant qu'élus, nous le sommes au premier chef.

M. Pierre Fauchon. Ce n'est pas l'objet du débat sur l'amendement !

M. Christian Cointat. Pour ma part, je suis fort embarrassé, car aucune des propositions présentées ne correspond à ce que je souhaite. Comme je ne tiens pas à aller à l'encontre de la commission des lois, dont je suis membre, je ne prendrai pas part au vote sur ce point.

Encore une fois, nous ne sommes pas allés assez loin. Pourtant, il aurait été très utile de couper le cordon ombilical et de rattacher cette commission directement au Conseil supérieur de la magistrature, qu'il faudra, par la suite, réformer en profondeur, afin de répondre aux attentes de nos concitoyens. Mais cette réforme pourrait avoir lieu dans un deuxième temps.

J'espère, monsieur le président de la commission des lois, que vous serez satisfait, car je ne voterai pas contre votre amendement, même si je ne vote pas pour !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous sommes dans une situation délicate, car l'amendement n° 57 rectifié de Michel Dreyfus-Schmidt était celui que nous soutenions et qui nous agréait le plus. Mais, étant donné le rejet de la demande d'examen par priorité de cet amendement, nous nous prononcerons en faveur de l'amendement n° 21, qui a obtenu la majorité des suffrages au sein de la commission des lois.

Nous ne pouvons pas accepter que le Médiateur de la République devienne, une fois saisi par un parlementaire, le filtre des réclamations en matière de responsabilité des magistrats. Il s'agit même d'une contradiction dans les termes, car le rôle du Médiateur consiste à rapprocher les points de vue de l'administration et des citoyens. Au surplus, le Médiateur de la République ne doit être saisi que des cas de dysfonctionnement des services publics et non de ce qui relève de l'appréciation de la responsabilité personnelle du magistrat, laquelle doit rester, selon nous, en dehors du champ de compétence du médiateur. Et ce n'est pas le fait de lui adjoindre des magistrats supplémentaires qui changera les données du problème.

On pourrait, certes, imaginer de créer une instance sur le modèle de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, compétente pour la police, mais, en définitive, ce serait inutile : le Conseil supérieur de la magistrature, à condition qu'il soit modifié un tant soit peu, est bien suffisant.

Par ailleurs, la saisine du Médiateur de la République par l'intermédiaire d'un parlementaire, qui revient à faire apprécier par un membre du Parlement si tel magistrat a commis, ou non, une faute disciplinaire, n'est pas acceptable. Aura-t-on beaucoup progressé quand on aura ainsi institué la tutelle du législatif pour éviter la tutelle de l'exécutif ? Cette proposition n'est pas conforme à l'idée que nous nous faisons des rapports entre le judiciaire, le législatif et l'exécutif.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Monsieur Cointat, vous montez sur votre bel alezan blanc en disant que les Français réclament plus. Laissons cela aux cours d'école ! La ligne de crête de la responsabilité est déterminée non pas par ce que veulent les Français, mais par ce que le droit permet. Or, dans cette affaire, on s'aperçoit que si l'on veut préserver l'indépendance des magistrats, la limite de l'exercice est très étroite. Vous ne ferez pas mieux que ce que nous faisons aujourd'hui ! Si vous êtes convaincu du contraire, je vous invite à essayer, et vous verrez ce qu'il adviendra.

Quant aux autres aspects auxquels vous faisiez allusion, les résultats seront strictement identiques sur le plan constitutionnel. Autrement dit, nous y avons réfléchi. Ne croyez pas qu'il suffise de taper du pied et de trépigner pour faire avancer les problèmes en matière judiciaire. Cela ne se passe pas ainsi !

Á vous entendre, il faudrait faire en sorte que le garde des sceaux soit lié par la demande de la commission. Revenons à l'affaire d'Outreau : l'inspection générale des services, que j'avais interrogée, m'a dit qu'il n'y avait pas lieu de donner une suite disciplinaire s'agissant du juge Burgaud. Si je m'en étais tenu à votre raisonnement, j'en serais resté là. Imaginez alors la réaction de l'opinion publique ! C'était considérer qu'il ne s'était rien passé. C'est ce que vous voulez inscrire dans la loi ?

M. Christian Cointat. Non, c'est l'inverse !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Mais si ! Autrement dit, prenons garde à ne pas lier les mains des responsables politiques, quels qu'ils soient, par je ne sais quelle commission Théodule. Cessons de dire du mal des hommes politiques, car ils sont les seuls à avoir une légitimité dans une démocratie. La tendance actuelle est de considérer qu'ils sont trop dépendants de leur passion, de leur idéologie, de leur a priori, donc incapables de défendre l'intérêt général. Alors, pourquoi les élire ? Cette dépréciation insidieuse me choque énormément.

Laissez au garde des sceaux une marge de manoeuvre et la possibilité de prendre sa décision en conscience. Dans l'affaire Van Ruymbecke, j'ai suivi l'inspection générale des services et, dans l'affaire Burgaud, je ne l'ai pas suivie. Laissez donc au garde des sceaux cette liberté, car c'est ainsi que l'intérêt général pourra être défendu, et cessez de vouloir le lier à l'avis de je ne sais quelle commission.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Voilà déjà un certain temps que je l'ai constaté, tout ce qui vient de l'opposition est méprisable pour M. Clément. Je découvre aujourd'hui que les propositions de la commission des lois ou de sénateurs de la majorité ne valent pas tripette.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. J'ai dit l'inverse !

M. Pierre-Yves Collombat. Non ! Si nous avons l'outrecuidance de ne pas être d'accord avec vous, nous sommes des irresponsables, nous ne savons pas ce que nous faisons, nous trépignons... À chaque fois, c'est le même discours ! Finalement, ce que vous voulez, monsieur le garde des sceaux, c'est ne rien changer ! Vous voulez garder la main sur tout !

Le couplet sur les hommes politiques, nous le partageons jusqu'à un certain point. S'il s'agit simplement de vous laisser maître de la situation, pourquoi faire une loi ? Vous déciderez des poursuites, en votre âme et conscience, parce que vous êtes élu, parce que vous êtes membre du Gouvernement.

Si nous légiférons, c'est bien pour essayer de mettre en place - et cela n'a rien à voir avec l'irresponsabilité politique - le système le plus objectif possible dans une situation que tout le monde s'accorde à trouver extrêmement complexe. Et nous sommes tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'il ne faut pas faire n'importe quoi.

Il s'agit de permettre à tous nos concitoyens qui, à tort ou à raison, et très souvent à tort, se sentent mal jugés, de saisir une instance qui examinera leur plainte. Je ne crois pas que la saisine du médiateur soit une bonne chose : vous l'avez dit vous-même tout à l'heure, le médiateur instruit les plaintes contre le dysfonctionnement d'une institution. Le mauvais comportement d'un individu, qui revêt un caractère plus ou moins disciplinaire, n'est pas de son ressort.

La logique aurait voulu que ces plaintes soient déposées auprès du CSM, un CSM si possible rénové, au risque de se heurter à un problème technique, celui de l'encombrement. Ce problème se posera pour le médiateur comme pour la commission de transparence ou la commission Théodule. Nous pensons donc être dans une logique parfaite en confiant au CSM le soin d'instruire les problèmes disciplinaires. Nous proposons de lui adjoindre une sorte de chambre d'instruction, un filtre chargé de trier le bon grain de l'ivraie. Je ne crois pas que cette proposition soit irresponsable, et je n'ai vu personne trépigner en la formulant.

Si l'amendement de la commission des lois ne va pas assez loin, il constitue un pas dans la bonne direction, celle qui consiste à instruire toutes les réclamations sur le mode le plus administratif et le plus neutre possible. Il ne s'agit nullement d'une suspicion à l'égard du pouvoir politique auquel nous appartenons. C'est une façon de dire aux gens que les réclamations seront instruites honnêtement, sans parti pris, grâce aux mesures techniques prises par cette commission de filtrage. Cela me paraît raisonnable.

M. le président. Je mets aux voix les sous-amendements identiques nos 58 rectifié et 61 rectifié.

(Les sous-amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 62 rectifié.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président. Je constate que ce sous-amendement a été adopté à l'unanimité des présents.

Monsieur Lecerf, le sous-amendement n° 44 est-il maintenu ?

M. Jean-René Lecerf. Je le retire, monsieur le président.

M. le président. Le sous-amendement n° 44 est retiré.

La parole est à M. Pierre Fauchon pour explication de vote sur l'amendement n° 21.

M. Pierre Fauchon. En ce qui me concerne, je voterai cet amendement par solidarité avec la commission des lois. Mais, en réalité, je suis très réservé sur cette démarche.

Je l'ai déjà dit, chercher à corriger, par la voie de mesures disciplinaires, les dysfonctionnements dont l'affaire d'Outreau a été le révélateur, c'est sans doute répondre à une attente du public. Toutefois, je ne crois pas que ce soit un signal très heureux à l'égard de la magistrature. Je ne crois pas non plus que cela change grand-chose. Car nous sommes en présence d'un dysfonctionnement général de la justice ; cet avis est partagé par le Premier président Guy Canivet et le procureur général près la Cour de cassation.

Ce qui est grave, dans l'affaire d'Outreau, c'est non pas qu'un homme ait peut-être commis des erreurs, mais que l'ensemble du système ait commis des erreurs.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Y compris les auxiliaires de justice, les médias et certains politiques !

M. Pierre Fauchon. En effet, le juge des libertés, le parquet, les avocats, la presse, tout le monde a erré ! C'est donc l'ensemble d'un système qui est en cause.

Si l'on veut y remédier, il faut, comme l'a indiqué Guy Canivet, s'attaquer à la racine du mal, c'est-à-dire la formation des magistrats. À défaut de nous garantir l'infaillibilité, un système de formation différent limiterait les risques de nous voir confrontés à ce genre d'errances.

Je ne crois pas que la bonne voie se trouve dans le raffinement des procédures disciplinaires, d'autant que l'on a inventé une nouvelle faute disciplinaire, qui, en réalité, était déjà sanctionnée par la jurisprudence du CSM. C'est donc une réponse que nous donnons à une attente du public, mais je n'en suis pas particulièrement fier.

Le vrai problème du CSM, pour s'en tenir aux hypothèses qui dépassent le cadre de la formation et relèvent de la discipline, c'est sa saisine. Elle est difficile, on le sait bien. Et ce parce qu'à l'origine elle appartenait au garde des sceaux, lequel est toujours embarrassé de saisir cette instance de crainte d'être accusé de parti pris politique. C'est l'éternel problème du rôle du garde des sceaux, de l'homme politique pris dans un système qui devrait, en principe, être préservé de toute interférence politique.

C'est la raison pour laquelle j'avais soutenu la proposition de notre assemblée d'étendre la saisine du CSM aux chefs de cours, aux procureurs généraux et aux présidents, qui, eux, ne peuvent pas être suspectés d'agir avec des arrière- pensées politiques. Malheureusement, il semble que cette extension de la saisine fonctionne peu. Pourtant, ces magistrats, qui sont dans le système, qui voient de près ce qui se passe, sont bien placés pour opérer cette saisine.

Monsieur le garde des sceaux, je le sais, vous menez actuellement une action pour valoriser le chef de cours et améliorer sa formation. Je souhaite vivement que son rôle dans notre système judiciaire soit étendu et développé à tous égards, et pas seulement en matière de discipline.

En attendant, puisqu'il semble nécessaire de prévoir un mode de saisine, vous en proposez un. Sans trépigner, car l'exercice est trop fatiguant pour mon âge (Sourires.), je me permets de vous dire que l'intervention du médiateur me paraît quelque peu baroque. J'aime beaucoup le baroque en général, dans les beaux-arts, dans l'architecture, la sculpture ou la musique, mais, en matière de justice, je m'en méfie.

Baroque, le système l'est par sa complication. Le médiateur s'occupe d'ores et déjà d'affaires de justice, avez-vous dit. Mais M. Hyest vous a rétorqué que l'on fait entrer dans cette rubrique des affaires qui n'ont rien à voir avec celles dont nous parlons.

Le médiateur s'occupe des dysfonctionnements de la justice. La vocation du médiateur, sa raison d'être, c'est d'intervenir dans des situations qui semblent choquantes en équité, bien qu'apparemment correctes sur le plan administratif. Le médiateur n'a pas à jouer un rôle de procureur en engageant des poursuites. On passe là dans un domaine par nature différent !

La commission a été sage de vouloir mettre un terme, chez les citoyens, à l'idée d'un réseau protecteur interdisant la saisine du CSM : elle leur donne le moyen de le saisir eux-mêmes. Et la solution la plus praticable, c'est de créer cette commission. J'aurais été assez partisan, je l'avoue, de lui offrir une action directe auprès du CSM sans passer par le garde des sceaux.

J'aime assez la formulation : « transmission au ministre de la justice aux fins de saisine du Conseil supérieur de la magistrature ». On n'a pas fini de gloser sur la portée de l'expression « aux fins de »...

Quoi qu'il en soit, tout cela ne m'enthousiasme pas beaucoup, mais je reconnais qu'il faut faire quelque chose et la solution de la commission me paraît la plus sage, raison pour laquelle je voterai son amendement.

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

M. Christian Cointat. « J'ai accompli de délicieux voyages, embarqué sur un mot », disait Honoré de Balzac. C'est un tel voyage que vous m'avez fait faire, monsieur le garde des sceaux, avec le mot « lié », qui évoque, d'une part, la privation de liberté, mais, d'autre part, l'attachement que l'on porte aux choses.

C'est dans ce deuxième sens que je l'employais lorsque je disais que le garde des sceaux serait « lié » par les conclusions de la commission chargée d'examiner les réclamations. Ainsi revêtue d'un véritable pouvoir et d'une véritable compétence, cette dernière apparaîtrait, aux yeux des citoyens, comme vraiment garante de leurs droits et répondrait à leurs attentes.

Comment pourriez-vous expliquer à l'opinion publique qu'une décision de saisine du CSM ne soit pas transmise par le garde des sceaux ? Je ne peux croire à une telle possibilité ! Ou alors, c'est que la commission ne vaut rien... C'est pourquoi il me paraît préférable que le garde des sceaux ne soit pas « lié » par cette commission.

À titre d'exemple, imaginez un seul instant que le comité de filtrage pour la saisine de la Cour européenne des droits de l'homme doive passer par un commissaire : plus personne ne croirait en la valeur de la justice !

Un homme - ou une femme - peut diriger, gérer ou prendre seul des décisions politiques, mais, en matière de réclamations et donc de justice, il faut une collégialité, et une collégialité indépendante. À défaut, le justiciable ne peut avoir confiance.

C'est la raison pour laquelle je n'ai pas compris votre réaction, monsieur le garde des sceaux. Soyez assuré qu'il n'y avait pas d'animosité dans mon approche : j'ai beaucoup d'estime pour vous et je sais, je le dis devant tous mes collègues ici présents, que vous faites un excellent travail, mais, en l'espèce, j'attendais de vous plus d'audace. Je regrette que vous n'alliez pas plus loin, mais, après tout, un tiens vaut mieux que deux tu l'auras.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 21, modifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l'article 6 quinquies est ainsi rédigé et les amendements nos 57 rectifié, 43, 39 et 40 n'ont plus d'objet.