M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Jean-Pierre Bel. Il aura fallu attendre une heure et demie pour que l'opposition puisse s'exprimer sur ce texte !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est le tirage au sort, mon cher collègue !

M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l'instauration du service minimum en juillet dernier, la privatisation de GDF au 1er septembre et l'annonce, le week-end suivant, de la réforme des régimes spéciaux, ceux-ci sont désormais dans le collimateur du Gouvernement.

Monsieur le ministre, voilà quelques jours à peine, à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la recodification du code du travail, vous vous présentiez de manière fort péremptoire comme le champion du « dialogue social », ...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai !

M. Guy Fischer. ... allant jusqu'à nous affirmer que vous ne saviez pas réformer sans négocier !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il l'a dit !

M. Guy Fischer. Je me souviens même que vous nous mettiez, ma collègue Annie David et moi-même, au défi de prouver le contraire.

M. Xavier Bertrand, ministre. Tout à fait !

M. Guy Fischer. En précipitant ainsi le débat parlementaire, alors même que les discussions avec les partenaires sociaux ne sont pas closes et qu'elles auraient, de toute évidence, mérité plus que les quinze jours gracieusement accordés par le Président de la République - mais vous venez de nous dire que, en fait, elles prendraient tout le mois d'octobre -, vous me donnez aujourd'hui l'occasion de prouver que vous n'êtes pas l'homme de dialogue que vous disiez être.

Dialoguer, monsieur le ministre, ce n'est pas seulement informer les autres ; c'est prendre le temps de l'écoute, auquel succède celui de l'échange, puis des propositions concrètes, des discussions et des éventuelles modifications.

M. Guy Fischer. Vous confondez écoute, concertation et négociation ; c'est bien dommage ! En fait, vous pratiquez la politique du fait accompli !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais non !

M. Guy Fischer. Par ailleurs, nous n'avons pas la mémoire courte. Je me souviens, comme si c'était hier, d'une séance du Sénat, que je présidais, le 5 juillet 2004. Notre assemblée examinait - déjà en urgence, et en plein été - le projet de loi destiné à adapter la forme juridique d'EDF et de GDF à l'ouverture du marché à la concurrence. M. Nicolas Sarkozy, alors ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, avait tenu les propos suivants :

« J'en viens maintenant aux garanties sociales.

«  Je le redis avec force : le statut des agents, défini en 1946, sera maintenu. Son champ d'application - production, transport, distribution, commercialisation - ne sera pas modifié ; les agents concernés - les retraités, les présents dans l'entreprise, les futurs embauchés - et son contenu - les dispositions relatives à la garantie de l'emploi, les prestations et les oeuvres sociales - seront maintenus.

« La réussite d'EDF et de Gaz de France est aussi le fruit d'une histoire sociale qu'il nous faut prendre en compte et respecter. »

Voilà ce que disait, ce jour-là, M. Nicolas Sarkozy.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il avait raison de le dire !

M. Guy Fischer. C'est donc dans la précipitation de la consultation des partenaires sociaux et de la représentation nationale que s'ouvre le débat sur la « réforme » des régimes spéciaux.

Vos méthodes, monsieur le ministre, en disent long sur vos objectifs. L'émoi suscité par les propos du Premier ministre, qui annonçait, sur un plateau de télévision, que la réforme des régimes spéciaux de retraite était prête, aisée à mettre en oeuvre et attendait le feu vert du Président de la République pour être lancée, était donc fondé.

À juste raison, les organisations syndicales ont dénoncé cette nouvelle provocation, cette négociation « à froid », considérant qu'une telle « réforme » n'était pas facile - mais j'y reviendrai - et méritait pour le moins un débat.

Or, que nous proposez-vous aujourd'hui ? Une communication gouvernementale anticipée d'une semaine, au pas de course, qui ne fera pas l'objet d'un vote, et ce alors même que les organisations syndicales exigent un délai de réflexion plus long.

Je tiens à vous avertir : ce qui pouvait apparaître, hier encore, comme des fautes de parcours est, en fait, un réel mode de gouvernement. C'est inacceptable, et vous ne le savez que trop !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Parlez du fond !

M. Guy Fischer. D'ailleurs, pour mieux comprendre votre conception du dialogue social, il suffisait de lire dans le journal Le Monde du 18 septembre dernier les propos suivants, tenus par le conseiller social du Président de la République : « L'action gouvernementale doit s'appuyer sur le dialogue social, mais celui-ci ne doit pas être organisé dans des calendriers tels qu'ils feraient obstacle à l'action ».

Or, aujourd'hui, vous nous confirmez que la réforme des régimes spéciaux sera bouclée d'ici au 31 décembre !

M. Alain Vasselle, rapporteur. On ne va pas attendre dix ans pour la faire !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Quel est le projet communiste ?

M. Xavier Bertrand, ministre. On va y venir au projet communiste ! On finira bien par avoir des propositions !

M. Guy Fischer. Cela n'est pas sans me rappeler les méthodes scandaleuses utilisées en 1995 par la majorité RPR de l'époque, visant à priver la représentation nationale, et particulièrement le Sénat, d'un débat digne de ce nom. Débordés par les manifestants, vous aviez finalement été contraints de reculer !

M. Roland Courteau. Et quel recul !

M. Guy Fischer. Vous abordez aujourd'hui le même sujet, à savoir l'alignement des régimes spéciaux sur le régime général. J'évoque ce dernier, mais, en réalité, vous vous êtes dit qu'il valait mieux les aligner, d'abord, sur celui de la fonction publique.

M. Xavier Bertrand, ministre. L'alignement sur le régime général, c'est votre proposition ?

M. Guy Fischer. M. Leclerc, quant à lui, va droit au but en disant qu'il ne faut pas perdre de temps et qu'il convient d'aligner les régimes spéciaux sur le régime général !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce n'est pas ce que nous avons dit !

M. Guy Fischer. Si, il l'a dit !

M. Jean-Pierre Bel. Laissez M. Fischer s'exprimer ! Cela fait deux heures que l'opposition attend de pouvoir intervenir !

M. Guy Fischer. Vous tentez de reprendre les mêmes techniques de contournement du débat démocratique ; c'est inacceptable !

M. Xavier Bertrand, ministre. Et vous, quelle est votre proposition ?

M. Guy Fischer. Le MEDEF, si prompt à ouvrir le débat sur les régimes spéciaux, ne semble pas pressé d'entamer celui de la pénibilité. On comprend pourquoi !

Vous nous proposez donc, aujourd'hui, d'aligner la durée de cotisation des régimes spéciaux sur la disposition en vigueur dans la fonction publique, en la faisant passer de 37,5 à 40 annuités, puis - le Premier ministre l'a clairement annoncé - à 41 annuités dès 2008.

Dès lors, monsieur le ministre, je vous pose une première question : comment tiendrez-vous parole ? Vous avez dit hier que vous réformiez en 2007, mais que vous ne toucheriez absolument pas aux régimes spéciaux en 2008. Ces derniers seront-ils donc exonérés ?

M. Xavier Bertrand, ministre. Non ! J'ai été très clair à ce sujet tout à l'heure !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et votre proposition, monsieur Fischer, quelle est-elle ?

M. Guy Fischer. On en parlera !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous n'en avez pas ! Vous ne savez que critiquer le Gouvernement !

M. Guy Fischer. Permettez-moi de poursuivre mon propos, afin de respecter mon temps de parole !

La protection sociale connaît de grandes difficultés financières depuis plusieurs décennies et des réformes d'ampleur sont donc nécessaires. En effet, nous ne pouvons nous satisfaire du déficit de la sécurité sociale, estimé à 12 milliards d'euros pour 2008. Sous la droite, c'est un déficit record et même historique. Il faut remonter à 2004 pour retrouver un niveau comparable ! Le déficit cumulé de la sécurité sociale sur cinq ans s'élèvera ainsi à 42 milliards d'euros.

Mais, contrairement aux propos du Président de la République, nous ne considérons pas que les bénéficiaires des régimes spéciaux en soient la cause ou l'origine. Leur stigmatisation est inacceptable !

Certes, les régimes spéciaux sont déficitaires, à hauteur de 5,1 milliards d'euros. Mais, de manière plus générale, les difficultés de la protection sociale sont dues aux politiques économiques menées ces dernières années. D'ailleurs, l'échec de celle qui est conduite par le Gouvernement se confirme, et se confirmera en 2008.

Le déficit de la sécurité sociale est dû aux politiques de l'emploi, qui n'ont de cesse de casser l'emploi stable au bénéfice des contrats précaires que votre majorité crée pour satisfaire le patronat. (Mme Michelle Demessine approuve.)

Cela est particulièrement vrai dans les entreprises publiques, notamment celles qui sont concernées par les régimes spéciaux. Le cas est patent à la SNCF, où les gains de productivité dus à l'évolution des technologies n'expliquent pas, à eux seuls, la diminution du nombre de cheminots, qui est passé de 470 000 à 160 000 !

Le déficit de la sécurité sociale est dû également à l'accroissement du temps partiel imposé - particulièrement aux femmes -, qui diminue considérablement l'assiette des cotisations.

Il est dû, enfin, aux nombreux cadeaux fiscaux en direction des plus riches que votre gouvernement multiplie, à l'image du bouclier fiscal voulu par le MEDEF, promis par M. Sarkozy, exécuté par M. Fillon.

Pour mémoire, ce sont 14 milliards d'euros qui ont été dilapidés pendant l'été, soit presque, euro pour euro, le montant du déficit annuel de la sécurité sociale.

Ce chiffre est à rapprocher des 38 milliards d'euros d'exonérations fiscales offertes en 2007 au patronat et aux spéculateurs. Cela correspond à l'élargissement du bouclier fiscal, qui ne concerne que les 245 000 foyers les plus riches, sur 35 millions de foyers fiscaux recensés dans notre pays.

M. Xavier Bertrand, ministre. C'est faux ! Lisez l'éditorial de Jacques Marseille dans Le Point !

M. Guy Fischer. Ceux-là recevront un chèque de 85 000 euros de réduction d'impôts. La mesure coûtera 1,4 milliard d'euros par an. Voilà la vérité !

Je citerai encore la suppression quasi totale de l'impôt sur la fortune, la suppression des impôts locaux pour les plus riches, la suppression des droits de succession pour 4 % des Français les plus aisés...

Il est bien évident que tous ces cadeaux fiscaux de l'été vont réduire les marges de manoeuvre de l'État et accroître le déséquilibre budgétaire, sans compter, bien entendu, qu'ils vont accentuer les inégalités, et ce d'autant que la croissance n'est pas au rendez-vous. La réduction des dépenses publiques est, plus que jamais, à l'ordre du jour et le présent débat y est lié.

En juillet dernier, le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, M. Eric Woerth, annonçait qu'il faudrait à la France une croissance de 3 % pour réduire sa dette afin de la ramener au-dessous de 60 % du produit intérieur brut dès 2010 et annuler le déficit des finances publiques. Il tablait sur une croissance comprise entre 2,25 % et 2,5 % pour 2007, et d'environ 2,5 % pour 2008.

Or, selon de nombreux économistes, on enregistrerait plutôt une dégradation des finances publiques en raison du coût du « paquet fiscal », d'une croissance inférieure aux prévisions gouvernementales, des taux d'intérêt croissants, ce qui alourdit la charge de la dette, sans parler de la crise du secteur de l'immobilier.

Gilles Carrez, rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, admettait lui-même que, à 2,5 % de croissance, on passe ; à 2 %, on aura des problèmes, et à 1,7 % - comme cela se profile -, les difficultés s'accroîtront. Telle est la réalité !

Cette faillite a des causes que nous ne cessons de dénoncer, à savoir des cadeaux fiscaux et l'allégement du coût du travail. Elle est également instrumentalisée, afin de faire accepter des mesures d'austérité qui seraient dictées par la conjoncture mondiale.

Je veux vous démontrer non seulement que les régimes spéciaux ne sont pas à stigmatiser, mais que le fait d'isoler leur réforme est une aberration et une tromperie. En effet, derrière ces régimes, c'est bien l'ensemble de la protection sociale que vous souhaitez attaquer.

En 2007, nous assisterons à l'alignement des régimes spéciaux sur le régime de la fonction publique, avec l'allongement de la durée de cotisation de 37,5 à 40, puis à 41 annuités, l'indexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires et, enfin, la création d'une décote ou d'une surcote et le calcul du taux de remplacement sur les six derniers mois.

Telle est, résumée, la réforme que vient de définir M. le ministre.

Mais MM. Leclerc et Vasselle, ainsi que M. le président de la commission disent  que cela ne suffit pas, qu'il faut aller plus loin et demander encore plus d'efforts au plus grand nombre.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais non ! Nous parlons des nouveaux entrants !

M. Guy Fischer. Dans un second temps - que l'on pourrait qualifier de « second coup de fusil » - votre projet concerne la réforme des retraites dans son ensemble.

Je citerai un taux, tout d'abord : 90 % du financement de la réforme des retraites reposent sur les seuls salariés. En effet, la part des cotisations patronales dans la masse salariale n'a cessé de diminuer, les allégements passant de 1 milliard d'euros en 1993 à 25,6 milliards d'euros en 2007. Dans le même temps, le pouvoir d'achat des retraites a baissé de près de 15 %.

A ce stade du débat, je remarque l'absence de l'ensemble des sénateurs du groupe UMP ! (Vives protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Bel. Regardez, c'est saisissant ! Il n'y a plus un sénateur de l'UMP !

M. Guy Fischer. Oui, ils sont tous partis ! C'est le signe du mépris le plus total !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il y en a un, là ! (M. le président de la commission désigne son voisin, M. Dominique Leclerc, rapporteur.)

M. Jean-Pierre Bel. Un seul ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. C'est scandaleux, monsieur le président de la commission !

Je poursuis tout de même mon propos. Quant aux retraites complémentaires, l'application des accords de 1996-2003, que seule la CGT a refusé de signer, fait que l'évolution de la valeur du point de retraite est indexée sur les prix, tandis que le prix d'achat d'un point de retraite est indexé sur les salaires. Ainsi, pour le même salaire, le nombre de points attribués diminue d'année en année.

Enfin, dernière étape de votre projet, la casse annoncée de la sécurité sociale et du système de retraite par répartition.

M. François Marc. Ils ne sont pas là pour vous entendre !

M. Guy Fischer. La philosophie des réformes engagées par le Gouvernement est de favoriser le basculement d'une logique de solidarité vers un régime d'assurance, le passage d'un droit collectif à un droit individuel. (C'est vrai ! sur les travées du groupe socialiste.)

De même qu'il faudra cotiser individuellement pour garantir son accès aux soins, de même M. Sarkozy ne s'est pas caché, dans son discours du 18 septembre au Sénat, de vouloir inciter les Français à garantir leur éventuelle future dépendance ou leur retraite par des placements financiers.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 n'augmente-t-il pas les retraites de 1,1 % - vous voyez l'aumône ! -, alors que l'inflation prévue s'établit d'ores et déjà à 1,6 % ?

Les parlementaires communistes sont favorables à une réforme des systèmes de retraites, comme à celle de la sécurité sociale dans son ensemble.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ah !

M. Guy Fischer. Ainsi, ils souhaitent une réelle réforme, qui ne diminue pas les droits, mais, au contraire, les garantisse et les élève.

Cette réforme nécessaire que, par idéologie, vous refusez d'appliquer, laissez-moi vous en esquisser les premiers traits.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oui !

M. Guy Fischer. Il faudra bien, compte tenu de l'évolution de la démographie de notre pays, donner la priorité aux besoins humains. Oui, il faut les faire passer avant la logique financière qui, à ce jour, a caractérisé les plans de financement de la sécurité sociale et a fait des budgets sociaux des variables d'ajustement de votre politique libérale, notamment en matière d'emploi.

Nous proposons le retour aux 37,5 annuités pour ouvrir droit à une retraite pleine et entière.

Mme Michelle Demessine. Voilà notre proposition !

M. Guy Fischer. Pourquoi ne pas profiter du développement exponentiel des technologies et du fort accroissement de l'espérance de vie ? Faut-il revenir à la situation qui était celle de la fin du xixe siècle ? Faut-il revenir au travail jusqu'à soixante-cinq ou soixante-dix ans pour les populations les plus modestes ?

Il conviendra de revoir l'ensemble des dispositions antisociales prises par les gouvernements de droite, qui rendent de plus en plus virtuel le départ à la retraite à soixante ans.

Pour ce faire, nous voulons confirmer le droit à partir en retraite à l'âge de cinquante-cinq ans pour celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt en confortant le système de la « carrière longue », que M. Fillon souhaite remettre en cause, afin de permettre notamment la modification de la règle des cent soixante-huit trimestres validés.

Il nous faudra aussi tenir compte de l'exigence des jeunes qui, poursuivant de longues études, entament tardivement leur carrière professionnelle. Nous proposons que leurs années d'études et de formation après dix-huit ans soient prises en compte.

En effet, en moins de trente ans, le début de la vie professionnelle a reculé de près de sept ans, et de neuf ans pour ce qui est de l'intégration dans un premier emploi stable. Cela rend impossible la validation de cent soixante trimestres à l'âge de soixante ans. Parce qu'il s'agit là de l'une des conséquences de la précarisation du travail, il faudra, par équité envers les plus jeunes, y revenir.

Le problème majeur de notre société, c'est l'explosion de la précarité, qui touche essentiellement les femmes et les jeunes. (Marques d'approbation sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mais il faut également, et de manière urgente, revaloriser substantiellement l'ensemble des retraites, qui n'ont cessé de diminuer. Cela passe par leur réindexation sur l'évolution des salaires bruts. Il s'agit de mettre fin au désastre causé par l'indexation des retraites sur les prix hors tabac, qui a pour conséquence d'appauvrir les retraités.

Le Comité national des retraités et des personnes âgées estime d'ailleurs que, entre 1993 et 2005, l'évolution des retraites a été inférieure de 14 % à celle des salaires, précisément en raison de leur indexation sur les prix.

Cette réalité, vous ne pouvez la nier. C'est le vécu de millions de retraités, ceux que Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, avait qualifiés de « peuple d'en bas ».

Il existe, mes chers collègues, une véritable paupérisation des retraités. L'urgence est donc de garantir la retraite totale - retraites de base et complémentaire - à 75 % du salaire moyen des dix meilleures années de carrière, avec un minimum au moins égal au SMIC.

Il faut également poursuivre les efforts entamés en 1997 en faveur des régimes de retraite agricole en revalorisant la retraite totale du chef de l'exploitation à un niveau égal à 75 % du SMIC brut, en instaurant la parité du montant de la retraite des conjoints et des conjointes avec celle du chef de l'exploitation et en supprimant les coefficients de minoration.

S'agissant des fonctionnaires, nous proposons de rétablir les droits prévus par le code des pensions avant le plan Fillon, et même de les améliorer. En l'espèce, MM. les rapporteurs ont fait un certain nombre de propositions.

Avec mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen, je réclame que le montant des pensions soit fixé sur la base de 75 % du traitement des six derniers mois d'activité.

Il faudra également inclure les primes et les indemnités au traitement indiciaire de base, rétablir totalement les bonifications pour enfant, supprimer les décotes pour carrière incomplète, qui pénalisent particulièrement les femmes. C'est un problème d'actualité.

Tout cela suppose, monsieur le ministre, de prendre la mesure de l'enjeu de société qui s'annonce. Il faut rompre définitivement avec la logique comptable qui anime votre politique et qui vous conduit à ignorer les besoins des Français. La solution est évidente ; elle consiste à donner à la protection sociale les moyens financiers suffisants pour lui permettre d'assumer l'ensemble de ses missions et de satisfaire tous les besoins.

Pour ce faire, nous nous prononçons pour la mise à contribution des revenus financiers et spéculatifs des entreprises et des banques. Pour nous, tous les revenus du travail doivent être concernés, car il ne saurait y avoir, d'un côté, les salariés contributeurs et, de l'autre, les plus riches qui ne participeraient pas.

Redonner à la sécurité sociale les moyens de ses ambitions passe également par le remboursement de la totalité des dettes qu'a l'État envers elle, par la suppression des exonérations de cotisations sociales et par la fin de votre politique de cadeaux fiscaux, qui n'ont eu pour seules conséquences que de l'appauvrir, de tirer les salaires « vers le bas » et d'épargner les bénéfices des entreprises.

Vous comprendrez d'ailleurs notre grand contentement lorsque, à la lecture du rapport annuel de la Cour des comptes sur la sécurité sociale, nous avons découvert que son président, qu'on ne peut soupçonner de partager les conceptions de notre groupe, propose justement de taxer les stock-options et les parachutes dorés. S'adressant à la presse lors de la présentation de ce rapport, Philippe Seguin recommandait, en effet, « la suppression ou le plafonnement de l'exonération sur les stock-options », en précisant que les « cinquante premiers bénéficiaires devraient toucher une plus-value de plus de 10 millions d'euros chacun sur les options attribuées en 2005. » Il ajoutait que pour ces seuls bénéficiaires, « les cotisations manquantes s'élèvent à 3 millions d'euros. »

Votre seule réponse consiste à réduire les dépenses alors même que la priorité devrait être à l'accroissement des recettes. La solution, c'est l'élargissement de l'assiette de cotisations, une alternative crédible reprise là encore par M. Seguin, qui précise, concernant les stock-options, qu'ils constituent « un complément de salaire au versement différé ou une incitation à l'actionnariat et [qu'ils] sont donc bien un revenu lié au travail, donc normalement taxable. » (M. Jean-Marc Juilhard gagne l'hémicycle, suscitant des applaudissements nourris et des exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

J'en reviens à ma question initiale : pourquoi une telle précipitation ? Il s'agit, en fait, de dissimuler les échecs de votre propre politique.

M. Guy Fischer. C'est un habile effet de manches visant à dissimuler l'échec du plan Fillon, qui devait, je vous le rappelle, conduire à l'équilibre de la branche retraite de la sécurité sociale. Or, les chiffres prouvent qu'il n'en est rien.

Mme Annie David. Exactement !

M. Guy Fischer. Quelle conséquence tirez-vous de cet échec ? Aucune ! Vous persistez à vouloir mettre les seuls salariés à contribution tout en épargnant les entreprises, et ce alors même que les bénéfices de celles qui sont cotées au CAC 40 continuent d'exploser.

Monsieur le ministre, il semble clair à l'ensemble de la représentation nationale que votre politique systématique d'appauvrissement de la sécurité sociale, de culpabilisation des affiliés, de suspicion et d'opposition entre les Français n'a qu'un seul objectif : préparer l'après-sécurité sociale.

M. Xavier Bertrand, ministre. Ah !

M. Guy Fischer. Vous devez, par respect pour les Français, annoncer votre projet réel et dire enfin ce que vous souhaitez faire.

M. Xavier Bertrand, ministre. Sauver le régime par répartition !

M. Guy Fischer. Vous souhaitez, en fait, la fin du régime par répartition au bénéfice d'un régime par capitalisation qui ferait la part belle au secteur privé et assurantiel.

M. Xavier Bertrand, ministre. Est-ce là ce que vous proposez ?

M. Guy Fischer. De même, vous souhaitez fiscaliser entièrement le financement de la protection sociale au moyen de la TVA sociale - ou de ce que l'on pourrait appeler la TVA sur le travail. Ainsi, la mise en place des franchises médicales, l'appel aux mutuelles complémentaires, la création des plans d'épargne retraite et l'annonce de la création d'une cinquième branche couvrant le risque de la dépendance, dans laquelle le privé sera fortement mis à contribution, sont autant de signes de votre coupable projet.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Guy Fischer. C'est d'ailleurs ce qu'esquissait la loi Fillon du 21 août 2003 portant réforme des retraites qui offre aux plus riches la possibilité de se constituer des compléments de retraite par capitalisation grâce à des exonérations fiscales massives. Le dispositif issu de cette loi, qui ne connaît qu'un faible succès, vise à ajouter à la retraite perçue une rente viagère qui correspond à l'épargne réalisée par l'adhérent.

C'est cela que vous voulez généraliser à l'ensemble des salariés. Je ne parle pas de ceux qui sont titulaires des minima sociaux ou de ceux qui perçoivent un salaire proche du SMIC. Votre projet s'inscrit dans la perspective de la fin d'un système par répartition au bénéfice d'un système par capitalisation.

Mais pourquoi un tel empressement ? Quelle est cette situation si indigne qu'elle provoque une telle précipitation de votre part ?

Les régimes spéciaux, qui ne se limitent pas aux seuls régimes de retraite, ont une histoire. Ils sont la résultante d'une réalité sociale marquée par la construction progressive d'un régime solidaire fondé sur la répartition et la solidarité intergénérationnelle.

Ils sont le fruit de luttes courageuses menées par des milliers d'hommes et de femmes attachés à leur outil de travail et à leur développement.

Ils traduisent en outre la reconnaissance de la nation envers le service public et ses agents, sur lesquels pèsent des contraintes particulières et qui remplissent leur mission spécifique avec attachement, qualité et dévouement. Car c'est aussi de cela qu'il nous faudra parler.

Comment évoquer les régimes spéciaux en éludant la question des agents ? Derrière un statut particulier se trouvent des hommes et des femmes. Je vous rappelle, à cet égard, le formidable travail réalisé par les agents d'EDF au lendemain des tempêtes de décembre 1999.

Avant 1945, les régimes considérés comme spéciaux ne l'étaient pas, car ils n'existaient pas en raison de l'opposition du patronat à un véritable régime de protection sociale. Il faudra attendre 1945, la fin de la guerre et l'application du programme national de la Résistance pour qu'enfin tous les salariés de notre pays aient droit à un régime de protection fondé sur la solidarité intergénérationnelle et sur la répartition qui offre un salaire de substitution une fois l'âge de la retraite venue, en cas de maladie ou d'accident, ou bien lors d'une naissance. Ce système fut d'ailleurs gravé dans le marbre de la Constitution.

C'est à cela que voudrait s'attaquer le Gouvernement, désirant progressivement abandonner les risques malheureux- accidents, maladies - pour n'assurer que les risques heureux, telle la grossesse. Et encore, dans quelles conditions ? Je vous renvoie à votre refus récent et rétrograde d'allonger le congé de maternité de trois semaines...

D'ailleurs, la proposition du Président de la République de créer une cinquième branche couvrant le risque de la dépendance ne dupe personne...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ah bon ?

M. Guy Fischer. ...puisque, simultanément, il en appelle au privé pour être imaginatif et proposer des placements fiscalement intéressants.

Aujourd'hui, les régimes spéciaux de retraite concernent 1,6 million de personnes, actifs et retraités confondus. Ce serait donc pour 1,1 million de retraités sur 14 millions et pour 500 000 actifs - soit 2 % de tous les actifs - qu'il faudrait agir de la sorte, précipiter le débat, défier les syndicats ?

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Il ne faut rien faire !

M. Guy Fischer. Il me semble important de rappeler ici quelques vérités sur les régimes spéciaux. À cette fin, je prendrai deux exemples : celui de la SNCF et celui des industries électriques et gazières.

Mes chers collègues, contrairement à ce que nous avons pu entendre ici ou là, les salariés de la SNCF ne sont pas les nantis de notre République.

MM. Dominique Leclerc, rapporteur, et Pierre Hérisson. On ne l'a jamais dit !

M. Guy Fischer. Environ 60 % des retraités de la SNCF touchent une pension de 1 100 euros. Si, dans le privé, le taux de remplacement est globalement égal à 73 %, il est égal à 66 % chez EDF et à 63 % à la SNCF. Quelle en est la raison ? Elle réside dans des salaires bas, parfois inférieurs au SMIC, complétés par des primes qui ne sont pas prises en compte dans le calcul des droits à la retraite.

Le Gouvernement voudrait également faire croire que les régimes spéciaux coûtent aux assurés sociaux, n'hésitant pas à stigmatiser ces agents. Mais, en réalité, c'est bien votre projet de réforme qui ferait payer les assurés sociaux, monsieur le ministre ! Aujourd'hui, ces régimes sont autonomes, à l'image de celui des industries électriques et gazières, qui, ne se contentant pas d'être en strict équilibre, dégage un excédent de près de 300 millions d'euros et participe à la compensation démographique.

M. Xavier Bertrand, ministre. Ah !

M. Guy Fischer. Certes, le régime de retraite de la SNCF est déficitaire, mais pour deux raisons. D'une part, la diminution importante du nombre de salariés a conduit à une diminution concomitante du nombre d'actifs et, par conséquent, du nombre de cotisants. D'autre part, il souffre d'un déficit démographique. C'est cela que vient compenser l'État - et rien d'autre - à hauteur de 4 milliards d'euros.

Ce que vous n'avez pas dit, monsieur le ministre, c'est que ce dispositif est fondé sur le strict principe de solidarité qui s'applique également au régime général, et ce en vertu d'un règlement européen de 1969. Pour mener à bien vos projets, il vous faudra nécessairement modifier ce règlement, qui concerne toutes les entreprises ferroviaires européennes.

D'où cette question, monsieur le ministre : entendez-vous, en fait, réformer les régimes spéciaux ou bien les droits spécifiques attachés aux agents bénéficiant des régimes spéciaux ? Cette distinction n'est pas neutre. J'ai bien peur, pour ma part, que vous ne fassiez ce dernier choix.

En fait, les régimes spéciaux participent à hauteur de 47 % à la compensation, là où le régime général y participe pour 46 %. Les principaux bénéficiaires de cette compensation sont les exploitants agricoles à hauteur de 70 %, les commerçants et artisans à hauteur de 24 % et les régimes spéciaux à hauteur de 7 % seulement.

Mme Michelle Demessine. Voilà la vérité !

M. Guy Fischer. D'ailleurs, l'examen de l'origine des produits de la caisse de retraite de la SNCF apporte un éclairage particulier : les cotisations des cheminots et de la SNCF représentent 38 % de ces produits contre 54 % pour la contribution de l'État au titre du déficit démographique, la compensation et la surcompensation n'en représentant que 7 %.

Le régime spécial de la SNCF, contrairement à vos dires, ne vit pas des financements issus des autres régimes et du régime général. Au contraire, les régimes spéciaux participent largement au financement d'autres caisses, comme nous l'avons démontré. Voilà la réalité ! Voilà ce que, dans votre précipitation, vous souhaitez taire !

À écouter les propos de M. Fillon, de M. Sarkozy et même les vôtres, monsieur le ministre, on pourrait croire qu'il s'agit là d'une réforme capitale, commandée par la morale, l'équité et la justice. En entendant M. le Président de la République exprimer son sentiment d'indignation et son désir d'équité pour la conduite de ses réformes, j'ai cru un instant qu'il s'agissait d'une remise à plat de notre système fiscal, qu'il était question de la mesure tant attendue par l'opposition pour supprimer tous vos cadeaux fiscaux. Il n'en est rien ! Votre cible, ce sont les régimes spéciaux.

Les agents concernés par ces principaux régimes - ils appartiennent à la  SNCF, à la RATP et aux IEG - bénéficient, en résumé, de trois mesures favorables : une durée de cotisation plus courte, des possibilités de départ à la retraite anticipée et le calcul de la retraite sur les six derniers mois de salaire. Pour autant, ces acquis ne sont pas sans contrepartie.

Ce qui est indigne, pour vous, c'est le droit à la retraite à cinquante-cinq ans accordé à des agents qui n'ont de cesse de faire évoluer leurs entreprises jusqu'à les rendre « leaders » au niveau européen, voire mondial. En voulant supprimer cette disposition, vous feignez d'ignorer le mode spécifique de calcul de la durée de cotisation. Je vous rappelle que, dans les régimes spéciaux, seuls les trimestres strictement cotisés sont pris en compte.

Ce qui est indigne pour vous, c'est le droit pour des hommes et des femmes de bénéficier d'une retraite à cinquante-cinq ans en raison de la pénibilité de leur profession. Je vous entends déjà, prêt à minorer cette caractéristique. Ce serait mal connaître le monde du travail ! Combien de suicides de salariés dans les entreprises vous faudra-t-il encore pour comprendre que la pénibilité, jusqu'alors évaluée sur le plan physique, se mesure aujourd'hui sur le plan psychologique ?