M. Guy Fischer. Ce qui est indigne pour vous, c'est la référence de calcul de la pension, correspondant dans bien des cas aux six derniers mois de traitement alors que, dans le privé, la pension se calcule sur les vingt-cinq meilleures années. Mais, si une évolution est nécessaire ici, ne doit-elle pas être pour une fois un progrès et non une régression ? Faudrait-il toujours que vos mesures nivellent par le bas, quand, de toute évidence, nous pourrions tirer l'égalité vers le haut ?

Ce débat tronqué sur les régimes spéciaux évite soigneusement d'aborder le problème de l'accroissement important du déficit de la protection sociale par les transferts entre régimes : il faut, en effet, parler du financement de la couverture sociale des agriculteurs, des commerçants et artisans, ainsi que des régimes placés, de longue date, sous assistance respiratoire. Notre rapporteur Alain Vasselle, qui parle de « régimes en coma dépassé », ne me contredira pas.

Ainsi, en 2005, le régime général a versé près de 7 milliards d'euros au régime agricole au titre de la compensation démographique,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est un coup bas !

M. Guy Fischer. ...près de 5 milliards d'euros provenant, pour leur part, des régimes des fonctionnaires.

Pour autant, je n'entends pas stigmatiser ces régimes, dont les ressortissants sont aussi les victimes d'un système.

Mes collègues Claude Domeizel et Dominique Leclerc ont démontré que, dans les années quatre-vingt, les réserves importantes de la Caisse nationale de retraite des collectivités locales, la CNRACL, ont été asséchées, pillées en totalité, afin d'alléger la charge, pour l'État, du financement de certains régimes spéciaux.

Ils poursuivent leur analyse en parlant de « hold-up » sur les ressources de la Caisse nationale d'assurance vieillesse et en démontrant qu'entre 2001 et 2005 le régime général a été le grand perdant, dans la mesure où sa contribution s'est accrue de 21 % et qu'à l'inverse l'État a acquitté une charge sensiblement moins élevée au titre des fonctionnaires civils et militaires.

Cela démontre qu'il est impossible aujourd'hui de montrer du doigt les régimes spéciaux hors d'une analyse globale de la réforme des retraites.

Ne conviendrait-il donc pas justement de rechercher une convergence par le haut des régimes des secteurs du privé et du public, en prenant notamment comme critère la pénibilité du travail ?

Pourquoi ne pas aborder le problème de l'égalité d'une toute autre manière ? Il s'agirait, tout d'abord, d'assurer à chacun le droit à une véritable retraite à soixante ans et de définir, pour les jeunes entrés tardivement dans la vie professionnelle, de nouvelles conditions d'acquisition des droits.

Il faut dégager les ressources - elles existent, nous l'avons démontré - pour une réforme de progrès, qui réponde aux aspirations des salariés à mieux vivre après la retraite, à profiter de l'augmentation de la durée de la vie, à condition que la pénibilité du travail, dont le stress, puisse régresser en parallèle...

Autrement dit, il est nécessaire de créer un véritable socle de garanties communes aux salariés du privé comme du public.

La question des retraites ne peut donc, je crois l'avoir démontré, être réduite à un problème démographique. Elle est et doit être un véritable phénomène de société, un enjeu de la qualité du travail et de la vie.

Oui, l'harmonisation par le haut est financièrement possible et nous n'aurons de cesse de vous le rappeler. Alors que se cache-t-il encore derrière votre projet ? Nous avons vu qu'il ne pouvait s'agir d'une mesure d'équité, auquel cas vous auriez supprimé les dispositions du projet de loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat.

Nous avons vu qu'il ne pouvait s'agir, à moyen et à long terme, d'une mesure comptable. Hier, monsieur le ministre, vous avec déclaré qu'il n'y aurait aucune conséquence financière,...

M. Xavier Bertrand, ministre. Qu'ai-je dit ?

M. Guy Fischer. Vous avez dit que, dans l'immédiat, l'État ne ferait pas d'économie.

En agissant de la sorte, vous faites le pari connu et scandaleux de diviser les Français pour mieux asseoir votre autorité et casser ce à quoi nos concitoyens sont le plus attachés, à savoir notre contrat social.

Vous savez que le « nouveau contrat anti-social » proposé par Nicolas Sarkozy sera majoritairement rejeté un jour ou l'autre. Votre seule option : accuser l'autre de tous les maux, faire planer le doute et la suspicion, comme vous l'avez fait avec le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, comme vous le faites aujourd'hui avec les régimes spéciaux et comme vous comptez le faire demain avec les franchises médicales et le régime général des retraites.

Malgré toute votre propagande, vous ne parviendrez pas à convaincre les Français que la branche retraite de la sécurité sociale est déficitaire en raison de l'existence des régimes spéciaux ; vous ne réussirez pas à opposer les salariés entre eux.

Le Président de la République désire une chose plus que tout : ajouter à son tableau de chasse les régimes spéciaux. Voilà la vérité ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Bel. Je tiens à saluer le retour des sénateurs de l'UMP dans cet hémicycle.

Pour ceux d'entre nous qui se posaient la question de savoir si l'opposition est importante et nécessaire, ils en ont eu une démonstration ce matin. Pendant plus d'une demi-heure, en effet, sur un débat essentiel - M. le ministre nous a expliqué que c'était le meilleur moment pour discuter de cette réforme des régimes spéciaux -, aucun sénateur de l'UMP n'était présent dans l'hémicycle ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il y avait le meilleur d'entre nous : Dominique Leclerc !

M. Jean-Pierre Bel. Je félicite l'opposition d'avoir rappelé au président la nécessité de les mobiliser... (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

M. le président. Je vous donne acte de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, héritage ou prolongement de concepts de l'Ancien régime, les régimes spéciaux illustrent combien la France est imprégnée par la préservation de ses particularismes. Les régimes spéciaux, depuis des siècles, sont le produit d'un État protecteur qui a tant marqué notre histoire.

Mme Dominique Voynet. Vous êtes un spécialiste de l'Ancien régime !

M. Aymeri de Montesquiou. La volonté de récompenser l'effort de ceux qui exerçaient un métier vital pour la nation ou qui étaient soumis à de fortes contraintes a conduit à la création de régimes de protection sociale spécifiques.

La question qui nous est posée aujourd'hui est de savoir si ces régimes spéciaux, en ce début du XXIe siècle, ont toujours une raison d'être et, plus largement, si d'autres secteurs d'activité nouveaux ne sont pas concernés par le stress et la pénibilité.

On tend à considérer en France que ce qui existait dans le passé doit se pérenniser. Or, en s'appuyant sur le seul bon sens, on est conduit à constater que les conditions qui justifiaient ces régimes spéciaux n'existent plus. Comme l'a récemment déclaré le chef de l'État : « Il existe des régimes spéciaux de retraite qui ne correspondent pas à des métiers pénibles, il existe des métiers pénibles qui ne correspondent pas à un régime spécial de retraite. »

Je ferai un rappel historique : ces régimes spéciaux, dont nous parlons tant, remontent parfois jusqu'à Louis XIV ! Comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre, c'est en effet dès 1673 que les marins ont bénéficié d'une pension en cas de blessure les empêchant de continuer leur activité. En 1709 était institué un véritable régime de retraite pour tous les marins de commerce et de la pêche. Au XIXe siècle furent aussi mis en place les régimes de retraite de la Banque de France, de la Comédie-Française, des chemins de fer - en 1855 - et des mines. Je m'en tiendrai à cette litanie non exhaustive.

Par la suite, lors de la création du régime général des assurances sociales en 1930, puis du régime général de sécurité sociale en 1945, les ressortissants des régimes spéciaux choisirent pour la plupart de rester protégés par des régimes mieux adaptés à leur spécificité et qui offraient une meilleure protection. Quoi de plus normal !

La pénibilité du travail d'un conducteur de locomotive ou d'un mineur ne laissait à ces derniers, en moyenne, qu'une durée de retraite de cinq ans !

Le sujet que nous abordons est d'autant plus complexe que ces régimes sont parfois très différents. Certains assurent l'intégralité de la protection sociale de leurs membres : c'est le cas pour les marins, les agents de la SNCF, le personnel de la chambre de commerce et d'industrie de Paris ou les notaires. D'autres n'offrent qu'une protection partielle et ne touchent que la branche vieillesse : c'est le cas des régimes des fonctionnaires locaux, des employés des industries électriques et gazières ou des personnels de l'Opéra de Paris.

J'insisterai sur les trois principaux régimes spéciaux de retraite : EDF-GDF, SNCF et RATP. Comme le rappelle le rapport de la Cour des comptes, ces régimes concernent près de 500 000 bénéficiaires et comptent 361 000 cotisants actifs. Celui de la SNCF, dont bénéficient 178 000 agents, prévoit un départ à la retraite à cinquante-cinq ans, à cinquante ans pour les agents de conduite. À la RATP, les personnels de maintenance peuvent partir à la retraite à cinquante-cinq ans et les conducteurs à partir de cinquante ans. Enfin, à EDF et GDF, l'âge de départ à la retraite est fixé à soixante ans, sauf pour les salariés qui occupent des fonctions pénibles et qui peuvent partir à cinquante-cinq ans. Nous constatons donc une grande hétérogénéité, qui s'explique par des choix et un contexte datant d'environ soixante ans, et non par des causes contemporaines.

Pour éviter que les entreprises n'aient à supporter un financement de plus en plus lourd, EDF-GDF et la RATP ont d'ores et déjà entrepris d'adosser les retraites de leurs agents au régime général. Ce transfert de charges est compensé par le versement d'une soulte, à ceci près que les gaziers, électriciens et agents de la RATP continueront à bénéficier de conditions spécifiques plus favorables que les autres salariés : départ à cinquante-cinq ans, voire cinquante ans, durée de cotisations de trente-sept ans et demi au lieu de quarante, pension calculée sur le dernier salaire, comme le souligne le rapport de la Cour des comptes, qui regrette que la loi de 2003, alignant les durées de cotisations des fonctionnaires sur celles des salariés du privé, ne se soit pas occupée de cette question.

Ces régimes sont théoriquement autofinancés, mais, pour des raisons démographiques, ils sont de plus en plus déficitaires. Ce déficit est couvert par des subventions de l'État : 2,5 milliards d'euros pour la seule SNCF, ce qui est considérable !

Alors que de nouveaux efforts s'annoncent en 2008 pour l'ensemble des Français et que le Gouvernement doit gérer équitablement ses dépenses publiques, il est difficile de ne pas réformer ces régimes.

C'est pourquoi les acteurs du système de retraite estiment en toute logique que la poursuite du statu quo est devenue impossible au-delà de l'horizon 2008. Nombre de syndicalistes et de membres du parti socialiste partagent cet avis. Je ne ferai pas l'exégèse des propos de Manuel Valls, de Michel Rocard ou du nouveau directeur général du FMI. Et puisque l'Union européenne et la mondialisation nous conduisent à la comparaison...

M. Jean-Luc Mélenchon. Vous citez trois socialistes alors que nous sommes 300 000 ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Aymeri de Montesquiou. J'ai choisi les plus notables, monsieur Mélenchon !

M. Jean-Luc Mélenchon. Il en est d'autres qui ont une opinion contraire !

M. Aymeri de Montesquiou. Quel pays développé autre que le nôtre a aujourd'hui conservé ses régimes spéciaux ? Aucun.

L'objectif est d'aboutir, d'ici à la fin de l'année, à une harmonisation équitable des règles des régimes spéciaux avec celles de la fonction publique et de mettre ainsi l'ensemble des Français sur un pied d'égalité dans la perspective du rendez-vous de 2008 sur les retraites.

La réforme des régimes spéciaux ne vise en aucune façon à opposer certaines catégories professionnelles à d'autres ; elle tend, au contraire, à sauvegarder la retraite de tous, aujourd'hui menacée par les déséquilibres démographiques. À cet égard, pourquoi les régimes spéciaux feraient-ils exception ? Des évolutions sont donc nécessaires.

Mais la réforme des régimes spéciaux doit avant tout être guidée par un impératif d'équité et de justice.

Nous sommes tous conscients, sur ces travées, que la situation actuelle ne peut être perçue que comme une source d'inégalités injustifiées entre les salariés. La pénibilité d'une profession spécifique doit être démontrée. Je pense spontanément aux marins pêcheurs, qui risquent très souvent leur vie et qui connaissent des conditions de travail extrêmement difficiles.

Certains régimes concernant des professions aux adhérents peu nombreux se sont déjà engagés dans la voie de l'auto-réforme, comme celui des clercs de notaire ou celui de la Banque de France. Traiter ces systèmes de retraite au cas par cas et les inciter à mettre en oeuvre cette évolution par eux-mêmes, telle doit être l'approche de cette réforme. En cas d'échec, il faudra que l'État intervienne et détermine les modifications nécessaires.

Pour autant, mes chers collègues, il faut dire clairement aux Français que le problème des retraites ne sera pas définitivement réglé avec la réforme des régimes spéciaux. Il est, en effet, tout à fait inexact de présenter leur suppression comme le moyen de financer les petites retraites, les régimes spéciaux ne représentant que 2 % des actifs. Est-il équitable que l'ensemble des Français contribue massivement à l'équilibre des retraites d'une petite minorité de leurs concitoyens travaillant moins longtemps qu'eux alors que la pénibilité de leur profession n'est pas avérée ?

Si les comptes de la sécurité sociale sont plus que préoccupants, c'est notamment du fait de la caisse d'assurance vieillesse. Nous sommes dans la première phase de la réforme de 2003. Celle-ci anticipe en particulier le départ à la retraite de salariés qui ont commencé à travailler très jeunes, le départ à la retraite de fonctionnaires et le principe de l'allongement de la durée de cotisation à partir de 2008.

Pour le prochain rendez-vous de 2012, notre objectif doit donc être d'équilibrer les comptes du régime général par l'allongement de la durée de cotisation d'une ou de plusieurs années en fonction de la pénibilité des métiers. Ayons le courage d'affirmer cette réalité ! Nous ne sommes donc qu'au début d'un chemin qui sera ardu.

La remise en cause des régimes spéciaux pourrait servir de modèle pour une nouvelle réforme du régime général, qui devra se faire dans la concertation et en tenant compte de la pénibilité de chaque métier.

Mes chers collègues, il est plus que temps d'aligner rapidement les régimes spéciaux sur le régime général. C'est une question d'équité qui emporte des conséquences financières.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Très bien !

M. Aymeri de Montesquiou. Il faut privilégier la négociation, refuser le passage en force et utiliser le débat parlementaire.

Il est, bien sûr, hors de question de stigmatiser les fonctionnaires. Cette réforme doit se faire dans un esprit de dialogue avec l'ensemble des acteurs concernés et en s'appuyant sur la négociation au sein des branches ou des entreprises. Tel est le défi qui s'offre à nous !

Consultations, concertations, négociations : la méthode choisie par le Gouvernement est essentielle ! Le contexte est très favorable, car une chose est sûre, monsieur le ministre, l'immense majorité des Français est prête à vous suivre. Ainsi, 68 % de nos compatriotes sont favorables à une réforme des régimes spéciaux de retraite et à leur rapprochement avec le régime général, soit une progression de neuf points en un an, selon un sondage du CSA. Néanmoins, ils refusent l'injustice !

Comme le dénonce encore une fois la Cour des comptes, n'oublions pas que les stock-options distribuées aux cadres dirigeants des grandes entreprises représentent un manque à gagner total de 3 milliards d'euros pour la sécurité sociale.

M. Aymeri de Montesquiou. Dès lors, comment demander dans le même temps un effort à un salarié gagnant le SMIC et ignorer les stock-options ?

M. Jean Desessard. Très bien !

M. Aymeri de Montesquiou. Je le répète, le succès de la réforme dépend du sentiment de justice que ressentiront nos concitoyens. Aujourd'hui, à la devise de la République, on peut ajouter le terme « équité », ...

M. Jean-Luc Mélenchon. Non, cela n'a rien à voir !

M. Aymeri de Montesquiou. ... ce qui, dans ce contexte, signifie harmonisation.

Je souligne que la transparence de ce débat est capitale pour l'information des Français et leur acceptation de la réforme.

Monsieur le ministre, le groupe du RDSE est sensible au fait que vous organisiez un débat parlementaire alors que ce sujet est d'ordre réglementaire. Cela démontre votre désir d'informer les Français. Il vous suivra donc, convaincu que cette réforme est indispensable à l'équilibre des retraites par répartition et qu'elle répond à un besoin d'équité. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut réformer les régimes spéciaux. Le principe même de cette réforme s'impose aujourd'hui à tous et les syndicats savent qu'une remise à plat s'impose. Ils sont d'ailleurs prêts à faire évoluer le système à l'issue de véritables négociations. Dès lors, l'urgence peut être l'ennemie de l'excellence.

Qui ignore que la réforme des régimes spéciaux de retraite est autant une nécessité économique qu'une question d'équité ?

S'il s'agit d'une nécessité économique, c'est parce que les comptes de ces régimes sont structurellement et très fortement déséquilibrés et que, jusqu'ici, aucune réforme d'envergure ne s'est attaquée au problème. Quand j'utilise le mot « déséquilibre », j'emploie presque un euphémisme. Les chiffres sont en effet édifiants !

Les régimes spéciaux, ce sont 13 milliards d'euros de prestations de retraite sur les 236 milliards totaux de prestations. Sur ces 13 milliards d'euros, l'État versera, pour 2007, une subvention d'équilibre qui devrait s'élever à 5 milliards d'euros, soit à peu près le montant du déficit prévisionnel de la branche vieillesse du régime général.

M. Jean-Luc Mélenchon. Oui, et pourquoi ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Pour être plus précis, le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale, qui vient d'être rendu public, table sur un déficit de la branche vieillesse du régime général de 4,6 milliards d'euros. Selon la même source, le déficit de cette branche devrait fortement s'accroître en 2008, pour atteindre 5,7 milliards d'euros.

On le voit, nous sommes entrés dans une dynamique implacable, que l'on retrouve pour les régimes spéciaux. L'année prochaine, la subvention d'équilibre versée par l'État à l'ensemble des régimes spéciaux pour équilibrer la gestion de leur risque vieillesse devrait passer de 5 milliards d'euros à 5,5 milliards d'euros.

Conclusion : par la magie comptable, les régimes spéciaux sont supposés être équilibrés. En réalité, le montant de la subvention d'équilibre versée par l'État à ces régimes permet d'évaluer l'ampleur de leur déficit. Il est, en effet, supérieur à celui du déficit de la branche vieillesse pour des régimes qui concernent dix fois moins d'assurés.

Cela serait déjà suffisant pour s'alarmer. Mais la réalité du déséquilibre est encore plus grave. La raison en est simple : la subvention de l'État ne couvre pas la totalité de ce déséquilibre. Pour ce faire, d'autres sources de financements, telles que les cotisations extraordinaires, les subventions de l'employeur ou la compensation inter-régimes, sont alternativement utilisées. Encore une fois, il est difficile d'évaluer le montant de ces compléments d'équilibre. Toutefois, selon le rapport de la MECSS, la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, de nos collègues MM. Domeizel et Leclerc, qui prévoyait d'ailleurs l'extinction de ce système de compensation très complexe, ils doivent tourner autour de 2 milliards d'euros.

Ainsi, sur 13 milliards d'euros de prestations de retraite, le déficit des régimes spéciaux pourrait atteindre 7 milliards d'euros. Pourquoi un tel déséquilibre ? Là où le bât blesse, c'est que la représentation nationale ne dispose pas de toutes les informations, pourtant essentielles, lui permettant de répondre de façon satisfaisante à cette question fondamentale.

Le déséquilibre global des régimes spéciaux peut s'expliquer par trois causes.

La première, la plus connue, est le déséquilibre démographique que connaissent la plupart de ces régimes.

La deuxième est, bien entendu, le montant des pensions qui seraient versées si les règles d'acquisition et de liquidation des droits à la retraite étaient celles des régimes de droit commun.

La troisième correspond aux avantages spécifiques.

Or les experts, en particulier ceux de la Cour des comptes, s'accordent à dire que le déséquilibre démographique, pourtant si souvent invoqué, est loin d'être la principale cause de déficit des régimes spéciaux. Les avantages spécifiques accordés à leurs ressortissants, c'est-à-dire ce qu'on appelle « le régime chapeau », l'expliqueraient pour l'essentiel.

Toute la question est là : parmi ces avantages, lesquels sont-ils toujours justifiés et comment revenir sur les autres ?

Les régimes spéciaux sont hérités de l'histoire. Clin d'oeil historique, le régime spécial de retraite des personnels de l'Opéra national de Paris a été créé en 1698 par Louis XIV. C'est dire !

Les avantages spécifiques accordés dans le cadre de ces régimes peuvent ne plus du tout correspondre à la réalité actuelle. Je ne reviendrai pas sur l'exemple, devenu tarte à la crème, des cheminots.

M. Jean-Luc Mélenchon. Et celui des curés ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. On pourrait effectivement en citer d'autres, monsieur Mélenchon !

M. Jean-Luc Mélenchon. Travailler plus pour gagner plus !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Il est curieux que ce soit vous qui fassiez cette remarque !

M. Jean-Luc Mélenchon. C'est pour montrer l'absurdité de ce raisonnement !

M. Xavier Bertrand, ministre. Arrêtez de prêcher, monsieur Mélenchon ! (Sourires.)

M. le président. Poursuivez, monsieur Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Autrement dit, certains avantages des régimes spéciaux ne se justifient plus. Inversement, certains professionnels qui doivent affronter des conditions d'exercice difficiles et exorbitantes du droit commun ne bénéficient d'aucun avantage social spécifique en contrepartie. C'est injuste ! C'est donc là que l'on touche à la question d'équité inhérente à la réforme des régimes spéciaux.

Face à ce constat économique et éthique, rien de conséquent n'a été fait jusqu'ici. La réforme Balladur de 1993 ne traitait que du régime général. Celle de François Fillon, en 2003, épargnait soigneusement, elle aussi, les régimes spéciaux.

Cela ne signifie pas que rien n'a été fait. Certains régimes ont fait l'objet de réformes ponctuelles. Parmi celles-ci, quelques-unes nous semblent très positives, tandis que d'autres peuvent apparaître comme dangereuses.

Schématiquement, les bonnes réformes sont celles où il s'est agi de procéder à l'extinction d'un régime spécial obsolète en versant tous les nouveaux assurés au régime général et en prévoyant une sortie du régime en sifflet, même pluri-décennale, pour tous les autres. C'est ce qui a été fait pour les régimes de la Seita, de France Télécom, de la chambre de commerce et d'industrie de Paris ou des mines. Cela s'est très bien passé.

Remarquons que, même dans le cadre de ces réformes que nous jugeons positives, l'extinction totale des régimes concernés ne peut être que très longue. J'en veux pour preuve que, vingt-cinq ans après sa fermeture, le régime de la Seita coûte toujours 121 millions d'euros par an aux finances publiques.

Selon le rapport de Dominique Leclerc sur les régimes sociaux et de retraite pour le projet de loi de finances de 2007, la mise en extinction nécessite entre soixante et quatre-vingts ans pour être menée à son terme. Malgré tout, monsieur le ministre, n'est-ce pas là la solution la plus réaliste ? Ne serait-ce pas celle qui se profile quand vous dites vouloir agir progressivement ?

En revanche, nous ne pouvons pas cautionner l'usage qui a été fait de la technique de l'adossement des régimes spéciaux au régime général et aux régimes complémentaires ; nous ne pouvons que nous joindre à la Cour des comptes, qui a très justement critiqué cette fausse solution, ainsi que Dominique Leclerc l'a également souligné.

En simplifiant, l'adossement consiste à sortir les engagements de retraite du bilan d'une entreprise pour les transférer au régime de base et aux régimes complémentaires, à charge pour l'entreprise de verser à l'ACOSS, à l'AGIRC et à l'ARRCO les cotisations sociales et les subventions d'équilibre.

En fait, il s'agit d'un trompe-l'oeil, d'un artifice comptable qui soulage les finances publiques et préserve le niveau des prestations servies aux ressortissants de ces régimes. Dans le même temps, ce procédé pérennise des avantages qui peuvent être aujourd'hui obsolètes ou injustifiés et transfère le risque de l'opération sur les comptes de la CNAV.

L'adossement ne doit pas être généralisé. Mais, heureusement, ce n'est pas ce que propose le Gouvernement.

Sommes-nous pour autant rassurés ? Pas le moins du monde ! Nous craignons que la réforme qui est proposée n'en soit pas tout à fait une ; nous craignons qu'un trompe-l'oeil n'en remplace un autre.

Monsieur le ministre, vous proposez un alignement des régimes spéciaux non pas sur le régime général, mais sur le régime des fonctionnaires.

Malgré la réforme de 2003, le régime du secteur public demeure plus avantageux que le régime général, notamment sur un point : le salaire de référence est celui des six derniers mois. Rappelons quand même qu'il n'inclut pas les primes.

M. Xavier Bertrand, ministre. Merci de le préciser !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Mais allons plus loin : sur quoi l'alignement devrait-il porter ?

Si j'en crois les déclarations du Président de la République, les régimes spéciaux devraient être alignés sur le régime des fonctionnaires sur cinq points : les surcotes et les décotes, la durée de cotisation, l'indexation des pensions, la bonification et la pénibilité.

Reprenons chacun de ces cinq points pour apprécier la consistance de la réforme qui pourrait se profiler.

L'alignement des régimes spéciaux sur le régime des fonctionnaires en matière de surcote et de décote est théoriquement une excellente chose. Mais théoriquement seulement, car la loi de 2003 prévoit que le système des surcotes et des décotes ne s'appliquera qu'en 2015. Qu'en sera-t-il pour les régimes spéciaux ? Les surcotes et les décotes s'appliqueront-elles pour eux en 2020 ? Et pourquoi pas au-delà ? Dans ces conditions, la réforme attendrait.

L'alignement de la durée de cotisation est également une bonne disposition mais qui, elle aussi, pourrait demeurer théorique.

Tout dépendra donc des conditions négociées et obtenues par les représentants des personnels.

On ne peut intervenir brutalement, avez-vous dit, monsieur le ministre, mais il faut agir, pour respecter l'équité avec les autres régimes !

M. Xavier Bertrand, ministre. Je ne serais pas là si telle n'était pas mon intention !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. L'alignement du mode d'indexation des pensions des régimes spéciaux sur celui des pensions du régime du secteur public, quant à lui, est une authentique bonne mesure.

En revanche, nous n'avons aucune visibilité sur ce qui pourrait sortir des négociations en matière de bonification et de pénibilité.

En d'autres termes, notre crainte est la suivante : la grande réforme des régimes spéciaux à laquelle le Gouvernement semble s'atteler pourrait ne pas améliorer l'équilibre de ces régimes.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Très bien !

M. Xavier Bertrand, ministre. Ce n'est pas mon intention !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. J'en prends bonne note, monsieur le ministre !

Rien ne serait plus grave, et ce pour deux raisons : d'abord, parce qu'il est a urgent de réformer ; ensuite, parce qu'il n'y a rien de pire que de faire croire que l'on réforme quand on ne le fait pas.

Nous avons bien compris, monsieur le ministre, que votre réforme n'est pas comptable. Cependant, il nous semble bien difficile de faire totalement l'impasse sur la question financière lors de ce débat.

En effet, assurer ou, à tout le moins, améliorer l'équilibre des régimes spéciaux est le meilleur moyen d'atteindre l'objectif que vous vous êtes fixé de garantir la retraite des assurés concernés et, en termes d'équité, d'éviter que ces retraites ne pèsent trop lourdement sur tous les autres.

Monsieur le ministre, en dépit du fait que votre réforme ne soit pas comptable, vous êtes-vous fixé des objectifs d'amélioration significative des comptes des régimes spéciaux ? Les avez-vous quantifiés et datés ? Dans l'affirmative, pouvez-vous nous livrer quelques informations ?

Une série de questions se posent donc. Quand sera appliqué le régime des surcotes et des décotes aux régimes spéciaux ? Dans quelles conditions se réalisera l'allongement de la durée de cotisation ? Quelles bonifications sont envisageables ? La pénibilité sera-t-elle prise en compte ?

M. Xavier Bertrand, ministre. Ces questions, je les ai posées tout à l'heure. J'attends des réponses, moi aussi !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. De plus, pourra-t-on éviter la mise en place d'un système d'une complexité ahurissante ? N'aboutira-t-on pas, en pratique, à une nouvelle différenciation des régimes applicables aux assurés en fonction de la nature de leur employeur et, pour un même employeur, en fonction de leur emploi ?

Telles sont les questions que nous nous posons. Je constate que vous vous les posez également, monsieur le ministre, mais je pense orienter un peu les réponses !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Xavier Bertrand, ministre. C'est l'enjeu de ce débat !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. J'ai orienté les réponses préalablement à ce débat, monsieur le ministre !

Nous sommes inquiets, car les réponses ne nous semblent pas évidentes ...

M. Xavier Bertrand, ministre. Voilà pourquoi je suis ici aujourd'hui !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Absolument !

Nous le sommes également pour une autre raison, plus générale : il ne faudrait pas que l'arbre des régimes spéciaux cache la forêt de l'ensemble du système de retraites.

Nous l'avons toujours dit, les réformes menées jusqu'à présent ne permettaient de couvrir que la moitié des besoins de financement du système par répartition.

Les projections de la Cour des comptes sont alarmantes : le déficit s'élève aujourd'hui à 5 milliards d'euros pour le seul régime général et il sera peut-être de 10 milliards d'euros d'ici à la fin de la législature.

Parce que la question des régimes spéciaux ne nous semblait pas dissociable de celle de l'ensemble du système, l'UDF proposait sa remise à plat, axée autour du remplacement de l'annuité par le point.

Une telle réforme, souhaitée également par  Dominique Leclerc, permettrait une mise en extinction progressive des régimes spéciaux tout en autorisant de façon individualisée la conservation de certains des acquis liés à ces régimes.

Visiblement, cette solution n'est pas envisagée par le Gouvernement. Nous le regrettons, bien entendu, et nous attendons d'autant plus d'être rassurés, monsieur le ministre.

Nous serons très vigilants sur le développement des négociations à venir. Cette vigilance, nous l'exercerons dans la limite de nos moyens qui sont, en la matière, extrêmement limités ; c'est le dernier point que je voulais souligner, en guise de conclusion, car il s'agit d'un aspect non négligeable, voire fondamental !

La qualité du contrôle parlementaire en matière de réforme des régimes spéciaux dépendra de deux points.

Elle dépendra, d'abord, de l'amélioration de l'information fournie à la représentation nationale dans ce domaine. Aujourd'hui, cette information est trop lacunaire, comme l'a précisé à l'instant Alain Vasselle.

Les chiffres de l'ampleur des déficits et des déséquilibres de ces régimes ne sont pas précisément calculés. Comme le soulignait Dominique Leclerc dans le rapport auquel j'ai fait référence, aucune étude n'évalue avec précision l'incidence sur le déséquilibre de la démographie et les avantages « chapeaux ».

Ensuite, pour suivre l'évolution de la réforme, ce débat était nécessaire, et je vous en remercie, monsieur le ministre, mais il serait très souhaitable qu'un autre débat parlementaire soit organisé, comme vous l'avez promis, avant que vous ne tiriez les conclusions définitives du processus que vous avez engagé, autrement dit avant que vous ne preniez le décret final.

En conclusion, nous soutenons le principe de la réforme des régimes spéciaux de retraite, nous apprécions la démarche de concertation que vous avez entreprise, mais ses modalités nous interpellent singulièrement ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)