M. René Garrec. C'est admirable !

M. Jean-Pierre Sueur. Je l'ai fait avec plaisir, mais cela demande beaucoup de temps et ne s'improvise pas. L'idée que nous nous faisons de la France et de la langue française nous conduit à penser qu'il serait tout de même préférable d'éveiller le désir d'apprendre notre langue, de connaître notre culture et, donc, de développer la francophonie.

Aujourd'hui, j'ai honte quand je vois certains étudiants étrangers, accueillis très facilement dans de nombreux autres pays, notamment ceux que je viens de citer, qui me disent leurs très grandes difficultés pour s'inscrire dans une université française afin de suivre des études ou de mener des recherches. Ils comparent leur parcours à un véritable gymkhana, c'est épouvantable ! L'ambassadeur de Tunisie, que j'ai rencontré encore récemment, m'a même demandé d'intervenir pour augmenter le nombre des visas accordés aux étudiants.

En définitive, c'est l'image de la France qui est aussi en cause. Mieux vaudrait donc aborder le problème de manière beaucoup plus positive.

Enfin, je veux redire, après mes collègues, que le droit à vivre en famille est un droit imprescriptible : l'amour et l'affection ne peuvent en aucun cas être subordonnés à une quelconque exigence en matière de connaissance linguistique. C'est contraire au droit et c'est contraire aux conventions internationales que la France a signées. Respectons ce droit, comme nous le demandent d'ailleurs les hautes autorités spirituelles et morales de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Je vous sens las, monsieur le président ! Je vais donc essayer d'être bref.

M. le président. Vous pouvez le faire en provençal, si vous voulez ! (Sourires.)

M. Pierre-Yves Collombat. Je n'ai pas suivi de formation ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Michel Charasse. On peut vous laisser seuls !

M. Pierre-Yves Collombat. Je suis d'accord avec ce que viennent de dire mes collègues. Je souhaite pour ma part évoquer un autre point.

Cet article, comme beaucoup d'autres, est un signe de la dégradation de la qualité des textes de loi. De plus en plus, on remplace des concepts juridiques précis, comme l'obligation scolaire, par des notions susceptibles d'interprétations diverses et par des dispositifs aux finalités incertaines.

J'en prends un premier exemple. Officiellement, la fameuse évaluation du niveau de langue ne constitue pas une sanction : elle permet simplement d'indiquer aux candidats à l'immigration - au cas où ils ne le sauraient pas ! - qu'ils ne maîtrisent pas la langue française et de leur proposer une formation.

Vous ne me ferez pas croire que le niveau de langue ne jouera pas dans l'analyse qui conduira à l'obtention ou au refus du titre de séjour. Même si on ne le dit pas, ce critère interviendra ! Nous nous trouvons dans un domaine tout à fait imprécis.

Je cite un deuxième exemple. Les valeurs de la République, nous en avons tous une connaissance intuitive ; mais lorsqu'il s'agit de préciser de quoi il s'agit, cela se complique. Pourtant, dans un texte de loi, mieux vaut être précis !

Lors des séances de formation consacrées aux valeurs de la République, un moment sera-t-il consacré à l'étude du préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie intégrante de la Constitution de la Ve République ? On y trouve des choses tout à fait intéressantes, comme le principe selon lequel « chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi ». Peut-être l'enseignera-t-on aux candidats à l'immigration ? On peut y lire également que « la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » ou - encore plus génial ! - que « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Vous allez en faire des gauchistes ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Où va-t-on ? Et où va-t-on s'arrêter ?

La notion de laïcité paraît claire. Mais allez-vous créer une option pour les étrangers qui voudront s'installer en Alsace-Lorraine ? (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.) Je vous rappelle que l'on n'y interprète pas la laïcité exactement de la même façon. Pour avoir essayé de la définir, je peux vous assurer que cette notion est très compliquée.

Indiquer à des personnes qui arrivent dans un pays dont elles doivent respecter les lois le corpus minimal à respecter, pourquoi pas ? On voit bien quel est l'objectif poursuivi, mais cette référence aux valeurs de la République sera, sur le plan juridique, une source de complication plutôt que de clarification. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Je n'encombrerai pas longtemps le débat. Mon intervention portera sur l'ensemble des amendements à l'article 1er, afin de plus avoir à y revenir.

Je pense tout d'abord que la formulation proposée par Mme Boumediene-Thiery, dans son sous-amendement n° 75 rectifié, améliore sensiblement l'excellente proposition de la commission dans l'amendement n° 1. M. le ministre l'a d'ailleurs acceptée. Par conséquent, n'en parlons pas.

Sur le reste, ne perdons pas de vue un certain nombre de données, en dehors de tous les aspects traités, parfois fort brillamment, par mes amis.

Un État souverain dispose d'un droit fondamental : accueillir ou non qui il veut sur son territoire.

M. Jean-Patrick Courtois. On est d'accord !

M. Michel Charasse. C'est aussi vieux que le monde et c'est une des bases de la souveraineté des États.

La France, comme d'autres, a accepté quelques exceptions à ce principe. La plus ancienne est le droit d'asile. Inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946 puis dans l'article 53-1 de la Constitution de 1958, il remonte en fait aux rois de France. C'est un droit quasiment sacré, longtemps complémentaire ou à cheval sur le droit d'asile dans les lieux de culte catholique, c'est-à-dire notamment les églises, chapelles et couvents.

Puis d'autres exceptions sont apparues avec l'Union européenne - qui impose des conditions d'admission particulières pour les citoyens des États membres de l'Union - ou des conventions internationales particulières auxquelles la France est partie - Convention internationale des droits de l'enfant, citée par Mme Borvo Cohen-Seat, Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, etc. -, le tout générant une jurisprudence abondante et précise concernant le regroupement familial.

Nous sommes donc tenus par notre Constitution et nos engagements internationaux. Or, ces textes et ces engagements ont des juges : d'abord les juges français, en particulier le Conseil d'État, mais aussi la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg, et j'en passe.

Avec cet article, dont je comprends la philosophie et qui, lorsque vous vous expliquez, monsieur le ministre, peut paraître simple, logique et de bon sens, j'ai peur que nous ne tombions rapidement, au moment de l'application, sous le coup de la sanction judiciaire nationale ou européenne ; car les formalités tatillonnes prévues par l'article 1er pourraient être considérées par le juge comme une collection de manoeuvres dilatoires pour s'opposer au regroupement familial.

Il est donc heureux que la commission des lois ait prévu une obligation de délai pour proposer la formation qui ne figurait pas dans le texte de l'Assemblée nationale. Sinon, l'administration pourra faire traîner en imposant des délais abusifs, ce qui ne passera jamais à mon avis devant un juge.

Le deuxième point sur lequel je souhaite appeler l'attention concerne les « motifs légitimes » permettant de dispenser l'étranger de la formation, dont la possibilité figure à la fin de l'amendement de M. Buffet adopté par la commission.

En matière de « motifs légitimes », monsieur le ministre, si la France ne veut pas être condamnée par une juridiction étrangère et si le Gouvernement ne veut pas être désavoué par un tribunal français, il faudra obligatoirement faire preuve d'une grande souplesse.

On pense évidemment aux cas dans lesquels il ne sera pas possible d'assurer une formation à proximité, notamment parce que la France n'a ni ambassade ni consulat ni centre culturel ou Alliance française, ni lycée dans de très nombreux pays !

M. Gérard Delfau. Bien sûr !

M. Michel Charasse. Il existe des pays dans lesquels nous n'avons pas de représentation ! Nos collègues sénateurs représentant les Français de l'étranger le savent bien.

Comment voulez-vous suivre une formation sur place s'il n'y a pas d'Alliance française, de centre culturel français, d'école ou de lycée ?

Vous répondez que l'on peut aller dans un pays voisin, si on a l'argent et les moyens de transport pour cela. Mais certains pays se détestent tellement entre eux qu'ils refusent que les ressortissants d'un pays voisin viennent chez eux et ne leur délivrent pas de visa.

C'est une première situation, celle qui se produira le plus souvent. Mais on peut aussi penser aux situations de désordre intérieur ou extérieur, de guerre civile, qui empêchent d'organiser la formation. Et je ne parle pas de tous les cas de force majeure possibles et imaginables, qui seront contrôlés strictement par les autorités judiciaires et d'abord par les juridictions françaises.

Monsieur le ministre, je vous mets amicalement en garde sur ce point. Le texte est une chose et le Conseil constitutionnel laissera peut-être passer, tout en émettant des réserves d'interprétations de même nature que celles que je viens d'évoquer, c'est-à-dire que cette disposition ne doit pas être conçue et appliquée comme un moyen dilatoire pour contourner nos obligations internationales et les droits individuels qui en résultent.

Voilà ce que je voulais dire, sans vouloir compliquer davantage le débat. Pour le reste, on peut penser ce que l'on veut du contenu mais il ne faudrait pas que la France soit à nouveau condamnée à Strasbourg : elle l'est déjà beaucoup trop et comme citoyen français je supporte de plus en plus mal cette mise en cause de mon pays. L'État est également trop souvent condamné, ce qui rend le droit des étrangers de plus en plus incompréhensible. Il faut donc faire attention.

Quant à la République, je préfère, pour ma part, que l'on parle de ses principes que nous connaissons bien, plutôt que de ses valeurs qui est une notion plus floue. Certes, nous avons commis l'erreur de parler, dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de valeurs et non pas de principes. C'est dommage car nous mettons d'autant plus en avant les valeurs que l'on ne sait pas vraiment ce qu'elles recouvrent, même si le code a essayé de répondre à cette question.

Nous pouvons cependant retenir quelques éléments simples : premièrement, la valeur de base de la République française, c'est d'être une République, et non une monarchie ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Deuxièmement, cette république est élective et, en principe, le suffrage universel libre, égal et secret y est la source de tous les pouvoirs.

Troisièmement... je peux continuer mon énumération, mais passons ! J'observe toutefois que si on se lance dans cette explication à l'égard des étrangers, quand ils arriveront en France et qu'ils verront qu'en réalité le suffrage universel et ses élus ne commandent rien du tout ou pas grand-chose, car la presse, les lobbies, les corporations, voire l'air du temps commandent tout en réalité, ils en reviendront vite !

Restons donc simples dans l'énumération des grands principes,...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Restons prudents !

M. Michel Charasse. ...étant entendu que le principe le plus fondamental, à mon avis, en dehors du principe électif et de la liberté, c'est la laïcité, c'est-à-dire la mutualité de l'État et de la sphère publique. Cela ne signifie évidemment pas qu'il faut interdire aux étrangers de pratiquer librement la religion de leur choix puisque le principe de laïcité est aussi, en fait et d'abord, un principe de liberté de conscience et de pratique ou de non pratique religieuse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.

M. Gérard Delfau. De qui parlons-nous ?

Nous parlons d'à peu près 4 000 personnes par an...

M. Bruno Sido. Non, 17 000!

M. Gérard Delfau. ...sur 64 millions de Français.

Je lis la note suivante dans l'excellent rapport de la commission des lois, à la page 37, à propos de l'article 1er : « Il faut souligner que les Algériens représentent près du quart du public visé. Pourtant, ils ne seront pas légalement obligés de suivre cette nouvelle formation. En effet, les conditions d'entrée et de séjour des Algériens sont régies par l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié. Cette convention n'a pas fait l'objet d'avenant depuis 2001. »

S'il s'agit de 4 000 personnes, on comprend bien que ce n'est pas vraiment l'objet de l'article 1er. Il faut qu'il y ait d'autres raisons !

En outre, comme l'a dit excellemment notre collègue Jean-Luc Mélenchon, nous ne parlons pas de migrant « dans l'abstrait », mais d'un travailleur, en général d'origine africaine. Vous voyez l'impact que le texte de loi a d'ores déjà et aura sur ce continent, avec lequel nous avons des attaches historiques profondes.

Nous parlons simplement de la volonté d'une femme et de ses enfants de rejoindre un homme, venu dans notre pays en toute légalité, qui y a accompli tous ses devoirs et qui, souvent, occupe des postes de travail dont nous, Français, n'avons pas voulus. Telle est la réalité !

Monsieur le ministre, c'est un mauvais combat que mène le Gouvernement. Les dégâts seront considérables au niveau de l'image de notre pays, et ce pour un résultat inexistant, car, parmi les 4 000 personnes concernées, un certain nombre viendront clandestinement.

De plus, et cela a été démontré, ce dispositif est strictement infaisable puisque nous nous adressons à l'ensemble du continent africain et, sans doute, à une partie de l'Asie du Sud-Est. Nous ne le ferons donc pas et, de toute façon, peu de personnes seront concernées. Cela suscitera des formes d'immigration clandestine et l'image de la France sera durablement entachée.

Pour ces raisons, je voterai pour la suppression de l'article 1er. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.

Mme Catherine Tasca. Je serai brève. Monsieur le ministre, je souhaite vous poser une question très simple et d'ordre matériel.

Admettons que, comme vous le dites, le dispositif de formation mis en place dans le pays d'origine n'ait d'autre but que de faciliter l'intégration des personnes souhaitant rejoindre leur conjoint ou leurs parents installés en France.

M. Bernard Frimat. C'est difficile à croire !

Mme Catherine Tasca. Chacun s'accorde à dire que la formation sera très sommaire, tant sur le plan linguistique que sur celui des valeurs. Vous l'avez dit, monsieur le ministre, vous ne prétendez pas que ces personnes seront à même, à l'issue de cette formation, de parler notre langue. Ils auront simplement une petite « teinture ».

Une fois les personnes parvenues sur le territoire français, si elles ont la chance de franchir les obstacles, comment votre nouvelle administration compte-t-elle poursuivre la formation de celles qui ne sont plus en âge scolaire ?

Aujourd'hui, dans nos quartiers, dans les villes où réside une population immigrée, il est extrêmement difficile, notamment pour les femmes, de trouver une association ou une organisation susceptible d'accompagner ces personnes sur le chemin de l'alphabétisation, de l'acquisition de la langue et de l'apprentissage des valeurs de notre pays.

Vous nous avez parlé de votre nouveau ministère et des efforts que vous comptez faire. Quels moyens votre Gouvernement mettra-t-il en place afin de poursuivre, sur notre territoire, ce premier « bain » acquis dans le pays d'origine ?

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.

M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, comme disait Voltaire, j'ai une portion limitée d'intelligence et donc des idées simples. En plus, je dois être transparent puisque vous n'avez pas vu que je demandais la parole. À moins que vous n'ayez un penchant naturel à regarder plutôt en direction de la droite de l'hémicycle...

Plusieurs sénateurs de l'UMP. Clôture !

M. le président. Monsieur Peyronnet, nous avons tout de même déjà entendu huit orateurs de l'opposition !

M. Jean-Claude Peyronnet. En tout état de cause, je souscris pleinement à ce que vient de dire notre ami Michel Charasse sur le risque auquel nous nous exposons d'être accusés par le juge européen de manoeuvres dilatoires.

L'ensemble de ce texte me semble extrêmement dangereux : au-delà de cet article 1er qui concerne le regroupement familial, il comporte bien d'autres articles dont l'objet est le même, à savoir freiner l'immigration le plus possible, et il serait plus simple, monsieur le ministre, que vous le disiez !

Or limiter l'arrivée des immigrants est complètement contraire à toute notre tradition d'accueil.

Nous avons accueilli les Russes blancs après la révolution bolchevique, les Polonais dans les années trente, les Italiens dans les années trente et cinquante,...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et les Hongrois !

M. Jean-Claude Peyronnet. ...les Portugais dans les années cinquante et soixante, les nord-africains dans les années soixante et soixante-dix.

Nombre de ces immigrants se sont parfaitement intégrés et certains -  parmi lesquels les Hongrois, particulièrement doués, semble-t-il, à cet égard (Sourires sur les travées du groupe socialistes)  - ont remarquablement réussi. Or, à tous ces immigrants, on n'a pas demandé lors de leur arrivée dans notre pays s'ils connaissaient les valeurs de la République ni même s'ils parlaient le français.

Cela ne les a pas empêchés de s'intégrer et, comme l'expliquait Jean-Luc Mélenchon, c'est ce qui « fait » la France puisque le tiers de ceux qui vivent dans notre pays ont une origine étrangère à ce que j'appellerai, pour simplifier, le « fond gaulois ».

Pour être un peu provocateur...

M. Jean-Claude Peyronnet. ...et, je le reconnais, un peu hors sujet aussi, j'ajouterai qu'il est dommage que l'on n'ait pas demandé aux Sénégalais, ces Français de « seconde zone » qui ne s'en sont pas moins trouvés au front en 14-18, s'ils connaissaient les valeurs républicaines, car, probablement, ils ne les connaissaient pas et cela leur aurait évité de se faire massacrer pour nous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Pendant la Seconde Guerre mondiale aussi !

La parole est à M. le ministre.

M. Brice Hortefeux, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, sans répondre personnellement à chacun des intervenants,...

M. Gérard César. Surtout pas !

M. Brice Hortefeux, ministre. ...je voudrais simplement revenir sur quelques points.

Tout d'abord, et je regrette qu'il se soit absenté de l'hémicycle, M. Sueur... (M. Jean-Pierre Sueur entre à cet instant dans l'hémicycle.) Ah, monsieur Sueur, vous vous cachiez derrière le rideau ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.) Je m'apprêtais précisément à dire que vous aviez soulevé une interrogation juridique importante, à laquelle il doit en effet être répondu très précisément, car on voit bien à quel processus d'idées vous voudriez nous conduire.

Ainsi l'article 1er méconnaîtrait-il, selon vous, la convention européenne protégeant le droit à la vie familiale. Je vous réponds, et ce sera donc dans le compte rendu des débats, que c'est faux.

Le test de français dont nous proposons l'instauration est en effet explicitement autorisé - explicitement, j'y insiste - par la directive de 2003 sur le regroupement familial.

Vous êtes suffisamment fin et habile, monsieur Sueur, pour ne pas ignorer que, dans un premier temps, cette directive avait été attaquée mais qu'elle avait ensuite été jugée très exactement conforme aux principes protégeant la vie familiale dans un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes de 2006, précision que vous intégrerez, je l'espère, dans le processus auquel je faisais allusion.

Par ailleurs, je rappelle à la Haute Assemblée et, en particulier, à M. Charasse - qui n'est plus dans l'hémicycle, mais peut-être va-t-il lui aussi apparaître derrière le rideau puisqu'il semble que les choses soient ainsi organisées au groupe socialiste ? (Sourires) - que, s'il peut en effet y avoir quelques situations difficiles, le réseau diplomatique français est tout de même le deuxième réseau diplomatique du monde, après celui des États-Unis.

Les cas pour lesquels des difficultés se présenteront seront donc très marginaux et, dans ces cas, comme je l'ai indiqué, la loi prévoit que des conventions seront passées avec des organismes privés.

M. Robert Bret. Avec quel budget ? (M. Michel Charasse entre alors dans l'hémicycle.)

Plusieurs sénateurs de l'UMP. Voilà M. Charasse !

M. Brice Hortefeux, ministre. Monsieur Charasse, je viens justement de répondre à votre question.

M. Michel Charasse. Je lirai votre réponse dans le Journal officiel, monsieur le ministre. C'était d'ailleurs plutôt un conseil amical, une précaution...

M. Brice Hortefeux, ministre. Monsieur Delfau, vous évaluez la population française à 64 millions,...

M. Gérard Delfau. J'ai fait une cote mal taillée !

M. Brice Hortefeux, ministre. ...mais vous avez raison de souligner la situation particulière des ressortissants algériens.

Au cours des dernières années, vous le savez, l'écart n'a cessé de se creuser entre les dispositions applicables aux Algériens et celles que le Parlement vote. Les ressortissants algériens sont d'ailleurs parfois pénalisés par cette situation puisqu'ils ne peuvent pas, par exemple, bénéficier de la carte « compétences et talents » ou de la carte « salarié en mission », qui est prévue par le dispositif.

J'espère, monsieur Delfau, que je vous rassurerai sur ce point en disant que mon objectif est précisément de renégocier les accords bilatéraux qui lient la France à certains pays étrangers et, tout particulièrement, à l'Algérie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Gérard Delfau. À suivre !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 79 et 125.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 127.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 48 et 80.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 47.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 46.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 75 rectifié.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1, modifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l'amendement n° 81 n'a plus d'objet.

Je mets aux voix l'amendement n° 82.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile
Article 4 (priorité) (interruption de la discussion)

Article 4 (priorité)

I. - L'article L. 211-2-1 du même code est ainsi modifié :

1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Pour lui permettre de préparer son intégration républicaine dans la société française, le conjoint de Français âgé de moins de soixante-cinq ans bénéficie, dans le pays où il sollicite le visa, d'une évaluation de son degré de connaissance de la langue et des valeurs de la République. Si cette évaluation en établit le besoin, les autorités mentionnées au premier alinéa organisent à l'intention de l'intéressé, dans le pays où il sollicite le visa, une formation dont la durée ne peut excéder deux mois, au terme de laquelle il fait l'objet d'une nouvelle évaluation de sa connaissance de la langue et des valeurs de la République. La délivrance du visa est subordonnée à la production d'une attestation de suivi de cette formation, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. Ce décret précise notamment le délai maximum dans lequel l'évaluation et la formation doivent être proposées, le nombre d'heures minimum que cette dernière doit compter, les motifs légitimes pour lesquels l'étranger peut en être dispensé et le délai au terme duquel naît la décision implicite de rejet de la demande de visa. Il précise également les modalités selon lesquelles une commission désignée par le ministre chargé de l'immigration conçoit le contenu de l'évaluation portant sur la connaissance des valeurs de la République. » ;

2° Dans le deuxième alinéa, les mots : « Le visa mentionné à l'article L. 311-7 » sont remplacés par les mots : « Outre le cas mentionné à l'alinéa précédent, le visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois » ;

2° bis À la fin du troisième alinéa, les mots : « dans les meilleurs délais » sont remplacés par les mots : « dans un délai de quatre mois maximum » ;

3° Le dernier alinéa est ainsi rédigé :

« Dans des conditions définies par décret en Conseil d'État, par dérogation à l'article L. 311-1, le visa délivré pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois au conjoint d'un ressortissant français donne à son titulaire les droits attachés à la carte de séjour temporaire prévue au 4° de l'article L. 313-11 pour une durée d'un an. »

II. - Le 3° du I entre en vigueur six mois après la publication de la présente loi.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l'article. Je lui demande de respecter le temps de parole.

M. David Assouline. Il semble que notre opposition à une grande partie des dispositions insupportables de l'article 4 soit partagée dans cet hémicycle et la commission elle-même s'oppose maintenant à ce que les restrictions au regroupement familial qu'instaure cet article s'appliquent aux conjoints étrangers de Français.

En l'état, l'article 4 n'en permet pas moins d'éclairer encore une fois le débat en faisant apparaître que, ce qui importe dans ce texte, ce ne sont pas les objectifs rationnels, c'est la symbolique.

Monsieur Hortefeux, vous déclariez, le 24 septembre dernier, devant les directeurs régionaux et départementaux du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle : « Le constat est accablant : en 2005, seulement 11 000 étrangers ont été autorisés à venir exercer une profession dans notre pays, à comparer avec 92 000 étrangers accueillis en France au titre de l'immigration familiale. »

Ces chiffres, vous le savez, sont faux !

Selon le rapport au Parlement établi par le comité interministériel de contrôle de l'immigration, structure qui vous est désormais rattachée et qui était alors déjà dirigée par M. Stefanini, le regroupement familial ne représentait plus que 23 717 premiers titres de séjour en 2005, contre 30 118 en 2002.

Pour sa part, M. le rapporteur cite des données émanant de l'Agence nationale d'accueil des étrangers et des migrations faisant état de 18 140 personnes autorisées à entrer en France au titre du regroupement familial en 2006, contre 22 978 en 2005 et 27 267 en 2002.

Je me permets, monsieur le ministre, de vous infliger ces chiffres, car, porté par votre enthousiasme et par le besoin de favoriser le symbole au détriment de la réalité pour répondre aux vrais problèmes, qu'il s'agisse de la maîtrise des flux migratoires mais aussi des difficultés que rencontrent au quotidien les Français, vous êtes obligé de noircir la situation, de faire peur au bon peuple et donc d'inventer des chiffres.

Et ce sont ces chiffres inventés qui ont été repris hier par un représentant de l'UMP pour défendre votre projet de loi par un raisonnement qui est en gros le suivant : la France a besoin des travailleurs migrants, mais le regroupement familial relève forcément de la fraude puisque les personnes qui entrent à ce titre dans notre pays sont cinq fois plus nombreuses que les travailleurs migrants et il faut donc endiguer cet envahissement frauduleux.

Monsieur le ministre, dans ce domaine, il faut mettre fin à la démagogie ! Il faut cesser d'inventer des chiffres pour faire peur au bon peuple, car il s'agit de questions graves que nous devons aborder avec justice, avec dignité, avec respect : ce sont des tranches de vie humaine qui sont en jeu !

C'est donc une bonne chose que, dans sa sagesse, notre commission des lois ait entendu au moins restreindre cette injustice infligée à tous les conjoints étrangers en y faisant échapper les conjoints étrangers de Français, mais c'est aussi le signe, monsieur le ministre, que notre assemblée, globalement, droite comprise, est très mal à l'aise vis-à-vis de votre projet de loi. L'examen des articles suivants le confirmera d'ailleurs...

M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz.

M. Louis Mermaz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous écouterons avec attention M. le rapporteur dans un instant, mais l'article 4 nous est encore présenté dans le texte du Gouvernement.

De ce texte, j'espère qu'il ne restera pas grand-chose ; s'il pouvait même disparaître dans sa totalité, ce serait parfait et nous avons d'ailleurs déposé un amendement de suppression que nous défendrons éventuellement.

Je tiens à dire que nous jugions - mais c'est déjà, je l'espère, de l'histoire ancienne - particulièrement absurde qu'un étranger installé régulièrement en France soit obligé de faire repartir, après six mois de vie commune, son épouse dans le pays d'origine pour subir un stage linguistique et pour obtenir un visa de long séjour.

Si cette disposition doit disparaître, nous nous en réjouirons. Nous avons d'ailleurs relevé qu'elle causerait des dégâts collatéraux dont même l'OCDE s'est inquiétée, car elle pourrait viser des ressortissants de pays voisins de la France ayant un même niveau de développement économique...

En tout état de cause, nous attendons maintenant avec intérêt les explications de notre rapporteur.

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. L'article 4 traduit une certaine gradation dans le dispositif.

Nous avons vu, lors de l'examen de l'article 1er, les difficultés supplémentaires que devait surmonter tout étranger souhaitant venir en France.

Avec l'article 4, nous avançons d'un cran, puisque sont concernés les « étrangers » qui auront épousé un Français. La situation est donc différente et assez originale : cela participe de la stigmatisation des mariages binationaux !

Je représente les Français établis hors de France ; j'ai moi-même vécu trente-cinq ans à l'étranger, dans une quinzaine de pays ; la plupart de mes amis sont des couples binationaux, et de toute nationalité. Personnellement, j'ai toujours considéré, dans la très grande majorité des cas, que cela constituait une richesse non seulement pour eux, mais aussi pour notre pays, sur le plan culturel, du fait des croisements de valeurs, etc.

Avec cet article 4, nous nous heurtons à un vrai problème de stigmatisation des mariages binationaux, puisque la France indique clairement qu'elle tourne le dos à ce qui, pendant de nombreuses années, a pourtant été sa vocation.

Cet article comporte deux mesures.

La première est la mise en place d'un parcours d'intégration avant l'installation en France pour les conjoints de Français. Le principe qui consiste à obliger les conjoints à apprendre la langue française avant leur venue sur le territoire est tout à fait critiquable. Bien sûr qu'il est préférable de connaître notre langue ! Ayant vécu dans de nombreux pays, je sais, par expérience, qu'il vaut mieux parler la langue du pays dans lequel on se trouve ; c'est même un facteur important. Mais, dans certains cas, le temps manque pour faire l'apprentissage de la langue avant l'installation dans le pays. Ce n'est pas parce que l'on est marié à un Français que l'on a eu le temps, à l'étranger, d'apprendre la langue ! Par conséquent, l'obligation d'une connaissance linguistique pour les conjoints ne devrait pas constituer une condition d'entrée sur le territoire national. Cela ne devrait s'appliquer - et encore ! - que dans le cas d'une demande de nationalité.

Le mariage avec un citoyen français est, en soi, de la part du conjoint, le signe d'une volonté d'intégration sur le plan linguistique et sur le plan des valeurs républicaines. Il faut donc laisser le temps aux étrangers, conjoints ou conjointes de Françaises ou de Français, une fois leur arrivée en France, d'apprendre à la fois la langue et nos valeurs.

De plus, une telle obligation est discriminatoire. Nous avons déjà défendu ce point de vue ; aussi, je ne m'étendrai pas. Dans un certain nombre de pays, en effet, de grandes distances séparent les personnes concernées des structures adaptées pour l'apprentissage de la langue française, ce qui imposera à ces dernières à la fois des dépenses et des contraintes inutiles.

Vers qui les étrangers vont-ils se retourner ?

On a parlé de l'ANAEM, mais elle ne compte que six centres pour environ 190 pays !

Les Alliances françaises ? Ce n'est pas vraiment leur travail ; elles sont faites pour développer la culture française et enseigner le français aux ressortissants du pays.

Les consulats ? Nous connaissons bien leur situation : ils ne sont pas en mesure de prendre en charge de manière sérieuse et efficace cette évaluation et cette formation. Ou alors, encore une fois, ils le feront au détriment du temps qu'ils doivent consacrer à nos compatriotes. Vous allez me rétorquer que c'est une attitude corporatiste, mais défendre les Français établis hors de France fait partie de notre mandat ! Les consulats sont en quelque sorte nos mairies et nos préfectures à l'étranger. Enseigner, par exemple, la teneur du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 aux futurs conjoints de Français est un tout autre travail !

L'article 4 constitue une dérive qui est mauvaise. De plus, il ne débouchera sur rien, car les consulats sont, chaque année, « étranglés » davantage. Le résultat sera donc forcément mauvais.

La seconde mesure - M. Louis Mermaz en a dit un mot - consiste à supprimer une disposition qui partait pourtant d'une très bonne idée - cela arrive de temps en temps ! -, à savoir permettre au conjoint qui avait séjourné six mois en France de n'avoir pas à repartir, à Nouakchott ou à Bangkok par exemple, pour demander un visa. En effet, une fois dans son pays, l'étranger doit attendre le certificat de nationalité. Dix-huit mois sont au minimum nécessaires avant qu'il puisse revenir en France. Qui fait vivre sa famille pendant cette période ?

Pourquoi supprimer ce qui constituait pour une fois, me semble-t-il, une mesure logique, de bon sens ? En raison des très grandes difficultés pratiques de mise en application du fait de la vérification à distance de l'état civil de l'étranger. Mais la loi est en vigueur depuis à peine six mois et l'on ne dispose pour l'instant d'aucun bilan ! Encore une fois, c'est bien une mesure de vexation, d'ostracisme contre les mariages binationaux.

Pour toutes ces raisons, nous défendrons la suppression de cet article inique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)