Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention portera exclusivement sur l'audiovisuel extérieur.

Madame la ministre, comme Louis de Broissia, je souhaite vous interroger sur le montant de la subvention accordée à France 24. Nous allons voter une dotation de 70 millions d'euros pour 2008. Or la convention de subvention conclue entre l'État et France 24 prévoit le versement d'une subvention de 88,5 millions d'euros à la chaîne, soit une différence de 18,5 millions d'euros.

Lors du débat à l'Assemblée nationale, le 24 octobre dernier, vous avez indiqué que ces 18,5 millions d'euros supplémentaires proviendraient d'un redéploiement de crédits de gestion programmé au cours de l'année 2008. Redéployer signifiant prendre aux uns pour donner aux autres, ma question est simple : d'où viendront ces crédits et qui seront les victimes de cette dotation supplémentaire de 18,5 millions d'euros qui est accordée à France 24 ?

J'en viens maintenant à la réforme annoncée de l'audiovisuel extérieur.

Le comité de pilotage devrait présenter demain ses recommandations au Président de la République. Selon les indications révélées aujourd'hui par plusieurs journaux, qui sont, comme à l'ordinaire, mieux informés que le Parlement (Sourires), la principale proposition consisterait à créer une holding, baptisée « France Monde », pour regrouper sous un chapeau unique l'ensemble des opérateurs de l'audiovisuel extérieur.

Je dois avouer, madame la ministre, que cette idée me laisse assez sceptique. Qui peut croire que c'est en empilant les structures et en créant un ou même deux postes supplémentaires de président que nous parviendrons réellement à définir une stratégie plus cohérente ?

En revanche, je me félicite que l'idée, souvent évoquée, d'une fusion autoritaire des opérateurs de l'audiovisuel extérieur ait été, semble-t-il, écartée.

À ce propos, est-il nécessaire de rappeler que TV5 Monde est une chaîne francophone et que la France n'est pas seule à décider, même si elle participe à son financement à plus de 80 %? Nos partenaires francophones se sont d'ailleurs récemment émus de se voir imposer une réforme, dont ils n'avaient pas débattu.

Je reste convaincue, pour ma part, qu'il est souhaitable d'encourager les synergies entre les opérateurs, notamment en matière de production, de distribution et de commercialisation, afin d'éviter les coûteuses et stériles concurrences actuelles.

Je pense aussi que l'avenir de l'audiovisuel extérieur passe par Internet et que l'idée d'un groupement d'intérêt économique entre France 24 et RFI est intéressante, si elle permet de créer le pôle multimédia qui nous manque et qui devrait être établi sur le principe du volontariat des journalistes de France 24 ou de RFI amenés à y participer.

Enfin, je crois que la réforme de l'audiovisuel extérieur ne sera pas complète si elle ne s'accompagne pas d'une remise à plat de son mode de financement.

En effet, comment justifier que les crédits destinés aux opérateurs de l'audiovisuel extérieur soient scindés entre deux programmes ? En outre, comment expliquer que France 24 bénéficie d'une visibilité budgétaire grâce à sa convention pluriannuelle de subvention, contrairement à TV5 Monde ou à RFI ?

Est-il normal que les opérateurs de l'audiovisuel extérieur soient soumis au système de la réserve légale - 6 % cette année -, contrairement aux opérateurs de l'audiovisuel public national, qui sont financés par la redevance ?

Enfin, comment expliquer le fort déséquilibre qui existe entre les financements destinés à l'audiovisuel public national et ceux qui sont consacrés à l'audiovisuel extérieur ? Dans un cas, il est question de milliards d'euros, dans l'autre, il s'agit de millions d'euros !

La commission des affaires étrangères a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de ces deux programmes. Je considère, toutefois, madame la ministre, qu'il serait souhaitable que le Parlement soit étroitement associé à cette réforme de l'audiovisuel extérieur, dont le coût, pour le contribuable, doit être contrôlé par le Parlement, dès le stade préparatoire.

En matière d'audiovisuel extérieur, nous ne voulons pas être mis, une fois de plus, devant le fait accompli !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !

M. le président. Je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d'intervention générale et celui de l'explication de vote.

Je vous rappelle également qu'en application des décisions de la conférence des présidents aucune intervention des orateurs ne doit dépasser dix minutes.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.

La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a à peu près un an, nous examinions le texte supposé créer les conditions du développement de la télévision du futur en France.

Un an plus tard, avec l'examen du projet de loi de finances pour 2008 et, il faut le répéter sans cesse, avec la même majorité de droite aux commandes, le temps est venu de s'assurer de la volonté du Gouvernement de donner à l'audiovisuel public les moyens de trouver sa place dans la télévision du futur.

En premier lieu, il faut constater que la révolution numérique bouscule significativement le marché de l'audiovisuel : la multiplication des réseaux de diffusion, avec la télévision numérique terrestre, la télévision mobile personnelle, l'internet à haut débit et, bientôt, à très haut débit, ou la fibre optique, qui viennent s'ajouter au câble et au satellite, constituent autant de vecteurs d'une diversification accrue de l'offre.

Or, ces changements technologiques majeurs dans les modes de diffusion et de distribution de la télévision accompagnent une évolution profonde du comportement des téléspectateurs.

Comme le montrent les résultats de l'étude « Les Français et la télévision » réalisée par TNS-SOFRES pour Télérama, au mois d'août dernier, une nouvelle attente par rapport à la télévision s'exprime, particulièrement parmi les personnes jeunes, âgées de 18 à 34 ans, et ayant accès à un large éventail de médias. Autrement dit, la révolution numérique que connaissent aujourd'hui les services audiovisuels rencontre les aspirations d'un public de plus en plus nombreux, qui se détache d'une télévision de l'offre, proposée par les grandes chaînes hertziennes privées et visant à réunir le plus grand nombre possible de téléspectateurs devant des programmes fédérateurs, en faveur d'une télévision de la demande, répondant à des attentes de contenu et d'accès individualisés.

Dans cette perspective, les chaînes publiques détiennent a priori un avantage comparatif réel par rapport aux chaînes privées historiques. En effet, leur participation essentielle à la création d'oeuvres françaises et européennes de fiction et de cinéma et à la production de documentaires leur permet de disposer de programmes extrêmement variés, rediffusables à différents horaires et sur des supports diversifiés.

Dans cet environnement en mutation profonde, le service public de l'audiovisuel a-t-il les moyens de prendre le virage éditorial et technologique vers la télévision du futur ?

Respectivement signés le 15 mars et le 24 avril 2007, les contrats d'objectifs et de moyens d'Arte France et de France Télévisions assignent des objectifs volontaristes aux antennes en matière de programmation et de diffusion.

Au moment de l'extinction de la diffusion analogique, France Télévisions devra ainsi consacrer 420 millions d'euros au financement de programmes de création, soit 100 millions d'euros de plus qu'en 2005. Pour sa part, Arte France a pris l'engagement d'apporter un soutien financier à la création d'oeuvres audiovisuelles et cinématographiques augmentant, en moyenne, de 5,1 % par an sur la période 2007-2011.

Dans le même temps, les antennes du service public doivent assurer leur présence systématique sur l'ensemble des supports de diffusion. Le contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions fixe ainsi pour ambition au groupe de devenir un « média global », acteur majeur du développement accéléré de la télévision numérique pour tous en France. De ce point de vue, Arte a développé une stratégie offensive de présence sur les nouveaux réseaux au travers de « Arte Global », qui comprend, notamment, une plate-forme VOD, des programmes accessibles, la retransmission gratuite et exclusive d'émissions culturelles sur le site. Les chaînes publiques préparent aussi la diffusion de leurs programmes en haute définition et sur les réseaux de TMP.

Les opérateurs de la télévision publique ont donc pris, à l'égard de l'État actionnaire, des engagements importants, stratégiquement et financièrement.

Le Gouvernement se prévaut aujourd'hui, selon les termes que vous avez vous-même employés, madame la ministre, devant la commission des affaires culturelles, du « respect sans faille des engagements financiers de l'État » à l'égard de France Télévisions.

En effet, la dotation à France Télévisions d'une partie du produit de la redevance conduit à une hausse, au sein du projet de loi de finances pour 2008, de presque 3,5 % par rapport à 2007, conformément aux dispositions du contrat d'objectifs et de moyens. Mais ce contrat sous-estime manifestement les besoins de financement du groupe en termes d'investissements dans les nouveaux supports de diffusion.

Les recettes publicitaires générées par les chaînes stagnent du fait de l'éclatement du marché et des audiences structurellement en baisse de la télévision hertzienne et ne peuvent donc garantir des ressources sûres et suffisantes à France Télévisions. Or, les hausses contractuellement garanties de la ressource publique sur la période 2007-2010, qui devraient correspondre à une augmentation totale de 171,24 millions d'euros de la dotation, représentent à peine le coût annuel de la diffusion analogique des chaînes. Et le calendrier d'extinction de la diffusion analogique accuse aujourd'hui un retard d'au moins un an !

Dans ces conditions, il semble évident que le plan de financement prévu par le contrat d'objectifs et de moyens n'est déjà plus valable et doit être modifié d'urgence. Souvenez-vous de ces propos ! En tout état de cause, le groupe est aujourd'hui amené à puiser sur ses fonds propres pour réaliser les investissements nécessaires à sa diffusion sur les nouveaux supports.

De manière moins pressante, Arte France est aussi soumis au risque de décrochage de l'évolution de sa ressource publique par rapport à l'augmentation de ses charges. Ce décrochage est lié à la poursuite d'investissements lourds dans les nouvelles technologies. Or, Arte France doit assumer, en parallèle, sa participation au fonctionnement d'Arte GEIE, qui n'est pas prévue par le contrat d'objectifs et de moyens, et aura aussi à intégrer l'augmentation de ses coûts de diffusion du fait du retard pris dans le passage au « tout numérique ».

Les annonces gouvernementales sur le thème des « promesses tenues à l'égard de l'audiovisuel public » ne peuvent donc masquer la réalité du sous-financement durable des opérateurs du service public de la télévision.

Au-delà des services de télévision, Radio France n'est pas mieux lotie, devant assumer la ruineuse mais nécessaire réhabilitation des locaux de la Maison de la radio sans disposer des moyens de réellement investir dans le développement de la radio numérique.

Quant à RFI, il est difficile d'en parler sans éprouver un peu de honte à l'égard des journalistes, des techniciens et de l'ensemble des équipes qui réalisent des programmes en vingt langues, diffusés dans une centaine de pays différents, mais qui restent dans l'ignorance de leur sort futur - ignorance au moins aussi grande que celle des parlementaires qui doivent lire Le Monde et Libération aujourd'hui ! -, suspendus qu'ils sont aux arbitrages à venir en matière de restructuration des organismes de l'audiovisuel extérieur.

En conclusion, notre assemblée a perdu, à travers le débat sur l'augmentation de la redevance et avec une majorité UMP qui a désavoué la proposition de la commission des affaires culturelles, une occasion d'assurer un financement durable de notre audiovisuel public. À l'avenir, je pense qu'il faudra songer à l'instauration d'une taxe nouvelle, beaucoup plus légitime pour nos concitoyens et plus productive pour les finances publiques, qui ne pèse pas sur la majorité de nos concitoyens mais qui soit assise sur le chiffre d'affaires publicitaire des opérateurs privés de télévision, comme dans d'autres pays...

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Qui paie la publicité ? Le consommateur !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C'est toujours le consommateur qui paie !

M. David Assouline. Non, mes chers collègues ! Les recettes publicitaires qui seraient ainsi transférées pourraient permettre de dégager des moyens pour financer l'audiovisuel public, par exemple. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Louis Duvernois.

M. Louis Duvernois. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la puissance publique s'est engagée à réorganiser l'audiovisuel extérieur, ce que certains appellent déjà, peut-être par réalisme fataliste, une « impossible réforme », pourtant enjeu stratégique majeur sur le plan tant de l'influence de la France et de la diffusion de sa langue que de la diversité culturelle.

Nous approuvons, certes, la révision de la politique audiovisuelle extérieure de la France, souhaitée par le Président de la République, car la pratique actuelle, qui fait intervenir de multiples opérateurs, laisse une impression de confusion. La presse vient, d'ailleurs, d'annoncer la remise imminente du rapport demandé par M. Sarkozy, qui préconiserait la création d'une holding, France Monde, coiffant TV5 Monde, France 24 et RFI. Toutefois, la configuration actuelle du système ne se prête pas facilement à la mutualisation des ressources humaines et financières des différents opérateurs.

La question reste de savoir si cette réforme répond à une réelle volonté de réorganisation en profondeur de l'audiovisuel extérieur dans un secteur d'activité perturbé depuis l'arrivée, en 2006, de France 24. Cette question, nombre d'observateurs se la posent et nous aimerions, madame le ministre, connaître sur ce point précis votre sentiment. Le Parlement comprendra mieux les principes d'une réforme de l'audiovisuel extérieur français, ambitieuse pour notre pays.

Deux chaînes de télévision, TV5 Monde et France 24, ainsi que d'autres acteurs comme France 2, Arte et Euronews, une radio publique, RFI, et une banque de programmes Canal France International constituent, entre autres, un paysage audiovisuel extérieur sous la tutelle de trois autorités publiques différentes et souvent discordantes, à savoir, les ministères des affaires étrangères et européennes, de la culture et de la communication, de l'économie, des finances et de l'emploi, auxquelles il faut ajouter, pour France 24, le rattachement aux services du Premier ministre.

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2008, que nous étudions aujourd'hui, l'analyse des crédits ne fait pas apparaître clairement les évolutions d'un secteur d'activité dominé par une concurrence accrue et menacé par la révolution technologique, à l'échelle mondiale, telle la diffusion numérisée et par Internet.

Nos craintes d'un audiovisuel extérieur à plusieurs vitesses sont ainsi fondées. Le manque de transparence dans l'orientation et le contrôle de ces opérateurs par les pouvoirs publics, l'application régulière de la réserve dite « de précaution », le gel en cours d'exercice de crédits votés, la complexité de la procédure budgétaire à TV5 Monde, qui avantage finalement les actionnaires minoritaires, appellent une réforme en profondeur de l'investissement public.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes dans ce paysage audiovisuel asymétrique.

Pour France 24, dont personne ne conteste la raison d'être, les crédits inscrits pour 2008 s'élèvent à 70 millions d'euros, alors que la convention entre l'opérateur et l'État prévoit une augmentation annuelle automatique, calculée selon une obscure formule mathématique. En vertu de celle-ci, la subvention atteindra, en fait, 88,5 millions en 2008 par redéploiement en cours de gestion. Les fonds publics n'étant pas extensibles à volonté, madame le ministre, je vous pose la question de savoir d'où proviennent ces 18,5 millions d'euros attribués à titre de dotation complémentaire, sans l'aval du vote parlementaire.

Pour Radio France Internationale, l'analyse comparée des ressources publiques, constituées par la redevance audiovisuelle et la subvention de l'État, montre qu'elles n'ont progressé que de 3,4 %, tandis que les différentes sociétés de l'audiovisuel public, sur la même période 2004-2008, ont connu une augmentation inscrite dans une fourchette située entre 11,9 % et 17,8%. Cette disparité de traitement tient, essentiellement, au montant de la subvention annuelle attribuée par le ministère des affaires étrangères et au fait que le financement public de RFI repose, pour plus de 50 %, sur la subvention précitée, là précisément où la redevance audiovisuelle constitue l'unique ressource publique des autres opérateurs.

Dans ces conditions, il n'est donc ni logique, ni économiquement sain que la dévolution des crédits votés par le Parlement soit conditionnée par la nature du financement, redevance ou subvention. La réforme de l'audiovisuel extérieur passe aussi, madame le ministre, par des pratiques transparentes d'allocations des crédits, votés en conformité de l'application de la LOLF, dont il faut rappeler qu'elle substitue à une logique de moyens une pratique d'évaluation des crédits votés et engagés pour toutes les actions de l'État.

Pour TV5 Monde, le problème est tout autre puisque la France, investisseur très largement majoritaire, à hauteur de 70 millions d'euros sur un budget total de 92 millions d'euros, cogère l'organisme avec quatre autres entités étatiques, la communauté française de Belgique, la Suisse, le Canada et le Québec. Il convient cependant de noter que le mécanisme de la réserve légale appliqué à TV5 Monde, soit 6 % en 2008, mais non à France 24 et partiellement à RFI, au regard de la seule redevance, complique grandement la gestion de la chaîne et affecte aussi sa capacité à atteindre les objectifs fixés par la loi de finances.

Cette équation particulière à TV5 Monde entre gestion de frais communs et frais spécifiques conduit à une analyse comptable illisible, avec, comme première conséquence, une passivité des pays bailleurs de fonds qui, au fil des ans, n'ont pas eu les moyens ou, plus probablement, n'ont pas voulu accompagner l'augmentation des besoins de la chaîne dans le sens de la modernisation de ses missions.

Avec ces mauvais exemples de schémas d'organisation institutionnels, on en viendrait de même à s'interroger sur un autre phénomène : la montée en puissance à l'international d'Arte, la chaîne franco-allemande, qui absorbe à elle seule, et chaque année, 219 millions d'euros provenant de la seule redevance audiovisuelle française.

Quel est, dans ces conditions, le sens de l'engagement financier total de l'État, qui s'élève à 360 millions d'euros incluant les 40 % de redevance de RFI ? Quelles missions audiovisuelles extérieures remplit-il, avec quels objectifs et pour quels résultats ?

Force est d'admettre que, dans cet habillage institutionnel hétéroclite, la tendance sur plusieurs années a consisté à superposer de nouvelles structures à une infrastructure publique toujours plus fragilisée par des ajouts successifs et l'absence récurrente de coordination entre elles.

Nous avons créé voilà un an France 24, télévision française d'information continue dont le concept est original, mais sans tenir aucun compte du fait que TV5 Monde existe depuis un quart de siècle. Or, cette chaîne de télévision francophone et généraliste est complémentaire de la précédente et non concurrente.

De même, on entend ici ou là des propos déconcertants de renoncement sur RFI, dont l'objectif ne devrait plus consister qu'à rechercher une couverture mondiale par voie hertzienne. Comment ne pas s'étonner de tels discours, et comment se résoudre - ce que, pour ma part, je me refuse à faire - à une gestion aussi désordonnée de ce secteur d'activité ?

RFI dispose du premier réseau mondial d'émetteurs FM, devant la BBC, qu'on cite pourtant souvent en exemple. Voilà qui devrait être, pour la France, un sujet de fierté. La diffusion FM reste, en effet, un support puissant et efficace pour toutes les populations.

TV5 Monde constitue, en outre, un atout majeur pour la promotion d'une francophonie qui regroupe plus de 60 pays et dont le centre de gravité tend à se déplacer du Sud vers le Nord.

Allons-nous réduire cette vitrine en Europe, où se joue la bataille d'influence de notre pays, et laisser à d'autres la conquête de nouveaux marchés, alors que nous demeurerons le premier bailleur de fonds et le seul opérateur français à avoir la capacité de réaction propre à développer une présence audiovisuelle à l'échelle mondiale ?

Doit-on, enfin, considérer comme désuets les concepts de francophonie et de multilatéralité, à la radio comme à la télévision, alors qu'ils nous sont enviés par le monde hispanophone et lusophone ?

Nous ne pourrons jamais exporter notre savoir-faire audiovisuel - produit de l'histoire d'un pays et de sa culture - si nous continuons à entretenir, par faiblesse politique et carence administrative, une situation qui freine l'exportation de nos programmes de qualité dans les domaines de la fiction, du divertissement, du documentaire et du cinéma, si nous nous obstinons à ne pas relier production et diffusion comme dans toute entreprise performante. Ce sont les groupes audiovisuels qui sont les mieux à même d'exporter leurs programmes : permettons-leur de pouvoir le faire !

Que pouvons-nous raisonnablement attendre de cette réforme ? Beaucoup, si nous réussissons un rapprochement pertinent entre les opérateurs ; encore plus, si la communication en direction des autres pays, en français et dans d'autres langues porteuses, devient globale, c'est-à-dire tri-média, incluant télévision, radio et Internet. Car, selon les zones, les publics, mais aussi le niveau d'équipement et les conditions de réception, l'un de ces trois médias peut se révéler être le mieux adapté.

Dans l'immédiat, la singularité de la chaîne d'information internationale France 24 brouille l'analyse et suscite des interrogations. Chacun gagnerait à une clarification des rôles et des missions, sans se concurrencer sur les modes de diffusion, notamment le câble et Internet.

L'État, bien qu'unique financeur de France 24, n'en est pas actionnaire ! La chaîne est, en outre, le seul opérateur de l'audiovisuel extérieur détenu à 50 % par un actionnaire privé - TF1 - dont la participation au capital de l'entreprise n'a été au départ que de 18 500 euros. Depuis le lancement de la chaîne, ce capital s'est trouvé valorisé, si l'on en croit la presse, et atteint plusieurs millions d'euros.

On n'ose donc imaginer, pour les finances publiques, un retrait négocié de l'opérateur privé ! Dans ce cas, en effet, nous serions confrontés à un surprenant paradoxe : l'État devrait indemniser un actionnaire à raison du concours financier que ce même État a apporté à l'entreprise ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Ainsi, l'État devrait payer pour la valeur qu'il a lui-même créée, ce qui serait bien évidemment absurde !

Madame le ministre, votre connaissance des médias fait de vous un acteur sur qui nous comptons pour mettre un peu d'ordre dans ce capharnaüm. Pour cela, il convient de porter un regard impartial de façon à établir un pilotage stratégique et à parvenir à un rendement optimum des investissements publics.

De votre côté, vous pouvez compter dans cette tâche sur le travail parlementaire approfondi et consensuel dont vos prédécesseurs n'ont pas, jusqu'à présent, suffisamment tenu compte. La définition d'une politique audiovisuelle extérieure doit être un préalable à l'ingénierie audiovisuelle, et non l'inverse.

Je me fais ici le porte-parole du groupe UMP qui, bien évidemment et malgré mes observations, votera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jack Ralite.

M. Jack Ralite. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis de ceux qui, dans les années cinquante, ont acheté une télévision. Avec ma famille, je me régalais alors des programmes en direct, dits des « Buttes-Chaumont ».

Titulaire de la première rubrique « télévision » du journal L'Humanité-Dimanche, j'ai pu nouer des relations amicales et profondes avec nombre de professionnels de « cet instrument nouveau et bizarre [...] qui se proposait la connaissance et la conquête du public - des publics - et non sa banale satisfaction », comme le disait Claude Santelli.

À Aubervilliers, nous organisions des dizaines de télé-clubs, fréquentés par des centaines de personnes que rejoignaient, l'émission en direct terminée, les artistes qui nous avaient ravis et « augmentés ».

C'est inoubliable. Il s'agit là d'une des composantes fortes de ma vie. Cette télévision de service public a été construite par une sorte d'actionnariat populaire - la redevance - aux dimensions du pays, sans que l'État mette un sou.

C'est dire ma sensibilité à ce qu'est et surtout à ce que devient la radio-télévision française. Or, actuellement, par-delà tous les « malmenages » qu'elle a connus, on constate une tendance grave que j'observe pour ma part avec colère : l'existence, pour une part en devenir, d'un « régime spécial » dont bénéficient et bénéficieront les grands diffuseurs commerciaux, au détriment des artistes et techniciens de télévision, mais aussi des téléspectateurs et du service public de la télévision.

Ces toutes dernières années, nous avons en effet été confrontés à une cascade de cadeaux du pouvoir politique à quelques grands et gros intérêts investis dans ce média.

Lors des débats relatifs à la « télévision du futur », le 20 novembre 2006, le pouvoir a ainsi offert à TF1, Canal + et M6, opérateurs privés, un canal bonus ; aux nouveaux entrants de la TNT - Bolloré, Bertelsmann-RTL, Lagardère-Hachette et Canal +-TPS -, un accès automatique aux futurs réseaux de télévision mobile personnelle ; aux trois grands opérateurs de télécommunications - Orange, filiale de France Télécom, SFR, filiale de Vivendi et donc liée à Canal +, Bouygues Télécom, filiale du groupe du même nom intimement lié à TF1 - le marché de la télévision mobile personnelle.

Lors des débats sur la politique numérique, le 11 octobre 2007, le pouvoir a offert au marché de la télévision mobile le dividende numérique à travers la vente des fréquences hertziennes aux enchères.

Pas plus tard que mardi dernier, le pouvoir a offert un échelonnement de paiement pour l'attribution de la quatrième licence mobile UMTS. Pour ce faire, contrairement aux trois premières attributions, il retire au pouvoir législatif sa responsabilité et s'en empare, selon un nouveau principe : la concurrence non libre et faussée.

Il y a deux ans, Orange, SFR et Bouygues Télécom ont obtenu les trois premières licences et leurs marges sont souvent supérieures à 40 % ; je ne suis pas sûr qu'ils vont accepter sans rien dire la nouvelle méthode suggérée par Free !

Le pouvoir gratifie donc les grandes affaires d'un véritable « droit d'affaire », qui sera protégé du droit des affaires que Mme Rachida Dati est en train d'alléger.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Tout le monde en prend pour son grade !

M. Jack Ralite. Mais, non contentes d'être à Noël plusieurs fois par an, les grandes affaires demandent, et il semble qu'elles ont été entendues, des mesures de dérégulation.

J'en veux pour preuve, madame la ministre, votre discours ministériel au marché international des contenus audiovisuels, le MIPCOM, du 9 octobre 2007, dans lequel vous avez annoncé une loi globale pour la fin du premier trimestre 2008 concernant la hausse des volumes publicitaires, l'assouplissement des obligations de production et la levée des seuils anti-concentration. « Tout est positif dans ce projet », concluait un courtier en bourse.

C'est dans ces conditions que la publication, prévue au début du mois de décembre, d'un décret qui entérinait les votes unanimes du Sénat et de l'Assemblée nationale sur les oeuvres audiovisuelles a été différée, ainsi que le souhaitaient les chaînes commerciales qui manquent souvent à toutes leurs obligations.

Pourtant, dans cet hémicycle, un très beau et très profond débat avait eu lieu le 22 novembre 2006 sur la création audiovisuelle, auquel avaient participé Louis de Broissia, Charles Revel, Serge Lagauche, Catherine Morin-Desailly, Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles, Catherine Tasca, Ivan Renar, Renaud Donnedieu de Vabres, alors ministre, et moi-même. Tous ensemble, nous avions construit la pensée de ce décret, qui s'inscrit dans une politique de soutien à la diversité culturelle et à la création.

Le report de la publication de ce décret a provoqué, le mercredi 21 novembre dernier à Paris, au Cinéma des Cinéastes, archi-comble, la présence d'auteurs, de producteurs, d'artistes-interprètes, d'agents, de techniciens et de syndicats, tous professionnels de l'audiovisuel qui, à travers vingt organisations, voulaient montrer qu'ils enrageaient contre l'attitude gouvernementale, à vrai dire présidentielle, puisqu'on lit dans la lettre de mission adressée par le Président de la République à la ministre de la culture : « L'objectif doit être de supprimer les incohérences croissantes de la législation actuelle » - je rappelle que nous l'avons votée à l'unanimité - « et de permettre l'émergence de groupes de communication audiovisuelle français de premier plan ».

Arrêtons-nous sur le contenu de cette réunion dynamique et résolue, de femmes et d'hommes de métier, qui entendent garder et développer les moyens de les exercer.

Premièrement, les chaînes commerciales attribuaient par avance au décret leurs difficultés supposées.

Deuxièmement, ces difficultés supposées sont démenties par les résultats de ces chaînes commerciales. TF1, depuis 1999, a vu son chiffre d'affaires augmenter de 43,1 %, M6 de 104 %. Les recettes publicitaires de TF1, depuis 1999, ont crû de 26 %, celles de M6 de 46 %. Entre 1999 et 2005, TF1 a connu une hausse de ses recettes diversifiées de 34,2 %, M6 de 183 %. Cette bonne santé a d'ailleurs conduit TFI à augmenter le dividende de ses actionnaires depuis 2002 de 30 %, M6 de 66 %.

Troisièmement, 1 % du chiffre d'affaires cumulé de TFI et de M6 représente vingt millions d'euros, ce qui équivaut à vingt heures de fiction en prime time, ou trente heures de dessins animés, ou cinquante heures de fiction jeunesse, ou encore cent heures de documentaires.

Cela représente aussi vingt mille journées de travail pour les artistes et les techniciens, sans compter l'activité des auteurs, des prestataires techniques, des agents artistiques et des entreprises de production.

Quatrièmement, dès l'annonce du report de la publication du décret, les études boursières ont manifesté leur satisfaction : « Nous évaluons les impacts positifs potentiels à 3,7 euros pour TF1 et 1,2 euro pour M6 hors valeur spéculative », dit ainsi une étude de la Société générale sur le secteur des médias en date du 2 novembre 2007. Une étude de Goldman et Sachs sur le secteur des médias indiquait pour sa part, le 19 novembre 2007 : « Nous nous attendons à ce que le secteur audiovisuel français connaisse des changements réglementaires importants dans les mois qui viennent, ce qui devrait être un facteur positif pour TF1 et M6 »

Bref, les difficultés supposées des télévisions commerciales sont bien une comédie de lobbyistes. Face à eux, faisons entendre haut et fort notre solidarité avec les participants à la réunion du Cinéma des cinéastes, qui veulent tout simplement promouvoir la création et le pluralisme culturel audiovisuels !

C'est une ambition à maintenir, à développer, y compris en entrant dans l'ère du numérique. Le décret reporté, c'est-à-dire à renégocier dans le cadre de la mission Kessler-Richard - j'ai lu les questions posées : elles sont toutes orientées -, c'est un renversement de la politique culturelle française, qui a toujours comporté le soutien de la nation à la création culturelle.

Si l'on se rappelle que le Président de la République, dans sa lettre de mission du 1er août 2007 à la ministre de la culture et de la communication, met aussi en cause la création dans le spectacle vivant identifiée à « une offre répondant à l'attente du public » et la création du passé en souhaitant « la possibilité pour les opérateurs publics d'aliéner les oeuvres de leurs collections », on ne peut être qu'en alerte combative, d'autant que les chaînes publiques, malgré l'insistance de leur président, M. Patrick de Carolis, reçu à la commission des affaires culturelles et à la présidence du Sénat, se voient limitées dans leur volonté de créer plus.

La lettre de mission présidentielle ajoute qu'il faut « réallouer les moyens publics des politiques inutiles [...] au profit des politiques [...] que nous voulons entreprendre ».

Autrement dit, nous serions, nous, qui avons voté à l'unanimité l'amendement sur le renforcement des obligations patrimoniales, comme les participants à la réunion du Cinéma des cinéastes, des « inutiles » et des « incohérents croissants ».

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Jack Ralite. Pour le Président de la République, l'utilité et la cohérence croissante, c'est la volonté de grands groupes à qui il offre un « régime spécial ». M. Sarkozy devrait connaître René Char : « À tous les repas pris en commun nous invitons la liberté à s'asseoir. La place demeure vide, mais le couvert est mis. »

Continuons donc et élargissons notre responsabilité de législateurs ! C'est le statut de la création dans tous ses états qui autrement est remis en cause. Les scénaristes réunis à Aix-les-Bains il y a un mois ont été explicites à ce sujet. Lydie Salvayre, dans son dernier roman, Portrait de l'écrivain en animal domestique, montre combien un être écrivant est atteint malgré lui, je dirais presque à son insu, dans son intimité de coeur et de pensée profonde, par un commanditaire opulent.

La finance sans rivage - le rapport Jouyet-Lévy théorise ce point de vue - abrase la vie, malmène l'imaginaire et l'immatériel, qui jouent un rôle de plus en plus important dans la société.

Ces méfaits se propagent - nombre de journalistes en témoignent - dans la presse quotidienne et hebdomadaire quand elle devient propriété ou rachat par les grands groupes. Tout le monde sait la bataille qu'ont dû mener les journalistes des Échos et de La Tribune face à LVMH.

Je sais que l'on m'objectera alors, au sujet de mon beau souvenir de la télévision des Buttes-Chaumont : « Mais vous êtes passéiste ! » Je répliquerai, avec Pierre Schaeffer, cet immense homme de musique, de télévision, de radio, d'innovation : « L'archéologie, comme on le sait, n'est pas exclusivement vouée au passé. Elle enracine le présent. Elle répond à la question : comment en sommes-nous arrivés là ? »

Nous ne voulons pas, avec les vingt organisations de l'audiovisuel, que nous en arrivions à ce que souhaite le Président de la République.

Mes chers collègues, soyons utiles, ayons une cohérence croissante et, sans aucune crainte, tenons fermement notre amendement unanime du 22 novembre 2006 ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.