M. Guy Fischer. C'est bien de le reconnaître !

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. ... et nuit à la connaissance, donc à la prévention, des risques professionnels.

M. Guy Fischer. Très bien, madame le rapporteur !

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Le problème de la tarification se pose aussi. Les bases actuelles du système de tarification ne privilégient pas assez les entreprises qui mettent en oeuvre une réelle politique de prévention. Il faut progresser sur la tarification comme sur les autres sujets, mais pas sans précaution !

L'accord interprofessionnel du 12 mars 2007 relatif à prévention, à la tarification et à la réparation des risques professionnels, signé par les partenaires sociaux, préconise que toute proposition en vue d'une tarification plus simple et plus incitative à la prévention fasse l'objet de simulations pour veiller à sa faisabilité technique et pour en évaluer l'impact sur les cotisations. La commission des affaires sociales partage ce souci de pragmatisme.

Ce n'est pas totalement le cas de la proposition de loi, qui aborde successivement la gouvernance et les ressources de la branche AT-MP, puis les modalités de la réparation.

Ainsi, elle inscrit dans la loi l'existence et les missions du Fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles ; elle crée une nouvelle dépense sous la forme d'aides de nature à favoriser l'implantation de délégués prévention dans les entreprises de moins de cinquante salariés ; elle triple les ressources que la Commission des accidents du travail et maladies professionnelles, la CATMP, verse actuellement au fonds sur le produit des cotisations AT-MP ; enfin, elle crée une nouvelle ressource issue de nouvelles sanctions financières contre les entreprises.

Sur ces différents points, la commission ne croit pas utile de donner une valeur législative au Fonds national de prévention des AT-MP.

Par ailleurs, dans la mesure où le budget du fonds est actuellement élaboré par la CATMP, les évolutions proposées pour son financement devraient faire l'objet d'une consultation des partenaires sociaux.

En ce qui concerne les cotisations supplémentaires, les contrôleurs de sécurité ont déjà la possibilité d'imposer une cotisation supplémentaire pour risque exceptionnel ou révélé par une infraction aux règles de sécurité.

En ce qui concerne enfin le non-respect de l'obligation de déclaration d'un accident du travail, la caisse peut actuellement poursuivre l'employeur en vue du remboursement de la totalité des dépenses engagées.

Je suis ainsi tentée de dire que ces propositions sont globalement satisfaites.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oui !

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Il en est de même pour la disposition qui supprime les exonérations de cotisations dans le champ de la branche AT-MP, satisfaction ayant été donnée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

Une autre proposition subordonne la décision d'octroi de ristournes sur les cotisations à l'avis du CHSCT. Cependant, les ristournes sont déjà accordées, sur décision de la CRAM, après avis du CHSCT.

En ce qui concerne la proposition de modifier la répartition du coût des AT-MP entre les entreprises utilisatrices et les entreprises de travail temporaire, il nous semble indispensable de consulter les partenaires sociaux, qui n'ont pas abordé cette question dans leur accord du 12 mars 2007.

La consultation s'impose moins, à notre avis, sur la répartition au cas par cas du coût des AT-MP entre les entreprises sous-traitantes et les entreprises utilisatrices, après enquête des services de prévention des CRAM, car ce dispositif serait manifestement ingérable.

La consultation n'est sans doute pas non plus indispensable sur la proposition de porter à deux tiers la proportion des représentants des salariés dans la CATMP, dans la mesure où les partenaires sociaux ont clairement réaffirmé leur attachement - j'insiste sur ce point - au paritarisme pur et simple dans l'accord du 28 février 2006 sur la gouvernance de la branche.

Sur le volet de la réparation, la proposition de loi pose le principe de la réparation intégrale des AT-MP. Notre commission estime de son côté inopportun de revenir sur le système de réparation forfaitaire, auquel les partenaires sociaux ont d'ailleurs réaffirmé leur adhésion dans l'accord du 12 mars 2007, tout en proposant d'évoluer vers une réparation forfaitaire personnalisée. L'accord dessine d'ailleurs quelques pistes dans ce domaine, tout en avertissant que « les mesures proposées sont inspirées par une préoccupation d'optimisation des dépenses de la branche AT-MP de la CNAM. Elles sont conditionnées à la capacité de la branche de les financer ».

Notre commission s'est inscrite dans une démarche identique.

C'est pourquoi elle a rejeté l'ensemble des articles de la proposition de loi qui tirent les conséquences du passage à la réparation intégrale des AT-MP.

Certaines autres propositions soulèvent des objections.

Par exemple, l'idée d'assouplir les conditions de reconnaissance de la maladie professionnelle pour les affections non mentionnées au tableau des maladies professionnelles nous semble remettre en cause, à terme, le système du tableau.

Par ailleurs, en ce qui concerne la proposition de supprimer le forfait de un euro pour les victimes d'AT-MP, nous ne croyons pas à la possibilité d'appliquer cette mesure à l'ensemble des bénéficiaires du système.

D'autres propositions dépensières présentent peut-être de meilleures perspectives.

Il en est ainsi de celle qui prévoit la prise en charge des frais médicaux et paramédicaux des victimes d'AT-MP sur la base des frais engagés. Dans l'accord du 12 mars 2007, les partenaires sociaux ont demandé l'amélioration de cette prise en charge pour certains postes tels que l'appareillage dentaire, optique ou auditif. Sans doute est-il souhaitable d'explorer cette piste, plus modeste.

D'autres propositions sont intéressantes a priori. Ainsi, en ce qui concerne la date d'ouverture des droits en matière de maladie professionnelle, la proposition visant à distinguer le fait constitutif de l'ouverture des droits du point de départ du délai de prescription nous semble bien conçue, sous réserve d'une étude technique préalable des conséquences de l'abandon du parallélisme traditionnel entre l'indemnisation des accidents du travail et celle des maladies professionnelles.

Je terminerai avec le dossier de l'amiante, qui continue de poser de graves problèmes d'efficacité, d'équité et de financement, problèmes auxquels il faut trouver des solutions.

C'est ce qui avait déjà été souligné dans le rapport de la mission « amiante » du Sénat, mission dont j'étais membre, avec mes collègues Michelle Demessine et Roland Muzeau, notamment, et qui était présidée par Jean-Marie Vanlerenberghe.

La proposition de loi présente une première série de mesures destinées à la protection des salariés contre les risques liés à l'amiante.

Il s'agit, en substance, de permettre à l'inspecteur du travail de prescrire l'arrêt temporaire des opérations de confinement ou de retrait d'amiante dans un certain nombre de cas nouveaux ; de donner au préfet la possibilité d'enjoindre à une personne ayant mis à disposition des locaux ou installations ou à celle qui en a l'usage de rendre leur utilisation conforme ; de limiter le nombre d'interventions avec port des équipements de protection individuelle et de restreindre la durée de chaque intervention ; de créer dans chaque CRAM un registre des salariés étant ou ayant été exposés à l'inhalation de poussière d'amiante, l'inscription à ce registre ouvrant droit au bénéfice d'un suivi national spécifique ou de la surveillance médicale postprofessionnelle.

Ces propositions nous ont paru globalement intéressantes et nous souhaitons, madame la secrétaire d'État, qu'elles restent en débat.

Les autres propositions visent, pour la plupart, le régime de cessation anticipée d'activité des salariés et anciens salariés de l'amiante.

Il faut certainement revoir ce système, à la fois trop coûteux et insuffisamment focalisé sur ses destinataires naturels. Un groupe de travail réunissant les associations et les partenaires sociaux a été installé hier à cette fin. Il aura quatre mois pour rendre des conclusions en vue du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.

Il nous semble inenvisageable de légiférer sans prendre connaissance de ces travaux.

Pour autant, la proposition de loi présente-t-elle des pistes que nous souhaiterions explorer le moment venu ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh oui !

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Elle vise, par exemple, à prendre en compte les périodes d'activité exercées dans les établissements de construction et de réparation navales du ministère de la défense pour la détermination des droits à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, l'ACAATA. Nous n'y sommes pas hostiles, sous réserve de vérifier dans quelle mesure il est justifié de prendre en compte l'ensemble de ces établissements.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et l'ensemble des postes de travail !

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Toutefois, ce sujet relève du domaine réglementaire.

La proposition de loi étend cette même allocation à différentes catégories de salariés et anciens salariés, notamment à ceux qui sont contraints au port de vêtements de protection amiantés. L'expertise des partenaires sociaux nous est nécessaire avant de nous prononcer sur ce point.

La proposition de loi tend aussi à donner un caractère indicatif à la liste des établissements ouvrant droit au Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, le FCAATA. Il nous semble que le fait de donner à la liste un caractère indicatif impliquerait, par contrecoup, la nécessité pour les victimes d'apporter la preuve de leur exposition à l'amiante, ce qui est difficile. Cette disposition ne nous semble donc pas pertinente.

En revanche, la mesure concernant la motivation obligatoire de la décision de refuser d'inscrire un établissement sur la liste des établissements ouvrant droit au FCAATA, qui a été votée dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, puis annulée par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier social, nous paraît utile. Il faudra l'inscrire à nouveau dans la loi le moment venu.

Il nous est proposé, par ailleurs, de déterminer le montant de l'ACAATA sur la base non plus des douze derniers mois, mais des douze meilleurs mois de la carrière professionnelle du bénéficiaire. Il faudrait que le coût de cette mesure soit évalué avec précision.

Faut-il, dans un domaine connexe, porter de quatre à trente ans le délai de prescription des demandes d'indemnisation adressées au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, le FIVA, qui a pour mission de réparer les préjudices résultant de l'exposition ? La prescription quadriennale, d'ores et déjà plus favorable que la prescription de deux ans des maladies professionnelles, a soulevé un certain nombre de problèmes pour les victimes décédées avant la création du FIVA. Ces problèmes ont été résolus dans le cadre juridique existant. Un équilibre convenable a sans doute été ainsi atteint et la fixation d'une prescription de trente ans ne nous semble pas de nature à améliorer sensiblement la situation des victimes de l'amiante.

Faut-il supprimer les plafonds de la contribution des employeurs au FCAATA ? Nous ne le croyons pas, car cela mettrait en danger la survie d'un certain nombre d'entreprises déjà en situation fragile. De plus, le Sénat a refusé cette proposition lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

Mes chers collègues, la proposition de loi « santé au travail » présente des pistes plausibles, et d'autres qui le sont moins. Notre commission a essayé, et sans parti pris, je peux en témoigner personnellement, de faire le tour des unes et des autres pistes, afin de nourrir les débats à venir. Nous les aurons d'ailleurs bientôt, car le Gouvernement et les partenaires sociaux élaborent en ce moment même leurs propositions sur la santé au travail. Permettez-moi de dire que nous serons armés, à l'issue de l'examen de la présente proposition de loi, pour les étudier en connaissance de cause.

Il serait, en revanche, parfaitement inopportun de légiférer sans attendre sur les points particuliers qui nous semblent bien posés dans ce texte : tout se tient, sur chaque volet de la santé au travail, et c'est certainement pourquoi nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen ont estimé nécessaire de présenter une proposition aussi ample, aussi intégrée, aussi cohérente.

C'est pourquoi, tout en saluant la qualité du travail de l'ensemble de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, notre commission propose au Sénat de se prononcer en faveur des conclusions négatives qu'elle a adoptées sur la présente proposition de loi. Mais je réitère mes félicitations quant au travail accompli ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Guy Fischer. Oui, merci, madame le rapporteur !

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord saluer la qualité du travail accompli par Mme Michelle Demessine, soutenue par son groupe politique, avec cette proposition de loi, qui contient cinquante-trois articles denses, touchant à tous les aspects de la prévention et de la gestion des risques professionnels.

Permettez-moi de saluer également la rapidité et l'efficacité du travail du rapporteur, Mme Sylvie Desmarescaux, et de la commission des affaires sociales.

Ce travail s'inscrit dans le contexte de la conférence sur les conditions de travail et rejoint la volonté du Gouvernement de renforcer le dialogue social, car c'est en impliquant davantage les acteurs de l'entreprise que nous pourrons améliorer durablement la santé et la sécurité au travail.

Dans ce contexte, la proposition de loi de Mme Michelle Demessine et de son groupe intervient-elle trop tôt ou trop tard ? À vous de le dire, mais, en tout cas, elle nous offre l'occasion de tenir un débat sur des sujets essentiels pour des millions de salariés.

Elle intervient sans doute trop tôt, car elle précède plusieurs processus de réforme récemment mis en place : je pense au FCAATA, à la médecine du travail, ou encore aux négociations lancées à la suite de la conférence du 4 octobre dernier sur les conditions de travail.

Elle intervient aussi trop tard, car elle intervient sur certains sujets qui ont déjà fait l'objet de la signature d'accords par les partenaires sociaux dans le cadre de la gestion de la branche AT-MP.

Pour toutes ces raisons, sur lesquelles je reviendrai dans un instant, je partage l'avis de la commission des affaires sociales, qui conclut au rejet de la présente proposition de loi. Cependant, je le répète, nous devons profiter de l'occasion offerte par la discussion de ce texte pour avancer sur les solutions à mettre en oeuvre, étant donné l'ampleur des pistes que vous ouvrez, madame Demessine.

Les auteurs de cette proposition de loi ont d'ores et déjà obtenu satisfaction sur plusieurs sujets.

Il en est ainsi de la suppression des exonérations de cotisation AT-MP, proposée à l'article 2, suppression qui a d'ores et déjà été opérée par l'article 22 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

Mme Michelle Demessine. Notre proposition de loi a été déposée avant l'examen de la loi de financement !

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État. En effet, madame le sénateur.

Nous sommes d'accord avec ce qui motivait cette proposition : il ne faut pas exonérer les employeurs de leurs responsabilités et se priver de l'effet incitatif que la tarification peut avoir sur la prévention, vous avez raison.

Tel est aussi le cas des sanctions sous forme de cotisations supplémentaires imposées aux employeurs qui ne respectent pas leurs obligations de santé et de sécurité, dont il est question à l'article 4 de la proposition de loi. En effet, les contrôleurs de sécurité disposent déjà du pouvoir d'imposer des cotisations supplémentaires dans le cas d'un risque exceptionnel ou d'un risque avéré résultant d'une infraction aux règles de sécurité.

Il en est de même de la possibilité pour l'inspecteur du travail d'imposer la création d'un CHSCT, dans les établissements de moins de cinquante salariés en raison de la nature des travaux ou de leur agencement.

Quant aux CHSCT de site, vous savez qu'il existe aujourd'hui des CHSCT élargis pour les entreprises à haut risque de type « Seveso ». Ce dispositif sera prochainement étendu aux installations nucléaires de base. Un projet de décret en ce sens est actuellement examiné par le Conseil d'État.

S'agissant de la transmission du document unique d'évaluation des risques professionnels, le code du travail prévoit d'ores et déjà qu'il est mis à la disposition des membres du CHSCT. Cette disposition nous semblant suffisante pour assurer les droits à l'information du CHSCT, il ne paraît pas nécessaire de prévoir une remise en main propre de ce document.

Quant à la proposition, qui est faite à l'article 19, de mettre en place dans chaque caisse primaire d'assurance maladie un service chargé de l'accueil et de l'accompagnement des victimes d'AT-MP, elle a déjà rencontré un écho favorable au sein de la branche. La convention d'objectifs et de gestion de la branche AT-MP prévoit en effet diverses expérimentations dans le but de « mettre en place une procédure d'accompagnement des victimes dans leurs démarches relatives à une maladie professionnelle ».

Il nous paraît donc préférable d'attendre les résultats de ces expérimentations, actuellement menées en Bretagne et en Normandie depuis le mois de septembre dernier, avant d'en prévoir la généralisation.

Sur d'autres sujets, les partenaires sociaux ont déjà négocié des accords qu'il n'est pas souhaitable de remettre en cause.

Tout d'abord, concernant la gouvernance de la branche AT-MP, vous proposez de remettre en cause sa gestion paritaire. Or, en mars 2006, les partenaires sociaux ont adopté un accord aux termes duquel ils ont précisément rappelé leur attachement au maintien d'un paritarisme strict au sein de la branche.

C'est également le principe de la réparation forfaitaire, qui, je le rappelle, est la contrepartie de la présomption d'imputabilité dont bénéficient tous les accidents du travail et maladies professionnelles.

Vous proposez le basculement en faveur d'un dispositif de réparation intégrale. Mais, en 2004, un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales, l'IGAS, a démontré que ce système ne serait pas systématiquement plus favorable que la réparation forfaitaire actuelle et qu'il y aurait même des perdants potentiels, parmi lesquels les victimes de maladies professionnelles avec faible taux d'incapacité et les victimes de maladies professionnelles retraitées.

Il n'en reste pas moins qu'il est possible, et même souhaitable, de faire évoluer les règles d'indemnisation en matière d'AT-MP.

C'est justement ce qu'ont voulu les partenaires sociaux en signant les accords d'avril 2007, dans lesquels ils proposent une indemnisation forfaitaire qui soit davantage personnalisée pour mieux tenir compte, par exemple, du préjudice professionnel.

Dans ce cadre, la semaine dernière, Xavier Bertrand et moi-même avons missionné la direction de la sécurité sociale pour qu'elle étudie, avec les partenaires sociaux et les associations de victimes, les possibilités de transposer ces dispositions, parmi lesquelles celles qui visent à une réparation « personnalisée et améliorée ».

Dans un autre domaine, il est proposé à l'article 5 de subordonner la décision d'octroi de ristourne sur les cotisations à l'avis du CHSCT.

Madame Demessine, je vous rappelle qu'aujourd'hui les ristournes sont accordées sur décision de la CRAM après avis du CHSCT, ou bien, à défaut, des délégués du personnel, et sur avis favorable des comités techniques où siègent les partenaires sociaux. L'implication de ces derniers nous paraît donc suffisante dans ce dispositif.

Mais les partenaires sociaux se saisiront prochainement d'autres sujets, à la suite de la conférence sur les conditions de travail.

Vous proposez une série de réformes afin, d'une part, d'étendre les compétences des CHSCT, de modifier leurs possibilités d'intervention et, d'autre part, de revoir les dispositifs d'alerte.

Or c'est justement le thème des prochaines négociations sociales que Xavier Bertrand a demandé aux partenaires sociaux de mettre en place à la suite de la conférence sur les conditions de travail du 4 octobre dernier. Un document d'orientation en ce sens leur a été adressé le 22 novembre dernier et une réponse sur l'ouverture prochaine de ces négociations est attendue, de leur part, à court terme.

Enfin, la proposition de loi aborde des sujets pour lesquels une procédure de réforme est actuellement en cours. Je pense à la médecine du travail et au FCAATA.

Madame Demessine, vous proposez une réforme d'envergure des services de santé au travail et du régime de l'aptitude. Or vous n'ignorez pas qu'une réforme de la médecine du travail a été engagée en 2002, qui a donné naissance aux services de santé au travail et a permis de moderniser les missions et les modes d'intervention des médecins du travail en les orientant davantage vers une culture de promotion de la santé en milieu de travail.

Tous les acteurs se sont mobilisés pour faire vivre cette réforme et je tiens à leur rendre un hommage particulier.

Les services de santé se sont ainsi engagés dans la voie de la pluridisciplinarité en s'élargissant aux intervenants en prévention des risques professionnels, les IPRP. D'ores et déjà, plus de 1 750 spécialistes ont été habilités, qu'ils soient ergonomes, ingénieurs sécurité, psychiatres, psychologues, toxicologues ou épidémiologistes.

Jusqu'à cette réforme, pour nombre d'entreprises, surtout les plus petites, la médecine du travail était assimilée à la seule visite médicale et aux cotisations annuelles. Avec la réforme, le médecin du travail peut aujourd'hui apporter aux entreprises et à leurs salariés une aide à l'évaluation des risques professionnels, à la formation et à l'information en matière de prévention.

Dans un contexte où la démographie médicale est particulièrement défavorable, il était donc important d'effectuer rapidement une première évaluation du dispositif issu de la réforme. Cette mission a été confiée à un groupe pluraliste composé de représentants de l'IGAS, de l'IGAENR, c'est-à-dire l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche, et de deux professeurs de médecine du travail, les professeurs Conso et Frimat.

Le 5 novembre dernier, Xavier Bertrand et moi-même avons rendu public leur rapport.

Par ailleurs, d'autres réflexions ont été engagées : l'une sur l'aptitude, avec le rapport Gosselin, remis en janvier 2007, et l'autre sur la pluridisciplinarité, au sujet de laquelle un rapport d'audit a été transmis aux partenaires sociaux la semaine dernière.

Un grand nombre de propositions ont été formulées dans ces rapports. Le cabinet de Xavier Bertrand conduit actuellement une série de consultations avec les acteurs de la médecine du travail et les partenaires sociaux afin de faire des propositions d'orientation pour la poursuite de la réforme des services de santé d'ici à la fin du présent trimestre.

Xavier Bertrand s'est engagé à ce que ces propositions fassent l'objet d'une vaste concertation à l'occasion d'une seconde conférence sur les conditions de travail, au printemps prochain.

C'est dire si le problème de l'avenir de la médecine du travail, le rôle qu'on souhaite lui faire jouer au service de la prévention et de la protection des salariés, est étudié avec sérieux et avec le souci d'écouter chacun des acteurs.

Mais il ne faut pas préempter ces discussions en cours. De surcroît, madame Demessine, vous proposez une piste radicale consistant à étatiser la médecine du travail en créant une agence nationale de santé au travail. Or il n'est pas certain que la transformation des médecins du travail en agents publics leur permettrait d'agir avec plus d'efficacité dans les entreprises ; ce statut risquerait même de rompre le lien de confiance indispensable que le médecin doit établir à équidistance entre les salariés et l'employeur. (Mme Michelle Demessine s'exclame.)

Par ailleurs, la création d'une agence ne saurait répondre, à elle seule, aux enjeux de la modernisation des services de santé au travail et de la définition de leurs missions et des moyens qui leur sont consacrés.

S'agissant du FCAATA, le Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, Xavier Bertrand a installé hier matin un groupe de travail présidé par Jean Le Garrec et composé de quatre parlementaires - dont MM. Dériot et Vanlerenberghe pour le Sénat - et de représentants des employeurs, des syndicats, des associations de victimes, de la CNAMTS et de l'État.

Grâce, notamment, aux excellents rapports d'information de Gérard Dériot et de Jean-Pierre Godefroy, pour le Sénat, et de Jean Le Garrec et de Jean Lemière, pour l'Assemblée nationale, vous connaissez tous les dysfonctionnements du dispositif existant et les difficultés auxquelles se heurte son application.

Xavier Bertrand a donc demandé à ce groupe de travail d'élaborer des propositions de réforme du FCAATA, notamment dans le but de recentrer ce fonds sur les personnes ayant été réellement exposées à l'amiante.

La réforme proposée devra respecter trois principes : l'équité, la faisabilité - en particulier concernant les modes de preuve de l'exposition à l'amiante - et la soutenabilité financière de l'ensemble.

Par ailleurs, plusieurs de vos propositions, madame Demessine, méritent d'être davantage examinées. Je prendrai deux exemples.

Ainsi, vous proposez, à l'article 1er de votre proposition de loi, un changement du mode de financement du fonds de prévention des AT-MP. Une telle modification nécessiterait une consultation préalable des partenaires sociaux, puisqu'en triplant le budget de ce fonds vous modifieriez sensiblement la marge de manoeuvre de la branche AT-MP sur d'autres dépenses.

Mme Michelle Demessine. C'est cela, la prévention, madame la secrétaire d'État !

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État. Il n'est pas dans mes intentions de rejeter d'emblée vos propositions, madame Demessine. Cependant, je considère qu'elles méritent d'être précisées et retravaillées.

Second exemple, à l'article 6, vous proposez de revoir la clé actuelle de répartition du coût des AT-MP entre les entreprises de travail temporaire et les entreprises qui recourent à leurs services, à savoir deux tiers pour les premières et un tiers pour les secondes, pour rendre égales les contributions des unes et des autres.

Là encore, une consultation des partenaires sociaux paraît souhaitable. Il n'est pas certain que la révision de cette clé de répartition soit la meilleure solution ; nous croyons davantage à des actions de coopération entre l'entreprise utilisatrice et l'entreprise de travail temporaire, à la formation et au suivi médical adapté des salariés en intérim.

C'est ce à quoi vise la charte de bonnes pratiques pour la prévention des risques professionnels, qui a été adoptée par l'ensemble des professionnels de l'intérim, des services et des métiers de l'emploi, le PRISME, en présence de Xavier Bertrand, le 28 novembre dernier.

Cette charte prévoit notamment une analyse approfondie des postes de travail avec les entreprises utilisatrices, la remise d'un livret d'accueil sécurité, mais aussi la formation et la sensibilisation des intérimaires, en mettant l'accent sur le rappel de certains de leurs droits essentiels, tels que le droit de retrait, lorsqu'ils font face à un danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a lancé plusieurs chantiers qui, tous, visent à l'amélioration de la santé et de la sécurité des salariés. Cela passe par des réformes en profondeur, qui doivent prendre le temps du dialogue et de la concertation.

Il ne nous paraît donc pas opportun que l'État vienne perturber les évolutions en cours par des initiatives unilatérales et non concertées. C'est pourquoi nous préférons ne pas retenir cette proposition de loi, tout en nourrissant notre réflexion de certains éléments qui la sous-tendent en vue des prochaines étapes de réforme dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail.

Enfin, madame Demessine, je tiens encore une fois à saluer le travail important que vous-même et votre groupe avez accompli. Il nous a permis d'appréhender de manière très complète les différents aspects de ce vaste chantier qui nous attend dans les semaines et les mois qui viennent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, madame le rapporteur, mes chers collègues, nous comprenons fort bien l'émotion et les motivations qui ont conduit Mme Demessine et ses collègues à déposer cette proposition de loi. Mais les raisons du rejet décidé par la commission des affaires sociales nous apparaissent tout aussi clairement.

Comme l'a très bien fait remarquer Mme le rapporteur, notre excellente collègue Sylvie Desmarescaux, certaines des mesures portées par ce texte sont satisfaites. Tel est le cas, par exemple, de la suppression ou du conditionnement des exonérations de cotisations dans le champ de la branche AT-MP.

D'autres articles, tel celui qui tend à revenir sur le paritarisme de la branche AT-MP, semblent aller à l'encontre de ce qu'ont récemment décidé les partenaires sociaux dans leur accord du 28 février 2006 sur la gouvernance de cette branche.

Mais, surtout, la plupart des thèmes abordés au fil des articles de ce long texte font actuellement l'objet d'une concertation entre les partenaires sociaux. Et, en matière de santé au travail, il est bien évident que la priorité doit, autant que faire se peut, être donnée au dialogue social !

Il semble effectivement préférable de ne pas trancher dans la précipitation des questions aussi importantes que la traçabilité des maladies professionnelles, le droit de l'inaptitude, la question de la réparation intégrale ou forfaitaire des AT-MP ou encore la prévention des risques, dans laquelle prend place la réforme du droit des CHSCT.

Pour autant, le texte dont nous sommes aujourd'hui saisis a un immense mérite : il soulève une question fondamentale, celle de l'avenir du système AT-MP et, plus généralement, du droit de la santé au travail après le drame de l'amiante.

Votre proposition de loi, madame Demessine, s'appuie sur un exposé des motifs auquel je ne peux qu'adhérer. Même si, nous l'avons compris, l'objet du présent texte dépasse largement la seule question de l'amiante, son exposé des motifs, lui, reprend pour une large part les observations faites par la mission « amiante » de notre assemblée.

C'est pourquoi, dans la suite de mes développements, je me concentrerai surtout sur la question de l'amiante. C'est un sujet autour duquel se cristallise aujourd'hui tout le débat des réformes du droit de la santé au travail. D'ailleurs, nombre d'articles de votre proposition de loi, madame Demessine, lui sont spécifiquement consacrés.

Tout le monde le sait aujourd'hui, le drame de l'amiante aurait pu être évité. La dangerosité de l'amiante a été mise en évidence en 1906. Dans ces conditions, comme le faisaient remarquer nos corapporteurs de la mission « amiante », Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy, il était impossible de se retrancher derrière les incertitudes des effets de l'amiante sur la santé : tout était connu. Néanmoins, le lobby de l'amiante a fait son oeuvre en parvenant à maintenir l'utilisation dans notre pays de ce matériau jusqu'en 1997, alors que la Grande-Bretagne avait adopté des mesures dès 1931 et les États-Unis dès 1946 !

Résultat ? À ce jour, en France, 35°000 personnes sont mortes d'une maladie de l'amiante entre 1965 et 1995. Et le pire est encore à venir : entre 50°000 et 100°000 décès sont encore attendus d'ici à 2025.

Mais il y a encore plus grave : comme l'a fait Mme Demessine dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi, la mission « amiante » a, dans ses conclusions, souligné que, en dépit de l'interdiction de l'amiante en 1997, la question de l'amiante « résiduel », omniprésent dans les bâtiments construits dans les années soixante-dix et quatre-vingt, en particulier dans les établissements hospitaliers et les bâtiments scolaires et universitaires, n'était pas résolue.

D'importantes populations sont encore exposées à l'amiante. Il s'agit des professions de « second oeuvre » dans le bâtiment, des personnels de maintenance et d'entretien et, bien entendu, des ouvriers des chantiers de désamiantage.

Par ailleurs, la mission « amiante » avait, elle aussi, relevé que les mesures prises à partir de 1998, avec la création de la « préretraite amiante », financée par le Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, le FCAATA, puis avec l'institution du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, le FIVA, n'avaient pas donné entièrement satisfaction.

Ce constat, nous le partageons pleinement. Nous espérons qu'il y aura un avant et un après amiante. Nous devons tirer toutes les leçons de cette catastrophe sans précédent.

C'est à ce stade que ma position diverge de celle des auteurs de la proposition de loi, ce qui n'a rien d'étonnant puisque, au sein de la mission « amiante », nos collègues du groupe CRC, aujourd'hui cosignataires du texte dont nous débattons, étaient les seuls à s'être abstenus, après avoir participé activement et intelligemment, je le souligne, à un travail collectif qui était consensuel.