Mme Michelle Demessine. C'était une abstention motivée !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Ces observations, qui figurent dans les annexes du rapport, constituent aujourd'hui le substrat de la présente proposition de loi.

La mission « amiante » avait identifié plusieurs axes prioritaires de réforme des dispositifs existants.

Ainsi, plutôt que d'ouvrir le bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, l'ACAATA, à des catégories déterminées de salariés, comme le prévoit l'article 47 de la proposition de loi, la mission a préconisé de compléter le système actuel d'accès à l'ACAATA par une voie d'accès individuelle qui permettrait aux salariés exposés à l'amiante, mais dont l'entreprise ne figure pas sur les listes du FCAATA, de bénéficier néanmoins de la préretraite.

Dans cette optique, afin d'identifier plus facilement les droits de chacun, des comités de site rassemblant l'ensemble des parties concernées pourraient mettre en commun les informations et témoignages dont ils disposent.

La mission propose également une revalorisation progressive de l'ACAATA.

Autre priorité identifiée par la mission amiante, la majoration de l'indemnisation versée par le FIVA, en accordant aux victimes le bénéfice attaché à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur. Il s'agirait de désengorger les tribunaux et de permettre au FIVA de consacrer ses moyens aux seuls recours subrogatoires. Mais qu'en est-il de ces recours, madame la secrétaire d'État ? Les fonds peuvent-ils les exercer et la jurisprudence le leur permet-elle ?

Un point, qui nous semblait aussi capital, est abordé par la proposition de loi, mais pas de manière frontale : il s'agit de la trop forte mutualisation des dépenses d'indemnisation.

La mission a proposé de mettre de l'ordre dans la mutualisation en définissant une clé de répartition des charges entre l'État et la sécurité sociale.

Nous proposions que 30 % des dépenses du FCAATA et du FIVA incombent à l'État, ce chiffre permettant de tenir compte de sa responsabilité en tant qu'employeur, mais aussi en tant que puissance publique, puisqu'il n'a pas su prendre en temps utile les mesures de prévention nécessaires.

Par ailleurs, nous pensons qu'il faut restreindre la mutualisation des dépenses d'indemnisation. La création, par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005, d'une contribution à la charge des employeurs dont les salariés perçoivent l'ACAATA a déjà atténué cette mutualisation.

Mais nous estimons qu'il faut aller plus loin en individualisant davantage la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles.

La proposition de loi va dans ce sens lorsque son article 52 prévoit de déplafonner la contribution due par les entreprises ayant exposé leurs salariés à l'amiante.

Bien entendu, comme les auteurs de ce texte, la mission a aussi formulé une série de propositions visant à protéger les salariés ayant été exposés à l'amiante sans être malades ainsi que ceux qui sont encore exposés à ces produits.

La proposition de loi prévoit la périodicité annuelle de la visite médicale obligatoire pour tous. Nous n'y sommes pas défavorables, mais nous préconisions plus spécifiquement de renforcer le suivi médical postprofessionnel des anciens salariés de l'amiante afin de détecter plus précocement d'éventuelles pathologies qui lui seraient liées. Nous devons réaliser un important effort d'information en direction des salariés potentiellement concernés.

La mission allait beaucoup plus loin que la proposition de loi en direction des publics encore exposés. Elle proposait de procéder au recensement national des salariés des entreprises de désamiantage et des bâtiments amiantés, d'établir une liste nationale de tous les chantiers de désamiantage, de réduire les plages horaires journalières d'exposition des salariés concernés, de renforcer la qualification des agents chargés du diagnostic amiante, de renforcer les garanties pour les salariés du BTP travaillant sur les chantiers amiantifères ou encore d'interdire les fibres céramiques réfractaires. Certaines de ces propositions ont été prises en compte, mais il faut poursuivre l'effort.

Je le disais, l'amiante doit nous servir de leçon. Comme cela est précisé dans l'exposé des motifs de la proposition de loi de Mme Demessine, jamais un tel drame ne doit pouvoir se reproduire.

C'est pourquoi l'utilisation massive dans l'industrie des produits chimiques dits cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques est des plus préoccupantes.

Une fois encore, la mission « amiante » avait envisagé la question en proposant l'institution d'une autorisation de mise sur le marché des produits chimiques, mais aussi des produits minéraux, organiques et biologiques, inspirée de la procédure en vigueur pour les médicaments et s'inscrivant dans le cadre du règlement européen REACH, qui vient d'être adopté.

Ainsi, nous souhaitons que les propositions de la mission « amiante » du Sénat soient prises en compte au plus vite. Elles seront susceptibles de s'insérer dans le cadre d'un droit de la santé au travail rénové en profondeur, auquel votre proposition de loi apporte une contribution intéressante, ma chère collègue.

Aussi, pour voir se dessiner les contours de cette rénovation structurelle, nous attendons avec impatience, madame la secrétaire d'État, l'avis du Conseil économique et social sur la médecine du travail et l'aboutissement, à l'issue du premier semestre de 2008, des négociations engagées entre partenaires sociaux, ainsi que les conclusions du groupe de travail sur l'ACAATA qui a été mis en place hier. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, madame le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord remercier les membres du groupe CRC d'avoir produit cette proposition de loi très importante et de l'avoir fait inscrire à l'ordre du jour du Sénat. Mes félicitations iront également à notre rapporteur, ...

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Je vous remercie, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Godefroy. ...même si nous sommes en désaccord en partie sur le fond, notamment sur certaines des réponses apportées.

Les questions de la santé au travail et de la prévention des risques professionnels sont trop peu abordées par nos assemblées, en dehors du traditionnel examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Et, même dans le PLFSS, les dispositions ad hoc sont de plus en plus minimales, le plus souvent réduites ces dernières années à des mesures strictement financières ; cette année, l'application stricte de l'article 40 de la Constitution a même empêché le débat sur les amendements que nous avions déposés, ce qui est tout à fait dommageable.

Ce texte est donc le bienvenu, et je suis heureux qu'il nous permette d'aborder des sujets aussi importants que la prévention des risques, la médecine du travail, le régime des AT-MP et l'amiante. Sans entrer dans le détail des cinquante-trois articles, je dirai que nombre d'entre eux me paraissent très pertinents.

D'abord, en ce qui concerne la prévention des risques, les défis sont importants.

Aujourd'hui, on peut légitimement se demander si le travail, synonyme officiellement d'accomplissement de soi et d'intégration sociale, n'est pas en train de devenir synonyme de souffrance physique et psychique pour un nombre croissant de salariés.

Un sondage récent a montré qu'un peu plus de 25 % des travailleurs de l'Union européenne s'estiment exposés à des risques pour leur santé et leur sécurité. En France, en 2005, les inspecteurs du travail ont relevé près de 760 000 infractions, dont la majorité concernait la santé et la sécurité au travail. Environ 10 000 procès-verbaux ont été transmis au parquet, plus de 7 000 mises en demeure ont été signifiées, dont 96 % relatives à la santé et à la sécurité, et un peu plus de 4 000 arrêts de travaux ont été ordonnés.

Les chiffres des accidents du travail et des maladies professionnelles sont tout aussi révélateurs du défi auxquels nous devons faire face. Leur coût ne cesse de s'accroître, alors même que l'on sait que les AT-MP sont largement sous-déclarés, comme l'atteste d'ailleurs le reversement annuel de la branche AT-MP à la branche assurance maladie. La sous-déclaration atteint d'ailleurs des formes de sophistication très élaborées dans certaines entreprises, et même parfois recommandées, comme cela a pu être révélé par la presse. Nous avons eu l'occasion d'en débattre au moment de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 ; je n'y reviendrai donc pas.

Un drame tel que celui de l'amiante ne doit plus se reproduire. Le rapport produit en 2005 au nom de la mission commune d'information du Sénat sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante a permis, comme l'a rappelé son président, notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe, d'identifier les responsabilités et les lacunes de notre système de santé au travail.

Aujourd'hui, ce sont quantité d'autres produits qui doivent retenir notre attention. Les dangers sont connus, qu'il s'agisse de l'amiante résiduel, des produits de substitution tels que les fibres céramiques réfractaires, mais aussi des CMR, les cancérogènes, mutagènes reprotoxiques comme les éthers de glycols, des dioxines, des produits phytosanitaires, pour n'en citer que quelques-uns. Si l'on veut éviter de nouvelles catastrophes du type de l'amiante, il faut aller plus vite et ne pas laisser passer à nouveau quinze ans entre l'identification des risques et l'interdiction des produits dangereux.

À cet égard, le dispositif français d'expertise souffre incontestablement d'un manque de moyens, qu'il s'agisse de l'Agence française de sécurité sanitaire et du travail, l'AFSSET, de l'Institut national de veille sanitaire, l'INVS, du plan Santé au travail ou du plan national Santé-Environnement. C'est un sujet que j'ai d'ailleurs déjà abordé lors de l'examen des crédits de la mission « Travail et emploi » du projet de loi de finances pour 2008. Je n'y reviendrai donc pas non plus.

En ce qui concerne les dispositifs de prévention en vigueur dans les entreprises, je considère, comme nos collègues du groupe CRC, qu'il est particulièrement nécessaire de renforcer les moyens et les missions des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT.

À ce propos, je m'arrêterai un instant sur l'article 14 de la proposition de loi, qui comprend des dispositions relatives au regroupement des entreprises de moins de cinquante salariés pour créer un CHSCT. En effet, on sait aujourd'hui que c'est dans les petites et moyennes entreprises que l'effort doit être amplifié.

Je considère moi aussi qu'il est nécessaire de prévoir la constitution de CHSCT interentreprises, regroupant des entreprises soit situées sur un même bassin d'emploi ou une même zone d'activités, soit, et c'est encore mieux, relevant d'une même branche professionnelle, soit présentant des problématiques de sécurité identiques.

J'en viens à la médecine du travail, qui revêt aujourd'hui une importance primordiale : elle est l'institution clé pour la prévention des risques professionnels.

Or force est de constater qu'elle est bien mal en point aujourd'hui. Elle a notamment été la grande absente de la conférence nationale sur les conditions de travail organisée au mois d'octobre 2007. Pourtant, elle devrait être au coeur du dispositif.

Dans son dernier rapport, l'IGAS, dresse un bilan sévère de la réforme de 2004. On peut y lire que « le dispositif de santé au travail n'est pas en mesure de relever les défis à venir » qu'il s'agisse du suivi médical des travailleurs précaires, des risques à effet différés ou de l'intensification du travail.

Madame la secrétaire d'État, ce rapport, qui vous a été remis en octobre dernier par les professeurs Conso et Frimat, dresse un constat sévère des dysfonctionnements et des défaillances de la médecine du travail. La réforme de 2004 qui visait à renouer avec la prévention, n'a pas atteint son but du fait, entre autres, d'« une offre déconnectée des besoins, une procédure d'habilitation qui tourne à vide, un contrôle de l'État sans véritable point d'ancrage, un temps médical insuffisant pour faire face aux missions qui incombent aux services de santé au travail - les SST -, des praticiens mal formés... ».

Comme le précise ce rapport - et comme l'indiquait, en 2004, celui de M. Gosselin - les médecins du travail sont trop isolés et enfermés dans une logique d'aptitude à l'emploi, qui diffère d'une vraie logique de santé. La médecine du travail reste trop repliée sur une approche formelle axée sur les moyens plutôt que sur les résultats. Le maintien du régime d'aptitude limite les capacités d'évolution du dispositif de santé au travail vers une logique de prévention collective. De ce point de vue, les propositions de nos collègues me semblent réellement pertinentes.

Une réforme à la hauteur des enjeux actuels ne peut se concevoir sans la création d'un grand service public de la santé au travail. Il reste à déterminer sous quelle forme.

À ce titre, j'adhère aux propositions qui sont présentées dans le présent texte. Je regrette que Mme le rapporteur ne partage pas mon appréciation. Cela fait partie de nos points de désaccord.

Un service public permettrait de définir une politique globale de la santé au travail. Une agence nationale, créée sous la forme proposée par nos collègues, constituerait un outil pour en améliorer le pilotage, en confiant à un opérateur unique des missions et des moyens aujourd'hui éparpillés entre l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, l'AFSSET, l'Institut national de veille sanitaire, l'INVS, le plan Santé au travail, le PST, et le plan national Santé-Environnement, le PNSE.

Je crois sincèrement que, au moins dans sa forme actuelle, la gestion patronale des services de santé au travail a vécu et il me paraît nécessaire que les pouvoirs publics exercent un contrôle plus efficace.

La médecine du travail doit revoir son fonctionnement et, surtout, son mode de gouvernance, dans lequel les employeurs ont actuellement un pouvoir disproportionné.

Il ne s'agit pas de rompre complètement, loin s'en faut, le lien entre les services de santé au travail et les entreprises. Je considère toutefois que la gestion des services de santé au travail devrait être paritaire, car les représentants des salariés y ont selon moi toute leur place. À tout le moins, il me semble urgent d'assurer l'indépendance des médecins du travail et de clarifier leurs responsabilités par rapport à celles de l'employeur.

Puisque cette proposition de loi ne semble pas devoir aller plus loin que le débat d'aujourd'hui, nous attendrons avec impatience les propositions que feront les partenaires sociaux dans ce domaine et les conséquences qu'en tirera le Gouvernement.

Je dois avouer que je nourris quelques inquiétudes à ce sujet. C'est en effet ce gouvernement qui, dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale, a fait voter la disposition contestable qui confie aux employeurs le contrôle médical des arrêts de travail normalement assuré par la sécurité sociale.

J'ai tenté de convaincre le Sénat de la dangerosité d'une telle mesure, en particulier lorsqu'elle s'applique aux accidentés du travail et victimes de maladies professionnelles. Il existe en effet un conflit d'intérêt pour l'employeur qui fait contrôler par un médecin qu'il rémunère la validité de l'arrêt de travail causé par un accident du travail ou une maladie professionnelle dont il est responsable !

Parmi les mesures proposées par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, je souscris à la création, au sein du dossier médical personnel, le DMP, d'un volet spécifique dédié à la santé au travail. Le groupe socialiste avait soutenu cette disposition lors de l'examen de la réforme de 2004. Ce sujet devrait être intégré dans les travaux en cours de préfiguration du DMP.

Selon Mme le rapporteur, ce projet pose un problème de faisabilité. En fait, je crois bien que c'est l'ensemble du DMP qui pose un problème de faisabilité ! (M. le président de la commission des affaires sociales sourit.) En témoignent les retards accumulés depuis près de quatre ans !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous êtes perspicace !

M. Jean-Pierre Godefroy. Dans ces conditions, intégrer cette proposition ne ferait pas perdre beaucoup plus de temps. La création de ce volet constituerait en outre une réelle garantie pour l'avenir des salariés et une information précieuse pour le médecin traitant.

M. Guy Fischer. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Godefroy. En ce qui concerne le régime des AT-MP, tout le monde s'accorde, depuis plusieurs années, à reconnaître la nécessité d'une réforme de cette branche, du point de vue tant de sa gouvernance que de son financement. (M. le président de la commission des affaires sociales s'exclame.)

Comme le démontrait parfaitement Pierre-Louis Bras dans le rapport de l'IGAS rendu en 2004, le système de mutualisation sur lequel repose le financement de la banche AT-MP a vécu. La tarification actuelle est peu lisible, peu individualisée et peu réactive. Elle n'est pas incitative et n'encourage pas les efforts de prévention.

Aujourd'hui, si les modalités font encore débat, l'individualisation de la tarification est semble-t-il devenue consensuelle. Il est urgent de s'engager concrètement dans cette voie. Je suis quelque peu réservé sur certaines des propositions de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, mais au moins elles existent et elles mériteraient d'être débattues. (Mme Michelle Demessine approuve.)

D'autres mesures proposées dans le présent texte ont retenu mon attention. Ainsi en est-il de la réparation intégrale des AT-MP.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Que ne l'avez-vous fait !

M. Jean-Pierre Godefroy. Sur ce sujet, je suis, si je puis dire, sur la même longueur d'onde que mes collègues du groupe CRC, même si j'ai bien conscience des contraintes financières qui s'imposent à nous dans ce domaine.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ah !

M. Alain Gournac. Ils deviennent raisonnables !

M. Jean-Pierre Godefroy. L'indemnisation forfaitaire personnalisée, qui a été évoquée et par Mme le rapporteur et par Mme la secrétaire d'État, mériterait une étude approfondie dont nous pourrions débattre.

Bien entendu, la réforme du régime des AT-MP ne pourra se faire sans les partenaires sociaux. Mais, comme j'ai déjà eu l'occasion de le rappeler, les deux accords conclus par ces mêmes partenaires sociaux en février 2006 et mars 2007 semblent loin de faire l'unanimité et comportent en fait bien peu d'avancées. Le Gouvernement a d'ailleurs renoncé à les transposer dans une loi, ce qui est compréhensible, en l'état. Donc, à un moment donné, le Gouvernement et le Parlement devront « prendre leurs responsabilités », pour employer une expression très à la mode.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. N'est-ce pas une menace pour les partenaires sociaux ?

M. Jean-Pierre Godefroy. Non, c'est en encouragement. En tout cas, si j'ai bien compris, ce n'était pas une menace dans la bouche du Gouvernement !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et pour vous ?

M. Jean-Pierre Godefroy. Pourquoi voudriez-vous que nous en fassions une menace ? Ce sont des encouragements auxquels vous ne pouvez, me semble-t-il, que souscrire ! (Sourires.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Pierre Godefroy. Nous sommes donc en parfait accord !

M. Alain Gournac. Mais oui !

M. Jean-Pierre Godefroy. Je suis également tout à fait favorable aux dispositions des articles 44 et 45 visant à exonérer les victimes d'AT-MP de l'application du forfait de un euro et des franchises médicales.

Madame la secrétaire d'État, mes collègues du groupe CRC comme moi-même et l'ensemble du groupe socialiste contestons vivement le choix de les assujettir à ces franchises. Ce faisant, et c'est un aspect fondamental, le Gouvernement nie leur statut de victimes !

Bien que Conseil constitutionnel n'ait pas fait droit à notre recours, nous continuons de penser que le traitement inégal des victimes est tout à fait anormal et qu'il mérite d'être reconsidéré. Je n'insisterai pas, mais, du fait des franchises, les victimes d'AT-MT ne pourront pas prétendre à la même indemnisation que les autres victimes : elles feront l'objet d'un traitement particulier, et défavorable.

Le dernier volet de mon intervention sera consacré à l'amiante.

C'est un sujet qui, vous le savez, me tient à coeur. Mme Demessine a évoqué la situation du nord de la France. Permettez-moi de penser à mes camarades des constructions navales et d'avoir une pensée particulière pour les habitants de Condé-sur-Noireau, village situé dans ce que l'on appelle désormais la « vallée de la mort » ! Imaginez la portée d'une telle appellation, tout cela à cause de l'amiante et de ses ravages, mais aussi à cause d'un manque de prévoyance. C'est un débat que nous avons déjà eu au sein de la mission commune d'information.

Au sujet de la cessation d'activité et de l'indemnisation des victimes de l'amiante, je rejoins la plupart des propositions formulées par nos collègues, propositions qui s'inscrivent d'ailleurs dans la droite ligne du rapport de la mission commune d'information ainsi que des amendements que mon groupe dépose à l'occasion de la discussion de tous les projets de loi de financement de la sécurité sociale, même si, cette année, pour les raisons que j'ai rappelées au début de mon propos, nous n'avons pas pu les étudier.

J'en viens au Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, le FCAATA. Tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il existe des dysfonctionnements dans le régime de la cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, notamment en ce qui concerne la procédure d'inscription des établissements sur les listes ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, l'ACAATA.

C'est pour cette raison que nous proposons de compléter le système actuel par une voie d'accès individuelle au FCAATA qui permettrait aux salariés exposés à l'amiante, mais dont l'entreprise ne figure pas sur les listes, de bénéficier néanmoins de la préretraite.

Nos collègues du groupe CRC proposent d'en confier la gestion aux caisses régionales d'assurance maladie, les CRAM. Pour ma part, je penche, comme M. Vanlerenberghe, pour la création de comités de sites afin d'identifier plus facilement les droits de chacun. Ces comités de site, qui rassembleraient l'ensemble des parties concernées - État, CRAM, employeurs, syndicats, médecins du travail - pourraient mettre en commun les informations et témoignages dont ils disposent.

C'est l'une des vingt-huit propositions de la mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante.

Cette idée, et je m'exprime sous le contrôle du président de la mission, a été émise lors de notre déplacement à Cherbourg. Il s'agissait de permettre la reconstitution de carrière des personnes ayant fait le ménage dans les ateliers contaminés par l'amiante. Aujourd'hui, nombre d'entre elles ne peuvent faire valoir leurs droits faute de pouvoir reconstituer leur parcours professionnel, certaines entreprises ayant disparu. Le recours individuel et la reconstitution de carrière me paraissent donc indispensables. Les premières personnes à avoir « désamianter » les ateliers, ce sont les employés qui étaient chargés du ménage, mes chers collègues !

En ce qui concerne le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, le FIVA, je soutiens la proposition de nos collègues relative à la prescription trentenaire.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, qui a créé le FIVA, n'avait pas prévu de prescription pour les dossiers des victimes de l'amiante. C'est le conseil d'administration du FIVA, dont la composition originelle a été modifiée en cours de route par le gouvernement précédent, qui, par une délibération du 28 mars 2003, a voté une durée de prescription de quatre ans, en s'appuyant sur la durée de prescription des créances publiques.

Certes, le FIVA est un établissement public, mais, dans la mesure où sa fonction est de se substituer aux juridictions civiles pour réparer les dommages des victimes de l'amiante, il me semble logique d'appliquer au régime de la prescription les dispositions de l'article 2262 du code civil, lequel prévoit une prescription trentenaire pour toutes les actions en indemnisation. (Mme Michelle Demessine approuve.)

L'adoption de cette durée de prescription aurait évité un encombrement accru du FIVA, fonds qui ne parvient déjà pas à respecter les délais de traitement des dossiers que lui imposent les textes.

Il en résulte une profonde injustice pour les victimes isolées qui n'ont pas encore engagé de démarches, mais aussi pour celles qui sont déjà indemnisées mais qui seraient fondées à demander un complément d'indemnisation. Plus de 4 000 dossiers sont recensés en France.

Je souhaite donc que le Gouvernement envisage sérieusement de faire évoluer le délai de prescription actuel. Aujourd'hui, il faut plus de quatre ans pour faire valoir ses droits, ne serait-ce que pour reconstituer sa carrière.

En ce qui concerne le financement des dépenses d'indemnisation, nos collègues n'ont pas repris la proposition de la mission commune d'information relative à la définition d'une clé de répartition des charges entre l'État et la sécurité sociale. Dans la mesure où je n'ai pas pu évoquer ce sujet lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale puisque l'on m'a opposé l'article 40, vous me permettrez de m'y attarder un instant. (Sourires.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Le débat est fait pour cela !

M. Jean-Pierre Godefroy. Nous considérons que 30 % des dépenses du FCAATA et du FIVA devraient incomber à l'État. Ce niveau permettrait de tenir compte de la responsabilité de l'État en tant qu'employeur, mais aussi en tant que puissance publique qui n'a pas su prendre, en temps utile, les mesures de prévention nécessaires. C'est l'une des recommandations de la mission commune d'information.

Je regrette que, depuis la parution des rapports du Sénat et de l'Assemblée nationale, le Gouvernement n'ait concrétisé quasiment aucune des propositions qui ont été faites par le Parlement.

Comme vous l'avez indiqué, madame le rapporteur, « le dossier amiante continue de poser de redoutables problèmes d'efficacité, d'équité et de financement auxquels il faut trouver des solutions ». Pourtant, vous rejetez vous aussi les propositions faites par nos collègues, alors même que vous les estimez intéressantes...

Madame la secrétaire d'État, j'espère que le débat qui s'est engagé aujourd'hui se poursuivra sous une autre forme et aboutira, à moyen terme, à une refonte globale de notre système de santé au travail. Je souhaite qu'un projet de loi aussi ample que le présent texte soit déposé rapidement, après consultation des partenaires sociaux. Il serait dommage que la proposition de loi qui nous est soumise ne trouve pas, dans quelque temps, une traduction gouvernementale aussi complète que possible.

Pour toutes ces raisons, madame le rapporteur, en dépit de la qualité de votre rapport, nous voterons bien évidemment contre vos conclusions négatives. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Debré.

Mme Isabelle Debré. Madame la présidente, madame le secrétaire d'État, madame le rapporteur, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer sincèrement l'ampleur du travail accompli par nos collègues du groupe CRC, travail qui dégage certaines pistes de réflexion intéressantes sur un sujet particulièrement important et complexe.

M. Guy Fischer. Eh bien...

Mme Isabelle Debré. Mes propos sont très sincères !

Je ne reviendrai pas sur l'ensemble du dispositif prévu dans la proposition de loi. Certaines suggestions me semblent intéressantes et pourraient permettre des avancées pour la protection de la santé des salariés. Toutefois, à l'image du rapporteur, notre excellente collègue Sylvie Desmarescaux, je soulignerai que le Gouvernement et les partenaires sociaux élaborent en ce moment même leurs propositions. Il est donc souhaitable d'attendre leurs conclusions.

L'exposé des motifs de la proposition de loi relève à diverses reprises l'inaction du Gouvernement ou l'absence de projet de ce dernier. Je m'attacherai à démontrer que ce constat est injustifié et que de nombreuses réformes sont en cours.

Premier point : la médecine du travail. Comme l'a indiqué Mme le rapporteur, le drame de l'amiante a mis sur la place publique les lacunes, pressenties depuis longtemps, du système de santé au travail. La médecine du travail est archaïque et doit donc être revue en profondeur.

Le récent rapport des professeurs Françoise Conso et Paul Frimat montre la forte implication de l'État et dresse un bilan des réformes intervenues dans la foulée de l'accord interprofessionnel de décembre 2000, de la loi de modernisation sociale de 2002 et de la loi relative à la politique de santé publique de 2004. Ainsi, nous sommes passés d'une logique de réparation à une logique de prévention.

Cependant, le rapport dresse un tableau assez noir de la médecine du travail. Le nombre de maladies professionnelles continue d'augmenter. L'image de la profession de médecin du travail est ternie et le nombre de postes diminue. La procédure d'aptitude voit son utilité préventive contestée en raison de son décalage lié aux transformations de notre système de travail. La réforme de l'inaptitude est également nécessaire.

Le gouvernement actuel souhaite donner une impulsion nouvelle. Le rapport, ainsi que celui dont a été chargé M. Hervé Gosselin sur les procédures de prévention des inaptitudes, ouvre de nombreuses pistes quant aux réformes à adopter.

Madame le secrétaire d'État, vous avez annoncé que la modernisation des services de santé au travail serait poursuivie sur la base de ces rapports d'évaluation. Le 4 octobre dernier, avec votre collègue Xavier Bertrand, vous avez présidé une conférence tripartite sur les conditions de travail animée par notre collègue Gérard Larcher. Différents points relatifs à la prévention ont ainsi été soumis à la négociation des partenaires sociaux. Un avis du Conseil économique et social est attendu d'ici à la fin février.

La proposition de loi comporte des dispositions intéressantes, concernant notamment la coordination des services de santé au travail ou la définition des missions de ces services. Néanmoins, dans le contexte que je viens de décrire, il ne me semble pas souhaitable d'anticiper les décisions qui seront prises.

Deuxième point : la prévention des risques. Le précédent gouvernement avait déjà affirmé sa volonté de faire de la lutte contre les risques professionnels une priorité. En février 2005, notre collègue Gérard Larcher, alors ministre délégué aux relations du travail, lançait le plan « Santé au travail », qui couvre la période 2005-2009 et comprend vingt-trois mesures s'articulant autour de quatre objectifs : développer les connaissances des dangers, des risques et des expositions en milieu professionnel ; renforcer l'effectivité du contrôle ; refonder les instances de concertation du pilotage de la santé au travail ; encourager les entreprises à être acteur de la santé au travail. C'est en effet sur le terrain, au quotidien et dans les entreprises, que les risques professionnels peuvent reculer.

La mise en oeuvre de ce travail ambitieux est poursuivie.

De plus, les partenaires sociaux sont saisis de ces questions, conformément aux objectifs fixés par la conférence tripartite sur les conditions de travail que je viens d'évoquer.

Il s'agit de promouvoir le rôle des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, dont il est nécessaire d'améliorer le fonctionnement et de moderniser les capacités d'expertise. En effet, le domaine de la santé et de la sécurité au travail se complexifie considérablement depuis quelques années en raison des évolutions liées à l'organisation du travail, aux changements technologiques, aux risques à effet différé, ou encore à l'identification de risques nouveaux tels les risques psychosociaux. Seront ainsi examinées les questions comme la durée du mandat des membres du comité, leur formation, la simplification de l'exercice de leurs missions.

Par ailleurs, les modalités d'alerte sur les conditions de travail seront redéfinies dans le cadre de la conférence tripartite, afin qu'un dispositif d'alerte soit accessible quelle que soit la taille de l'entreprise, notamment lorsque cette dernière n'a pas de représentation du personnel.

Enfin, les travaux du Grenelle de l'environnement devront également être pris en compte.

On le constate donc, les partenaires sociaux travaillent déjà sur les questions posées dans la proposition de loi. Aussi, je rejoins les conclusions du rapporteur, qui recommande de laisser ces négociations...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. ... suivre leur cours !

Mme Isabelle Debré. ... aboutir.

Troisième point : le régime des accidents du travail et des maladies professionnelles. Le rapport de la commission indique qu'en 2006 le nombre des accidents du travail avec arrêt - plus de 700 000 - a augmenté de 0,2 % par rapport à 2005. Il se stabilise, après avoir été divisé par deux en vingt ans. Il est néanmoins nécessaire d'améliorer une situation qui reste inacceptable.

Pour faire respecter la réglementation, un renforcement des moyens de l'inspection du travail est indispensable. Pour ce faire, le Gouvernement a lancé un plan de développement et de modernisation de l'inspection du travail qui s'est traduit par 180 recrutements en 2007 ; 170 autres sont programmés en 2008. Dans le cadre de ce plan sont prévues des actions de sensibilisation, puis des campagnes de contrôle.

Les travaux de la conférence tripartite visent également à sensibiliser les entreprises à une évaluation a priori des risques et à améliorer la formation des représentants des salariés ainsi que le travail en réseau des différents acteurs de la prévention.

La proposition de loi traite de la gouvernance et des ressources de la branche accidents du travail, et modifie les modalités de la réparation, posant notamment le principe d'une réparation intégrale des accidents du travail et des maladies professionnelles. Sur ces sujets complexes, on doit à mon avis laisser le processus de négociation se poursuivre également.

Dernier point, et non le moindre : le dossier de l'amiante.

Il existe une réglementation détaillée visant à assurer la protection des travailleurs susceptibles d'être exposés à l'amiante. Dans le cadre du plan « Santé au travail », des campagnes de contrôle ciblées ont été réalisées sur les chantiers de désamiantage. En 2006, ces contrôles ont révélé des anomalies sur 76 % des chantiers. Les campagnes successives ont permis de mesurer les progrès de l'application de la réglementation. Les agents de contrôle ont appliqué les instructions du ministre : ils ont systématisé les sanctions en cas d'entorse à la réglementation et ont renforcé leur niveau d'exigence. La situation s'est améliorée. Par exemple, des progrès ont été constatés en matière de protection respiratoire : le choix des équipements est désormais adapté au risque dans 93 % des cas pour les chantiers de retrait de canalisation.

Ces résultats encourageants montrent que les vigoureuses campagnes de contrôles organisées depuis 2004 ont permis une réelle prise de conscience.

Il faut bien évidemment poursuivre ces actions, et les mesures de prévention envisagées dans la proposition de loi pourraient utilement compléter le dispositif existant. Je pense notamment à la possibilité qui serait donnée à l'inspecteur du travail d'interrompre un chantier en cas d'absence de communication des dossiers techniques, ou à la limitation du rythme des interventions sur les sites de désamiantage.