Sommaire

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

1. Procès-verbal

2. Décision du Conseil Constitutionnel

3. Dépôt d'un rapport en application d'une loi

4. Retrait de l'ordre du jour d'une question orale

5. Candidature à la délégation du Sénat pour l'Union européenne

6. Avenir de la formation professionnelle en France. - Discussion d'une question orale avec débat (Ordre du jour réservé.)

M. Jean-Claude Carle, auteur de la question ; Mme Annie David, M. Aymeri de Montesquiou, Mmes Muguette Dini, Christiane Demontès, MM. Georges Mouly, Jean Boyer.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur.

Clôture du débat.

7. Nomination d'un membre de la délégation du Sénat pour l'Union européenne

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

8. Santé au travail des salariés et risques professionnels. - Adoption des conclusions négatives du rapport d'une commission (Ordre du jour réservé.)

Discussion générale : Mmes Michelle Demessine, auteur de la proposition de loi ; Sylvie Desmarescaux, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité ; MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Jean-Pierre Godefroy, Mme Isabelle Debré.

Mme la présidente.

PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

Mme Marie-Christine Blandin.

Mme la secrétaire d'État.

Clôture de la discussion générale.

Vote sur l'ensemble

Mmes Anne-Marie Payet, Michelle Demessine, le rapporteur.

Adoption des conclusions négatives du rapport de la commission.

9. Statut de l'élu local. - Discussion d'une question orale avec débat (Ordre du jour réservé.)

MM. Jean Puech, auteur de la question ; Patrice Gélard, au nom de la commission des lois ; Mme Nathalie Goulet, MM. Jean Boyer, Pierre-Yves Collombat, Raymond Couderc, Mme Josiane Mathon-Poinat.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

MM. Jean-Léonce Dupont, Éric Doligé, Robert del Picchia.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.

Clôture du débat.

10. Réduction et exonération de cotisations et de contributions de sécurité sociale. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission (Ordre du jour réservé.)

Discussion générale : MM. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique ; Bernard Cazeau, Guy Fischer.

Clôture de la discussion générale.

Article unique

M. Charles Guené.

Adoption, par scrutin public, de l'article unique de la proposition de loi organique.

11. Transmission d'une proposition de loi

12. Dépôt d'un rapport

13. Dépôt d'un avis

14. Ordre du jour

compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

Décision du Conseil Constitutionnel

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel le texte d'une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi ratifiant l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative).

Acte est donné de cette communication.

Cette décision du Conseil constitutionnel a été publiée au Journal officiel, édition des lois et décrets.

3

Dépôt d'un rapport en application d'une loi

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le directeur général de l'Observatoire national de l'enfance en danger le rapport pour 2007 de cet organisme, établi en application de l'article L. 226-6 du code de l'action sociale et des familles.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des affaires sociales et sera disponible au bureau de la distribution.

4

Retrait de l'ordre du jour d'une question orale

M. le président. J'informe le Sénat que la question n° 127 de Mme Claire-Lise Campion est retirée de l'ordre du jour de la séance du mardi 29 janvier 2008 à la demande de son auteur.

5

Candidature à la délégation du sénat pour l'Union européenne

M. le président. L'ordre du jour appelle la désignation d'un membre de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.

Le groupe Union pour un mouvement populaire m'a fait connaître qu'il proposait la candidature du président Josselin de Rohan, en remplacement du très regretté président Serge Vinçon.

Cette candidature a été affichée. Elle sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure.

6

avenir de la formation professionnelle en France

Discussion d'une question orale avec débat

Ordre du jour réservé

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 10 de M. Jean-Claude Carle à M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité sur l'avenir de la formation professionnelle en France.

Cette question est ainsi libellée :

« M. Jean-Claude Carle interroge M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité sur l'avenir de la formation professionnelle française.

« La réforme de la formation professionnelle représente en effet l'un des grands chantiers du Président de la République et doit contribuer à résoudre la crise de l'emploi. Ce dernier a d'ailleurs rappelé à plusieurs occasions que notre système de formation professionnelle est à bout de souffle tant dans son organisation que dans son financement, soulignant aussi que la formation ne va pas vers ceux qui en ont le plus besoin.

« C'est le constat formulé, il y a quelques mois, par la mission sénatoriale dont le rapporteur a présenté un tableau relativement pessimiste d'un système marqué par la complexité, les cloisonnements et le corporatisme. De nombreuses propositions ont été formulées pour recentrer le dispositif sur la personne, les partenariats et la proximité.

« Il faut rendre la politique de la formation professionnelle plus réactive et plus efficace, car elle constitue l'investissement le plus important pour notre pays et nos concitoyens. »

La parole est à M. Jean-Claude Carle, auteur de la question.

M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Président de la République a annoncé que la réforme de la formation professionnelle serait l'un des grands chantiers de 2008.

Il a d'ailleurs expliqué à plusieurs reprises que notre système de formation professionnelle était « à bout de souffle tant dans son organisation que dans son financement », soulignant que, malheureusement, « la formation ne va pas à celles et ceux qui en ont le plus besoin ».

Monsieur le secrétaire d'État, c'est exactement le constat fait par la mission commune d'information du Sénat sur le fonctionnement des dispositifs de formation professionnelle, que j'ai eu l'honneur de présider et dont le rapporteur était notre collègue Bernard Seillier. Notre rapport a été publié en juillet dernier, au terme de six mois d'auditions et d'investigations.

À l'évidence, en matière de formation, les résultats ne sont pas à la hauteur des moyens engagés. C'est vrai aussi bien pour la formation initiale que pour la formation continue.

En ce qui concerne la formation initiale, le budget de l'éducation nationale, vous le savez mieux que quiconque, a doublé en quinze ans. Cette année, il atteindra 59 milliards d'euros pour l'enseignement scolaire, auxquels il convient d'ajouter 23 milliards d'euros en faveur de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Malgré l'effort important engagé depuis des décennies, 150 000 jeunes, soit près de 20 % d'une génération, sortent chaque année du système scolaire sans diplôme ou qualification, 9 % de la population est en situation d'illettrisme, 90 000 étudiants quittent l'université au cours de la première année d'études. Aujourd'hui, la première porte que pousse un jeune sur cinq est non pas celle d'une entreprise ou d'une administration, mais, malheureusement, celle de l'ANPE.

Le taux de chômage des jeunes demeure d'ailleurs un problème récurrent dans notre pays. Je l'ai dit, il représente 20 % d'une classe d'âge, contre « seulement » 7 % en Allemagne.

Une autre statistique m'interpelle plus encore : aujourd'hui, un fils d'ouvrier a dix-sept fois moins de chances de préparer une grande école qu'un fils d'enseignant ou de cadre supérieur ; il a quatre fois plus de risques d'échec scolaire.

M. le président. Absolument !

M. Jean-Claude Carle. Ce qui est vrai .pour la formation initiale l'est également pour la formation continue, dans laquelle près de 26 milliards d'euros sont engagés.

En effet, je le répète, la formation ne va pas vers celles et ceux qui en ont le plus besoin, qu'il s'agisse des personnes physiques ou des personnes morales.

Pour les personnes physiques, 44 % des titulaires d'un BTS ou d'un diplôme de l'enseignement supérieur suivent une formation au cours de leur parcours professionnel, contre seulement 23 % des titulaires d'un CAP ou d'un BEP et à peine 12 % des non-qualifiés ou des non-diplômés.

La formation professionnelle continue reproduit les inégalités de la formation initiale.

Selon une formule souvent entendue lors des auditions que nous avons menées, la formation va à la formation.

Ce qui est vrai pour les personnes physiques l'est également pour les personnes morales.

Les très petites entreprises et les PME consacrent dix fois moins à la formation professionnelle que les grandes entreprises. L'effort moyen de formation par salarié représente ainsi 791 euros dans les entreprises de dix salariés et plus, contre 74 euros dans les autres.

Ces chiffres confirment les propos du Président de la République : la formation ne va pas à celles et ceux qui en ont le plus besoin, c'est-à-dire les petites entreprises, celles qui aujourd'hui créent la richesse et l'emploi, mais dans lesquelles les salariés ont les parcours les moins sécurisés.

Ce constat étant fait, il importe de comprendre pourquoi nous en sommes arrivés à une telle situation. Selon moi, il y a trois raisons essentielles.

Premièrement, le système, depuis des décennies, repose sur une logique de dépenses. La seule réponse qui a été apportée, tant en formation initiale qu'en formation continue, a été une augmentation des crédits budgétaires.

Monsieur le secrétaire d'État, j'ai beaucoup de doutes, mais je n'ai qu'une certitude : la bonne réponse n'est plus la seule inflation budgétaire.

Deuxièmement, les objectifs assignés à la formation professionnelle ne sont pas eux-mêmes judicieux.

La formation professionnelle initiale est considérée comme une voie d'orientation par défaut, « récupérant » les jeunes en situation d'échec dans la voie générale. La formation professionnelle continue, quant à elle, est chargée essentiellement du traitement social du chômage.

Comment alors s'étonner qu'avec de tels objectifs on arrive aux résultats évoqués ?

Troisièmement, enfin, les conclusions de notre mission viennent rejoindre l'appréciation d'un grand nombre d'observateurs : le système de formation professionnelle français est opaque, éclaté et trop complexe pour assurer efficacement l'adaptation de la main-d'oeuvre et la promotion sociale.

Monsieur le secrétaire d'État, la formation professionnelle souffre ainsi de trois maux, les « trois C » pour reprendre le qualificatif employé dans notre rapport : complexité, cloisonnements, corporatismes.

Le premier C est donc la complexité, et ce dans tous les domaines.

Au niveau des organismes de formation, il existe en effet 45 000 organismes publics ou privés déclarés, dont seulement 5 000 sont réellement actifs, avec une majorité de petits prestataires, soumis au simple régime déclaratif.

Pour apporter des garanties aux « acheteurs de formations », qui ont bien du mal à se repérer au travers du foisonnement de l'offre, la mission commune d'information propose d'instituer des garanties de solidité financière des organismes, sous la forme d'un dépôt obligatoire lors de la déclaration. De plus, un agrément régional pourrait être délivré par le conseil économique et social régional.

La complexité apparaît également au niveau des diplômes et des certifications.

Plus de 1 200 diplômes ou titres professionnels sont délivrés par sept ministères certificateurs. On peut ainsi recenser 198 CAP, 35 BEP, 73 baccalauréats professionnels et 109 BTS. Près de 1 450 licences professionnelles ont été créées pour seulement 20 000 étudiants, soit une licence pour 14 étudiants. Pour l'anecdote, nous avons même relevé l'existence d'une licence professionnelle « Clown » à l'université de Lyon ! (Sourires.)

M. Aymeri de Montesquiou. Il y a beaucoup de postulants ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Claude Carle. L'offre de certification n'est donc pas en phase avec les besoins actuels : la spécialisation des diplômes s'accorde mal avec les exigences de polyvalence requises par le marché du travail.

La complexité atteint, en outre, les financeurs.

On décompte 98 organismes paritaires collecteurs agréés, ou OPCA, spécialisés, à des degrés divers, par branche ou par région, auxquels il convient d'ajouter les organismes collecteurs de la taxe d'apprentissage, ou OCTA.

La complexité touche, enfin, les pouvoirs publics et les administrations d'État ou territoriales. J'y reviendrai dans quelques instants.

J'en viens au deuxième C : les corporatismes.

La complexité fait le lit des corporatismes, voire de petites féodalités, dans lesquels chacun est soucieux de son pré carré et du bon fonctionnement de sa structure, oubliant parfois l'objectif qui consiste à répondre aux besoins des salariés et des entreprises.

Cela induit le troisième C : les cloisonnements. Chacun reste dans son domaine et ne sait pas ce que fait son voisin. C'est la politique de la patate chaude, selon laquelle chacun « se refile le bébé ».

Je me réjouis, par conséquent, de la fusion ANPE-UNEDIC, actuellement en débat au Parlement. Lors de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy s'était engagé à créer un service public de l'emploi universel pour mettre fin au parcours du combattant du demandeur d'emploi, en plaçant celui-ci au centre du système.

Comme l'a souligné le Président de la République, « le devoir d'un chômeur, c'est de rechercher un emploi, pas de supporter le fardeau de la complexité administrative, et le devoir de la collectivité nationale, c'est de mobiliser ses moyens au service du retour du chômeur à l'emploi ». Ainsi, il sera possible de trouver à un même endroit l'ensemble des services, qu'il s'agisse de l'accueil, de l'inscription comme demandeur d'emploi, de l'indemnisation, de la formation et de l'accompagnement dans la recherche d'un nouvel emploi.

Lors du débat devant notre assemblée, j'avais proposé un amendement visant à ce que les services d'orientation de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, soient intégrés à la nouvelle institution.

À l'heure actuelle, la fonction d'orientation professionnelle des personnes, que celles-ci disposent ou non d'un emploi, reste dévolue aux services d'orientation professionnelle de l'AFPA. Or cette situation est quelque peu contraire à l'objectif de simplification visé par la fusion. Cela revient à priver la nouvelle institution des moyens de mieux assurer sa mission d'orientation.

J'ai retiré cet amendement, dans l'attente du prochain texte de loi sur la formation. Notre commission a, pour sa part, demandé qu'un rapport soit présenté au Parlement, d'ici à douze mois, sur les modalités de cet éventuel transfert.

Le tableau étant dressé, comment s'en sortir ? La mission a fait une quarantaine de propositions. J'en citerai trois qui me paraissent très importantes.

Premièrement, il faut passer d'une logique de dépense à une logique d'investissement. Qui dit investissement dit résultats ; qui dit résultats dit évaluation.

Deuxièmement, il faut fixer d'autres objectifs à la formation professionnelle. Tout système de formation doit apporter une triple réponse simultanée, au projet de la personne, aux besoins de l'entreprise et à la diversité des territoires, en s'appuyant sur le triptyque indissociable « formation, employabilité, emploi ».

Troisièmement, et cela concerne la méthode, aux trois C, nous opposons les trois P et les deux E.

Les trois P sont, premièrement, la personne, physique ou morale, qu'il est impératif de remettre au centre du système, car elle en constitue la finalité, deuxièmement, le partenariat, autour de l'ensemble des acteurs de la communauté de formation, c'est-à-dire l'État, les partenaires socio-économiques, la région et les autres collectivités territoriales, et troisièmement, la proximité, d'abord pour répondre au mieux à la diversité des situations, ensuite pour une raison d'efficacité, chaque euro investi ayant un meilleur rendement lorsque la décision est plus proche de l'action. Le bon niveau nous paraît être le bassin de formation.

J'en viens aux deux E.

Il s'agit, tout d'abord, de l'expérimentation, qui est aujourd'hui inscrite dans la Constitution. Elle doit permettre de lever la crainte des effets pervers non maîtrisés lorsqu'on modifie un système aussi complexe.

Comme vous le savez, monsieur le secrétaire d'État, tout ministre qui prend ses fonctions est convaincu qu'il est urgent d'agir. Six mois plus tard, il est tout aussi convaincu qu'il est urgent d'attendre, tant les corporatismes de tous bords l'ont persuadé que telle ou telle modification allait mettre la France à feu et à sang. L'expérimentation, inscrite dans la Constitution grâce à Jean-Pierre Raffarin, permettra d'éviter ce risque. Il ne faut pas s'en priver.

Le second E est l'évaluation, indispensable pour optimiser les performances de l'appareil de formation.

Aujourd'hui, notre système de formation professionnelle et, de manière plus générale, le service public souffrent d'un manque d'évaluation. Le contrôle de l'État est plus souvent axé sur les moyens mis en oeuvre que sur les résultats ; l'évaluation est parcellaire et ceux qui sont juges sont souvent parties.

S'il est difficile d'apprécier qualitativement les formations, il s'agit néanmoins d'une priorité. L'insuffisance des outils permettant d'évaluer l'efficacité des formations est manifeste. Il nous paraît donc indispensable de créer une autorité indépendante chargée d'évaluer l'ensemble du système, en s'appuyant sur les compétences existantes du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, le CNFPTLV, ou d'autres organismes. Cette agence d'évaluation pourrait intervenir tant pour la formation initiale que pour la formation continue.

Je souhaite présenter trois propositions de notre mission, qui me semblent figurer parmi les plus importantes.

La première concerne la formation initiale. Il est nécessaire de rendre plus sécants les textes du 4 mai 2004, qui consacre les accords de l'Accord national interprofessionnel, ou ANI, et du 13 août 2004, relatif à la décentralisation, et de donner toute sa dimension au plan régional de développement des formations professionnelles, ou PRDF, afin qu'il ait valeur d'engagement pour l'ensemble des partenaires, ce qui permettra de passer de compétences séparées à des compétences véritablement partagées.

Ce plan relève, à l'heure actuelle, plus souvent d'un catalogue de mesures entre les rectorats et les régions. Il faut donc soumettre à cet engagement les autres partenaires, le monde socio-économique, les élus locaux, et regrouper ainsi la dimension paritaire et la dimension territoriale afin de répondre le mieux possible aux besoins.

La deuxième proposition concerne la formation professionnelle.

Notre mission a proposé la création d'un compte épargne formation à partir d'un nouveau droit individuel à la formation, ou DIF, dont la portabilité serait définie par les partenaires sociaux.

Je dirai quelques mots sur le droit individuel à la formation. Je me réjouis que l'accord sur la modernisation du travail, qui vient d'être validé, constitue une première avancée, en prévoyant la portabilité du droit individuel à la formation en cas de licenciement. On peut encore aller plus loin. C'est aux partenaires sociaux de le décider, en se gardant, bien évidemment, d'une transférabilité totale, qui ne serait pas concevable et supportable par les entreprises.

Permettez-moi de rappeler, à cet égard, que toutes nos propositions sont faites à moyens constants. Nous pensons même qu'il serait possible de réaliser des économies.

Le nouveau DIF transférable impliquera la suppression de l'obligation légale, actuellement peu incitative et donc peu efficace. Les entreprises pourront recourir plus librement et plus largement à des solutions moins coûteuses que le recours systématique à des stages.

Pourquoi s'appuyer sur le droit individuel à la formation ?

Le DIF est à la convergence des souhaits du salarié et des besoins de l'entreprise. Le plan de formation relève de l'initiative de l'entreprise et le congé individuel de formation, ou CIF, dépend du salarié. C'est la raison qui nous a conduits à faire du nouveau DIF, qui pourrait d'ailleurs être rebaptisé « devoir indispensable de formation », le pivot du compte épargne formation.

Le salarié pourrait utiliser ce compte épargne formation prévu par notre mission pour acquérir une qualification utile à son employabilité, au-delà des statuts sous lesquels il sera successivement placé au cours de sa vie active. Il est essentiel d'attacher le droit individuel à la formation à la personne plus qu'à son statut.

Ce compte pourrait être activé dès la sortie de la formation initiale, mais également au moment du départ à la retraite. Mais, en aucun cas, il ne pourrait faire l'objet d'un versement en monnaie sonnante et trébuchante, car cela serait contraire à l'objectif recherché, qui est de permettre à celles et ceux qui en ont le plus besoin d'accéder à la formation.

La troisième proposition concerne l'ingénierie, indispensable afin de rendre les mesures efficaces, en premier lieu en matière de formation initiale.

L'orientation est un enjeu central. Aujourd'hui, elle se fait à la suite d'échecs successifs. Il faut passer de cette orientation négative à une orientation positive, qui concilie le projet du jeune, les besoins de l'économie et ceux des territoires.

Il faut notamment encourager l'orientation vers les voies professionnelles et développer les autres formes d'intelligence que sont celles de la main et du geste.

Nous proposons un certain nombre de mesures qui concernent, notamment, les conseillers d'orientation psychologues, dont la connaissance du monde économique nous paraît très largement insuffisante. Nous souhaitons d'ailleurs les « anoblir » en leur attribuant le titre de « conseillers d'orientation professionnelle et psychologues ». Il nous semble également utile qu'ils soient, à l'instar des personnels techniciens, ouvriers et de service, les TOS, rattachés à la région, lieu de cohérence de la formation professionnelle.

En matière de formation continue, les PME et les TPE préfèrent payer l'obligation légale plutôt que de former, tant est grande la complexité de mise en place des formations. Il faut soulager les chefs d'entreprise de ces tracasseries administratives. Nous proposons que les organismes paritaires collecteurs agréés, ou OPCA, leur apportent cette ingénierie, afin de leur éviter le parcours du combattant qu'ils connaissent aujourd'hui. Certains OPCA le font, et même très bien. D'autres n'en ont pas les moyens financiers ou humains, ou en ont les moyens, mais ne le font pas ou ne veulent pas le faire. Il faudra les y inciter, voire les y contraindre.

Par ailleurs, afin de faciliter l'accès à la formation des salariés des TPE et PME, pourquoi ne pas s'inspirer des agriculteurs, qui ont mis en place un service de remplacement, et favoriser des groupements d'employeurs ?

De même, il ne serait pas utopique de s'appuyer sur le potentiel existant pour effectuer ces remplacements ; je pense aux préretraités et retraités, qui pourraient également apporter leur savoir-faire aux jeunes des lycées professionnels ou des centres de formation d'apprentis, ou CFA, après avoir acquis un minimum de pédagogie en activant, le cas échéant, le solde de leur compte épargne formation.

Ces mesures, pour être pleinement efficaces, exigent qu'il y ait, à chaque niveau, un chef de file. Nous avons besoin d'une gouvernance capable d'assurer le lien et la cohérence entre les différents lieux de décision. « Il n'y a plus de pilote dans l'avion », comme l'a dit M. Jacques Delors devant la mission d'information pour résumer l'état actuel de la gouvernance de la formation professionnelle.

Au niveau de l'État, il faut, aux côtés du Premier ministre, un chef de file ayant une vision transversale, afin de sortir de la situation actuelle, dans laquelle, en fonction des gouvernements, entre trois et sept ministères s'occupent de la formation professionnelle.

Ce qui est vrai pour le Gouvernement l'est aussi pour le Parlement, l'Assemblée nationale comme le Sénat, où le problème de la formation est « éclaté » entre deux et trois commissions. Notre mission commune en est l'illustration.

Permettez-moi, mes chers collègues, d'ouvrir une parenthèse pour regretter que les mots de formation et d'éducation, qui constituent la première ligne du budget de la nation, ne figurent dans le libellé d'aucune de nos commissions.

Ce qui est vrai au niveau de l'État l'est aussi au niveau de la région.

La région doit être le lieu de cohérence. Ce pilotage lui revient légitimement, car il s'inscrit dans la logique même de la décentralisation. Mais, pour jouer pleinement son rôle et affirmer son autorité, la région a besoin d'un instrument stratégique suffisamment adapté et puissant pour être efficace. Il s'agit du PRDF, dont la signature, je le répète, doit engager l'ensemble des partenaires.

Le niveau du bassin de formation, enfin, est le lieu privilégié de l'action. Il permet une logique partenariale, qui réunit autour d'une même table élus, chefs d'entreprises, partenaires sociaux, associations et services publics, afin de traiter les besoins spécifiques des bassins et de mener des expérimentations.

Notre mission recommande de mettre en place, à titre expérimental, des conseils locaux de la formation, qui se réuniraient pour échanger des informations, faire des propositions et trouver des solutions concrètes à des difficultés signalées dans l'articulation entre orientation, formation et emploi.

Pour conclure, rien ne pourra se faire sans une volonté politique forte, celle qui a été exprimée à plusieurs reprises par le Président de la République. Or, si le moteur donne toute son énergie, l'embrayage doit rapidement engager le mouvement.

Il n'est plus acceptable - et, personnellement, je ne l'accepte plus - qu'un jeune qui a trouvé une entreprise d'accueil se voie refuser une place dans un établissement. Je n'accepte pas davantage qu'un salarié se voie fermer l'accès à une formation indispensable à son maintien ou à son évolution professionnelle parce que tel ou tel organisme aurait décidé que ce n'était plus la priorité de la branche.

Voila, monsieur le secrétaire d'État, ce que je voulais vous dire. J'attends maintenant de vous des réponses quant à la suite qui sera réservée aux souhaits exprimés par le Président de la République, et dont je souhaite connaître le calendrier.

Je regrette, pour ma part, que Mme la ministre chargée de l'économie, des finances et de l'emploi n'ait pu se rendre disponible pour ce débat. Je ne doute pas de la nature impérative de ces obligations. Mais, une fois de plus, le débat parlementaire et la formation passent au second plan

Cela étant, je sais, monsieur le secrétaire d'État, votre implication dans les domaines de l'économie, de l'emploi et de la formation. Vous en avez donné la preuve comme parlementaire ; vous le prouvez aujourd'hui comme membre du Gouvernement, car la formation est le meilleur investissement de la nation.

Permettez-moi de conclure en citant Socrate, qui, voilà près de vingt-cinq siècles, disait : « Le savoir est la seule matière qui augmente quand on la partage. »

Je souhaite que nous fassions de l'année 2008 celle du partage du savoir, de façon à augmenter les richesses de la nation et à assurer le meilleur avenir pour nos enfants. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, on ne peut qu'être d'accord avec le constat de notre collègue Jean-Claude Carle sur le fait que la formation professionnelle ne bénéficie pas suffisamment à toutes et à tous, mais essentiellement aux salariés les plus diplômés, nonobstant de grosses disparités selon la taille de l'entreprise.

Chaque année, 60 % des salariés ne profitent pas de leur droit à formation ; environ 25 % des titulaires d'un CAP y ont accès, contre près de 45 % pour les diplômés de l'enseignement supérieur. Selon une récente étude de la direction de l'animation, de la recherche, des études et statistiques, ou DARES, sur la formation des demandeurs d'emploi, seuls 8,1 % des chômeurs suivaient une formation professionnelle à la fin 2005. Ils étaient 8,7 % en 2006.

Je rejoins également son analyse sur la complexité de l'offre de formation et du manque de lisibilité pour le salarié au moment où il est confronté au choix, parfois insuffisamment conseillé, et dans une situation d'urgence : perte d'emploi ou reconversion. L'existence de 45 000 organismes de formation et de 98 organismes paritaires collecteurs agréés, ou OPCA, témoigne de cette lourdeur.

Nous avons largement constaté ces difficultés lors des auditions et des déplacements de notre mission d'information, comme notre collègue Jean-Claude Carle l'a précisément rappelé à l'instant.

Je ne contesterai pas non plus sa description des aspirations des salariés sur le droit individuel à la formation attaché à la personne, transférable tout au long de sa vie, destiné à satisfaire ses besoins en matière de développement professionnel et personnel. 

Oui, s'il est vrai qu'il faut réformer la formation professionnelle, c'est avant tout pour donner les mêmes droits à toutes et à tous, salarié comme demandeur d'emploi, quel que soit son âge, son niveau de formation initiale, dans les petites, comme dans les grandes entreprises. Et, comme vous le savez, mes chers collègues, j'ai toujours dans mes préoccupations les territoires ruraux, très présents dans mon département, l'Isère. Ce droit doit donc également être à la portée de tous nos concitoyens, quel que soit le territoire de leur résidence.

Mais, et vous n'en serez pas surpris, mon accord avec notre collègue Jean-Claude Carle s'arrête à ces constats.

M. Guy Fischer. Heureusement !

Mme Annie David. Selon moi, si la formation professionnelle ne bénéficie pas aux ouvriers les moins qualifiés, c'est de par la volonté du patronat qui, la considérant comme un retour sur investissement, a besoin d'un noyau dur de personnel à qualification élevée et, à côté de cela, d'un bataillon de salariés non qualifiés, d'intérimaires, destiné à faire de la productivité. Cela peut paraître simpliste pour celles et ceux qui ne fréquentent pas la sortie des usines, mais c'est pourtant la réalité.

Aujourd'hui, alors que se préparent un ou des projets de loi sur cette question fondamentale, alors que le Président de la République a déclaré vouloir réaliser des milliards d'euros d'économies en réformant la formation professionnelle et en la recentrant sur ceux qui en ont le plus besoin, « chômeurs et salariés les moins qualifiés », le rapport Carle ouvre un questionnement qui appelle des réponses de la part du patronat et du Gouvernement.

Je me propose donc de les résumer brièvement et de mettre le doigt sur les menaces qui me semblent pointer à l'horizon.

J'ai relevé dans l'intervention de Mme Lagarde - dont je regrette moi aussi l'absence ce matin - devant notre assemblée que « le Gouvernement avancera, en 2008, en associant régions et partenaires sociaux ; je vais mettre en place un groupe de travail sur la formation professionnelle continue afin de clarifier les priorités stratégiques et de distinguer ce qui relève de la négociation collective et du législateur ».

Voilà donc la problématique posée. Il en découle une question fondamentale.

Je suis profondément attachée au principe de solidarité de la formation professionnelle, tout comme de l'UNEDIC, notre système de protection sociale contre la privation involontaire d'emploi, je le rappelais ici même dans notre débat sur le service public de l'emploi. Car la protection contre le chômage, l'emploi, la formation continue et, en amont, la formation initiale sont étroitement liés.

Je voudrais donc rappeler le rôle primordial de l'État. Les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen ne veulent pas son désengagement de la formation, pas plus que de la protection contre le chômage. Si le paritarisme a fait ses preuves, notamment dans la gestion de l'assurance chômage, il n'est pas question d'y trouver matière à un nouveau désengagement de l'État, qui consisterait à renvoyer dos à dos les branches ou les entreprises pour financer chacune « leur » formation professionnelle.

Évoquant les nécessaires partenariats, notre collègue Jean-Claude Carle définit des « chefs de file ». Qui seront-ils ? Les régions ? Les bassins d'emploi ? Les branches ?

Le débat de ce jour devrait d'ailleurs être le moyen de clarifier le rôle des régions, qui détiennent la compétence en matière de formation des moins de 26 ans, des publics les plus éloignés de l'emploi et, désormais, des adultes non salariés.

Dans ma région, Rhône-Alpes, nous notons que les transferts de compétences se sont effectués sans le transfert des moyens afférents. Il en est ainsi des carrières sanitaires et sociales, avec 62 écoles d'infirmières, désormais à la charge de la région, destinées à répondre aux besoins énormes en matière de formation d'infirmières.

Toujours dans ma région, on estime à plus de 10 millions d'euros le déficit des centres de formation d'apprentis, ou CFA, à la suite de la baisse de la collecte de la taxe d'apprentissage, consécutive à la réforme nationale de sa collecte.

Enfin, le transfert des AFPA -  12 centres en Rhône-Alpes et 20 000 stagiaires par an - avec à terme, sans doute, le transfert à venir des locaux et des personnels, est également d'un coût élevé.

Au sujet des AFPA, et bien qu'il ne soit pas fait mention de ce point dans la question de notre collègue, je tiens à réaffirmer ici notre opposition à l'amendement proposé par le rapporteur du texte, Mme Catherine Procaccia, et voté au cours du débat sur la réforme du service public de l'emploi.

Cet amendement, devenu article nouveau, nous inspire beaucoup d'inquiétude, car il nous apparaît comme la première étape du démantèlement de l'AFPA, dont les demandeurs d'emplois eux-mêmes seraient les premières victimes.

M. Guy Fischer. C'est exact!

Mme Annie David. Cet amendement démontre aussi un manque de connaissance de cet organisme, dont l'orientation est une mission indissociable de la formation, car indispensable au retour vers l'emploi des chômeurs les plus en difficulté.

Qui plus est, cet amendement a été proposé sans discussion préalable avec les partenaires sociaux, et à quelques semaines de nouveaux textes sur ce sujet. Il n'y avait vraiment pas urgence en la matière ! Je souhaite que l'Assemblée nationale puisse revenir sur ce nouvel article !

Mais j'en viens à la question d'aujourd'hui et à la mesure phare préconisée par Jean-Claude Carle qui est de supprimer l'obligation légale pour le plan de formation, au motif que cela déresponsabiliserait l'entreprise, et d'y substituer le financement attaché à la transférabilité du DIF dynamisé - et monétisé - au travers d'un compte épargne formation.

Certes, la proposition d'un compte épargne-formation est intéressante. Mais l'on prend le risque, en l'instaurant, parallèlement à la suppression des 0,9 %, de remettre en cause l'un des fondements de l'accord national interprofessionnel de 2003. Cet accord consiste à développer les compétences collectives à travers le plan de formation, l'autre fondement étant le développement du droit individuel à la formation, donc deux axes très complémentaires. N'y a-t-il pas là un détournement du DIF issu de l'ANI ?

Et, au bout du compte, qui va payer ? L'État, les régions, les OPCA, l'ANPE ? Sont également évoqués l'instauration d'une participation des individus via les indemnités de licenciement ou encore le compte épargne-temps.

Il est à craindre, à l'opposé des dires de notre collègue Carle, un affaiblissement de la responsabilité de l'employeur, notamment au regard de son obligation de permettre aux salariés d'acquérir de nouvelles compétences en vue de nouvelles tâches ou responsabilités.

Par ailleurs, comme le soulignent certaines organisations syndicales, la participation de beaucoup de petites entreprises se situe au minimum légal, et la mutualisation des fonds n'est rendue possible que grâce à l'obligation. On est ainsi fondé à se demander ce qu'il adviendrait sans cette mutualisation qui permet le financement d'actions de formation dépassant largement la contribution annuelle de l'entreprise. Ce serait, sans aucun doute, la fin d'une équité déjà mise à mal en matière de formation professionnelle.

Le regroupement des OPCA, en portant par la voie réglementaire le plancher de collecte de 15 millions à 50 millions d'euros, devrait avoir pour conséquence la disparition des plus petits d'entre eux.

« À terme, une seule collecte, un seul collecteur, un seul contrat ». Tel est le credo de notre collègue Jean-Claude Carle. Une conséquence sur laquelle il ne faut pas fermer les yeux est le financement du paritarisme via la formation professionnelle et, y compris, la représentativité des organisations syndicales, des employeurs comme des salariés.

C'est un enjeu qu'il serait certainement honnête de mettre à plat. En tout état de cause, il faut un financement pérenne du paritarisme pour garantir la démocratie. On pourrait le trouver ailleurs - pourquoi pas ? - mais dans une nécessaire transparence.

Par ailleurs, ce plancher de collecte des OPCA est-il un argument valable ? Permettez-moi d'en douter. Certains organismes font du bon travail avec une collecte modeste,...

M. Jean-Claude Carle. C'est vrai !

Mme Annie David. ...d'autres, à plus large surface financière, ne remplissent pas leurs missions de proximité. Gardons-nous donc des décisions à l'emporte-pièce et regardons précisément les résultats. Sans doute faut-il « faire le ménage » au sein des OPCA. Mais il ne faudrait pas le faire sans un état des lieux préalable.

J'estime qu'il conviendrait également et surtout, ai-je envie de dire, de nous interroger sur le contenu de la formation et sur sa durée.

Je reprends à mon compte une remarque faite par la CFE- CGC selon laquelle la formation n'est pas seulement une « seconde chance ». C'est aussi un outil de promotion sociale.

Gardons-nous donc bien de ne considérer la formation continue que par le petit bout de la lorgnette, autrement dit, par le seul objectif du patronat de former en fonction exclusivement des besoins de l'entreprise, ou dit encore autrement, sous le seul angle financier !

Notons que le droit individuel à la formation est actuellement de 20 heures par an, cumulables sur 5 ans. Cela représente approximativement 15 jours tous les 5 ans. Cela me semble notoirement insuffisant pour accéder à une formation qualifiante. Et quid des grosses entreprises qui organisent leurs propres formations ? Seront-elles exonérées de contribution ? Leurs formations seront-elles reconnues en cas de changement d'entreprise du salarié ? Seront-elles prises en compte pour la validation des acquis de l'expérience, par exemple ?

Dernière question, mais non la moindre, pourquoi cette hâte ? L'accord national interprofessionnel signé le 5 décembre 2003 par toutes les organisations syndicales, peine à se mettre en place. Aucune évaluation n'a été faite, aucune concertation n'a eu lieu. Cela me semblerait pourtant un préalable. Un groupe de travail a été constitué au sein du comité paritaire national pour la formation professionnelle. Les premiers résultats devraient précisément être connus en ce début d'année. Pourquoi ne pas attendre cette évaluation avant de proposer de nouveaux mécanismes ?

En guise de conclusion, je rappellerai brièvement les propositions portées par le groupe communiste, républicain et citoyen.

Nous défendons, et nous nous attacherons à la défendre au cours des futurs débats, une vision humaniste et à long terme de la formation tout au long de la vie : un droit individuel, attaché à la personne, quel que soit son contrat de travail, garanti collectivement, transférable et opposable. Ce droit doit s'accompagner d'un nouveau statut progressiste du salariat, permettant à chaque salarié ayant suivi une formation d'obtenir une promotion professionnelle et sociale et sa reconnaissance par l'employeur en termes de qualification, de classification, de rémunération, de conditions de travail.

Cela pourrait se concrétiser, selon nous, par la création d'un pôle de service public, en quelque sorte, une « maison de la formation et de l'emploi », dans laquelle, bien sûr, les associations oeuvrant en direction des salariés handicapés auraient toute leur place, aux fins de promouvoir une insertion professionnelle durable pour toutes et tous.

C'est fort de cette conviction que notre groupe entend tenir toute sa place dans les débats à venir sur la réforme de la formation professionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le monde économique et salarial ressent les graves insuffisances de la formation professionnelle comme un handicap grevant notre économie : une profonde refonte du dispositif actuel apparaît nécessaire à tous.

Dans le cadre de la mission commune d'information sur le fonctionnement des dispositifs de formation professionnelle, Jean-Claude Carle a mis brillamment en exergue les trois maux dont souffre la formation professionnelle : complexité, cloisonnements et corporatismes.

L'accès à la formation professionnelle est très inégalitaire, puisque 60 % des salariés n'y accèdent jamais, en particulier les personnes payées au SMIC, ce qui n'est pas acceptable.

J'ajoute que les responsabilités enchevêtrées des régions, de l'UNEDIC, des branches professionnelles et de l'État rendent cet accès fort peu lisible. De plus, il est peu ouvert, puisque seulement 1 % des salariés suivent une formation en vue d'obtenir un diplôme, contre 13 % en Suède et 9 % au Royaume-Uni, ce qui prive notre pays d'un réel potentiel de développement dans les secteurs à forte valeur ajoutée.

Pourtant, et heureusement, on peut constater un engouement certain des jeunes pour l'apprentissage, qui, hélas ! est principalement réservé à des niveaux IV - CAP et BEP - ou V - baccalauréat -, alors qu'il devrait aussi s'organiser à des niveaux supérieurs. Pour cela, il serait nécessaire de revaloriser l'apprentissage professionnel, en assurant un véritable partenariat formation-entreprise, afin de faire face aux échecs de la formation supérieure.

Le contrat d'apprentissage est un bon outil, car il répond à la fois aux besoins des jeunes et à ceux des entreprises. Son développement sur le territoire national étant très inégal, il est donc essentiel que l'État assure un rôle de régulateur et garantisse un socle commun de prise en charge des coûts de formation, des primes aux maîtres d'apprentissage ainsi que du financement des conditions de vie de l'apprenti, telles que l'hébergement ou le transport.

Il est également indispensable de rétablir les exonérations fiscales pour le contrat de professionnalisation qui viennent - on ne peut comprendre pourquoi - d'être supprimées, ce qui le rend bien évidemment moins attractif pour les entreprises.

S'agissant de la formation continue, la rationalisation me semble essentielle. On ne peut que déplorer la multitude des acteurs - État, région, établissements privés et publics, associations, organisations professionnelles - pour un public de plus en plus classifié dans de multiples catégories : chômeurs, chômeurs longue durée, RMIstes, salariés, chefs d'entreprise.

Les chambres consulaires, qui regroupent l'ensemble des acteurs économiques participant au développement du territoire, sont au coeur des dispositifs de création, de reprise ou de développement des entreprises. À ce titre, elles devraient être mieux reconnues dans le dispositif de la formation continue, afin de coordonner l'ensemble des parties concernées.

Si la formation professionnelle connaît, à l'évidence, beaucoup de difficultés, je ne peux néanmoins que me féliciter de l'accord des partenaires sociaux du 11 janvier dernier sur la modernisation du marché du travail, qui installe les prémices de la réforme : la « transférabilité » du droit individuel à la formation.

Les salariés pourront ainsi conserver ce droit et l'utiliser au cours de la première moitié de leur période d'indemnisation s'ils sont au chômage ou pendant les deux années suivant leur embauche en cas de nouvel emploi. C'est une avancée majeure en termes d'équité et d'investissement dans les ressources humaines.

Jean-Claude Carle a cité Socrate ; plus modestement, je citerai Gustave Thibon, qui écrit : « Rien ne prédispose plus au conformisme que le manque de formation. » Or notre économie doit absolument demeurer riche de ses multiples facettes. Il est donc urgent de mettre en place une véritable réforme de la formation professionnelle, de conjuguer au présent et pour l'avenir les préoccupations des hommes et des entreprises. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.

Mme Muguette Dini. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l'avenir de la formation professionnelle en France passe nécessairement par la refonte en profondeur de l'ensemble du dispositif actuellement en place et par un véritable repositionnement de tous les acteurs concernés.

C'est le constat qui ressort des travaux récents de la mission commune d'information sur le fonctionnement des dispositifs de formation professionnelle, présidée par Jean-Claude Carle.

Le champ de la formation professionnelle englobe celui de la formation professionnelle initiale et celui de la formation professionnelle continue.

Cette dernière, conformément à ses objectifs initiaux, consiste en une politique d'adaptation professionnelle des salariés aux évolutions de leurs métiers, de mobilité et de sécurité professionnelles.

Ainsi, elle est supposée permettre au salarié d'être performant et à l'employeur de gagner en compétitivité et en productivité.

De plus, à partir des années soixante-dix, la formation professionnelle continue, à l'instar de la formation professionnelle initiale, s'est positionnée en politique du traitement du chômage.

Toutefois, formation professionnelle initiale et formation professionnelle continue ne remplissent pas, ou pas totalement, leurs objectifs. Le système en vigueur apparaît inefficace à plusieurs égards.

Jean-Claude Carle l'a rappelé, chaque année, 160 000 jeunes, soit 20 % d'une génération, sortent du second degré sans qualification professionnelle et sans diplôme. Trois ans après leur sortie du circuit scolaire, le taux de chômage de ces jeunes non qualifiés atteint 40 %.

Selon les dernières statistiques, seulement 8% des demandeurs d'emploi suivent une formation professionnelle.

De plus, les formations profitent davantage aux jeunes chômeurs qu'à leurs aînés. En 2005, 14 % des demandeurs d'emploi de moins de vingt-six ans étaient en formation contre 6 % des chômeurs de vingt-six ans et plus.

Au sein des entreprises, le taux de départ en formation des salariés est trois fois plus élevé dans les grands groupes que dans les TPE ou les PME.

En ce qui concerne les salariés, ce sont les plus jeunes et les plus qualifiés qui accèdent à la formation professionnelle continue.

On l'aura compris, la formation professionnelle initiale enregistre un cuisant échec pour ce qui est de l'entrée sur le marché de travail de nombre de jeunes et la formation professionnelle continue ne bénéficie pas à ceux qui en ont le plus besoin.

C'est d'autant plus regrettable que 25 milliards d'euros sont consacrés chaque année à cet objectif. À une certaine inefficacité s'ajoute dès lors une vraie gabegie.

Les principales raisons de cette situation, mises en exergue par la mission commune d'information, sont la complexité du système, le manque de passerelles entre les différents dispositifs, la déconnexion avec le marché de l'emploi, la multiplicité des acteurs, avec une absence de coordination et de gouvernance, enfin, le foisonnement des financeurs.

Les chiffres sont éloquents : plus de 1 200 diplômes ou titres professionnels délivrés par sept ministères différents, quelque 45 000 organismes de formation déclarés, quatre-vingt-dix-huit organismes paritaires collecteurs agréés, ou OPCA. Aussi, à chaque catégorie d'individus pouvant prétendre à des sessions de formation, correspondent des conditions d'accès particulières.

Alors, que faire ? Les propositions de la mission commune d'information sont nombreuses et concrètes. Elles ont d'ailleurs été saluées par nombre d'observateurs pour leur pertinence et leur audace.

Pour ma part, je considère qu'il est fondamental de remettre du sens, du liant, de la cohérence et de la simplicité.

Il faut simplifier en regroupant contrat d'apprentissage et contrat de professionnalisation au sein d'un contrat d'insertion en alternance, et ainsi optimiser les capacités d'accueil en entreprise et en centre de formation.

Il faut remettre de la cohérence avec la rationalisation des financements.

À ce propos, il convient d'insister sur le regroupement interprofessionnel des OPCA et la suppression de l'obligation légale faite aux entreprises de verser 0,9 % de leur masse salariale brute pour le financement du plan de formation.

Les sommes ainsi libérées abonderaient en partie un compte d'épargne de formation individualisé.

Le champ d'application de ce dispositif se veut plus large que celui du droit individuel à la formation, qui, même transférable, reste circonscrit aux salariés en activité, laissant ainsi plusieurs catégories de population en marge du système.

Attaché à la personne tout au long de sa vie professionnelle, le compte d'épargne de formation couvrirait alors les individus indépendamment de leur statut : les primo-entrants dans le monde du travail, les salariés en activité, les demandeurs d'emploi, les personnes en reconversion et les retraités.

Un seul outil répondrait alors à une grande variété de situations.

Il faut encore remettre du sens et du liant au travers d'une gouvernance territoriale articulant des niveaux de compétences clairement définis.

L'État doit demeurer dans son rôle de cadrage normatif mais également se poser en tant que garant de l'équité.

Le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie a légitimement vocation à devenir l'instance de concertation nationale, garante des objectifs nationaux de la formation professionnelle.

La mise en cohérence des politiques de formation doit revenir à la région. Élaboré sous l'autorité du président du conseil régional, le plan régional de développement des formations professionnelles s'avère l'instrument adapté pour assurer la coopération régionale des acteurs publics, associatifs, professionnels et privés autour d'un même projet.

Enfin, c'est à l'échelon du bassin d'emploi que doit se faire l'articulation entre les besoins en emplois et les formations à mettre en place.

En conclusion, la réforme de la formation professionnelle est un défi capital à relever sans attendre ; les sénateurs du groupe UC-UDF sont prêts à concourir efficacement à cette réforme. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès.

Mme Christiane Demontès. Quelques jours après avoir débattu d'un texte sur la fusion entre l'ANPE et les ASSEDIC, quelques jours après que les partenaires sociaux ont conclu de difficiles négociations sur la modernisation du marché du travail et des contrats de travail, quelques jours après que le Gouvernement a effectué une déclaration au sujet du « Grenelle de l'insertion » et que le Président de la République a annoncé l'examen d'un prochain texte portant sur la formation professionnelle, quelques mois après la remise du rapport de la mission d'information commune sur les dispositifs de ce secteur que présidait notre collègue Jean-Claude Carle, nous débattons de la question qu'est l'avenir de la formation professionnelle, question essentielle s'il en est.

C'est, bien évidemment, indispensable. Certes, et mon préambule le laissait entendre, nous aurions préféré que ces débats et projets législatifs multiples, parfois inscrits dans l'urgence alors que rien ne le justifie réellement, soient plus et mieux associés. De la sorte, l'action gouvernementale aurait certainement gagné en cohésion et les multiples acteurs, institutionnels et associatifs, en lisibilité.

« Savoir pour prévoir, afin de pouvoir », disait Auguste Comte. La mise en perspective de la formation au savoir, en l'occurrence professionnelle, est donc d'importance.

Cela a déjà été dit, mais je tiens à le rappeler, chaque année, 20 % d'une génération, soit plus de 150 000 jeunes quittent le système scolaire sans qualification suffisante pour intégrer dans de bonnes conditions la vie active.

Les jeunes sont inégaux devant cette situation, qui frappe particulièrement ceux qui vivent dans les quartiers populaires et connaissent un taux de chômage voisin de 40 %, soit quatre à cinq fois la moyenne nationale.

Dans une société de la connaissance, où les technologies évoluent très rapidement et conditionnent l'exercice professionnel, l'accès au savoir et à la compétence est une donnée essentielle. Débattre de la formation professionnelle renvoie ainsi à deux dimensions.

La première, collective, est liée à notre avenir économique et social. La seconde, individuelle, conditionne la possibilité offerte à chacun de progresser, de s'adapter, de s'accomplir, de trouver sa place dans la société et de contribuer à l'amélioration de cette dernière. Ces deux dimensions sont liées et influent de manière importante sur notre pacte social et sur notre pacte républicain.

Débattre de la formation professionnelle renvoie également, bien évidemment, aux enjeux financiers que représentent les presque 30 milliards d'euros qui y sont consacrés annuellement, mais conduit aussi à s'interroger sur une responsabilité partagée par l'État, les régions, les départements et les partenaires sociaux.

J'ai participé aux travaux de la mission d'information commune sur les dispositifs de formation professionnelle que présidait notre collègue Jean-Claude Carle. Je reprendrai certains éléments du rapport auquel cette mission a abouti, qui dresse un état des lieux exhaustif et émet un certain nombre de propositions.

Notre système de formation professionnelle est composé d'une multitude de dispositifs. Il couvre un large spectre allant de la formation professionnelle initiale sous statut scolaire à la formation continue des salariés, en passant par l'apprentissage, la formation des demandeurs d'emploi -indemnisés ou non - et la validation des acquis de l'expérience, ou VAE. Comme M. Carle l'a souligné, ce système est à la fois complexe et cloisonné.

Au-delà de cette présentation globale, je voudrais insister sur plusieurs constats : permettre à l'éducation nationale de qualifier tous les élèves constitue un préalable ; la formation ne va pas à ceux qui en ont le plus besoin, je le répète, car plus une personne sort diplômée de la formation initiale et plus elle recourt à la formation continue ; les financeurs, et particulièrement les entreprises, considèrent la formation davantage comme une dépense que comme un investissement ; la question de la gouvernance et du pilotage est essentielle. Je développerai ces quatre éléments.

Tout d'abord, permettre à l'éducation nationale de qualifier tous les élèves avant leur sortie constitue effectivement un préalable. Dans cette perspective, l'orientation doit être à la fois préparée et choisie, et l'offre de formation professionnelle diversifiée. En effet, trop souvent encore, l'orientation, faute d'avoir été bien préparée, est subie par les élèves, ce qui est source d'échecs et de renoncements.

Aussi, la généralisation des modules de « découverte professionnelle » à tous les collégiens des classes de troisième constituerait sans doute une avancée de premier ordre dans la connaissance et l'appréhension des métiers.

Il nous semble important de faire porter aussi nos efforts sur la professionnalisation des acteurs de l'orientation. Je pense, notamment, à la mise en oeuvre de stages de connaissance de l'entreprise dans la formation initiale et continue des enseignants et des conseillers d'orientation psychologues. Il convient d'ailleurs - je reprends ici la proposition formulée par M. Carle - de renommer ces derniers « conseillers d'orientation professionnelle et psychologues ».

M. Jean-Claude Carle. Très bien !

Mme Christiane Demontès. Reste qu'aucun blocage ne pourra être levé si nous ne généralisons pas « l'orientation concertée », qui réunit et mobilise l'ensemble des acteurs de la communauté éducative, c'est-à-dire les familles, les élèves, les enseignants, les personnels de direction et, bien sûr, les conseillers d'orientation. Ainsi, les élèves et leurs familles seront-ils mieux informés sur les métiers qui recrutent et les différentes filières de formation.

À ce propos, je m'inquiète des menaces qui, même si elles semblent provisoirement écartées, pèsent sur l'existence même de certains lycées professionnels, ainsi que des fermetures de section, car ces mesures ne vont pas dans la bonne direction. Tout se passe comme si le ministère avait l'intention de renvoyer tous les jeunes en formation professionnelle vers l'apprentissage, ce qui n'est pas possible et n'est souhaitable ni pour les entreprises ni pour ces jeunes.

Diversifier la formation professionnelle constitue également une priorité. En favorisant l'accès au contrat d'apprentissage pour les jeunes qui le souhaitent, indépendamment de leur milieu social et de leurs origines -j'insiste sur ce point -, les collèges et les CIO, les centres d'information et d'orientation, rapprocheront les élèves des entreprises.

M. Jean-Claude Carle. Très bien !

Mme Christiane Demontès. À cette fin, il est indispensable de s'assurer que chaque jeune ayant un contrat d'apprentissage ne sera pas contraint à y renoncer faute de place dans les CFA, les centres de formation d'apprentis.

Dans cette logique, il nous faut absolument poursuivre la mise en oeuvre des lycées des métiers, qui offrent aux jeunes accueillis un parcours de qualification professionnelle, depuis le niveau V, à savoir les CAP et les BEP, jusqu'au niveau III, soit le BTS, en passant par le niveau IV, c'est-à-dire le baccalauréat professionnel ou baccalauréat technologique.

Cette dynamique doit s'accompagner d'une simplification des cursus, de l'évolution, voire de la suppression de certains diplômes qui ne répondent plus aux besoins, de la création de parcours plus itératifs, jusqu'au diplôme, entre études et activités professionnelles, enfin, bien sûr, de la mise en place du statut du lycéen professionnel.

L'économiste John Maurice Clark écrivait : « Le savoir est le seul outil de production qui ne soit pas sujet aux rendements décroissants ». La formation professionnelle doit donc être considérée comme un investissement et non comme une dépense. Pour s'en convaincre, il suffit d'ailleurs de se rappeler de la situation des personnes peu qualifiées qui, lorsqu'elles perdent leur emploi, connaissent les plus grandes difficultés pour en retrouver un.

II nous faut donc engager une nouvelle dynamique afin d'orienter l'offre de formation vers celles et ceux qui en ont le plus besoin ; je pense aux actifs dont le niveau de qualification est bas. Nous ne pouvons nous satisfaire de la situation actuelle, qui voit la formation bénéficier majoritairement aux plus diplômés.

Une telle politique participerait de la lutte contre le « descendeur social » et contre le déterminisme social qui, malheureusement, sont encore si prégnants dans notre société. Il s'agit donc d'inscrire la formation professionnelle dans une logique de justice sociale.

Il nous faut aussi garantir le droit et l'accès permanent à la formation pour tous les actifs, que ce soit dans les TPE, les très petites entreprises, les PME ou les grandes entreprises. Le DIF, le droit individuel à la formation, instauré par les partenaires sociaux et qui s'inscrit désormais dans la logique de « la portabilité des droits », doit constituer une véritable modalité de formation négociée.

Dans cette dynamique, il paraît important d'intensifier le dispositif de validation des acquis de l'expérience, pour offrir une deuxième chance à la qualification. À cette fin, il semble nécessaire de renforcer l'accompagnement des candidats, en y impliquant de façon plus dynamique l'ensemble des organismes d'accueil que sont le service public de l'emploi, les OPCA, les organismes paritaires collecteurs agréés, les missions locales et les CIO.

Au-delà de la professionnalisation des acteurs de l'orientation, il est indispensable de donner corps, en la généralisant, à une réelle coordination entre les différentes structures, dans laquelle les régions devraient jouer tout leur rôle. Les maisons de l'emploi participent de cette logique, tout comme la fusion entre l'ANPE, l'Agence nationale pour l'emploi, et les ASSEDIC.

En outre, le défi que constitue l'accès à la formation professionnelle tout au long de la vie est primordial. Il participe de la mise en oeuvre de la sécurisation du parcours professionnel que demandent légitimement nos concitoyens, mais qui est aussi requis par l'optimisation de la qualité des biens et services créés par les salariés au sein des entreprises.

Enfin, nous devrions également réfléchir à l'ouverture de la VAE aux élus locaux, associatifs et syndicaux. Des avancées en la matière constitueraient une reconnaissance des compétences que les élus ont développées dans le cadre de leurs responsabilités et favoriseraient, en outre, leur reconversion en fin de mandat.

Je le répète, la formation professionnelle mobilise, chaque année, près de trente milliards d'euros. Dans le cadre du paritarisme, dont le financement devrait être revu, du dialogue social et de la négociation, nous devons parvenir à rationaliser et à optimiser l'usage de ces fonds.

En premier lieu, il me semble important de distinguer ce qui relève directement de la participation des partenaires sociaux à la gestion de la formation professionnelle, à savoir le « 0,75% » versé aux organisations professionnelles membres des OPCA, et ce qui n'en relève pas directement, c'est-à-dire le « 0,75% » versé au FONGEFOR, le Fonds national de gestion paritaire de la formation professionnelle continue, et qui doit par conséquent être financé dans le cadre du budget de l'État, au titre du fonctionnement de la démocratie, et plus particulièrement de la démocratie sociale.

M. Jean-Claude Carle. Très bien !

Mme Christiane Demontès. De même, dans le contexte d'un développement des services rendus par les OPCA aux entreprises, ne serait-il pas envisageable de relever à 1 % le plafond, qui est aujourd'hui de 0,75 %, des rémunérations versées aux organisations professionnelles membres des OPCA ?

Enfin, pour optimiser l'efficacité des services d'ingénierie et d'accompagnement rendus par les OPCA aux entreprises, il paraît souhaitable de reconfigurer ces organismes, notamment en favorisant leur regroupement via le relèvement par voie réglementaire du plancher de collecte qui conditionne la délivrance de l'agrément administratif. À cette fin, ne faudrait-il pas porter à 50 millions d'euros le seuil de collecte actuellement fixé à 15 millions d'euros ?

De même, la mise en place d'un cadre incitatif au regroupement des OPCA interprofessionnels est une idée que nous devons prendre en compte.

Ainsi, dans la perspective de l'attribution des sommes collectées à un fonds régional ad hoc, il pourrait être décidé de créer des OPCA interprofessionnels régionaux ayant pour mission d'encaisser, de gérer collectivement et de mobiliser les fonds dégagés par les financeurs de la formation professionnelle en faveur d'actions finançables par le compte d'épargne formation.

Cette amélioration pourrait également comporter un volet de mutualisation des fonds perçus par les OPCA. Celle-ci serait rendue obligatoire, en particulier pour aider les PME et le TPE dans les démarches et formalités qui sont liées à l'accès à la formation continue. Dans ce cadre, les OPCA exerceraient une fonction de conseil, d'ingénierie et d'accompagnement auprès de ces entreprises, en particulier des plus petites d'entre elles, dont les salariés, on le sait bien, bénéficient moins que les autres de la formation continue.

S'agissant de l'ingénierie de formation, notre pays dispose d'une structure de première qualité, à savoir le Conservatoire national des arts et métiers. Utiliser ce savoir-faire, cette capacité de recherche et d'innovation pour donner naissance à un véritable laboratoire d'ingénierie de la formation constitue une piste de réflexion intéressante, me semble-t-il.

Le savoir-faire du CNAM pourrait être utilement diffusé auprès des organismes qui ne disposent pas de la taille suffisante pour financer des recherches en ingénierie de formation et de ceux qui, à l'instar de certains établissements scolaires ou universitaires, ont besoin d'une impulsion pour évoluer vers des pratiques pédagogiques mieux adaptées à leurs besoins.

Dans ce cadre rénové, la gouvernance et l'évaluation de la formation professionnelle seraient essentielles. À ce titre, je le répète, l'action de l'Etat doit être recentrée autour de sa mission visant à assurer l'équité au plan national.

Ce principe a un caractère prioritaire, notamment au regard des inégalités territoriales que la régionalisation pourrait créer. En outre, cette priorité doit être déclinée autour des quatre grands axes de réforme de la politique de formation, à savoir le lien avec l'emploi et la formation, l'accès à la formation, l'efficacité de l'appareil de formation et la rationalisation des circuits financiers.

L'État doit donc définir les grands objectifs nationaux de la formation dans le cadre d'états généraux de la formation professionnelle, qu'il pourrait lancer en s'appuyant sur les travaux des conseils existants, notamment le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, ou CNFPTLV, le Conseil d'analyse stratégique, ou CAS, la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, ou DARES, et le Centre d'études et de recherches sur les qualifications, ou CEREQ.

Partant, l'État devra animer les débats concernant les objectifs de la politique de formation professionnelle, mobiliser les instruments normatifs et de contrôle qu'il détient et contractualiser des objectifs et des moyens avec les régions.

Enfin, pour renforcer la coordination des politiques de l'Etat, il serait sans doute utile de placer sous l'autorité du Premier ministre un secrétaire d'État ou un haut-commissaire chargé de coordonner l'action des administrations compétentes en matière de formation professionnelle continue et initiale - M. Carle n'a pas rappelé cette proposition !

Mme Christiane Demontès. Pardonnez-moi, mon cher collègue, je n'avais pas entendu !

Une présence au plus près des réalités économiques et sociales participe de la réussite des actions engagées. C'est pourquoi nous souhaitons que soit confié aux régions le pilotage territorial des politiques de formation professionnelle ; la région doit être désignée comme le lieu privilégié de mise en cohérence des politiques de formation tout au long de la vie.

De fait, il nous semble important de modifier la loi afin de donner au plan régional de développement des formations professionnelles, le PRDFP, une valeur prescriptive, ce qui permettrait à l'éducation nationale et au monde économique de s'engager dans un cadre fait d'engagements, de partenariats et de confiance. La nécessaire démarche de gestion partagée des compétences seraient enfin lancée.

En effet, il faut que le PRDFP devienne l'instrument de la stratégie de formation à l'échelle régionale. Ce plan doit être préparé dans le souci permanent de maintenir le dialogue social, à tous les stades de la procédure d'élaboration ; toutefois, il doit aussi être conçu avec l'ensemble des parties concernées, c'est-à-dire les services de l'Etat - le rectorat et l'ensemble des services déconcentrés intéressés -, les partenaires sociaux et les autres acteurs présents dans la région et dans les bassins d'emploi ; je pense, notamment, aux conseils généraux, aux organismes consulaires, aux prestataires de formation, à la communauté éducative, aux associations de parents et aux associations familiales.

Donner naissance à une gouvernance efficiente suppose aussi de structurer le dialogue social à l'échelon régional. Cela ne sera possible que si nous nous appliquons à favoriser l'émergence, du côté des partenaires sociaux, de « pôles paritaires » régionaux permettant de structurer le dialogue social en région, dans un cadre dont le périmètre pourra être variable. Je pense notamment à des conférences des financeurs, qui existent parfois, aux groupements d'intérêt public ou bien encore à des comités de coordination.

Enfin, l'évaluation des politiques de formation est indispensable. Au regard des enjeux auxquels nous sommes confrontés, nous proposons la création d'une mission parlementaire chargée d'évaluer annuellement ces politiques. Le rapport remis portera notamment sur l'évaluation de la qualité des formations dispensées, l'adéquation entre l'offre de formation et les attentes du marché du travail, le respect du principe constitutionnel d'égalité.

La formation professionnelle est une chance pour notre pays ; je le répète, elle participe de la justice sociale. Parce qu'elle est insuffisamment ou mal utilisée, nous devons en augmenter le degré d'efficience, en clarifier le fonctionnement. Il faut que nos concitoyens et nos entreprises l'intègrent à leur dynamique personnelle et collective.

Ce défi est à relever d'urgence : il conditionnera notre avenir social et économique collectif. Il est donc de notre responsabilité d'en faire une priorité.

En conclusion, j'insiste sur le fait que ce rapport ne doit pas rester sans suite : il doit déboucher sur des réalisations et sur des propositions concrètes du Gouvernement. (Applaudissements.)

M. le président. Cela doit déboucher aussi sur la nomination d'un ministre !

Mme Christiane Demontès. Je ne l'ai pas dit !

M. le président. Je le dis pour vous ! (Sourires.)

La parole est à M. Georges Mouly.

M. Georges Mouly. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, pour réaliser l'objectif de plein-emploi, la formation professionnelle initiale et continue constitue un élément primordial.

À une question écrite que j'ai adressée à M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, le ministère de l'économie, des finances et de l'emploi m'a apporté les éléments de réponse suivants : « la qualification des personnes est un des éléments clés pour permettre à la France de participer à la construction d'une zone économique plus compétitive ».

Dans cette optique, le système visant à la nécessaire qualification reste peut-être insuffisamment articulé sur les entreprises et sur leurs besoins. C'est bien connu - et, hélas ! ce n'est pas d'aujourd'hui - l'enseignement professionnel reste encore trop souvent une orientation par défaut.

D'autres handicaps existent : la spécialisation des titres et des diplômes face à la polyvalence requise par le marché du travail, l'éclatement de la gestion de la formation professionnelle entre sept ministères, le poids prépondérant que conserve le diplôme initial.

Comme tout commence par une orientation choisie, il est nécessaire d'améliorer la connaissance concrète des métiers que peuvent avoir les plus jeunes. Ainsi, monsieur Carle, vous avez évoqué, à juste titre, l'importance de la classe de troisième, de la découverte professionnelle, de l'information des élèves et des familles sur les débouchés des filières.

À ce stade de mon propos, je ne puis passer sous silence l'importance de l'apprentissage et, plus précisément, du préapprentissage. Celui-ci prend la forme de classes préparatoires à l'apprentissage, dont l'existence prendra fin au mois de juin prochain.

Je prendrai l'exemple d'un centre de formation d'apprentis de mon département, dont on peut tirer les chiffres suivants. Alors qu'environ 5 % des jeunes qui ont suivi une classe préparatoire à l'apprentissage mettent fin à leur contrat d'apprentissage, ce taux est de 10 % à 15 % en cas d'apprentissage direct, c'est-à-dire sans préapprentissage préalable.

Sur l'accès à la formation, l'une des critiques les plus souvent formulées - elle l'a été de nouveau ce matin - porte sur la difficulté d'accès des personnes à la formation, qui « doit s'articuler avec la politique de recherche », selon les termes mêmes de la réponse à la question écrite que j'ai déjà mentionnée.

Ainsi, l'inégalité d'accès à la formation est l'une des principales faiblesses du dispositif dédié aux salariés. Des chiffres ont déjà été cités, je ne les rappellerai pas.

J'en viens maintenant aux chômeurs. Les statistiques de l'ANPE indiquent que seulement 16 % des demandeurs d'emploi non qualifiés émettent un souhait de formation pendant l'entretien avec un conseiller, alors qu'une telle requête est le fait de 24 % des chômeurs les plus diplômés. La formation des chômeurs est bien emblématique de la complexité d'un système que les différentes personnalités auditionnées par la mission commune d'information sur le fonctionnement des dispositifs de formation professionnelle ont souvent comparé à un parcours d'obstacles. La réforme de l'ANPE pourrait y remédier.

Sur la question de l'apprentissage encore, les services du ministère de l'économie, des finances et de l'emploi précisent que la réforme « visera précisément à faire en sorte que les chômeurs, indemnisés ou non, bénéficient davantage de possibilités de se former pour améliorer leur capacité d'accès et de maintien dans l'emploi ».

En ce qui concerne les salariés, le mouvement a été lancé par l'accord national interprofessionnel relatif à l'accès des salariés à la formation tout au long de la vie professionnelle du 5 décembre 2003 et par la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, qui ont créé à cette fin le droit individuel de formation, le DIF. Cet outil a été expressément construit afin de favoriser l'accès à la formation des salariés qui en sont le plus éloignés. Or le DIF est actuellement lié au contrat de travail et disparaît avec lui, sauf quand un accord de branche a prévu sa « transférabilité » à l'intérieur de la branche. J'insiste sur la portée limité du DIF, même si j'ai bien entendu les remarques que vous avez émises sur la place qu'il doit occuper, monsieur Carle.

L'offre des appareils de formation est diverse et hétéroclite. Principal organisme du secteur public, l'AFPA témoigne, selon moi, de l'effort de restructuration que le service public doit poursuivre.

Pour ce qui est des autres réseaux, le nombre d'organismes déclarés est impressionnant, alors que seuls quelques milliers d'entre eux sont actifs. Sans doute serait-il nécessaire d'instituer des garanties de solidité financière de ces organismes, mais c'est sans doute plus facile à dire qu'à mettre en oeuvre. Mon propos n'est pas aujourd'hui de dénoncer des lacunes ou des faiblesses.

Le financement de la formation professionnelle s'élève à 24 milliards d'euros, mais je n'entrerai pas dans le détail de sa répartition.

La réforme de l'apprentissage de 2005 s'est traduite par des prélèvements accrus et théoriquement mieux ciblés sur l'apprentissage. Il n'en reste pas moins que le circuit de cette taxe est particulièrement complexe. Ainsi, est-il désormais partiellement dirigé vers des régions fortement responsabilisées dans l'allocation des ressources de l'apprentissage.

Afin de simplifier le fonctionnement des entreprises, ne faudrait-il pas que celles-ci aient la possibilité de choisir librement un seul collecteur délégataire pour la collecte de l'obligation légale et de la taxe d'apprentissage ?

Par ailleurs, des économies d'échelle seraient souhaitables afin que chaque OPCA puisse proposer aux entreprises les services qu'elles sont en droit d'attendre, à commencer par une présence à l'échelon local. Par conséquent, ne serait-il pas utile de suggérer un mouvement de concentration des quatre-vingt-dix-huit OPCA ?

Avant de conclure, je tiens à évoquer le problème de la gouvernance. Sous le régime de la loi portant organisation de la formation professionnelle continue dans le cadre de l'éducation permanente du 16 juillet 1971, la gouvernance de la politique de formation continue était assurée par l'État et les partenaires sociaux. La décentralisation engagée à partir de 1983 a ensuite fait émerger un nouvel acteur, la région. Après quelque vingt-cinq ans de décentralisation, peut-on estimer, à l'instar de Jacques Delors, initiateur de la loi de 1971, qu'il n'y a plus de pilote dans l'avion ?

Dans leurs relations avec l'État, les régions sont confrontées en amont aux impératifs de l'éducation nationale. Alors même qu'elles ont acquis des responsabilités croissantes dans le champ de l'enseignement, notamment pour la construction, l'équipement, l'accueil, l'entretien des lycées, elles se voient imposer la carte des formations professionnelles, ce qui se traduit par un défaut de rationalité. Parallèlement, elles doivent réaliser avec les partenaires sociaux la difficile conciliation entre logique territoriale et logique de branche, sans qu'une réelle structuration du dialogue social à l'échelon régional existe à l'heure actuelle.

Surgissent également des difficultés d'articulation avec d'autres collectivités territoriales, comme les départements, surtout depuis la loi du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité.

Ces constats conduisent à distinguer trois échelons, l'État, la région, le département dans lequel se trouve le bassin d'emploi. Dans cette optique, il me semble élémentaire de rappeler que l'État doit veiller à la stricte égalité entre les différents points du territoire. Aux régions appartient la mise en cohérence des politiques de formation professionnelle et de leurs acteurs. À cette fin, il faut faire du plan régional de développement des formations professionnelles l'instrument de la stratégie globale de fondation à l'échelon régional, en associant à son élaboration l'ensemble des parties concernées.

Je conclurai mon propos en citant une dernière fois la réponse qui m'a été adressée : « La réforme de la formation professionnelle [...] fait partie des objectifs assignés par le Président de la République [...]. L'idée essentielle est de permettre "que chaque Français ait la possibilité, à tout moment de sa vie professionnelle [...], de suivre une formation suffisamment longue pour lui permettre de changer de métier, de filière ou de qualification." La refonte des politiques de formation professionnelle constitue donc un chantier important pour 2008. Cette réforme devra prendre en compte les résultats des négociations des partenaires sociaux sur la modernisation du marché du travail et la sécurisation des parcours professionnels. »

Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite que ma contribution, qui s'ajoute aux conclusions de la mission présidée par Jean-Claude Carle, que j'approuve, permette au Gouvernement de faire en sorte que cette politique de formation qu'il veut fermement élaborer ou parfaire devienne réalité, pour une meilleure santé de l'emploi. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au moment même où notre pays s'interroge non seulement sur ce que seront ses retraites mais aussi sur la durée du temps de travail, l'avenir de la formation professionnelle en France est une question essentielle.

À ce sujet, réjouissons-nous que le budget de la recherche connaisse une augmentation, mais surtout qu'il se situe dans une perspective de croissance.

Je remercie en particulier notre collègue et ami, Jean-Claude Carle, d'avoir permis l'organisation de ce débat ce matin au sein de notre assemblée. D'ailleurs, la vie n'est-elle pas une formation permanente, toujours inachevée ? (M. Gérard Larcher acquiesce.)

En effet, la formation professionnelle est un élément clé dans l'identité de notre pays. Elle permet aussi de mettre en exergue une question importante, liée directement à notre capacité de préparer l'innovation. Elle constitue même le fondement de la progression de notre croissance et de l'augmentation du produit intérieur brut.

Innover, c'est développer nos richesses ; former, c'est s'y préparer. Ne faut-il pas penser comme Albert Camus, selon qui « la vraie générosité envers l'avenir consiste à tout donner au présent » ?

Oui, la formation professionnelle en France est un point d'ancrage fondamental au service de l'avenir de toutes les générations. La formation professionnelle n'a pas d'âge ; elle n'a pas non plus de couleur, d'étiquette ou de sexe. Au contraire, elle a son importance tout au long de la vie. Elle constitue la capacité de tout être humain de savoir progresser et avancer. C'est l'oxygène de la vie, le poumon de la réussite.

Avec l'apparition des nouvelles technologies de l'information et de la communication, grâce aux progrès et aux évolutions constantes de notre société, la formation professionnelle devient un investissement constructif pour l'avenir, je dirai même un placement pour demain.

L'annonce récente de modifications de la formation professionnelle, au niveau des séries du CAP mais aussi du BEP, et les débouchés de ce dernier vers un baccalauréat professionnel, n'en finit pas de susciter de nombreuses interrogations.

La suppression à terme du BEP pose, en effet, question. Ne serait-il pas opportun de maintenir des passerelles entre l'apprentissage professionnel, les CAP, et l'objectif de valorisation de son parcours de formation par un baccalauréat professionnel ? Si tel n'est pas le cas, les jeunes qui ne pourront prétendre qu'à la seule formation issue des certificats d'aptitude professionnelle n'auront plus les moyens d'espérer progresser dans leur filière.

S'agissant des formations par apprentissage, il est capital de maintenir les partenariats mis en place par les établissements d'enseignement supérieur avec les entreprises et qui permettent à chaque jeune, ou moins jeune, de construire un véritable projet professionnel lui offrant la possibilité non seulement de s'exprimer, mais aussi de progresser.

Les partenaires s'engagent vis-à-vis de ces jeunes pour les aider à s'insérer dans le monde professionnel grâce à une pédagogie adaptée. Le système peut leur offrir une réelle opportunité d'ascension sociale et d'intégration professionnelle.

Oui, nous le savons tous, l'apprentissage est un véritable outil d'insertion professionnelle, particulièrement bien adapté aux jeunes qui sont à la recherche d'une pédagogie différente.

À cet égard, l'alternance est un instrument pédagogique remarquable, car elle permet une confrontation permanente entre les acquisitions théoriques et leur mise en oeuvre au sein de l'entreprise. De l'abstrait, on passe au concret ; il n'y a plus d'obstacle, plus de frontière entre l'apprentissage théorique et l'apprentissage pratique. L'apprenti peut ainsi prendre conscience progressivement de la complexité des fonctions qu'il aura à assumer dans le cadre de son futur métier.

De plus, ne l'oublions pas, la formation générale, et plus particulièrement les formations en alternance, peuvent jouer un rôle important en ce qui concerne la valorisation de la recherche et de l'innovation au plus près des entreprises. Cette proximité est une richesse.

Ainsi, dans le cadre du processus d'accompagnement, les apprentis peuvent faire appel aux laboratoires des écoles pour les problématiques technologiques et scientifiques comme pour celles qui sont liées aux évolutions organisationnelles. Cela répond à la demande croissante exprimée par les entreprises en matière d'innovation. L'apprentissage est donc, plus que jamais, au coeur de la formation professionnelle.

Nous le savons tous, les formations par apprentissage sont sous la responsabilité des régions ; ce fait a été relevé à de multiples reprises ce matin. Le financement de ces formations se répartit entre les régions, qui ont tendance à privilégier les formations de niveau inférieur, la taxe d'apprentissage et, enfin, l'établissement de formation lui-même.

Pour permettre à plus de jeunes et d'entreprises de bénéficier de cet outil remarquable, il serait opportun de mieux aider les établissements, notamment en les dotant d'enseignants directement affectés aux missions de formation et d'accompagnement.

Comme vous le savez, monsieur le secrétaire d'État, les enseignants doivent être des précurseurs en matière d'innovation ; ils doivent être à l'avant-garde de cette évolution. Encourageons-les et donnons-leur les moyens de cette ambition. Ne serait-il pas judicieux qu'ils échangent davantage avec le monde de l'entreprise ?

Pour les territoires, aider les petites et moyennes entreprises à innover est un enjeu essentiel, notamment pour la croissance de demain. Cela impose aux établissements d'enseignement supérieur de mettre en place une démarche structurée s'appuyant sur les réseaux de PME. Coûteuse en temps, cette démarche doit être pragmatique et proche du terrain. Elle impose de connaître le tissu industriel du territoire, d'entretenir une relation privilégiée avec les entreprises, mais aussi de détecter leurs problématiques, tout en les accompagnant dans leur résolution.

Votre écoute permanente, votre attention, monsieur le secrétaire d'État, permettront, j'en suis sûr, d'éclairer l'avenir de la formation professionnelle, indispensable à la construction de l'identité de chaque homme. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Mesdames, messieurs les sénateurs, au terme de ce débat, je veux vous indiquer à quel point j'ai apprécié vos interventions, qui ont toutes été très intéressantes. En effet, je ne crois pas qu'une seule voix dissonante se soit élevée à propos du diagnostic posé par la mission commune d'information présidée, avec talent, par Jean-Claude Carle et dont le rapporteur était M. Bernard Seillier. Cet accord est un premier élément essentiel.

Pour autant, faut-il penser que tout est réglé ? Je ne le crois pas. Mon activité parlementaire a occupé quelques années de ma vie ; c'est ainsi que je me souviens d'un rapport d'une commission d'enquête parlementaire de l'Assemblée nationale, diffusé dans les années quatre-vingt-dix, qui avait retenu nombre de mots qui sont repris aujourd'hui par la mission commune d'information du Sénat.

Établir un diagnostic aussi clair et complet que celui qui fait l'objet de notre présent débat ne suffit pas ; il faut aussi avoir une vision précise des propositions qui doivent maintenant être mises en oeuvre. De ce point de vue, j'ai beaucoup apprécié la conclusion de Jean-Claude Carle relative à la volonté politique de faire en sorte qu'une fois pour toutes, dans notre pays, la formation professionnelle initiale ou continue soit l'un des éléments permettant à nos concitoyens de relever le défi de la mondialisation, autrement dit le défi de l'adaptation. Il convient en effet que les salariés de notre pays, comme les personnes qui sont aujourd'hui privées d'emploi, puissent, grâce à une formation professionnelle particulièrement efficace, s'adapter au monde actuel, qui bouge.

Comme vous le savez, atteindre le plein-emploi d'ici à 2012 constitue, pour le Gouvernement, l'une des principales priorités de la mandature, conformément aux engagements pris par le Président de la République.

En cet instant, je veux vous prier, mesdames, messieurs les sénateurs, d'excuser l'absence de Christine Lagarde, que certains intervenants ont relevée. Ma collègue aurait été très heureuse de participer à ce débat, mais, malheureusement, elle défend en ce moment même, devant l'Assemblée nationale, le projet de loi instaurant la fusion entre l'ANPE et l'UNEDIC, que vous avez adopté voilà quelques jours. Quoi qu'il en soit, je vais essayer de répondre aux différentes questions que vous avez posées.

Tout d'abord, Christine Lagarde et moi-même allons tout mettre en oeuvre pour atteindre l'objectif du plein emploi d'ici à 2012. Je veux vous donner quelques raisons de penser que cet objectif est tout à fait atteignable. La baisse continue du chômage depuis deux ans, qui s'est accélérée au troisième trimestre de l'année 2007 - nous sommes passés sous le seuil symbolique des 8 %, au sens du Bureau international du travail, le BIT, et des 2 millions de chômeurs inscrits en catégorie 1 à l'ANPE -, montre que la tendance est bonne.

Ce mouvement va se poursuivre, j'en suis convaincu. Les transformations à l'oeuvre sur le marché du travail, qui tiennent à la fois à une dynamique retrouvée de création d'emplois et à une situation démographique particulière, nous offrent une opportunité historique de sortir durablement de trois décennies de chômage de masse.

Les chiffres officiels de l'INSEE relatifs à la création d'entreprises pour l'année 2007 vont être rendus publics dans quelques heures ; cette création participe de la vitalité économique et de la création d'emplois. Selon les chiffres provisoires de l'Agence pour la création d'entreprises, qui seront très peu différents de ceux de l'INSEE, en 2007, tous les records en la matière auront été battus, y compris celui, historique, de 2006, qui s'établissait à 282 000. Ainsi, ce sont près de 322 000 entreprises qui auront été créées l'an dernier.

Nous le constatons : aujourd'hui, notre pays se trouve dans une phase de vitalité entrepreneuriale qui, j'en suis convaincu, va encore s'accélérer. Christine Lagarde et moi-même élaborons en ce moment un projet de loi sur l'entreprise et l'entrepreneur, qui s'attachera à parfaire les importants dispositifs adoptés au cours de la mandature précédente, dans le cadre des deux lois pour l'initiative économique.

Ce projet de loi visera à faciliter la création d'activité, sans pour autant que l'entrepreneur soit obligé de créer une entreprise sous forme de société. Il instaurera l'auto-entrepreneur, qui pourra procéder à une création sur papier simple, puis arrêter ou renouveler son activité selon un statut très simplifié, notamment en matière de forfaitisation de charges sociales et fiscales. Il faut, en effet, que les procédures soient beaucoup plus simples Des dispositions concerneront également la transmission des petites et moyennes entreprises, ainsi que les délais de paiement.

Cet ensemble contribuera encore, je l'espère, à donner des opportunités de création d'emplois pour ceux qui en ont besoin. En effet, dans les années à venir, il faut s'attendre à de profondes modifications du marché de l'emploi. D'ores et déjà, chaque jour, quelque 30 000 emplois sont créés ou détruits en France.

L'économie va poursuivre sa tertiairisation aux deux extrêmes de l'échelle des qualifications. C'est ainsi qu'il y aura davantage d'emplois qualifiés de niveau « cadre » dans l'informatique, le commerce et les services aux entreprises, mais aussi, avec le vieillissement de la population, plus d'emplois moins qualifiés dans le secteur des services à la personne. Aujourd'hui, ce dernier connaît une réelle dynamique, qu'il s'agisse des aides à domicile, des employés de maison, des assistantes maternelles et des agents d'entretien. Tous ces emplois constituent une extraordinaire opportunité pour faciliter les mutations économiques que ce marché enregistre.

En ajoutant les emplois libérés par les départs en retraite aux créations nettes d'emplois, on peut estimer les besoins de main-d'oeuvre à environ 750 000 par an jusqu'en 2015, alors que la population active devrait se stabiliser d'ici à quelques années, d'après les dernières projections de l'INSEE.

Ces besoins vont renforcer encore plus les tensions actuellement observées en matière de recrutement ; c'est une réalité. Plusieurs centaines de milliers d'offres d'emplois ne sont pas pourvues, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs. On cite le chiffre de 500 000. Des tensions importantes sont enregistrées dans l'hôtellerie et la restauration, les services financiers et informatiques, la santé et l'action sociale.

En dépit du nombre d'actifs disponibles sur le marché du travail, ces déséquilibres ne se résorberont pas tout seuls, d'abord et surtout, parce que les profils recherchés ne correspondent pas toujours aux profils disponibles ; ensuite, parce que les métiers en tension sont souvent perçus, à tort ou à raison, comme peu attractifs. Le risque est donc grand de voir coexister durablement chômage et tensions dans certains secteurs ou territoires. Tel est tout le paradoxe de la situation actuelle.

Tout l'enjeu va consister, dans les années à venir, à prolonger ce flux important de créations d'emplois, de préférence durables et de qualité, ce qui suppose que nous ayons une croissance dynamique, grâce aux réformes structurelles, et que nous soyons en mesure de pourvoir à ces emplois, grâce à un système de formation capable de répondre aux nouveaux besoins de qualification et à des règles sécurisant les parcours professionnels pour accompagner les transitions.

C'est parce que ce défi est considérable que le Gouvernement entend réformer profondément le marché du travail, et ce autour de trois piliers.

L'accord des partenaires sociaux du 11 janvier dernier constitue le premier pilier. Il s'agit là d'un point très important ; de nombreux orateurs, y compris M. de Montesquiou, l'ont noté. Le pari du Gouvernement, en confiant aux partenaires sociaux des sujets difficiles - le contrat de travail, la formation continue tout au long de la vie professionnelle -, dans des délais contraints du fait de l'urgence, est en passe d'être gagné.

La réforme du service public de l'emploi est le deuxième pilier, avec, notamment, la fusion de l'ANPE et des ASSEDIC, mais aussi, comme l'a réaffirmé ici Mme Christine Lagarde, le rôle renforcé des maisons de l'emploi - créées sous l'impulsion de M. Gérard Larcher, dont je salue la présence -, afin de rendre notre dispositif d'intermédiation plus efficient.

Le troisième pilier, ce doit être la réforme de la formation professionnelle. Après l'accord des partenaires sociaux en janvier et la loi sur la fusion de l'ANPE et des ASSEDIC de février, je suis convaincu qu'une première étape importante de la réforme de la formation professionnelle sera franchie dès le mois de mars.

En effet, conformément à l'agenda social défini par le Président de la République, Mme Christine Lagarde va mettre en place dans les tout prochains jours, le 31 mars au plus tard, un groupe de travail sur la formation professionnelle continue, réunissant l'État, les partenaires sociaux et les régions.

C'est un élément très important. Ce groupe de travail sera chargé, en effet de clarifier les priorités stratégiques en matière de formation professionnelle et d'établir un partage clair entre, d'une part, les sujets à traiter par la négociation collective et, d'autre part, ceux qui feront l'objet d'une réforme législative, prévue avant la fin de l'année.

Ce travail devra permettre de fixer les objectifs et de dégager des premières orientations. Il ne s'agira pas de refaire, une nouvelle fois, le diagnostic de la situation. J'ai rappelé les travaux précédents qui ont été menés, mais je tiens à saluer, une nouvelle fois, le travail remarquable qui a été accompli par la mission d'information sénatoriale. J'en profite pour décerner, monsieur le président, un satisfecit à la Haute Assemblée, car nombre de ses rapports d'information nourrissent les réflexions et les travaux du Gouvernement.

La mission commune d'information sur le fonctionnement des dispositifs de formation professionnelle, que M. Carle a présidée et dont M.  Seillier était le rapporteur, a effectué un travail considérable et très riche d'enseignements. Ce travail n'est pas à refaire, il est plutôt une base de départ.

Avec Christine Lagarde, nous avons d'ores et déjà tiré plusieurs convictions, à partir du diagnostic établi et des questions soulevées dans ce rapport.

Je reviendrai en quelques mots sur le diagnostic, sans trop m'y attarder, tant il a été unanimement partagé.

La formation professionnelle continue est aujourd'hui au coeur de la préoccupation de nombreux salariés et demandeurs d'emploi, comme elle est au coeur du débat public. Les attentes en la matière n'ont probablement jamais été aussi fortes.

Il faut, en effet, pouvoir offrir à ceux qui entrent sur le marché du travail une qualification solide et adaptée aux offres d'emploi. II faut également donner à ceux qui sont sur le marché du travail accès à une formation qui leur permette de s'adapter à des organisations du travail en forte évolution.

Vous le savez, je n'y insisterai donc pas : selon nous, la réponse à la mondialisation, c'est l'adaptation, et l'une des clés de cette adaptation, c'est la formation professionnelle, initiale ou continue.

L'efficacité du système de formation professionnelle continue constitue, de toute évidence, un élément central de la sécurisation des parcours pour les salariés et les demandeurs d'emploi - cela a été rappelé unanimement ici -, un enjeu de productivité et de gestion des compétences pour les entreprises et un facteur plus global de compétitivité pour notre économie.

Les critiques à l'égard du système actuel sont nombreuses. J'ai relevé, monsieur Carle, une formule qui court tout au long de votre rapport, et prouve votre sens de la synthèse sémantique, celle des « trois C » : complexité, cloisonnement, corporatisme. Ainsi se trouve bien résumé l'ensemble des critiques que l'on peut formuler à l'égard de notre système.

Les dépenses au titre de la formation professionnelle sont très élevées - les uns et les autres l'ont noté - puisqu'elles s'élevaient, en 2005, à plus de 25 milliards d'euros, qu'elles aient été consenties par les entreprises, l'État, les régions ou l'UNEDIC, notamment.

Il est un exemple particulièrement significatif du fait que cela ne va pas bien : sur les 25 milliards d'euros dépensés en 2004 pour la formation professionnelle continue, seulement 3,7 milliards d'euros ont bénéficié aux demandeurs d'emploi. Cela doit attirer notre attention. Le premier, le Président de la République a déploré que les sommes consacrées à la formation professionnelle n'aillent pas à ceux qui en ont le plus besoin. Quel chiffre est plus parlant que celui-là ? Je voulais le citer devant vous.

Les facteurs explicatifs sont nombreux, nous les connaissons et vous les avez rappelés, mesdames, messieurs les sénateurs : d'abord, la déconnection encore forte entre le segment « salariés » et le segment « actifs inoccupés » du système, et le cloisonnement des financements au-delà même de ces deux segments ; ensuite, la complexité de la gouvernance et l'enchevêtrement des responsabilités ; encore, l'insuffisance de la coordination, notamment entre les financeurs ; enfin, des logiques potentiellement concurrentes, avec, d'un côté, une logique sectorielle et, de l'autre, une logique territoriale.

Certes, le système français de formation professionnelle a fait l'objet de plusieurs réformes ces dernières années, mais on sent bien qu'il est aujourd'hui à bout de souffle, et qu'il faut maintenant s'atteler à sa refonte, pour en faire un élément fort de la compétitivité indispensable que nous devons donner à notre économie.

Il convient donc de réformer ce système en travaillant autour de quatre axes : la construction et l'actualisation des compétences tout au long de la vie professionnelle, l'optimisation des financements et circuits de financement de la formation professionnelle, le renforcement de la logique territoriale du système de formation professionnelle, l'accès des très petites entreprises et de leurs salariés à la formation.

Vous le voyez, monsieur Carle, nous n'avons pas fait preuve d'une grande originalité, mais pourquoi être original à tout prix, lorsque l'on dispose d'éléments aussi pertinents que ceux que nous a fournis la mission commune d'information ?

Le premier axe, c'est la construction et l'actualisation des compétences tout au long de la vie professionnelle.

L'accès de tous les salariés à des formations de courte durée sera progressivement garanti par la généralisation du droit individuel à la formation, le DIF. En revanche, il n'existe pas, actuellement, pour un individu, de possibilités indépendantes de son statut de faire valoir un projet de formation lié à un souhait ou une nécessité d'évolution professionnelle.

Il n'existe pas davantage de lieu clairement identifié où un adulte peut se faire aider dans la conception d'un tel projet.

Enfin, il n'existe pas non plus de garanties pour l'individu sur la qualité de l'organisme de formation auquel il s'adresse.

Dans le prolongement de la réforme de 2004 créant le DIF, le Gouvernement a d'ores et déjà indiqué son attachement à ce que soit mis en oeuvre un compte épargne-formation. L'accord interprofessionnel du 11 janvier dernier, qui prévoit la portabilité des droits à la formation professionnelle, va d'ores et déjà dans ce sens.

Il nous faut aller plus loin et être concrètement les porteurs de la création de ce compte épargne-formation. Comme vous l'avez très bien dit dans votre rapport, monsieur Carle, passer d'une logique de statut à une logique d'individu est primordial.

Parallèlement, la responsabilisation des personnes et l'individualisation accrue de la démarche de formation doivent être accompagnées. Deux points semblent importants à cet égard : comment faciliter le conseil en évolution professionnelle pour tous les adultes, notamment par l'analyse des mobilités potentielles ? Comment s'assurer de la qualité de l'offre de formation ?

Nous avons toute latitude pour pouvoir le faire grâce aux propositions que vous avez formulées, et qui ont été reprises sur d'autres travées de cette assemblée, s'agissant de l'évaluation : 25 milliards d'euros sans évaluation, comment peut-on continuer ainsi ? Il y a là matière à réflexion et à action.

Enfin, il sera certainement nécessaire de réfléchir aux moyens de compléter la logique de capitalisation des droits par des dispositifs de mutualisation des ressources et d'abondements éventuellement complémentaires au profit de bénéficiaires prioritaires.

Le deuxième axe de la réforme, c'est l'optimisation des financements et circuits de financement de la formation professionnelle. Je ne reviens pas sur l'inefficience du système, mais il est clair qu'un plus grand décloisonnement des financements de la formation professionnelle est sans doute souhaitable. Dans le rapport sénatorial sont très directement posées la question de la pertinence du système de l'obligation légale de dépense sur le plan de formation et celle de la réorganisation de la collecte des fonds de la formation professionnelle et du regroupement des organismes paritaires collecteurs agréés, les OPCA.

De ce point de vue, monsieur Mouly, nous partageons votre avis : la simplification passe certainement par le regroupement d'un certain nombre d'OPCA. C'est en tout cas une question vraiment importante, si nous voulons renforcer l'efficacité - ce ne sera pas trop difficile ! - du système actuel.

Le troisième axe, c'est le renforcement de la logique territoriale du système de formation professionnelle ; les uns et les autres, vous avez beaucoup insisté sur ce point. De nombreuses institutions - ministères, conseils régionaux, partenaires sociaux, chambres consulaires - interviennent auprès des individus et des entreprises afin de favoriser le développement des compétences et des qualifications, mais de manière trop cloisonnée.

Un consensus existe aujourd'hui pour dire que l'articulation entre les différentes institutions intervenant dans le domaine de la formation professionnelle devrait se faire à l'échelon régional. C'est certainement le niveau d'efficacité adéquat. Encore faut-il que l'État puisse jouer son rôle. Il a été rappelé sur certaines travées de cette assemblée, y compris par Mme Demontès, qu'il est le seul à pouvoir assurer la nécessaire fonction d'équité et de péréquation du système.

La définition des règles de gouvernance et de financement de la formation professionnelle, associant l'ensemble des acteurs à la définition des objectifs, à la programmation des moyens et à l'organisation efficace des circuits de financement, reste un objectif à atteindre, malgré la multiplication des outils, ou à cause d'elle : plan régional de développement de la formation professionnelle, contrat d'objectifs territoriaux, contrats d'objectifs et de moyens, conférence des financeurs, comité de coordination régional de l'emploi et de la formation professionnelle, ce foisonnement renforce la complexité dénoncée dans le rapport.

La question centrale est de savoir comment articuler les actuelles logiques sectorielles de branche avec des logiques territoriales régionale - c'est tout l'enjeu du défi qui nous est lancé, - afin de mieux répondre aux besoins des territoires, des entreprises et des individus.

Il faudra déployer des outils de prospective pour mieux articuler la formation professionnelle et les besoins actuels et futurs du territoire, dans un contexte de tensions croissantes sur le marché du travail, et associer les différents financeurs, par exemple dans le cadre d'un éventuel fonds régional mutualisant les financements.

Le quatrième axe de la réforme - j'y suis particulièrement sensible, en tant que responsable des entreprises, notamment des PME -, ce pourrait être l'accès des très petites entreprises et de leurs salariés à la formation.

Les uns et les autres l'ont rappelé : on constate une inégalité choquante, dans le système actuel, ceux qui en ont le plus besoin, notamment les salariés des petites ou des très petites entreprises, se voyant les moins bien pourvus en matière de formation.

Les difficultés d'accès des TPE à la formation sont un problème récurrent que les réformes engagées n'ont pas permis de réduire.

D'une part, la complexité de l'organisation de la formation et le peu de transparence du marché rendent nécessaire l'exercice d'une fonction de conseil, voire d'intermédiation, aujourd'hui inégalement disponible.

D'autre part, les modes d'organisation du travail dans ces entreprises nécessitent de recourir à des formes différentes d'acquisition des compétences qui se démarquent de la forme traditionnelle du stage. Une piste consisterait à développer véritablement un service de conseil de proximité auprès des très petites entreprises.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les réponses que je voulais vous apporter. Vous avez accompli un travail considérable ; je vous remercie, car la contribution de chacun d'entre vous au débat m'a intéressé. Je prie ceux d'entre vous auxquels je n'ai pas pu répondre complètement de m'en excuser.

La tâche est immense, à la hauteur des enjeux : il s'agit de faire de notre appareil de formation initiale ou continue l'un des atouts majeurs de la France pour s'adapter à la mondialisation, qui peut être une chance, si nous savons la saisir. Grâce à cette réforme que nous allons mettre en chantier, et qui aboutira en 2008, nos structures seront aptes à relever ce défi qui nous est aujourd'hui lancé. (Applaudissements.)

M. le président. Nous en avons terminé avec cette question orale.

7

Nomination d'un membre de la délégation du Sénat pour l'Union européenne

M. le président. Je rappelle que le groupe de l'Union pour un mouvement populaire a proposé une candidature pour la délégation du Sénat pour l'Union européenne.

La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure.

En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Josselin de Rohan membre de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à midi, est reprise à seize heures, sous la présidence de Mme Michèle André.)

PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

8

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer la santé au travail des salariés et à prévenir les risques professionnels auxquels ils sont exposés
Discussion générale (suite)

Santé au travail des salariés et risques professionnels

Adoption des conclusions négatives du rapport d'une commission

(Ordre du jour réservé)

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi de Mme Michelle Demessine et des membres du groupe communiste républicain et citoyen visant à améliorer la santé au travail des salariés et à prévenir les risques professionnels auxquels ils sont exposés (nos 47, 167).

La parole est à Mme Michelle Demessine, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer la santé au travail des salariés et à prévenir les risques professionnels auxquels ils sont exposés
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Mme Michelle Demessine, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, cette proposition de loi impose solennité, voire gravité.

Vous me permettrez de placer toutes les victimes de l'amiante au coeur de ce propos; celles qui, exposées à cette terrible matière, ont été prématurément emportées ; celles dont le combat quotidien a su attirer l'attention des citoyens et des pouvoirs publics, et même de la nation tout entière.

Je pense aux veuves de Dunkerque, qui, mois après mois, année après année, se sont mobilisées pour dénoncer le sort réservé à celles et à ceux dont le travail a conduit à une issue fatale ; tout le monde le sait maintenant. Pourtant, en ce début d'année 2008, si ces veuves courage envisagent de reprendre leur marche mensuelle, c'est que, plus d'un siècle après les premiers constats, justice est loin d'être rendue aux victimes de cet or blanc.

Je pense aux salariés d'Alstom, d'Eternit, des chantiers navals, de l'industrie automobile et de tant d'autres branches professionnelles. Malades, angoissés, en souffrance, ils poursuivent le difficile combat pour la connaissance, la reconnaissance, la prévention et la réparation des maladies professionnelles. Je veux dire mon émotion, mon admiration, en ce jour, pour ces hommes et ces femmes !

Toutefois, c'est l'effroi qui me gagne lorsque je songe aux quatre cents femmes et hommes, qui, chaque année, sous la pression de leurs conditions de travail, se suicident sur leur lieu de travail. Quatre cents, mes chers collègues ! Ainsi, quatre cents familles sont anéanties parce que les nouvelles formes de pénibilité au travail dépassent l'acceptable et que le sens de la vie se vide de toute perspective !

Je pense aux travailleurs précaires, aux femmes contraintes au temps partiel, aux intérimaires et aux salariés de la sous-traitance exclus des procédures de prévention des risques professionnels.

Je pense, enfin, aux 25 000 salariés atteints d'un cancer d'origine professionnelle non reconnue, qui devront subir, en plus, l'indignité de l'oubli.

Oui, mes chers collègues, loin d'être exhaustive, cette liste est déjà longue, mais elle est incontournable ! Elle pointe les conséquences humaines et sociales engendrées par la libéralisation de l'économie, des conséquences que nul ne peut ignorer sur la santé de millions de travailleurs, en France bien sûr, mais également, vous le savez bien, mes chers collègues, dans le monde entier.

Les considérations partisanes ne sont plus de mise, car, depuis que nous avons été associés, en 2005, aux travaux d'analyse et de réflexion de la mission d'information conduite par le Sénat, nous parlons tous ici du « drame de l'amiante ». De plus, fait essentiel, nous étions tous d'accord pour en conclure que le lobby de l'industrie de l'amiante portait une responsabilité, lourde et irréfutable, dans l'ampleur du désastre.

Il a été également établi que les pouvoirs publics, l'État et le législateur portent leur part de responsabilité dans la mesure où ils n'ont pas été, eux non plus, à la hauteur du drame, et ce depuis 1906 ! Interdiction tardive, reconnaissance aux expositions restrictive, réparation relevant de procédures d'exception, sous-estimation continue des victimes potentielles, architecture de prévention et de contrôle largement insuffisante, et j'en passe.

Nous le savons, l'amiante sera responsable de 100 000 morts d'ici à 2025, mais nous savons aussi qu'il était possible de limiter, voire d'éviter une telle catastrophe.

Pourtant, où en sommes-nous aujourd'hui ? De quelles avancées pouvons-nous nous prévaloir aux yeux des victimes, aux yeux de celles et de ceux qui produisent l'essentiel de notre richesse nationale au prix de leur santé ?

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne me rangerai pas du côté de ceux qui, portés par une certaine quiétude, prétendent que l'hypermodernité rime forcément avec progrès humains et sociaux. Les dernières études relatives aux conditions de travail montrent que la situation est grave, et qu'elle s'aggrave même !

Si nous nous penchons un instant sur les mesures et les engagements gouvernementaux relatifs à la santé au travail, nous ne pouvons que constater une fois encore qu'il est toujours aussi urgent d'attendre...

Le plan Santé au travail lancé en 2005, fort d'une ambition qui, il faut le souligner, avait été saluée par le monde syndical, piétine laborieusement faute de moyens et de volonté politique assumée. S'attaquer à l'organisation du travail, qui est non seulement la source indispensable de la profitabilité capitaliste, mais également la cause irréfutable de la dégradation de la santé des salariés, nécessite, il est vrai, une vision sans compromis et, surtout, un engagement déterminé et courageux.

À ce jour, les alertes relatives au développement des troubles musculo-squelettiques, aux risques psychosociaux et à l'exposition aux produits cancérogènes continuent d'affluer et le plan continue, lui, de planifier !

Notre médecine du travail agonise. Elle meurt du manque de praticiens, du manque scandaleux d'indépendance et de l'inertie des pouvoirs publics et du patronat. Et pourtant, la preuve est faite qu'il nous faut une médecine du travail de première ligne, pleinement actrice de la prévention sur le terrain !

L'AFSSET, l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, l'INRS, l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, l'INERIS, l'Institut national de l'environnement industriel et des risques, l'InVS, l'Institut de veille sanitaire, toutes ces parties prenantes dans le dispositif d'expertise publique, de veille scientifique et technologique le clament : le défaut de moyens scientifiques, de lisibilité et de coordination règne dans nos instances de prévention des risques professionnels. L'État n'assure toujours pas la cohérence d'ensemble !

Nous sommes à la traîne s'agissant du nombre de toxicologues et de chercheurs en santé travail. Et que dire du nombre d'inspecteurs : 460 inspecteurs du travail face à plus de 1,5 million d'entreprises et à plus de 15 millions de salariés ! Cela témoigne du peu de soutien gouvernemental à l'égard d'une instance censée garantir la protection des salariés contre les dangers auxquels ceux-ci sont exposés au travail.

Je ne suis pas plus rassurée face à la récente recodification du code du travail, qui tend à mettre sur un pied d'égalité les responsabilités des employeurs et celles des salariés en matière d'hygiène et de sécurité au travail.

Ce tableau peu reluisant de la réalité du travail est, je vous l'accorde, mes chers collègues, rapidement brossé. Mais la question qu'il pose est claire : dans ce xxie siècle que certains présentent comme celui de l'information et de la culture, notre pays s'est-il réellement doté d'un système qui garantisse à chacun la santé au travail ? L'actualité des suicides, les suites épouvantables de l'exploitation de l'amiante, les prévisions inquiétantes relatives à l'utilisation des éthers de glycol, l'exposition aux agents cancérogènes mutagènes reprotoxiques, ou CMR, la précarisation massive sous couvert de flexibilité ne nous engagent pas, pour notre part, à répondre par l'affirmative.

Pourtant, le travail est l'une des composantes majeures et déterminantes de notre société. Le travail fait société ! En tant que tel, le travail - les conditions de travail - façonne fondamentalement et durablement nos civilisations contemporaines. C'est pourquoi le groupe CRC s'est attaché à considérer la santé au travail dans sa globalité et selon la définition retenue par l'OMS, l'Organisation mondiale de la santé : la santé est « un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. »

Venons-en au texte que Roland Muzeau et moi-même, ainsi que l'ensemble des sénateurs du groupe CRC, avons élaboré à partir d'un travail de terrain et après une grande concertation.

Notre proposition de loi, certes perfectible, comprend cinquante-trois articles, organisés en huit titres. Elle a pour ambition de lever nombre d'obstacles à la construction d'une politique de prévention de tous les risques professionnels, de répondre aux impératifs de la santé au travail et de nourrir le débat sur le sens à donner au travail dans notre société dite de progrès.

Nous considérons que la branche accidents du travail et maladies professionnelles, dite branche AT-MP, a pour rôle central de promouvoir et de mettre en oeuvre tous les moyens en matière de prévention des risques professionnels. Le titre Ier tend à renforcer significativement cette mission, en faisant de la prévention des risques professionnels et de l'organisation de la santé au travail la clé de voûte des engagements de la branche.

Ainsi, l'article 1er confère à cette branche un budget « prévention » digne de ce nom, portant à 10 % au moins le prélèvement sur les cotisations dues au titre des AT-MP en faveur du Fonds national de prévention des accidents du travail et maladies professionnelles.

S'agissant de la tarification, l'IGAS, l'Inspection générale des affaires sociales, affirme que le dispositif actuel ne contribue pas à réduire les risques professionnels. C'est notamment le calcul des cotisations qui est en cause, sans oublier les multiples exonérations de cotisations sociales employeurs.

Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, nous avons obtenu que les cotisations au titre des AT-MP soient exclues des exonérations. Les articles 2 et 3 de notre proposition de loi visent à poursuivre cette démarche en conditionnant les autres exonérations de charges au respect des règles d'hygiène et de sécurité ; les sommes devront être remboursées en cas d'infractions graves et répétées.

Quant aux articles 4 et 5, ils tendent à renforcer le rôle incitatif de la tarification en ayant recours au système du bonus-malus. Les services des CRAM, les caisses régionales d'assurance maladie, pourront appliquer un supplément de cotisation aux entreprises qui surexposent leurs salariés aux risques et à celles qui exercent systématiquement des pressions et usent de diverses procédures pour entraver la déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, afin que celles-ci assument le coût des AT-MP que de telles attitudes génèrent.

Face au phénomène grandissant d'externalisation des risques de production, les articles 6 et 7 établissent des règles claires et équilibrées, en répartissant par moitié le coût de l'accident du travail et des maladies professionnelles entre l'entreprise donneuse d'ordre et les entreprises de travail temporaire ou sous-traitantes.

S'agissant de la gouvernance de la branche AT-MP au regard des nombreux blocages qui retardent la mise en oeuvre de la démarche de prévention de tous les risques professionnels, qui interdisent l'évolution nécessaire des tableaux des maladies professionnelles et qui nuisent à l'ajustement du niveau des ressources de la branche aux besoins réels de réparation des victimes, nous ne pouvons nous satisfaire de l'accord conclu en avril 2006, tendant à renforcer encore le poids des employeurs à la tête de la commission des accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale.

L'article 8 prévoit donc que cette institution centrale dans la protection des salariés est gouvernée majoritairement aux deux tiers par ceux qui, par leur travail, financent la branche et sont aux premières loges des risques auxquels ils sont exposés.

Dans un arrêt du 28 février 2002, la chambre sociale de la Cour de cassation considère avec force que, « en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat ». Ainsi, face au manque avéré du respect de cette obligation, le titre II vise à préciser et à élargir les obligations des employeurs en matière d'évaluation et de prévention des risques professionnels.

Ainsi, l'article 9 réaffirme l'importance du document unique d'évaluation des risques et indique qu'il doit être transmis aux CHSCT, les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, à l'inspection du travail et aux services des caisses régionales d'assurance maladie. À défaut, une cotisation supplémentaire, voire une sanction pénale, est prévue. Je rappelle pour mémoire que seulement 5 % environ des entreprises remplissent correctement ce document.

S'agissant de l'information et de la formation des salariés à la prévention des risques, et en complément du document unique, les articles 10 et 11 prévoient que l'employeur est tenu de remettre à chaque salarié un livret d'information sur les obligations des employeurs, les droits et devoirs des salariés en matière d'hygiène et de sécurité, les procédures de déclaration des AT-MP, le rôle et les coordonnées des acteurs de la santé au travail. Les articles 12 et 13 étendent ces obligations à l'ensemble des salariés des entreprises sous-traitantes ou intérimaires.

Récemment, un rapport de la DARES, la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, soulignait que « la présence d'un CHSCT réduit le nombre de salariés qui se plaignent de leur travail ». Selon les auteurs, « on peut y voir une marque de l'efficacité du CHSCT pour améliorer les conditions de travail ». En ce sens, l'article 14 tend à conférer à l'inspecteur du travail, pour les entreprises de moins de cinquante salariés, la possibilité d'étendre la compétence d'un CHSCT existant aux entreprises qui constituent une chaîne de sous-traitance ou des risques propres à une zone entière d'activité. Il prévoit également la création de postes de délégué de prévention dans les PME-PMI.

À l'évidence, les salariés sont en première ligne concernant les conditions de travail et il est donc juste qu'ils puissent partir de leur poste de travail en cas de danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé. L'article 15 vise à compléter les dispositions relatives au droit de retrait du salarié et à sanctionner l'employeur qui ne prendrait pas rapidement les mesures nécessaires pour les protéger.

Vous le savez, mes chers collègues, le processus de déclaration des maladies professionnelles est vécu comme un parcours du combattant. Le salarié concerné doit lui-même, de surcroît, arbitrer entre la préservation de son emploi et la protection de sa santé.

Cette situation explique pour partie la sous-déclaration avérée des AT-MP, ce qui n'est pas sans incidences graves pour les victimes, mais aussi pour notre système de protection sociale. Ainsi, la commission instituée par l'article L. 176-2 du code de la sécurité sociale et présidée par Noël Diricq concluait en 2005 dans son rapport à la persistance de ce phénomène particulièrement dommageable pour les finances sociales et dommageable à l'élaboration et à la conduite de la politique de prévention dans ce domaine. C'est pourquoi, dans le titre IV, nous proposons des mesures pouvant être rapidement efficaces pour faciliter la déclaration et la reconnaissance des maladies professionnelles.

Les articles 16 à 18 s'intéressent à la reconstitution des parcours professionnels, aux expositions qu'ils ont pu occasionner et aux suivis médico-sociaux qu'ils nécessitent, par la mise en oeuvre d'un volet spécifique dédié à la santé au travail au sein du dossier médical personnel. Bien sûr, ce volet ne serait accessible qu'aux seuls généralistes.

Afin de garantir la prise en charge effective des victimes, l'article 19 envisage la mise en place, dans chaque CRAM, d'une cellule chargée d'accueillir les victimes, de les informer de leurs droits, de les accompagner dans leurs démarches de reconnaissance et de réparation et, si nécessaire, de procédures pour faute inexcusable de l'employeur. Cette cellule est chargée d'organiser le suivi psychosocial des victimes et de les orienter vers les services médicaux compétents.

Enfin, pour sécuriser réellement le devenir professionnel des victimes d'AT-MP, les articles 20 à 22 visent à réformer le droit de l'inaptitude en joignant à l'obligation de reclassement une obligation de résultat, ce avec un pouvoir renforcé de contrôle des institutions représentatives du personnel et la création d'une allocation compensatrice de perte de salaire jusqu'au reclassement effectif du salarié concerné.

Les infractions répétées et continues au code du travail, aux règles d'hygiène et de sécurité et aux règles spécifiques de protection contre les risques liés à l'amiante ont des conséquences particulièrement graves sur la santé des salariés. Je rappellerai ici, à titre d'exemple, que les contrôles des chantiers de désamiantage ont, selon un rapport du ministère du travail, permis de relever le non-respect de la réglementation dans 67 % des cas !

Le manque de volonté du ministère de la justice de poursuivre les entreprises délictueuses et le caractère peu dissuasif des sanctions en cas d'infraction au code du travail sont à l'origine, nous le savons, de la déresponsabilisation des employeurs sur cette question. Même si le tribunal correctionnel de Lille, par une décision exceptionnelle, a reconnu coupable, en septembre 2006, la société Alstom et son ancien directeur pour mise en danger de la vie d'autrui, il nous a semblé essentiel de consacrer le titre V au renforcement des instruments de la politique pénale relative à l'hygiène et à la sécurité au travail.

Ainsi, l'article 23 tend à sanctionner l'employeur qui se soustrairait à son obligation de remettre au salarié - c'est une situation que nous avons rencontrée plusieurs fois - une attestation d'exposition, ainsi que toute entrave à la procédure de déclaration et de reconnaissance des maladies professionnelles.

Le délit d'exposition d'autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures, prévu à l'article L. 223-1 du code pénal, constitue le pivot de la politique pénale de répression des infractions à la réglementation de sécurité au travail. L'article 24 tend à revoir le niveau des peines en portant la peine d'emprisonnement d'un an, ce qui est dérisoire, à trois ans.

Assimilant la violence industrielle à la violence routière, les articles 25 et 27 retiennent le principe de majoration des peines encourues par les employeurs coupables d'atteintes involontaires à l'intégrité de la personne.

L'article 26 vise à étendre la sanction prévue à l'article L. 222-19 du code pénal aux cas d'incapacité permanente, partielle ou totale. Ce point est particulièrement important dans les cas dramatiques des plaques pleurales.

Nous en arrivons, mes chers collègues, à notre dispositif de médecine du travail.

Nous pouvons tourner la question dans tous les sens, le problème de fond relevé par l'ensemble des syndicats et des professionnels de santé au travail, mais également mis en lumière par les derniers scandales en matière de financements occultes, réside dans la gestion exclusivement patronale des services, alors que leurs missions constituent un réel enjeu de société, du point de vue tant de la santé publique que de l'équilibre social.

En écho aux conclusions du dernier rapport de l'IGAS, qui nous alerte très sérieusement sur la « crise majeure de la médecine du travail », le titre VI vise donc à réformer en profondeur cette organisation. Les articles 28 et 29 tendent à créer une agence nationale de santé au travail, qui, du fait de sa mission de service public, garantit l'indépendance des professionnels de santé et des acteurs de prévention au regard des prérogatives des employeurs. Cette agence est chargée d'organiser et de coordonner les services de santé au travail dans un strict objectif de prévention de tous les risques professionnels et de préservation de la santé des salariés, au sens retenu par l'OMS.

Outre ces missions, l'agence aura les moyens de participer au développement de la recherche fondamentale et appliquée, qui manquent cruellement en matière de santé au travail, en sollicitant les travaux de tous les organismes compétents.

Pour pallier effectivement la pénurie de praticiens en santé au travail, l'agence déterminera annuellement le nombre de professionnels nécessaires au fonctionnement des services de santé au travail. Les entreprises dont l'activité engendre des risques professionnels ont vocation et obligation légale de financer leur prévention.

L'article 30 inscrit l'activité spécifique de la médecine du travail dans le champ de la prévention. Quant à l'article 31, il généralise la « consultation médicale professionnelle », en portant sa fréquence à douze mois. Nous souhaitons, contrairement au patronat, renforcer la présence et le nombre de médecins du travail, en privilégiant la consultation individuelle comme moyen particulier de connaissance et de prévention.

Dans un souci de cohérence, l'article 32 prévoit de supprimer la fiche d'aptitude. Cette dernière, issue de la tradition eugéniste du début de l'industrialisation, est, pour la majorité des professionnels de la santé au travail, parfaitement contraire à l'éthique et à la déontologie médicale. Cette suppression contraindra l'employeur, qui s'engage à assurer un travail et une rémunération aux salariés par le contrat de travail, à assurer des conditions de travail qui n'auront plus de conséquences négatives pour la santé.

Enfin, le titre VII traite des mesures particulières de protection des travailleurs contre les risques liés à l'amiante. La mission sénatoriale relative au drame de l'amiante en France fut très claire sur cette question, en souhaitant que le risque « amiante » fasse l'objet d'une attention toute particulière, notamment pour les travailleurs du bâtiment. Ces préconisations datent de 2005, et force est de constater que le problème reste entier. En effet, 80 % des mésothéliomes aujourd'hui sont recensés dans le secteur du bâtiment.

Actuellement, en cas de danger grave et imminent, l'inspecteur du travail peut, uniquement dans le cadre d'opérations de confinement ou de retrait d'amiante, y soustraire le salarié et décider de l'arrêt des travaux. L'article 33 étend cette possibilité aux opérations d'entretien et de maintenance.

Pour tenir compte des contraintes physiques et physiologiques particulières, des risques de pénibilité accrue et afin de garantir le respect effectif des obligations de sécurité qui s'imposent aux salariés du désamiantage, l'article 35 tend à réduire la durée du travail, tout en garantissant un salaire à taux plein. Il vise en outre à diminuer le nombre et la durée des interventions quotidiennes sur site.

L'article 36 tend à créer un registre des salariés étant ou ayant été exposés à l'inhalation de poussières d'amiante, pour permettre un suivi médical spécifique systématique.

Nous n'aurions pu, mes chers collègues, aborder le sujet de la santé au travail et des victimes des AT-MP sans consacrer une attention tout à fait particulière à la question de la réparation intégrale, tant attendue par les associations, les victimes et le monde syndical. La réparation intégrale aurait d'ailleurs pu faire l'objet d'une proposition de loi à elle seule ! Nous lui consacrons le titre VIII, qui vise à instaurer enfin la réparation intégrale de l'ensemble des victimes du travail et, surtout, à améliorer les droits particuliers des victimes de l'amiante.

La consécration par la Cour de cassation, en février 2002, de la nouvelle définition de l'obligation de sécurité de résultat pesant sur le chef d'entreprise, dont le manquement emporte la reconnaissance de la faute inexcusable, a fini d'entamer la cohérence du dispositif de réparation des dommages liés au travail. Celui-ci, excepté en cas de recours juridique à la faute inexcusable, ne répare ni la souffrance physique et morale ni les préjudices esthétique et d'agrément. À la différence des accidents de la route, des aléas thérapeutiques ou des accidents médicaux, ce dispositif exige encore de la victime qu'elle démontre la faute du responsable du dommage si elle veut être intégralement indemnisée !

Depuis maintenant sept ans, et plus encore ces deux dernières années, à coups de rapports et de déclarations multiples, le débat sur les évolutions nécessaires de la réparation des AT-MP ne cesse de rebondir, sans toutefois déboucher, pour les victimes, sur des améliorations concrètes et sensibles.

Le MEDEF a su tirer profit du rapport de 2005 de la Cour des comptes sur les fonds d'indemnisation et les dépenses de la branche AT-MP, qui attribue le déficit de la branche au coût exorbitant du dossier de l'amiante. Il interprète le rapport de 2006 de l'IGAS sur le FCAATA, le Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, pour revoir les droits à la retraite anticipée en fonction de la réalité de l'exposition à l'amiante, et tente de faire progresser l'idée qu'il n'y a pas de justification au régime d'« exception » des victimes de l'amiante. C'est quand même incroyable !

Ces orientations sont régressives et inacceptables. S'il faut effectivement sortir des incohérences et des exceptions actuelles, c'est par le haut ! Il convient aussi et surtout de rétablir la dimension préventive du système de réparation. Dès lors, les articles 37 et 38 inscrivent simplement et sans équivoque dans le code de la sécurité sociale le droit à la réparation intégrale de leurs préjudices au bénéfice des personnes victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.

L'article 39 aligne les taux de rente sur les taux d'incapacité permanente médicalement reconnus. En cas de faute inexcusable, l'article 40 prévoit le versement d'une indemnité en capital proportionnée à la gravité de la faute de l'employeur. L'article 41 pose le principe de parité des indemnités journalières avec le salaire net journalier pour une incapacité temporaire.

Les articles 44 et 45 effacent deux dispositions du code de la sécurité sociale qui limitent le principe de gratuité des soins pour les victimes du travail. Or celles-ci n'ont pas à supporter la charge de tout ou partie des frais entraînés par une exposition à un risque imputable à l'employeur, quand bien même cela ne représenterait qu'un euro. C'est un point très important, dont on parle beaucoup aujourd'hui, car certains malades font aujourd'hui la grève des soins pour attirer l'attention sur les franchises médicales.

Concernant plus particulièrement les victimes de l'amiante, les articles 46 à 52, qui ont trait au dispositif de cessation anticipée d'activité et au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, s'inscrivent dans une volonté de pérenniser l'existant, d'en élargir le champ et d'en corriger les imperfections, afin de conforter les victimes dans leurs droits à compensation et à réparation.

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, si je me félicite que ce texte puisse être examiné grâce à la « niche parlementaire » d'aujourd'hui, je regrette néanmoins qu'il ne fasse pas l'objet d'un vrai débat, article par article. Je le regrette d'autant plus que, comme cela est souligné dans le rapport, ce texte est l'aboutissement d'un travail important et qu'il met en avant de pistes plausibles et cohérentes. Je souhaite donc vivement qu'il constitue une pierre à l'édifice de la santé au travail que nous devons urgemment construire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, « Ce qu'il y a de plus beau, c'est la justice ; ce qu'il y a de meilleur, c'est la santé. ».

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est bien vrai !

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Aristote voyait dans cette maxime une définition du bonheur.

En tout état de cause, elle résume à merveille l'objet de la proposition de loi visant à améliorer la santé au travail des salariés et à prévenir les risques professionnels auxquels ils sont exposés, comme celui de l'ensemble des travaux que vous avez lancés dernièrement, monsieur le ministre, pour conforter et faire progresser dans les mois qui viennent la prévention et la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Nous sommes tous d'accord, je pense, pour conjuguer dans la loi la beauté de la justice et la bonté de la santé ; cela va de soi. Mais il serait plus intéressant que nous nous retrouvions sur un certain nombre de propositions concrètes. Et il serait plus remarquable encore que nous tombions d'accord sur la façon d'y parvenir. Cela va moins de soi... Mais notre débat va nous permettre de repérer nos points de convergence et les points d'achoppement, ce qui est déjà beaucoup dans la perspective de nos futurs travaux sur la santé au travail.

Pour nous aider à y voir plus clair, je vais regrouper les dispositions de la proposition de loi en quatre grands thèmes. Au préalable, je me permets de rappeler à Mme Demessine que, pour rendre ce rapport, j'ai travaillé, nous avons travaillé, article par article !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Je commencerai par la médecine du travail.

Dans la proposition de loi sont abordées successivement les questions du dossier médical personnalisé, le DMP, et de l'accueil des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles.

Ainsi, il nous est proposé d'introduire dans le DMP un volet « santé au travail » renseigné par les médecins du travail, ces derniers n'ayant accès qu'aux informations reportées dans cette partie du dossier.

Cette proposition apporte un élément de réponse à un problème crucial : le suivi de la santé des travailleurs et la traçabilité de l'exposition aux risques. La branche accidents du travail et maladies professionnelles, dite branche AT-MP, a mis en place un groupe de travail sur la traçabilité des expositions au sein de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles, la CATMP. Les partenaires sociaux doivent remettre des propositions au mois de juin. La commission des affaires sociales estime indispensable d'attendre leurs analyses et leurs propositions avant de nous prononcer sur l'accès des médecins du travail au DMP.

Il est également prévu dans la proposition de loi de mettre en place dans chaque caisse régionale d'assurance maladie, ou CRAM, une cellule chargée d'accueillir les victimes. La convention d'objectifs et de gestion de la branche AT-MP le prévoit déjà. Il ne nous semble donc pas indispensable de légiférer sur ce point.

D'autres dispositions du texte réforment le droit de l'inaptitude. Il est ainsi proposé d'informer le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le CHSTC, ou les délégués du personnel, de la proposition de reclassement du salarié déclaré inapte et d'obliger le chef d'entreprise à faire connaître les mesures qu'il envisage de prendre en vue d'un reclassement extérieur dans le cas où celui-ci est impossible de dans l'entreprise.

Dans la proposition de loi, il est également envisagé de verser au salarié ni reclassé ni licencié une allocation nouvelle, compensatrice de perte de salaire.

Il est proposé par ailleurs des dispositions relatives à la définition des missions des médecins du travail, à la périodicité des examens médicaux obligatoires et à la coordination des services de santé au travail.

Sur ce dernier point, particulièrement important, la création d'une agence nationale est proposée, ce qui n'est pas sans évoquer l'étatisation préconisée en février 2006 par la mission d'information sur les risques et les conséquences de l'exposition à l'amiante de l'Assemblée nationale. Je rappelle que d'autres solutions ont été avancées par ailleurs, le rattachement de la médecine du travail à la branche AT-MP, par exemple.

De mon côté, j'ai tendance à souhaiter la conservation du lien entre les services de santé au travail et les entreprises. Ce lien fait en effet du médecin du travail le conseiller du chef d'entreprise, ce qui devrait favoriser la montée en puissance du rôle de ces médecins en matière de prévention.

Peut-être faut-il alors s'en tenir au schéma actuel, tout en donnant aux services de l'État, conformément aux préconisations du récent rapport-bilan des professeurs Françoise Conso et Paul Frimat, les moyens de conduire une politique fondée sur des objectifs de santé au travail et non plus seulement sur des indicateurs de moyens et d'activité.

En ce qui concerne les consultations médicales, la proposition de loi donne une périodicité annuelle à la visite obligatoire pour tous, très consommatrice en temps médical et assez modestement contributive au maintien de la santé au travail. Si l'on veut améliorer l'exercice par les médecins du travail de leur mission de prévention, il est souhaitable de ne pas les ensevelir sous une avalanche de consultations obligatoires auxquelles ils suffisent déjà difficilement !

Ces différentes propositions touchent des aspects importants et sensibles de la médecine du travail, laquelle pose cependant bien d'autres questions. C'est pourquoi je crois nécessaire d'inscrire leur discussion dans une démarche plus large et plus intégrée, telle que celle qui est suggérée dans le rapport Conso et Frimat. Trois grands axes de progression y sont proposés.

Premièrement, il s'agit de résoudre rapidement la question, essentielle, de la démographie des médecins du travail et des ressources des services de santé au travail, en passant d'un exercice individuel à une pratique collective de la prévention.

Deuxièmement, il s'agit de mettre véritablement la prévention au centre de l'activité des médecins du travail.

Troisièmement, enfin, il s'agit de passer d'une logique de moyens à une logique de résultats et de régulation.

La commission des affaires sociales a estimé nécessaire d'aborder simultanément ces trois axes.

Les propositions du rapport Conso et Frimat ont été soumises aux partenaires sociaux. Par ailleurs, M. le ministre a demandé au Conseil économique et social un avis sur ce sujet d'ici à la fin du mois de février, et s'est engagé à présenter un plan de réforme à la fin du premier semestre.

La commission des affaires sociales souhaite traiter dans ce cadre l'ensemble du dossier de la médecine du travail.

Le deuxième thème de la proposition de loi concerne la prévention des risques.

Dans ce domaine, il est tout d'abord envisagé dans le texte d'informer les salariés sur les risques pour la santé et la sécurité.

Ainsi, il est donné valeur législative à l'inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail que constitue le document unique d'évaluation des risques, actuellement régi par un décret.

C'est ainsi aussi que sont renforcées les exigences relatives à la publicité de ce document. Ces modalités sont cependant susceptibles d'alourdir les charges administratives des entreprises, sans que le bénéfice en soit évident pour les salariés.

Il est prévu la réalisation d'un livret d'information sur les risques qui serait délivré par l'employeur à chaque salarié. Je note que cette mesure a été rejetée par le Sénat lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, car l'actuel document unique d'évaluation des risques assure déjà bien l'information. Aller au-delà ferait peser une charge inutile sur les petites et moyennes entreprises, ainsi que sur les très petites entreprises.

Un deuxième volant de propositions concerne les problèmes posés par l'intervention, dans une entreprise, de salariés d'entreprises extérieures. Je ne vais pas les détailler, car elles sont extrêmement techniques. Sachez, mes chers collègues, qu'elles posent le problème de l'équilibre entre le risque de dispersion des responsabilités en matière de prévention des risques et la nécessité de tenir compte du fait que la dangerosité et la complexité de certaines activités nécessitent parfois un degré de coresponsabilité entre l'entreprise d'accueil et l'entreprise extérieure. La commission des affaires sociales a considéré que la consultation des partenaires sociaux serait nécessaire avant de modifier cet équilibre.

Un troisième volant de propositions concerne les CHSCT.

La proposition de loi permet à l'inspecteur du travail d'imposer la mise en place d'un CHSCT en cas de risque grave et d'étendre les compétences d'un CHSCT existant à d'autres entreprises. Or, d'une part, le code du travail permet déjà à l'inspecteur du travail d'imposer la création d'un CHSCT en raison de la nature, de l'agencement ou de l'équipement des travaux, ce qui englobe les situations de risques graves. D'autre part, je ne suis pas convaincue qu'un CHSCT élu par les salariés d'une entreprise puisse être également compétent pour les salariés d'autres entreprises.

Il est aussi prévu dans le texte la création de représentants des salariés en matière de prévention, de santé au travail dans les entreprises de moins de cinquante salariés. Cependant, les missions du CHSCT sont exercées dans ces établissements par les délégués du personnel : il ne paraît pas utile de créer une nouvelle catégorie de représentants du personnel.

Enfin, dans un article de la proposition de loi est abordé le droit de retrait des salariés du poste de travail avec la création d'une infraction si l'employeur ne répond pas au problème que révèle l'exercice de ce droit. Faut-il vraiment ajouter une telle infraction à l'ensemble des garanties législatives et des solutions jurisprudentielles existant en la matière ? Nous n'en avons pas été convaincus.

Au demeurant, une négociation vient d'être lancée par les partenaires sociaux sur l'initiative du ministre, à la suite des travaux de la Conférence sociale tripartite sur les conditions de travail, qui s'est tenue le 4 octobre dernier.

Cette négociation porte sur trois thèmes : la mise en place d'un cadre pour le dialogue social sur les conditions de travail dans les PME et dans les TPE ; le rôle et les missions des CHSCT ainsi que la durée des mandats et la formation des représentants du personnel à cette instance ; enfin, les modalités d'alerte sur les conditions de travail.

De fait, les questions à régler sont nombreuses.

Il faut à la fois améliorer la couverture des CHSCT et créer des modalités d'appui au dialogue social dans les PME et TPE.

Par ailleurs, le fonctionnement des CHSCT n'est pas entièrement à la hauteur des nouveaux enjeux de la santé au travail. Il faut en particulier améliorer leurs capacités d'expertise.

Enfin, les modalités d'alerte sur les conditions de travail sont à revoir, dans la mesure où l'alerte est actuellement liée à l'existence d'un CHSCT ou de délégués du personnel dans l'entreprise. Il s'agit donc de créer, pour des risques majeurs, un mécanisme d'alerte, quelle que soit la taille de l'entreprise, y compris dans celles qui sont dépourvues de toute représentation du personnel.

À nouveau, mes chers collègues, la commission des affaires sociales vous recommande d'attendre les propositions des partenaires sociaux et celles du Gouvernement avant de légiférer.

Le troisième thème de la proposition de loi concerne le régime des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Il faut manifestement agir dans le domaine des accidents du travail, dont les chiffres ne décroissent pas assez vite, tout le monde le sait. Le plan de modernisation et de développement de l'Inspection du travail, lancé en 2006 sur l'initiative de notre collègue Gérard Larcher, a permis de relancer fortement les contrôles, ce qui est un élément essentiel de réponse.

Les problèmes restent, certes, importants. Par exemple, le phénomène de la sous-déclaration fait supporter à l'assurance maladie des charges qui relèvent normalement de la branche AT-MP,...

M. Guy Fischer. C'est bien de le reconnaître !

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. ... et nuit à la connaissance, donc à la prévention, des risques professionnels.

M. Guy Fischer. Très bien, madame le rapporteur !

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Le problème de la tarification se pose aussi. Les bases actuelles du système de tarification ne privilégient pas assez les entreprises qui mettent en oeuvre une réelle politique de prévention. Il faut progresser sur la tarification comme sur les autres sujets, mais pas sans précaution !

L'accord interprofessionnel du 12 mars 2007 relatif à prévention, à la tarification et à la réparation des risques professionnels, signé par les partenaires sociaux, préconise que toute proposition en vue d'une tarification plus simple et plus incitative à la prévention fasse l'objet de simulations pour veiller à sa faisabilité technique et pour en évaluer l'impact sur les cotisations. La commission des affaires sociales partage ce souci de pragmatisme.

Ce n'est pas totalement le cas de la proposition de loi, qui aborde successivement la gouvernance et les ressources de la branche AT-MP, puis les modalités de la réparation.

Ainsi, elle inscrit dans la loi l'existence et les missions du Fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles ; elle crée une nouvelle dépense sous la forme d'aides de nature à favoriser l'implantation de délégués prévention dans les entreprises de moins de cinquante salariés ; elle triple les ressources que la Commission des accidents du travail et maladies professionnelles, la CATMP, verse actuellement au fonds sur le produit des cotisations AT-MP ; enfin, elle crée une nouvelle ressource issue de nouvelles sanctions financières contre les entreprises.

Sur ces différents points, la commission ne croit pas utile de donner une valeur législative au Fonds national de prévention des AT-MP.

Par ailleurs, dans la mesure où le budget du fonds est actuellement élaboré par la CATMP, les évolutions proposées pour son financement devraient faire l'objet d'une consultation des partenaires sociaux.

En ce qui concerne les cotisations supplémentaires, les contrôleurs de sécurité ont déjà la possibilité d'imposer une cotisation supplémentaire pour risque exceptionnel ou révélé par une infraction aux règles de sécurité.

En ce qui concerne enfin le non-respect de l'obligation de déclaration d'un accident du travail, la caisse peut actuellement poursuivre l'employeur en vue du remboursement de la totalité des dépenses engagées.

Je suis ainsi tentée de dire que ces propositions sont globalement satisfaites.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oui !

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Il en est de même pour la disposition qui supprime les exonérations de cotisations dans le champ de la branche AT-MP, satisfaction ayant été donnée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

Une autre proposition subordonne la décision d'octroi de ristournes sur les cotisations à l'avis du CHSCT. Cependant, les ristournes sont déjà accordées, sur décision de la CRAM, après avis du CHSCT.

En ce qui concerne la proposition de modifier la répartition du coût des AT-MP entre les entreprises utilisatrices et les entreprises de travail temporaire, il nous semble indispensable de consulter les partenaires sociaux, qui n'ont pas abordé cette question dans leur accord du 12 mars 2007.

La consultation s'impose moins, à notre avis, sur la répartition au cas par cas du coût des AT-MP entre les entreprises sous-traitantes et les entreprises utilisatrices, après enquête des services de prévention des CRAM, car ce dispositif serait manifestement ingérable.

La consultation n'est sans doute pas non plus indispensable sur la proposition de porter à deux tiers la proportion des représentants des salariés dans la CATMP, dans la mesure où les partenaires sociaux ont clairement réaffirmé leur attachement - j'insiste sur ce point - au paritarisme pur et simple dans l'accord du 28 février 2006 sur la gouvernance de la branche.

Sur le volet de la réparation, la proposition de loi pose le principe de la réparation intégrale des AT-MP. Notre commission estime de son côté inopportun de revenir sur le système de réparation forfaitaire, auquel les partenaires sociaux ont d'ailleurs réaffirmé leur adhésion dans l'accord du 12 mars 2007, tout en proposant d'évoluer vers une réparation forfaitaire personnalisée. L'accord dessine d'ailleurs quelques pistes dans ce domaine, tout en avertissant que « les mesures proposées sont inspirées par une préoccupation d'optimisation des dépenses de la branche AT-MP de la CNAM. Elles sont conditionnées à la capacité de la branche de les financer ».

Notre commission s'est inscrite dans une démarche identique.

C'est pourquoi elle a rejeté l'ensemble des articles de la proposition de loi qui tirent les conséquences du passage à la réparation intégrale des AT-MP.

Certaines autres propositions soulèvent des objections.

Par exemple, l'idée d'assouplir les conditions de reconnaissance de la maladie professionnelle pour les affections non mentionnées au tableau des maladies professionnelles nous semble remettre en cause, à terme, le système du tableau.

Par ailleurs, en ce qui concerne la proposition de supprimer le forfait de un euro pour les victimes d'AT-MP, nous ne croyons pas à la possibilité d'appliquer cette mesure à l'ensemble des bénéficiaires du système.

D'autres propositions dépensières présentent peut-être de meilleures perspectives.

Il en est ainsi de celle qui prévoit la prise en charge des frais médicaux et paramédicaux des victimes d'AT-MP sur la base des frais engagés. Dans l'accord du 12 mars 2007, les partenaires sociaux ont demandé l'amélioration de cette prise en charge pour certains postes tels que l'appareillage dentaire, optique ou auditif. Sans doute est-il souhaitable d'explorer cette piste, plus modeste.

D'autres propositions sont intéressantes a priori. Ainsi, en ce qui concerne la date d'ouverture des droits en matière de maladie professionnelle, la proposition visant à distinguer le fait constitutif de l'ouverture des droits du point de départ du délai de prescription nous semble bien conçue, sous réserve d'une étude technique préalable des conséquences de l'abandon du parallélisme traditionnel entre l'indemnisation des accidents du travail et celle des maladies professionnelles.

Je terminerai avec le dossier de l'amiante, qui continue de poser de graves problèmes d'efficacité, d'équité et de financement, problèmes auxquels il faut trouver des solutions.

C'est ce qui avait déjà été souligné dans le rapport de la mission « amiante » du Sénat, mission dont j'étais membre, avec mes collègues Michelle Demessine et Roland Muzeau, notamment, et qui était présidée par Jean-Marie Vanlerenberghe.

La proposition de loi présente une première série de mesures destinées à la protection des salariés contre les risques liés à l'amiante.

Il s'agit, en substance, de permettre à l'inspecteur du travail de prescrire l'arrêt temporaire des opérations de confinement ou de retrait d'amiante dans un certain nombre de cas nouveaux ; de donner au préfet la possibilité d'enjoindre à une personne ayant mis à disposition des locaux ou installations ou à celle qui en a l'usage de rendre leur utilisation conforme ; de limiter le nombre d'interventions avec port des équipements de protection individuelle et de restreindre la durée de chaque intervention ; de créer dans chaque CRAM un registre des salariés étant ou ayant été exposés à l'inhalation de poussière d'amiante, l'inscription à ce registre ouvrant droit au bénéfice d'un suivi national spécifique ou de la surveillance médicale postprofessionnelle.

Ces propositions nous ont paru globalement intéressantes et nous souhaitons, madame la secrétaire d'État, qu'elles restent en débat.

Les autres propositions visent, pour la plupart, le régime de cessation anticipée d'activité des salariés et anciens salariés de l'amiante.

Il faut certainement revoir ce système, à la fois trop coûteux et insuffisamment focalisé sur ses destinataires naturels. Un groupe de travail réunissant les associations et les partenaires sociaux a été installé hier à cette fin. Il aura quatre mois pour rendre des conclusions en vue du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.

Il nous semble inenvisageable de légiférer sans prendre connaissance de ces travaux.

Pour autant, la proposition de loi présente-t-elle des pistes que nous souhaiterions explorer le moment venu ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh oui !

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Elle vise, par exemple, à prendre en compte les périodes d'activité exercées dans les établissements de construction et de réparation navales du ministère de la défense pour la détermination des droits à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, l'ACAATA. Nous n'y sommes pas hostiles, sous réserve de vérifier dans quelle mesure il est justifié de prendre en compte l'ensemble de ces établissements.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et l'ensemble des postes de travail !

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Toutefois, ce sujet relève du domaine réglementaire.

La proposition de loi étend cette même allocation à différentes catégories de salariés et anciens salariés, notamment à ceux qui sont contraints au port de vêtements de protection amiantés. L'expertise des partenaires sociaux nous est nécessaire avant de nous prononcer sur ce point.

La proposition de loi tend aussi à donner un caractère indicatif à la liste des établissements ouvrant droit au Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, le FCAATA. Il nous semble que le fait de donner à la liste un caractère indicatif impliquerait, par contrecoup, la nécessité pour les victimes d'apporter la preuve de leur exposition à l'amiante, ce qui est difficile. Cette disposition ne nous semble donc pas pertinente.

En revanche, la mesure concernant la motivation obligatoire de la décision de refuser d'inscrire un établissement sur la liste des établissements ouvrant droit au FCAATA, qui a été votée dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, puis annulée par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier social, nous paraît utile. Il faudra l'inscrire à nouveau dans la loi le moment venu.

Il nous est proposé, par ailleurs, de déterminer le montant de l'ACAATA sur la base non plus des douze derniers mois, mais des douze meilleurs mois de la carrière professionnelle du bénéficiaire. Il faudrait que le coût de cette mesure soit évalué avec précision.

Faut-il, dans un domaine connexe, porter de quatre à trente ans le délai de prescription des demandes d'indemnisation adressées au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, le FIVA, qui a pour mission de réparer les préjudices résultant de l'exposition ? La prescription quadriennale, d'ores et déjà plus favorable que la prescription de deux ans des maladies professionnelles, a soulevé un certain nombre de problèmes pour les victimes décédées avant la création du FIVA. Ces problèmes ont été résolus dans le cadre juridique existant. Un équilibre convenable a sans doute été ainsi atteint et la fixation d'une prescription de trente ans ne nous semble pas de nature à améliorer sensiblement la situation des victimes de l'amiante.

Faut-il supprimer les plafonds de la contribution des employeurs au FCAATA ? Nous ne le croyons pas, car cela mettrait en danger la survie d'un certain nombre d'entreprises déjà en situation fragile. De plus, le Sénat a refusé cette proposition lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

Mes chers collègues, la proposition de loi « santé au travail » présente des pistes plausibles, et d'autres qui le sont moins. Notre commission a essayé, et sans parti pris, je peux en témoigner personnellement, de faire le tour des unes et des autres pistes, afin de nourrir les débats à venir. Nous les aurons d'ailleurs bientôt, car le Gouvernement et les partenaires sociaux élaborent en ce moment même leurs propositions sur la santé au travail. Permettez-moi de dire que nous serons armés, à l'issue de l'examen de la présente proposition de loi, pour les étudier en connaissance de cause.

Il serait, en revanche, parfaitement inopportun de légiférer sans attendre sur les points particuliers qui nous semblent bien posés dans ce texte : tout se tient, sur chaque volet de la santé au travail, et c'est certainement pourquoi nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen ont estimé nécessaire de présenter une proposition aussi ample, aussi intégrée, aussi cohérente.

C'est pourquoi, tout en saluant la qualité du travail de l'ensemble de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, notre commission propose au Sénat de se prononcer en faveur des conclusions négatives qu'elle a adoptées sur la présente proposition de loi. Mais je réitère mes félicitations quant au travail accompli ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Guy Fischer. Oui, merci, madame le rapporteur !

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord saluer la qualité du travail accompli par Mme Michelle Demessine, soutenue par son groupe politique, avec cette proposition de loi, qui contient cinquante-trois articles denses, touchant à tous les aspects de la prévention et de la gestion des risques professionnels.

Permettez-moi de saluer également la rapidité et l'efficacité du travail du rapporteur, Mme Sylvie Desmarescaux, et de la commission des affaires sociales.

Ce travail s'inscrit dans le contexte de la conférence sur les conditions de travail et rejoint la volonté du Gouvernement de renforcer le dialogue social, car c'est en impliquant davantage les acteurs de l'entreprise que nous pourrons améliorer durablement la santé et la sécurité au travail.

Dans ce contexte, la proposition de loi de Mme Michelle Demessine et de son groupe intervient-elle trop tôt ou trop tard ? À vous de le dire, mais, en tout cas, elle nous offre l'occasion de tenir un débat sur des sujets essentiels pour des millions de salariés.

Elle intervient sans doute trop tôt, car elle précède plusieurs processus de réforme récemment mis en place : je pense au FCAATA, à la médecine du travail, ou encore aux négociations lancées à la suite de la conférence du 4 octobre dernier sur les conditions de travail.

Elle intervient aussi trop tard, car elle intervient sur certains sujets qui ont déjà fait l'objet de la signature d'accords par les partenaires sociaux dans le cadre de la gestion de la branche AT-MP.

Pour toutes ces raisons, sur lesquelles je reviendrai dans un instant, je partage l'avis de la commission des affaires sociales, qui conclut au rejet de la présente proposition de loi. Cependant, je le répète, nous devons profiter de l'occasion offerte par la discussion de ce texte pour avancer sur les solutions à mettre en oeuvre, étant donné l'ampleur des pistes que vous ouvrez, madame Demessine.

Les auteurs de cette proposition de loi ont d'ores et déjà obtenu satisfaction sur plusieurs sujets.

Il en est ainsi de la suppression des exonérations de cotisation AT-MP, proposée à l'article 2, suppression qui a d'ores et déjà été opérée par l'article 22 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

Mme Michelle Demessine. Notre proposition de loi a été déposée avant l'examen de la loi de financement !

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État. En effet, madame le sénateur.

Nous sommes d'accord avec ce qui motivait cette proposition : il ne faut pas exonérer les employeurs de leurs responsabilités et se priver de l'effet incitatif que la tarification peut avoir sur la prévention, vous avez raison.

Tel est aussi le cas des sanctions sous forme de cotisations supplémentaires imposées aux employeurs qui ne respectent pas leurs obligations de santé et de sécurité, dont il est question à l'article 4 de la proposition de loi. En effet, les contrôleurs de sécurité disposent déjà du pouvoir d'imposer des cotisations supplémentaires dans le cas d'un risque exceptionnel ou d'un risque avéré résultant d'une infraction aux règles de sécurité.

Il en est de même de la possibilité pour l'inspecteur du travail d'imposer la création d'un CHSCT, dans les établissements de moins de cinquante salariés en raison de la nature des travaux ou de leur agencement.

Quant aux CHSCT de site, vous savez qu'il existe aujourd'hui des CHSCT élargis pour les entreprises à haut risque de type « Seveso ». Ce dispositif sera prochainement étendu aux installations nucléaires de base. Un projet de décret en ce sens est actuellement examiné par le Conseil d'État.

S'agissant de la transmission du document unique d'évaluation des risques professionnels, le code du travail prévoit d'ores et déjà qu'il est mis à la disposition des membres du CHSCT. Cette disposition nous semblant suffisante pour assurer les droits à l'information du CHSCT, il ne paraît pas nécessaire de prévoir une remise en main propre de ce document.

Quant à la proposition, qui est faite à l'article 19, de mettre en place dans chaque caisse primaire d'assurance maladie un service chargé de l'accueil et de l'accompagnement des victimes d'AT-MP, elle a déjà rencontré un écho favorable au sein de la branche. La convention d'objectifs et de gestion de la branche AT-MP prévoit en effet diverses expérimentations dans le but de « mettre en place une procédure d'accompagnement des victimes dans leurs démarches relatives à une maladie professionnelle ».

Il nous paraît donc préférable d'attendre les résultats de ces expérimentations, actuellement menées en Bretagne et en Normandie depuis le mois de septembre dernier, avant d'en prévoir la généralisation.

Sur d'autres sujets, les partenaires sociaux ont déjà négocié des accords qu'il n'est pas souhaitable de remettre en cause.

Tout d'abord, concernant la gouvernance de la branche AT-MP, vous proposez de remettre en cause sa gestion paritaire. Or, en mars 2006, les partenaires sociaux ont adopté un accord aux termes duquel ils ont précisément rappelé leur attachement au maintien d'un paritarisme strict au sein de la branche.

C'est également le principe de la réparation forfaitaire, qui, je le rappelle, est la contrepartie de la présomption d'imputabilité dont bénéficient tous les accidents du travail et maladies professionnelles.

Vous proposez le basculement en faveur d'un dispositif de réparation intégrale. Mais, en 2004, un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales, l'IGAS, a démontré que ce système ne serait pas systématiquement plus favorable que la réparation forfaitaire actuelle et qu'il y aurait même des perdants potentiels, parmi lesquels les victimes de maladies professionnelles avec faible taux d'incapacité et les victimes de maladies professionnelles retraitées.

Il n'en reste pas moins qu'il est possible, et même souhaitable, de faire évoluer les règles d'indemnisation en matière d'AT-MP.

C'est justement ce qu'ont voulu les partenaires sociaux en signant les accords d'avril 2007, dans lesquels ils proposent une indemnisation forfaitaire qui soit davantage personnalisée pour mieux tenir compte, par exemple, du préjudice professionnel.

Dans ce cadre, la semaine dernière, Xavier Bertrand et moi-même avons missionné la direction de la sécurité sociale pour qu'elle étudie, avec les partenaires sociaux et les associations de victimes, les possibilités de transposer ces dispositions, parmi lesquelles celles qui visent à une réparation « personnalisée et améliorée ».

Dans un autre domaine, il est proposé à l'article 5 de subordonner la décision d'octroi de ristourne sur les cotisations à l'avis du CHSCT.

Madame Demessine, je vous rappelle qu'aujourd'hui les ristournes sont accordées sur décision de la CRAM après avis du CHSCT, ou bien, à défaut, des délégués du personnel, et sur avis favorable des comités techniques où siègent les partenaires sociaux. L'implication de ces derniers nous paraît donc suffisante dans ce dispositif.

Mais les partenaires sociaux se saisiront prochainement d'autres sujets, à la suite de la conférence sur les conditions de travail.

Vous proposez une série de réformes afin, d'une part, d'étendre les compétences des CHSCT, de modifier leurs possibilités d'intervention et, d'autre part, de revoir les dispositifs d'alerte.

Or c'est justement le thème des prochaines négociations sociales que Xavier Bertrand a demandé aux partenaires sociaux de mettre en place à la suite de la conférence sur les conditions de travail du 4 octobre dernier. Un document d'orientation en ce sens leur a été adressé le 22 novembre dernier et une réponse sur l'ouverture prochaine de ces négociations est attendue, de leur part, à court terme.

Enfin, la proposition de loi aborde des sujets pour lesquels une procédure de réforme est actuellement en cours. Je pense à la médecine du travail et au FCAATA.

Madame Demessine, vous proposez une réforme d'envergure des services de santé au travail et du régime de l'aptitude. Or vous n'ignorez pas qu'une réforme de la médecine du travail a été engagée en 2002, qui a donné naissance aux services de santé au travail et a permis de moderniser les missions et les modes d'intervention des médecins du travail en les orientant davantage vers une culture de promotion de la santé en milieu de travail.

Tous les acteurs se sont mobilisés pour faire vivre cette réforme et je tiens à leur rendre un hommage particulier.

Les services de santé se sont ainsi engagés dans la voie de la pluridisciplinarité en s'élargissant aux intervenants en prévention des risques professionnels, les IPRP. D'ores et déjà, plus de 1 750 spécialistes ont été habilités, qu'ils soient ergonomes, ingénieurs sécurité, psychiatres, psychologues, toxicologues ou épidémiologistes.

Jusqu'à cette réforme, pour nombre d'entreprises, surtout les plus petites, la médecine du travail était assimilée à la seule visite médicale et aux cotisations annuelles. Avec la réforme, le médecin du travail peut aujourd'hui apporter aux entreprises et à leurs salariés une aide à l'évaluation des risques professionnels, à la formation et à l'information en matière de prévention.

Dans un contexte où la démographie médicale est particulièrement défavorable, il était donc important d'effectuer rapidement une première évaluation du dispositif issu de la réforme. Cette mission a été confiée à un groupe pluraliste composé de représentants de l'IGAS, de l'IGAENR, c'est-à-dire l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche, et de deux professeurs de médecine du travail, les professeurs Conso et Frimat.

Le 5 novembre dernier, Xavier Bertrand et moi-même avons rendu public leur rapport.

Par ailleurs, d'autres réflexions ont été engagées : l'une sur l'aptitude, avec le rapport Gosselin, remis en janvier 2007, et l'autre sur la pluridisciplinarité, au sujet de laquelle un rapport d'audit a été transmis aux partenaires sociaux la semaine dernière.

Un grand nombre de propositions ont été formulées dans ces rapports. Le cabinet de Xavier Bertrand conduit actuellement une série de consultations avec les acteurs de la médecine du travail et les partenaires sociaux afin de faire des propositions d'orientation pour la poursuite de la réforme des services de santé d'ici à la fin du présent trimestre.

Xavier Bertrand s'est engagé à ce que ces propositions fassent l'objet d'une vaste concertation à l'occasion d'une seconde conférence sur les conditions de travail, au printemps prochain.

C'est dire si le problème de l'avenir de la médecine du travail, le rôle qu'on souhaite lui faire jouer au service de la prévention et de la protection des salariés, est étudié avec sérieux et avec le souci d'écouter chacun des acteurs.

Mais il ne faut pas préempter ces discussions en cours. De surcroît, madame Demessine, vous proposez une piste radicale consistant à étatiser la médecine du travail en créant une agence nationale de santé au travail. Or il n'est pas certain que la transformation des médecins du travail en agents publics leur permettrait d'agir avec plus d'efficacité dans les entreprises ; ce statut risquerait même de rompre le lien de confiance indispensable que le médecin doit établir à équidistance entre les salariés et l'employeur. (Mme Michelle Demessine s'exclame.)

Par ailleurs, la création d'une agence ne saurait répondre, à elle seule, aux enjeux de la modernisation des services de santé au travail et de la définition de leurs missions et des moyens qui leur sont consacrés.

S'agissant du FCAATA, le Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, Xavier Bertrand a installé hier matin un groupe de travail présidé par Jean Le Garrec et composé de quatre parlementaires - dont MM. Dériot et Vanlerenberghe pour le Sénat - et de représentants des employeurs, des syndicats, des associations de victimes, de la CNAMTS et de l'État.

Grâce, notamment, aux excellents rapports d'information de Gérard Dériot et de Jean-Pierre Godefroy, pour le Sénat, et de Jean Le Garrec et de Jean Lemière, pour l'Assemblée nationale, vous connaissez tous les dysfonctionnements du dispositif existant et les difficultés auxquelles se heurte son application.

Xavier Bertrand a donc demandé à ce groupe de travail d'élaborer des propositions de réforme du FCAATA, notamment dans le but de recentrer ce fonds sur les personnes ayant été réellement exposées à l'amiante.

La réforme proposée devra respecter trois principes : l'équité, la faisabilité - en particulier concernant les modes de preuve de l'exposition à l'amiante - et la soutenabilité financière de l'ensemble.

Par ailleurs, plusieurs de vos propositions, madame Demessine, méritent d'être davantage examinées. Je prendrai deux exemples.

Ainsi, vous proposez, à l'article 1er de votre proposition de loi, un changement du mode de financement du fonds de prévention des AT-MP. Une telle modification nécessiterait une consultation préalable des partenaires sociaux, puisqu'en triplant le budget de ce fonds vous modifieriez sensiblement la marge de manoeuvre de la branche AT-MP sur d'autres dépenses.

Mme Michelle Demessine. C'est cela, la prévention, madame la secrétaire d'État !

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État. Il n'est pas dans mes intentions de rejeter d'emblée vos propositions, madame Demessine. Cependant, je considère qu'elles méritent d'être précisées et retravaillées.

Second exemple, à l'article 6, vous proposez de revoir la clé actuelle de répartition du coût des AT-MP entre les entreprises de travail temporaire et les entreprises qui recourent à leurs services, à savoir deux tiers pour les premières et un tiers pour les secondes, pour rendre égales les contributions des unes et des autres.

Là encore, une consultation des partenaires sociaux paraît souhaitable. Il n'est pas certain que la révision de cette clé de répartition soit la meilleure solution ; nous croyons davantage à des actions de coopération entre l'entreprise utilisatrice et l'entreprise de travail temporaire, à la formation et au suivi médical adapté des salariés en intérim.

C'est ce à quoi vise la charte de bonnes pratiques pour la prévention des risques professionnels, qui a été adoptée par l'ensemble des professionnels de l'intérim, des services et des métiers de l'emploi, le PRISME, en présence de Xavier Bertrand, le 28 novembre dernier.

Cette charte prévoit notamment une analyse approfondie des postes de travail avec les entreprises utilisatrices, la remise d'un livret d'accueil sécurité, mais aussi la formation et la sensibilisation des intérimaires, en mettant l'accent sur le rappel de certains de leurs droits essentiels, tels que le droit de retrait, lorsqu'ils font face à un danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a lancé plusieurs chantiers qui, tous, visent à l'amélioration de la santé et de la sécurité des salariés. Cela passe par des réformes en profondeur, qui doivent prendre le temps du dialogue et de la concertation.

Il ne nous paraît donc pas opportun que l'État vienne perturber les évolutions en cours par des initiatives unilatérales et non concertées. C'est pourquoi nous préférons ne pas retenir cette proposition de loi, tout en nourrissant notre réflexion de certains éléments qui la sous-tendent en vue des prochaines étapes de réforme dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail.

Enfin, madame Demessine, je tiens encore une fois à saluer le travail important que vous-même et votre groupe avez accompli. Il nous a permis d'appréhender de manière très complète les différents aspects de ce vaste chantier qui nous attend dans les semaines et les mois qui viennent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, madame le rapporteur, mes chers collègues, nous comprenons fort bien l'émotion et les motivations qui ont conduit Mme Demessine et ses collègues à déposer cette proposition de loi. Mais les raisons du rejet décidé par la commission des affaires sociales nous apparaissent tout aussi clairement.

Comme l'a très bien fait remarquer Mme le rapporteur, notre excellente collègue Sylvie Desmarescaux, certaines des mesures portées par ce texte sont satisfaites. Tel est le cas, par exemple, de la suppression ou du conditionnement des exonérations de cotisations dans le champ de la branche AT-MP.

D'autres articles, tel celui qui tend à revenir sur le paritarisme de la branche AT-MP, semblent aller à l'encontre de ce qu'ont récemment décidé les partenaires sociaux dans leur accord du 28 février 2006 sur la gouvernance de cette branche.

Mais, surtout, la plupart des thèmes abordés au fil des articles de ce long texte font actuellement l'objet d'une concertation entre les partenaires sociaux. Et, en matière de santé au travail, il est bien évident que la priorité doit, autant que faire se peut, être donnée au dialogue social !

Il semble effectivement préférable de ne pas trancher dans la précipitation des questions aussi importantes que la traçabilité des maladies professionnelles, le droit de l'inaptitude, la question de la réparation intégrale ou forfaitaire des AT-MP ou encore la prévention des risques, dans laquelle prend place la réforme du droit des CHSCT.

Pour autant, le texte dont nous sommes aujourd'hui saisis a un immense mérite : il soulève une question fondamentale, celle de l'avenir du système AT-MP et, plus généralement, du droit de la santé au travail après le drame de l'amiante.

Votre proposition de loi, madame Demessine, s'appuie sur un exposé des motifs auquel je ne peux qu'adhérer. Même si, nous l'avons compris, l'objet du présent texte dépasse largement la seule question de l'amiante, son exposé des motifs, lui, reprend pour une large part les observations faites par la mission « amiante » de notre assemblée.

C'est pourquoi, dans la suite de mes développements, je me concentrerai surtout sur la question de l'amiante. C'est un sujet autour duquel se cristallise aujourd'hui tout le débat des réformes du droit de la santé au travail. D'ailleurs, nombre d'articles de votre proposition de loi, madame Demessine, lui sont spécifiquement consacrés.

Tout le monde le sait aujourd'hui, le drame de l'amiante aurait pu être évité. La dangerosité de l'amiante a été mise en évidence en 1906. Dans ces conditions, comme le faisaient remarquer nos corapporteurs de la mission « amiante », Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy, il était impossible de se retrancher derrière les incertitudes des effets de l'amiante sur la santé : tout était connu. Néanmoins, le lobby de l'amiante a fait son oeuvre en parvenant à maintenir l'utilisation dans notre pays de ce matériau jusqu'en 1997, alors que la Grande-Bretagne avait adopté des mesures dès 1931 et les États-Unis dès 1946 !

Résultat ? À ce jour, en France, 35°000 personnes sont mortes d'une maladie de l'amiante entre 1965 et 1995. Et le pire est encore à venir : entre 50°000 et 100°000 décès sont encore attendus d'ici à 2025.

Mais il y a encore plus grave : comme l'a fait Mme Demessine dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi, la mission « amiante » a, dans ses conclusions, souligné que, en dépit de l'interdiction de l'amiante en 1997, la question de l'amiante « résiduel », omniprésent dans les bâtiments construits dans les années soixante-dix et quatre-vingt, en particulier dans les établissements hospitaliers et les bâtiments scolaires et universitaires, n'était pas résolue.

D'importantes populations sont encore exposées à l'amiante. Il s'agit des professions de « second oeuvre » dans le bâtiment, des personnels de maintenance et d'entretien et, bien entendu, des ouvriers des chantiers de désamiantage.

Par ailleurs, la mission « amiante » avait, elle aussi, relevé que les mesures prises à partir de 1998, avec la création de la « préretraite amiante », financée par le Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, le FCAATA, puis avec l'institution du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, le FIVA, n'avaient pas donné entièrement satisfaction.

Ce constat, nous le partageons pleinement. Nous espérons qu'il y aura un avant et un après amiante. Nous devons tirer toutes les leçons de cette catastrophe sans précédent.

C'est à ce stade que ma position diverge de celle des auteurs de la proposition de loi, ce qui n'a rien d'étonnant puisque, au sein de la mission « amiante », nos collègues du groupe CRC, aujourd'hui cosignataires du texte dont nous débattons, étaient les seuls à s'être abstenus, après avoir participé activement et intelligemment, je le souligne, à un travail collectif qui était consensuel.

Mme Michelle Demessine. C'était une abstention motivée !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Ces observations, qui figurent dans les annexes du rapport, constituent aujourd'hui le substrat de la présente proposition de loi.

La mission « amiante » avait identifié plusieurs axes prioritaires de réforme des dispositifs existants.

Ainsi, plutôt que d'ouvrir le bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, l'ACAATA, à des catégories déterminées de salariés, comme le prévoit l'article 47 de la proposition de loi, la mission a préconisé de compléter le système actuel d'accès à l'ACAATA par une voie d'accès individuelle qui permettrait aux salariés exposés à l'amiante, mais dont l'entreprise ne figure pas sur les listes du FCAATA, de bénéficier néanmoins de la préretraite.

Dans cette optique, afin d'identifier plus facilement les droits de chacun, des comités de site rassemblant l'ensemble des parties concernées pourraient mettre en commun les informations et témoignages dont ils disposent.

La mission propose également une revalorisation progressive de l'ACAATA.

Autre priorité identifiée par la mission amiante, la majoration de l'indemnisation versée par le FIVA, en accordant aux victimes le bénéfice attaché à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur. Il s'agirait de désengorger les tribunaux et de permettre au FIVA de consacrer ses moyens aux seuls recours subrogatoires. Mais qu'en est-il de ces recours, madame la secrétaire d'État ? Les fonds peuvent-ils les exercer et la jurisprudence le leur permet-elle ?

Un point, qui nous semblait aussi capital, est abordé par la proposition de loi, mais pas de manière frontale : il s'agit de la trop forte mutualisation des dépenses d'indemnisation.

La mission a proposé de mettre de l'ordre dans la mutualisation en définissant une clé de répartition des charges entre l'État et la sécurité sociale.

Nous proposions que 30 % des dépenses du FCAATA et du FIVA incombent à l'État, ce chiffre permettant de tenir compte de sa responsabilité en tant qu'employeur, mais aussi en tant que puissance publique, puisqu'il n'a pas su prendre en temps utile les mesures de prévention nécessaires.

Par ailleurs, nous pensons qu'il faut restreindre la mutualisation des dépenses d'indemnisation. La création, par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005, d'une contribution à la charge des employeurs dont les salariés perçoivent l'ACAATA a déjà atténué cette mutualisation.

Mais nous estimons qu'il faut aller plus loin en individualisant davantage la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles.

La proposition de loi va dans ce sens lorsque son article 52 prévoit de déplafonner la contribution due par les entreprises ayant exposé leurs salariés à l'amiante.

Bien entendu, comme les auteurs de ce texte, la mission a aussi formulé une série de propositions visant à protéger les salariés ayant été exposés à l'amiante sans être malades ainsi que ceux qui sont encore exposés à ces produits.

La proposition de loi prévoit la périodicité annuelle de la visite médicale obligatoire pour tous. Nous n'y sommes pas défavorables, mais nous préconisions plus spécifiquement de renforcer le suivi médical postprofessionnel des anciens salariés de l'amiante afin de détecter plus précocement d'éventuelles pathologies qui lui seraient liées. Nous devons réaliser un important effort d'information en direction des salariés potentiellement concernés.

La mission allait beaucoup plus loin que la proposition de loi en direction des publics encore exposés. Elle proposait de procéder au recensement national des salariés des entreprises de désamiantage et des bâtiments amiantés, d'établir une liste nationale de tous les chantiers de désamiantage, de réduire les plages horaires journalières d'exposition des salariés concernés, de renforcer la qualification des agents chargés du diagnostic amiante, de renforcer les garanties pour les salariés du BTP travaillant sur les chantiers amiantifères ou encore d'interdire les fibres céramiques réfractaires. Certaines de ces propositions ont été prises en compte, mais il faut poursuivre l'effort.

Je le disais, l'amiante doit nous servir de leçon. Comme cela est précisé dans l'exposé des motifs de la proposition de loi de Mme Demessine, jamais un tel drame ne doit pouvoir se reproduire.

C'est pourquoi l'utilisation massive dans l'industrie des produits chimiques dits cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques est des plus préoccupantes.

Une fois encore, la mission « amiante » avait envisagé la question en proposant l'institution d'une autorisation de mise sur le marché des produits chimiques, mais aussi des produits minéraux, organiques et biologiques, inspirée de la procédure en vigueur pour les médicaments et s'inscrivant dans le cadre du règlement européen REACH, qui vient d'être adopté.

Ainsi, nous souhaitons que les propositions de la mission « amiante » du Sénat soient prises en compte au plus vite. Elles seront susceptibles de s'insérer dans le cadre d'un droit de la santé au travail rénové en profondeur, auquel votre proposition de loi apporte une contribution intéressante, ma chère collègue.

Aussi, pour voir se dessiner les contours de cette rénovation structurelle, nous attendons avec impatience, madame la secrétaire d'État, l'avis du Conseil économique et social sur la médecine du travail et l'aboutissement, à l'issue du premier semestre de 2008, des négociations engagées entre partenaires sociaux, ainsi que les conclusions du groupe de travail sur l'ACAATA qui a été mis en place hier. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, madame le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord remercier les membres du groupe CRC d'avoir produit cette proposition de loi très importante et de l'avoir fait inscrire à l'ordre du jour du Sénat. Mes félicitations iront également à notre rapporteur, ...

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Je vous remercie, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Godefroy. ...même si nous sommes en désaccord en partie sur le fond, notamment sur certaines des réponses apportées.

Les questions de la santé au travail et de la prévention des risques professionnels sont trop peu abordées par nos assemblées, en dehors du traditionnel examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Et, même dans le PLFSS, les dispositions ad hoc sont de plus en plus minimales, le plus souvent réduites ces dernières années à des mesures strictement financières ; cette année, l'application stricte de l'article 40 de la Constitution a même empêché le débat sur les amendements que nous avions déposés, ce qui est tout à fait dommageable.

Ce texte est donc le bienvenu, et je suis heureux qu'il nous permette d'aborder des sujets aussi importants que la prévention des risques, la médecine du travail, le régime des AT-MP et l'amiante. Sans entrer dans le détail des cinquante-trois articles, je dirai que nombre d'entre eux me paraissent très pertinents.

D'abord, en ce qui concerne la prévention des risques, les défis sont importants.

Aujourd'hui, on peut légitimement se demander si le travail, synonyme officiellement d'accomplissement de soi et d'intégration sociale, n'est pas en train de devenir synonyme de souffrance physique et psychique pour un nombre croissant de salariés.

Un sondage récent a montré qu'un peu plus de 25 % des travailleurs de l'Union européenne s'estiment exposés à des risques pour leur santé et leur sécurité. En France, en 2005, les inspecteurs du travail ont relevé près de 760 000 infractions, dont la majorité concernait la santé et la sécurité au travail. Environ 10 000 procès-verbaux ont été transmis au parquet, plus de 7 000 mises en demeure ont été signifiées, dont 96 % relatives à la santé et à la sécurité, et un peu plus de 4 000 arrêts de travaux ont été ordonnés.

Les chiffres des accidents du travail et des maladies professionnelles sont tout aussi révélateurs du défi auxquels nous devons faire face. Leur coût ne cesse de s'accroître, alors même que l'on sait que les AT-MP sont largement sous-déclarés, comme l'atteste d'ailleurs le reversement annuel de la branche AT-MP à la branche assurance maladie. La sous-déclaration atteint d'ailleurs des formes de sophistication très élaborées dans certaines entreprises, et même parfois recommandées, comme cela a pu être révélé par la presse. Nous avons eu l'occasion d'en débattre au moment de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 ; je n'y reviendrai donc pas.

Un drame tel que celui de l'amiante ne doit plus se reproduire. Le rapport produit en 2005 au nom de la mission commune d'information du Sénat sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante a permis, comme l'a rappelé son président, notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe, d'identifier les responsabilités et les lacunes de notre système de santé au travail.

Aujourd'hui, ce sont quantité d'autres produits qui doivent retenir notre attention. Les dangers sont connus, qu'il s'agisse de l'amiante résiduel, des produits de substitution tels que les fibres céramiques réfractaires, mais aussi des CMR, les cancérogènes, mutagènes reprotoxiques comme les éthers de glycols, des dioxines, des produits phytosanitaires, pour n'en citer que quelques-uns. Si l'on veut éviter de nouvelles catastrophes du type de l'amiante, il faut aller plus vite et ne pas laisser passer à nouveau quinze ans entre l'identification des risques et l'interdiction des produits dangereux.

À cet égard, le dispositif français d'expertise souffre incontestablement d'un manque de moyens, qu'il s'agisse de l'Agence française de sécurité sanitaire et du travail, l'AFSSET, de l'Institut national de veille sanitaire, l'INVS, du plan Santé au travail ou du plan national Santé-Environnement. C'est un sujet que j'ai d'ailleurs déjà abordé lors de l'examen des crédits de la mission « Travail et emploi » du projet de loi de finances pour 2008. Je n'y reviendrai donc pas non plus.

En ce qui concerne les dispositifs de prévention en vigueur dans les entreprises, je considère, comme nos collègues du groupe CRC, qu'il est particulièrement nécessaire de renforcer les moyens et les missions des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT.

À ce propos, je m'arrêterai un instant sur l'article 14 de la proposition de loi, qui comprend des dispositions relatives au regroupement des entreprises de moins de cinquante salariés pour créer un CHSCT. En effet, on sait aujourd'hui que c'est dans les petites et moyennes entreprises que l'effort doit être amplifié.

Je considère moi aussi qu'il est nécessaire de prévoir la constitution de CHSCT interentreprises, regroupant des entreprises soit situées sur un même bassin d'emploi ou une même zone d'activités, soit, et c'est encore mieux, relevant d'une même branche professionnelle, soit présentant des problématiques de sécurité identiques.

J'en viens à la médecine du travail, qui revêt aujourd'hui une importance primordiale : elle est l'institution clé pour la prévention des risques professionnels.

Or force est de constater qu'elle est bien mal en point aujourd'hui. Elle a notamment été la grande absente de la conférence nationale sur les conditions de travail organisée au mois d'octobre 2007. Pourtant, elle devrait être au coeur du dispositif.

Dans son dernier rapport, l'IGAS, dresse un bilan sévère de la réforme de 2004. On peut y lire que « le dispositif de santé au travail n'est pas en mesure de relever les défis à venir » qu'il s'agisse du suivi médical des travailleurs précaires, des risques à effet différés ou de l'intensification du travail.

Madame la secrétaire d'État, ce rapport, qui vous a été remis en octobre dernier par les professeurs Conso et Frimat, dresse un constat sévère des dysfonctionnements et des défaillances de la médecine du travail. La réforme de 2004 qui visait à renouer avec la prévention, n'a pas atteint son but du fait, entre autres, d'« une offre déconnectée des besoins, une procédure d'habilitation qui tourne à vide, un contrôle de l'État sans véritable point d'ancrage, un temps médical insuffisant pour faire face aux missions qui incombent aux services de santé au travail - les SST -, des praticiens mal formés... ».

Comme le précise ce rapport - et comme l'indiquait, en 2004, celui de M. Gosselin - les médecins du travail sont trop isolés et enfermés dans une logique d'aptitude à l'emploi, qui diffère d'une vraie logique de santé. La médecine du travail reste trop repliée sur une approche formelle axée sur les moyens plutôt que sur les résultats. Le maintien du régime d'aptitude limite les capacités d'évolution du dispositif de santé au travail vers une logique de prévention collective. De ce point de vue, les propositions de nos collègues me semblent réellement pertinentes.

Une réforme à la hauteur des enjeux actuels ne peut se concevoir sans la création d'un grand service public de la santé au travail. Il reste à déterminer sous quelle forme.

À ce titre, j'adhère aux propositions qui sont présentées dans le présent texte. Je regrette que Mme le rapporteur ne partage pas mon appréciation. Cela fait partie de nos points de désaccord.

Un service public permettrait de définir une politique globale de la santé au travail. Une agence nationale, créée sous la forme proposée par nos collègues, constituerait un outil pour en améliorer le pilotage, en confiant à un opérateur unique des missions et des moyens aujourd'hui éparpillés entre l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, l'AFSSET, l'Institut national de veille sanitaire, l'INVS, le plan Santé au travail, le PST, et le plan national Santé-Environnement, le PNSE.

Je crois sincèrement que, au moins dans sa forme actuelle, la gestion patronale des services de santé au travail a vécu et il me paraît nécessaire que les pouvoirs publics exercent un contrôle plus efficace.

La médecine du travail doit revoir son fonctionnement et, surtout, son mode de gouvernance, dans lequel les employeurs ont actuellement un pouvoir disproportionné.

Il ne s'agit pas de rompre complètement, loin s'en faut, le lien entre les services de santé au travail et les entreprises. Je considère toutefois que la gestion des services de santé au travail devrait être paritaire, car les représentants des salariés y ont selon moi toute leur place. À tout le moins, il me semble urgent d'assurer l'indépendance des médecins du travail et de clarifier leurs responsabilités par rapport à celles de l'employeur.

Puisque cette proposition de loi ne semble pas devoir aller plus loin que le débat d'aujourd'hui, nous attendrons avec impatience les propositions que feront les partenaires sociaux dans ce domaine et les conséquences qu'en tirera le Gouvernement.

Je dois avouer que je nourris quelques inquiétudes à ce sujet. C'est en effet ce gouvernement qui, dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale, a fait voter la disposition contestable qui confie aux employeurs le contrôle médical des arrêts de travail normalement assuré par la sécurité sociale.

J'ai tenté de convaincre le Sénat de la dangerosité d'une telle mesure, en particulier lorsqu'elle s'applique aux accidentés du travail et victimes de maladies professionnelles. Il existe en effet un conflit d'intérêt pour l'employeur qui fait contrôler par un médecin qu'il rémunère la validité de l'arrêt de travail causé par un accident du travail ou une maladie professionnelle dont il est responsable !

Parmi les mesures proposées par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, je souscris à la création, au sein du dossier médical personnel, le DMP, d'un volet spécifique dédié à la santé au travail. Le groupe socialiste avait soutenu cette disposition lors de l'examen de la réforme de 2004. Ce sujet devrait être intégré dans les travaux en cours de préfiguration du DMP.

Selon Mme le rapporteur, ce projet pose un problème de faisabilité. En fait, je crois bien que c'est l'ensemble du DMP qui pose un problème de faisabilité ! (M. le président de la commission des affaires sociales sourit.) En témoignent les retards accumulés depuis près de quatre ans !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous êtes perspicace !

M. Jean-Pierre Godefroy. Dans ces conditions, intégrer cette proposition ne ferait pas perdre beaucoup plus de temps. La création de ce volet constituerait en outre une réelle garantie pour l'avenir des salariés et une information précieuse pour le médecin traitant.

M. Guy Fischer. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Godefroy. En ce qui concerne le régime des AT-MP, tout le monde s'accorde, depuis plusieurs années, à reconnaître la nécessité d'une réforme de cette branche, du point de vue tant de sa gouvernance que de son financement. (M. le président de la commission des affaires sociales s'exclame.)

Comme le démontrait parfaitement Pierre-Louis Bras dans le rapport de l'IGAS rendu en 2004, le système de mutualisation sur lequel repose le financement de la banche AT-MP a vécu. La tarification actuelle est peu lisible, peu individualisée et peu réactive. Elle n'est pas incitative et n'encourage pas les efforts de prévention.

Aujourd'hui, si les modalités font encore débat, l'individualisation de la tarification est semble-t-il devenue consensuelle. Il est urgent de s'engager concrètement dans cette voie. Je suis quelque peu réservé sur certaines des propositions de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, mais au moins elles existent et elles mériteraient d'être débattues. (Mme Michelle Demessine approuve.)

D'autres mesures proposées dans le présent texte ont retenu mon attention. Ainsi en est-il de la réparation intégrale des AT-MP.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Que ne l'avez-vous fait !

M. Jean-Pierre Godefroy. Sur ce sujet, je suis, si je puis dire, sur la même longueur d'onde que mes collègues du groupe CRC, même si j'ai bien conscience des contraintes financières qui s'imposent à nous dans ce domaine.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ah !

M. Alain Gournac. Ils deviennent raisonnables !

M. Jean-Pierre Godefroy. L'indemnisation forfaitaire personnalisée, qui a été évoquée et par Mme le rapporteur et par Mme la secrétaire d'État, mériterait une étude approfondie dont nous pourrions débattre.

Bien entendu, la réforme du régime des AT-MP ne pourra se faire sans les partenaires sociaux. Mais, comme j'ai déjà eu l'occasion de le rappeler, les deux accords conclus par ces mêmes partenaires sociaux en février 2006 et mars 2007 semblent loin de faire l'unanimité et comportent en fait bien peu d'avancées. Le Gouvernement a d'ailleurs renoncé à les transposer dans une loi, ce qui est compréhensible, en l'état. Donc, à un moment donné, le Gouvernement et le Parlement devront « prendre leurs responsabilités », pour employer une expression très à la mode.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. N'est-ce pas une menace pour les partenaires sociaux ?

M. Jean-Pierre Godefroy. Non, c'est en encouragement. En tout cas, si j'ai bien compris, ce n'était pas une menace dans la bouche du Gouvernement !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et pour vous ?

M. Jean-Pierre Godefroy. Pourquoi voudriez-vous que nous en fassions une menace ? Ce sont des encouragements auxquels vous ne pouvez, me semble-t-il, que souscrire ! (Sourires.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Pierre Godefroy. Nous sommes donc en parfait accord !

M. Alain Gournac. Mais oui !

M. Jean-Pierre Godefroy. Je suis également tout à fait favorable aux dispositions des articles 44 et 45 visant à exonérer les victimes d'AT-MP de l'application du forfait de un euro et des franchises médicales.

Madame la secrétaire d'État, mes collègues du groupe CRC comme moi-même et l'ensemble du groupe socialiste contestons vivement le choix de les assujettir à ces franchises. Ce faisant, et c'est un aspect fondamental, le Gouvernement nie leur statut de victimes !

Bien que Conseil constitutionnel n'ait pas fait droit à notre recours, nous continuons de penser que le traitement inégal des victimes est tout à fait anormal et qu'il mérite d'être reconsidéré. Je n'insisterai pas, mais, du fait des franchises, les victimes d'AT-MT ne pourront pas prétendre à la même indemnisation que les autres victimes : elles feront l'objet d'un traitement particulier, et défavorable.

Le dernier volet de mon intervention sera consacré à l'amiante.

C'est un sujet qui, vous le savez, me tient à coeur. Mme Demessine a évoqué la situation du nord de la France. Permettez-moi de penser à mes camarades des constructions navales et d'avoir une pensée particulière pour les habitants de Condé-sur-Noireau, village situé dans ce que l'on appelle désormais la « vallée de la mort » ! Imaginez la portée d'une telle appellation, tout cela à cause de l'amiante et de ses ravages, mais aussi à cause d'un manque de prévoyance. C'est un débat que nous avons déjà eu au sein de la mission commune d'information.

Au sujet de la cessation d'activité et de l'indemnisation des victimes de l'amiante, je rejoins la plupart des propositions formulées par nos collègues, propositions qui s'inscrivent d'ailleurs dans la droite ligne du rapport de la mission commune d'information ainsi que des amendements que mon groupe dépose à l'occasion de la discussion de tous les projets de loi de financement de la sécurité sociale, même si, cette année, pour les raisons que j'ai rappelées au début de mon propos, nous n'avons pas pu les étudier.

J'en viens au Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, le FCAATA. Tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il existe des dysfonctionnements dans le régime de la cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, notamment en ce qui concerne la procédure d'inscription des établissements sur les listes ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, l'ACAATA.

C'est pour cette raison que nous proposons de compléter le système actuel par une voie d'accès individuelle au FCAATA qui permettrait aux salariés exposés à l'amiante, mais dont l'entreprise ne figure pas sur les listes, de bénéficier néanmoins de la préretraite.

Nos collègues du groupe CRC proposent d'en confier la gestion aux caisses régionales d'assurance maladie, les CRAM. Pour ma part, je penche, comme M. Vanlerenberghe, pour la création de comités de sites afin d'identifier plus facilement les droits de chacun. Ces comités de site, qui rassembleraient l'ensemble des parties concernées - État, CRAM, employeurs, syndicats, médecins du travail - pourraient mettre en commun les informations et témoignages dont ils disposent.

C'est l'une des vingt-huit propositions de la mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante.

Cette idée, et je m'exprime sous le contrôle du président de la mission, a été émise lors de notre déplacement à Cherbourg. Il s'agissait de permettre la reconstitution de carrière des personnes ayant fait le ménage dans les ateliers contaminés par l'amiante. Aujourd'hui, nombre d'entre elles ne peuvent faire valoir leurs droits faute de pouvoir reconstituer leur parcours professionnel, certaines entreprises ayant disparu. Le recours individuel et la reconstitution de carrière me paraissent donc indispensables. Les premières personnes à avoir « désamianter » les ateliers, ce sont les employés qui étaient chargés du ménage, mes chers collègues !

En ce qui concerne le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, le FIVA, je soutiens la proposition de nos collègues relative à la prescription trentenaire.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, qui a créé le FIVA, n'avait pas prévu de prescription pour les dossiers des victimes de l'amiante. C'est le conseil d'administration du FIVA, dont la composition originelle a été modifiée en cours de route par le gouvernement précédent, qui, par une délibération du 28 mars 2003, a voté une durée de prescription de quatre ans, en s'appuyant sur la durée de prescription des créances publiques.

Certes, le FIVA est un établissement public, mais, dans la mesure où sa fonction est de se substituer aux juridictions civiles pour réparer les dommages des victimes de l'amiante, il me semble logique d'appliquer au régime de la prescription les dispositions de l'article 2262 du code civil, lequel prévoit une prescription trentenaire pour toutes les actions en indemnisation. (Mme Michelle Demessine approuve.)

L'adoption de cette durée de prescription aurait évité un encombrement accru du FIVA, fonds qui ne parvient déjà pas à respecter les délais de traitement des dossiers que lui imposent les textes.

Il en résulte une profonde injustice pour les victimes isolées qui n'ont pas encore engagé de démarches, mais aussi pour celles qui sont déjà indemnisées mais qui seraient fondées à demander un complément d'indemnisation. Plus de 4 000 dossiers sont recensés en France.

Je souhaite donc que le Gouvernement envisage sérieusement de faire évoluer le délai de prescription actuel. Aujourd'hui, il faut plus de quatre ans pour faire valoir ses droits, ne serait-ce que pour reconstituer sa carrière.

En ce qui concerne le financement des dépenses d'indemnisation, nos collègues n'ont pas repris la proposition de la mission commune d'information relative à la définition d'une clé de répartition des charges entre l'État et la sécurité sociale. Dans la mesure où je n'ai pas pu évoquer ce sujet lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale puisque l'on m'a opposé l'article 40, vous me permettrez de m'y attarder un instant. (Sourires.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Le débat est fait pour cela !

M. Jean-Pierre Godefroy. Nous considérons que 30 % des dépenses du FCAATA et du FIVA devraient incomber à l'État. Ce niveau permettrait de tenir compte de la responsabilité de l'État en tant qu'employeur, mais aussi en tant que puissance publique qui n'a pas su prendre, en temps utile, les mesures de prévention nécessaires. C'est l'une des recommandations de la mission commune d'information.

Je regrette que, depuis la parution des rapports du Sénat et de l'Assemblée nationale, le Gouvernement n'ait concrétisé quasiment aucune des propositions qui ont été faites par le Parlement.

Comme vous l'avez indiqué, madame le rapporteur, « le dossier amiante continue de poser de redoutables problèmes d'efficacité, d'équité et de financement auxquels il faut trouver des solutions ». Pourtant, vous rejetez vous aussi les propositions faites par nos collègues, alors même que vous les estimez intéressantes...

Madame la secrétaire d'État, j'espère que le débat qui s'est engagé aujourd'hui se poursuivra sous une autre forme et aboutira, à moyen terme, à une refonte globale de notre système de santé au travail. Je souhaite qu'un projet de loi aussi ample que le présent texte soit déposé rapidement, après consultation des partenaires sociaux. Il serait dommage que la proposition de loi qui nous est soumise ne trouve pas, dans quelque temps, une traduction gouvernementale aussi complète que possible.

Pour toutes ces raisons, madame le rapporteur, en dépit de la qualité de votre rapport, nous voterons bien évidemment contre vos conclusions négatives. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Debré.

Mme Isabelle Debré. Madame la présidente, madame le secrétaire d'État, madame le rapporteur, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer sincèrement l'ampleur du travail accompli par nos collègues du groupe CRC, travail qui dégage certaines pistes de réflexion intéressantes sur un sujet particulièrement important et complexe.

M. Guy Fischer. Eh bien...

Mme Isabelle Debré. Mes propos sont très sincères !

Je ne reviendrai pas sur l'ensemble du dispositif prévu dans la proposition de loi. Certaines suggestions me semblent intéressantes et pourraient permettre des avancées pour la protection de la santé des salariés. Toutefois, à l'image du rapporteur, notre excellente collègue Sylvie Desmarescaux, je soulignerai que le Gouvernement et les partenaires sociaux élaborent en ce moment même leurs propositions. Il est donc souhaitable d'attendre leurs conclusions.

L'exposé des motifs de la proposition de loi relève à diverses reprises l'inaction du Gouvernement ou l'absence de projet de ce dernier. Je m'attacherai à démontrer que ce constat est injustifié et que de nombreuses réformes sont en cours.

Premier point : la médecine du travail. Comme l'a indiqué Mme le rapporteur, le drame de l'amiante a mis sur la place publique les lacunes, pressenties depuis longtemps, du système de santé au travail. La médecine du travail est archaïque et doit donc être revue en profondeur.

Le récent rapport des professeurs Françoise Conso et Paul Frimat montre la forte implication de l'État et dresse un bilan des réformes intervenues dans la foulée de l'accord interprofessionnel de décembre 2000, de la loi de modernisation sociale de 2002 et de la loi relative à la politique de santé publique de 2004. Ainsi, nous sommes passés d'une logique de réparation à une logique de prévention.

Cependant, le rapport dresse un tableau assez noir de la médecine du travail. Le nombre de maladies professionnelles continue d'augmenter. L'image de la profession de médecin du travail est ternie et le nombre de postes diminue. La procédure d'aptitude voit son utilité préventive contestée en raison de son décalage lié aux transformations de notre système de travail. La réforme de l'inaptitude est également nécessaire.

Le gouvernement actuel souhaite donner une impulsion nouvelle. Le rapport, ainsi que celui dont a été chargé M. Hervé Gosselin sur les procédures de prévention des inaptitudes, ouvre de nombreuses pistes quant aux réformes à adopter.

Madame le secrétaire d'État, vous avez annoncé que la modernisation des services de santé au travail serait poursuivie sur la base de ces rapports d'évaluation. Le 4 octobre dernier, avec votre collègue Xavier Bertrand, vous avez présidé une conférence tripartite sur les conditions de travail animée par notre collègue Gérard Larcher. Différents points relatifs à la prévention ont ainsi été soumis à la négociation des partenaires sociaux. Un avis du Conseil économique et social est attendu d'ici à la fin février.

La proposition de loi comporte des dispositions intéressantes, concernant notamment la coordination des services de santé au travail ou la définition des missions de ces services. Néanmoins, dans le contexte que je viens de décrire, il ne me semble pas souhaitable d'anticiper les décisions qui seront prises.

Deuxième point : la prévention des risques. Le précédent gouvernement avait déjà affirmé sa volonté de faire de la lutte contre les risques professionnels une priorité. En février 2005, notre collègue Gérard Larcher, alors ministre délégué aux relations du travail, lançait le plan « Santé au travail », qui couvre la période 2005-2009 et comprend vingt-trois mesures s'articulant autour de quatre objectifs : développer les connaissances des dangers, des risques et des expositions en milieu professionnel ; renforcer l'effectivité du contrôle ; refonder les instances de concertation du pilotage de la santé au travail ; encourager les entreprises à être acteur de la santé au travail. C'est en effet sur le terrain, au quotidien et dans les entreprises, que les risques professionnels peuvent reculer.

La mise en oeuvre de ce travail ambitieux est poursuivie.

De plus, les partenaires sociaux sont saisis de ces questions, conformément aux objectifs fixés par la conférence tripartite sur les conditions de travail que je viens d'évoquer.

Il s'agit de promouvoir le rôle des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, dont il est nécessaire d'améliorer le fonctionnement et de moderniser les capacités d'expertise. En effet, le domaine de la santé et de la sécurité au travail se complexifie considérablement depuis quelques années en raison des évolutions liées à l'organisation du travail, aux changements technologiques, aux risques à effet différé, ou encore à l'identification de risques nouveaux tels les risques psychosociaux. Seront ainsi examinées les questions comme la durée du mandat des membres du comité, leur formation, la simplification de l'exercice de leurs missions.

Par ailleurs, les modalités d'alerte sur les conditions de travail seront redéfinies dans le cadre de la conférence tripartite, afin qu'un dispositif d'alerte soit accessible quelle que soit la taille de l'entreprise, notamment lorsque cette dernière n'a pas de représentation du personnel.

Enfin, les travaux du Grenelle de l'environnement devront également être pris en compte.

On le constate donc, les partenaires sociaux travaillent déjà sur les questions posées dans la proposition de loi. Aussi, je rejoins les conclusions du rapporteur, qui recommande de laisser ces négociations...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. ... suivre leur cours !

Mme Isabelle Debré. ... aboutir.

Troisième point : le régime des accidents du travail et des maladies professionnelles. Le rapport de la commission indique qu'en 2006 le nombre des accidents du travail avec arrêt - plus de 700 000 - a augmenté de 0,2 % par rapport à 2005. Il se stabilise, après avoir été divisé par deux en vingt ans. Il est néanmoins nécessaire d'améliorer une situation qui reste inacceptable.

Pour faire respecter la réglementation, un renforcement des moyens de l'inspection du travail est indispensable. Pour ce faire, le Gouvernement a lancé un plan de développement et de modernisation de l'inspection du travail qui s'est traduit par 180 recrutements en 2007 ; 170 autres sont programmés en 2008. Dans le cadre de ce plan sont prévues des actions de sensibilisation, puis des campagnes de contrôle.

Les travaux de la conférence tripartite visent également à sensibiliser les entreprises à une évaluation a priori des risques et à améliorer la formation des représentants des salariés ainsi que le travail en réseau des différents acteurs de la prévention.

La proposition de loi traite de la gouvernance et des ressources de la branche accidents du travail, et modifie les modalités de la réparation, posant notamment le principe d'une réparation intégrale des accidents du travail et des maladies professionnelles. Sur ces sujets complexes, on doit à mon avis laisser le processus de négociation se poursuivre également.

Dernier point, et non le moindre : le dossier de l'amiante.

Il existe une réglementation détaillée visant à assurer la protection des travailleurs susceptibles d'être exposés à l'amiante. Dans le cadre du plan « Santé au travail », des campagnes de contrôle ciblées ont été réalisées sur les chantiers de désamiantage. En 2006, ces contrôles ont révélé des anomalies sur 76 % des chantiers. Les campagnes successives ont permis de mesurer les progrès de l'application de la réglementation. Les agents de contrôle ont appliqué les instructions du ministre : ils ont systématisé les sanctions en cas d'entorse à la réglementation et ont renforcé leur niveau d'exigence. La situation s'est améliorée. Par exemple, des progrès ont été constatés en matière de protection respiratoire : le choix des équipements est désormais adapté au risque dans 93 % des cas pour les chantiers de retrait de canalisation.

Ces résultats encourageants montrent que les vigoureuses campagnes de contrôles organisées depuis 2004 ont permis une réelle prise de conscience.

Il faut bien évidemment poursuivre ces actions, et les mesures de prévention envisagées dans la proposition de loi pourraient utilement compléter le dispositif existant. Je pense notamment à la possibilité qui serait donnée à l'inspecteur du travail d'interrompre un chantier en cas d'absence de communication des dossiers techniques, ou à la limitation du rythme des interventions sur les sites de désamiantage.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est bien !

Mme Isabelle Debré. En revanche, les mesures proposées au sujet du régime de cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante demandent une expertise ou ne sont pas toutes appropriées ; l'une d'elles a été écartée lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

Il est sage d'attendre les conclusions du groupe de travail qui vient d'être mis en place en vue de la réforme du dispositif et dont les propositions pourront être intégrées dans le prochain PLFSS.

Je soulignerai en conclusion que, sur l'ensemble des thèmes évoqués, il paraît plus prudent et plus cohérent de ne pas entraver le processus en cours en légiférant trop tôt. Nous pourrons profiter du travail approfondi du groupe communiste républicain et citoyen pour préparer le débat que nous serons appelés à mener dans quelques mois.

C'est pourquoi le groupe UMP, tout en saluant sincèrement la qualité du travail accompli, approuve le rejet du texte par la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur quelques travées de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vais maintenant laisser le fauteuil de la présidence à mon collègue Adrien Gouteyron afin de pouvoir assister dans les salons Boffrand à la réception donnée en l'honneur de Mme Marcelle Devaud, qui fête ses cent ans. Elle fut la première des très rares femmes qui ont assuré la vice-présidence de notre assemblée lorsque celle-ci s'appelait encore Conseil de la République. (Applaudissements.)

Je la saluerai en votre nom et ne manquerai pas de souligner que, cet après-midi, une femme siégeait au banc du Gouvernement, une autre était rapporteur, une autre encore était sur le point d'intervenir, et que nombreuses étaient les femmes présentes en séance.

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Et elles viennent toutes du Nord !

M. Adrien Gouteyron. N'oubliez pas les hommes ! (Sourires.)

Mme la présidente. Pour autant, je ne manquerai pas de la saluer aussi au nom des hommes de notre assemblée !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Laissez-les vivre ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parité vous protégera ! (Nouveaux sourires.)

(M. Adrien Gouteyron remplace Mme Michèle André au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je commencerai par souligner une autre particularité de ce débat. Si l'auteur de la proposition de loi est une femme, le rapporteur une femme, le secrétaire d'État siégeant au banc du Gouvernement une femme, elles ont également en commun, ainsi que deux intervenants dans la discussion générale de ce texte, d'être du Nord-Pas-de-Calais, où l'expérience en matière de contamination est, hélas ! partagée.

La proposition de loi dont nous débattons a le mérite de nous mobiliser sur un ensemble de droits acquis essentiels pour la santé publique, en particulier pour celle des travailleurs, mais aussi de nous rappeler qu'en novembre 2007, à l'occasion de la refonte du code du travail, ces droits ont subi une importante érosion sous ordonnance.

Chacun s'accordait sur la nécessité d'une simplification qui aurait conservé l'esprit qui prévalait jusqu'alors et faisait du code du travail un instrument au service du droit et de la justice, au service des salariés et de leur protection.

Dans un jeu de kaléidoscope, le code du travail a été récrit et la protection des salariés s'est mutée en responsabilité partagée. Vivrions-nous dans un monde idéal dépourvu d'employeurs indélicats ? Le terme de « patrons voyous » a pourtant été forgé par la majorité, et non par de dangereux gauchistes !

Dans un contexte de « dialogue social » qui retarde le contrat durable et facilite le licenciement, ce n'est vraiment pas le moment d'exonérer les employeurs de leur responsabilité !

Si le port d'un casque sur un chantier ou d'un masque dans une scierie ne se discute pas, le confinement étouffant d'un scaphandre de désamianteur exige des pauses sanitaires rémunérées. Un simple exemple : dans le cadre de la mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante, nous avons interrogé le directeur santé-sécurité de l'entreprise Arcelor sur l'éradication de l'amiante dans les usines du Brésil. La réponse, malgré tout ce que l'on sait, fut : « Non, car là-bas ce n'est pas obligatoire ».

Mme Marie-Christine Blandin. C'est donc la loi, ses décrets, et le contrôle de son application qui sont garants de la protection et non pas la « responsabilité partagée ».

Un recours a été déposé devant le Conseil constitutionnel sur la forme - le Gouvernement a agi par ordonnance - et sur le fond, en raison de nouveaux articles permissifs.

Une disposition prévoit que « les instructions de l'employeur précisent les conditions d'utilisation des équipements de travail des moyens de protection, des substances et préparations dangereuses » ; mais un alinéa 2 ajoute que cette disposition échappe au principe de responsabilité de l'employeur.

Il faut savoir, par exemple, que des seuils qui s'imposent pour les produits fabriqués - 0,5 % pour certains éthers de glycol - ne s'appliquent pas pour les travailleurs si la substance est manipulée dans le cadre d'un process de fabrication et ne sort pas de l'entreprise.

Le temps minimal dévolu à la prévention sur les lieux de travail est laissé à l'appréciation et est fonction des disponibilités : il y aura désormais une visite médicale tous les deux ans au lieu d'une par an. Le temps minimal par salarié dont disposait le médecin du travail a disparu. En revanche, le médecin du travail se voit confier un secteur.

Les modalités de la mise en demeure faite par un inspecteur du travail, en cas de constatation d'un danger grave et imminent, sont renvoyées à la parution d'un décret.

Les modalités d'étiquetage des substances dangereuses sont également renvoyées à un décret. Pour la mise sur le marché et l'utilisation des substances et des préparations dangereuses, le nouveau texte ne précise plus que les décrets d'application « peuvent prévoir les modalités d'indemnisation des travailleurs atteints d'affections causées par ces produits ».

De toute façon, les employeurs peu vertueux et récidivistes voient les dispositions dissuasives de doublement des sanctions disparaître du nouveau code.

Tout cet environnement plaide en faveur des propositions du groupe CRC.

Et pourtant, la France n'est pas au sommet de l'exigence.

Quand elle transpose l'annexe 1 de la Directive européenne « cancérogènes et mutagènes », elle ne retient pas certaines filières reconnues par le Centre international de recherches sur le cancer, dont - excusez du peu - les fonderies de fer et d'acier, les métiers de la peinture, l'industrie du caoutchouc !

La santé au travail, déjà mise à mal, devient alors peau de chagrin.

Que sont devenues les propositions du rapport Conso et Frimat en vue de moderniser le dispositif de santé au travail pour mieux prévenir les risques ?

Comment sera anticipé le départ à la retraite d'ici à cinq ans de 1 700 médecins du travail, alors que seuls 370 auront été qualifiés à la même période ?

Quelle formation aujourd'hui et demain pour faire face aux nouvelles connaissances - contaminations et faibles doses - et aux transformations du système productif qui amènent stress et souffrance ? On compte les morts accidentelles et les morts par désespoir.

La proposition de loi nous sort d'une logique purement administrative et comptable qui obère toute chance de refonte d'une médecine préventive du XXIe siècle.

Simultanément, le Président de la République vante la précaution à l'occasion du Grenelle de l'environnement. Il déclare : « Nous allons créer un droit à la transparence totale dans l'information environnementale et de l'expertise ».

Il évoque « un principe de vigilance et de transparence », « un principe de responsabilité », et il dit ceci : « Nos décisions ne doivent pas dégrader la situation des plus démunis. Au contraire, ils doivent en être les premiers bénéficiaires ».

Est-ce pour cela que soixante-trois tribunaux de prud'hommes sont voués à la disparition ?

Est-ce pour cela que la commission des affaires sociales du Sénat a renoncé à la proposition de loi de Mme Demessine,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Non !

Mme Marie-Christine Blandin. ...renvoyant certes à un groupe de travail ?

En la matière, le travail a été fait longuement, scrupuleusement : je pense aux rapports de l'Assemblée nationale et du Sénat sur l'amiante et aux soixante-dix auditions. Ces dernières ont révélé un scandale total, une faillite éthique, des négligences impardonnables,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Des abus d'indemnisation aussi de temps en temps !

Mme Marie-Christine Blandin. ...et l'amiante n'est que la partie émergée de l'iceberg : triste privilège d'une fibre qui signe son méfait, contrairement à nombre de cancérogènes.

Les conclusions et les propositions apportées rencontrent les attentes de milliers de victimes et de familles endeuillées.

Collectivement, nous avons dit : « Plus jamais ça ». Humblement, certains ont ajouté : « Nous avons avancé à la mesure de ce que nous savions ».

Nous avons exploré tous les mécanismes de la connaissance et de la décision, constaté la nécessité absolue d'indépendance et de moyens accrus pour la médecine et l'inspection du travail.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oui !

Mme Marie-Christine Blandin. Ce n'est pas quand il y a mise en examen « pour mise en danger de la vie d'autrui » qu'il faut réagir et mettre à la retraite anticipée ce médecin du travail de Condé-sur-Noireau, par ailleurs membre du Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, le FCAATA. C'est avant, si la mission est défaillante ou sous influence.

L'indemnisation du nombre croissant de victimes par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, le FIVA, et les contentieux en justice nécessitent, contrairement à l'évolution des textes, une responsabilisation claire des employeurs.

Je rappelle que le principal employeur poursuivi à ce jour et condamné à maintes reprises par les juridictions de sécurité sociale de Brest, Toulon, Cherbourg, n'est autre que le ministère de la défense. Que pensent les ouvriers amiantés de la construction navale des autorités françaises qui ont proposé un désamiantage du Clemenceau en Inde ?

Travailler à la réparation, évaluer son coût humain et financier devraient nous obliger à d'autres choix. Les bons choix d'aujourd'hui seront la réduction des déficits publics de demain. Quand on nous dit que les caisses sont vides, nous faisons appel au bon sens de la ménagère et à l'intelligence des sciences de la précaution : il faut revitaliser en urgence les filières de formation des écotoxicologues et des épidémiologistes qui nous manquent tant ; sinon, avec qui, demain, la France assumera-t-elle sa part d'évaluation selon les nouvelles règles de la directive REACH applicables au 1er janvier 2008 ?

La santé des populations mérite une architecture nouvelle, celle d'un ministère de la santé qui ne se limite pas aux soins et rétablit sa vocation première de protection, de prévention, de précaution.

En matière de prévention, nous n'avons pas été au rendez-vous puisque ce sont des milliers de personnes qui demandent légitimement réparation pour contamination, les uns par l'amiante, les autres par le plomb, les métaux lourds, dans un contexte de grand sous-équipement des pôles juridiques de santé publique.

L'édifice n'est pas satisfaisant ; nous ne savons pas anticiper.

Je prendrai trois exemples.

S'agissant des nanomatériaux, 700 sont déjà en circulation, et les préventions sanitaires sont inexistantes. La transparence meurt sous le secret industriel.

Les éthers de glycol, certes bien différents les uns des autres, gardent dans leurs rangs des suspects pouvant être substitués.

Quant aux fibres céramiques réfractaires, alors qu'elles sont déjà dénoncées par ceux qui les manipulent comme par certains toxicologues, le professeur Brochard a déclaré ceci devant nous : « Le recul n'est que de trente ans, il faut au moins cinquante ans pour évaluer l'effet sur la population ». Cinquante ans et combien de victimes ?

Nous devons, pour sortir de l'impasse, prendre pleinement la mesure des dangers et des risques.

Nous devons passer de la prévention à la précaution. Ainsi, nous ne devons plus attendre qu'un danger soit prouvé, avec son cortège de drames humains, pour prendre des mesures. Il s'agit parfois simplement de veiller à tenir à l'écart des cibles particulières ou de passer de la notion de protection de la « femme enceinte » à celle de protection de la « femme en âge de procréer », au contact des substances reprotoxiques ou mutagènes.

Notre démocratie se doit de donner aux lanceurs d'alerte, qu'ils soient experts, scientifiques, chercheurs, victimes, ouvriers ou simples citoyens mobilisés sur l'intérêt commun, des espaces pour se faire entendre, et leur assurer la protection quand ils sont menacés.

Combien, hier taxés d'oiseaux de mauvais augure, voient leur diagnostic se confirmer et combien, attentifs à la juste précaution du doute, ont vu leur vie professionnelle basculer, frappés par l'ostracisme, l'interdiction d'exercer ou de s'exprimer, ou simplement la fin de leurs financements ? C'est un inspecteur du travail qui dénonçait déjà l'amiante en 1906. Un statut doit protéger ces lanceurs d'alerte.

Nous pouvons aussi faire preuve d'écoute et d'humilité devant les connaissances accumulées par les travailleurs exposés aux métaux lourds, aux solvants. Ils sont trop souvent réduits au silence par le chantage à l'emploi un temps, puis licenciés, malades, sans perspective de reclassement : qui embaucherait un ancien salarié d'Alstom privé de son certificat d'exposition à l'amiante ? Quel employeur prendrait ce risque ? Le tribunal des prud'hommes de Lannoy devra statuer en février après trois ans de procédures, simplement pour faire appliquer la loi.

En attendant, les itinéraires de vie, les drames sont autant de leçons dans les méandres administratifs, sanitaires et judiciaires. Ce sont les anciens salariés d'Alstom qui alertent les pouvoirs publics sur l'utilisation des chaudières collectives Dravo qu'ils ont construites : elles sont tapissées d'amiante et elles sont présentes encore aujourd'hui dans de nombreuses salles de sports et de nombreux lieux collectifs.

M. Douste-Blazy, interpellé par moi-même ici sur ce risque sanitaire majeur, notamment pour les enfants, avait répondu qu'il n'était pas favorable à ce que l'on attire l'attention sur un équipement particulier, et que cette tâche incombait aux propriétaires. Ce sont les veuves de l'amiante qui organisent aujourd'hui bénévolement l'accompagnement administratif, sanitaire et psychologique des victimes. Ce sont elles qui nous alertent sur l'utilisation pernicieuse de la loi Fauchon.

Associer plus systématiquement l'expertise d'usage des salariés, donner des formations et des moyens aux CHSCT, créer des unités santé-environnement en lien avec la sphère hospitalière et en son sein, décentraliser l'expertise, la veille environnementale et sanitaire en créant des agences régionales de la santé environnementale et professionnelle, sont des pistes nécessaires pour que la santé au travail s'inscrive dans un cadre solide.

C'est aujourd'hui qu'il faut sortir de la frilosité de nos prédécesseurs qui n'ont pas su donner à l'AFSSET les moyens et le cadre réglementaire à la hauteur de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA.

Pour toutes ces raisons, pour que l'on ne protège pas plus les marchandises que les hommes au travail, les sénateurs Verts pensent qu'un texte inspiré des réflexions de Mme Demessine doit être discuté sans tarder.

Si nous attendons les travaux des partenaires sociaux, évoqués par Mme Desmarescaux et Mme la secrétaire d'État, le texte ne devra pas se contenter de charpenter à nouveau une protection fragilisée de la santé au travail ; il devra tirer toutes les conséquences des drames passés et nous donner les moyens de passer d'une surveillance insuffisante à une véritable précaution.

J'ajouterai en conclusion, devant cette assemblée prompte à s'émouvoir de dépenses en perspective, que la précaution est affaire de confort humain mais aussi d'économies budgétaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, pour conclure ce débat sur la proposition de loi présentée par Mme Michelle Demessine, je répondrai aux différents orateurs qui se sont exprimés.

Monsieur Vanlerenberghe, la loi donne au FIVA la possibilité d'engager des recours pour faute inexcusable, mais, faute de moyens suffisants en personnels, il n'a pu jusqu'à ce jour faire usage de ce droit.

Conscient de ce problème, le Gouvernement a décidé de renforcer significativement les moyens du fonds, pour lui permettre d'engager un recours chaque fois que la victime y a intérêt : 7 postes ont ainsi été créés en 2007, et 5 autres le seront en 2008, ce qui portera l'effectif du FIVA à près de 60 personnes.

Sur les contrôles de chantier de désamiantage, comme vous le savez, en 2005 et en 2006 ont été organisées des campagnes de contrôles sur tous les chantiers de retrait d'amiante et de démolition. Celles-ci ont été marquées par une forte mobilisation des agents : en 2006, 936 chantiers ont ainsi été contrôlés.

Pour 2008, nous avons veillé à ce que toutes les directions régionales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle inscrivent dans leurs budgets opérationnels des actions sur l'amiante mettant l'accent sur le contrôle non seulement des opérations de retrait et de confinement de l'amiante mais aussi des activités et des matériaux susceptibles d'émettre des fibres d'amiante.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ne négligeons pas le danger des autres fibres minérales !

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État. Au sujet de la réforme du FCAATA, vous êtes favorable au fait de compléter le système actuel d'accès à ce fonds par une voie individuelle.

Comme j'ai pu le dire précédemment, le groupe de travail sur la réforme du FCAATA a pour mission de proposer un nouveau dispositif qui soit davantage centré sur les individus ayant été exposés à l'amiante.

Une question se pose : pourra-t-on cumuler un système d'inscription par liste avec un système individuel ? C'est à ce groupe de travail, dont vous êtes membre, qu'il appartiendra d'y répondre, en veillant à garantir l'équité, la faisabilité technique et administrative et la soutenabilité financière de l'ensemble du nouveau dispositif.

S'agissant du suivi post-professionnel des personnes ayant été exposées à l'amiante, la Haute Autorité de santé travaille actuellement à l'élaboration des référentiels en matière de suivi post-exposition.

Monsieur Godefroy, à propos de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, il ne faut pas confondre deux phénomènes distincts.

Il s'agit, d'une part, de la sous-déclaration par un certain nombre de professionnels de santé, en raison d'une méconnaissance des risques professionnels auxquels ont pu être exposés leurs patients. Songez que seulement huit heures d'enseignement sont consacrées à la médecine du travail dans le troisième cycle des internes en médecine générale ! Il importera donc de remédier à cet état de fait.

Il s'agit, d'autre part, du fait que certaines entreprises ne déclareraient pas une partie des accidents du travail subis par leurs salariés. Le Gouvernement est déterminé à sanctionner de telles pratiques, qui sont véritablement inacceptables. Vous-même avez fait implicitement référence à une grande entreprise du secteur de l'automobile. Vous le savez, l'inspection du travail a rendu un rapport à ce sujet ; l'instruction se poursuit.

Vous avez également évoqué les CHSCT de site. Il convient, à mon sens, de laisser les partenaires sociaux nous faire des propositions puisqu'ils doivent négocier sur les moyens d'améliorer l'intervention des CHSCT et de mettre en place, dans les très petites entreprises et dans les petites et moyennes entreprises, le cadre approprié d'un dialogue social sur les conditions de travail.

Quant aux médecins du travail, qui seraient, selon vous, trop « enfermés », le but de la pluridisciplinarité est justement d'enrichir le travail du médecin en lui permettant de recourir à des compétences techniques diverses, notamment celles des IPRP, les intervenants en prévention des risques professionnels. Il faut donc poursuivre dans cette voie.

En ce qui concerne le FIVA, il est inexact d'affirmer que l'indemnisation versée est soumise à une reconstitution de carrière. Le fonds propose en effet des indemnisations à toutes les victimes de l'amiante, y compris à celles dont l'origine de la maladie est environnementale, ainsi qu'à leurs ayants droit.

À propos des services de santé au travail, je partage votre point de vue, car il faudrait améliorer le contrôle social en leur sein. Nous avons d'ailleurs entamé une réflexion sur ce point.

Madame Debré, vous avez insisté sur la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Il importe non pas seulement de contrôler le respect de la réglementation par nos services d'inspection, mais de développer surtout une véritable culture de la prévention auprès de toutes les entreprises, au premier rang desquelles les plus petites.

Pour ce faire, il faut coordonner l'action de tous les « préventeurs » : les services de santé au travail, les CRAM, l'ANACT, l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, ainsi que son réseau régional, et les OPPBTP, les organismes professionnels de prévention du bâtiment et des travaux publics.

Madame Blandin, les propositions du rapport Conso-Frimat sont actuellement étudiées et font l'objet d'une concertation avec tous les partenaires sociaux et les acteurs des services de santé.

Parmi les solutions qui permettraient de résoudre le problème de démographie médicale chez les médecins du travail, il faut certainement augmenter, par étapes, leur quota. En attendant, il convient sans doute de rétablir les passerelles en faveur des médecins généralistes désireux de changer de voie à la suite d'une formation technique et pratique.

Vous avez en particulier fait allusion à des dispositions légales sur les risques chimiques, qui auraient disparu du code du travail. Vous le savez, ce dernier a été totalement réorganisé. À l'évidence, les dispositions que vous avez évoquées ont « basculé » dans la partie réglementaire.

En conclusion, je souhaite réitérer mes remerciements à Mme Desmarescaux, rapporteur de la commission des affaires sociales, qui nous a présenté de façon remarquable une analyse détaillée de la proposition de loi très complète de Mme Demessine et plusieurs de ses collègues, éclairant ainsi le débat de ce travail de fond. Je tiens à saluer une nouvelle fois la qualité du travail réalisé dans le cadre de ce texte. Ces éclaircissements nous seront à toutes et à tous très utiles, notamment en vue de ce qui nous attend dans les mois à venir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Vote sur l'ensemble

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer la santé au travail des salariés et à prévenir les risques professionnels auxquels ils sont exposés
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix les conclusions négatives du rapport de la commission des affaires sociales tendant au rejet de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Anne-Marie Payet, pour explication de vote.

Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, mon intervention sera brève dans la mesure où j'insisterai uniquement sur un point précis, à savoir la gestion du risque « alcool ».

La présente proposition de loi nous donne en effet l'occasion d'ouvrir les débats sur ce problème, qui est loin d'être pris en compte dans les entreprises.

La consommation d'alcool entraîne de nombreux dysfonctionnements, notamment la baisse de la performance et de la productivité ainsi que la multiplication et l'aggravation des situations conflictuelles. Elle est responsable de 20 % des accidents du travail, qu'on a parfois du mal à expliquer. Un professeur de médecine avait d'ailleurs l'habitude de dire à ses étudiants : quand vous ne connaissez pas la cause, cherchez l'alcool.

Mes chers collègues, les employés passent parfois relativement vite du stade de « bons buveurs », de « bons vivants », en quelque sorte de « porteurs sains », à celui de la dépendance alcoolique et de la maladie. Les jeunes apprentis qui arrivent dans une entreprise doivent souvent subir un rite initiatique : accepter de boire de l'alcool pour montrer qu'ils sont des hommes, des vrais.

Pourtant, sous l'emprise de l'alcool, les conducteurs de véhicules et d'engins perdent rapidement les facultés psychomotrices et sensorielles requises en termes de vigilance, de réflexes, d'appréciation des distances, de champ visuel et de sensibilité à l'éblouissement.

Dans son rapport sur la prévention et la lutte contre l'alcoolisme, Hervé Chabalier propose notamment de faire du monde de l'entreprise un acteur de la prévention. Plusieurs pistes sont envisagées : la formation de l'encadrement ; l'établissement d'un règlement intérieur concernant la consommation d'alcool ; la création d'un protocole de gestion des « pots » ; la mise en place d'un groupe « alcool » pour travailler sur les facteurs de risques et pour aider les personnes en danger ; l'instauration d'un taux « zéro alcool » au travail pour les postes de sécurité, qu'il s'agisse des forces de l'ordre ou de certains salariés du BTP et des transports routiers et de voyageurs ; surtout, la suppression de l'alcool dans les cantines d'entreprise.

Dans ce cas précis des cantines d'entreprise, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, l'outil législatif existe déjà. Il suffirait de le réactualiser et, avant tout, de veiller à sa stricte application sous peine de sanction.

L'article L. 232-2 du code du travail précise en effet qu'il est interdit de distribuer et de consommer dans les entreprises « toutes boissons alcooliques autres que le vin, la bière, le cidre, le poiré, l'hydromel ».

Pendant longtemps, on s'est obstiné à faire une différence entre les alcools « forts » et ceux que l'on qualifie de « légers ». Mais les récentes campagnes de prévention ont fait comprendre aux Français que, dans un verre de whisky, de rhum, de bière ou de vin, il y a la même quantité d'alcool pur.

Madame la secrétaire d'État, par souci de cohérence, nous devons rapidement modifier cet article L. 232-2 du code du travail.

Mes chers collègues, je suivrai les conclusions de la commission des affaires sociales pour toutes les raisons qui ont été exposées par notre excellent rapporteur, tout en soulignant que la discussion de ce texte aurait été l'occasion idéale pour faire adopter un amendement en ce sens. J'attendrai donc une autre occasion ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, pour explication de vote.

Mme Michelle Demessine. Vous l'aurez compris, mes chers collègues, et vous l'avez souligné, madame le rapporteur, le texte que nous venons d'examiner, certes au pas de course,...

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Non !

Mme Michelle Demessine. ... a donné lieu à un débat de très grande qualité.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oui !

Mme Michelle Demessine. Je tiens donc à mon tour à m'en féliciter, d'autant que cette proposition de loi s'est nourrie de mois, d'années de luttes, de rencontres, de réflexions communes entre élus et salariés, associations et syndicats.

Pour autant, nous nous doutions bien, en portant cette proposition devant la Haute Assemblée, qu'elle ne ferait pas d'emblée l'objet d'un consensus concret.

Je me félicite néanmoins de ce que ces questions de santé au travail, énoncées au travers des 53 articles du texte, aient pu constituer l'amorce d'un débat sérieux au sein de notre hémicycle, débat qui prolonge opportunément - cela a été dit plusieurs fois - les conclusions du rapport sénatorial. Je regrette d'ailleurs qu'une telle discussion n'ait pu avoir lieu à l'Assemblée nationale, où un texte similaire a été déposé par notre ancien collègue Roland Muzeau, qui continue à se battre sur ce sujet en tant que député.

Je ferai une remarque au passage. Les uns et les autres, en particulier Mme la secrétaire d'État, ont évoqué les divers groupes de travail, missions ou commissions mis en place et auxquels participent d'ailleurs certains de nos collègues. Je salue cet effort, tout en regrettant que l'enceinte de notre assemblée ne soit pas suffisamment utilisée pour approfondir ces questions essentielles.

Madame la secrétaire d'État, comme vous avez pu le constater, il y a ici un nombre important d'expertes et d'experts de grande qualité, légitimés par le suffrage universel. (Mme la secrétaire d'État acquiesce.)

Cela étant dit, pour expliquer mon vote, j'aimerais m'arrêter sur les principales objections qui viennent d'être formulées.

Tout d'abord, pour certains, les principales mesures de ce texte devraient être conditionnées aux résultats du dialogue social.

Vous connaissez tous l'attachement de mon groupe aux négociations conduites par les partenaires sociaux. Pour autant, je souhaite rappeler avec force que, du point de vue de la santé au travail et compte tenu de la dégradation continue des conditions de travail dues à la course effrénée à la rentabilité immédiate, la nation, l'État, et donc le Parlement conservent en ce domaine une responsabilité de premier plan.

En effet, la santé au travail ne saurait se résumer à un arbitrage déséquilibré entre les intérêts financiers des entreprises et la santé des salariés. Il s'agit, comme j'ai pu le développer à plusieurs reprises, d'un enjeu de santé publique qui, en tant que tel, appelle des mesures et une ambition à la hauteur de la population qu'elles concernent, à savoir les 15 millions de salariés de notre pays.

Ainsi, compte tenu du bilan du drame de l'amiante et des drames qui, comme cela a été dit, se profilent en raison du grand nombre d'autres substances toxiques, notre pays a besoin d'un cadre législatif explicite et volontaire pour que la prévention de tous les risques professionnels entre dans la réalité de l'entreprise. C'est pourquoi, loin de nier l'importance et la portée du dialogue social, nous avons souhaité graver dans le marbre un certain nombre de principes fondamentaux et respectueux de la vie de nos concitoyens.

Une autre objection est évoquée de façon récurrente. Notre proposition d'une tarification adaptée aux risques et de sanctions supplémentaires envers les entreprises qui contournent les règles de sécurité ne fait pas l'unanimité, au motif que ces mesures viendraient obérer la profitabilité de ces entreprises.

Plus que jamais - nous le vivons au quotidien -, le travail des salariés sert de variable d'ajustement pour toujours plus de rentabilité à court terme, portant à son extrême son intensification, sa flexibilité et sa précarisation.

Pis encore, se développe de plus en plus aujourd'hui l'externalisation des productions à risque vers les entreprises sous-traitantes et d'intérim et les pays dits « à bas coût ». C'est d'ailleurs ce qui me fait douter de la possibilité d'une réelle coopération entre les entreprises majeures et les sous-traitantes, comme cela nous est proposé.

D'ailleurs, de grands groupes, et non des moindres, n'hésitent pas, pour atteindre les objectifs précités, à adopter des attitudes délictueuses et particulièrement cyniques que je voudrais rappeler.

Ainsi, les responsables de la firme Arkema, dans une circulaire destinée aux différentes directions des ressources humaines, détaillent toutes les mesures à prendre pour contourner les procédures de reconnaissance des maladies professionnelles, au motif que celles-ci pèsent sur la charge financière des AT-MP de l'entreprise !

L'attitude du groupe Alstom est tout autant condamnable. Je me permettrai de citer l'avocate générale près la cour d'appel de Douai, dont les réquisitoires sont très instructifs : elle rappelait ainsi en décembre dernier que la direction du groupe, au travers d'une note destinée aux actionnaires, argumentait que, en matière d'amiante, il n'y avait pas de risques de perte de rendement de leurs actions puisque les réparations dues aux victimes seraient prises en charge par la sécurité sociale. Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, n'est-ce pas absolument scandaleux ?

Quant aux PME-PMI, je souhaite attirer votre attention sur ce point, mes chers collègues : nous avons pris la précaution de mesures adaptées à leur réalité économique.

J'en viens à la troisième objection, selon laquelle nombre d'articles de cette proposition de loi ont déjà fait l'objet d'une lecture lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Cela indique pour le moins, vous en conviendrez, une certaine persévérance de notre part !

Cette objection me permet aussi d'évoquer le rôle et le poids que devrait avoir, chaque année, le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

À la suite des deux missions parlementaires relatives au drame de l'amiante, nous aurions pu nous attendre à une plus large prise en compte de la branche accidents du travail et maladies professionnelles au sein du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Or le débat se concentre uniquement autour de trois articles de financement, qui concernent le budget du FCAATA, celui du FIVA et le montant de la réversion de la branche accidents du travail et maladies professionnelles à la sécurité sociale, au lieu de s'élargir à toutes les grandes questions posées par les rapports parlementaires. Ce n'est, convenez-en, qu'au détour des amendements déposés par notre groupe, ainsi que par nos collègues socialistes et Verts, que nous avons pu jusqu'alors continuer à susciter un débat public sur ce sujet. Malheureusement, et permettez-moi encore de le regretter, le nouveau règlement du Sénat relatif à la discussion des amendements en séance ne nous permettra plus de le faire, puisque ceux-ci vont disparaître, sanctionnés par l'article 40 de la Constitution dès le dépôt en commission.

Madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le débat d'aujourd'hui a tout de même permis de revenir sur cette grave question et de lui donner une nouvelle résonnance devant le Parlement.

Même s'il faut accorder importance et légitimité à la négociation entre partenaires sociaux, je tiens à dire encore une fois que la responsabilité de la représentation nationale doit rester fortement engagée dans le domaine de la santé au travail. Mme Blandin vient de le rappeler fort justement, en évoquant la réponse cynique faite par le directeur de l'usine Arcelor de Dunkerque à une question posée par la mission sénatoriale.

Je souhaite simplement citer, pour qu'il résonne dans nos têtes, le jugement du Conseil d'État de mars 2004, qui a confirmé la responsabilité de l'État et a condamné ce dernier à indemniser les victimes de l'amiante sur le fondement de la faute pour carence de l'action de l'État dans le domaine de la prévention des risques liés à l'exposition professionnelle à l'amiante. Ces manquements sont constitués par l'absence de réglementation spécifique avant 1977, puis par une réglementation insuffisante et trop tardive par la suite. Est ainsi sanctionnée, aux termes de ce jugement, l'inapplication par l'État des principes de prévention et de précaution.

Je tiens à remercier notre rapporteur, Mme Sylvie Desmarescaux, pour la qualité de l'examen réservé à notre proposition de loi, Mme la secrétaire d'Etat pour ses réponses et l'appréciation qu'elle a faite de notre travail, ainsi que l'ensemble de nos collègues pour la qualité de leurs interventions, leurs apports au débat et les réflexions nouvelles dont ils ont été les auteurs. Je ne peux néanmoins suivre les conclusions du rapport. Je voterai donc, avec mon groupe, contre les conclusions négatives du rapport de la commission des affaires sociales sur ma proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Je souhaite saluer l'intervention d'Anne-Marie Payet.

Je connais, ma chère collègue, le combat que vous menez contre l'alcool dans le monde du travail, entre autres, combat que nous avons pu observer sur le terrain, lors d'un déplacement à la Réunion. Bien que votre intervention ne porte pas directement sur le sujet du présent débat, elle le concerne de façon indirecte.

Madame Demessine, ce fut pour moi un grand honneur de travailler sur votre proposition de loi. Je crois que nous ne l'avons pas examinée « au pas de course ». Tous les orateurs ont pris la peine d'approfondir le contenu de leurs interventions, dont la richesse a été à la mesure de ce texte.

Cette proposition de loi ne restera pas sans suite. Elle sera, d'une certaine façon, «  gravée dans le marbre », pour reprendre votre expression, grâce au travail considérable que vous avez réalisé, et parce qu'elle concerne tous les salariés et tous les travailleurs. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix les conclusions négatives du rapport de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi n° 47.

(Les conclusions sont adoptées.)

M. le président. En conséquence, la proposition de loi est rejetée.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer la santé au travail des salariés et à prévenir les risques professionnels auxquels ils sont exposés
 

9

statut de l'élu local

Discussion d'une question orale avec débat

Ordre du jour réservé

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 9 de M. Jean Puech à Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales sur la création d'un véritable statut de l'élu local.

Cette question est ainsi libellée :

« M. Jean Puech interroge Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales sur les perspectives de création d'un véritable statut de l'élu local. La mise en place de ce statut répondrait à des attentes fortes de la part des élus locaux à l'heure où la relance de la démocratie locale implique de susciter des vocations dans les divers milieux professionnels, notamment dans le secteur privé et parmi tous les talents que l'on trouve dans la société.

« Un sondage réalisé l'année dernière par l'institut TNS-SOFRES, sur l'initiative de l'Observatoire sénatorial de la décentralisation, auprès d'un échantillon représentatif de 500 exécutifs locaux, révélait la profonde insatisfaction des élus sur plusieurs questions majeures : le « statut » proprement dit (58 % de mécontents), la protection sociale (55 % de mécontents), le régime de responsabilité pénale (62 % de mécontents), les conditions de travail (66 % de mécontents), les possibilités de reconversion (58 % de mécontents)... N'est-il pas temps d'engager aujourd'hui le débat, à quelques semaines de l'arrivée dans nos communes d'une nouvelle génération d'élus municipaux ?

« C'est pourquoi il souhaiterait connaître la position du Gouvernement sur ces sujets ainsi que les suites qu'il pourrait donner aux dix propositions formulées par l'Observatoire dans son rapport publié le 7 novembre 2007 sur l'émancipation de la démocratie locale. Parmi celles-ci figure, en particulier, la création d'un régime statutaire spécifique adapté aux nouvelles responsabilités des exécutifs locaux, et notamment des maires des grandes villes et des présidents des conseils généraux et régionaux, afin de mettre un terme à une situation qui n'est plus conforme aux exigences d'une démocratie moderne et décentralisée. »

La parole est à M. Jean Puech, auteur de la question.

M. Jean Puech. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, ce sont les Français qui le disent : à chaque fois qu'ils sont interrogés, ils soulignent tout l'attachement qu'ils portent à leurs élus locaux, ces élus de terrain, ces élus qu'ils côtoient, ces élus qui savent prêter l'oreille à leurs souhaits, dialoguer, débattre.

Le comble serait que ce soit la République qui oublie ses élus locaux !

Dans le contexte actuel de réformes institutionnelles, voulues par le Président de la République, il est temps de leur donner toute la place qu'ils méritent. Il est temps de réfléchir aux perspectives de création d'un véritable statut de l'élu local.

Les attentes sont fortes. Des évolutions rapides sont nécessaires. Nos concitoyens le souhaitent. Les élus les attendent. L'Observatoire sénatorial de la décentralisation le rappelle chaque jour.

Ce domaine conditionne largement le fonctionnement de notre démocratie.

À la demande de l'Observatoire sénatorial de la décentralisation, l'institut TNS-SOFRES a effectué une enquête auprès d'un échantillon représentatif de 500 exécutifs locaux - maires de petite commune, de grande ville, présidents de conseil général, présidents de conseil régional - sur la mise en oeuvre de la décentralisation ainsi que sur l'évolution des relations entre l'État et les collectivités territoriales.

Les conclusions de cette enquête sont claires. On note une adhésion massive des élus au principe de décentralisation. Mais, en même temps, ceux-ci parlent d'une crise de légitimité, d'une crise de confiance entre les élus et l'État, ainsi que d'une grande inquiétude quant à l'avenir du financement des collectivités locales.

Près de 80 % des élus se déclarent attachés au principe de la décentralisation et, au même moment, expriment une profonde insatisfaction quant à leur « statut », à leur reconnaissance, à leur légitimité, à leur protection sociale, à leur régime de responsabilité pénale, à leurs conditions de travail. Selon eux, c'est l'absence de statut qui constitue leur statut !

Lors de la préparation de notre rapport sur l'émancipation de la démocratie locale, l'Observatoire a pris la mesure du retard français en matière de décentralisation et d'autonomie locale. L'étude des expériences européennes, ainsi que les contacts directs noués sur place, en province, avec des élus allemands, italiens et espagnols, ont montré le chemin que la France a encore à parcourir.

La route est encore longue. Cette route est à la mesure du temps qu'il a fallu à la France pour ratifier la Charte européenne de l'autonomie locale qu'il faut maintenant mettre en oeuvre.

Je rappelle que j'ai dû intervenir au nom de l'Observatoire, et à plusieurs reprises, pour que cette ratification ait lieu au mois de mai 2007, près d'un an après la loi du 10 juillet 2006 autorisant la ratification, et ce alors que notre signature du traité datait du 15 octobre 1985, soit près de vingt-deux ans auparavant !

À qui cette charte faisait-elle donc si peur ? Les tenants du jacobinisme ne veulent décidément rien lâcher !

Cette charte, signée par la quasi-totalité des États membres du Conseil de l'Europe, indique notamment que l'autonomie locale est « le droit et la capacité effective pour les collectivités de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité, et au profit de leurs populations, une part importante des affaires publiques ». Quels obstacles insurmontables !

Ces responsabilités locales doivent être « exercées par des conseils ou des assemblées, composés de membres élus au suffrage libre, secret, direct et universel et pouvant disposer d'organes exécutifs responsables devant eux ».

Il nous a fallu vingt-deux ans pour accepter définitivement ces textes ! Cela montre combien sont grandes les réticences s'agissant de l'adhésion à ces principes fondamentaux.

Nous avons donc maintenant entre nos mains des outils, un état des lieux et des expériences comparées. Le moment est venu de réformer.

Je me permettrai de rappeler les principales propositions formulées par l'Observatoire sénatorial de la décentralisation.

En ce qui concerne la clarification des compétences entre les collectivités territoriales, la question « qui fait quoi ? » n'a toujours pas trouvé de réponse évidente pour les élus et, a fortiori, pour nos concitoyens, qui continuent à patauger dans le maquis des administrations.

La poursuite de la clarification des compétences de chaque niveau d'administration locale apparaît donc comme une nécessité. Il est essentiel que les citoyens puissent, notamment, mieux identifier le rôle de chacun des exécutifs. Cet effort de simplification devrait également s'accompagner d'une stricte limitation des financements croisés, qui entretiennent la confusion sur les responsabilités de chacun. Ces incertitudes brouillent l'image et affaiblissent la légitimité des élus.

Or il convient de renforcer la légitimité des exécutifs locaux en recourant à un mode plus direct de désignation.

Avec la décentralisation, les exécutifs locaux exercent des responsabilités lourdes. Ils en assurent les risques avec courage et compétence. Ils les assurent dans des conditions difficiles, devant une opinion publique prompte à réagir, souvent sans bien connaître les difficultés de l'élu dans la conduite de plus en plus difficile des dossiers - j'ai cette expérience et ce recul ! -, avec un État plus enclin, aujourd'hui, à contrôler qu'à accompagner.

Le renforcement de la légitimité des élus pour leur permettre d'exercer pleinement leur mission est indispensable. Cette évolution serait dans la logique de la Ve République.

Dans un cadre qui repose, pour l'essentiel, sur l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, les exécutifs locaux sont actuellement désignés selon des modalités qui se rattachent plus aux usages et moeurs de la IIIe ou de la IVe République.

Sur le terrain de l'administration locale, la France a une République de retard. Elle risque, du coup, de ne plus être en phase avec le pays réel.

Si une telle réforme était envisagée, deux branches d'une alternative s'offriraient à nous : l'élection au suffrage universel direct des exécutifs et la désignation automatique dans le cadre du scrutin de liste.

La première solution consisterait, comme en Allemagne, en Italie, bientôt en Espagne et dans la plupart des pays de l'Union européenne, à élire les exécutifs locaux au suffrage universel direct. Les électeurs seraient ainsi amenés à voter deux fois : une fois pour élire l'exécutif et une autre fois pour élire les conseillers de l'assemblée délibérante. Une telle distinction entre les modalités d'élection de l'exécutif local et des membres du conseil élu pourrait constituer une première étape d'une séparation des fonctions exécutive et délibérative.

En France, le président du conseil général et le président du conseil régional, élus au scrutin uninominal, pourraient être désignés selon ce mode direct, comme on le fait dans les provinces en Espagne, dans les Kreise en Allemagne, dans les comtés au Royaume-Uni, et pratiquement dans tous les pays de l'Union européenne. Bien évidemment, pour les départements, la circonscription cantonale resterait le cadre de l'élection des conseillers. On reproduirait au niveau départemental ou régional ce qui se passe au niveau national dans le cadre de la Ve République.

La seconde solution - la désignation automatique dans le cadre du scrutin de liste -, retenue par quelques pays, consisterait à préserver notre traditionnel scrutin de liste aux élections municipales et régionales en prévoyant, comme dans certains pays, que la tête de liste gagnante deviendrait automatiquement maire ou président du conseil régional.

Par ailleurs, pour éviter de refaire une élection en cas de démission de l'exécutif, il pourrait être utile et plus clair, dans cette logique, de prévoir que l'exécutif local démissionnaire soit remplacé par le suivant de la liste. Pensez à ce qui s'est passé dans certaines villes du Sud, à Toulouse, à Montpellier et à Bordeaux... Les électeurs ont-ils été consultés quand le maire s'est retiré ? Effectivement, à Bordeaux, on a remis les choses au clair. Sans développer, je dirai qu'il s'est passé un certain nombre de choses sans que personne réagisse. Pour moi, ce sont de vrais problèmes auxquels il faut quand même apporter une réponse.

J'en viens au cumul d'une fonction exécutive locale avec une fonction ministérielle.

Les Français sont de plus en plus conscients qu'il n'est pas possible pour une même personne d'assumer deux charges aussi importantes que celle de membre du Gouvernement et celle d'une importante fonction exécutive locale. Voilà pourquoi le non-cumul pourrait être proposé.

Quant à la pratique du cumul entre des fonctions exécutives qui requièrent une mobilisation à temps plein et un mandat de parlementaire, les progrès de la décentralisation ont radicalement changé la nature même de la mission des exécutifs locaux.

Il ne s'agit nullement de transformer les parlementaires en élus « hors sol », tant il est bon qu'un sénateur ou un député ait l'expérience du mandat local que procure un mandat de conseiller municipal, général ou régional.

En revanche, il ne me semble plus possible, comme je viens de le dire, de cumuler des mandats nationaux ou européens avec des fonctions exécutives locales - maire d'une grande ville, notion dont le seuil reste à déterminer, président de conseil général ou président de région - qui doivent être exercées maintenant à temps plein.

Tout cela, je l'ai personnellement un peu vécu. Avant la décentralisation, j'ai en effet été élu président du conseil général du « petit » département de l'Aveyron.

M. Jean-Pierre Raffarin. Petit ? Pas si petit que cela ! (Sourires.)

M. Jean Puech. Je vous remercie ! J'attendais votre réaction ! (Nouveaux sourires.)

Cela remonte à plus de vingt-cinq ans : trente-trois ans très exactement ! Fraîchement élu président du conseil général, j'ai été félicité par le préfet, auquel j'ai demandé un collaborateur. Il m'a fallu presque pleurer pour l'obtenir, après m'être entendu dire qu'il ne fallait pas me tracasser, qu'on s'occuperait de tout... C'est ainsi que les choses ont commencé. Dans l'Aveyron, les services départementaux comptent maintenant 1 800 personnes. Certains départements emploient 4 000 à 5 000 personnes.

Pour ma part, je ne sais pas tenir deux pleins temps à la fois. Les journées ont vingt-quatre heures, et il n'y a pas d'inflation à cet égard ! Tous pétris de la même pâte humaine, nous devons très honnêtement en tirer les conclusions.

Il convient d'assurer aux exécutifs locaux un véritable régime statutaire adapté à leurs nouvelles responsabilités. Trop souvent, la pratique du cumul des mandats apparaît comme une réponse à la précarité du « statut » des titulaires de mandats électifs. Cette situation ne convient plus à une démocratie moderne.

Il pourrait être créé un régime statutaire - couverture sociale, formation, reconversion, rémunération... - mieux adapté pour les maires, les présidents de conseil général et de conseil régional qui exerceraient leurs fonctions à temps plein et même à temps partiel, pour aller vers une véritable professionnalisation de la fonction de l'élu.

Dans cette perspective, il conviendrait de modifier l'article L. 2123-17 du code général des collectivités territoriales, qui prévoit encore que « les fonctions de maire, d'adjoint et de conseiller municipal sont gratuites », alors que, pour nos concitoyens, convaincus que les élus locaux s'enrichissent, cette rectification a déjà eu lieu depuis longtemps !

Conforter la démocratie territoriale, c'est assurer aux élus des conditions satisfaisantes d'exercice de leur mandat et se préoccuper de l'après-mandat, c'est-à-dire susciter des vocations, en particulier dans la jeunesse, dans les divers milieux professionnels et chez tous les talents que l'on trouve dans la société.

Et là, le rôle des associations d'élus apparaît incontournable. On estime que nous assisterons, à l'occasion des élections municipales et cantonales de mars prochain - vous devez avoir quelques données à ce sujet, madame le ministre - à un très important renouvellement, plus que les fois précédentes en tout cas.

Ne nous y trompons pas : les informations qui nous parviennent du terrain traduisent la réelle difficulté, dans de très nombreuses communes, à trouver des candidats représentatifs de la composition de notre société.

Il faut susciter des vocations. L'État et les collectivités locales doivent accompagner les actions de communication mettant en valeur la place des élus locaux dans la vie de la cité.

Il importe que l'État poursuive ses tentatives de réforme et de modernisation. Il ne peut le faire qu'en tenant compte de ses partenaires. Cette réforme, il doit la conduire en étroite concertation avec les collectivités territoriales. On décentralise, ce qui suppose qu'on déconcentre. Il faut que cela aille de pair, et il faut discuter.

Par ailleurs, il convient de renforcer les passerelles entre la fonction publique de l'État, la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière -  l'exercice n'est pas interdit, mais quasiment inédit - pour permettre la valorisation des métiers, la mobilité et la promotion des agents tout au long de leur carrière. Une période de mobilité, en cours de carrière, entre les trois fonctions publiques pourrait être rendue obligatoire dans tous les statuts et pour toutes les catégories.

On pourrait même aller plus loin : l'École nationale d'administration et l'Institut national des études territoriales pourraient, par exemple, avoir un « tronc commun », avec des spécialisations distinctes.

En fait, le rapprochement des fonctions publiques conditionne aussi le succès de la réforme de l'État et de la décentralisation.

Il convient que l'État respecte les nouveaux domaines d'attribution des collectivités territoriales.

Alors que les réformes engagées dans de nombreux pays européens ont eu pour effet de limiter drastiquement ses compétences sur le plan local, de réduire ses moyens d'action et, souvent, de supprimer même le pouvoir de tutelle - cela existe ailleurs -, il apparaît nécessaire, en France, que l'État, dans son action déconcentrée, tire toutes les conséquences des lois de décentralisation.

La décentralisation, c'est la décentralisation, et la déconcentration, c'est la déconcentration. La décentralisation, ce n'est pas la délégation des compétences, qui reviendrait facilement, si l'on n'y prenait garde, à faire de l'État le décideur, alors que les collectivités locales seraient les débitrices. À cet égard, il nous faut à mon avis être très attentifs et extrêmement clairs.

La mise en place d'un nouveau statut pour les élus est indissociable d'une relance de la démocratie locale, base de notre système républicain et de son esprit citoyen.

Les possibilités offertes par la réforme constitutionnelle de 2003, qui a fait de la France, rappelons-le, « une République décentralisée », sont loin d'avoir été toutes utilisées. Je vous en épargnerai ce soir l'inventaire.

Force nous est de mesurer que nous avons tout de même avancé. De grands espoirs sont nés du nouvel élan donné au mouvement de décentralisation sous l'impulsion de Jean-Pierre Raffarin, fort de sa grande expérience du terrain et d'une véritable volonté de mise en oeuvre. Je suis heureux de le féliciter. En effet, on se rend compte que, pour faire bouger les choses, il lui a fallu beaucoup de détermination et de compétences. Cela représentait un travail tout à fait considérable.

Nous pensions alors que le processus engagé était irréversible. Mais l'actuelle conjoncture nous montre, mes chers collègues, que la décentralisation est loin d'être acquise une fois pour toutes.

La culture jacobine, les pesanteurs administratives et les réflexes centralisateurs regagnent bien vite du terrain lorsque la volonté politique semble s'estomper. C'est un euphémisme que de le souligner entre nous, la décentralisation n'a été au centre de la campagne de 2007 en vue de l'élection présidentielle pour aucun des candidats : on n'a pratiquement pas parlé de cet aspect des choses. La volonté de réforme et de rupture des Français s'est pourtant nettement affirmée à l'occasion des scrutins des 22 avril et 6 mai 2007.

Notre République décentralisée devrait profiter de ce contexte réformateur pour approfondir son processus de décentralisation.

Je souhaite préciser que la France décentralisée d'aujourd'hui, si elle veut avancer, ne peut plus s'en remettre aux seules commissions d'experts, si éminents soient-ils. Il ne s'y trouve souvent aucun élu du suffrage universel pour décider de l'avenir de son organisation territoriale ! Vous voyez, j'imagine, à quelle commission je fais allusion... (M. Éric Doligé s'exclame.)

Alors, comme vous l'avez compris, les propositions de la commission Attali tendant notamment à la suppression des départements et à la disparition d'un certain nombre de communes apparaissent comme totalement déconnectées des réalités. Loin d'incarner la modernité, elles ne font d'ailleurs que reprendre de « vieilles lunes ». Ces propositions ont été qualifiées de « loufoques » par un ancien Premier ministre. Il reste qu'elles témoignent d'une époque que nous pensions révolue.

Aussi serai-je un peu sévère à l'égard de ces mandarins, issus de la haute fonction publique, qui travaillent dans le huis clos des vie et viie arrondissements de Paris, qui ne font pas confiance à la démocratie locale et qui ignorent à ce point tout de la province que je les crois devenus hémiplégiques ! (Sourires.) Ils sont redoutables.

Mais, madame le ministre, il faut en permanence avoir à l'esprit que, selon la formule bien connue, les ministres passent, les concierges restent... (Nouveaux sourires.)

La partie n'est donc pas gagnée d'avance. C'est à nous, les élus du suffrage universel sur le plan national et sur le plan local, de nous faire respecter, en faisant surtout respecter le mandat qui nous a été confié par nos concitoyens.

Dans ce mandat, les Français ont aussi mis l'attachement qu'ils portent à leur commune, à leur département, à leur région, parce qu'ils connaissent la place que ces collectivités tiennent dans leur vie quotidienne.

Vouloir donner l'illusion que tout est possible autrement, c'est ne pas admettre la réussite des politiques de proximité.

M. Charles Revet. C'est vrai !

M. Jean Puech. Ne laissons à personne d'autre le soin d'imaginer pour nous les contours d'une vraie démocratie locale toujours plus démocratique et toujours plus performante. La modernité se trouve là, et pas ailleurs ! C'est la démocratie locale activée, animée, avec ce lien très fort que souhaitent nos concitoyens.

Un véritable statut pour l'élu local, une organisation territoriale plus performante, la réforme de notre mode de gouvernance et la modernisation de notre démocratie locale sont des sujets dont nous devons impérativement nous saisir nous-mêmes.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Jean Puech. Ils font partie des questions à traiter dans le futur acte III de la décentralisation qu'il faut rédiger en urgence. Voilà où réside la vraie modernisation de la démocratie locale.

Ces propositions de réforme doivent être adaptées aux réalités d'un terrain que nous connaissons mieux que quiconque. Nous en sommes directement issus. Nous remettons régulièrement en jeu nos mandats. Tous les « conseilleurs » aujourd'hui ne peuvent pas en dire autant !

Mes chers collègues, ce sont les principes fondamentaux de la République qu'il nous faut défendre ardemment ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard.

M. Patrice Gélard, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je rappellerai d'entrée de jeu que le sujet que vient d'aborder Jean Puech est d'une actualité permanente ; peut-être peut-on regretter qu'avant chaque élection le débat sur le statut de l'élu local soit relancé sans que rien n'avance jamais beaucoup...

Non seulement, comme l'a dit avec beaucoup de talent Jean Puech, nous avons dans ce domaine « une République de retard », mais nous ne parvenons pas à modifier les choses en profondeur.

Songeons en effet qu'il est encore affirmé que les fonctions des élus locaux sont « gratuites », un peu comme si ces derniers étaient tous des bénévoles ! Je crois que l'on se trompe complètement et qu'il faut, au nom de la transparence, décrire la réalité telle qu'elle est. Nos électeurs savent d'ailleurs bien que ces fonctions ne sont pas tout à fait « gratuites », s'agissant notamment des maires et des responsables des départements ou des régions.

Aussi le rapport remis par notre ami Jean Puech le 7 novembre 2007, au nom de l'Observatoire sénatorial de la décentralisation, rapport qu'il a largement repris dans son exposé, est-il tout à fait admirable. Je conseille à chacun de s'y reporter, car l'on y trouve de nombreux éléments fort intéressants.

Premier élément, ce rapport contient une remarquable documentation sur le fonctionnement des collectivités locales dans plusieurs pays de l'Union européenne, documentation que je me permets, cher Jean Puech, de compléter en indiquant que la Roumanie et la Bulgarie, qui ne figurent pas au nombre des pays cités, entrent parfaitement dans le modèle décrit, notamment avec l'élection séparée de l'exécutif et du délibératif.

Deuxième élément, le rapport met en lumière le caractère hétérogène des situations des différents élus locaux et des règles qui leur sont applicables, dont certaines sont d'ailleurs mal ou peu connues des élus : je pense par exemple à celles qui concernent la formation pendant la durée du mandat.

Un troisième élément fort intéressant est constitué par les résultats de l'étude d'opinion réalisée sur le degré d'insatisfaction des élus locaux. Qu'il me soit permis, après avoir fait une étude dans treize pays européens, de souligner que la situation est la même dans les autres pays de l'Europe : l'élu local espagnol, italien, grec, allemand n'est pas satisfait de son sort.

C'est un phénomène général et, madame le ministre, je vous suggère d'entreprendre sur ce point une action avec l'ensemble de vos collègues européens pour faire en sorte que l'image des élus locaux soit valorisée, et non pas dévalorisée en permanence, ou du moins ressentie comme l'étant par un très grand nombre d'entre eux, tout cela parce leur statut, ou ce qui apparaît comme tel, manque de transparence.

Si l'on veut savoir quel est exactement le statut de l'élu local - savoir, par exemple, à quoi il a droit, notamment en matière de retraite, ou quelle est sa couverture sociale s'il a arrêté de travailler -, il est effectivement très difficile de s'y retrouver, et il me semble qu'un minimum de transparence permettrait de démythifier certains des comportements des élus locaux parfois décrits comme des errements dans la presse people...

Après ces remarques générales, qu'il me soit permis de revenir sur plusieurs des éléments que Jean Puech vient de brillamment développer.

Tout d'abord, il a souligné qu'une réforme du statut de l'élu local était impossible sans une réforme de nos structures territoriales, point de vue que la commission des lois partage et qui doit en somme nous conduire à repenser, à clarifier l'ensemble du problème de la décentralisation.

Un autre aspect de la réforme, qui apparaissait peut-être moins dans l'exposé de notre collègue, réside dans la nécessité d'effectuer des distinctions, dans le statut, en fonction de l'origine socioprofessionnelle, car, en définitive, nous ne sommes pas égaux face aux élections locales.

À l'évidence en effet, au regard de la possibilité de devenir un élu local et d'assumer la totalité des responsabilités du mandat, il n'y a pas égalité entre un fonctionnaire et un membre des professions libérales ou un agriculteur, un salarié et un retraité.

Un maire me disait récemment que, heureusement, il y avait dans son conseil municipal des femmes retraitées, car, sans elles, il ne pourrait pas trouver d'adjoints. C'est une question de disponibilité. Ainsi, il est extrêmement difficile à une jeune mère de famille d'être élue locale si elle ne peut prévoir la garde des enfants. Il s'agit, très simplement, d'un problème d'ordre matériel ; il n'est pas résolu, ce qui oblige parfois à jongler avec les emplois du temps et les horaires pour trouver des solutions.

Un des buts que nous devons nous assigner est donc de rechercher l'égalité entre les citoyens pour permettre à tous d'arriver à des fonctions et à des responsabilités locales.

Jean Puech a par ailleurs soulevé un très important problème qui doit être approfondi, celui de l'élection au suffrage universel direct des exécutifs locaux.

Comme il l'a très justement souligné, c'est le cas dans la quasi-totalité des pays européens. Il y a donc une séparation entre la fonction délibérative et la fonction exécutive, situation assez proche de celle que l'on a connue lorsque c'était le préfet qui, sous l'ancien statut, était l'exécutif dans le département.

Il faut cependant souligner deux éléments.

Premier élément, le statut du maire, ou celui du président de conseil général, n'est absolument pas comparable à ce qu'il était en 1947 ; les fonctions ne sont plus du tout les mêmes, les charges à assumer sont totalement différentes et beaucoup plus lourdes. Nous ne sommes plus dans l'esprit des lois de 1871 ou de 1884 : être maire en 2008, ce n'est pas être maire en 1884 !

Nous devons prendre en considération cette donnée et réfléchir à cette élection de l'exécutif au suffrage universel direct, mais en gardant en mémoire qu'il y a un effet pervers.

Lorsqu'ils seront élus, les chefs des exécutifs départementaux ou régionaux, à qui il faudra d'ailleurs trouver une autre appellation - pourquoi pas la formule, un peu galvaudée, de « gouverneur » utilisée dans certains pays ? - puisqu'il faudra les distinguer des présidents des assemblées, auront besoin, comme les maires, d'une équipe. Il faut savoir que cette équipe sera constituée non d'élus mais de professionnels qui, un peu à l'image de nos assistants parlementaires, seront choisis pour aider l'élu. Ainsi, dans la plupart des pays, ce sont des fonctionnaires ou des collaborateurs recrutés à cet effet qui assistent le chef de l'exécutif. On peut évidemment penser que quelques-uns des élus du conseil quitteront leurs fonctions pour venir assister ce dernier, mais il n'en reste pas moins que c'est un élément très complexe auquel il faut réfléchir.

Deuxième élément, tout aussi complexe et que n'a pas abordé Jean Puech, je veux parler de l'intercommunalité et du statut de ses responsables, dont on dit souvent - c'est un autre « serpent de mer » - qu'ils devraient être élus au suffrage universel direct, mais sans aller plus loin, car les obstacles sont tels que nous ne sommes pas encore parvenus à les surmonter.

Que l'on me permette d'aborder aussi la question du changement d'exécutif.

Certes, il est envisageable de prévoir que le suivant sur la liste prendra la place du précédent si celui-ci s'en va, par exemple pour devenir ministre ; mais il y a un petit problème qui tient au fait qu'à l'heure actuelle nous appliquons la règle de l'alternance homme/femme. Peut-être le premier de liste ne souhaitera-t-il pas nécessairement que son second de liste, qui n'est d'ailleurs pas forcément son premier adjoint, devienne son éventuel remplaçant... (Sourires.)

Par parenthèse, c'est un problème que nous avions soulevé lors de l'examen de la loi tendant à promouvoir l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Nous aurions préféré la solution de la parité globale à la solution du « un sur deux » qui a été retenue et qui aboutit parfois à des blocages, comme les prochaines élections municipales le font apparaître.

Je conclurai comme Jean Puech en disant que les 500 000 élus que compte la France - ils devraient d'ailleurs être 600 000, puisque le nombre d'habitants est maintenant de 63 millions et que la règle était d'un élu pour cent habitants - sont un des éléments essentiels de notre démocratie.

C'est grâce à ce maillage très serré d'élus implantés au sein de ce qu'il y a de plus profond dans notre pays que la démocratie française peut vivre ; c'est grâce à tous ces élus anonymes, conseillers municipaux, conseillers généraux, conseillers régionaux, maires, qui se dévouent au service de la population et de l'État, qu'elle a toujours pu durer et se maintenir.

C'est cela qu'il faut saluer, et c'est cela qu'il faut conforter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, il n'est pas facile de prendre la parole après M. Gélard ! (Sourires.)

Mon intervention me permettra de marquer un anniversaire : voila sept ans, presque jour pour jour, puisque c'était le 18 janvier 2001, étaient examinées dans cet hémicycle différentes propositions de loi, dont l'une émanait de notre éminent collègue Alain Vasselle et une autre de Jean Arthuis, sur un excellent rapport de Jean-Paul Delevoye, alors président de l'Association des maires de France. La discussion portait sur le statut de l'élu.

Qu'avons-nous réglé depuis lors ? Je ne le sais pas avec précision, mais, si j'en juge par la désaffection de nos compatriotes pour le prochain scrutin municipal, il est grand temps de redorer le statut de l'élu local.

Il n'est pas étonnant que dans le département dont je suis l'élue, c'est-à-dire l'Orne, qui compte 293 000 habitants et 505 communes, on trouve peu de candidats pour les prochaines élections municipales et que, d'ores et déjà, d'après les annonces qui sont intervenues, presque 30 % des maires ne brigueront pas un nouveau mandat en mars prochain. On peut d'ailleurs les comprendre !

Mes chers collègues, je vous livrerai en vrac quelques pistes, que vous pourrez retrouver dans l'excellent Journal officiel du 18 janvier 2001. Certaines mesures, qui figuraient dans des amendements proposés par Daniel Goulet - comme vous le voyez, dans la famille, nous avons de la suite dans les idées ! -, avaient d'ailleurs été adoptées par le Sénat.

Tout d'abord, organisons la protection des candidats. M. Gélard a très justement souligné tout à l'heure que tous n'étaient pas égaux devant l'élection. En 2001, Daniel Goulet avait défendu un amendement, qui avait d'ailleurs été adopté par le Sénat, visant à assurer aux candidats aux élections locales, afin d'éviter qu'ils ne soient pénalisés par leurs employeurs, une protection similaire à celle dont bénéficient les candidats aux élections professionnelles. Avec une telle mesure, on aurait favorisé la diversification des candidats, et donc l'ouverture des élus à la société civile ; cette mesure serait allée dans le sens de plus de démocratie et de moins de cumuls de mandats.

J'insisterai ensuite sur la formation des élus. En effet, compte tenu du nombre et de la complexité des procédures et des instances, le Centre de formation des élus, qui existe sur le papier, semble inaccessible dans les faits.

Il y a sept ans, Daniel Goulet avait proposé une formation « volante » au sein des intercommunalités, car il lui semblait évident que c'était à la formation d'aller au devant de l'élu, et non à l'élu de se déplacer vers les centres de formation.

Comment les maires ruraux pourraient-ils suivre l'actualité juridique ? Ces dernières années - depuis les dernières élections municipales environ -, 133 décrets ont été adoptés, opérant 2 399 mouvements sur la partie réglementaire du code général des collectivités territoriales. Dans le même temps, 163 textes législatifs ont été votés, réalisant 3 210 modifications sur la partie législative du même code, dont 778 articles organiques ont été affectés.

Comment voulez-vous que les élus ruraux se retrouvent dans ce maquis réglementaire et législatif, qui se complexifie chaque jour davantage en raison de ce mille-feuille des compétences que nous dénonçons tous ?

Cette question est de toute première importance, car une meilleure formation éviterait aux jeunes élus des angoisses bien compréhensibles, favoriserait sans doute les vocations et limiterait les dépendances des élus à l'égard d'une administration certes extrêmement compétente, mais souvent surchargée.

Madame le ministre, la réflexion à venir devra aussi porter sur la question des couvertures de risques.

Là encore, l'évolution législative et réglementaire suscite un strabisme divergeant - le contraire eût été étonnant - entre les compétences et les responsabilités, car, si les premières sont souvent déléguées aux intercommunalités, les secondes demeurent aux maires.

C'est pourquoi, à titre personnel, j'ai toujours été hostile à l'attribution de la compétence scolaire aux intercommunalités ; en effet, si un accident survient dans une école, c'est le maire qui sera responsable, alors que les mesures à prendre, qu'elles relèvent de la prévention ou de la réparation, reviennent à l'intercommunalité.

Les élus exercent donc de plus en plus de responsabilités, y compris pénales, mais les polices d'assurance sont mal adaptées, tant pour les maires que pour leurs adjoints.

Madame le ministre, depuis les travaux de la commission Mauroy sur la décentralisation et le livre blanc de l'Association des petites villes de France, nous souhaitons redynamiser la démocratie locale et laisser à tous une chance de s'exprimer. Il me paraît donc extrêmement urgent de remettre en chantier le texte qui avait été adopté au Sénat en 2001.

À défaut, nous découragerons les courageux - de préférence des retraités et des célibataires, en raison du caractère chronophage des mandats et de la « réunionite » subséquente - et favoriserons le cumul des mandats, qui constitue, nous le savons, un frein aux réformes et un encouragement aux féodalités toujours bien vivaces, surtout dans nos territoires ruraux.

Quels sont les kamikazes qui, dans cette maison, applaudiront à la suppression des départements suggérée par le rapport Attali ? Seuls ceux qui ne cumulent pas de tels mandats pourront le faire, mais au risque de voir leur popularité écornée pour toujours.

Dans le mille-feuille des compétences que j'évoquais et qui est la cause de bien des problèmes, la question de l'échelon cantonal se pose tout particulièrement.

Voilà quelques années, Daniel Goulet avait réalisé une étude très simple, qui fut communiquée à l'actuel Président de la République, qui occupait alors vos fonctions, madame le ministre, puis à M. Thierry Breton. Il en résultait qu'en France 672 cantons élisent un conseiller général alors qu'ils comptent moins de 4 000 habitants.

Franchement, à l'heure de la rationalisation des politiques publiques, des économies financières, mais aussi des économies d'échelle, et alors que la France est couverte à près de 100 % par l'intercommunalité, ne peut-on envisager un redécoupage des cantons ?

Dans le beau département de l'Orne, qui compte 293 000 habitants, dont beaucoup de résidents secondaires, trente conseillers généraux pourraient sans doute travailler aussi bien que les quarante qui existent actuellement. Sur un mandat, cette mesure permettrait de réaliser une économie de 1 297 000 euros, car l'indemnité de chaque conseiller s'élève à 1 802 euros ; cette somme serait sûrement mieux employée pour rechercher des infirmières et assurer les soins à domicile d'une population qui, même si elle vit au bon air de la Normandie, n'en reste pas moins vieillissante.

Puisque nous supprimons des services publics et des tribunaux, pourquoi hésiter à revoir cette organisation pesante et dispendieuse, qui remonte, pour sa part, à 1790 ? La loi du 11 décembre 1990, qui prévoyait un redécoupage électoral des cantons, attend encore ses décrets d'application. Et je ne mentionnerai que pour mémoire la rupture d'égalité entre les candidats aux élections selon que le canton dans lequel ils se présentent dépasse ou non le seuil des 9000 habitants.

Il est donc grand temps de réfléchir sérieusement au statut de l'élu, et cela, comme le soulignait M. Gélard, dans le cadre d'une administration territoriale repensée ; mais ce serait là, mes chers collègues, une victoire de l'optimisme sur l'expérience, comme disait Henri VIII lors de son sixième mariage ! (Sourires.)

Je le répète, si nous voulons conserver une démocratie de proximité vivante et ouverte, il nous faut adopter un véritable statut de l'élu local dans un système allégé et modernisé.

Madame le ministre, si vous décidez de réunir un groupe de travail sur ce sujet essentiel au bon fonctionnement de notre démocratie locale, vous pourrez compter sur mon soutien indéfectible. Et si vous en décidez autrement, il en sera de même ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Cher Jean Puech, vos responsabilités d'élu d'un département rural vous ont très justement inspiré pour cette question, qui intéresse un grand nombre d'entre nous.

Au cours de cette discussion, la ruralité doit être prise en compte dans la mise en place d'un statut propre aux élus, car elle concerne non seulement des hommes mais aussi des territoires.

M. Jean Puech. Bien sûr !

M. Jean Boyer. L'attachement, la détermination que nous vous connaissons à exercer votre engagement dans votre Aveyron natal nous amènent, ce soir, à nous interroger et à aborder la création d'un véritable statut de l'élu local, longtemps promis, toujours repoussé, malgré des avancées certaines et reconnues par tous.

Le Sénat, expression de toutes les collectivités locales, souhaite plus que toute autre assemblée apporter une contribution constructive dans l'obtention de ce statut de l'élu, qui constitue non pas un privilège, mais une parité indispensable.

Il faut que cette réflexion s'intègre dans le contexte naturel de l'évolution de notre société, où le service public est devenu un service au public. Notre débat d'aujourd'hui ne doit pas seulement porter sur des questions matérielles ; il doit aussi, plus que jamais, viser à ce que des hommes de bonne volonté continuent à assurer un service de proximité irremplaçable, celui de relayer les habitants.

M. Charles Revet. Plus de 500 000 élus locaux, en effet !

M. Jean Boyer. Demain, y aura-t-il toujours des hommes engagés dans les 36 000 communes que compte notre pays et qui constituent une richesse humaine, administrative et collective ? Mes chers collègues, il faut agir avant qu'il ne soit trop tard.

Nous avons la chance de bénéficier de ce formidable maillage où la République est présente, partout, dans tous les territoires, y compris dans la France profonde qu'un élu de Haute-Loire bien connu d'Adrien Gouteyron aime appeler « le coeur de la France ».

Aujourd'hui, il n'y a pas de commune sans élu ; toutefois, demain, n'y aura-t-il pas des territoires sans hommes, sans responsables engagés ?

Quelle que soit notre appartenance politique, nous savons tous que nos mairies sont, chacune à leur niveau, le coeur d'un territoire, l'âme d'un pays, la raison d'être d'une commune. Elles constituent aussi les archives des moments forts de la vie d'un homme, puisqu'elles gardent les actes de naissance, de mariage et malheureusement de décès. C'est aussi cela la vie d'un élu, en particulier dans le monde rural où les hommes vivent, souffrent et partagent ensemble.

Les mairies sont également les lieux où ceux qui ont reçu la confiance des électeurs font tout ce qu'ils peuvent pour apporter de la vie, mais aussi les équipements minimaux nécessaires à la société actuelle.

M. Jean-Claude Frécon. C'est bien vrai !

M. Jean Boyer. Être élu aujourd'hui n'est plus un titre, c'est une mission. II faut être un homme de bonne volonté pour s'y engager, en sachant qu'on y trouve des satisfactions et l'épanouissement personnel, mais aussi, parfois, l'ingratitude, individuelle ou collective. Toutefois, mes chers collègues, nous avons choisi cette voie, et nous y persévérons.

En effet, il faut savoir répondre présent. « L'avenir ne se prévoit pas, il se prépare », comme le disait si bien le philosophe Maurice Blondel. Dans la mission qui est la nôtre auprès des élus, nous savons combien ceux-ci savent anticiper, rechercher, questionner, écouter, avant d'agir.

Voilà encore quelques années, le maire d'une commune rurale était souvent un agriculteur ou un artisan. Aujourd'hui, l'un et l'autre peuvent difficilement assurer ce mandat, car les exigences d'une exploitation agricole ou d'une entreprise artisanale ne permettent guère une disponibilité optimale.

II ne faudrait pas, demain, fonctionnariser cette belle mission. C'est pourquoi un véritable statut de l'élu, un statut protecteur, permettant de concilier vie professionnelle et vie municipale constitue l'une des réponses à apporter.

La jeunesse doit pouvoir prétendre à l'évolution de la vie locale. Nous devons éviter de réserver les mandats locaux aux seules personnes disponibles, qui se trouvent souvent en fin d'activité professionnelle.

La tâche d'un maire ne se résume pas à présider un conseil municipal ou à décider d'un projet communal. Elle est toute autre, aujourd'hui ; elle demande une présence, une écoute, une attention, une compréhension, un relais. Le maire est un « associé-viager » pour les hommes qui vivent dans sa commune.

En cas de difficulté, il est aussi le responsable trop facilement désigné. La mission de l'élu d'une commune rurale n'est pas facile, car il n'existe ni filtre ni barrière : le maire est directement livré aux observations, aux demandes, voire aux critiques de citoyens dont certains sont devenus très exigeants, voire excessifs. Trop nombreux sont ceux qui aspirent aujourd'hui à bénéficier d'une parité sans effort. Or, si le citoyen a des droits, il a aussi des devoirs, y compris en termes de civisme communal.

Or le mot « civisme » se dilue, se dégrade. On regarde l'intérêt personnel et pas assez l'intérêt collectif. On n'attache pas suffisamment d'importance à la sauvegarde d'un service public, d'une école ou d'un équipement. On préfère trouver par soi-même une solution ailleurs.

Madame le ministre, votre forte personnalité, votre classe, votre détermination rassurent les élus. Merci de votre présence et de votre action, qui sont reconnues et appréciées de tous.

Un maire ne sera jamais un responsable comme les autres. Il ne doit pas être exclusivement un homme de papier, de dossiers. Il ne doit pas être seulement un gestionnaire, ni même un bâtisseur. Il doit être, je le répète, un « associé-viager » pour ceux qui vivent autour de lui, dans sa commune ; et il en va de même pour un conseiller général, dans son canton.

Nous ne sommes pas et ne devons pas être des spécialistes. Nous sommes avant tout des généralistes qui compensent parfois leur manque de connaissances par une volonté très forte, afin de pouvoir apporter des réponses à leurs concitoyens.

Très souvent, nous le faisons avec le langage du bon sens et de la vérité, langage adapté aux réalités.

Mes chers collègues, la finesse de l'élu local, son intelligence, sa bonne connaissance du terrain ne s'apprennent pas dans les livres, mais se forgent au quotidien, dans les contacts les plus divers.

Oui, madame la ministre, il nous faut collectivement réfléchir à la création d'un véritable statut de l'élu local.

Aujourd'hui, nous sommes dans une société où les réunions sont très fréquentes, trop peut-être : elles se superposent, se complètent, mais parfois aussi se chevauchent.

M. Jean Boyer. Nous avons voulu accroître l'empilement des structures, mais, concrètement, la répartition des compétences s'est transformée en un labyrinthe indéfinissable.

Un maire ou un conseiller général doit souvent être aussi membre d'une communauté de communes, voire d'une communauté d'agglomération. Tout cela exige beaucoup de temps et d'investissement personnel.

Les élus en ont conscience : ils sont responsables, car ils savent, pour reprendre l'expression de Saint-Exupéry, que « nul ne peut se sentir, à la fois, responsable et désespéré ».

S'« il y a un temps pour bâtir », comme il est écrit dans l'Ecclésiaste, il faut également un temps pour regarder ce que l'on a bâti. De nombreux maires s'apprêtent à mettre fin à leur mandat engagé depuis plusieurs décennies, époque à laquelle les indemnités de fonction étaient très faibles. Certains l'ont même déjà fait. Ces anciens maires, qui recevaient des indemnités de fonction ridicules, ont aussi droit à une reconnaissance de la nation.

Puisque, dans quelques semaines, certains d'entre nous devront subir la loi des urnes, je terminerai mon propos en citant Jules Claretie : « Tout homme qui dirige, qui fait quelque chose, a contre lui ceux qui voudraient faire la même chose, ceux qui font précisément le contraire et surtout la grande armée des gens d'autant plus sévères qu'ils ne font rien du tout. »

Madame la ministre, mes chers collègues, je vous remercie de m'avoir écouté. Monsieur le président du conseil général de l'Aveyron et ancien maire de Rignac, vous avez pris une bonne initiative en posant cette question orale et en engageant cette recherche de parité pour les élus locaux. Nous ne voulons pas un statut de la fonction publique territoriale : nous voulons un statut des hommes de bonne volonté ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, de l'UMP et du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par remercier Jean Puech d'avoir posé cette question orale, tout particulièrement d'avoir osé parler de « statut », terme devant lequel tous les gouvernements ont jusque-là reculé, même si la guerre de tranchées menée par les élus locaux a incontestablement permis à ces derniers de gagner du terrain.

Il leur aura fallu attendre la loi du 24 juillet 1952 pour que soit instauré le premier, mais miséreux, régime indemnitaire, et vingt ans de plus pour bénéficier d'une maigre retraite d'agents non titulaires des collectivités, grâce à la loi du 23 décembre 1972.

Malgré le rapport de Marcel Debarge et la loi fondatrice du 2 mars 1982, les élus locaux patienteront vingt ans de plus pour voir la loi du 3 février 1992 relative aux conditions d'exercice des mandats locaux réaliser d'autres progrès en matière de disponibilité, de couverture sociale et de formation.

Après encore dix ans d'attente, la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité permettra de franchir une nouvelle étape, en instaurant à la fois : le régime des autorisations d'absences, des crédits d'heures et des congés pour cause d'élection ; le régime des remboursements de frais et des indemnités, ces dernières étant soumises à une fiscalisation, ce qui a, incidemment, créé une recette pour l'État ; un régime de formation ; la facilitation du retour à la profession en fin de mandat, mais cela seulement pour les maires et adjoints des communes d'au-moins 20 000 habitants - les autres attendent - ; une couverture sociale. Un grand vide demeure : la retraite.

Le métronome de la réforme étant réglé sur dix ans, voire sur vingt ans, devrons-nous attendre 2012, sinon 2022, pour que soit enfin créé un « véritable statut de l'élu local » ?

En ce qui concerne les obligations, la loi organique du 5 avril 2000 relative aux incompatibilités entre mandats électoraux a réduit les possibilités de cumul des mandats. Mais elle a laissé les mandats intercommunaux - dont l'importance n'est plus à démontrer -, les présidences de tous les conseils d'administration - société d'économie mixte, organismes para-municipaux -, les mandats de maire des communes de moins de 3 500 habitants hors de son champ d'application, ce qui a permis bien des accommodements avec les principes.

Cet ensemble de mesures, non négligeables mais disparates, constitue-t-il pour autant « un véritable statut de l'élu local », pour reprendre les termes de la question orale de Jean Puech ? Évidemment non.

D'ailleurs, il n'est question de « statut » dans aucune loi. Le projet Galland de 1987, resté inabouti, parlait de « charte », la loi de 1992 « de conditions d'exercice des mandats locaux », celle de 2002 de « démocratisation des mandats locaux ».

Bien d'autres termes ont été utilisés dans les débats qui ont précédé ou accompagné l'adoption de ces textes. Ainsi, la résolution du 69ème congrès de l'Association des maires de France évoque les « règles d'exercice du mandat municipal ».

Ces palinodies sémantiques ne sont pas innocentes. Elles renvoient à l'absence de définition précise du statut juridique des collectivités locales. La nature juridique des collectivités locales n'étant pas claire, le statut de leurs élus ne peut l'être. On contourna donc la difficulté.

Toute la question est de savoir si les collectivités locales - je pense surtout aux communes - sont de simples organes administratifs - certes, un peu particuliers - ou si elles ne sont pas, d'abord et fondamentalement, les « cellules de base de la démocratie », c'est-à-dire, qu'on le veuille ou non, des entités politiques d'un certain type.

M. Charles Revet. Oui ! Au sens noble du terme !

M. Pierre-Yves Collombat. C'est alors seulement que la reconnaissance de l'autonomie locale, qui a mis vingt-deux ans à être assumée, ainsi que l'a rappelé Jean Puech, et la création d'un véritable statut pour leurs élus prennent un sens.

En dehors de cela, le problème n'est que fonctionnel et se limite à définir le moyen le plus efficace d'administrer. Décentralisation signifie alors simplement déconcentration, quelle que soit la gymnastique intellectuelle à laquelle on se soumet pour faire le départ entre les deux notions.

Personne n'ignore que, depuis leur création à la Révolution, les communes sont des entités politiques. Nous connaissons tous cette phrase de Tocqueville : « C'est dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l'usage paisible et l'habituent à s'en servir. Sans institutions communales, une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n'a pas l'esprit de la liberté. »

On continue cependant à penser ces communes dans les termes du jacobinisme de stricte observance, qui est lui-même issu d'une conception absolutiste de la souveraineté. Ne pas le reconnaître, c'est s'interdire de régler deux questions essentielles : celle des indemnités et celle de la responsabilité pénale des élus.

Si la collectivité locale est une simple entité administrative, l'élu ne peut recevoir une indemnité lui permettant de se consacrer à plein temps à son mandat sans devenir une sorte de fonctionnaire ou de « contractuel », selon le terme même du rapport de Pierre Mauroy.

Michel Giraud, lorsqu'il était président de l'AMF, l'a affirmé clairement : « Qui dit statut dit fonctionnarisation. » D'ailleurs, le code général des collectivités territoriales le confirme indirectement en disposant, à l'article L. 2123 - 17, que « les fonctions de maire, d'adjoint et de conseiller municipal sont gratuites ».

Pourtant, certaines de ces fonctions gratuites sont indemnisées. De quoi sont-elles alors la contrepartie ? Nul ne le sait. En outre, pour ajouter à la confusion, ces indemnités sont fiscalisées, signe qu'elles constituent bien un revenu !

Certes, les contradictions juridiques n'empêchent pas de vivre. Elles peuvent cependant être gênantes. En effet, en refusant de reconnaître que l'élu local exerce une fonction éminemment politique de représentant de ses concitoyens, au nom desquels il agit, on s'interdit de lui réserver le statut pénal correspondant à sa situation réelle.

D'un côté, on tient compte de la spécificité de sa fonction pour aggraver les peines qu'il encourt en cas de délits intentionnels en rapport avec sa fonction ; de l'autre, on ne veut pas en entendre parler quand il s'agit de reconnaître qu'il n'est pas un professionnel recruté au mérite, à la compétence, au diplôme ou sur liste d'aptitude, en cas de délit non intentionnel pour des fautes non détachables du service.

Il n'est pas non plus question de lui concéder qu'il agit non pas en son nom propre ou au nom d'un intérêt particulier, mais au nom de la collectivité et de l'intérêt général.

Au motif de l'égalité devant la loi sont mis sur le même plan le maire responsable de tout et le citoyen responsable seulement de lui-même !

Sauf à limiter son ambition à compléter le catalogue des dispositions déjà en place, la loi qui créera le « véritable statut de l'élu local » que nous appelons de nos voeux, devra trancher ce débat difficile. Cela ne signifie nullement qu'elle devra ignorer les mesures concrètes qui permettront de parfaire le dispositif existant.

Je vous livrerai donc quelques propositions auxquelles les plus maltraités des élus - je pense aux élus ruraux -...

M. Pierre-Yves Collombat.... tiennent particulièrement, en les regroupant autour de trois principes.

Premièrement, le principe de disponibilité : il conditionne la possibilité même de l'action de l'élu et l'autonomie de ses décisions. Il suppose des indemnités et une liberté temporelle suffisantes.

Le montant des indemnités doit être suffisant, quelle que soit la taille de la commune. Sur ce point, je suis en désaccord total avec Jean Puech. Contrairement à ce qu'il affirme dans son rapport, à la page 55, aucune « logique » ne justifie que « le régime des indemnités de fonction [dépende] des seuils de populations ».

L'argument financier ne tient que si l'on accepte l'existence d'une démocratie à plusieurs vitesses et que l'on refuse que cette démocratie puisse avoir un coût, qui soit éventuellement supporté par l'ensemble de la collectivité nationale.

L'argument de la proportionnalité des charges de la fonction à la taille de la collectivité tient encore moins. Si la charge est proportionnelle à la taille de la commune, elle est aussi inversement proportionnelle aux moyens dont le maire dispose pour y faire face.

La « logique » voudrait donc, d'une part, que soit déterminé un seuil minimum de moyens d'exercice du mandat municipal en deçà duquel il serait impossible de descendre, d'autre part, que soit resserré l'éventail des strates de communes dans l'appréciation de ces charges.

Par ailleurs, les indemnités ne devraient pas être laissées à l'appréciation des conseils mais devenir des dépenses obligatoires. Indexer les indemnités sur la grille de celles des parlementaires, comme le proposait déjà le rapport Debarge, serait une manière symbolique de reconnaître que les élus n'appartiennent pas au personnel administratif, même non titulaire, de la collectivité.

La création d'une indemnité compensatrice ou d'un crédit d'impôt pour charges de familles faciliterait l'accès des femmes actives aux fonctions électives, problème que plusieurs de mes collègues ont déjà évoqué.

La disponibilité temporelle doit être entendue comme la possibilité de consacrer suffisamment de temps à son mandat. Les mesures permettant d'y parvenir devront être aussi diverses que les situations et les professions. Elles sont relativement simples à définir pour les fonctionnaires et les salariés des grandes entreprises, mais sont beaucoup plus difficiles à mettre en oeuvre pour les cadres des petites entreprises ou les artisans, par exemple.

Deux volets complémentaires sont donc à mon sens nécessaires : l'augmentation des crédits d'heures, notamment pour les petites communes, et le financement des pertes de revenu résultant de la réduction d'activité professionnelle, éventuellement dans la limite d'un plafond.

La disponibilité temporelle suppose également la limitation du nombre de mandats. Le bon sens voudrait qu'un mandat de parlementaire ne soit pas compatible avec les fonctions de maire, quelle que soit la taille de la commune, celles d'adjoint, à partir d'un certain seuil, ou celles de président d'établissement public de coopération intercommunale, à partir d'une taille à définir. La participation des parlementaires aux assemblées locales devrait en revanche être encouragée, pour qu'ils ne soient pas des élus « hors sol », comme cela a déjà été souligné. C'est en fonction de la charge à assumer, plus qu'en fonction de la nature juridique du mandat, qu'il conviendrait de raisonner.

Deuxièmement, le principe de sécurité : il doit permettre d'assurer aux élus, responsables de tout - je pense en particulier aux maires -, un minimum de sécurité, en matière juridique et sociale et en cas de cessation du mandat, qu'il s'agisse d'un départ à la retraite ou d'une reprise d'activité.

En ce qui concerne la sécurité juridique, il conviendrait de réaffirmer que, dans l'exercice de sa mission, l'élu agit non pas à titre personnel, mais au nom de la collectivité, qu'il n'est ni un décideur privé ni quelqu'un agissant au nom d'une compétence de type professionnel.

En cas de délits non intentionnels et non détachables du service qu'il pourrait commettre, c'est la responsabilité pénale de la collectivité qui devrait être mise en cause en premier, celle de la personne physique ne pouvant intervenir que s'il apparaissait qu'une faute grave a été commise.

Il conviendrait aussi de revenir sur la notion de délit formel et sur celle de prise illégale d'intérêt, la notion perdant tout son sens lorsqu'il s'agit d'intérêt moral.

Par ailleurs, il serait opportun d'améliorer la couverture sociale, particulièrement le régime de la retraite obligatoire, s'agissant notamment des indemnités les plus basses, et d'étendre les dispositions facilitant le retour à la vie professionnelle - droit à une formation qualifiante et à une indemnité de fin de mandat - dans les communes de moins de 20 000 habitants.

Troisièmement, le principe de responsabilité.

L'amélioration significative de la situation des élus locaux a pour corollaire un renforcement de leurs obligations en matière de formation, de transparence et de démocratie. La meilleure manière de combattre l'idée fausse selon laquelle la démocratie dite « participative » perfectionnerait la démocratie qualifiée de « représentative » et de renforcer vraiment la démocratie locale consisterait à créer les conditions du débat démocratique à l'intérieur des assemblées locales.

L'institution des discussions d'orientation budgétaire partait d'un bon sentiment. Mais force est de constater que l'objectif n'est pas atteint, la discussion se déroulant généralement à un niveau stratosphérique. La présentation de documents plus lisibles que les budgets ou comptes soumis au vote des assemblées et auxquels presque personne ne comprend rien est d'une absolue nécessité.

M. Charles Revet. Vous êtes un peu dur pour les élus locaux !

M. Pierre-Yves Collombat. J'ai une certaine expérience, mon cher collègue !

Il en est de même pour la présentation d'un rapport annuel retraçant les opérations principales réalisées, leur impact financier et les principaux ratios de gestion.

D'une manière générale, de la vitalité des oppositions dans les assemblées dépend celle de la démocratie locale. Tout ce qui permet un débat, à partir d'une information complète et objective, est bon pour la démocratie. Il en est ainsi de l'obligation de communication de l'ensemble des documents intéressant la collectivité, des moyens en matériels et en personnels administratifs, du droit d'interroger le personnel communal, des possibilités d'expression, etc.

Corrélativement, on peut se demander s'il ne serait pas utile d'étendre, avec bon sens, certains des droits dont bénéficient les titulaires de fonctions exécutives aux représentants des groupes d'élus, lorsqu'ils existent.

Je le répète, c'est non pas à l'extérieur mais au sein des assemblées que doit fonctionner le contre pouvoir, sans lequel la démocratie reste un mot vide.

Cela me paraît plus important - sur ce point, mon analyse diffère de celle de Jean Puech - que le fait de changer le mode de désignation des exécutifs locaux, lequel n'est pas remis en cause par la population, ou de faire disparaître des départements et certaines communes, idée routinière pour feuilletonistes politiques !

Ces dispositions auront bien évidemment un impact financier évident, que les collectivités les plus petites n'auront pas les moyens d'assumer seules, à moins que nous n'acceptions de les laisser au bord du chemin, ce qui viderait le futur statut de la part essentielle de sa substance. Il faudra donc bien créer un fonds pour y faire face.

On peut envisager qu'il soit financé par l'État, par une contribution des collectivités en fonction de leur richesse et par les organismes qui sollicitent régulièrement le concours des collectivités ; je pense, par exemple, à certaines chambres consulaires.

Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, ce ne sont ni les problèmes ni les propositions qui manquent ! Je remercie de nouveau Jean Puech de nous avoir permis d'en débattre, et j'espère que nous nous retrouverons avant dix ans. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Raymond Couderc.

M. Raymond Couderc. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, au nom du groupe UMP du Sénat, je me félicite de l'organisation de ce débat sur la création d'un véritable statut de l'élu local. Je me félicite surtout de la manière dont cette question a été abordée par notre collègue Jean Puech, dans le rapport qu'il a présenté le 7 novembre dernier, au nom de l'Observatoire de la décentralisation, qu'il préside avec beaucoup de compétence.

Ce rapport ne se limite pas aux questions statutaires. Il souligne aussi et surtout la montée en puissance des responsabilités des exécutifs locaux et pose la question en termes de gouvernance et d'autonomie locales, sans oublier la réforme de l'État qui en constitue l'indispensable corollaire.

Les exemples étrangers cités dans le rapport montrent que cette problématique est non seulement française, mais aussi européenne. Chaque pays a cherché à la résoudre à sa façon. En France, cette question nous apparaît indissociable de celles de la décentralisation et de la réforme de l'État.

Les deux vagues de décentralisation ont en effet modifié en profondeur l'organisation politique et administrative de notre pays. Les collectivités territoriales disposent aujourd'hui de compétences importantes dans des domaines essentiels de l'action publique tels que la formation professionnelle, les transports, le logement, la culture, l'éducation, l'aide sociale et la politique de solidarité.

Cette décentralisation des compétences et cette plus grande proximité répondent aux attentes des élus locaux. Nombre d'entre eux se montrent néanmoins inquiets, voire découragés, par l'ampleur et la complexité des missions qui leur ont été confiées. S'ils approuvent la décentralisation dans son principe et sa finalité, ils se montrent souvent préoccupés par ses modalités de mise en oeuvre, notamment financières.

La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 et la loi organique du 29 juillet 2004 ont mis fin aux dérives constatées en matière de compensation des transferts de compétences. Elles garantissent l'autonomie financière des collectivités territoriales, visent à éviter de nouvelles diminutions de la part de leurs ressources propres, notamment fiscales, et précisent en particulier que tout transfert de compétences de l'État doit s'accompagner de l'attribution de ressources équivalentes.

Nous avons ouvert ainsi une nouvelle ère dans les relations entre des collectivités locales aujourd'hui mieux respectées et un État plus attentif à leurs préoccupations et à leur situation globale.

Par ailleurs, les élus locaux ont aussi le sentiment que leur marge de manoeuvre se réduit de jour en jour, du fait de la multiplication de normes et de procédures juridiques de plus en plus contraignantes.

À cet égard, les membres du groupe UMP se félicitent de la création, le 4 octobre dernier, de la Conférence nationale des exécutifs, la CNE. Cette instance constitue un lieu de concertation privilégié avec l'État et les collectivités territoriales et permettra notamment à ces dernières d'être mieux associées à l'élaboration des normes qui les concernent.

Enfin, et surtout, les élus locaux doivent faire face à une charge de travail croissante, liée à l'inflation normative, mais aussi à l'enchevêtrement des compétences entre l'État et les différents échelons de collectivités locales et entre ces différents échelons eux-mêmes. Cette confusion et cette dilution des responsabilités sont source d'augmentation de la dépense publique et de perte de temps. J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer ce point dans le cadre des travaux de l'Observatoire de la décentralisation et je souhaite aujourd'hui m'y attarder quelque peu.

Je ne pense pas que nous ayons réellement à redouter l'absence de vocations pour l'exercice des mandats électifs. J'estime, en revanche, que nous devons nous attaquer sérieusement au problème de la charge de travail pesant sur les élus locaux. De moins en moins d'actifs ont la disponibilité nécessaire pour exercer leur mandat, ce qui risque de couper les conseils municipaux de la « vie active ».

Aujourd'hui, les élus sont surchargés par la multiplication des réunions en sous-préfecture, dans les DDE et dans maints autres services déconcentrés de l'État qui, pour de bonnes ou mauvaises raisons, ne cessent d'intervenir dans le processus de décision locale.

Ils doivent aussi participer à la foule de structures de concertation qui ont été mises en place. Certes, ces structures correspondent à la volonté d'être plus à l'écoute de nos concitoyens, mais elles sont à tel point chronophages qu'il n'y a plus guère que des retraités pour être suffisamment disponibles. La démocratie a un coût mais elle est aussi dévoreuse de temps.

Dans son rapport, notre collègue Jean Puech souligne qu'un véritable statut de l'élu local « devrait permettre de concilier l'exercice d'une activité professionnelle et un mandat local, en donnant à l'élu salarié le temps nécessaire à l'accomplissement des taches liées à son mandat, sans porter préjudice à sa vie professionnelle ». Il rappelle les aménagements apportés par le législateur en ce sens, comme les autorisations d'absence, les crédits d'heures ou le congé électif. Il reconnaît, néanmoins, que ces dispositions statutaires n'intéressent, en définitive, que les salariés ou les personnels de la fonction publique. Aucun mécanisme de compensation n'est prévu, par exemple, en faveur des membres des professions indépendantes.

Or, si l'on veut que tous les actifs - commerçants et chefs d'entreprise comme salariés et fonctionnaires - puissent s'impliquer dans la vie locale, il faut leur permettre de dégager du temps. Je souhaiterais que vous puissiez nous faire part, madame le ministre, de l'état de votre réflexion sur cette question essentielle, qui conditionne l'accès de tous les citoyens à la fonction d'élu ainsi qu'une représentation socioprofessionnelle équilibrée dans les assemblées délibérantes.

Cette question du temps est étroitement liée à celle des compétences. L'un des meilleurs moyens d'optimiser le temps de travail des élus est, en effet, de limiter les doublons institutionnels et de simplifier les processus de décision. Si chaque niveau institutionnel veut s'occuper de tout, y compris hors de ses compétences légales, les processus de décision s'empilent au lieu de se compléter.

La suppression d'un niveau institutionnel, en l'occurrence des départements, que propose le rapport de M. Jacques Attali, n'est pas la bonne méthode : elle ne correspond ni à la réalité sur le terrain ni aux attentes de nos concitoyens. Nous devons raisonner à partir non pas de chaque niveau d'administration locale, mais des politiques publiques, comme le suggère notre collègue Alain Lambert dans le rapport sur la clarification des compétences entre l'État et les collectivités locales qu'il a remis au Premier ministre le 7 décembre dernier.

Au niveau local, les collectivités territoriales doivent s'adapter à l'évolution de leurs nouvelles missions, prendre en compte le développement de l'intercommunalité et rechercher les moyens de rationaliser leurs interventions respectives, dans un souci d'efficacité et de lisibilité.

Au niveau national, l'État doit tirer pleinement les conséquences de la décentralisation et cesser d'intervenir dans des domaines ne relevant plus de sa compétence.

La création d'un régime statutaire spécifique adapté aux nouvelles responsabilités des exécutifs locaux, que propose notre collègue Jean Puech, nécessite une clarification préalable de ces responsabilités.

Avant de décider quoi faire, pour qui, nous devons préciser qui fait quoi, au plan local comme au plan national. La clarification des compétences, la simplification des procédures et le renforcement de l'autonomie financière sont les clés d'une plus grande efficacité des politiques publiques et d'une plus grande responsabilisation des acteurs concernés.

C'est dans cet esprit que les membres du groupe UMP soutiendront les réformes structurelles engagées par le Gouvernement, en particulier la réforme de l'État, afin, notamment, que les élus locaux puissent exercer leurs compétences de manière plus libre, plus efficace et plus simple, au plus près des attentes et des besoins de nos compatriotes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre collègue Jean Puech nous soumet aujourd'hui une question qui devient désormais récurrente à la veille d'élections municipales et cantonales, celle du statut de l'élu.

Elle est récurrente car elle n'a jamais été véritablement réglée. Pourtant, ce n'est pas faute d'initiatives parlementaires en la matière : les élus communistes s'en préoccupent depuis presque une vingtaine d'années, notre groupe ayant déposé, dès 1989, une proposition de loi sur les fonctions électives.

Par la suite, que ce soit à l'Assemblée nationale ou au Sénat, nous n'avons eu de cesse, en déposant de nouveau la même proposition de loi, de tenter d'améliorer le dispositif que nous proposions, afin de le rendre toujours plus conforme aux attentes des élus et des citoyens.

L'élaboration, ou plutôt l'ébauche, d'un statut de l'élu a été réalisée par la loi du 3 février 1992, qui a permis aux élus locaux d'acquérir un certain nombre de droits, notamment des autorisations d'absence et des crédits d'heures pour les élus salariés, le droit à une formation adaptée à leurs besoins, des indemnités de fonction ou encore un droit à pension. Nos propositions vont cependant plus loin que les dispositions de la loi de 1992 ou des lois ultérieures.

Les échéances municipales ont en effet l'avantage de donner un regain d'intérêt à la question du statut de l'élu. Aux mois de janvier et de février 2001, nous avons étudié une proposition de loi sur le statut de l'élu et la proposition de loi de notre collègue Jacqueline Fraysse sur les fonctions électives locales. Dans les deux cas, la navette parlementaire a été interrompue et aucun de ces deux textes n'a abouti.

La loi relative à la démocratie de proximité, de février 2002, a permis de répondre en partie à certaines attentes - les droits des élus locaux ont été renforcés et les conditions d'exercice du mandat ont été améliorées afin de faciliter l'articulation de ce mandat avec leur activité professionnelle - mais non de créer un véritable statut.

Depuis, et malgré tout, les problèmes subsistent. Mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen et moi-même avons proposé de faire adopter des propositions lors de l'examen du projet de loi sur la parité de décembre 2006, et ce lien n'est pas neutre.

Le statut de l'élu doit en effet favoriser aussi l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives. Des mesures purement quantitatives sont bien insignifiantes, voire méprisantes, si l'on se prive d'une réflexion sur ce qui entrave l'engagement politique des femmes.

Malheureusement, la loi de décembre 2006 ne fait dépendre l'accès des femmes aux mandats locaux et aux fonctions électives que de mesures législatives favorisant la parité. Toutes les propositions que nous avions formulées furent à nouveau refusées.

Pourtant, chacun d'entre vous, mes chers collègues, le sait : la fonction d'élu local, notamment de maire, suscite de moins en moins de vocations. Le champ des responsabilités des maires ne cesse de s'accroître au fil des lois : je citerai ainsi la loi relative à la prévention de la délinquance ou bien encore la loi à venir sur les chiens dangereux. Les nombreux transferts de compétences organisés depuis la loi Raffarin de 2003 mettent les élus locaux, notamment les élus départementaux, face à d'insolubles problèmes d'équilibre financier.

La disparition progressive des services publics dans nos campagnes, outre le fait qu'elle encourage la désertification et l'appauvrissement des communes rurales, n'aide pas non plus les élus à satisfaire les demandes toujours plus fortes de nos concitoyens en matière de solidarité et d'actions locales.

Face à cet accroissement des responsabilités, il n'est pas étonnant que l'absence d'un véritable statut de l'élu se fasse d'autant plus ressentir.

C'est, d'ailleurs, ce que traduit parfaitement le sondage TNS-SOFRES cité par notre collègue Jean Puech. Nombreux sont les découragements, les lassitudes exprimés par les élus locaux.

Certes, dans ce contexte, nul ne peut nier qu'il est urgent de nous remettre à travailler sur la question de la création d'un statut de l'élu.

Cependant, nous ne pouvons nous contenter d'une simple question orale, dont le dépôt d'ailleurs prouve bien qu'à force de repousser le véritable traitement du problème ou d'y apporter des réponses partielles, nous n'avons guère progressé depuis 2002.

En effet, la mise en place d'un statut doit favoriser le renouvellement, contribuer à diversifier les appartenances socioprofessionnelles des élus. Aujourd'hui, malgré les incitations législatives en direction des élus salariés, force est de constater que la grande majorité des élus sont issus de la fonction publique ou sont retraités. La situation est pire s'agissant des professions indépendantes.

Il est toujours aussi difficile de concilier sa vie professionnelle avec son mandat électif. Et je ne parle pas de toutes ces femmes qui veulent s'investir en politique ou tout simplement dans leur commune.

La situation est en l'espèce quelque peu paradoxale, car la loi prévoit - reconnaissons-le - un certain nombre de droits en faveur des élus locaux. S'ils bénéficient d'autorisations d'absence pour participer aux réunions liées à leur mandat, de crédits d'heures pour leur permettre de disposer du temps nécessaire à l'administration de la collectivité, d'un congé électif pour préparer la campagne, d'un droit à une formation adaptée, ainsi que d'indemnités de fonction et de quelques remboursements de frais, l'ensemble de ces droits ne suffit toutefois pas à sécuriser les élus déjà en poste ou à attirer des candidats potentiels.

D'une part, si les fonctionnaires sont davantage représentés, c'est essentiellement parce que, malgré les droits et protections accordés par la loi, le rapport de force joue en défaveur des salariés, qui sont rarement en position de négocier des disponibilités et sur lesquels pèse, malgré tout, la peur du licenciement ou, plus simplement, de la mise au placard.

D'autre part, la loi de 2002 relative à la démocratie de proximité n'a pas assez renforcé les droits des élus locaux, plus particulièrement en ce qui concerne leur retour dans la vie professionnelle à la fin de leur mandat ou en cas de perte de celui-ci.

De nombreuses propositions ont déjà été formulées par notre groupe. Je citerai, par exemple, le versement aux élus de l'intégralité de leur salaire lors de leurs absences autorisées, le remboursement des frais de garde d'enfant et de personne dépendante, la reconnaissance de la compétence acquise au cours de l'exercice du mandat afin de favoriser le retour à l'emploi des élus, ou encore le maintien des indemnités en cas de chômage et de non-exercice d'un autre mandat, et ce pendant six mois à compter de la fin du mandat.

Cependant, il ne faudrait pas imaginer faire peser le financement de toutes ces propositions par les seules collectivités locales. Ces garanties accordées aux élus ont un coût : c'est pourquoi nous avions proposé, en 2001, la création d'un fonds, alimenté par les entreprises au-delà d'un certain seuil de salariés, qui servirait à prendre en charge les périodes d'absence des salariés élus du fait de leur mandat.

De même, il serait peut-être opportun de réviser le régime de la dotation « élu local », destinée à compenser leurs dépenses obligatoires liées aux dispositions législatives relatives aux autorisations d'absence, aux frais de formation des élus locaux et à la revalorisation des indemnités des maires et des adjoints, car son champ d'application est trop restreint et son montant trop faible. En effet, elle n'est versée qu'aux petites communes de moins de 1 000 habitants et son montant est aujourd'hui de 2 617 euros. Pourquoi ne pas en réévaluer le montant et la verser sans considération démographique à toutes les communes ?

L'État a également sa part de responsabilité dans la démocratisation de la vie politique locale.

Le statut de l'élu, envisagé dès les premières lois de décentralisation comme un pilier indispensable à leur mise en oeuvre, s'affirme aujourd'hui comme une exigence démocratique : tout citoyen doit pouvoir être candidat à une élection politique. Il doit bénéficier d'une sécurité matérielle et professionnelle, d'une formation et d'une clarification de son statut juridique comme de ses responsabilités : telles sont les conditions indispensables à l'émergence d'un tissu électif diversifié, à l'image de la société.

M. Puech a évoqué le mécontentement et les inquiétudes des élus. Ce constat appelle un certain nombre de réformes, afin de lever les obstacles qui conduisent trop de salariés et de femmes à renoncer à être candidats, trop d'élus à ne pas pouvoir assumer correctement leur mandat ou à devoir renoncer à se représenter en raison des difficultés trop grandes qu'ils ont rencontrées.

Si rien n'est fait pour renforcer les garanties accordées aux élus, cette situation risque de s'aggraver, en raison du transfert de compétences non compensé et de la responsabilité des élus vis-à-vis de leurs administrés, qui s'accroît au fil des lois votées ; le malaise ira grandissant.

Avec cette question orale, l'occasion nous est donnée de vous demander, madame la ministre, à la veille des élections municipales, ce que vous entendez mettre en oeuvre pour renforcer, voire créer, un véritable statut de l'élu. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt-deux heures quinze, sous la présidence de Mme Michèle André.)

PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion de la question orale avec débat n° 9 de M. Jean Puech à Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales sur la création d'un véritable statut de l'élu local.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Jean-Léonce Dupont.

M. Jean-Léonce Dupont. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « malaise », « insatisfaction », « inquiétudes », tels sont les termes qui ont été souvent employés ces dernières années pour définir l'état d'esprit des élus locaux dans notre pays et qui ressort encore des récentes enquêtes.

L'étude menée en 2006 par l'IFOP, l'Institut français d'opinion publique, auprès de 1 500 maires et présidents de communautés révélait que 45 % d'entre eux seraient peu enclins à poursuivre leur engagement lors du prochain renouvellement des mandats. Nous verrons bien si ce pourcentage se confirme au terme des élections du mois de mars prochain, mais la tendance est là.

Pour l'heure, dans le département du Calvados, qui compte 705 communes, il semble d'ores et déjà que près d'un tiers des maires ne souhaitent pas se représenter. Certes, certains ne le veulent pas pour des raisons de convenance personnelle, mais la plupart d'entre eux expriment surtout le « ras-le-bol » d'assumer des responsabilités de plus en plus lourdes et complexes, souvent ingrates, d'être en état de disponibilité permanente auprès de concitoyens de plus en plus exigeants et pas toujours reconnaissants.

J'ai établi le même constat pour ce qui concerne les élections cantonales, car on ne peut pas dire que les candidats se bousculent vraiment dans certains cantons ruraux.

Ce sentiment d'insatisfaction paraît partagé par bon nombre d'élus dans l'ensemble de notre pays, notamment dans les petites communes, puisque le sondage réalisé l'an dernier sur l'initiative de l'Observatoire sénatorial de la décentralisation révèle que 58 % des élus se disent mécontents de leur situation.

Des avancées certaines ont été réalisées grâce à la loi de 1992 relative aux conditions d'exercice des mandats locaux, à celle de 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale et à celle de 2002 relative à la démocratie de proximité. Je ne reviendrai pas sur cet historique, d'autres orateurs avant moi l'ayant excellemment rappelé.

Toutefois, malgré l'adoption de dispositions en faveur des élus locaux, il n'existe toujours pas en France de véritable statut de l'élu local. Cette situation pose des problèmes avant, pendant et après le mandat.

Avant l'élection, c'est l'égal accès de tous les citoyens aux mandats locaux qui est principalement en question, et ce pour toutes les catégories socioprofessionnelles.

Certes, la loi de février 2002 permet au candidat à l'élection de préparer la campagne électorale. Un droit au congé électif est ouvert aux salariés candidats au conseil municipal dans les communes d'au moins 3 500 habitants, au conseil général et au conseil régional. Ce congé a une durée maximale de dix jours ouvrables, mais ces absences ne sont pas rémunérées.

Cette loi a également organisé les autorisations d'absence et les crédits d'heure pour permettre aux élus de disposer du temps nécessaire à l'administration de leur collectivité.

Toutefois, deux remarques s'imposent.

Tout d'abord, aucune disposition n'est prévue pour les candidats dans les petites communes. Ensuite, hormis les personnels de la fonction publique, qui peuvent bénéficier d'un détachement ou d'une mise en disponibilité pour exercer un mandat, et donc assurer sans risque professionnel un mandat local, combien de salariés du secteur privé vont-ils utiliser le congé électif non compensé et prendre le risque de se présenter, de consacrer du temps - beaucoup de temps - pour être élu, de devoir peut-être cesser leur activité professionnelle ou au mieux tenter de concilier leur mandat avec leur vie professionnelle, pour percevoir une indemnité qui, seule, ne permet pas, bien souvent, de vivre ?

L'analyse de la répartition socioprofessionnelle des maires réalisée en décembre 2007 fait apparaître que trois catégories de « professions » dominent : les retraités, avec 29 %, les agriculteurs, avec 18 %, et les fonctionnaires, avec 15 %. Précisons, toutefois, que 99 % des agriculteurs élus maires le sont dans des communes de moins de 3 500 habitants.

La représentation des différentes catégories professionnelles est malgré tout moins mal assurée qu'au niveau des fonctions électives nationales, qui présentent un caractère caricatural.

C'est la représentativité de notre société qui est en jeu et il convient d'inciter tous les citoyens français à se porter candidats aux fonctions électives. Seul un statut digne de ce nom peut pallier cette situation.

Quant aux femmes, en application des règles relatives à la parité, elles représentent désormais 47,5 % des conseillers municipaux des communes de plus de 3 500 habitants. Mais ce pourcentage reste inférieur à 11 % pour les maires de l'ensemble des communes. Le taux est de 10,5 % pour les conseillers généraux et de 47,5 % pour les conseillers régionaux.

On peut se réjouir de ce que la situation ait évolué favorablement - malheureusement sous l'effet de la contrainte -, même si l'accès des femmes aux fonctions exécutives mérite quelques améliorations, notamment par une prise en considération du problème de la garde des enfants.

Pendant le mandat, deux sujets sont source de vives préoccupations pour les élus : la responsabilité, d'une part - les responsabilités civile, administrative et surtout pénale - et les moyens d'exercer leur mandat, d'autre part.

Une très grande majorité des élus locaux se déclarent insuffisamment protégés des risques juridiques encourus par leur fonction. D'importantes avancées ont été accomplies, notamment grâce à la loi dite « Fauchon » de juillet 2000, tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. Mais le profond malaise exprimé par les élus locaux ne doit pas être sous-estimé, et nous devrons remettre notre ouvrage sur le métier, notamment en matière d'information.

Par ailleurs, selon le sondage mené pour l'Observatoire de la décentralisation, 66 % des élus se déclarent mécontents de leurs conditions de travail.

Peut-on dissocier ce sentiment de l'intention de bon nombre d'élus de ne pas poursuivre leur engagement, comme je l'ai indiqué au début de mon intervention ? Je ne le crois pas.

À mon avis, élaborer un statut de l'élu local est indispensable, mais cela ne se fera pas sans que soit menée parallèlement une réflexion sur les moyens dont disposent les élus pour exercer leur fonction. Je pense notamment à l'avenir du financement des collectivités locales, à l'insuffisante compensation financière de l'État en contrepartie des nouvelles responsabilités qui leur sont transférées et aux menaces sur leur autonomie.

Pour améliorer les conditions de travail des élus, nous ne pourrons pas faire l'économie d'une réforme de la fiscalité locale.

Après le mandat, c'est le problème de la reconversion et de l'aide à la réinsertion professionnelle qui se pose.

Pour les retraités, la question ne soulève pas de problème, pas plus que pour les membres de la fonction publique, qui seront réintégrés. En revanche, s'agissant des élus salariés du secteur privé ayant cessé leur activité professionnelle, la situation est plus compliquée.

La loi de 1992 a prévu un droit de réintégration pour les élus ayant cessé temporairement leur activité, leur contrat de travail étant suspendu. Mais ce dispositif connaît ses limites, puisque ce droit n'est valable qu'à l'issue d'un seul mandat et pour les élus des communes de plus de 20 000 habitants, lorsque l'entreprise existe encore.

Les membres des professions libérales, dont les situations présentent une très grande hétérogénéité, n'ont, quant à eux, aucune garantie.

Dix ans plus tard, la loi de 2002 a mis en place l'allocation différentielle de fin de mandat et renforcé les droits à la formation des élus en fin de mandat. Mais, là encore, le droit à formation n'est ouvert qu'aux maires et adjoints de communes de plus de 20 000 habitants, et l'allocation ne peut être perçue que pendant six mois et selon certaines modalités.

On ne peut donc pas s'étonner du fait que 58 % des élus soient mécontents des possibilités qui leur sont offertes en matière de reconversion.

À l'heure où, dans le secteur privé, on commence à vanter une « flexisécurité à la française », il serait intéressant de poursuivre la réflexion pour améliorer les passerelles entre la vie politique et la vie professionnelle et supprimer les inégalités qui existent entre les élus, selon qu'ils sont élus dans une commune de plus ou de moins de 20 000 habitants.

Vous avez, madame la ministre, évoqué la semaine dernière l'idée d'une nouvelle voie d'accès à des fonctions administratives pour les anciens maires ; cette piste mérite d'être approfondie.

Pour conclure, et en ayant bien conscience de n'avoir pas abordé tous les sujets d'inquiétude de nos élus locaux, je tiens à préciser que l'élaboration d'un statut de l'élu local doit se faire, et ne peut se faire, que dans une approche globale. Nous devons définir quelle démocratie locale nous souhaitons mettre en place dans notre pays, quelle doit être la représentativité des élus, leur légitimité, et savoir dans quelles conditions la gouvernance locale doit s'exercer, et ce avec quels moyens.

Ce n'est qu'en apportant des réponses à l'ensemble de ces questions que l'élaboration d'un véritable statut de l'élu local aura, à mes yeux, un sens et sera susceptible d'adapter notre démocratie locale aux défis de la décentralisation.

Seul un véritable statut de l'élu local permettra une démocratie apaisée et représentative qui n'exclue pas par le sexe, la catégorie socioprofessionnelle ou, plus généralement, l'origine sociale. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Doligé.

M. Éric Doligé. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier Jean Puech d'avoir obtenu l'inscription de cette question orale avec débat sur la création d'un véritable statut de l'élu local à l'ordre du jour des travaux de notre assemblée.

Ainsi, nous allons pouvoir évoquer les multiples rapports qui fleurissent en cette période. Je citerai, par ordre alphabétique, les rapports Attali, Balladur, Lambert et Puech.

Après avoir visité plusieurs pays européens et auditionné de très nombreuses personnalités, dont vous-même, madame la ministre, Jean Puech présente, au nom de l'Observatoire de la décentralisation, un rapport d'information qui explore des pistes et formule des propositions.

Nous le savons, le statut de l'élu local a été maintes fois débattu au fil des années. Certes, quelques petites avancées ont été réalisées, mais, comme toujours dans notre beau pays, nous avons évité d'aborder le sujet au fond et dans sa globalité.

Nous n'avons toujours pas résolu les règles d'accès aux fonctions électives, en refusant d'ouvrir le débat sur l'origine professionnelle des élus. En effet, la situation est complètement différente selon que le candidat à l'élection vient du public ou du privé, qu'il exerce une profession libérale ou qu'il est salarié. Il n'existe aucune égalité entre le fonctionnaire et le salarié, et il faut aborder au fond cette réalité.

Par ailleurs, nous n'avons pas non plus résolu le problème de l'indemnité des élus, principalement celle des maires des plus petites communes. L'indemnité devrait être de droit, obligatoire et comprise dans la DGF, la dotation globale de fonctionnement.

Nous n'avons pas non plus réglé le dossier du cumul des mandats, le cumul étant utilisé comme argument pour discréditer les élus, alors qu'il constitue très souvent, au contraire, une richesse pour la politique territoriale et nationale.

Nous n'avons pas non plus réglé le dossier de la limitation du cumul des indemnités, sauf pour les parlementaires. Je constate très souvent que la somme des indemnités perçues par certains élus exerçant des représentations multiples avec des responsabilités relatives dépasse les plafonds. De même, les salaires avec primes des fonctionnaires de plus haut rang dans les collectivités sont en général une, deux, voire trois fois supérieurs à l'indemnité de leur maire ou de leur président de conseil. Les indemnités des élus peuvent varier selon les indices de la fonction publique territoriale, alors que, dans cette même fonction, est appliqué le « glissement-vieillesse-technicité » ; d'où des écarts croissants. Chacun sait ici que l'élu ne vieillit pas et ne gagne pas en technicité ! (Sourires.)

Nous n'avons pas non plus résolu le problème du devenir des élus au sortir de leurs fonctions électives. Qu'en est-il de leur protection sociale ?

Nous pourrions également évoquer de nombreuses responsabilités de l'élu local, qu'il s'agisse des responsabilités civile, administrative et pénale, qui l'exposent en permanence à l'appréciation du juge et à la vindicte médiatique. Un trou dans la chaussée, un panneau qui tombe, un accident de car scolaire, une intoxication dans une cantine ou une inondation, tous ces incidents relèvent de la responsabilité de l'élu. Le maquis administratif et l'insécurité administrative sont son lot quotidien.

Nous accusons également un grand retard concernant les garanties statutaires proposées à l'élu local, qui n'a ni réel soutien financier ni, bien souvent, de protection sociale durant son mandat, alors que nombre d'élus abandonnent temporairement leur activité professionnelle.

La République n'est pas très reconnaissante envers ses serviteurs et, de plus, elle participe bien souvent - involontairement, je l'espère - à la dévalorisation de l'élu.

Pour illustrer ce propos, permettez-moi d'aborder le rapport Attali, qui en est un bon exemple.

Le Président de la République doit recevoir demain la primeur de ce rapport. Pourtant, tout le monde semble l'avoir déjà parcouru et le connaître, sauf les élus, qui, comme d'habitude, seront les derniers informés. Ils doivent attendre la voie officielle.

Madame la ministre, il faudra un jour bannir cette détestable habitude qu'est pour un gouvernement de tout faire sans avertir les élus. J'en veux pour dernière preuve l'annonce concernant les OGM. À l'Assemblée nationale, le président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire en a eu connaissance au dernier moment et par SMS !

La question posée à la commission Attali a été bien posée : « Comment relancer la croissance en France ? » ou « Comment libérer la croissance et retrouver le plein-emploi ? ». Mais je pense que si, à la place d'une telle commission, on avait plus modestement dépêché un émissaire ordinaire et sérieux dans les départements, hors des murs de la capitale, on aurait pu savoir s'il existait une recette pour répondre à la commande présidentielle. Certes, cela nous aurait privés de trois cents propositions ou décisions à mettre en oeuvre d'ici au mois de mai 2009 et de huit ambitions !

Pour gagner du temps et ne pas vous lasser, je m'arrêterai à l'ambition numéro sept : « Instaurer une nouvelle gouvernance au service de la croissance ». On nous explique que beaucoup de nos institutions se sont sédimentées, fossilisées et qu'elles coûtent trop cher pour un service chaque jour plus défaillant. Pauvre élu local ! On nous annonce que l'on va s'occuper de lui...

L'ambition numéro sept conduit à la résolution 259, qui préconise de faire disparaître en dix ans l'échelon départemental, source de gaspillage. Pauvre département !

Si, globalement, nous pouvons comprendre la nécessité de réformer, d'être provocateur, voire agitateur, pour faire avancer les idées, nous ne pouvons comprendre des attaques totalement infondées. À moins de deux mois du renouvellement des conseils généraux, c'est faire preuve de bien peu d'égards pour les élus locaux !

Sachez que des élus de tous bords et des collectivités de toutes tailles se montrent scandalisés par cette annonce couperet largement médiatisée. Je n'ose vous dire ce que j'entends actuellement sur le cercle très fermé de l'intelligentsia parisienne, qui vit en vase clos et qui veut faire le bien des pauvres provinciaux que nous sommes, contre leur gré !

La commission qui a émis cette idée et bien d'autres est composée de quarante-trois membres, dont deux seulement sont des élus : l'un est allemand, l'autre est italien. C'est ce dernier qui aurait porté l'idée sans la moindre audition et sans rencontre avec l'Assemblée des départements de France, ADF.

Avec Jean Puech et des collègues, nous sommes allés en Italie voir les élus locaux. Nous n'aurions pas proposé de nous immiscer dans la vie démocratique locale !

À la limite, j'en arrive à comprendre que l'on ne veuille pas nous entendre, puisque, selon l'image colportée sur les élus locaux, nous sommes indésirables, défaillants, gaspilleurs, et donc déjà condamnés !

L'un des arguments serait que le département est usé par les ans. Il a été créé en 1790. Je me permets d'expliquer aux savants que les conseils généraux sont devenus collectivités de plein exercice en 1981. Les régions, quant à elles, datent de 1982.

Dois-je rappeler que les collèges relèvent de la compétence des départements et que ceux-ci font huit fois plus d'efforts que l'État n'en faisait lorsqu'il était compétent ?

Dois-je rappeler que les départements se substituent à l'État pour la couverture du pays en Internet à haut débit ?

Dois-je rappeler que les transports scolaires des collégiens et des lycéens sont assurés par les conseils généraux, lesquels accordent de plus en plus la gratuité ?

Dois-je rappeler que l'État vient régulièrement nous chercher pour financer ses universités qu'il ne sait assumer financièrement, ou encore pour lui permettre de tenir ses engagements en matière de recherche et d'innovation ?

Dois-je rappeler que l'État, empêtré dans sa complexité et son centralisme, a confié le RMI, l'APA, le handicap et ses routes aux conseils généraux et qu'il s'apprête à amplifier les transferts et les responsabilités aux élus locaux ?

Madame la ministre, je compte sur vous pour dire aux experts que la France ne s'arrête pas aux boulevards des Maréchaux à Paris. Au-delà, il y a une vie, des élus sérieux et consciencieux ! J'invite ces experts à constater sur le terrain que, contrairement à ce qu'ils affirment, le département n'est pas un frein à la croissance.

Je me permets, madame la ministre, de vous exposer à nouveau partiellement ce que je vous ai dit ici même au mois de décembre, à l'occasion de la discussion sur les relations entre l'État et les collectivités. Je l'avais déjà dit à l'Assemblée nationale avant 2000 et ici même lors de la discussion de la loi sur l'Acte II de la décentralisation.

Le département est une collectivité de proximité. La région doit être une collectivité de mission.

Le département doit gérer les lycées en plus des collèges. La région doit recevoir des compétences nouvelles et fortes - santé, université, environnement - et dépasser la gestion quotidienne des petits dossiers.

L'État ne doit plus intervenir au niveau local dans les domaines déjà couverts par les collectivités, qui apportent un financement souvent de plus de 50 %, voire 80 %. Il en est ainsi du sport, de la culture, du social, de l'équipement ; je n'ose avancer l'exemple des pompiers...

La région doit être le lieu de cohérence entre les politiques départementales, et les agglomérations et les grandes villes.

Pour faire vivre cette cohérence, les conseillers régionaux doivent être issus des collectivités qui composent la région concernée, comme cela se fait sans difficulté entre les communes lorsqu'elles créent des structures intercommunales, telles que les communautés d'agglomération.

Le nombre de régions doit être revu à la baisse pour rendre ces dernières plus efficaces et plus concurrentielles face à leurs homologues en Europe.

Les départements, s'ils le souhaitent, doivent pouvoir se regrouper.

Les transferts de compétences entre les collectivités doivent se faire à périmètre financier et structures équivalents.

Si vous analysez notre évolution territoriale depuis vingt ans, vous le constaterez, ce ne sont pas les départements qui ont créé de nouveaux niveaux ; ce sont les régions avec les pays et les communes avec les regroupements.

Les collectivités doivent être libres d'agir sur les compétences dynamiques créatrices de richesses, tels l'économie et l'aménagement du territoire.

Sur les compétences passives ou de guichet, les collectivités doivent avoir des compétences uniques.

Les contrats de plan État-région doivent être supprimés. C'est une tutelle de l'État sur la région, et de l'État et de la région sur les autres collectivités permettant à l'État d'être partout à moindres frais et de maintenir ainsi des structures.

Je me suis permis d'émettre une douzaine de suggestions de cohérence non provocatrices, qui peuvent être facilement et rapidement débattues et qui, bien sûr, auront un impact sur l'élu local, ses missions, ses compétences. Elles peuvent être l'occasion de traiter en même temps du statut.

Il n'est pas dans la culture des gouvernements d'écouter les propositions qui sont le fruit d'une certaine expérience locale. Une fois de plus, je constate que les paillettes de la notoriété ont été préférées.

Je fais l'impasse sur un certain nombre de propositions intéressantes, madame la ministre, pour arriver plus vite à la conclusion.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Comment le Gouvernement peut-il vous entendre si vous sautez des propositions, monsieur le sénateur ? (Sourires.)

M. Éric Doligé. J'en ai déjà fait un certain nombre : treize. J'en ai encore une dizaine !

Madame la ministre, ce sont les élus locaux, ceux qui sont peu reconnus, ceux que l'on veut jeter avec l'eau du bain, qui font, avec beaucoup de passion, la richesse de nos territoires. Nous sommes prêts à la réforme, nous la demandons, nous l'accompagnerons. Mais, si vous n'entraînez pas l'État dans ce vaste mouvement de réforme, si vous n'entrez pas dans le vrai débat avec les élus locaux, si vous cautionnez des provocations « attalinesques », comme la résolution 259, j'aurai alors la conviction qu'il existe bien deux France : celle d'en haut, réduite à quelques penseurs en mal de reconnaissance et de succès en librairie, et celle d'en bas, faite d'élus et de citoyens qui se battent pour faire avancer leurs territoires et leur pays.

Madame la ministre, entre le rapport présenté par Jean Puech et les propositions qui vous ont été faites sur toutes les travées de notre hémicycle, vous avez une source considérable de suggestions de nature à faire avancer le statut de l'élu et l'organisation territoriale, tout en relançant la croissance en France. Je sais que je peux avoir confiance en vous. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur les travées du RDSE et les travées socialistes.)

Mme la présidente. La parole est à M. Robert del Picchia.

M. Robert del Picchia. Madame la ministre, je sais que vous connaissez bien les Français de l'étranger et que vous leur accordez beaucoup d'attention. Vous avez d'ailleurs toute leur sympathie.

Permettez-moi de profiter de ce débat pour attirer votre attention sur une catégorie d'élus autre que celle dont a parlé avec talent mon collègue et ami Jean Puech, mais qui s'en approche beaucoup.

Pourquoi un sénateur des Français de l'étranger intervient-il ce soir à cette tribune ? Mon intervention a pour objet de faire en sorte que les conseillers élus à l'Assemblée des Français de l'étranger, AFE, ne soient pas oubliés dans ce débat.

Certains objecteront que mon intervention est hors sujet...

M. Paul Blanc. Mais non !

M. Robert del Picchia..... et prétendront que les conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger ne peuvent pas être assimilés à des élus locaux. Pourtant, il me faut souligner qu'ils sont très proches de leurs collègues élus sur le territoire national, qu'il s'agisse de la nécessité de reconnaître leur statut, lequel n'existe encore ni pour les uns ni pour les autres, ou de l'organiser.

Au nombre de 155, ces élus forment l'Assemblée des Français de l'étranger. Ils sont élus localement, au sein de circonscriptions électorales, au suffrage universel direct pour un mandat de six ans. Il existe, vous le constatez, de nombreuses similitudes !

J'ai été élu pendant plus de dix ans par les Français d'Autriche et des pays de l'Europe de l'Est, et je sais que les responsabilités qui découlent d'un tel mandat sont bien réelles.

À l'instar des élus locaux, les élus de l'Assemblée des Français de l'étranger ont des responsabilités envers leurs administrés. Ils les remplissent notamment en participant aux réunions des diverses commissions dans les ambassades, dans les consulats, pour l'attribution de bourses scolaires, l'aide sociale, les comités pour l'emploi ou les comités de sécurité - qui sont de plus en plus importants à notre époque pour nos communautés expatriées - ou encore aux réunions avec les consuls, les consuls honoraires de la circonscription, etc. Madame le ministre, ayant été ministre de la défense, vous connaissez bien les difficultés liées à la sécurité des Français à l'étranger et le rôle des chefs d'îlot.

Les conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger agissent localement sur le terrain, un terrain bien plus vaste et très souvent beaucoup plus périlleux que celui sur lequel évoluent leurs collègues de France. Il ne faut pas oublier que certaines circonscriptions regroupent parfois plusieurs pays. On comprend alors combien il est difficile pour les élus d'accomplir leur mission auprès des Français de l'étranger, leurs mandants.

Ces élus se réunissent deux fois par an à Paris en session plénière ; ils travaillent au sein de commissions sur les problèmes de nos compatriotes établis hors de France. Mais ils prennent sur leur temps libre, temps de loisirs et de congés, pour exercer leur mandat.

Les élections sont politiques. Il suffit, pour s'en convaincre, de rappeler que les conseillers élus à l'AFE parrainent les candidats au premier tour de l'élection présidentielle. Ils forment également le collège électoral des sénateurs représentant les Français de l'étranger. Ils ont donc bien un rôle politique.

Pour pouvoir exercer ce mandat, les élus à l'AFE perçoivent une indemnité. Celle-ci est insuffisante pour la plupart d'entre eux, même si elle a le mérite d'avoir été augmentée récemment. Bien sûr, elle est encore loin d'être suffisante pour permettre aux élus d'exercer leur mandat dans la circonscription.

Ce qui manque le plus à ces derniers, c'est, à l'image des élus locaux de France, un statut pour une reconnaissance de leur mandat. Madame la ministre, il ne s'agit pas seulement de valoriser un travail difficile ; il s'agit surtout de le rendre plus efficace et surtout de le reconnaître.

En effet, la principale difficulté rencontrée localement par les conseillers élus est l'absence de reconnaissance de leur mandat et de leur rôle d'élu, lesquels ne sont pas toujours bien perçus par notre administration diplomatique et consulaire. Je n'accuse personne, mais celle-ci a trop souvent tendance à les considérer comme des élus de « second ordre », je serais même tenté de dire comme des « élus au rabais ». L'administration oublie qu'ils ont été élus au suffrage universel.

La définition d'un véritable statut d'élu des Français de l'étranger permettrait aussi de régler certains problèmes concrets.

Je prendrai l'exemple de leur protection sociale. Les élus ne sont assurés que lorsqu'ils se rendent à Paris pour siéger à l'Assemblée des Français de l'étranger. On connaît les dangers à Paris ; ils ne sont pas si terribles que cela ! En revanche, les élus ne sont pas assurés dans leur circonscription lors de déplacements effectués dans l'exercice de leur mandat, dans des conditions parfois très difficiles, quand elles ne sont pas dangereuses. Pourtant, c'est surtout au cours de tels déplacements qu'ils devraient être protégés.

Madame la ministre, mes chers collègues, voilà pourquoi, avec ces élus de l'étranger, je souhaite que la création d'un régime statutaire spécifique, comme le disait Jean Puech, adapté aux nouvelles responsabilités des exécutifs locaux permette également la création d'un statut spécifique de l'élu à l'Assemblée des Français de l'étranger.

On souhaite l'émancipation de la démocratie locale. On veut une démocratie moderne et décentralisée. Alors, allons jusqu'au bout et incluons un statut spécifique pour ces élus d'outre-frontières ! Ils le méritent bien, et ce ne serait que leur rendre justice... Comme l'a dit Jean Puech, n'ayons pas, pour les Français de l'étranger aussi, une République de retard ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur les travées du RDE et les travées socialistes.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d'abord remercier MM. Jean Puech et Patrice Gélard de leurs interventions, de l'exhaustivité avec laquelle ils ont abordé les différentes questions relatives au statut de l'élu, mais aussi de la hauteur de vue dont ils ont fait preuve en évoquant un certain nombre de sujets qui renvoient à des préoccupations plus larges.

Je souhaite également les remercier d'avoir suscité et orienté cette discussion, qui est non seulement au coeur de l'actualité, puisque nous sommes à quelques semaines des élections municipales, mais aussi au coeur de notre démocratie.

Vous le savez, je suis une élue locale, municipale et départementale, et j'ai également été à de multiples reprises une élue nationale ; cela expliquera peut-être tout à l'heure certains de mes propos.

En tant que ministre chargée des collectivités territoriales, je retrouve les problèmes auxquels sont confrontés les élus locaux. Je connais les exigences de leur mission et les attentes qu'elle engendre de la part de nos électeurs. Je n'ignore rien des contraintes que cette mission emporte pour eux et parfois pour leur famille, ainsi que, dans un certain nombre de cas, des risques qu'elle présente. Je sais ce qu'un mandat électif signifie en termes d'engagement personnel, étant entendu que les mandats locaux, en particulier, permettent de tisser des liens très forts avec la population.

Être à la tête d'un exécutif local, c'est être en première ligne des attentes de nos concitoyens.

Pour permettre aux élus locaux de faire face à leurs charges, de nombreuses dispositions ont été mises en place au fil des années. J'ai le sentiment qu'elles forment aujourd'hui un ensemble cohérent et équilibré, mais qui peut et doit être complété. C'est également ce que j'ai retenu des différentes interventions que je viens d'entendre.

Par ailleurs, j'en suis persuadée, l'insatisfaction ressentie par certains élus locaux trouve surtout son origine dans notre paysage institutionnel. En effet, nombre d'élus locaux estiment qu'il faut clarifier les responsabilités ; je l'ai d'ailleurs dit devant l'Association des maires de France, et les répercussions ne se sont pas fait attendre. Nous avons tout simplement besoin de savoir qui fait quoi.

J'évoquerai tout d'abord l'actuel statut des élus locaux, qui me semble constituer un bon compromis entre protection et libre administration.

Les différentes dispositions prises ont permis de réunir un certain nombre d'éléments que l'on retrouve dans n'importe quel statut. Finalement, peu importe que l'on utilise ce dernier terme ou non, car c'est la réalité qui importe. Or, pour tenir compte des charges occasionnées par l'exercice d'une fonction élective locale, le législateur a progressivement mis en place des droits et des garanties.

Ainsi, comme cela a d'ailleurs été rappelé, de nombreux dispositifs permettent de concilier activité professionnelle et mandat local. Je pense en particulier aux autorisations d'absence, aux crédits d'heures pour participer aux séances plénières des assemblées ou à la suspension du contrat de travail.

Pour autant, avons-nous tout réglé ? Bien sûr que non ! M. Couderc et Mme Mathon-Poinat ont pointé un certain nombre de difficultés. Le premier a parlé des professions libérales et des travailleurs indépendants, la seconde a évoqué - je m'en réjouis d'ailleurs - les problèmes des femmes, notamment des femmes jeunes, pour lesquelles il n'existe pas véritablement de réponses appropriées. En définitive, quelles réponses pouvons-nous apporter à ces situations ?

Peut-être faut-il s'intéresser non seulement à l'exercice du mandat, mais aussi à la fin du mandat ?

De même, le droit à la formation est aujourd'hui pleinement reconnu, et ce par le biais d'actions financées par la collectivité. Je pense en particulier au congé-formation des salariés qui sont aussi des élus.

Le régime indemnitaire lui-même a sensiblement et favorablement progressé. Entre 2000 et 2007, les indemnités des maires et des présidents d'assemblées locales ont augmenté en moyenne de 55 %.

La réinsertion professionnelle, évoquée par M. Jean-Léonce Dupont, est aussi un enjeu majeur, notamment pour la fin de mandat. Si cette question ne conditionne pas les vocations, elle constitue toutefois un frein à l'exercice d'une fonction élective, chacun se posant la question de son devenir.

Certes, la création, en 2002, de l'allocation de fin de mandat a permis d'apporter un élément de réponse à cette problématique. Le stage de remise à niveau lors du retour dans l'entreprise ou le bilan de compétences sont des éléments susceptibles d'aider les élus. Cependant, ces dispositions, à mon sens, ne vont pas assez loin.

Cela a été dit tout à l'heure, l'exercice, pendant de longues années, d'un mandat local ou national peut aussi être un enrichissement pour la collectivité au sens large, notamment au niveau du fonctionnement administratif. Il serait donc normal que les élus nationaux bénéficient d'une sorte de troisième voie, comme il en existe une pour l'ENA, permettant d'accéder à la haute fonction publique. Sur le plan local, un dispositif similaire devrait être envisagé. À cet égard, il existe sans doute des points sur lesquels nous pourrions travailler, d'autant qu'il s'agit d'une manière de supprimer des contraintes et d'élargir des possibilités.

Si j'évoque d'abord ce point, c'est parce qu'il me semble nécessaire de prolonger ensemble, puisque la proposition m'en a été faite, la réflexion sur un certain nombre de mesures susceptibles de faciliter au quotidien l'exercice des mandats locaux. Il est en effet trop facile de parler des problèmes en général : il faut aussi identifier ce à quoi nos collègues élus se heurtent au quotidien.

Selon moi, l'objectif mentionné par certains de faire de la fonction d'élu une profession à temps plein pose à mon sens un problème, et ce pour deux raisons.

Tout d'abord, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons tous, dans nos départements, de très petites communes pour lesquelles on ne voit pas très bien en quoi pourrait consister la profession d'élu à temps plein. Or, ne l'oublions pas, il s'agit tout de même de l'immense majorité des communes en France !

Ensuite, pour le maire d'une grande ville, l'exercice de son mandat n'est pas forcément beaucoup plus contraignant que pour le maire d'une ville de taille plus modeste. En effet, le premier dispose d'une administration qui le décharge de très nombreuses tâches, tandis que, vous le savez aussi bien que moi, le second est souvent amené à exercer lui-même une bonne part des responsabilités qui lui incombent.

Par ailleurs, le risque d'une fonctionnarisation des élus locaux ne doit pas être sous-estimé. Je le rappelle, dans certains pays, les maires sont en réalité des fonctionnaires.

M. Paul Blanc. En Allemagne !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Dieu sait si je suis favorable à ce que l'on regarde ce qui se passe à l'extérieur de nos frontières, mais il faut bien avoir à l'esprit que tous les pays n'ont ni la même histoire ni la même structure. Je vous le dis très clairement, une telle évolution n'est pas dans ma philosophie. C'est également, d'ailleurs, la position de M. Jacques Pélissard, le président de l'Association des maires de France, puisqu'il déclare : « Pour autant, ce serait méconnaître la nature du mandat local que de croire que celui-ci ne pourra être le fait que des professionnels des politiques locales. »

M. Jean Puech le sait, c'est pour ces mêmes raisons que je ne partage pas tout à fait l'analyse de l'Observatoire de la décentralisation sur le « cumul des mandats ». Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, j'ai le sentiment que le problème n'est pas posé dans les bons termes.

Tout d'abord, il faut garder à l'esprit que, pour les Français, cumul des mandats signifie cumul des avantages ou des rémunérations, alors que, nous le savons très bien, ce n'est pas le cas. Plutôt que de cumul, je préfère parler de complémentarité. Mon expérience m'a montré qu'il existe une véritable complémentarité entre certains types de mandats, notamment entre les mandats nationaux et les mandats locaux.

À mes yeux, le fait d'être à la fois maire et député ou sénateur permet d'enrichir les mandats, en offrant la possibilité de rencontrer les gens au quotidien. Il ne suffit pas d'avoir occupé une autre fonction, car notre société ne cesse de changer. Quand on vote la loi, il est important de savoir ce que disent les gens dans le pays !

De la même façon, le fait d'être à la fois conseiller général et conseiller régional me paraît aujourd'hui très complémentaire. Les compétences n'étant peut-être pas toujours bien distinctes à l'heure actuelle, cela permet de voir l'action menée ou à mener conjointement sur le terrain.

Nous pourrions bien sûr en discuter : je me contente de vous livrer mon analyse et mon sentiment, qui représente, me semble-t-il, une façon différente d'aborder le problème.

Car on peut aussi le poser en ces termes : le fait d'exercer plusieurs mandats permet-il d'apporter quelque chose de plus ? La réponse permettrait sans doute de modifier quelque peu le regard de nos concitoyens sur ce que nous faisons.

Des voies d'amélioration méritent d'être étudiées dans d'autres domaines, pour que les élus locaux puissent exercer leur mandat avec davantage de sérénité.

Madame Goulet, vous l'avez souligné à travers l'exemple du centre de formation des élus locaux, il y a parfois une mauvaise information sur ce qui existe. Les élus locaux ont besoin, me semble-t-il, de mieux connaître leurs droits. C'est pourquoi j'ai décidé de remettre à chaque maire, en mars prochain, un guide du maire nouvellement élu. En effet, lors de ma première élection, je me suis posé un certain nombre de questions, et le fait d'avoir siégé préalablement au sein d'un conseil municipal ne m'a pas forcément permis d'y répondre.

Je souhaite également engager, avec Mme le garde des sceaux, un chantier sur les risques pénaux encourus par les exécutifs locaux. C'est un vrai problème de fond, que plusieurs d'entre vous, en particulier M. Jean-Léonce Dupont, ont abordé.

De fait, aujourd'hui, pour cette raison, un certain nombre d'élus ne veulent pas se représenter. Ne sous-estimons pas la crainte du risque pénal dans cette décision.

Certaines infractions qualifiées d'intentionnelles méritent certainement un traitement plus adapté dès lors qu'elles concernent des exécutifs locaux. Sans doute des progrès ont-ils été réalisés s'agissant des infractions non intentionnelles. Il reste que, dans différents domaines, la commande publique, par exemple, la responsabilité du chef de favoritisme et de prise illégale d'intérêt ne correspond pas forcément à une intention frauduleuse.

Dans un contexte de « juridicisation » croissante de la vie publique, je suis frappée de constater que, lors des périodes pré-électorales, se multiplient les actions menées, en particulier, contre des maires. Il y a une sorte d'instrumentalisation du droit à des fins politiques, ce qui, non seulement est dommageable pour les élus mais encore n'est pas sain pour la démocratie. Il faut éviter cette dérive.

Par ailleurs, la représentation de certaines catégories socioprofessionnelles pourrait être améliorée. Ce point a été évoqué notamment par Mme Goulet et M. Jean-Léonce Dupont.

Contrairement à une idée reçue, le problème réside non pas dans le fait que des retraités ou des fonctionnaires exercent des mandats locaux, mais dans l'insuffisance de représentation des employés et des ouvriers à ces fonctions. Il s'agit non d'écarter certains, mais de voir comment d'autres catégories pourraient y accéder.

À cet égard, la sortie du mandat électif est un sujet sur lequel nous devons travailler ensemble : que deviendra l'élu à la fin de son mandat ? Cette question se pose pour les professions libérales ou les travailleurs indépendants, mais également pour les salariés. C'est un vrai problème, qui touche d'ailleurs plus les mandats nationaux que les mandats locaux.

Monsieur Collombat, je ne suis d'ailleurs pas sûre que les indemnités puissent tout régler, notamment le problème que je viens d'aborder ? En tout cas, à cet égard, il convient de souligner une difficulté liée à l'extrême variété des situations selon la taille des communes.

Je le dis comme je le pense, je suis choquée par le fait que, à l'heure actuelle, les indemnités perçues par un maire sont très inférieures à celles que touchent son directeur des services, voire certains de ses directeurs, alors même que c'est lui qui endosse la totalité de la responsabilité, à la fois politique et pénale. Une telle situation me paraît anormale.

En même temps, je conviens qu'il ne faut pas prendre le risque de créer des charges supplémentaires trop lourdes pour les communes.

Des solutions ont été évoquées par certains d'entre vous, mais je ne suis pas sûre qu'elles soient faciles à mettre en oeuvre.

Quoi qu'il en soit, je souhaite que nous débattions de ces questions dans un climat de confiance et de bonne foi, notamment au sein de la Conférence nationale des exécutifs, qui est l'instance appropriée, afin d'avancer sur ce sujet.

En ce qui concerne les élus des Français de l'étranger, au sujet desquels vous m'avez interrogée, monsieur del Picchia, je connais les contraintes, les difficultés, les risques auxquels ils doivent faire face. Vous avez évoqué en particulier le problème de leur protection sociale. Je suis prête à étudier avec vous des possibilités d'améliorations concrètes de leur situation afin de répondre dans la mesure du possible à leur attente et, ne l'oublions pas, de leur permettre de jouer pleinement le rôle important que nous leur assignons.

Après cette courte excursion hors de nos frontières, je reviens au territoire national.

À travers la question du statut de l'élu local, c'est celle de la lisibilité des responsabilités locales qui est posée, ainsi que vous l'avez excellemment souligné, monsieur Puech.

Ma conviction est que les élus locaux, tout comme l'ensemble de nos concitoyens, souhaitent une plus grande clarté dans le partage des compétences entre les différents niveaux d'administration. Leur attente est légitime. Ils ont besoin de pouvoir identifier qui fait quoi.

Monsieur Doligé, vous l'avez rappelé, la lisibilité est essentielle pour les élus locaux, car c'est elle qui leur permet d'exercer au mieux leurs responsabilités. Trop de maires se demandent à qui s'adresser pour obtenir telle ou telle réponse en vue de mener telle ou telle action.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Comme j'ai déjà eu l'occasion de vous le dire, cela suppose d'abord une pause dans les transferts de compétences, très nombreux ces dernières années. Un sondage réalisé à l'occasion de l'assemblée générale de l'Association des maires de France a montré que plus de 70 % des personnes interrogées souhaitaient cette pause.

Mais la pause ne signifie pas que l'on ne fait rien. Au contraire, elle doit être mise à profit pour réunir un véritable consensus sur le diagnostic et, si possible, sur les solutions à trouver.

Stabilité ne saurait signifier immobilisme. Cela a été dit à plusieurs reprises, des redondances existent dans l'exercice des responsabilités. Des attributions de compétences doivent donc être revues au regard de leur utilité au service de l'intérêt général.

Plusieurs rapports proposent des pistes de réflexion.

J'ai beaucoup entendu parler des rapports. Les rapports peuvent parfois jouer le rôle de « poil à gratter » ! Il est bon que les parlementaires en soient informés. Souvent, on connaît déjà à l'avance ce qui ressortira des rapports, mais cela ne veut pas dire qu'on ne découvre pas, après leur publication, certaines de leurs conclusions.

La commission présidée par Jacques Attali a proposé de rationaliser nos institutions autour des régions et de l'intercommunalité.

M. Alain Vasselle. La suppression des départements !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Que les choses soient claires, je ne partage pas cette analyse ! (Très bien ! sur de nombreuses travées.)

M. Guy Fischer. C'est un scoop !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Non, je l'ai déjà dit !

M. Alain Vasselle. Il faut écouter, monsieur Fischer !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Oui, je l'ai dit une fois !

Les communes et les départements sont les collectivités auxquelles les Français sont affectivement attachés.

M. Alain Vasselle. Très bien !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. On se sent d'une commune, on se sent d'un département. Pour moi, les intercommunalités et les régions sont des réalités rationnelles.

À l'heure actuelle, c'est vrai, pour effectuer un travail efficace, on a besoin d'être dans une intercommunalité. Pour se doter d'équipements extrêmement importants, on a besoin de la région.

M. Alain Vasselle. L'interdépartementalité !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Mais, je le répète, on se sent d'abord appartenir à sa commune et à son département.

Il faut certes savoir comment se partagent les compétences entre les différents niveaux d'administration, mais, quand on connaît la réalité du terrain, monsieur Doligé, avec un vrai contact avec les Français - au-delà du périphérique, de l'Adour, et même de la Nivelle (Sourires) -, on mesure l'importance de cet attachement.

D'autres pistes ont été proposées, notamment par M. Alain Lambert, pour engager un effort de rationalisation de l'État et des collectivités locales.

Nous devons explorer ces pistes ensemble, en particulier dans le cadre de la Conférence nationale des exécutifs.

D'ailleurs, madame Goulet, avancer n'empêchera pas les redécoupages.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Je rappelle que le redécoupage des circonscriptions a été demandé par le Conseil constitutionnel. Je serai amenée à procéder en même temps à un redécoupage des cantons, pour ne pas me retrouver avec des cantons partagés entre deux, voire entre trois circonscriptions.

Nous y travaillerons avec tous les groupes politiques, afin de garantir une totale transparence. (M. Guy Fischer s'exclame.) Mais nous attendrons l'achèvement des élections municipales pour nous y atteler, car elles absorbent tous les élus en ce moment.

De plus, les résultats du recensement, qui est en phase d'aboutissement, nous donneront une vision non contestée de la situation démographique des arrondissements.

Il est également important, dans notre réflexion, de garder à l'esprit que les situations sont extrêmement diverses et que nous devons traiter à la fois des grandes villes et des communes rurales. En particulier, nous devrons tenir compte de la situation du monde rural dans son ensemble, monsieur Boyer.

À cet égard, il nous faut nous interroger : le service public peut-il être assuré selon les mêmes modalités dans une commune d'outre-mer et dans une ville de la région parisienne, en haute montagne ou dans un village au coeur de l'Aveyron ? Il importe d'avoir la vision la plus complète possible.

C'est aussi dans l'exercice quotidien de leurs missions que les élus locaux sont en droit d'attendre davantage de lisibilité. Je crois que la complexité ne tient pas simplement à nos institutions : elle tient également au travail administratif lui-même.

Monsieur Couderc a raison de dire que, aujourd'hui, nous multiplions les normes de tous ordres. Nous vivons une véritable inflation normative, qui complexifie l'exercice des mandats locaux tout en réduisant l'autonomie des élus locaux.

C'est à cette complexité qu'il convient d'apporter des solutions innovantes. Je l'ai dit dès que je suis arrivée dans ce ministère, et j'ai bien l'intention de le faire. Je veillerai à ce que les collectivités locales puissent exercer leurs compétences de manière plus libre, plus efficace, plus simple et, si possible, moins coûteuse, tout en sachant où l'on va.

Tel est d'ailleurs le souhait du Président de la République et du Premier ministre, qui m'ont confié le soin de le mettre en oeuvre. Il est nécessaire d'amorcer des évolutions réglementaires ou législatives et de permettre aux collectivités locales d'adapter l'organisation de l'action publique aux réalités locales. Nous devons travailler sur ces sujets dans un dialogue constant.

Le rapport - encore un ! - du préfet Michel Lafon présente un certain nombre de propositions intéressantes visant à la simplification des procédures afin d'aider les collectivités locales.

La multiplication et le changement des normes engendrent souvent des coûts supplémentaires pour les communes, j'ai pu le constater. Pour éviter ces réglementations surabondantes, je mettrai en place la commission consultative sur l'évaluation des normes, dont vous avez voté le principe, et qui permettra d'associer les représentants des collectivités territoriales à l'élaboration de tous les projets de décret les concernant et susceptibles d'avoir des retombées financières pour les communes. N'est-ce pas là une parfaite illustration du dialogue entre les collectivités et l'État ?

Je veux également apporter une réponse au sentiment d'isolement, voire de solitude, éprouvé parfois par les élus locaux. Souvent seul pour prendre une décision, le maire a, c'est vrai, l'impression d'être quelque peu abandonné face à des législations et des réglementations extrêmement complexes. Je le dis clairement : les services de l'État ont un rôle nouveau à jouer à cet égard.

M. Pierre-Yves Collombat. Il n'y en a plus !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Les petites communes, en particulier, qui ne disposent pas de services suffisamment étoffés, doivent pouvoir se tourner vers eux pour obtenir les garanties nécessaires, notamment sur le plan juridique.

M. Alain Vasselle. À condition de ne pas les faire payer !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. C'est la raison pour laquelle le maillage territorial de l'État, à partir des sous-préfectures, doit être au plus près de ceux qui ont besoin de lui parce qu'ils se sentent seuls.

Monsieur Puech, vous proposez de mieux associer les élus locaux à la réforme de l'État sur le territoire. C'est bien mon intention, comme en témoignent mes propos et les propositions que j'ai faites. Je vous l'ai dit dès que j'ai pris mes fonctions au ministère de l'intérieur.

Parce que c'est notre responsabilité commune, nous devons répondre ensemble et dans un climat de confiance à l'attente de nos concitoyens. J'ignore si un consensus est possible, mais, à tout le moins, accordons-nous sur les diagnostics et essayons de trouver ensemble les bonnes solutions.

Comme le disait M. Couderc, la Conférence nationale des exécutifs constituera un lieu de rencontre adéquat, mais soyez assurés de toujours trouver au ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales une écoute et une volonté de travailler en commun.

L'intercommunalité est une solution adaptée pour aider les élus locaux dans l'exercice de leurs missions. Aussi, je souhaite que le réseau de solidarité intercommunale permette d'apporter un certain nombre de réponses communes et de mieux coordonner les actions. Je compte très prochainement faire un certain nombre de propositions en ce sens et souhaite que nous puissions y travailler ensemble.

Étant moi-même une élue locale, et ce depuis bien longtemps, je sais que cette fonction demeure un honneur. C'est bien ainsi que le ressentent nos concitoyens. C'est bien ainsi que le ressentent de leur côté les élus locaux, y compris ceux qui ont décidé de ne pas se représenter, même s'ils savent qu'elle est aussi une charge et qu'elle crée des responsabilités.

Patrice Gélard disait tout à l'heure que l'image de l'élu local était dévalorisée. Pour ma part, je ne le crois pas. N'accordons pas trop de crédit à cette vision essentiellement véhiculée par certains journalistes. En réalité, sur le terrain, les gens font confiance à leurs élus locaux, dont ils attendent beaucoup.

L'élu local incarne au plus haut point la démocratie au quotidien, la démocratie réelle. C'est bien la raison pour laquelle nous devons l'aider à exercer sa mission. Il est donc du devoir de l'État d'essayer, dans toute la mesure possible, d'alléger les contraintes inutiles qui pèsent sur les élus locaux et de réduire les risques qui sont liés à l'exercice d'un mandat.

La modernisation de la vie politique doit s'accompagner d'une réelle modernisation de l'État et d'une modernisation des méthodes de travail en commun, lesquelles doivent reposer sur le dialogue avec les élus et sur la confiance. Il faut cesser de se regarder en chiens de faïence, car, je le répète, notre mission est la même.

À une époque où le changement, l'adaptation et l'innovation sont nécessaires au développement de notre pays, les élus, en particulier les élus locaux, peuvent compter sur mon engagement et sur mon total soutien. En dépit de nos divergences sur un certain nombre de sujets, nous avons en commun la volonté de servir nos concitoyens et de servir la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec cette question orale.

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Dossier législatif : proposition de loi organique tendant à prévoir l'approbation par les lois de financement de la sécurité sociale des mesures de réduction et d'exonération de cotisations et de contributions de sécurité sociale adoptées en cours d'exercice
Discussion générale (suite)

Réduction et exonération de cotisations et de contributions de sécurité sociale

Adoption des conclusions du rapport d'une commission

Ordre du jour réservé

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions du rapport de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi organique de MM. Alain Vasselle et Nicolas About tendant à prévoir l'approbation par les lois de financement de la sécurité sociale des mesures de réduction et d'exonération de cotisations et de contributions de sécurité sociale adoptées en cours d'exercice (n° 163, 2007-2008).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi organique tendant à prévoir l'approbation par les lois de financement de la sécurité sociale des mesures de réduction et d'exonération de cotisations et de contributions de sécurité sociale adoptées en cours d'exercice
Article unique (début)

M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 nous a conduits à étudier de façon approfondie la question des niches sociales. Mais, pour notre commission, ce sujet n'était pas nouveau : nous l'avons en effet maintes fois évoqué, la question des exonérations, des allégements et autres réductions de charges sociales étant devenue, au cours des années, un aspect essentiel des finances sociales.

Cela apparaît très nettement à travers l'examen des données chiffrées concernant les trois principales catégories de dispositifs.

Premièrement, les allégements généraux de charges sociales - les allégements Fillon et les allégements au titre des heures supplémentaires - représentent une masse désormais proche de 30 milliards d'euros, masse qui, fort heureusement pour la sécurité sociale, est compensée par l'État grâce au fameux « panier » de recettes fiscales.

Toutefois, mes chers collègues, malgré nos efforts pour l'inscrire dans la loi, nous n'avons pas encore réussi à obtenir la garantie de la compensation à l'euro près, année après année, de ces exonérations. Peut-être y parviendrons-nous un jour ! Il ne faut pas désespérer ! Nous ne perdons pas l'espoir de vous convaincre, vous et vos services, monsieur le ministre. C'est en effet une nécessité compte tenu des montants en jeu.

Comme nous l'avons souvent dit, la sécurité sociale ne doit pas servir à financer la politique de l'emploi.

Deuxièmement, les allégements de charges ciblés sur certains publics, certaines professions ou certaines zones du territoire représentent plus de 3 milliards d'euros de recettes en moins pour la sécurité sociale. Hélas ! ces sommes ne sont que très imparfaitement compensées par des dotations budgétaires, qui pèchent à la fois par leur insuffisance et par leur versement tardif. Mais je ne désespère pas, monsieur le ministre, que vous donniez des instructions aux responsables des programmes concernés pour que ces dotations soient prioritaires dans l'exécution budgétaire, afin que nous n'ayons plus à revenir sur cette question.

Néanmoins, nous restons inquiets. En effet, selon les informations que j'ai recueillies lors du dernier conseil de surveillance - que je préside - de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'ACOSS, institution que connaissent bien vos collaborateurs, monsieur le ministre, il manquerait 1,5 milliard d'euros au titre de ces allégements pour l'exercice 2007. En l'absence de régularisation rapide de cette somme, c'est une nouvelle dette de l'État envers la sécurité sociale qui va se constituer.

Il serait heureux, monsieur le ministre, que vous puissiez dissiper nos inquiétudes et nous donner quelques précisions à ce sujet. Quelles sont les intentions du ministère des comptes publics en la matière ? Une régularisation aura-t-elle lieu rapidement, au moins au cours de l'exercice 2008 ?

Troisièmement, je parlerai des nombreuses exemptions d'assiette. Un très récent rapport du Gouvernement - que nous attendions depuis plus de quatre ans ! - a évalué à au moins 40 milliards d'euros le montant de cette assiette exonérée, soit 10 % de la masse salariale, qui s'élève à environ 400 milliards d'euros.

Les principaux dispositifs concernés sont la participation, l'intéressement, les diverses aides directes consenties aux salariés, comme les titres-restaurant ou les chèques-vacances, la prévoyance complémentaire, les retraites supplémentaires et les indemnités de licenciement.

Lors de l'examen de l'article 16 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, monsieur le ministre, vous aviez souhaité maintenir ces exonérations sans aucune compensation. Dès lors, il sera nécessaire de modifier le code de la sécurité sociale, car il faudra bien s'entendre sur le sens du mot « rémunération » lorsqu'on parle d'intéressement et de participation.

Dans son dernier rapport sur la sécurité sociale, la Cour des comptes a consacré un long développement à cette question de l'assiette des prélèvements sociaux. Elle y a vu une possible source de financement supplémentaire pour la sécurité sociale.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne pense pas qu'il soit utile de vous rappeler les observations de la Cour ni les propos du président Seguin sur cette question des niches sociales, en particulier sur les exonérations dont bénéficiaient les stock-options.

De son côté, la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, que j'ai l'honneur de présider, a également consacré du temps à cette question. Dans le rapport que je vous ai présenté en octobre dernier, à l'occasion du débat sur les prélèvements obligatoires, j'ai évoqué plusieurs pistes.

Outre la remise en cause de la pertinence de certaines niches au regard de leur efficacité économique et sociale et du manque à gagner qu'elles entraînent pour la sécurité sociale, nous suggérions que l'on crée une taxe d'un faible niveau sur l'ensemble de ces assiettes exonérées, taxe que nous avions appelée flat tax. Comme vous vous en souvenez certainement, monsieur le ministre, cette proposition avait fait l'objet d'un amendement au projet de loi de financement pour 2008, amendement que nous avions retiré à votre demande. Le Gouvernement, sans en rejeter l'idée, considérait en effet que l'institution d'une telle taxe était prématurée et qu'il convenait de mesurer la pertinence de certaines de ces exonérations avant d'aller plus avant sur ce sujet. C'est, du moins, ce que j'ai cru comprendre.

En effet, l'existence de ces dispositifs d'exonération soulève deux questions.

La première est une question de fond tenant à leur utilité et à leur justification. Nous avions bien pressenti ce débat en déposant, voilà un an, un amendement tendant à la taxation des stock-options, préfigurant ainsi les dispositions adoptées cette année en loi de financement sur l'initiative de notre collègue député Yves Bur, qui n'a fait que reprendre notre proposition.

La seconde question tient à la procédure relative à leurs modalités d'adoption et à leur évaluation par le législateur.

Sur ce dernier aspect, la MECSS a clairement mis en évidence l'insuffisance du contrôle exercé, tant par les ministères sociaux que par les commissions des affaires sociales des deux assemblées, sur les mesures d'exonération de cotisations et de contributions sociales ainsi que sur les modifications qui leur sont apportées.

En effet, mes chers collègues, dans la mesure où ces exonérations ne figurent pas nécessairement en loi de financement et où elles peuvent être insérées dans n'importe quel texte législatif, il est fréquent qu'elles soient adoptées par le Parlement sans avoir été préalablement expertisées. Ainsi, ni vos services, monsieur le ministre, en particulier la direction de la sécurité sociale, ni les commissions des affaires sociales ne sont sollicitées sur ces dispositifs, qui ne sont pas davantage soumis à l'avis du gestionnaire - l'ACOSS et les URSSAF - ou des caisses initialement bénéficiaires de la ressource dont elles seront ensuite privées.

D'après une étude menée par la direction de la sécurité sociale, sur la cinquantaine de mesures d'exonération ou de réduction d'assiette de cotisations sociales votées entre le début de 2005 et le début de 2007, 40 % d'entre elles ne résultaient pas d'un arbitrage interministériel impliquant le ministère des affaires sociales.

Or ces mesures pèsent de plus en plus lourdement sur les comptes sociaux.

C'est pourquoi, afin de corriger cette anomalie, la MECSS a suggéré de donner aux lois de financement un rôle central en matière de contrôle des niches sociales, en en faisant un « passage obligé » de l'ensemble des mesures d'exonération ou d'allégement de charges.

À cet égard, je rappelle que, dans le cadre du projet de loi pour le pouvoir d'achat, examiné il y a quelques jours par l'Assemblée nationale, des mesures d'exonération de cotisations sociales ont été votées sans qu'en soit prévue la compensation.

Cette suggestion fait d'ailleurs écho à une proposition présentée, voici bientôt trois ans, par notre commission à l'occasion de l'examen de la nouvelle loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale.

Une solution identique a également été défendue dans le rapport du printemps dernier de la mission conjointe de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires sociales sur l'articulation entre les finances de l'État et les finances de la sécurité sociale.

La présente proposition de loi organique constitue simplement la traduction de cet objectif commun.

Elle vise à ce que la création ou la modification d'exonérations ainsi que les changements apportés aux règles d'assiette puissent continuer d'être décidés dans le cadre des lois ordinaires, mais en n'accordant à ces mesures qu'un caractère provisoire.

En effet, toute prorogation au-delà de l'exercice en cours nécessiterait une approbation en loi de financement. Cela permettrait d'accompagner les dispositifs adoptés d'une première étude d'impact et donnerait aussi au Parlement la possibilité de s'assurer d'un niveau adéquat de compensation.

Il ne s'agit en aucun cas de conférer un monopole à la loi de financement en matière d'exonérations de charges sociales. Celui-ci ne serait en effet pas conforme à la Constitution, car il aurait pour conséquence de remettre en cause le droit d'amendement et d'initiative parlementaire. Il s'agit de donner une sorte d'exclusivité à la loi de financement pour décider de la prorogation d'un dispositif de réduction ou d'allégement de charges.

Cette procédure devrait ainsi interdire - ce qui est, pour nous, essentiel - le contournement, trop souvent constaté, du principe de valeur organique selon lequel il ne peut être dérogé à la règle générale de compensation qu'en loi de financement de la sécurité sociale.

Je précise enfin, et pour m'en féliciter, que ce dispositif a reçu, par avance, l'approbation du Gouvernement. En effet, monsieur le ministre, tant votre collègue Christine Lagarde, à l'occasion du débat sur les prélèvements obligatoires du 8 novembre dernier, que vous-même, lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, en avez approuvé la démarche et souligné tout l'intérêt qui pourrait s'attacher à son adoption. Vous trouverez la retranscription de vos propos d'alors dans mon rapport écrit.

Aussi, mes chers collègues, pour l'ensemble de ces motifs, la commission des affaires sociales vous demande d'adopter le texte de la proposition de loi organique dans les termes que nous vous soumettons.(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi organique tend à prévoir l'approbation par les lois de financement de la sécurité sociale des mesures de réduction et d'exonération de cotisations et de contributions de sécurité sociale adoptées en cours d'exercice par des lois ordinaires.

Je souhaite tout d'abord rendre hommage à la ténacité de la commission des affaires sociales, de son président, Nicolas About, et de son rapporteur, Alain Vasselle, qui sont décidés à avancer vite sur ce difficile sujet des niches sociales.

Nous avons déjà eu l'occasion d'en parler, vous venez de le dire, monsieur le rapporteur, lors des débats de cet automne sur les prélèvements obligatoires et le PLFSS : le Gouvernement a manifesté sa volonté de transparence totale sur ce sujet dans le cadre du rapport sur les niches qu'il a adressé au Parlement le mois dernier, en application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003.

Nous avons aussi clairement indiqué notre souhait de travailler avec vous sur la définition de règles, organiques ou autres, permettant de limiter l'apparition de niches et d'en évaluer les effets.

J'ai ainsi proposé la semaine dernière, lors d'un débat à l'Assemblée nationale, de créer un groupe de travail, que nous pourrions appeler le « groupe de Bercy » - pour bien signifier son adresse (Sourires) - et qui réunirait le Gouvernement, des députés et des sénateurs pour réfléchir à des règles de bonne gouvernance de nos finances publiques.

Le sujet des niches figurera naturellement au programme de la réflexion de ce groupe, qu'il s'agisse de dépenses fiscales ou d'exonérations de cotisations sociales. Au-delà du sujet des niches sociales ou fiscales, il me semble en effet nécessaire de mener une réflexion globale, cohérente sur la bonne gouvernance de nos finances publiques pour atteindre nos objectifs de retour à l'équilibre. J'en fais une priorité de mon action en 2008.

La présente proposition de loi aurait donc pour effet de confier aux lois de financement de la sécurité sociale un pouvoir de ratification a posteriori des dispositifs d'exonération ou d'exemption d'assiette ; les lois ordinaires pourront continuer à créer ou modifier des exonérations, mais uniquement à titre provisoire.

J'ai déjà été amené à indiquer, cet automne, ma volonté de travailler à cette proposition, que M. Alain Vasselle avait formulée dans le rapport de la MECSS sur le financement de la protection sociale.

Il s'agit en effet d'une des pistes possibles de cantonnement de ces dispositifs. Il en existe d'autres, que nous devons également examiner.

Gilles Carrez propose ainsi - il l'a rappelé la semaine dernière à l'Assemblée nationale - de doter les lois de financement d'un monopole sur les dispositifs d'exonération ou d'exemption d'assiette, piste, monsieur le rapporteur, que vous évoquez dans votre rapport pour l'écarter en raison de ses implications constitutionnelles.

Nous devons aussi travailler pour obtenir une meilleure évaluation a priori des niches, par des règles plus strictes de présentation et d'évaluation de l'impact des dispositifs proposés, qui permettraient au Parlement de se prononcer dans de meilleures conditions qu'aujourd'hui.

La notion de « niche à durée déterminée » proposée par votre commission des finances mérite aussi d'être approfondie, avec des mécanismes de limitation dans le temps des nouveaux dispositifs d'exonérations, temps qui serait mis à profit pour en évaluer les effets.

Au-delà de la question des nouvelles niches, il y a enfin celle des niches actuelles, en vigueur, sur lesquelles l'obligation d'évaluation doit également peser.

C'est ce type de problèmes que je souhaite aborder avec vous dans ce groupe de Bercy que j'ai proposé de constituer. Je vous écrirai cette semaine à ce propos.

Pour cette raison, monsieur Vasselle, votre initiative me prend un peu de court, car je pensais l'inscrire dans une réflexion d'ensemble sur la gouvernance de nos finances publiques. Il s'agit en effet de sujets aux implications techniques et juridiques complexes. Je ferai à ce propos deux remarques.

Premièrement, je ne vous cache pas mes doutes sur la constitutionnalité de votre proposition.

M. Éric Woerth, ministre. Certes, vous ne créez pas un monopole de la loi de financement et le législateur ordinaire ne deviendrait pas à proprement parler incompétent. Mais enfin, si les lois votées en juin n'ont plus d'effet le 31 décembre, on ne peut plus parler de compétence pleine et entière. Or, si la loi organique a réservé certains domaines à la loi de financement - les exonérations non compensées à la sécurité sociale, par exemple -, elle n'a pas interdit au législateur ordinaire de se prononcer sur l'assiette et le taux du prélèvement, conformément à l'habilitation de l'article 34 de la Constitution.

De surcroît, les délais que vous nous proposez ne permettront pas de mesurer l'effet de ces décisions, qui, pour beaucoup, n'auront pas eu le temps d'entrer en vigueur. De fait, les entreprises pourraient hésiter à utiliser des dispositifs dans l'incertitude de leur validation par la loi de financement et attendre que cette « épée de Damoclès » soit retirée. La proposition n'est donc pas si éloignée de celle de M. Carrez que j'évoquais tout à l'heure, qui vise à instaurer un monopole des lois de financement.

En outre, dans la plupart des cas, il n'y a pas d'intérêt financier qui justifierait une telle extension du périmètre des lois de financement puisque cette validation porte sur l'ensemble des exonérations, qu'elles soient ou non compensées par le budget de l'État. Il peut alors paraître paradoxal que ce soit le législateur financier social, dans le cadre du PLFSS, qui valide des exonérations, alors que l'impact financier est en réalité porté par le budget de l'État. Ce sujet a déjà été évoqué.

Ma seconde remarque porte sur la nécessité de traiter aussi l'intérêt des niches déjà existantes. Votre proposition semble rechercher un contrôle a priori des niches créées plutôt qu'un mécanisme d'évaluation a posteriori conditionnant la survie de la niche sociale. Il me semble, comme à vous-même, monsieur le rapporteur, qu'un des sujets essentiels est aussi l'évaluation des niches existantes, de leurs effets sur l'emploi et la croissance, de la pertinence du maintien du régime très favorable qu'elles emportent et qui a pu être justifié à une époque, mais ne l'est plus nécessairement après un certain temps.

Vous évoquez dans votre rapport l'idée d'une contribution minimale sur toute cette assiette ; c'est l'une des pistes possibles, sur laquelle nous devons travailler. Mais j'insiste, et cela ne vous étonnera pas au moment où le Gouvernement mène une révision générale des politiques publiques, sur ce besoin impérieux d'évaluation de l'impact et des effets de cette contribution minimale. Nous reviendrons sur ce sujet au cours du premier semestre de 2008.

Ce travail d'évaluation et de définition de bonnes règles de gestion, nous allons le mener à partir de vos travaux. Le groupe de Bercy sera d'ailleurs invité à se réunir dans les jours qui viennent.

Aiguillonné par vos commissions des finances et des affaires sociales, je souhaite effectuer, sur ce sujet des niches sociales et fiscales mais aussi, plus largement, sur celui du pilotage de nos finances publiques, des progrès décisifs en 2008. Notre agenda législatif devrait nous permettre de réaliser des réformes ambitieuses.

Vous le savez, une révision de la Constitution interviendra dans l'année. Peut-être nous fournira-t-elle un vecteur adapté pour avancer sur l'ensemble de nos comptes publics. J'aurais eu, pour ma part, une préférence pour une démarche de ce type.

Néanmoins, comme je partage pleinement vos intentions - en tout cas celles qui sont inscrites dans ce texte - et en dépit des quelques limites formelles d'ordre juridique que j'ai évoquées concernant la rédaction de cette proposition de loi, je ne peux pas faire un mauvais accueil à cette initiative parlementaire. Le Gouvernement est donc favorable à l'adoption de ce texte, dont il remercie les auteurs. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Alain Vasselle, rapporteur. Merci, monsieur le ministre !

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Cazeau.

M. Bernard Cazeau. Madame la présidente, mes chers collègues, force est de constater que, depuis maintenant plusieurs années, le Parlement s'est doté de nouveaux outils pour appréhender le financement de la sécurité sociale.

L'implication de l'impôt dans le financement de la sécurité sociale a poussé le législateur à séparer le budget de la sécurité sociale du budget général et la réforme constitutionnelle du 22 février 1996 a permis au Parlement de disposer d'un droit de regard sur l'équilibre financier de la sécurité sociale.

L'adoption, en 2001, de la loi organique relative aux lois de finances a conduit à un changement des mentalités dans la conduite des politiques budgétaires de l'État. Ainsi a vu le jour la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, promulguée en août 2005.

Vous connaissez l'attachement du groupe socialiste à une approche des comptes sociaux fondée sur la complémentarité du rôle du Parlement et du jeu de la démocratie sociale.

À l'évidence, si la réforme de 1996 allait dans le sens d'un meilleur contrôle du Parlement sur l'action de l'exécutif et d'une organisation plus transparente du débat sur l'action publique, la réforme de 2005 nous est apparue inachevée, confuse et ambiguë.

Si la volonté du Gouvernement était de rendre plus lisible la présentation des comptes sociaux et s'il a souhaité proposer des dispositions pour améliorer la gestion de la sécurité sociale, il est paradoxal de le voir organiser sa faillite par les déficits, faillite dans laquelle il la laisse, depuis, se débattre !

Il est paradoxal de prétendre renforcer le contrôle du Parlement sur les comptes publics alors qu'aujourd'hui encore le Gouvernement s'applique à masquer la situation financière dans laquelle notre protection sociale s'enfonce !

L'un des débats récurrents du financement de la sécurité sociale - mon collègue Alain Vasselle ne me démentira pas - est celui de la compensation par l'État des exonérations de charges sociales.

La compensation intégrale des exonérations sociales n'a pas été retenue dans le cadre de la loi de 2005.

Dès lors, il est curieux de prétendre assumer la sanctuarisation des finances de la sécurité sociale alors même que l'on s'en est affranchi en grande partie.

La sonnette d'alarme est tirée depuis fort longtemps, par nous et par d'autres. Nous reconnaissons votre persistance et votre constance dans ce domaine, monsieur Vasselle. Ne pas le faire ne serait pas vous rendre justice ! La MECSS a très largement relayé cette préoccupation.

La plaie est toujours à vif, la Cour des comptes y mettant dans son dernier rapport un peu de sel pour la rendre encore plus douloureuse. Dans ce même rapport, elle dénombre au total 46 mesures d'exonération de cotisations et de réduction d'assiette des cotisations de sécurité sociale au 1er septembre 2005.

« Il y a à la fois inflation des propositions et absence de maîtrise de la décision conduisant à la création de mesures nouvelles », relèvent les magistrats. Et d'ajouter que, « depuis le 1er janvier 2005, 36 mesures ont été envisagées dont 17 sans même que le ministère en charge de la sécurité sociale en soit informé », soulignant en outre que « ces mesures présentées sans la moindre évaluation ou analyse d'impact ne font que traduire la tendance générale, elles posent le problème de l'équité du financement de la protection sociale ».

Aujourd'hui, un rapport du Gouvernement sur l'évaluation des pertes d'assiette liées à l'existence des niches sociales nous révèle que 41 milliards d'euros échappent aux cotisations sociales.

Faut-il rappeler qu'aujourd'hui les niches sociales représentent un enjeu aussi important que les niches fiscales ? Vous venez vous-même de le souligner, monsieur le ministre.

Décidées par l'État, ces politiques traduisent le plus souvent une perte de recettes non compensées pour les régimes obligatoires de sécurité sociale, ce qui nous laisse d'ailleurs à penser que, si l'État décidait de compenser intégralement ces exonérations, la résorption du déficit de la sécurité sociale ne soulèverait guère de difficultés.

Cette démarche est logique : le législateur ne doit pas en permanence être mis devant le fait accompli.

Il est normal que l'on puisse maîtriser les allégements généraux, comme la kyrielle de petits aménagements de charges ciblés qui émaillent de nombreux textes sans que la commission des affaires sociales en soit préalablement saisie.

Et puis, à l'évidence, le bien-fondé de ces allégements doit être examiné. Produisent-ils toujours les effets escomptés ?

Le dispositif proposé aujourd'hui sera-t-il efficace ?

L'approche mécanique que vous préconisez, monsieur Vasselle, appelle quelques objections et sur le plan technique et sur le plan des principes.

Vous suggérez une reconduction annuelle des autorisations d'exonération. Mais les entrepreneurs embaucheront-ils durablement s'ils savent que les exonérations dont ils bénéficient sont révocables annuellement ? M. le ministre a également formulé cette interrogation.

Vous avancez le principe d'efficacité de la politique économique. Cependant, si la politique fiscale est amputée par des mécanismes contraignants, quelle sera la portée de l'action gouvernementale ?

Les prélèvements sociaux ne sont pas dissociables par nature des autres prélèvements obligatoires et les choix économiques doivent y demeurer applicables.

Dans une économie mondialisée et compte tenu des règles européennes d'aide économique qui s'imposent à nous, les prélèvements sociaux sont un outil légitime des politiques de l'emploi. Cela ne doit bien évidemment pas nous empêcher d'être plus scrupuleux quant au ciblage des exonérations sociales qui concernent souvent des secteurs peu ou pas exposés à la concurrence internationale.

L'imbrication des politiques économiques et des politiques sociales est un fait que nous ne songeons pas à contester. L'abus n'exclut pas l'usage.

On peut aussi penser que votre proposition laisse augurer le passage d'une logique d'objectifs de dépenses, qui fonde la loi de financement de la sécurité sociale, à une logique de normes de dépenses, qui préfigure une forme de régulation comptable sous égide parlementaire.

Cette logique correspond-elle vraiment à notre système de couverture sociale ? Ne revient-elle pas à en finir avec ce système fondé sur un droit de tirage en fonction des besoins des personnes ? Cette perspective n'est-elle pas trop étatiste, alors que la France a opté pour une gouvernance plurielle des régimes sociaux, une tentative d'équilibre entre Gouvernement, Parlement et partenaires sociaux ?

Plus fondamentalement, il n'y a guère de miracle à attendre du dispositif que vous nous soumettez compte tenu de la nature de notre régime politique et du fonctionnement unilatéral des institutions.

Par votre méthode, vous feignez de croire que le Parlement aurait la force suffisante pour revenir sur des annonces gouvernementales. Vision idyllique ! Imagine-t-on l'Assemblée nationale se soulevant contre les décisions du gouvernement que soutient sa majorité ?

M. Bernard Cazeau. Imagine-t-on le Parlement se défausser devant des instructions venues de plus haut ?

M. Bernard Cazeau. Imagine-t-on la question de la nature du régime - parlementaire ou présidentielle - tranchée au détour d'une proposition de loi sur les comptes sociaux,...

M. Bernard Cazeau. ... alors même qu'on nous annonce, d'ici à la fin de l'année, une refonte des institutions qui devrait, selon moi, intégrer les questions de gouvernance de la sécurité sociale ?

Enfin, n'avez-vous pas l'impression de masquer la responsabilité politique de ce gouvernement et de ses prédécesseurs dans le pilotage des comptes sociaux et l'absence patente de résultats ?

M. Bernard Cazeau. Souvenez-vous ! En 2003 : réforme de l'assurance vieillesse. Où sont les résultats ? En 2004 : réforme de l'assurance-maladie. Où sont les résultats ?

Où sont les résultats de la maîtrise médicalisée, du parcours de soins ? Et je n'ose parler du dossier médical personnel !

Souvenez-vous ! En 2005, 2006 et 2007, des lois de financement de la sécurité sociale projetant des déficits constamment dépassés : 12 milliards d'euros en 2007 et encore, au minimum, 9 milliards d'euros de pertes pour 2008 !

Et il faut ajouter une dette sociale de plus de 100 milliards d'euros, selon les calculs de MECSS.

Songez qu'à partir de 2010, selon le Premier président de la Cour des comptes, avec des taux d'intérêts à 5 %, la totalité des produits de la Caisse d'amortissement de la dette sociale, la CADES, ne suffira plus à payer les intérêts de la dette !

Monsieur Vasselle, une bonne mécanique juridique n'effacera jamais une mauvaise politique !

La mise en cohérence des finances publiques et des finances sociales ne naîtra pas seulement de la mise en place d'outils administratifs nouveaux : elle naîtra aussi d'une pratique collégiale du pouvoir.

Nous ne pouvons pas vous disculper à travers un texte placebo. Trop de questions - M. le ministre les a d'ailleurs évoquées - se posent encore autour de la nouvelle volonté que vous manifestez.

Parce que cette proposition soulève encore trop d'interrogations, nous ne pouvons pas y être favorables et nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Alain Vasselle, rapporteur. Ce n'est pas si mal !

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion rapide et tardive des conclusions de la commission des affaires sociales ne nous offre guère l'occasion de détailler avec suffisamment de précision les éléments relatifs à la question posée par la proposition de loi organique déposée par nos collègues Alain Vasselle, rapporteur des projets de lois de financement de la sécurité sociale, pour les équilibres financiers et l'assurance maladie, et Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Pour autant, dans les quelques minutes qui me sont imparties, je tiens, au nom de mon groupe, à développer certains points.

Entendons-nous tout d'abord sur le contenu de la proposition de loi organique.

Monsieur Vasselle, je me suis demandé si vous étiez en mission gouvernementale. On pouvait s'interroger, compte tenu de vos responsabilités au sein de la MECSS et de votre souci d'approfondir les relations avec le ministre en charge des comptes ! (Sourires.)

M. Alain Vasselle, rapporteur. Nous nous entendons bien !

M. Guy Fischer. Vous souhaitez inscrire dans la loi organique sur les lois de financement de la sécurité sociale le principe selon lequel toute disposition tendant à réduire les ressources de la sécurité sociale ou à en modifier l'économie générale doit être actée par la loi de financement la plus proche.

Certes, depuis que les lois de financement existent, c'est-à-dire depuis les ordonnances Juppé de 1996, de nombreuses dispositions législatives, à l'incidence mal évaluée - c'est le moins que l'on puisse dire ! - ont été prises pour modifier l'équilibre des comptes sociaux et pour substituer notamment des recettes fiscales à des cotisations sociales. Il en résulte une fiscalisation de notre protection sociale.

Cet outil a été d'autant plus utilisé que la sécurité sociale cessait d'être gérée directement par les partenaires sociaux et que son budget faisait l'objet d'un projet de loi discuté en urgence !

Parmi les mesures ayant profondément modifié le circuit de financement de la protection sociale, la réduction du temps de travail se révèle presque secondaire au regard des exonérations, souvent non compensées, concernant les contrats aidés, les emplois en zones franches urbaines et en zones rurales, la ristourne générale sur les bas salaires, le dispositif spécifique pour le secteur de l'hôtellerie et de la restauration, sans oublier, plus récemment, l'exonération de cotisations sociales sur les heures supplémentaires « inventée » dans la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite loi TEPA.

Aujourd'hui, 30 milliards d'euros de cotisations sociales ont été remplacés par des recettes fiscales dédiées. Mais 3 milliards d'euros sont perdus du fait d'exonérations de cotisations non compensées.

Enfin, certains revenus demeurent exemptés de toute contribution au financement de la protection sociale ou y sont assujettis pour des montants ridicules. Il en résulte une perte totale de 41 milliards d'euros.

Ces mesures ont contribué à la persistance des déficits de la sécurité sociale et découlent toutes de débats législatifs indépendants de la discussion des lois de financement, celles-ci ne faisant en général que valider les dispositifs adoptés par ailleurs !

Cette persistance des déficits comptables de la sécurité sociale pose clairement, plus encore que ne le fait la proposition de loi, la question de la pertinence des choix opérés depuis 1996.

Elle fait aussi la démonstration que nous devons nous interroger sérieusement sur le bien-fondé de s'en remettre à la discussion parlementaire, sur un projet de loi où les marges de manoeuvre sont pour le moins réduites, pour trancher la question du financement de la sécurité sociale et des priorités de la politique sociale de la nation.

Sans loi organique sur les lois de financement, pas de franchises médicales adoptées au détour d'un article de projet de loi !

Sans loi de financement, pas de campagne de déremboursement massif des médicaments, pas de tarification à l'activité, pas de mise en question de la qualité de la protection sociale des habitants et habitantes de notre pays !

Sur cette proposition de loi, que nous ne voterons pas, que dire ?

Tout d'abord, elle ne fait que poser un principe qui, dans les faits, n'a pas beaucoup de valeur normative. En effet, rien n'empêchera demain Mme Lagarde, par exemple, d'élaborer un projet de TVA sociale et de le faire valider dans le projet de loi de financement le plus proche !

En outre, cette proposition de loi ne pose pas le vrai problème : celui qui tient au fait que l'étatisation de la sécurité sociale n'a pas conduit à l'amélioration du niveau des prestations - c'est un euphémisme - ni à l'équilibre des régimes sociaux.

II est temps, et même grand temps, plutôt que de compliquer un peu plus la loi de financement en en faisant une sorte de passage obligé de toute réforme des prélèvements sociaux, de poser avec force la question de .la renaissance de la démocratie sociale.

Comment pouvons-nous accepter, douze ans après les ordonnances Juppé, que les 25 millions d'assurés sociaux du régime général soient toujours privés du droit de donner leur avis sur la gestion des organismes sociaux ?

Monsieur Vasselle, les assurés de la MSA, la mutualité sociale agricole, tiennent comme à la prunelle de leurs yeux à la faculté de donner leur point de vue sur leur régime par le biais d'élections qui ont lieu au sein de la caisse. Il y a donc deux poids deux mesures ! Je ne comprends pas que vous ne fassiez pas en sorte que les assurés du régime général puissent, eux aussi, avoir le droit de donner leur avis sur la gestion des organismes sociaux. Vous me répondrez sans doute que les organisations syndicales représentatives siègent au sein de ces organismes.

M. Alain Vasselle, rapporteur. Oui !

M. Guy Fischer. Néanmoins, le débat reste posé : en supprimant les élections au conseil d'administration, on a perdu en démocratie sociale.

Comment accepter que les 25 millions d'assurés sociaux du régime général n'aient pas droit de donner leur avis sur la gestion des organismes sociaux alors que les assurés des régimes non salariés peuvent désigner leurs mandants pour la gestion de leurs caisses respectives ? Si vous êtes d'accord avec cela, monsieur le rapporteur, dites-le nous ! (Sourires.)

M. Alain Vasselle, rapporteur. Je vous écoute !

M. Guy Fischer. Quand sera-t-il mis un terme à cette anomalie de la démocratie sociale dans notre pays ?

En douze ans, l'étatisation des comptes sociaux par les lois de financement a montré ses limites. Il est temps de rendre la sécurité sociale aux assurés, aux travailleurs salariés, aux retraités et à leurs familles ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. - M. le rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l'article unique de la proposition de loi organique telle qu'elle résulte des conclusions de la commission des affaires sociales.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi organique tendant à prévoir l'approbation par les lois de financement de la sécurité sociale des mesures de réduction et d'exonération de cotisations et de contributions de sécurité sociale adoptées en cours d'exercice
Article unique (fin)

Article unique

Après le paragraphe IV de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale, il est inséré un paragraphe IV bis ainsi rédigé :

« IV bis.- Les mesures de réduction et d'exonération de cotisations affectées aux régimes obligatoires de base de sécurité sociale ainsi que les modifications apportées à ces mesures deviennent caduques au 1er janvier de l'année suivant celle où elles ont été adoptées si elles n'ont pas été approuvées par une loi de financement de la sécurité sociale.

« Cette disposition s'applique également aux mesures mentionnées aux 1° et 2° du IV. »

Mme la présidente. La parole est à M. Charles Guené, pour explication de vote.

M. Charles Guené. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom du groupe UMP, je tiens à saluer l'initiative du président de la commission des affaires sociales, Nicolas About, et de notre collègue Alain Vasselle, ainsi que la qualité de leur travail. Ils démontrent qu'il est possible de parvenir à plus de transparence et d'efficacité dans la gestion des comptes de la sécurité sociale.

La proposition de loi organique que nous examinons a pour objet d'inscrire dans les lois de financement de la sécurité sociale toutes les mesures de réduction et d'exonération de cotisations et de contributions adoptées en cours d'année. Comme l'a rappelé notre excellent rapporteur, cette perspective alimente un débat récurrent au sein de la commission des affaires sociales et, plus généralement, au sein de notre assemblée.

La mission d'évaluation des comptes de la sécurité sociale avait déjà suggéré de faire des lois de financement le « passage obligé » de l'ensemble des mesures d'exonération ou d'allégement de charges, reprenant ainsi une proposition présentée en 2005 par la commission des affaires sociales, à l'occasion de l'examen de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale.

Une solution identique avait également été défendue par l'inspection générale des finances et l'inspection générale des affaires sociales dans le rapport qu'elles avaient rendu à l'issue de leur mission conjointe sur l'articulation entre les finances de l'État et celles de la sécurité sociale.

Comme nous pouvons le constater, cette mesure a déjà été jugée pertinente par plusieurs acteurs et observateurs dont la compétence ne saurait être mise en doute.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera en faveur de ce texte.

M. Paul Blanc. Très bien !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi organique.

En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 67 :

Nombre de votants 328
Nombre de suffrages exprimés 226
Majorité absolue des suffrages exprimés 114
Pour l'adoption 203
Contre 23

Le Sénat a adopté.

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi organique tendant à prévoir l'approbation par les lois de financement de la sécurité sociale des mesures de réduction et d'exonération de cotisations et de contributions de sécurité sociale adoptées en cours d'exercice
 

11

Transmission d'une proposition de loi

Mme la présidente. J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, créant de nouveaux droits pour les victimes et améliorant l'exécution des peines.

La proposition de loi sera imprimée sous le no 171, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

12

Dépôt d'un rapport

Mme la présidente. J'ai reçu de M. Xavier Pintat un rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Organisation internationale ITER pour l'énergie de fusion relatif au siège de l'Organisation ITER et aux privilèges et immunités de l'Organisation ITER sur le territoire français (no 153, 2007-2008).

Le rapport sera imprimé sous le no 173 et distribué.

13

Dépôt d'un avis

Mme la présidente. J'ai reçu de M. Serge Dassault un avis présenté au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, pour le pouvoir d'achat (no 151, 2007 2008) et sur la proposition de loi, présentée par M. Jean-Pierre Bel et les membres du groupe socialiste et apparentés, en faveur du pouvoir d'achat (no 116 rect. 2007 2008).

L'avis sera imprimé sous le no 172 et distribué.

14

ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mercredi 23 janvier 2008, à quinze heures et le soir :

- Discussion du projet de loi (no 151, 2007-2008), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, pour le pouvoir d'achat.

Rapport (no 166, 2007-2008) de M. Nicolas About, fait au nom de la commission des affaires sociales.

Avis (no 172, 2007-2008) de M. Serge Dassault, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.

Personne ne demande la parole ?...

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 23 janvier 2008, à zéro heure cinq.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD