Article additionnel avant l'article 1er
Dossier législatif : projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental
Article 1er (interruption de la discussion)

Article 1er

I. - Après l'article 706-53-12 du code de procédure pénale, il est inséré un chapitre III ainsi rédigé :

« CHAPITRE III

« De la rétention de sûreté

« Art. 706-53-13. - Lorsque la juridiction a expressément prévu dans sa décision le réexamen de la situation de la personne qu'elle a condamnée à une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à quinze ans, pour l'un des crimes suivants commis sur un mineur :

« 1° Meurtre ou assassinat ;

« 2° Torture ou actes de barbarie ;

« 3° Viol ;

« 4° Enlèvement ou séquestration,

« cette personne peut, à compter du jour où la privation de liberté prend fin, faire l'objet d'une rétention de sûreté lorsqu'elle présente, en raison d'un trouble grave de la personnalité, une particulière dangerosité caractérisée par la probabilité très élevée de commettre à nouveau l'une de ces infractions.

« Cette mesure consiste dans le placement de la personne intéressée dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel lui est proposée, de façon permanente, une prise en charge médicale et sociale destinée à permettre la fin de la rétention.

« Le présent article est également applicable aux personnes condamnées à une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour les crimes, commis sur une victime majeure, d'assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou actes de barbarie aggravés, de viol aggravé ou d'enlèvement ou de séquestration aggravé, prévus par les articles 221-2, 221-3, 221-4, 222-2, 222-3, 222-4, 222-5, 222-6, 222-24, 222-25, 222-26, 224-2, 224-3 et 224-5-2 du code pénal.

« Art. 706-53-14. - La situation des personnes mentionnées à l'article 706-53-13 est examinée, au moins un an avant la date prévue pour leur libération, par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue par l'article 763-10, afin d'évaluer leur dangerosité.

« À cette fin, cette commission rassemble tous les éléments d'information utiles et fait procéder à une expertise médicale, réalisée par deux experts, ainsi qu'aux enquêtes nécessaires.

« Si la commission conclut à la particulière dangerosité du condamné, elle peut proposer, par un avis motivé, que celui-ci fasse l'objet d'une rétention de sûreté dans le cas où :

« 1° Les obligations résultant de l'inscription dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, ainsi que les obligations résultant d'une injonction de soins ou d'un placement sous surveillance électronique mobile, susceptibles d'être prononcés dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire ou d'une surveillance judiciaire, apparaissent insuffisantes pour prévenir la commission des crimes mentionnés à l'article 706-53-13 ;

« 2° Et si cette rétention constitue ainsi l'unique moyen de prévenir la commission, dont la probabilité est très élevée, de ces infractions.

« Si la commission estime que les conditions de la rétention de sûreté ne sont pas remplies mais que le condamné paraît néanmoins dangereux, elle renvoie le dossier au juge de l'application des peines pour qu'il apprécie l'éventualité d'un placement sous surveillance judiciaire.

« Art. 706-53-15. - La décision de rétention de sûreté est prise par la commission régionale de la rétention de sûreté territorialement compétente. Cette commission est composée d'un président de chambre et de deux conseillers de la cour d'appel, désignés par le premier président de cette cour pour une durée de trois ans.

« Cette commission est saisie à cette fin par le procureur général, sur proposition de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue par l'article 763-10, au moins trois mois avant la date prévue pour la libération du condamné. Elle statue après un débat contradictoire au cours duquel le condamné est assisté par un avocat choisi ou commis d'office. La contre-expertise sollicitée par le condamné est de droit.

« La décision de rétention de sûreté doit être spécialement motivée au regard des dispositions de l'article 706-53-14.

« Cette décision est exécutoire immédiatement à l'issue de la peine du condamné.

« Elle peut faire l'objet d'un recours devant la Commission nationale de la rétention de sûreté, composée de trois conseillers à la Cour de cassation désignés pour une durée de trois ans par le premier président de cette cour.

« La commission nationale statue par une décision motivée qui n'est pas susceptible de recours, à l'exception d'un pourvoi devant la Cour de cassation.

« Art. 706-53-16. - La décision de rétention de sûreté est valable pour une durée d'un an.

« La rétention de sûreté peut être renouvelée selon les modalités prévues par l'article 706-53-15 et pour la même durée, dès lors que les conditions prévues par l'article 706-53-14 sont toujours remplies.

« Art. 706-53-17. - Supprimé.

« Art. 706-53-18. - La personne qui fait l'objet d'une rétention de sûreté peut demander à la commission régionale de la rétention de sûreté qu'il soit mis fin à cette mesure. Il est mis fin d'office à la rétention si cette commission n'a pas statué dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande. En cas de rejet de la demande, aucune autre demande ne peut être déposée avant l'expiration d'un délai de trois mois.

« La décision de cette commission peut faire l'objet du recours prévu à l'article 706-53-15.

« Art. 706-53-19. - La commission régionale de la rétention de sûreté ordonne d'office qu'il soit mis fin à la rétention de sûreté dès lors que les conditions prévues par l'article 706-53-14 ne sont plus remplies.

« Art. 706-53-20. - Si la rétention de sûreté n'est pas prolongée ou s'il y est mis fin en application des articles 706-53-18 ou 706-53-19 et si la personne présente des risques de commettre les infractions mentionnées à l'article 706-53-13, la commission régionale de la rétention de sûreté peut, par la même décision et après débat contradictoire, soumettre celle-ci pendant une durée d'un an aux obligations résultant du placement sous surveillance électronique mobile conformément aux articles 763-12 et 763-13 ainsi qu'à des obligations similaires à celles prévues dans le cadre de la surveillance judiciaire mentionnées à l'article 723-30, et notamment à une injonction de soins prévue par les articles L. 3711-1 à L. 3711-5 du code de la santé publique.

« À l'issue de ce délai, la commission régionale peut prolonger tout ou partie de ces obligations, pour une même durée, par une décision prise après un débat contradictoire au cours duquel le condamné est assisté par un avocat choisi ou commis d'office. Cette décision peut faire l'objet du recours prévu à l'article 706-53-15. Ces obligations peuvent à nouveau être prolongées pour une même durée et selon les mêmes modalités.

« Si la méconnaissance par la personne des obligations qui lui sont imposées fait apparaître que celle-ci présente à nouveau une particulière dangerosité caractérisée par le risque particulièrement élevé de commission des infractions mentionnées à l'article 706-53-13, le président de la commission régionale peut ordonner en urgence son placement provisoire dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté. Ce placement doit être confirmé dans un délai maximal de trois mois par la commission régionale statuant conformément à l'article 706-53-15, après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, à défaut de quoi il est mis fin d'office à la rétention.

« Art. 706-53-21. - Les dispositions du présent chapitre ne sont pas applicables à la personne qui bénéficie d'une libération conditionnelle, sauf si cette mesure a fait l'objet d'une révocation.

« Lorsque la rétention de sûreté est ordonnée à l'égard d'une personne ayant été condamnée à un suivi socio-judiciaire, celui-ci s'applique, pour la durée fixée par la décision de condamnation, à compter du jour où la rétention prend fin.

« Art. 706-53-22. - Un décret en Conseil d'État précise les conditions et les modalités d'application du présent chapitre.

« Ce décret précise les conditions dans lesquelles s'exercent les droits des personnes retenues dans un centre socio-médico-judicaire de sûreté, en matière notamment de visites, de correspondances, d'exercice du culte et de permissions de sortie sous escorte ou sous surveillance électronique mobile. Il ne peut apporter à l'exercice de ces droits que les restrictions strictement nécessaires aux exigences de l'ordre public.

« La liste des cours d'appel dans lesquelles siègent les commissions régionales prévues au premier alinéa de l'article 706-53-15 et le ressort de leur compétence territoriale sont fixés par arrêté du garde des sceaux. »

bis. - L'article 362 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Dans les cas prévus par l'article 706-53-13, elle délibère aussi pour déterminer s'il y a lieu de se prononcer sur le réexamen de la situation du condamné avant l'exécution de la totalité de sa peine conformément à l'article 706-53-14. »

II. - L'article 717-1 du même code est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Deux ans avant la date prévue pour la libération d'un condamné susceptible de relever des dispositions de l'article 706-53-13, celui-ci est convoqué par le juge de l'application des peines auprès duquel il justifie des suites données au suivi médical et psychologique adapté qui a pu lui être proposé en application des deuxième et troisième alinéas du présent article. Au vu de ce bilan, le juge de l'application des peines lui propose, le cas échéant, de suivre un traitement dans un établissement pénitentiaire spécialisé.

« Les agents et collaborateurs du service public pénitentiaire transmettent aux personnels de santé chargés de dispenser des soins aux détenus les informations utiles à la mise en oeuvre des mesures de protection des personnes. »

III. - L'article 723-37 du même code devient l'article 723-39 et, après l'article 723-36 du même code, il est rétabli un article 723-37 et inséré un article 723-38 ainsi rédigés :

« Art. 723-37. - Lorsque le placement sous surveillance judiciaire a été prononcé à l'encontre d'une personne faisant l'objet de l'une des condamnations visées à l'article 706-53-13, la commission régionale mentionnée à l'article 706-53-15 peut, selon les modalités prévues par cet article, décider d'en prolonger les effets, au-delà de la limite prévue à l'article 723-29, pour une durée d'un an.

« La commission régionale de la rétention de sûreté est saisie par le juge de l'application des peines ou le procureur de la République six mois avant la fin de la mesure.

« Cette prolongation ne peut être ordonnée, après expertise médicale constatant la persistance de la dangerosité, que dans le cas où :

« 1° Les obligations résultant de l'inscription dans le fichier judicaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes apparaissent insuffisantes pour prévenir la commission des crimes mentionnés à l'article 706-53-13 ;

« 2° Et si cette prolongation constitue l'unique moyen de prévenir la commission, dont la probabilité est très élevée, de ces infractions.

« Cette prolongation peut être renouvelée selon les mêmes modalités et pour la même durée si les conditions prévues par le présent article demeurent remplies. 

« Les articles 723-30, 723-33 et 723-34 sont applicables à la personne faisant l'objet de cette prolongation.

« Les dispositions du dernier alinéa de l'article 706-53-20 sont applicables en cas de méconnaissance par la personne de ses obligations.

« Art. 723-38. - Lorsque le placement sous surveillance électronique mobile a été prononcé dans le cadre d'une surveillance judiciaire à l'encontre d'une personne faisant l'objet de l'une des condamnations visées à l'article 706-53-13, il peut être renouvelé tant que la mesure de surveillance judiciaire est prolongée. »

IV. - L'article 763-8 du même code est ainsi rétabli :

« Art. 763-8. - Lorsqu'un suivi socio-judiciaire a été prononcé à l'encontre d'une personne faisant l'objet de l'une des condamnations visées à l'article 706-53-13, la commission régionale de la rétention de sûreté peut, selon les modalités prévues par l'article 706-53-15, décider d'en prolonger les effets, au-delà de la durée prononcée par la juridiction de jugement et des limites prévues à l'article 131-36-1 du code pénal, pour une durée d'un an.

« Les dispositions des deuxième à cinquième et septième alinéas de l'article 723-37 du présent code sont applicables, ainsi que celles de l'article 723-38. »

M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, sur l'article.

Mme Josiane Mathon-Poinat. La prise en compte de la fin de peine des détenus considérés comme particulièrement dangereux est une question trop importante pour être examinée dans l'urgence et faire l'objet d'un traitement médiatique. Ce texte participe - hélas, avec le concours du Parlement, tout particulièrement depuis 2002 - à une évolution très inquiétante de la législation pénale, qui se manifeste notamment par une insistance à focaliser l'attention sur les victimes.

Il est évident que chacun d'entre nous ressent une empathie profonde à l'égard des victimes qui souffrent et qui attendent une réponse et une sanction. Mais ce n'est précisément pas en instrumentalisant cette souffrance à des fins politiques que nous y répondrons. Nous voyons bien que l'inflation pénale de ces dernières années n'a rien réglé : la preuve, nous légiférons à nouveau aujourd'hui !

Nous devons être efficaces pour prévenir les actes criminels et empêcher la récidive. Cela mérite une réflexion, une évaluation et un bilan critique de l'application des nombreuses dispositions législatives déjà votées. À ce sujet, je remarque une fois de plus que certains textes ne sont même pas encore en oeuvre. Légiférer efficacement supposerait par conséquent de ne pas anticiper sur le débat de fond nécessaire et exigeant à propos de la réforme pénitentiaire, dont l'annonce reste pour l'heure sans suite. Nous espérons qu'il ne s'agira pas d'une arlésienne !

Or, madame le garde des sceaux, vous nous demandez d'accepter tout de suite une mesure qui bouscule des principes fondamentaux de notre droit, qui ont été élaborés pas à pas dans le souci à la fois de lutter contre la criminalité et de faire respecter des valeurs essentielles pour le fonctionnement et l'avenir de notre société.

Vous nous demandez de permettre l'enfermement, qui plus est pour une durée illimitée, des criminels ayant purgé leur peine, mais potentiellement récidivistes, et donc de valider des peines de prison sans qu'une infraction ait été commise.

Vous nous demandez aussi d'intégrer dans notre droit le principe de la rétroactivité des lois que vous avez admis à l'Assemblée nationale. Vous avez d'ailleurs aussi accepté une extension très importante des crimes visés dans votre projet de loi initial, ce qui montre bien le peu de garanties qui entourent ces dispositions, malléables à loisir.

Le montage juridique est tellement grossier que la commission des lois s'est sentie tout de même obligée de déposer une trentaine d'amendements pour tenter de donner au texte un minimum de fondements juridiques et le faire échapper ainsi à la censure du Conseil constitutionnel, notamment en ce qui concerne la rétroactivité. Mais cela ne changera rien à la logique de ce projet de loi, qui est un texte d'affichage destiné à faire croire que la société serait désormais à l'abri des criminels.

Il ne faut pas s'étonner que la grande majorité des professionnels du droit et de la santé ainsi que les organisations défendant les droits de l'homme se soient mobilisées contre ce texte. Mais, en matière de récidive comme de carte judiciaire, vous refusez pour l'instant de les entendre, préférant accorder votre attention à l'agitation médiatique du Président de la République, quelles qu'en soient les conséquences.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, sur l'article.

M. Robert Badinter. Je tiens à dissiper une confusion qu'il m'a semblé percevoir tout à l'heure dans la réponse de Mme le garde des sceaux.

Il faut être précis : nous sommes ici dans le domaine de la dangerosité criminologique, et non dans celui de la dangerosité psychiatrique, qui concerne les malades mentaux détenus. Ces derniers sont traités comme tous les malades mentaux. Par conséquent, s'ils sont amenés à l'hôpital pendant leur période de détention, ils resteront dans un hôpital fermé.

Cette mesure ne peut être maintenue que le temps de leur détention, c'est-à-dire pendant la durée de la peine. Après cela, ils sont soumis aux mêmes conditions que tous les autres malades mentaux. Ils peuvent être placés en milieu ouvert ou fermé, selon le traitement choisi par ceux qui ont en charge de traiter cette dangerosité psychiatrique, qui - j'insiste - n'a rien à voir avec la dangerosité criminologique. Établir un rapprochement entre les deux n'aboutirait qu'à introduire de la confusion dans nos débats, ce que je ne souhaite en rien.

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur Badinter, tout à l'heure, nous évoquions la question de la privation de liberté d'une personne qui n'a pas encore commis d'infraction. Vous indiquiez que c'était une peine après la peine, et qu'une personne serait privée de liberté alors qu'elle n'a pas encore commis d'infraction. C'est à cela que je répondais en indiquant que l'on pouvait tout à fait être privé de sa liberté sans avoir commis d'infraction : c'est le cas des hospitalisations d'office et des détentions provisoires.

S'agissant d'une détention provisoire, il n'y a pas d'infraction puisque l'on est présumé innocent ; pourtant, on est privé de sa liberté. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Sueur. Ce n'est pas pareil !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Quant aux hospitalisations d'office, une personne souffrant de troubles mentaux est privée de sa liberté en raison des risques qu'elle fait peser sur sa sécurité ou sur celle d'autrui. Et cela peut durer bien au-delà de la peine.

M. Robert Badinter. On ne peut pas maintenir une hospitalisation d'office à l'égard d'un détenu après sa peine ! Une décision médicale est nécessaire.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je regrette d'avoir à vous contredire, monsieur Badinter, mais il y a trois conditions cumulatives à l'hospitalisation d'office. Je vous renvoie au code de la santé publique. Vous pouvez priver une personne de sa liberté dans le cadre d'une hospitalisation d'office en cas de trouble mental, pour une durée plus longue que celle de la peine si les médecins et les psychiatres considèrent qu'il y a un risque pour sa sécurité ou pour celle d'autrui. Au-delà de la peine, vous avez raison : il s'agit de dangerosité non pas criminologique, mais bien psychiatrique.

M. Robert Badinter. C'est régi par le code de la santé publique ! Cela relève du droit administratif.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 52 est présenté par MM. Badinter, Collombat, Frimat, C. Gautier, Mermaz, Peyronnet, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 64 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour défendre l'amendement n° 52.

M. Pierre-Yves Collombat. L'article 1er étant le coeur de ce projet de loi, demander sa suppression revient à exiger le retrait du texte.

Les raisons de notre opposition ont été longuement exposées. J'essaierai donc d'être synthétique. Nous sommes hostiles à la rétention de sûreté telle qu'elle est prévue à l'article 1er du projet de loi pour trois raisons essentielles.

Première raison, nous n'aurons pas les moyens d'appliquer, dans des conditions acceptables, les dispositifs existants de lutte contre la récidive. Nous avons encore moins ceux d'appliquer les nouvelles dispositions prévues par le texte, qu'il s'agisse de la mesure de la dangerosité ou de son traitement.

Deuxième raison, ce projet de loi tente, sans y parvenir, de concilier des logiques opposées. Nous venons d'en avoir la démonstration ! La logique pénale ne peut voir dans la rétention de sûreté qu'une peine, et la logique administrative de sûreté en fait une mesure de police sanitaire. C'est l'esprit de l'hospitalisation d'office.

Puisqu'on invoque les exemples étrangers pour justifier l'acclimatation en France de la rétention de sûreté, on constatera qu'ils sont sinon complètement satisfaisants, du moins cohérents, ce qui n'est pas le cas des propositions qui nous sont faites.

En Allemagne, à infractions équivalentes, les peines sont beaucoup moins lourdes qu'en France, et l'équivalent de la rétention de sûreté est à durée limitée. Nous aurons, quant à nous, à la fois le système de pénalités le plus lourd du vieux continent et la rétention de sûreté à durée indéterminée des Anglo-Saxons !

Mais c'est la comparaison entre les logiques des systèmes anglo-saxon et néerlandais qui est la plus éclairante.

Dans le système britannique et canadien, le jugement à l'origine de la rétention de sûreté est une condamnation à durée indéterminée. Qu'elle cesse ou qu'elle soit poursuivie, la rétention de sûreté reste une modalité d'application de la peine initiale. Il ne viendrait à l'esprit de personne de priver de liberté quelqu'un si ce n'était pas prévu par le jugement, quel que soit le pronostic établi sur le comportement futur de l'individu, encore moins de le faire à titre rétroactif.

Le système néerlandais ne fait pas de distinction, à la différence du système français, entre le « malade mental », pénalement irresponsable, et la personne atteinte de « trouble de la personnalité ou du comportement », pénalement responsable en France. D'un côté, il y a ceux qui suivent la voie psychiatrique, assimilable à notre hospitalisation d'office : ils ne sont pas condamnés, mais soignés, ce qui coûte d'ailleurs très cher au contribuable hollandais. De l'autre côté, il y a ceux qui suivent la voie judiciaire et qui font l'objet d'une condamnation.

Troisième raison, le dispositif proposé ne prend pas assez en compte, à notre sens, le caractère insuffisamment fiable des méthodes d'évaluation de la dangerosité pour nous mettre à l'abri tant des remises en liberté fautives que des rétentions abusives.

On ne peut, en effet, séparer les deux problèmes et alternativement, comme nous le faisons, durcir tous les six mois les conditions d'incarcération, quel que soit le nom qu'on lui donne, et tous les ans se préoccuper de faire respecter les droits des présumés coupables, en l'espèce des présumés susceptibles d'être coupables.

Nous ne pouvons cautionner un système trop sensible à l'air du temps pour être juste. Mais je vous concède, madame le garde des sceaux, que le temps où la justice s'efforçait d'abord d'être juste est loin derrière nous. Aujourd'hui, la fonction de la justice est apparemment avant tout de consoler et de donner ainsi l'illusion qu'elle protège.

M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l'amendement n° 64.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet amendement vise à supprimer l'article 1er qui crée l'enfermement, sans doute à vie, de personnes non pour leurs actes, mais pour ce qu'elles sont et ce qu'elles pourraient faire. Mon collègue Pierre-Yves Collombat vient d'apporter, à l'appui de son argumentation, des éléments forts dont nous avions fait état lors de la discussion générale.

Il existe déjà une longue liste de dispositifs. J'en rappellerai quelques-uns : la loi de juin 1990 qui permet d'interner par décision du préfet, en dehors de toute conduite délictueuse ; la loi de 1998 qui prévoit l'injonction de soins dès l'entrée en prison, le suivi socio-judiciaire sans limitation de durée, l'extension du fichier judiciaire avec obligation de se présenter à la police, l'extension de l'utilisation du bracelet électronique ; la loi de 2005, qui traite de la surveillance judiciaire, et celle du 10 août dernier, donc toute récente, qui rend les soins obligatoires. Il faudrait mettre en oeuvre cet arsenal législatif relativement important et en mesurer ensuite l'efficacité.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je n'ai pas l'intention de recommencer le débat sur la question préalable, il a déjà eu lieu.

Comme notre collègue Pierre-Yves Collombat l'a d'ailleurs reconnu au début de son intervention, en voulant supprimer cet article, c'est l'essentiel du projet de loi que l'on vise. Comme la commission des lois ne souhaite pas faire disparaître le projet de loi, elle émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement partage l'avis défavorable de la commission. Nous avons déjà développé des arguments similaires dans le cadre de la discussion générale.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 52 et 64.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de six amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 34 rectifié, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

I. - Rédiger comme suit le texte proposé par le troisième alinéa du I de cet article pour l'intitulé du chapitre III du titre XIX du livre IV du code de procédure pénale :

« De la surveillance de sûreté

II. - Rédiger ainsi le texte proposé par le I de cet article pour l'article 706-53-13 du même code :

« Art. 706-53-13. - À titre exceptionnel, les personnes dont il est établi, à l'issue d'un réexamen de leur situation intervenant à la fin de l'exécution de leur peine, qu'elles présentent toujours une particulière dangerosité et une probabilité très élevée de récidive en raison d'un trouble grave de leur personnalité, peuvent faire l'objet à l'issue de cette peine d'une surveillance de sûreté selon les modalités prévues par le présent chapitre, à la condition qu'elles aient été condamnées à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour les crimes d'assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou actes de barbarie aggravés, de viol aggravé, d'enlèvement ou de séquestration aggravé, prévus par les articles 221-2, 221-3, 221-4, 222-2, 222-3, 222-4, 222-5, 222-6, 222-24, 222-25, 222-26, 224-2, 224-3 et 224-5-2 du code pénal.

« La surveillance de sûreté ne peut toutefois être prononcée que si la cour d'assises a expressément prévu dans sa décision de condamnation que la personne pourrait faire l'objet à la fin de sa peine d'un réexamen de sa situation en vue d'une éventuelle surveillance de sûreté.

« La surveillance de sûreté comprend des obligations identiques à celles prévues dans le cadre de la surveillance judiciaire mentionnée à l'article 723-30, et en particulier une injonction de soins prévue par les articles L. 3711-1 à L. 3711-5 du code de la santé publique, et le placement sous surveillance électronique mobile dans les conditions prévues par les articles 763-12 et 763-13. Elle comprend également l'obligation d'assignation à domicile sous le régime du placement sous surveillance électronique prévu par l'article 132-26-2 du code pénal et l'obligation de déplacement surveillé sous le contrôle d'un agent de l'administration pénitentiaire. Le placement sous surveillance de sûreté peut faire l'objet des recours prévus à l'article 706-53-15.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. La commission a déposé, à l'article 12, un amendement visant à exclure la rétroactivité de la rétention de sûreté étendant l'application du dispositif aux personnes déjà condamnées. Je salue cette proposition et je la voterai.

Mon amendement ne fait que reprendre le dispositif proposé par la commission en l'étendant à tous les condamnés visés par ce projet de loi, y compris dans le futur.

Si l'on estime en effet que le dispositif proposé par la commission est valable pour les personnes déjà condamnées, il n'est pas irresponsable de considérer qu'il peut l'être aussi pour les personnes qui ne sont pas encore condamnées.

Cet amendement crée un nouveau dispositif dit de « surveillance de sûreté », comprenant une panoplie de mesures de sûreté existantes ou à préciser par décret.

Je refuse que l'on puisse enfermer une personne simplement sous le prétexte de sa dangerosité. Je pense que l'enfermement n'est pas une réponse à cette dangerosité. En revanche, le suivi du condamné dans les dispositifs existants suffit si les moyens d'y recourir sont donnés à la justice.

Madame la garde des sceaux, avec ce projet de loi, vous créez une nouvelle mesure sans avoir au préalable évalué l'efficacité des dispositifs existants. À mon sens, tous les dispositifs qui existent déjà suffisent pourvu qu'ils soient mieux utilisés. Telle est la raison pour laquelle j'ai présenté cet amendement.

Par ailleurs, monsieur le président, ces explications vaudront également pour les amendements nos°84, 85 et 87.

M. le président. L'amendement n° 65, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le texte proposé par le I de cet article pour l'article 706-53-13 du code de procédure pénale :

« Art. 706-53-13. - Dès le premier mois qui suit leur condamnation, les personnes condamnées à une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour les crimes d'assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou actes de barbarie aggravés, de viol aggravé, d'enlèvement ou de séquestration aggravé, prévus par les articles 221-2, 221-3, 221-4, 222-2, 222-3, 222-4, 222-5, 222-6, 222-24, 222-25, 222-26, 224-2, 224-3 et 224-5-2 du code pénal sont placées pour six semaines au centre national d'évaluation. À l'issue de cette évaluation, un parcours individualisé d'exécution de la peine est déterminé sur la base d'une concertation entre l'administration pénitentiaire, l'autorité judiciaire et l'autorité sanitaire.

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Notre amendement a essentiellement pour but d'attirer l'attention sur une aberration.

Prévoir, comme le fait le texte, d'attendre la fin de la peine pour examiner la situation d'une personne qui aura passé au mieux treize ans, au pire vingt ou trente ans en prison, afin de savoir si oui ou non elle présente, en raison d'un trouble grave de la personnalité, une particulière dangerosité est en effet assez aberrant.

D'une part, la nature du crime commis permet d'orienter les premières expertises réalisées en cours d'instruction avant même que la condamnation ne soit prononcée. La logique voudrait que ce travail d'évaluation continue dès que l'incarcération commence afin d'élaborer un parcours de détention personnalisé.

D'autre part, tout le monde sait, le dit et le redit que la prison est criminogène et anxiogène, qu'elle peut faire naître des troubles psychiques chez les détenus ou qu'elle peut aggraver les troubles de ceux qui en souffraient déjà en y arrivant. Tout le monde connaît la situation dont souffrent les prisons en matière d'accès aux soins, notamment psychiatriques. La commission elle-même, au moment de la présentation du rapport d'information de nos collègues Philippe Goujon et Charles Gautier, n'a pu s'empêcher de rappeler que « l'univers carcéral ne constitue pas le cadre le plus propice pour traiter les pathologies ».

Au bout de quinze ans de prison, je suis presque certaine que des détenus sont devenus plus dangereux qu'au moment de leur entrée.

Dans ces conditions, prévoir une évaluation seulement en bout de peine les condamnera quasi systématiquement à être placés dans un centre de rétention de sûreté.

Notre amendement vise donc à prévoir l'évaluation dès l'entrée en détention.

M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le texte proposé par le I de cet article pour l'article 706-53-13 du code de procédure pénale :

« Art. 706-53-13. - À titre exceptionnel, les personnes dont il est établi, à l'issue d'un réexamen de leur situation intervenant à la fin de l'exécution de leur peine, qu'elles présentent toujours une particulière dangerosité et une probabilité très élevée de récidive en raison d'un trouble grave de leur personnalité, peuvent faire l'objet à l'issue de cette peine d'une rétention de sûreté selon les modalités prévues par le présent chapitre, à la condition qu'elles aient été condamnées à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour les crimes d'assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou actes de barbarie aggravés, de viol aggravé, d'enlèvement ou de séquestration aggravé, prévus par les articles 221-2, 221-3, 221-4, 222-2, 222-3, 222-4, 222-5, 222-6, 222-24, 222-25, 222-26, 224-2, 224-3 et 224-5-2 du code pénal.

« La rétention de sûreté ne peut toutefois être prononcée que si la cour d'assises a expressément prévu dans sa décision de condamnation que la personne pourrait faire l'objet à la fin de sa peine d'un réexamen de sa situation en vue d'une éventuelle rétention de sûreté.

« La rétention de sûreté consiste dans le placement de la personne intéressée en centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel lui est proposée, de façon permanente, une prise en charge médicale et sociale destinée à permettre la fin de cette mesure.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement prévoit une réécriture complète de l'article 706-53-13, qui définit le champ d'application de la rétention de sûreté.

Il ne modifie pas cependant les critères prévus par le texte issu de l'Assemblée nationale, mais il vise d'abord à en simplifier largement le dispositif.

Il faut rappeler que parmi ces critères figure la condition liée à la nature de l'infraction commise.

Aux crimes visés par le projet de loi initial - meurtre ou assassinat, torture ou acte de barbarie, viol - l'Assemblée nationale a ajouté l'enlèvement et la séquestration.

Parmi ces critères figure également la condition liée à l'âge de la victime.

Le projet de loi visait uniquement les victimes mineures de quinze ans. Dans un premier temps, l'Assemblée nationale a étendu le dispositif aux mineurs de dix-huit ans, puis, dans un second temps, à toutes les victimes majeures à condition dans ce cas cependant que le crime soit commis avec circonstances aggravantes. Cet élargissement progressif du champ d'application de la rétention de sûreté a conduit à une application complexe qui n'échappe pas aux redondances.

En effet, le code pénal prévoit que, parmi les circonstances aggravantes, figure déjà le fait que la victime est un mineur de quinze ans.

Aussi, plutôt que de faire référence dans le projet de loi à deux critères tenant le premier à l'âge de la victime et le second à celui de la nature de l'infraction, il suffit de retenir le second de ces deux critères en précisant seulement que le crime doit être commis avec circonstance aggravante.

Cette présentation a plusieurs avantages.

D'abord, elle est protectrice pour les mineurs de quinze ans, qui sont « couverts » par les dispositions concernant les circonstances aggravantes.

Ensuite, elle permet d'unifier de nouveau le régime des victimes âgées de quinze à dix-huit ans avec celui des victimes majeures, comme tel est le cas actuellement dans toutes les dispositions du code pénal.

Enfin, en mettant en avant le critère tenant à la nature de l'infraction plutôt que celui tenant à l'âge de la victime, elle est plus cohérente avec l'objet même du texte qui vise les criminels les plus dangereux et pas seulement les pédophiles.

La nouvelle rédaction proposée compte d'autres modifications.

Il s'agit de modifications rédactionnelles : à la formulation « peine privative de liberté », il convient de préférer « peine de réclusion criminelle ».

Il s'agit également de précisions : la juridiction ne peut être qu'une cour d'assises, mieux vaut l'expliciter. De même, il est souhaitable de préciser que le réexamen de la situation de la personne est prévu par la juridiction « en vue d'une éventuelle rétention de sûreté ».

Enfin, la nouvelle rédaction tend aussi à affirmer, dès le début de l'article, que la rétention de sûreté n'est possible qu'à titre exceptionnel.