M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, il y a presqu'un an nous révisions notre Constitution pour ajouter une phrase qui pouvait paraître à certains symbolique : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ».

Pourtant, en inscrivant dans notre loi fondamentale l'interdiction de la peine de mort, nous mettions notre pays en accord avec les conventions internationales et au diapason des autres pays européens qui, pour certains, avaient depuis longtemps inscrit dans leur Constitution l'interdiction de la peine capitale.

La France, patrie des droits de l'homme, ne pouvait rester en retrait de ses partenaires européens sur ce sujet. Par cet acte, nous avons témoigné fortement de notre attachement aux valeurs de la dignité humaine en donnant un caractère quasi irréversible à la peine de mort.

Par cette inscription solennelle, nous achevions également un processus vers « l'abolition pure, simple et définitive » engagé depuis plus de vingt-cinq ans ; nous rejoignions enfin le propos de Victor Hugo selon lequel « une Constitution qui [...] contient une quantité quelconque de peine de mort n'est pas digne d'une République ».

Le combat, long et difficile, de l'abolition, gagné en France, doit désormais se poursuivre hors de nos frontières. Le droit de toute personne à la vie est en effet un droit universel.

Ce mouvement s'inscrit d'ailleurs pleinement dans un mouvement international puisque l'application de la peine de mort recule chaque année et que le nombre d'États abolitionnistes est devenu majoritaire dans le monde.

La France a été ainsi le dix-septième pays de l'Union européenne à conférer à la prohibition de la peine de mort valeur constitutionnelle.

Cependant, de nombreux pays, et non des moindres, pratiquent encore la peine de mort. Quelles actions notre pays peut-il mener pour convaincre ces pays d'abandonner ce châtiment contraire aux droits de l'homme ?

Ce sont ainsi soixante-neuf pays qui continuent d'appliquer cette peine.

En Afrique, vingt-deux États connaissent encore la peine de mort, le Libéria et le Sénégal ayant rejoint le camp abolitionniste récemment.

En Asie, ce sont encore trente États qui exécutent, dont le Japon, la Chine, l'Inde, l'Indonésie, les deux Corée, mais aussi la plupart des pays du Moyen-Orient.

Selon le rapport d'Amnesty International, en 2006, ce sont encore 3 861 personnes qui ont été condamnées à mort dans cinquante-cinq pays et au moins 1 591 personnes qui ont été exécutées dans vingt-cinq pays. Ces chiffres sont certainement en deçà de la réalité puisqu'il ne s'agit que des cas dont Amnesty International a eu connaissance.

L'immense majorité de ces exécutions sont le fait d'une minorité de pays : 91 % des exécutions recensées en 2006 ont en effet eu lieu dans six pays ! Il s'agit de la Chine, de l'Iran, du Pakistan, de l'Irak, du Soudan et des États-Unis. Toujours selon l'organisation internationale, entre 19 185 et 24 646 condamnés à mort seraient aujourd'hui dans l'attente de leur exécution.

S'agissant de la Chine, qui pratique massivement la peine capitale et où il est très difficile de connaître la réalité des exécutions puisqu'aucune donnée officielle n'est disponible, Amnesty International évoque 1010 personnes exécutées en 2006, mais certaines sources laissent penser qu'entre 7500 et 8000 exécutions auraient eu lieu cette année-là, ce qui place bien sûr la Chine en tête des pays pratiquant la peine de mort.

La communauté internationale doit profiter de l'organisation des jeux Olympiques, cet été à Pékin, pour faire pression sur les dirigeants chinois à propos de ce dossier. Les progrès économiques doivent s'accompagner d'avancées démocratiques sur la question des droits de l'homme, que ce soit sur la peine de mort ou encore sur la situation du Tibet, cher à notre collègue Louis de Broissia.

Aux États-Unis, ce sont cinquante-trois condamnés à mort qui ont été exécutés dans douze États. Je m'arrêterai sur ce pays pour une raison évidente : le maintien de la peine capitale dans la plus ancienne et la plus puissante des démocraties constitue un obstacle majeur à la cause abolitionniste.

Il s'agit d'un enjeu essentiel parce que les États-Unis restent, avec le Japon, le plus important régime démocratique à recourir à la peine capitale et qu'ils ont, malheureusement, valeur d'exemple pour de nombreux pays.

Alors qu'au début des années 1970, la pratique de la peine capitale était quasiment tombée en désuétude - la Cour suprême déclara en 1972 qu'elle constituait un châtiment inutile et dégradant -, les condamnations et exécutions ont repris depuis 1977, à la suite du revirement de jurisprudence de la Cour suprême de 1976. Depuis cette date, ce sont 1060 personnes, dont 379 au Texas, qui ont été exécutées ; la peine de mort figure dans la législation de 38 des 50 États de l'Union et elle a été instaurée de nouveau au niveau fédéral en 1988.

De plus en plus de voix s'élèvent pour demander l'abolition d'une peine qui met en lumière les faiblesses d'une société et ses inégalités sociales et raciales. L'erreur judiciaire mine le système : le nombre de condamnés à mort reconnus innocents après des décennies de procédures, parfois in extremis, est impressionnant, puisque 122 personnes seraient dans ce cas depuis 1973, sans compter celles qui ont été exécutées alors que leur innocence aurait pu être établie en recourant à des tests ADN. La peine de mort aux États-Unis peut s'apparenter à une loterie sanglante.

Toutefois, il convient de relever que, face à ces risques d'erreur flagrante, la Cour suprême des États-Unis s'attache à réduire le domaine de la peine de mort, notamment en interdisant l'application de ce châtiment aux déments et aux déficients mentaux et en refusant l'exécution des condamnés mineurs lors de l'accomplissement du crime.

Notons également que la peine de mort est devenue le talon d'Achille de l'Amérique dans presque toutes les instances multilatérales qui traitent des droits de l'homme ; espérons que cette situation aura un effet sur l'évolution de ce pays sur cette question.

Nous ne pouvons que constater et déplorer la persistance d'un nombre non négligeable d'États non abolitionnistes. Cependant, l'abolition de la peine de mort constitue à l'échelle du droit international un but ultime dans le domaine des droits de l'homme : depuis plus de vingt-cinq ans, traités, protocoles et déclarations se multiplient pour engager les États sur le chemin de l'abolition universelle de la peine de mort.

Ainsi, le Conseil de l'Europe joue un rôle majeur dans ce mouvement, tout comme, à l'échelle internationale, les Nations unies. Nous disposons d'outils juridiques internationaux pour promouvoir l'abolition.

À l'échelon du continent européen, c'est le protocole n° 6 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, entré en vigueur au 1er mars 1985, qui a constitué le premier instrument juridiquement contraignant prévoyant l'abolition de la peine de mort en temps de paix. Avec le protocole additionnel n° 13 à la Convention, relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, qui a été adopté par le Conseil de l'Europe à Vilnius le 3 mai 2002, un pas ultime a été franchi en direction de l'abolition de la peine de mort.

Ces protocoles ont marqué la reconnaissance du droit à la vie comme attribut inaliénable de la personne humaine et comme valeur suprême dans l'échelle des droits de l'homme au niveau international.

L'Europe est ainsi devenue une zone libérée de la peine de mort et l'abolition fait partie intégrante du socle des valeurs européennes puisque, je le rappelle, 43 des 44 États parties à la Convention européenne des droits de l'homme sont abolitionnistes. A ainsi été consacré en Europe le principe selon lequel la démocratie, fondée sur les droits de l'homme, est incompatible avec la peine de mort.

Toutefois, les tentatives de rétablissement de la peine de mort existent. Ainsi, en 2006, le président conservateur polonais Lech Kaczynski a réclamé, en évoquant la tenue d'un référendum sur ce sujet dans son pays, le rétablissement de la peine capitale en Pologne, mais aussi dans l'ensemble de l'Europe.

Sur le plan mondial, c'est le deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort, adopté à New York le 15 décembre 1989, qui engage les pays signataires à abolir la peine capitale. Il est venu compléter le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, qui limitait la peine de mort aux crimes les plus graves. Il s'agit du premier traité abolitionniste universel.

Par ailleurs, la communauté internationale a limité plus fortement le nombre des cas où la peine de mort pouvait être prononcée ou exécutée, en réaffirmant l'interdiction concernant les mineurs, les femmes enceintes, les jeunes mères et les personnes âgées.

Progressivement, nous le voyons, la prohibition de la peine de mort devient un principe du système juridique international, comme le prouve le rejet de cette peine par les juridictions internationales pourtant appelées à juger des crimes les plus graves, comme la Cour pénale internationale.

Au-delà des instruments juridiques, les institutions internationales incitent les États à adopter un moratoire. Ainsi, la commission des droits de l'homme des Nations unies, devenue Conseil des droits de l'homme, appelle depuis plusieurs années à l'abolition universelle de la peine de mort, dont la première étape serait un moratoire général.

L'Union européenne s'est elle aussi engagée sur cette voie. Estimant que ce châtiment n'a pas sa place dans le système pénal des sociétés démocratiques et que l'abolition de la peine de mort contribue au renforcement de la dignité humaine et au développement progressif des droits de l'homme, elle a, dans « l'appel de Strasbourg » de juin 2001, demandé aux États qui pratiquent la peine capitale ou la prévoient dans leur législation d'instaurer un moratoire des exécutions et d'abolir définitivement cette peine.

Madame la secrétaire d'État, il nous faut poursuivre ce combat. Il est nécessaire de convaincre les dirigeants des États non abolitionnistes de l'inutilité, qui est aujourd'hui largement admise, de la peine de mort ; convaincre que celle-ci n'est pas dissuasive et qu'aucune étude de criminologie n'a pu démontrer un lien entre la peine de mort et la courbe de la criminalité ; convaincre, enfin, que sa pratique est soumise à des erreurs judiciaires patentes.

Espérons que l'action de la communauté internationale fera comprendre aux opinions publiques que la peine de mort est toujours synonyme de « défaite de l'humanité », pour reprendre les mots de notre éminent collègue Robert Badinter.

Au terme de cette intervention, je souhaite, madame la secrétaire d'État, vous poser cette question très simple : comment le Gouvernement entend-il agir à l'échelle internationale pour convaincre des pays non abolitionnistes d'abandonner cette peine, qui constitue, pour suivre notre illustre collègue Victor Hugo, le « signe spécial et éternel de la barbarie » ? (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d'abord m'associer à l'hommage que vous avez rendu à Serge Vinçon, le regretté président de la commission des affaires étrangères du Sénat, qui aura laissé la marque d'un président rigoureux et juste au sein de cette institution.

J'ai également une pensée forte pour Jacques Pelletier, qui, lui aussi, nous a quittés. C'était un homme et un élu au dévouement sans faille pour la cause des droits de l'homme, en France et dans le monde.

Je souhaite ensuite vous remercier, monsieur Othily, d'avoir eu l'initiative du débat qui nous réunit ce soir. Je ne puis que me satisfaire de l'intérêt que vous portez à la question des droits de l'homme et, à travers vous, de l'importance qu'accorde le Sénat à cette question. Cet intérêt est pour moi un encouragement dans l'accomplissement de ma mission, en même temps qu'une obligation - « ardente », selon la formule consacrée - de résultats.

Avant de répondre avec autant de précision qu'il me sera possible aux questions que vous m'avez posées, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de définir le cadre général dans lequel j'ai inscrit mon action de secrétaire d'Etat chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme.

J'ajouterai que j'exerce bien évidemment la mission qui m'a été confiée sous l'autorité du Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, et du ministre des affaires étrangères, M. Bernard Kouchner, qui ont chacun à coeur de faire vivre cette dimension des droits de l'homme dans notre politique extérieure.

Afin d'être bien claire, je rappellerai tout d'abord que je ne suis pas en charge des droits de l'homme en France, ce qui ne veut pas dire que je ne suis pas sensible à cette question. Lorsque la France se trouve condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme, cela ne me fait jamais plaisir, car lorsqu'il me faut intervenir à l'étranger, je préfère parler au nom d'un pays exemplaire.

Nous pouvons tous ici être d'accord pour affirmer que notre pays attache au respect des droits humains une place essentielle : les droits de l'homme font aussi partie de notre identité nationale.

Certes, nous ne devons jamais nous endormir sur nos lauriers ; il nous faut toujours être vigilants. Mais, de grâce, ne cédons pas au relativisme culturel qui conduit à penser que tout se vaut et que, puisqu'il arrive à la France d'être imparfaite, elle est très mal placée pour critiquer les imperfections des autres. Il y a, chez nous, en France, et dans les démocraties en général, des valeurs fondamentales qui ne sont pas négociables.

M. de Rohan citait dans son intervention des propos de M. Védrine nous invitant à la modestie. M. Védrine a raison, s'il entend par modestie le refus de l'arrogance. Mais sachons également rester ambitieux.

Qu'on le veuille ou non, la « patrie des droits de l'homme » est une marque de notre histoire, que nous ne pouvons ni ne devons renier. Elle nous est d'ailleurs régulièrement rappelée par les peuples étrangers, par les opposants, dissidents et défenseurs des droits de l'homme pourchassés dans le monde. Elle constitue une incitation permanente à assumer notre devoir. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : un devoir, une responsabilité.

Pour le reste, que nous ne soyons pas les seuls à pouvoir revendiquer cette mission ne peut être que positif, tant la tâche est immense. Bien sûr, nous ne disposons pas d'une formule magique pour faire en sorte que les droits de l'homme soient respectés en Russie, en Chine, dans le monde arabe, en Afrique, mais est-ce une raison pour arrêter de nous battre ?

Quand vous vous déplacez à l'étranger et que vous rencontrez des défenseurs des droits de l'homme, vous lisez dans leurs yeux cette attente vis-à-vis de la France, parce que, pour eux, la France c'est avant tout la « patrie des droits de l'homme » et être Français c'est être libre. Devrions-nous par avance refuser ce défi ? Je suis bien convaincue que non.

Comme l'a souligné M. de Rohan, le Président de la République a fait de la promotion des droits de l'homme l'une des toutes premières priorités de l'action diplomatique de la France.

Affaires étrangères et droits de l'homme, cette association est, a priori, paradoxale. En effet, si le rôle de notre diplomatie est de défendre les intérêts de notre pays, le combat pour les droits de l'homme dans notre politique étrangère peut se heurter, bien évidemment, à la poursuite de ces intérêts.

Néanmoins, cette vision du caractère inconciliable de la promotion de nos intérêts et de la lutte pour les droits de l'homme, qui a été, du moins théoriquement, une constante de la politique extérieure française, a bien changé, et d'abord parce que le Président de la République s'est inscrit en faux avec cette vision.

Alors qu'il était candidat, il déclarait, le 28 février dernier : « notre identité démocratique nous destine à promouvoir la liberté et le respect des droits de l'individu dans le monde [...] Valeurs et intérêts, en réalité, se rejoignent. Il faut refuser l'opposition stérile entre réalisme et idéalisme ». Et le 6 mai dernier, au soir de sa victoire, il ajoutait : « Je veux lancer un appel à tous ceux qui, dans le monde, croient aux valeurs de tolérance, de démocratie et d'humanisme, à tous ceux qui sont persécutés par les tyrannies et par les dictatures, à tous les enfants et à toutes les femmes martyrisés dans le monde, pour leur dire que la France sera à leurs côtés, qu'ils peuvent compter sur elle ».

À titre d'exemple, lorsqu'il s'est rendu en Inde voilà quelques jours, le Président de la République a eu à coeur de plaider auprès des autorités indiennes la cause de Taslima Nasreen qui, comme vous le savez, est cette écrivaine du Bengladesh qui a été menacée de mort par une fatwa et qui erre de ville en ville en Inde. De même a-t-il contribué fortement à la libération des infirmières bulgares.

Je crois que son message est passé et s'est concrétisé.

Ainsi, dès son entrée en fonction, Nicolas Sarkozy a mis en adéquation ses actes avec ses déclarations. Espérons que les objectifs pourront être atteints en ce qui concerne la libération d'Ingrid Betancourt et des autres otages des FARC, les forces armées révolutionnaires de Colombie. Nous y travaillons en tout cas au quotidien !

Permettez-moi aussi de vous exprimer une conviction personnelle : dans un monde de plus en plus dangereux, où les risques de prolifération nucléaire s'accroissent, où les groupes terroristes multiplient les tentatives pour acquérir, avec la complicité de certains États, des armes chimiques, biologiques et nucléaires, notre intérêt est, plus que jamais, de promouvoir la démocratie et les droits de l'homme.

Si, dans le passé, on pouvait s'accommoder de l'existence de dictatures lointaines, aujourd'hui, il n'y a plus de lointain. Tout est devenu proche : une Corée du Nord dotée de missiles à longue portée est devenue notre voisine.

Je suis donc convaincue, comme vous, j'en suis sûre, que les États de droit qui respectent les libertés fondamentales de l'être humain sont moins dangereux pour la paix du monde que les autres. Le propos de Kant sur les démocraties qui ne se font pas la guerre entre elles est toujours, et peut-être plus que jamais, d'actualité.

J'en viens maintenant à ma mission elle-même, ce qui me permettra de répondre à certaines des interrogations qui ont été exprimées.

Le sénateur Georges Othily évoque des droits de l'homme qui se multiplient, au point que l'on a du mal à distinguer l'essentiel de l'accessoire ; je sais que les puristes des droits de l'homme, les tenants de leur caractère indivisible, c'est-à-dire du « tout ou rien », pourraient être choqués par de tels propos.

Le principal écueil que je souhaite éviter est celui du « droit de l'hommisme ». Invoquer les droits de l'homme à tout propos ne peut que se retourner contre nous : nous pourrions entendre des chefs d'État, qui n'ont qu'un souverain mépris pour ces droits, nous accuser de ne pas les respecter nous-mêmes. On a ainsi pu entendre, à la tribune de l'ONU, le président iranien invoquer plusieurs fois les droits de l'homme, pour mieux accuser l'Occident de ne pas les respecter. Entendre cela du président d'un pays où une femme vaut la moitié d'un homme ne peut pas manquer de nous faire réagir !

La promotion des droits de l'homme ne vise pas les droits à tout et à n'importe quoi. Pour moi, c'est avant tout le droit à vivre dans la paix et la sécurité, un droit indissociable de celui de vivre libre.

C'est pour en rester à l'essentiel que j'ai décidé, dès le début de ma mission, de me fixer des priorités. L'action politique consiste en effet à faire des choix, car le champ est vaste. De nouveaux droits économiques et sociaux ont fait leur apparition et méritent également qu'on leur accorde une attention particulière. Toutefois, si l'on veut être efficace, il est plus aisé de se concentrer sur quelques axes fondamentaux ; j'en ai choisi trois.

Ma première priorité concerne les femmes et les enfants, qui sont les premières victimes des sociétés archaïques ou des conflits ; les enfants-soldats ou les femmes victimes de violence sont au coeur de mon action.

Ma deuxième priorité est la liberté d'expression, en particulier la liberté de la presse.

Ma troisième priorité porte sur la justice pénale internationale, qui permet de montrer que les droits de l'homme ne sont pas que des mots et qu'il n'est plus possible de tuer impunément, à l'abri de ses frontières, sans avoir un jour à rendre des comptes.

Bien sûr, ces trois priorités ne m'interdisent pas d'intervenir dans d'autres domaines, comme la lutte pour l'abolition universelle de la peine de mort, la violation massive des droits de l'homme dans certains conflits, comme celui du Darfour, ou la répression brutale des manifestations pacifiques des Birmans. Nous nous devons d'être à la hauteur de notre réputation, quitte parfois à être transgressifs. Il est vrai que cela peut nous coûter cher, notamment en termes d'intérêts. Il faut donc trouver un équilibre.

C'est cet argument qui est avancé, notamment à propos de la Chine. Mais cette position ne me convainc pas : après tout, les États-Unis n'hésitent pas, pour leur part, à évoquer la question des droits de l'homme avec les Chinois, tout en concluant avec eux des contrats commerciaux. Comme vous, madame Morin-Desailly, je pense que l'on ne peut pas ignorer cette question, à six mois de la tenue des jeux Olympiques à Pékin, même s'il ne faut pas se focaliser exagérément sur cet événement. Sans vexer, sans blesser, sans humilier, j'estime possible de rappeler la Chine à ses devoirs. Elle sera bientôt la vitrine du monde, le temps des jeux Olympiques. De ce fait, elle ne peut se permettre d'offrir une image régressive de l'olympisme.

C'est dans cet esprit que le Président de la République a parlé de la peine de mort et de la liberté d'expression avec les dirigeants chinois. C'est également dans cet esprit que je suis intervenue, voilà deux jours, auprès des autorités chinoises pour défendre le cas de M. Hu Jia, un blogger dont la liberté d'expression lui a valu des ennuis judiciaires.

Les Français ne comprendraient pas nos silences face à certaines violations des droits de l'homme qui les choquent. Notre activisme en la matière doit toutefois se fonder sur une méthode.

Ainsi, face à une certaine impatience médiatique et à une volonté d'indignation systématique, il faut parfois savoir rester discret pour être efficace ; je pense, par exemple, à la Tunisie. Si l'on veut obtenir la libération d'un prisonnier politique comme maître Abbou, la discrétion doit, dans un premier temps, être de mise ; c'est l'attitude que le Président de la République et moi-même avons adoptée lorsque nous nous sommes rendus dans ce pays au mois de juillet dernier. Plutôt que de faire du tapage médiatique et risquer ainsi d'aggraver la situation de ce prisonnier, j'ai considéré que mon devoir était d'abord d'expliquer aux autorités tunisiennes pourquoi l'emprisonnement de cet homme était choquant et nuisait à l'image de la Tunisie. Si cette approche se révèle inefficace, alors nous prendrons l'opinion publique à témoin.

En procédant ainsi, j'essaie d'éviter de montrer du doigt les autorités tunisiennes, de blesser ou d'insulter, ce qui n'aurait pour résultat que de braquer les autorités en question et de prolonger le calvaire du prisonnier.

Cette méthode n'interdit pas la fermeté. Il n'est pas acceptable, par exemple, que les droits de l'homme soient remis en cause par certains pays, qui considèrent que le développement économique doit primer sur le respect des droits humains ou qui préfèrent le particularisme de leur culture à l'universalité de ces droits.

En ce qui me concerne, je ne crois pas du tout à l'approche culturaliste, selon laquelle certaines traditions interdiraient à des catégories de la population d'avoir accès à ce type de droits. En effet, si je respecte les traditions de certains pays, je considère qu'on ne peut résolument pas, au nom de ces traditions, accepter que des femmes soient lapidées ou des adolescents pendus en place publique. On ne peut pas non plus, au nom de ces traditions, accepter que des femmes s'immolent par le feu après un viol, pour échapper à un mariage forcé, ou après une telle union.

Enfin, nous nous devons d'être en contact permanent avec les défenseurs des droits de l'homme partout où ils sont. Il est important que nos ambassades soient les avant-postes de la défense des droits de l'homme. Lorsqu'un opprimé ou un militant des droits de l'homme frappe à la porte de l'une de nos ambassades, l'ambassadeur a le devoir de lui ouvrir sa porte, ne serait-ce que pour lui prêter une oreille attentive.

C'est pourquoi, lors de la Conférence des ambassadeurs, au mois d'août dernier, j'ai fait part de ma volonté de voir nos postes devenir des maisons des droits de l'homme. En France, nous ne devons pas hésiter à élargir nos partenariats à des acteurs très engagés en matière de politique étrangère - je pense aux parlementaires ou aux collectivités territoriales -, notamment dans leur dialogue avec les sociétés civiles.

La méthode dépend donc du contexte. Le pragmatisme et la recherche de l'efficacité doivent prévaloir.

Au-delà de mes déplacements, je souhaite ne jamais oublier les priorités que je me suis fixées : la liberté d'expression et l'égalité des droits entre les femmes et les hommes. Ce sont sans doute les deux meilleurs critères à l'aune desquels on peut juger de la vie démocratique d'un pays.

En ce qui concerne les violations massives et systématiques des droits de l'homme, monsieur Othily, vous avez cité le Darfour, la Tchétchénie, l'Ouzbékistan, le Kenya et le Tchad, pays pour lesquels notre mobilisation est permanente. Hélas ! la liste des pays dans lesquels les hommes et les femmes ne sont pas assurés de leurs droits fondamentaux pourrait s'allonger de dizaines d'autres noms !

Le combat pour les droits de l'homme dans notre politique étrangère ressemble souvent à l'oeuvre de Pénélope ou aux travaux d'Hercule, comme l'a relevé M. del Picchia : on a l'impression qu'une victoire un jour est suivie d'un échec le lendemain. Certes, des institutions existent - Conseil des droits de l'homme des Nations unies, Conseil de l'Europe, Cour européenne des droits de l'homme... -, mais nous devons sans cesse, dans notre action diplomatique, ranimer et faire vivre nos principes.

Pour redonner une nouvelle force à notre message, je souhaite provoquer une réunion de tous nos partenaires européens, afin de rassembler nos forces autour d'un message simple et clair, qui soit conforme à l'idéal européen. Je compte aussi me rendre au Conseil des droits de l'homme, au début du mois de mars, pour rappeler notre message et évoquer la question du suivi de la conférence de Durban, qui aura lieu en 2009.

Enfin, cette année, la France a deux rendez-vous qu'elle ne peut ni ne doit manquer : la présidence de l'Union européenne et le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme. La coïncidence entre ces deux événements majeurs est l'occasion pour notre pays d'être à la hauteur de l'héritage de ses ancêtres, qui lui ont légué le beau titre de gloire de « patrie des droits de l'homme ». Il s'agit pour la France non pas de faire une commémoration de plus, mais de revivifier, avec le soutien de tous ses partenaires européens, les principes et les valeurs pour lesquels des hommes et des femmes ont lutté, souvent au péril de leur vie. Il est plus que temps de réaffirmer haut et fort ce en quoi nous croyons et pour quoi nous sommes prêts à lutter, même s'il y a un prix à payer.

Telle est la présentation générale que je tenais à faire devant votre Haute Assemblée, mesdames, messieurs les sénateurs. Je tenterai à présent de répondre brièvement à vos questions, sans prétendre à l'exhaustivité. En effet, la variété des problèmes liés à la protection des droits de l'homme justifierait presque un débat spécifique pour chaque sujet.

Monsieur Othily, vous avez exprimé votre préoccupation sur le cas très particulier des coupeurs haïtiens de canne à sucre en République dominicaine. Vous savez l'attachement que je porte à Haïti, où je suis allée au mois de septembre dernier. Jean-Marie Bockel s'y est également rendu pour le deux cent troisième anniversaire de l'indépendance, le 1er janvier dernier. Le Président de la République lui-même s'est engagé à faire ce déplacement, ce qui serait historique, car aucun chef d'État français n'a encore été reçu en Haïti depuis l'indépendance de ce pays.

Le nombre d'émigrés haïtiens en République dominicaine atteindrait environ 1 million de personnes, des clandestins, pour la plupart. Il s'agit d'une émigration Sud-Sud qui part d'un pays déshérité, Haïti, vers un pays à l'économie certes dynamique, mais qui doit lui aussi faire face au problème de la pauvreté. Le nombre des coupeurs de canne haïtiens en République dominicaine n'est pas facile à déterminer, mais concernerait plusieurs dizaines de milliers de personnes. L'exposition « Esclaves au paradis » organisée l'an dernier par Amnesty international a jeté une lumière crue sur cette situation.

Si les conditions de vie des coupeurs de canne haïtiens demeurent indécentes, certains propriétaires fonciers ont pris cependant conscience du problème et construisent des logements, des cantines, installent l'électricité, l'eau courante. Avec la baisse de l'exploitation de la canne à sucre, le nombre des coupeurs de canne est amené à se réduire mécaniquement. Nous y comptons bien !

Si nous voulons vraiment aider les coupeurs de canne à sucre haïtiens, nous devons contribuer à maintenir un dialogue amical entre Haïti et la République dominicaine, malgré le passé. Ancienne colonie française et pays francophone, Haïti figure dans la zone de solidarité prioritaire de notre coopération. Mais nous y avons aussi inclus la République dominicaine, parce que la situation de ces deux pays ne peut être traitée séparément. C'est sur ce point que nos projets de coopération se concentreront ; l'Union européenne travaille elle aussi sur ce sujet. Ainsi a-t-elle construit dans la localité de Dajabón un marché binational, haïtien et dominicain.

MM. Othily, de Rohan et del Picchia, se sont interrogés sur la mise en oeuvre, au sein du ministère des affaires étrangères et européennes, de la nouvelle impulsion donnée à la dimension des droits de l'homme dans la politique extérieure de la France.

Je tiens à souligner que la priorité que nous accordons à la défense des droits de l'homme dans notre politique étrangère n'est pas seulement formalisée dans la stratégie de gouvernance développée au travers de nos programmes de coopération, comme le soulignait M. de Rohan. C'est ainsi que les « accords de sécurité intérieure » que nous sommes amenés à négocier avec de nombreux partenaires excluent tout échange de données personnelles avec ceux d'entre eux qui ne donnent pas les garanties requises de respect de l'état de droit.

En outre, une série d'instruments très divers existe. L'attention des ambassades a été appelée sur la situation des défenseurs des droits de l'homme par voie de circulaire. J'ai rappelé l'importance que nos postes devaient accorder à cette question. L'impulsion passe aussi par les déclarations, les discours, les communiqués de presse officiels et leur diffusion dans nos ambassades. Je n'oublie pas non plus les instruments européens que sont les lignes directrices servant de cadre pour les actions en matière de droits de l'homme ; on en dispose sur cinq thèmes très importants : peine de mort, enfants-soldats, torture, défenseurs des droits de l'homme, droits de l'enfant.

Il faut également laisser un peu de souplesse aux ambassades, qui doivent adapter nos directives aux contraintes du terrain. J'observe à cet égard que de plus en plus de chefs de postes choisissent de confier à un diplomate de leur chancellerie politique un suivi spécifique de la question des droits de l'homme dans leur pays de résidence.

En ce qui concerne le suivi des conventions internationales, celles-ci sont très nombreuses et nous avons effectivement du retard en la matière ; c'est un peu la rançon du succès, car nous comptons au nombre des bons élèves qui sont parties à la quasi-totalité des textes internationaux.

Nous faisons tout pour rattraper ce retard. Ainsi, en 2008 et 2009, nous prévoyons de présenter cinq rapports. Le rapport sur la discrimination à l'égard des femmes a été présenté au mois de janvier dernier. Le rapport sur la Convention des droits de l'enfant et le rapport sur le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels ont été transmis. Le rapport sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le rapport sur la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont en cours de préparation. Comme vous pouvez le constater, nous mettons les bouchées doubles pour être exemplaires !

Monsieur del Picchia, vous avez évoqué la non-ratification de « certains protocoles et conventions ». Je suppose que vous pensiez au protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Les deux textes sont en cours d'examen au Conseil d'État : celui-ci vient d'émettre un avis favorable sur le premier, tandis que le second, dont la France est à l'origine et figure parmi les premiers signataires, vient de lui être transmis.

Madame Durrieu, vous avez évoqué la laïcité. Il s'agit de la forme typiquement française de protection de l'un des droits de l'homme les plus fondamentaux, la liberté de croyance, qui doit s'entendre comme la liberté de croire ou de ne pas croire. Vous avez raison, madame le sénateur, de souligner qu'elle constitue un fondement, inscrit dans notre Constitution.

Le Président de la République n'a rien dit d'autre dans ses discours prononcés au Vatican et en Arabie saoudite. À Saint-Jean de Latran, il a fait l'éloge d'une laïcité positive, qui est « tout autant que le baptême de Clovis [...] un fait incontournable dans notre pays » ; à Riyad, il a souligné l'importance de « faire en sorte que chacun, qu'il soit juif, catholique, protestant, musulman, athée, franc-maçon ou rationaliste, se sente heureux de vivre en France ».

Ce ne sont pas là des propos complaisants pour ses hôtes. Ils dessinent une ligne d'action politique qu'il avait déjà annoncée dans un livre d'entretiens paru en 2004 et intitulé La République, les religions, l'espérance : elle consiste non pas à prononcer le décès de la laïcité, mais bien au contraire à la vivifier en l'adaptant à des réalités qui ne sont plus les mêmes qu'il y a un siècle.

On peut se demander s'il est normal que l'entretien des édifices des cultes catholique, protestant et juif soit assuré par les communes dans la mesure où ils existaient déjà avant 1905, alors que tel n'est pas le cas des édifices de la religion islamique, religion dont le nombre de pratiquants sur notre sol s'est accru depuis.

Ne pas trouver de solution à ce problème reviendrait à ouvrir la voie à toutes les dérives fondamentalistes et radicales, à un islam des garages. Tel est le sens de la fondation pour l'islam de France, habilitée à recueillir les financements étrangers destinés à créer de nouveaux lieux de culte islamique, dont le Gouvernement vient de favoriser la création.

Je ne veux pas aller plus avant dans la description de cette politique, qui dépend d'abord de ma collègue Michèle Alliot-Marie, chargée des cultes.

Le Président de la République m'a fait l'honneur de me nommer secrétaire d'État au sein du ministère des affaires étrangères. Vous connaissez sans doute ce mot célèbre de Léon Gambetta, pour lequel la laïcité n'est pas un « article d'exportation ». Je ne vois rien d'autre dans le propos présidentiel que la volonté de mieux prendre en considération l'explosion du fait religieux dans les relations internationales, constat qui ne menace en rien la laïcité française. C'est d'ailleurs pour cela que Bernard Kouchner a lancé, au sein de notre ministère, une réflexion sur le sujet visant à renforcer les instruments d'analyse du phénomène religieux.

Vous avez également évoqué le Conseil de l'Europe. Vous avez raison, son rôle est important en matière de défense des droits de l'homme sur un espace européen plus large que l'Union européenne. Vous lui rendez justice parce qu'on en parle trop peu, tout comme la Cour européenne des droits de l'homme ; j'ai reçu les principaux responsables et je suis allée rendre visite aux autres.

Vous avez parlé, madame Durrieu, de la Transnistrie. Nous nous sommes rendues toutes les deux en Moldavie, au mois de juillet. Ce fut d'ailleurs mon premier déplacement à la suite de ma prise de fonction. Croyez bien que le Conseil de l'Europe n'est pas négligé au sein de l'Union européenne, dont les décisions sont complémentaires. Ainsi, le traité de Lisbonne, signé le 13 décembre dernier, ne s'oppose pas au Conseil de l'Europe. Ce traité a pour objet essentiel d'améliorer les traités existants d'Amsterdam et de Nice. Il ne présente pas de caractère constitutionnel et sa ratification ne nécessite pas de référendum. C'est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez avalisé la révision de la Constitution, avant-hier, en vue de cette ratification.

Monsieur del Picchia, je veux, en cet instant, revenir sur vos propos et aborder la notion de réconciliation. Comme vous le savez, le Président de la République a évoqué dans son récent discours au corps diplomatique du 8 janvier une « diplomatie de la réconciliation », qui correspond au fait que « la France doit parler avec tout le monde », attitude qui n'est pas contradictoire avec la promotion et la défense des droits de l'homme, puisqu'elle laisse la porte ouverte aux dirigeants qui voudraient corriger les erreurs du passé. À défaut de gages suffisants, il est mis fin à la politique de réconciliation, comme ce fut le cas avec la Syrie, notamment.

Au terme « rédemption », parfois employé dans la presse, je préfère l'expression « réinsertion dans la communauté internationale », car il est très difficile aujourd'hui pour un pays, quel qu'il soit, de rester durablement isolé dans un contexte de globalisation croissante. Cela ne veut pas dire oubli, amnésie ou, pis, amnistie. Mais il est de l'intérêt des peuples que nous obtenions des résultats immédiatement tangibles pour eux.

Monsieur le sénateur, vous avez évoqué, dans une acception plus restrictive, les « processus de réconciliation ». À mes yeux, ils ne sont pas contradictoires avec les procédures de pénalisation des crimes les plus graves ; ils leur sont complémentaires, comme nous le montrent les modèles argentin et chilien.

Madame Borvo Cohen-Seat, nous aussi, nous pensons à Gaza, au Kenya, aux autres zones de crise. La France mène une diplomatie proactive. De ce fait, elle ne s'interdit rien et elle est présente partout, même en Birmanie, pays très éloigné du nôtre, géographiquement comme culturellement.

Un projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale doit être présenté très prochainement au Parlement ; les arbitrages sont en cours.

Par ailleurs, la France n'a pas à avoir honte de ses trois grandes lois sur le terrorisme de 1986, 1995 et 2006. Ces textes sont appliqués sous le contrôle du juge et ne comportent aucune mesure d'exception, contrairement à ce qui existe dans d'autres pays, comme les États-Unis ; à titre d'exemple, je citerai la prison de Guantanamo. C'est la raison pour laquelle les autres démocraties envient notre dispositif sécuritaire, qui est de surcroît efficace.

J'en viens à votre réquisitoire sans nuance - permettez-moi cette appréciation - relatif aux droits de l'homme, qui seraient, selon vous, bafoués en France. (M. Robert Bret s'exclame.) Heureusement que la liberté d'expression demeure dans notre pays, car elle vous permet de tenir de tels propos !

Vous m'avez d'ailleurs déjà interpellée sur la question, notamment à propos des sans-papiers, par le biais d'un communiqué de presse. Je vous ai reçue le lendemain, pendant une heure, et nous avons pu échanger sur ce sujet ; je ne crois pas vous être apparue comme une dangereuse fasciste.

Madame Goulet, nous connaissons tous le problème posé par la mise en cause systématique d'Israël, au sein du Conseil des droits de l'homme, par les États de l'Organisation de la conférence islamique. Nous savons également qu'Israël est une démocratie, qui présente toutes les caractéristiques d'un État de droit et possède, notamment, une Cour suprême indépendante de l'exécutif. Mais, quelquefois, la situation sur le plan de la sécurité exige des mesures d'exception.

La position de la France vis-à-vis de ce dossier particulièrement complexe est claire : comme l'Union européenne, elle reconnaît l'état préoccupant de la situation des droits de l'homme au Proche-Orient.

Dans ce cadre général, la quatrième convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre impose à l'État d'Israël des obligations en tant que puissance occupante des territoires palestiniens. Israël a le droit de prendre les mesures nécessaires à la protection de sa population contre la violence et le terrorisme, que la France condamne sans réserve. Mais soyez assurée que notre pays rappelle régulièrement à Israël, notamment lors de rencontres bilatérales, mais aussi dans les enceintes multilatérales pertinentes, ses obligations en matière de respect du droit international humanitaire dans les territoires palestiniens.

Cette thématique spécifique s'inscrit dans le cadre plus général des efforts français et européens accomplis en vue de la recherche d'une paix globale, juste et durable au Proche-Orient.

La France et l'Union européenne ont une position claire et constante sur le caractère illégal des activités de colonisation, contraires au droit international et aux engagements pris par Israël au titre de la feuille de route, et facteurs de blocage du processus de paix. Nous considérons qu'une paix juste et durable ne sera possible qu'en reconnaissant aux Palestiniens leur droit à édifier un état viable, tout en garantissant à Israël sa pleine sécurité.

La France a salué la réunion d'Annapolis, le 27 novembre dernier, et la reprise des négociations israélo-palestiniennes en vue d'un règlement final. La conférence internationale des donateurs pour l'État palestinien, que la France a organisée le 17 décembre, a été un succès ; elle a constitué un signal fort du soutien politique et financier apporté à l'Autorité palestinienne. Soyez assurée, madame le sénateur, que nous sommes préoccupés par la situation des populations civiles dans cette région du monde et que nous ne manquerons pas de poursuivre nos efforts en faveur du respect des droits de l'homme dans la région.

Madame Morin-Desailly, je vais terminer par votre intervention, parce que la question de la peine de mort est l'une de celles qui, bien évidemment, me tiennent le plus à coeur.

Vingt-sept ans après l'abolition de la peine de mort en France, qui peut aujourd'hui mettre en doute l'engagement de notre pays en la matière ? Nous sommes les acteurs les plus engagés en faveur de cette cause.

Sur le plan interne, l'inscription de la peine de mort dans la Constitution nous a permis de ratifier les deux instruments internationaux qui proscrivent la peine de mort en toutes circonstances. La France a apporté son haut-patronage, en 2007, au troisième congrès mondial contre la peine de mort, qui s'est tenu à Paris.

Sur le plan international, l'abolition universelle de la peine de mort est une priorité de la politique de l'Union européenne et de la France en matière de droits de l'homme. Des lignes directrices ont été adoptées par l'Union européenne en 1988. Nous effectuons régulièrement des démarches en faveur de cas individuels de condamnés à mort.

Ainsi, après ma prise de fonction, j'ai été amenée à intervenir auprès du gouverneur du Texas en faveur d'un jeune homme âgé de trente ans condamné à mort, dont la peine a été finalement commuée. Ma conviction selon laquelle il est absolument nécessaire d'être vigilant sur la question de la peine de mort s'en est trouvée renforcée.

Aux Nations unies, au mois de décembre dernier, un pas historique a été franchi avec l'adoption, par plus de cent pays, d'une résolution présentée sur l'initiative de l'Union européenne et associant d'autres pays, appelant à un moratoire universel et à l'abolition de la peine de mort. Cela marque un tournant sur le chemin de l'abolition universelle.

Cela démontre aussi que la peine de mort ne se limite absolument pas à notre continent. L'Europe, libérée de la peine capitale, n'en est pas le sanctuaire. Et l'on s'en félicite ! Les abolitionnistes sont en train de gagner la bataille ; c'est un mouvement irréversible, en tout cas j'y crois profondément.

Mais avant de goûter cette victoire de l'humanité sur la barbarie, le chemin à parcourir reste long. Il faut donc, plus que jamais, rester mobilisé. En effet, même affaiblie, la peine de mort reste présente aux États-Unis, en Chine, en Iran, en Arabie Saoudite. C'est une lutte de longue haleine qui sera achevée lorsque sera réalisé le voeu de Victor Hugo, c'est-à-dire son « abolition, pure, simple et définitive ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)