M. Robert Bret. Question déterminante !

M. Jean François-Poncet, rapporteur. La question peut paraître secondaire. Elle ne l'est pas !

Fera-t-il allégeance au président du Conseil européen, dont il tient son mandat, ou au président de la Commission européenne et au Parlement européen, qui auront validé son élection comme membre de la Commission européenne ?

M. Charles Pasqua. C'est un débat de fond !

M. Jean François-Poncet, rapporteur. La politique étrangère et de défense commune s'imposera-t-elle à toutes les institutions de l'Union européenne ? Quid des États membres qui continueront de décider à l'unanimité de la politique étrangère et de défense, et dont les principaux - la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne - n'entendent pas renoncer à leur autonomie en la matière ?

La réduction du nombre des membres de la Commission aux deux tiers du nombre des États membres à partir de 2014 n'est pas, elle non plus, sans soulever quelques problèmes, bien que ce soit, à mes yeux, une très bonne chose.

La réforme atteindra-t-elle son but, qui est de restituer à la Commission son autorité en tant que gardienne des traités et force d'impulsion pour l'Union ? En application de la rotation égalitaire de ses membres, les grands États comme la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, ne seront représentés à la Commission que pendant cinq ans tous les quinze ans. D'importantes décisions les concernant seront donc prises en leur absence. Les accepteront-ils sans discuter ? Ne faudra-t-il pas, tout en conservant le principe d'une Commission resserrée, réexaminer le mode de désignation de ses membres ?

On pourrait, par exemple, poussant plus loin le renforcement déjà engagé des pouvoirs du président, envisager de lui confier l'entière responsabilité de la composition de la Commission. C'est à lui qu'incomberait alors la tâche délicate de choisir les commissaires, en tenant compte de leur origine géographique et de leurs capacités personnelles, ainsi que des attentes de la majorité du Parlement européen.

Mes chers collègues, toutes ces questions que j'ai soulevées afin de vous faire part des interrogations que le traité pose au moment de son application, la présidence française de l'Union, qui s'exercera lors du second semestre de cette année, devra les examiner et trancher un certain nombre d'entre elles pour que le traité de Lisbonne puisse entrer en vigueur le 1er février 2009 si, à cette date, comme il est permis de le penser, tous les pays l'ont ratifié.

Le traité de Lisbonne dote l'Union des moyens qui permettent à une Europe élargie de fonctionner et de progresser. C'est ce que l'on attendait de ce texte. Mais rien n'est définitivement acquis. Beaucoup dépendra, comme toujours, des hommes et des circonstances.

Considérons les hommes d'abord. Si ceux qui président le Conseil européen, la Commission, le Conseil des ministres et le Haut représentant poursuivent en bonne intelligence les mêmes objectifs et s'assurent du soutien du Parlement européen, l'Union, en dépit du nombre de ses membres, répondra aux espoirs que les opinions placent en elle.

Si, au contraire, les innovations institutionnelles du traité de Lisbonne débouchaient sur des rivalités internes, ce qui n'est ni probable ni impossible, l'Union trébucherait. D'autres réformes plus audacieuses deviendraient alors nécessaires, telles que la création d'une présidence unique rassemblant les trois présidences mises en place par le traité de Lisbonne.

Les circonstances, elles aussi, pèseront d'un grand poids, comme elles l'ont toujours fait. Les progrès de la construction européenne ont toujours répondu aux défis intérieurs ou extérieurs auxquels l'Union était confrontée. Le traité de Rome répondait au défi que constituait l'échec de la Communauté européenne de défense, la CED. L'Acte unique répondait à la prise de conscience de la fragmentation de l'espace économique communautaire, que l'union douanière n'avait que partiellement unifiée. Le traité de Maastricht et la création de l'euro relevaient un double défi : celui de la réunification de l'Allemagne - terrible défi - et celui de l'instabilité monétaire engendrée par les fluctuations du dollar.

Les défis qui, demain, attendent l'Union européenne à vingt-sept sont considérables. Il y a la menace politique du fondamentalisme islamique avec, en perspective, un possible choc des civilisations. Il y a la menace économique, que constitue la concurrence de l'Asie avec les délocalisations dont elle menace notre continent.

Mes chers collègues, ces défis, et bien d'autres sans doute, l'Union ne les relèvera que si, tout en restant fidèle à sa devise « unis dans la diversité », elle met l'accent sur l'unité plus que sur la diversité.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n'est pas le cas aujourd'hui !

M. Jean François-Poncet, rapporteur. Ce n'est que dans et par l'Union que l'Europe défendra ses intérêts et son identité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Hubert Haenel.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le traité de Lisbonne va marquer un second tournant dans la construction européenne. Le premier tournant, c'était le traité de Maastricht, qui a parachevé la construction économique de l'Europe et commencé sa construction politique, tout en ouvrant la voie à un élargissement qui a fait passer l'Union de douze à vingt-sept membres.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Par référendum !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Après le traité de Maastricht, nous avons vécu quinze ans de débat institutionnel sans frein. Comment mettre en oeuvre la nouvelle dimension politique de l'Union ? Comment préserver l'efficacité du processus de décision dans une Europe élargie ? Nous avons beaucoup tâtonné pour répondre à ces questions : le traité de Lisbonne est le quatrième traité institutionnel depuis celui de Maastricht, je le rappelle. Mais tout laisse à penser que, s'il est ratifié par tous, ce sera le dernier avant longtemps.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Après l'Europe économique, l'Europe politique aura enfin trouvé sa physionomie.

Bien sûr, cette physionomie peut déconcerter. Les points d'interrogation sont nombreux. Il est difficile de dire comment se répartiront les responsabilités dans l'exécutif tricéphale que ce nouveau traité met en place. Mais, après tout, à l'époque, on disait la même chose de la Constitution de 1958.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Elle aussi dérangeait les classifications des professeurs de droit. Cependant, au bout d'un demi-siècle, elle est toujours là.

Le président Pompidou avait fait à ce sujet une remarque fort juste : « Notre système, précisément parce qu'il est bâtard, est peut-être plus souple qu'un système logique : les corniauds sont souvent plus intelligents que les chiens de race ».

M. Dominique Braye. C'est bien vrai !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. On pourrait sans doute dire la même chose de l'Union, telle que la dessine le traité de Lisbonne : pas vraiment fédérale, pas vraiment confédérale, elle est un système mixte évolutif - Jacques Delors disait « un objet politique non identifié » -, dont les équilibres dépendront largement des personnalités qui seront choisies pour les différentes fonctions. Et cette souplesse est peut-être ce dont une entreprise aussi originale que la construction européenne a le plus besoin.

Au sein de cette nouvelle donne institutionnelle, un point, à mon avis, n'est pas assez souligné. Il s'agit de la place considérable qu'auront désormais les parlements dans la vie de l'Union - Parlement européen et parlements nationaux -, comme vient de le souligner M. le secrétaire d'État dans son intervention.

On a souvent accusé l'Europe d'être une construction trop technocratique. C'est un procès un peu facile et assez injuste, car c'est la défaillance du politique qui crée le technocrate, et non l'inverse.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Mais il est vrai que l'Europe est restée trop longtemps l'affaire des seuls gouvernements. Le contrôle parlementaire demeurait très limité, en droit et plus encore en fait. Cette situation a commencé à changer au fil des traités ; le Parlement européen a conquis de véritables pouvoirs, mais dans certains domaines seulement. Les parlements nationaux, peu à peu, ont appris à mieux contrôler l'action européenne des gouvernements et à se concerter entre eux.

Le traité de Lisbonne va permettre d'aller beaucoup plus loin. Désormais, le Parlement européen, à de très rares exceptions près, va disposer d'un pouvoir de codécision sur la législation et le budget de l'Union. Plus rien d'important ne pourra se faire sans lui.

De manière plus novatrice encore, le nouveau traité va directement associer les parlements nationaux à la construction européenne. Leur rôle ne sera plus seulement de contrôler, plus ou moins bien, la politique européenne de leur gouvernement. Ils interviendront dans le processus de décision européen lui-même, pour veiller à ce que l'Union respecte le principe de subsidiarité, c'est-à-dire n'intervienne qu'à bon escient.

Pourquoi ce changement m'apparaît-il si important ? Lors du référendum sur le traité constitutionnel, j'ai animé quelque cent vingt réunions en faveur du « oui ».

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quelle efficacité ! (Sourires.)

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. J'ai entendu très souvent certaines critiques sur l'Europe, émises pourtant par des électeurs qui allaient approuver le traité. Tout d'abord, l'Europe apparaît souvent trop lointaine, inaccessible, incontrôlable. Ensuite, certaines de ses interventions ne sont pas toujours comprises. Dans certains domaines - sécurité, action extérieure, soutien à la croissance - nombre de nos concitoyens estiment que l'Union n'en fait pas assez ; mais, dans d'autres domaines, ils ont tendance à penser qu'elle en fait trop ou qu'elle le fait mal. Personne ne comprend que l'Europe réglemente la TVA sur la coiffure, la qualité des eaux de baignade ou la protection des dunes. Elle doit être là pour aider à résoudre les grandes questions, non pour faire à la place des pays membres ce qu'ils pourraient faire eux-mêmes et sans doute mieux, et qui, à la limite, ne regarde qu'eux.

M. Paul Blanc. Très bien !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Le traité de Lisbonne apporte une réponse à ces deux critiques. En associant les parlements nationaux à la vie de l'Union, il introduit un relais entre l'Europe et les citoyens. En instaurant un contrôle du respect de la subsidiarité, il tend à recentrer l'action de l'Union vers ses vraies missions.

Il ne s'agit pas, cela va de soi, de jouer les nations contre l'Europe. Il faut en finir avec cette suspicion à laquelle j'ai souvent été confronté, lorsque j'étais membre de la convention. Il n'y a pas d'un côté, les « bons Européens » à Bruxelles et, de l'autre côté, les « mauvais Européens » dans les capitales ! Ce doit être l'objectif de tous, parce que c'est l'intérêt de l'Europe de partager les responsabilités d'une manière qui rende les politiques plus efficaces, plus légitimes, plus proches des citoyens.

Le contrôle de subsidiarité permettra aux parlements nationaux de se faire entendre directement auprès des institutions de l'Union, y compris, le cas échéant, auprès de la Cour de justice dite « de Luxembourg ».

Si l'on considère le rôle important que nous jouons déjà et le rôle nouveau qui va s'y ajouter, on peut dire que les parlements nationaux feront désormais pleinement partie des acteurs de la construction européenne. D'ailleurs, le traité de Lisbonne en prend acte puisque, pour la première fois, un article relatif aux parlements nationaux figure dans le corps même des traités.

Cette situation nouvelle constituera également pour nous tous une responsabilité à assumer. Nous ne pourrons plus nous défausser, comme nous le faisons souvent les uns et les autres, sur Bruxelles. Devant telle ou telle décision européenne qui nous déplaît, on pourra nous demander ce que nous avons fait. C'est pourquoi nous devrons nous doter, ici même, au Sénat, le moment venu, d'un dispositif d'examen des questions européennes qui soit pleinement opérationnel.

Je n'entends pas anticiper sur le futur débat constitutionnel. Je ne suis pas non plus ici pour prêcher pour ma paroisse, comme on dit dans nos campagnes : au contraire, je crois que le bon dispositif sera celui qui fera participer l'ensemble des organes du Sénat, et par là l'ensemble des sénateurs, à l'examen des questions européennes.

Ce que je souhaite souligner, c'est qu'il sera absolument nécessaire d'adapter notre fonctionnement à la nouvelle donne. J'ai d'ailleurs bon espoir : avec les propositions du comité Balladur, nous sommes, à mon avis, sur la bonne voie. Un « comité des affaires européennes », inscrit au titre XV de la Constitution, ne serait pas concurrent, mais bien complémentaire des commissions permanentes, dont les compétences seraient préservées, voire amplifiées dans ce domaine. Notre assemblée disposerait alors de tous les instruments nécessaires pour faire face aux différents aspects de son rôle européen.

Je terminerai cependant mon propos par un regret. Malgré les avancées qu'il contient, le traité de Lisbonne ne règle pas toutes les questions concernant le contrôle parlementaire. En particulier, dès lors que l'Europe de la défense commence à s'affirmer, nous devons trouver une formule pour que les parlementaires nationaux et européens puissent en assurer un suivi régulier, sinon personne ne contrôlera démocratiquement cette Europe de la défense.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. La question se pose également pour l'Europe judiciaire et policière, avec la nécessité d'une évaluation d'Eurojust et d'un contrôle sur Europol.

Ce sont des questions pour lesquelles le nouveau traité ouvre des possibilités, mais il faudra de la détermination pour qu'elles se concrétisent. J'espère, monsieur le secrétaire d'État, que la présidence française y contribuera.

Quoi qu'il en soit, je crois avoir montré, si besoin était, que le traité de Lisbonne marque une avancée considérable vers une Europe plus démocratique. C'est une raison essentielle - qui s'ajoute à beaucoup d'autres - pour approuver sans réserve ce texte qui va permettre à l'Europe, après deux ans d'incertitudes, de repartir enfin sur de bonnes bases.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous disposons désormais des instruments pour prendre en temps utile les bonnes décisions correspondant aux attentes de nos concitoyens.

Nos concitoyens sont très impatients, ne les décevons pas ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc. Après les remarquables interventions de M. le secrétaire d'État, du président de la commission des affaires étrangères, de M. le rapporteur, puis du président de la délégation européenne, je centrerai mon propos sur quelques points.

Je commencerai par un constat politique : mes chers collègues, mesure-t-on bien ce que représente la possibilité qui s'offre à nous, ce soir, de voter le projet de loi de ratification de ce traité ?

Il a fallu d'abord que la Convention, sous la houlette de son éminent président Valéry Giscard d'Estaing - convention à laquelle Hubert Haenel a participé, ainsi que notre collègue Robert Badinter, comme cela a été rappelé tout à l'heure - réussisse à faire passer des propositions.

M. Robert Bret. Je croyais que ce n'était pas le même texte !

M. Jacques Blanc. Et puis, il y a eu l'onde de choc du référendum de 2005.

M. Jacques Blanc. Chacun a interprété, non sans quelques difficultés d'ailleurs, la signification du « non ». N'est-ce pas une leçon pour que, désormais, les référendums portent sur des questions simples ? Sinon, chacun peut en tirer des conclusions.

Ensuite, il a fallu le mérite et le courage politique du candidat à la présidence de la République Nicolas Sarkozy (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste), qui a osé affirmer pendant une campagne électorale, à un moment qui n'était peut-être pas porteur, qu'il s'engageait à soutenir l'idée d'un traité simplifié soumis à une ratification parlementaire.

M. Dominique Braye. Absolument !

M. Jacques Blanc. Mes chers collègues, s'il n'y avait pas eu ce courage politique, jamais on n'aurait sorti l'Europe de l'ornière ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.) Je veux le dire ici avec fermeté et féliciter le Gouvernement.

Certes, Mme Merkel s'est mobilisée, au cours de la présidence allemande, mais avec le candidat devenu Président de la République, comme elle le rappelait voilà quelques jours à Paris en présence de Nicolas Sarkozy. C'est ainsi que - j'allais presque dire « par miracle » - vingt-sept pays se sont mis d'accord sur un texte.

M. Robert Bret. Vingt-sept chefs d'État, pas vingt-sept pays !

M. Jacques Blanc. Quand on connaît la diversité de la réalité, on mesure combien le fait d'arriver à une proposition approuvée par vingt-sept pays après l'échec des ratifications, est le fruit d'une situation politique exceptionnelle qui démontre la force de l'Europe.

M. Dominique Braye. Très bien !

M. Jacques Blanc. Aujourd'hui, j'exprime le sentiment d'une grande majorité de l'UMP : oui, nous mesurons le résultat du courage et de la volonté politique de la France, qui a ainsi retrouvé sa capacité d'agir !

M. Jacques Blanc. J'en viens au deuxième point. Si l'on regarde la réalité de ce traité - rassurez-vous, mes chers collègues, je ne reprendrai pas tout ce qui a été parfaitement dit - plusieurs éléments marquent une force politique nouvelle en Europe.

Oui, la démocratie en Europe avance grâce à ce traité, nul ne peut le contester !

M. Robert Bret. Si, nous le contestons !

M. Jacques Blanc. Le Parlement européen voit son pouvoir de codécision étendu : c'est capital ! Le Parlement européen, ce sont des femmes et des hommes élus sur l'ensemble de ce territoire ; c'est bien une instance démocratique !

M. Dominique Braye. Élue la proportionnelle !

M. Jacques Blanc. Le rôle des parlements nationaux sera renforcé. Cela impliquera sans doute, M. Haenel vient de le souligner, une certaine réorganisation, non pas pour supprimer une délégation à laquelle on peut appartenir en étant membre d'une commission permanente, mais pour donner à cette délégation, quel que soit son nom, une capacité nouvelle, tout en laissant à chaque commission la possibilité d'avoir une approche européenne forte.

Je reviens un instant sur le contrôle de la subsidiarité, même si je sais que cela vous fait sourire, mes chers collègues. (Mais non ! sur les travées de l'UMP.)

La subsidiarité est un élément majeur ; l'Europe a compris qu'elle ne pouvait se substituer à ceux qui pouvaient faire aussi bien qu'elle, à un niveau différent. Ce principe répond à l'attente de ceux qui trouvaient que l'Europe en faisait parfois trop.

M. Robert Bret. Ou dans le mauvais sens !

M. Jacques Blanc. En application du principe de subsidiarité, il y a donc une possibilité de contrôle par les parlements et par le Comité des régions. De ce comité, personne n'en parle ici, sauf moi : il faut dire que j'en ai été le premier président et que j'ai été renouvelé hier dans mes fonctions de membre du bureau.

Tout le monde parle de la nécessité de rapprocher les citoyens des instances européennes. Les collectivités régionales et locales ne sont-elles pas à même de faire passer un message européen auprès des populations, dans les villes, les départements, les régions ? Vous savez, comme moi, que les élus locaux sont plus proches des femmes et des hommes de ces collectivités. Si ces élus participent à l'élaboration de la législation européenne par leurs conseils, s'ils contrôlent la subsidiarité et ont le courage de faire passer le message, on répondra à cette exigence de proximité.

Reconnaissons l'avancée que constitue la création du Comité des régions par le traité de Maastricht ! Ce Comité est doté d'un pouvoir de saisine de la Cour de justice, non seulement quand ses prérogatives ne sont pas respectées, mais aussi en cas de non-respect de la subsidiarité. Il existe donc un système de contrôle faisant intervenir parallèlement les parlements nationaux et les collectivités territoriales.

Je me réjouis d'ailleurs que notre délégation ait participé au réseau de monitoring de la subsidiarité mis en place par le Comité des régions, qui représente une réponse concrète aux besoins de proximité.

Le deuxième fait politique majeur, c'est que l'Europe s'est donné des objectifs nouveaux. À côté de la cohésion sociale et économique, l'Europe a désormais un objectif de cohésion territoriale. Cela signifie que l'Europe fera jouer la solidarité en faveur des territoires présentant un handicap. Je pense aux régions de montagne, aux régions périphériques et maritimes, mais aussi aux régions qui sont victimes de choc, industriel ou naturel. Cette nouvelle dimension devra imprégner les politiques européennes. Une telle perspective répond à notre souhait.

L'aménagement du territoire est une clé pour le développement durable. Or l'Europe s'engage pour le développement durable, ce qui suppose un aménagement du territoire équilibré et harmonieux. En allant dans cette voie, en luttant contre le réchauffement climatique, en jouant un rôle moteur dans le monde pour faire passer cette exigence de protection de l'environnement, l'Europe répond à l'attente des uns et des autres. Il y a une cohérence dans cette réponse. Le traité de Lisbonne n'est qu'un outil, mais il permet à l'Europe de prendre en main de telles politiques.

J'évoquerai un autre point dont on parle peu mais sur lequel la délégation a décidé de travailler, à savoir la consécration dans le traité de la politique de voisinage.

Mes chers collègues, la politique de voisinage ne concerne pas les pays candidats à l'élargissement. Au passage, permettez-moi de souhaiter, à titre personnel, que soit levée dans les évolutions constitutionnelles l'exigence de référendum pour les élargissements. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.) Cela me paraît important. La politique de voisinage ne concernant que les pays non candidats, on ne peut pas ignorer le problème de ces élargissements.

Quels territoires peuvent bénéficier de cette politique de voisinage ? Ne croyez-vous pas que le traité de Lisbonne apporte une perspective nouvelle pour donner corps à l'ambition du Président de la République sur l'Union méditerranéenne, ambition que nous pouvons tous partager ?

M. Bruno Retailleau. Sauf l'Allemagne !

M. Jacques Blanc. Mes chers collègues, la Méditerranée est ô combien traversée par les drames, les violences. N'est-ce pas une exigence pour l'Europe, pour la paix, pour la France que d'entraîner le bassin méditerranéen dans un mouvement inverse ? Ne croyez-vous pas que la politique de voisinage, certes bilatérale, conditionne l'avenir de notre pays, parce qu'elle peut concerner les bassins de la mer Noire, de la mer Baltique, mais surtout de la mer Méditerranée ?

Dans les Balkans, une politique de voisinage permettant de déboucher sur une situation nouvelle ne serait-elle pas un signe fort ? C'est la paix qui est en cause, la prospérité ! Il s'agit donc là d'une avancée dont on parle peu mais qui me paraît très significative.

Le préambule mentionne sans complexe l'héritage judéo-chrétien et humaniste !

Ne croyez-vous pas qu'en appliquant un véritable principe de laïcité au lieu de rejeter ou de nier ces héritages religieux - sans oublier l'influence musulmane -, l'Europe pourrait porter un message fort afin d'empêcher le choc des civilisations et apporter une réponse nécessaire à notre société ?

En cet instant, je suis sûr d'exprimer le sentiment d'une grande partie de l'UMP en disant que nous avons une chance formidable que de pouvoir consacrer un succès politique qui favorisera la mise en place d'outils permettant que se développent demain des politiques nouvelles au service de cette civilisation qu'incarnent les valeurs de l'Europe !

Nous respectons donc pleinement nos engagements politiques en nous mettant au service des femmes et des hommes qui attendent de nous des réponses à leurs angoisses - je pense au développement durable -, à leurs espérances - je pense à la paix, à la fraternité, au développement partagé - et en jouant un rôle nouveau d'équilibre dans le monde, et ce d'abord auprès de nos voisins. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la réunion du Sénat cette nuit en toute hâte est la parfaite illustration du mot d'ordre passé entre les chefs d'État et de gouvernement : se débarrasser au plus vite de l'étape de la ratification en contournant soigneusement les peuples !

Eh oui, monsieur le secrétaire d'État, vous avez au moins raison sur ce point, le mot d'ordre a été respecté : tout est allé très vite !

L'élaboration du traité, orchestrée par les États membres sans consulter ni informer les citoyens européens, a été particulièrement rapide entre mai et mi-octobre 2007. Même la méthode conventionnelle est passée à la trappe, monsieur Haenel, au nom de calculs politiques, partant du postulat d'une opposition de principe entre l'Europe et les peuples d'Europe. Ensuite, la signature du traité de Lisbonne, le 13 décembre 2007, a lancé le top du départ de la course à la ratification.

Dans notre pays, après la révision constitutionnelle adoptée le 4 février dernier à la va-vite, le Gouvernement revient devant notre assemblée pour nous faire enregistrer le projet de loi de ratification, trois jours après.

Alors que le projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne a été adopté hier en conseil des ministres et voté cet après-midi à l'Assemblée nationale, la commission des affaires étrangères du Sénat n'a pas hésité à se réunir, dès ce matin, avant le vote du texte à l'Assemblée nationale,...

M. Guy Fischer. Elle a anticipé !

M. Robert Bret.... faisant fi de l'article 42 de la Constitution française de 1958,...

M. Guy Fischer. Ce n'est pas bien !

M. Robert Bret.... qui dispose : « La discussion des projets de loi porte, devant la première assemblée saisie, sur le texte présenté par le Gouvernement. Une assemblée saisie d'un texte voté par l'autre assemblée délibère sur le texte qui lui est transmis. » Je vous l'ai d'ailleurs fait remarquer, monsieur de Rohan.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur Bret, puis-je vous interrompre ?

M. Robert Bret. Je vous en prie, mon cher collègue.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de l'orateur.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Je tiens à préciser que, ce matin, la commission n'a fait qu'adopter le rapport de M. François-Poncet, ce qui est parfaitement son droit. Ce n'est que, lorsque nous nous sommes réunis une deuxième fois, à dix-sept heures, que nous nous sommes prononcés sur le texte. En effet, comment aurions-nous pu nous prononcer sur un texte qui n'avait pas encore été adopté et dont nous ne connaissions pas la teneur ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Dominique Braye. Monsieur Bret, il ne faut pas travestir la vérité !

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Bret.

M. Robert Bret. La réunion de dix-sept heures a été provoquée par la remarque que j'ai faite ce matin, remarque que vous avez d'ailleurs taxée de « juridisme », monsieur le président de la commission. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Cette réunion était déjà programmée ! Vous êtes de mauvaise foi !

M. Robert Bret. On voit comment notre Constitution est appliquée !

Quelle précipitation pour ratifier un traité qui ne doit entrer en vigueur qu'au début de 2009 ! Un tel empressement à liquider l'étape de la ratification atteste du renoncement à combler le déficit démocratique qui gangrène la construction européenne. Ainsi, une fois de plus, l'Union européenne se trouve confrontée à ses contradictions.

L'ambition affirmée de la « relance » de l'Europe est poursuivie coûte que coûte, tandis que l'adhésion des peuples au projet européen est censée découler des bénéfices que les citoyens européens seront supposés tirer des politiques européennes. Vous l'avez d'ailleurs redit ce soir, monsieur le secrétaire d'État.

Or un tel raisonnement place les citoyens européens en position d'extériorité par rapport à la construction européenne. Selon cette vision, l'histoire européenne se construit sans eux.

Les citoyens européens sont alors strictement cantonnés à une posture passive. Cette conception témoigne surtout du peu de cas que les dirigeants européens font de la parole du peuple, qui s'est pourtant massivement et clairement exprimée le 29 mai 2005.

Je rappelle que, par cet acte de souveraineté, le peuple a signifié de la manière la plus forte qui soit son rejet de l'Europe libérale consacrée par la « Constitution européenne » et, à présent, par le traité de Lisbonne. J'insiste sur le fait que ce refus portait sur une conception marchande de l'Europe sans que cela remette en cause l'adhésion populaire à l'aventure européenne. Oui, les peuples ont envie de plus d'Europe, mais pas celle d'aujourd'hui ni celle du traité de Lisbonne !

Aussi, le choix d'accélérer le calendrier et de recourir à la voie parlementaire pour éviter d'avoir à affronter un débat public ne nous semble pas digne d'une démarche démocratique. La démarche poursuivie soustrait l'étape de la ratification au débat public, pourtant inhérent à une telle procédure.

L'autorisation donnée par les parlementaires à la ratification est alors assimilée à un exercice de pure forme expédié en quelques heures loin de tout véritable débat susceptible d'aller dans le sens d'une politisation et d'une démocratisation de la construction européenne. Or, vous le savez, subtiliser le traité de Lisbonne au débat citoyen ne va certainement pas dans le sens d'une réappropriation du projet européen par le peuple ni du renforcement de la légitimation du processus européen.

Dès lors, je déplore que la perspective de la réalisation d'une Europe politique s'éloigne encore un peu plus, et cela parce que le traité de Lisbonne doit passer coûte que coûte et à n'importe quel prix démocratique. Telle est l'idée commune à tous les tenants de la « Constitution européenne » et de son prolongement, le traité de Lisbonne, qui voient là une revanche contre le peuple.

Et dire que l'argument d'une Europe plus démocratique avait été avancé pour faire accepter la Constitution européenne ! Quelle ironie !

Mesurons bien que le choix de la ratification par la voie parlementaire est éminemment politique. Il exprime le manque de courage de soumettre la question directement au peuple.

Chacun doit bien comprendre que l'utilisation de la démocratie représentative pour échapper à l'expression directe du peuple dénature le rôle du Parlement, qui se trouve ainsi, une nouvelle fois, instrumentalisé par l'exécutif. Pourtant, pour se revendiquer de la démocratie, il faut que le peuple soit susceptible d'avoir le dernier mot.

Dans ces conditions, que l'on soit favorable ou défavorable au traité, peut-on passer outre la décision du peuple de mai 2005 en l'annulant par un vote du Parlement ?

Pour reprendre l'expression de Didier Mauss, président de l'association française de droit constitutionnel, le Parlement peut-il désavouer le peuple ? Politiquement, c'était inconcevable ; juridiquement, c'est pratiquement fait !

Tel est donc l'enseignement tiré du « non » français de 2005. Le peuple ayant manifesté un vif intérêt pour la construction européenne et ayant rejeté le traité constitutionnel en toute connaissance de cause, il faut aujourd'hui être prudent et contourner le peuple, l'écarter de la construction européenne pour adopter une copie de la défunte « Constitution européenne ».

Ce déni de démocratie est d'autant plus inquiétant que l'avenir dessiné par le traité de Lisbonne est sombre. On le sait, ce sont malheureusement les peuples et les salariés qui continueront à subir les conséquences.

En prônant la concurrence libre et non faussée, qui reste, monsieur François-Poncet, la référence de toutes les politiques - même si elle n'apparaît plus dans le corps du traité, elle est reprise dans un protocole annexe qui a la même valeur juridique que le traité -, en prônant la libre circulation des capitaux, la liquidation des services publics et l'indépendance de la Banque centrale européenne à l'égard des État, vous soumettez nos concitoyens aux quatre volontés d'une Europe ultralibérale au sein de laquelle les crises se sont multipliées : désordres financiers périodiques, crise de la dette, fuite des capitaux, expansion des flux financiers internationaux, opacité croissante des flux spéculatifs, krachs boursiers à répétition.... Comment cette Europe de l'argent roi, et même de l'argent fou comme l'illustre le scandale de la Société générale, pourrait-elle répondre aux attentes des peuples, monsieur le secrétaire d'État ?

Elle ne le peut pas. Vous le savez et nos concitoyens le savent. C'est la raison pour laquelle vous avez soigneusement évité tout débat public avec le peuple.

Ne poussez pas trop vite un « ouf » de soulagement. La page ne se tournera pas si facilement, car ce passage en force va laisser des traces. Si vous imaginez que l'Europe peut continuer comme cela longtemps, sans les citoyens, vous vous trompez. Tôt ou tard, ils demanderont des comptes.

Pour le groupe communiste républicain et citoyen, ratifier le traité par voie parlementaire, c'est nuire au peuple. C'est un déni de démocratie, car, vous le savez, ce choix est uniquement déterminé par la volonté de bâillonner le peuple.

Ratifier le traité par voie parlementaire, c'est creuser encore plus le fossé existant entre citoyens et pouvoir politique.

Monsieur le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, ce que vous avez appelé à l'Assemblée nationale un « acte majeur » du Président de la République n'est en réalité qu'un acte de frilosité, pour ne pas dire de lâcheté. Cela traduit la peur que vous avez de vous livrer à un débat public sur le contenu de ce traité, et l'on sait bien pourquoi.

Ratifier le traité par voie parlementaire, c'est nuire au Parlement, car, une fois encore, il se place en position de subordonné par rapport au Gouvernement.

Enfin, ratifier le traité par voie parlementaire, c'est nuire à l'Europe, car une Europe construite sans les peuples, voire contre la volonté des peuples, n'a pas d'avenir.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, vous comprendrez que notre groupe ne participe pas à ce hold-up démocratique et vote contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC - M. Mélenchon applaudit également.)