M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est faux !

M. Jean-Luc Mélenchon. Elle l'est sous la forme des amendements qui modifient les textes constituant autrefois la troisième partie.

Par conséquent, le texte n'est pas seulement institutionnel, il ne vise pas le seul fonctionnement des institutions.

Seconde contradiction : on ne peut pas affirmer que ce texte n'est pas une Constitution et déclarer en même temps qu'il ne concerne que l'organisation institutionnelle. L'important n'est pas seulement ce qui est marqué sur l'emballage : c'est aussi le contenu !

Car qu'est-ce qu'une Constitution si un texte qui organise les pouvoirs publics, décrit les rapports entre le Parlement et l'exécutif et précise le pouvoir d'initiative des lois n'en est pas une ? Cela ne fait aucun doute, ce traité a bien une vocation constitutionnelle.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et doit donc être approuvé par référendum !

M. Jean-Luc Mélenchon. Si je rappelle ces éléments, c'est pour déplorer la faiblesse de la discussion. Certes, ici, au Sénat, le débat, comme d'habitude, est de qualité. Mais tout de même, comment comprendre que, chez un grand peuple comme le nôtre, sur un sujet aussi important, il n'y ait pas eu un seul débat contradictoire sur un quelconque média audiovisuel ? On n'a jamais pu, une seule fois, confronter nos points de vue ! Dès lors, comment savoir qui dit la vérité ?

Je l'admets, je peux me tromper et interpréter tel ou tel point de mauvaise façon.

M. Dominique Braye. C'est bien de le reconnaître !

M. Jean-Luc Mélenchon. Mais qu'on me le prouve le texte à la main !

Hélas ! le débat se résume à une simple juxtaposition de monologues, où personne ne répond à personne, où chacun récite continuellement la même litanie d'arguments, sans que l'opinion, si jamais elle s'intéresse à nos discussions, soit capable de dire qui a raison et qui a tort. Que peut-elle d'ailleurs comprendre à une matière aussi compliquée si ceux-là mêmes qui sont chargés de la lui rendre compréhensible et de l'éclairer par leurs contradictions ne le font pas ?

L'intérêt d'un débat, ce sont justement nos contradictions, ce sont elles qui redonnent toute sa signification à la souveraineté populaire, laquelle doit trancher entre les avis des uns et des autres.

De tout cela, nous avons été privés.

Voyons maintenant ce qu'il en est, toujours quant au fond, des prétendues avancées de ce texte en matière de démocratie.

On nous dit que le Parlement européen disposera de pouvoirs accrus et qu'il aura dorénavant le dernier mot.

Franchement, quel Parlement au monde ne peut repousser le budget qu'à la condition de réunir les trois cinquièmes de ses membres ? Où une telle règle existe-t-elle pour prendre des décisions, à part dans les groupuscules ?

M. Dominique Braye. Au Congrès !

M. Jean-Luc Mélenchon. Autre exemple : il est décrété que le Parlement n'aura aucune autorité sur l'organisation du marché intérieur et qu'il sera seulement consulté sur les règles de la concurrence. Voilà les « nouveaux pouvoirs » du Parlement européen. Immenses !

Quant aux parlements nationaux, de quels nouveaux pouvoirs disposeront-ils désormais ? J'ai dû, lors du débat la semaine dernière, en demander confirmation pour m'assurer que j'avais bien compris !

Les parlements nationaux pourront vérifier si le principe de subsidiarité est appliqué. Aujourd'hui, il faut être neuf pour le faire. Demain, il faudra être dix. Je parle du principe même de subsidiarité, et non du contenu ou de la possibilité d'amender quoi que ce soit. Il faudra qu'un tiers des parlements se mettent d'accord pour constater que ce principe n'a pas été respecté. Quel exploit ce sera ! Une fois ce constat effectué, ils transmettront leur décision à la Commission. À quoi cette dernière sera-t-elle obligée ? À rien ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.) La Commission aura la possibilité de modifier et d'amender, ou de maintenir telle quelle la décision concernée.

Ce que je dis n'est-il pas conforme au texte ? Mais, alors, qu'on vienne me démentir, en public, et le texte en main ! Que ne l'a-t-on d'ailleurs fait avant ? J'aurais peut-être changé d'avis ! Mais je n'ai jamais entendu une réponse précise et technique à cette question.

Enfin, on met en avant le nouveau droit offert aux citoyens de signer une pétition. Ce n'est pas moi qui vous dirai que signer et déposer une pétition n'est pas acte démocratique. Face à une institution, on veut croire qu'elle aura une suite. Mes camarades et moi-même avons d'ailleurs déposé récemment une pétition portant 120 000 signatures à l'attention du président du Congrès du Parlement, M. Accoyer. J'attends bien sûr de connaître la suite qui lui sera donnée avec l'intérêt que vous imaginez.

Là, il s'agit d'un droit de pétition européenne. La grande affaire ! Il existait déjà avant le traité constitutionnel lui-même. Mais aucun nombre minimum n'était précisément exigé. Désormais, c'est écrit : il faut être un million pour pétitionner. Quel grand progrès ! Nous voilà passés du droit de pétitionner à deux à l'obligation de pétitionner à un million ! Et pour obtenir quoi ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Rien du tout !

La Commission peut prendre en compte la pétition, à la condition que son contenu soit conforme aux traités, mais elle n'y est nullement obligée.

M. Dominique Braye. Heureusement ! Il ne peut pas y avoir d'injonction ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.)

M. Jean-Luc Mélenchon. Je le comprends parfaitement ! Je veux simplement souligner qu'il est abusif de présenter comme une nouveauté et même un progrès quelque chose qui existait déjà, qui n'a aucune espèce de conséquence et qui élève le droit d'accès de deux signataires à un million. Selon l'usage ordinaire du français courant, on ne peut pas appeler cela un progrès ! Le devoir de vérité m'oblige à le souligner.

Voyons encore un point délicat.

Le traité constitue une Commission qui gardera seule l'initiative des lois votées par le Parlement. Elle comptera moins de membres qu'il n'y a d'États dans l'Union européenne. J'entends bien les optimistes : on peut toujours supposer que chacun de ces membres sera immédiatement en charge, par une sorte d'onction qui lui viendra non pas du suffrage universel, mais de sa propre conscience, de l'intérêt général européen.

Pour autant, je ne vois pas comment l'intérêt général européen peut être formulé autrement que par le suffrage universel. D'ailleurs, plus globalement, comment l'intérêt général peut-il être formulé autrement ?

Mais j'en reviens au fait : il y aura moins de commissaires que d'États membres.

Certains se sont même réjouis de ce que la France y apparaîtrait dorénavant une fois tous les cinq ans, contre une fois tous les quinze ans avec l'ancienne règle.

Je vous demande de considérer qu'en certaines circonstances le résultat du « tourniquet » fera que les Français n'y seront pas. Pourtant, cela a été rappelé tout à l'heure, nous sommes l'un des peuples les plus nombreux d'Europe. Seules six nations comptent plus de 40 millions d'habitants. Mais, dans certaines circonstances, il n'y aura ni Français ni Allemand à la Commission !

Dès lors que les lois ne seront pas votées sous l'empire d'un Parlement fondé sur la légitimité du suffrage populaire, où chacun abandonne sa particularité, comme c'est le cas dans notre nation française et dans les autres, quelle sera la légitimité de ces lois, sachant que, de surcroît, deux des plus grands pays européens pourront être absents de l'endroit qui aura l'initiative de ces mêmes lois ?

Je le dis en ayant à l'esprit l'idée qu'en démocratie il n'y a pas d'autre autorité légitime que celle à laquelle on consent. Et l'on n'y consent et elle n'est légitime que parce qu'elle procède du souverain, c'est-à-dire du suffrage populaire. Tout le reste, c'est l'Ancien Régime ! Et, d'une certaine façon, nous y allons tout droit avec ce dispositif institutionnel !

Voilà les principales critiques que je souhaitais faire sur le contenu démocratique du texte.

Monsieur le secrétaire d'État, vous avez aussi affirmé que l'Europe serait dorénavant plus protectrice. Ô comme nous le voudrions ! Vous avez précisé, dans votre réponse aux orateurs de la discussion générale, que cette Europe nous protégerait contre les mouvements financiers erratiques de la planète.

M. Jean-Luc Mélenchon. Comment le nouveau traité sur le fonctionnement de l'Union européenne pourrait-il réussir ce prodige, sachant que son article 56, reprenant ainsi très exactement les termes de l'article III-156 de l'ancien projet de Constitution, précise que toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites ?

Où et comment commence la protection contre les mouvements financiers erratiques quand un article du traité précise, explicitement, qu'il ne doit être mis aucune barrière à la circulation des capitaux, alors même que cela constitue, nous le savons, la racine de la déstabilisation du monde ?

Dès lors, la question est de savoir non pas si la crise financière ravagera notre pays, mais quand elle le fera !

En outre, comment l'Europe pourrait-elle alors être plus protectrice si ce même traité sur le fonctionnement de l'Union européenne maintient les interdictions d'harmonisation sociale ?

En matière d'emploi, ces harmonisations sont interdites par l'article 129 du traité sur le fonctionnement de l'Union. Sur les politiques sociales et la protection sociale, elles le sont par l'article 137. Pour la politique industrielle, qui est pourtant essentielle dans les compétitions dont vous avez tous souligné l'importance au niveau mondial, par l'article 176 F. En matière de santé, par l'article 176 E. S'agissant de l'éducation et la formation professionnelle, par les articles 176 B et 176 C. En ce qui concerne la recherche et les technologies, par l'article 172 bis.

Tout bien pesé, ce traité est en retard d'une guerre.

On pouvait imaginer que le précédent méconnaissait l'état de tension du monde, le rôle des fluctuations financières, l'importance qu'il y avait à organiser à l'intérieur de l'espace européen un minimum d'égalité qui permette l'harmonisation fiscale, afin d'empêcher les peuples d'être dressés les uns contre les autres pour leur pain, pour leur dignité, pour leur travail. On pouvait l'imaginer, du moins si l'on avait une vision optimiste et euphorique de l'avenir du monde. C'était la thèse de la « mondialisation heureuse ».

Mais comment le croire aujourd'hui, quand toutes ces compétitions se déchaînent et que nous sommes témoins de leur violence implacable ?

Ce sont pourtant ces règles dépassées que le nouveau traité établit. Cela ne vous empêche pas - et je veux bien croire que ce soit de bonne foi - de venir à cette tribune dire votre espoir d'une Europe protectrice, votre volonté d'une Europe sociale et d'une Europe plus politique. Pourtant, vous vous apprêtez à voter un texte qui prévoit exactement le contraire et qui, loin de s'en contenter, interdit d'emprunter une autre voie. Un texte gravé dans le marbre ! Il ne pourra être modifié à l'avenir que dans les conditions qui étaient celles du traité constitutionnel, c'est-à-dire à l'unanimité.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin et M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !

M. Jean-Luc Mélenchon. Vous pouvez toujours prétendre le contraire, mais c'est la réalité ! Auparavant, nous étions six, puis douze, mais désormais nous serons trente. À quel prix l'unanimité sera-t-elle possible ?

J'en viens à présent au recul que nous devons prendre par rapport à l'histoirel'histoire.

J'ai critiqué l'autre jour à cette tribune la méthode actuelle de la construction européenne, ce qui m'a valu d'être contesté, d'une manière extrêmement courtoise et intéressante, par l'ancien Premier ministre, M. Raffarin, lequel m'a rétorqué qu'il y avait une continuité en la matière. Mais bien sûr ! Pour autant, ceux qui ne sont pas capables de voir que cette continuité n'exclut pas l'existence de seuils nient la vie elle-même, qui est précisément faite de transitions et de seuils.

L'Europe à six dans le monde de Yalta, l'Europe à douze dans le monde de Yalta, l'Europe à quinze dans le monde de Yalta, cela n'a rien à voir avec l'Europe à vingt-sept dans le monde d'après-Yalta !

L'Europe initiale n'a pas été faite pour autre chose que pour le monde de Yalta, parce que, dans ce monde, il n'y avait pas de place pour une guerre entre les Français et les Allemands. Il fallait donc prendre toutes les précautions nécessaires pour désamorcer les causes de tensions entre ces deux peuples, qui avaient déjà provoqué trois guerres.

Voilà ce qu'était la première Europe, et tout le monde ne l'a pas acceptée. En France, Pierre Mendès France s'était opposé au traité de Rome parce que ce dernier instituait comme arbitres suprêmes le marché et la libre concurrence.

M. Jean-Luc Mélenchon. Selon lui, c'était une tyrannie, car la société humaine, disait-il, ne peut être soumise qu'à la loi de la raison, dont la démocratie est le seul moyen. C'est dire que nos débats ont aussi leur continuité !

Lorsque le Mur est tombé, vous savez comme moi quels problèmes ont été immédiatement posés par la reconnaissance des frontières. C'est un fait historique. Nous autres les Français, nous avons posé comme condition à la réunification de l'Allemagne la reconnaissance de la ligne Oder-Neisse.

M. Jean-Luc Mélenchon. Nos amis allemands ont accepté : il leur a fallu un mois et demi pour le faire. Cela fait réfléchir.

Les permanences de l'Histoire sont à l'oeuvre. Je le dis, non pour que nous nous opposions les uns aux autres, mais parce que chaque génération doit réunir de nouveau les conditions de base de la paix. Et quelles sont-elles ? Quand il n'y a plus cette opposition que l'on appelait l'« équilibre de la terreur », qui maintenait la paix, qui nous obligeait, nous, à vivre en paix, quelle est la condition nouvelle de la paix ? C'est un bien mauvais choix que l'on fait que celui qui consiste à jeter les peuples les uns contre les autres dans la compétition pour le travail, pour le droit social, pour la fiscalité. Voilà bien les ressorts de la haine !

Mes chers collègues, j'espère de toutes mes forces me tromper. Mais tel que va aujourd'hui le monde, nous ne pouvons sous-estimer pas les risques de guerre. On ne peut pas jouer avec ces questions-là. !

Dans la vie des nations, la paix n'est pas l'état de nature. C'est une construction politique, et le premier devoir pour réussir cette construction politique, c'est de désamorcer les causes de guerre. Et la première cause de guerre, c'est l'opposition entre les peuples.

Chaque fois qu'une entreprise est délocalisée, nous semons de la méfiance, de la jalousie, parfois de la haine, et ainsi de suite.

Quand un pays prend l'avantage sur les autres parce qu'il réduit les droits sociaux et la fiscalité, cela ne crée aucunement de la conscience européenne.

Voilà ce que je veux dire modestement, à la place qui est la mienne, celle d'un parlementaire qui représente, me semble-t-il, une partie de l'opinion assez vaste pour que vous en ayez eu des échos jusque dans vos propres rencontres.

Le tournant qui a changé définitivement l'Europe a été pris avec l'élargissement, lequel a été mené dans des conditions qui m'ont conduit à m'abstenir ici même sur cette question. D'un seul coup, un seul, on a fait entrer dix nations dans l'Union européenne, sans approfondir les mécanismes de décision démocratique commune.

Puisque nous voulons être un contre-exemple par rapport à celui des États-Unis d'Amérique, dites-moi donc en quoi nous le sommes ! L'Union européenne est moins démocratique que les Etats-Unis ! La Banque centrale européenne est moins soumise au pouvoir politique que ne l'est la Réserve fédérale américaine !

M. Jean-Luc Mélenchon. Et je pourrais donner bien d'autres exemples !

Vu la manière dont elle fonctionne aujourd'hui, l'Europe n'est pas un contre-modèle : elle pire que le modèle !

De toute façon, en matière de politique étrangère, nous avons déjà dit que nous ferions comme les Etats-Unis, quoi qu'ils fassent, puisque nous nous inscrivons dans le cadre de l'OTAN, ce qui est également précisé dans le traité.

M. Dominique Braye. Quel cinéma !

M. Jean-Luc Mélenchon. Voilà ce que sont les conditions générales dans lesquelles nous construisons l'Union européenne.

Cela est totalement étranger à notre identité républicaine. Le Français se définit, non par une vision ethnique ou essentialiste de la nation, mais par son identité républicaine, à la suite de la grande Révolution de 1789, qui est notre contribution à l'histoire universelle. Nous pouvons en être fiers aussi de temps en temps, pour ne pas en rester au chemin selon lequel, chez nous, tout est mal et, chez les autres, tout est bien.

Les transferts de souveraineté ne sont pas un problème pour moi et pour mes camarades. Mais la souveraineté ainsi transférée ne peut être placée que sous un seul et unique souverain : le peuple, le suffrage universel.

C'est à ce prix que se dégagera un intérêt général européen. Il existe, et il se manifestera notamment en faveur de l'harmonisation fiscale et sociale. Mais cela se fera alors contre ces institutions et contre ces traités qui prétendent l'interdire.

Je ne souhaite pas ici jouer les Cassandre. Je veux seulement dire que, pour des Européens convaincus, qui mettaient leurs pas dans ceux d'un homme pour lequel j'avais et j'ai toujours une admiration immense, le président François Mitterrand, pour ceux qui, comme moi, ont voté le traité de Maastricht, une page se tourne.

Cet épisode est une rupture intellectuelle et affective. Cette Europe-là, celle du traité de Lisbonne, je n'ai rien à voir avec elle. Ce modèle de construction de l'Union européenne, à mes yeux, est définitivement hostile aux peuples.

Je vous mets au défi de me citer une seule mesure émanant de cette Europe qui soit conforme à l'intérêt des Français ou à l'intérêt des peuples !

Vous nous dites alors qu'il existe une Charte des droits fondamentaux. Mais citez-nous un seul de ces droits qui ne soit pas déjà connu et adopté par les Français ou qui soit supérieur à la législation française ! Citez-moi un seul de ces droits qui ne soit pas appliqué dans l'un des États membres de l'Union européenne ou dans l'un de ceux qui y entrent ! Car on ne peut pas entrer dans l'Union européenne si on ne reconnaît pas les droits de l'homme ! Et il n'y a pas un seul de ces droits fondamentaux qui soit différent de ceux proclamés par la Déclaration des droits de l'homme.

Tout cela, à mes yeux, c'est de la fumée !

Je vous prie de bien vouloir m'excuser si je m'emporte, mais cette voix de la passion, c'est aussi celle de l'amour d'une idée, l'idée républicaine.

J'achève sur un mot : vive la République européenne, si elle doit naître ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean François-Poncet, rapporteur. J'ai écouté avec beaucoup d'attention le plaidoyer passionné de notre collègue Mélenchon, dont j'ai admiré le talent oratoire, mais dont la dialectique m'a stupéfié.

En effet, il a donné à toutes les dispositions du traité des interprétations totalement personnelles.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non ! Pas du tout !

M. Dominique Braye. Sauf pour M. Dreyfus-Schmidt !

M. Jean François-Poncet, rapporteur. Je ne veux pas dire pas qu'il est le seul à penser cela, mais il s'agit tout de même d'interprétations personnelles !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce ne sont pas seulement les siennes !

M. Jean François-Poncet, rapporteur. Je ne répondrai pas à chacun de ses arguments, pour la simple raison qu'il me faudrait reprendre l'intégralité de mon exposé.

M. Dominique Braye. Non ! On a compris !

M. Jean François-Poncet, rapporteur. Au travers de cet exposé, j'ai présenté les dispositions du traité et expliqué l'interprétation que j'en faisais. À notre assemblée de décider si celle-ci lui convient ou non !

Manifestement, mon interprétation ne correspond en aucun point, sans exception, à celle de M. Mélenchon.

M. Jean François-Poncet, rapporteur. Je ne lui ferai donc pas de réponse exhaustive, car nous y serions encore demain matin !

Plusieurs sénateurs de l'UMP. Nous y sommes déjà !

M. Dominique Braye. C'est pour cela qu'il faut raccourcir le débat, monsieur le président !

M. Jean François-Poncet, rapporteur. Sur chacun de ces points, en effet, M. Mélenchon resterait sur sa position, et moi sur la mienne !

Je ne prendrai donc qu'un exemple.

M. Mélenchon nous a dit que les pouvoirs du Parlement européen n'étaient nullement accrus. Le Parlement européen aura pourtant un pouvoir législatif exactement identique à celui du Conseil européen. Je me souviens, pour ma part, de l'époque où son rôle était purement consultatif. Avec le traité de Lisbonne, qui donne au pouvoir législatif une extension aussi large que possible, nous sommes parvenus au terme de ce processus, sauf à aller plus loin en dépouillant les États de toute voix au chapitre en matière de législation européenne.

En matière budgétaire, le Parlement européen a désormais des pouvoirs égaux à ceux du Conseil des ministres, ce qui n'était pas le cas. Autrefois, le Parlement ne pouvait intervenir que sur les dépenses facultatives. Les dépenses obligatoires, parmi lesquelles figurait la politique agricole, lui échappaient. Désormais, il est sur un pied d'égalité avec le Conseil des ministres et, en cas de désaccord, s'il réunit une majorité des trois cinquièmes, c'est lui qui a le dernier mot.

Un sénateur de l'UMP. Absolument !

M. Jean François-Poncet, rapporteur. Le Parlement européen connaît donc une montée en puissance spectaculaire ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat rit.)

Vous pouvez toujours rire, madame Borvo, mais c'est la vérité ! Nous pouvons d'ailleurs l'observer dès à présent : le Parlement est devenu l'un des organes principaux, de l'Union européenne, et il en sera peut-être, dans l'avenir, l'organe principal.

Naturellement, on peut toujours prétendre le contraire et dire que ce sont des histoires, comme tout le reste !

Il y donc deux interprétations radicalement différentes du traité de Lisbonne sont entièrement, et je n'abuserai pas de la patience de mes collègues en défendant, sur chaque point évoqué par M. Mélenchon, une position exactement opposée,

Plusieurs sénateurs de l'UMP. Merci !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Monsieur Mélenchon, vous avez évoqué des questions importantes.

Je ne reviendrai pas sur celle du Parlement européen, sinon pour rappeler qu'en matière budgétaire, c'est seulement en cas de désaccord avec le Conseil des ministres qu'il doit réunir une majorité des trois cinquièmes, et s'il veut avoir le dernier mot. Dans tous les autres cas, les dispositions budgétaires sont votées à la majorité simple, comme le prévoit l'article 314 du projet de Constitution européenne.

M. Dominique Braye. Merci de le rappeler !

M. Jean-Luc Mélenchon. Seulement si le Parlement européen est d'accord !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Vous avez également évoqué un certain nombre de domaines précis.

On peut l'approuver ou non, mais je rappelle que nous intervenons dans l'élaboration des directives en matière de médicaments et de santé. Il faut trouver un équilibre entre la subsidiarité que vous souhaitez, monsieur le sénateur, pour les raisons que vous avez expliquées, et l'harmonisation qui doit être conduite au niveau européen.

En matière fiscale, sujet qui n'a pas été abordé, il est vrai que c'est toujours l'unanimité qui prévaut, mais cela ne date pas d'aujourd'hui. Mais le traité permet d'engager des coopérations renforcées dans ce domaine, sans que les autres États puissent s'y opposer. C'est donc à nous de les engager, si nous le voulons.

Je souhaite revenir sur un point fondamental : la continuité de la construction européenne et l'Europe à vingt-sept.

Je ne peux pas vous laisser dire que l'Union européenne était nécessaire du temps de Yalta, mais qu'elle ne l'est plus aujourd'hui, ...

M. Jean-Luc Mélenchon. Je n'ai pas dit cela !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. ... et qu'elle se justifiait surtout dans les relations entre la France et l'Allemagne.

Comme le disait le président Chirac, la paix demeure le premier objectif de l'Union européenne.

M. Jean-Luc Mélenchon. C'est ce que j'ai essayé de dire !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Dans son dernier discours, prononcé devant le Parlement européen, et auquel j'ai assisté, le président François Mitterrand ne disait-il pas : « Le nationalisme, ...

M. Michel Charasse. ... c'est la guerre ! »

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Exactement, Michel Charasse ! Et cela reste vrai.

Imaginez, monsieur Mélenchon, ce que serait ce continent si nous n'avions pas donné de perspective européenne aux pays qui nous ont rejoints ! Pensez-vous que les risques de conflit entre les populations seraient moindres, compte tenu des problèmes actuels liés aux minorités ? (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)

M. Dominique Braye. C'est évident !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Pourquoi croyez-vous que nous ouvrons cette perspective européenne aux pays des Balkans, si ce n'est pour éviter que les conflits ne dégénèrent ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Le maintien de la paix demeure le but ultime de l'Union à vingt-sept !

Pour toutes ces raisons, nous souhaitons le retrait ou, à défaut, le rejet de votre motion tendant à opposer la question préalable.

M. Dominique Braye. L'argument de M. Mélenchon a fait « Pschitt ! ».

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. Braye, la baudruche !

M. le président. Personne ne demande la parole ? ...

Je mets aux voix la motion n° 3, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 83 :

Nombre de votants 238
Nombre de suffrages exprimés 233
Majorité absolue des suffrages exprimés 117
Pour l'adoption 31
Contre 202

Le Sénat n'a pas adopté.

En conséquence, nous passons à la discussion de l'article unique.

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne, le traité instituant la Communauté européenne et certains actes connexes
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée la ratification du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne, le traité instituant la Communauté européenne et certains actes connexes, signé à Lisbonne le 13 décembre 2007, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. L'amendement n° 1, présenté par MM. Charasse et Mélenchon, est ainsi libellé :

I. - Au début de cet article, ajouter les mots :

Vu les décisions du Conseil constitutionnel des 19 novembre 2004 et 20 décembre 2007,

II. - Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

Tout acte européen de quelque nature que ce soit contraire aux décisions susvisées du Conseil constitutionnel est nul et de nul effet à l'égard de la France.

La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à cette heure avancée, je vais essayer d'être rapide, simple et un peu pédagogique, mais sans exagérer.

Comme l'ont rappelé plusieurs collègues tout au long de cette discussion, le Conseil constitutionnel a été préalablement saisi du traité de Lisbonne, comme il avait d'ailleurs été saisi en 2004 du précédent traité, dit « constitutionnel ». Les décisions qu'il a rendues les 19 novembre 2004 et 20 décembre 2007 ont fixé le cadre constitutionnel de l'action du Parlement et du Gouvernement.

Dans ces deux décisions, le Conseil constitutionnel a indiqué, en gros, que, si les institutions européennes jouaient normalement le jeu, la République ne pouvait être ni menacée ni mise en cause, pas plus que ses principes fondamentaux, notamment ceux qui interdisent le communautarisme ou qui touchent à la laïcité.

Ces points ayant été validés par deux fois par le Conseil constitutionnel et celui-ci ayant écarté toute modification de la Constitution à leur sujet, nous n'avons pas expressément modifié la Constitution sur ces questions en allant, lundi dernier, à Versailles.

Pour prendre position, le Conseil constitutionnel s'est notamment appuyé, outre, naturellement, le texte des deux traités, sur les explications données par le présidium de la convention qui a élaboré le traité de 2004. Or il se trouve que ces explications n'ont pas été confirmées par cette instance ou une autre avant la signature du traité de Lisbonne. On peut donc d'emblée se demander, bien que les deux textes des deux traités soient souvent voisins, si elles s'appliquent bien au second traité comme elles s'appliquaient au premier.

Mais la question qui se pose, mes chers collègues, puisque nous n'avons pas modifié la Constitution sur ces points - et c'est heureux ! -, est la suivante : que va-t-il se passer si un acte européen viole, volontairement ou non, les décisions du Conseil constitutionnel ? Je ne pense pas forcément à une décision de la Commission, du Conseil ou du Parlement - qui, à mon avis, y regarderont à deux fois avant de s'attaquer aux traditions constitutionnelles des États -, mais à une décision de justice. Or la justice européenne nous a appris, comme d'ailleurs la nôtre, et sans doute toutes les autres justices dans tous les pays du monde, à faire quelquefois peu de cas des textes eux-mêmes, quand elle ne s'assoit pas carrément dessus !

Nous nous trouvons donc, mes chers collègues, et pour les mêmes raisons, dans la même situation qu'en juin 1977, lorsque le Parlement a été saisi de l'autorisation de ratifier l'acte européen du Conseil relatif aux élections du Parlement européen au suffrage direct. Le Conseil constitutionnel avait alors dit que cette ratification ne posait pas de problème et que l'acte n'appelait pas de révision de notre Constitution, notamment parce que le Parlement européen n'appartient pas à l'ordre institutionnel français.

À l'époque, méfiant, le législateur avait estimé nécessaire de rappeler dans la loi d'autorisation l'existence de la décision du Conseil constitutionnel interdisant toute extension des pouvoirs du Parlement européen. Les chambres avaient même ajouté à la loi d'autorisation - c'est la seule et unique fois que cet événement s'est produit sous la Ve République - un deuxième article, pour préciser que « tout acte contraire à la décision du Conseil constitutionnel sur l'élection au suffrage direct était nul et de nul effet à l'égard de la France ».

Par conséquent, je crois nécessaire de prendre la même précaution, car l'autorisation parlementaire ne peut naturellement être accordée que si le traité est conforme à la Constitution. Or il ne le sera que dans la mesure où les deux décisions du Conseil constitutionnel seront strictement respectées.

La loi d'autorisation doit donc rappeler cette exigence, qui doit être prise en compte dans le consentement français au moment de la ratification.

Les choses sont simples. Ou bien, comme en 1977, nous faisons figurer l'interprétation du Conseil constitutionnel, qui valide le traité pour tout ce qui touche à la République dans la loi d'autorisation ; c'est ce que propose mon amendement. Ou bien je le retire si le ministre nous dit clairement que, lors du dépôt des instruments de ratification, la France rappellera que le traité ne peut lui être appliqué que pour autant que sa Constitution soit respectée. Elle rappellera aussi cette contrainte particulière : le Parlement français n'a donné son consentement à la ratification qu'après s'être assuré qu'il n'y avait pas de problème pour la préservation de la République « à la française » et les principes fondamentaux sur lesquels elle repose.

Tel est l'objet, monsieur le président, de l'amendement n° 1.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean François-Poncet, rapporteur. Largement admiratif de la démonstration de notre collègue, je me suis dit qu'avec son immense talent, j'allais presque dire son génie, il démontrerait n'importe quoi !

M. Michel Charasse. C'est facile à dire !

M. Jean François-Poncet, rapporteur. C'est un compliment que je cherchais à vous faire, cher collègue !

Vous ne vous étonnerez pas que je ne vous suive pas dans une argumentation que je ne suis d'ailleurs pas sûr d'avoir totalement saisie. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe).

Madame, j'ai des limites intellectuelles, c'est vrai, mais il vaut mieux les avouer !

Je m'en tiendrai aux observations suivantes.

À ma connaissance, l'émission de réserves relève de la compétence exclusive de l'exécutif, qui négocie et signe les traités.

M. Michel Charasse. Au sens international, oui !

M. Jean François-Poncet, rapporteur. J'ajoute que, concernant les traités communautaires, les réserves doivent, pour être valables, être émises au plus tard au moment de la signature du traité. Si elles ne l'ont pas été, elles sont nulles et non avenues du point de vue européen.

Je relève aussi - observation que, j'en suis sûr, M. Charasse balaiera -, que le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne stipule expressément que « l'Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres ». Cette disposition me suffit !

Par conséquent, d'une part, je ne crois pas que nous puissions émettre une réserve : le faire à ce stade n'aurait aucune portée sur le plan européen. J'estime, d'autre part, que le traité lui-même exprime très clairement ce qu'il y a à exprimer sur le sujet, rendant tout ajout inutile.