M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la ministre, je suis d'accord avec vous : le projet de loi renforçant les mesures de prévention et de protection des personnes contre les chiens dangereux aurait dû être débattu sans aucune polémique !

Cependant, force est de constater, comme je l'ai fait en première lecture, que ce texte est plus répressif qu'éducatif ou préventif.

J'en veux pour preuve l'article 8 bis, imposé par le Président de la République lors de la première lecture au Sénat, qui aggrave considérablement les sanctions pénales encourues par les propriétaires de chiens en cas d'atteintes involontaires à la vie et à l'intégrité de la personne.

Compte tenu du manque de moyens pour appliquer les mesures préventives, je pense qu'il ne restera finalement de votre texte que le volet répressif avec, notamment, cet article 8 bis, qui compte quatre pages - il convient de le souligner.

On ne retiendra de votre texte que l'aggravation des peines encourues, le juge unique, la remise à l'autorité administrative et le fichage de tous les propriétaires de chiens ! Quant à ses autres dispositions, elles n'auront servi qu'à habiller cette loi d'une prévention, qui restera toute théorique, pour mieux faire passer les mesures répressives.

Car, ne nous voilons pas la face, le volet préventif de votre projet de loi, à savoir l'attestation d'aptitude du propriétaire, l'évaluation comportementale du chien, ainsi que l'obligation introduite par l'Assemblée nationale d'obtention d'un permis de détention pour les propriétaires ou détenteurs de chiens de première et de deuxième catégories, se révélera très rapidement coûteux et complexe, donc difficilement applicable, inefficace, voire - plus grave encore ! - contre-productif.

Le dispositif que vous proposez est coûteux. En effet, la formation nécessaire à l'obtention d'une attestation d'aptitude et les visites chez le vétérinaire pour l'évaluation comportementale périodique, le tout à la charge du propriétaire, vont grever le budget des ménages, dont le pouvoir d'achat - faut-il vous le rappeler ? - est déjà fortement en baisse.

C'est un dispositif complexe. Il s'agit d'une véritable « usine à gaz », comme cela a été souligné à l'Assemblée nationale. Par exemple, la mise en oeuvre de la formation s'annonce difficile, voire incertaine, compte tenu du nombre de propriétaires visés par rapport au réseau susceptible de dispenser une telle formation.

Ce texte sera donc difficilement applicable, sauf bien sûr pour ce qui concerne son volet répressif, qui aura comme conséquences d'engorger les tribunaux, voire les prisons, et de multiplier les abandons d'animaux.

En termes de prévention de morsures, d'accidents graves ou mortels par attaque de chiens, votre texte sera inefficace et même contre-productif, ce qui, je le répète, est encore plus grave. Le remède risque en effet de se révéler pire que le mal. Je crains, par exemple, que l'obligation de formation ne marginalise in fine des propriétaires qui, faute de moyens, passeront dans la clandestinité, abandonneront leurs animaux ou les feront euthanasier.

S'agissant de l'obligation pour le propriétaire d'un chien ayant mordu de déclarer cette morsure au maire, je crains que l'on n'obtienne, là encore, l'effet inverse du but recherché et que, si elles ne sont pas mortelles et surviennent dans le cercle familial, les morsures soient passées sous silence à l'avenir.

Dès lors, vous pourrez vous targuer d'avoir réussi, grâce à votre loi, à faire baisser le nombre de morsures !

En outre, au-delà des propos de M. le rapporteur pour avis sur les chiens non « catégorisés », auxquels je souscris, j'ai tendance à penser que soumettre un chien qui a mordu à une évaluation comportementale ne relève pas de la prévention : c'est trop tard pour prévenir ; le chien en question a déjà mordu !

Finalement, ce texte restera marqué par la précipitation avec laquelle il aura été présenté et par les nombreuses lacunes qui découlent de cette impréparation. Vous avez mis « la charrue avant les boeufs » en présentant votre texte immédiatement après la survenue d'accidents horribles et surmédiatisés, sans avoir pris le temps de la réflexion.

Il aurait fallu commencer, par exemple, par prendre les décrets d'application de la loi de 1999, notamment en ce qui concerne la protection, la moralisation du commerce et les conditions de transport des animaux. Votre texte reste étrangement silencieux sur les élevages clandestins et les trafics d'animaux en provenance des pays de l'Europe de l'Est, dont on sait pourtant qu'ils favorisent le développement de l'agressivité chez les chiens par les mauvais traitements infligés : sevrage précoce et absence de socialisation, par exemple.

On estime à 100 000 le nombre de chiots importés plus ou moins légalement chaque année en France. Que prévoyez- vous, madame la ministre, pour renforcer le contrôle de l'importation en France de ces jeunes animaux alors que, dans le même temps, vous supprimez des postes de douaniers ?

Par ailleurs, nous continuons à débattre alors que les députés ont annoncé la création d'une mission d'information sur la filière canine. Allons-nous continuer à légiférer ainsi ? Ne gagnerions-nous pas en efficacité et en lisibilité en élaborant une loi d'ensemble sur la question des chiens dangereux, intégrant toutes les problématiques posées ?

Pourquoi se précipiter pour légiférer alors que, de toute façon, les mesures que vous proposez ne sont pas applicables immédiatement ? Certaines d'entre elles-mêmes n'entreront en vigueur qu'en 2009, voire en 2010, nous dit-on...

Allez-vous, madame la ministre, engager enfin une campagne de sensibilisation et d'information dans les médias afin, par exemple, de prévenir d'éventuels risques liés à la présence de chiens potentiellement dangereux dans les familles, dans les lieux publics, et de rappeler les obligations des propriétaires de chiens dangereux ?

Allez-vous, madame la ministre, débloquer des moyens en termes, notamment, d'équipes cynophiles suffisamment nombreuses, formées, compétentes, pour effectuer les contrôles préventifs indispensables à l'application effective des nouvelles obligations incombant, en particulier, aux propriétaires de chiens ou aux agents de surveillance ?

Allez-vous débloquer des moyens supplémentaires pour permettre aux maires, qui sont largement mis à contribution, de remplir toutes les nouvelles missions qui leur sont imposées par ce texte ? À toute mission supplémentaire, il faut une contrepartie financière de l'État.

De toute façon, je crains fort que ce texte ne fasse peser une très lourde responsabilité sur les maires et que leur responsabilité pénale ne soit engagée, dans certaines situations, en cas d'accident provoqué par un chien dans leur commune.

Alors que nous avons affaire à une question touchant l'ensemble de la société - l'on recense en France un peu plus de 8 millions de chiens et un chien dans un foyer sur trois -, le Gouvernement se décharge complètement du problème en la matière et fait peser sur les ménages et les collectivités territoriales le coût engendré par les mesures qu'il impose.

C'est une réforme qui ne vous coûte pas cher, puisque vous ne vous attaquez pas aux questions de fond : je pense notamment au démantèlement des trafics d'animaux, à la moralisation du commerce d'animaux et, bien sûr, aux moyens indispensables pour y parvenir.

Compte tenu de l'aggravation de ce texte depuis son dépôt sur le bureau du Sénat, j'ai présenté, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, quelques amendements tendant à supprimer les aspects les plus négatifs des dispositions qu'il contient.

Finalement, vous l'aurez compris, comme en première lecture et pour les mêmes raisons, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront contre ce texte.

M. le président. La parole est à M. Roger Madec.

M. Roger Madec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous abordons cet après-midi l'examen en deuxième lecture du projet de loi renforçant les mesures de prévention et de protection des personnes contre les chiens dangereux.

Comme nous l'avons dit au cours de la première lecture, ce texte est incomplet, car il ne résout pas le problème du statut de l'animal de compagnie dans notre société. Il aurait fallu saisir l'occasion de ce débat pour traiter ce sujet. Plus généralement, la question de l'organisation de la filière canine aurait dû être abordée. Une mission d'information parlementaire doit être créée à ce propos à l'Assemblée nationale, et je m'en félicite. Le présent texte se borne donc à prévenir les accidents domestiques.

Mme la ministre vient de nous le rappeler, le projet de loi s'articule autour de trois axes principaux : un volet préventif, une meilleure responsabilisation des propriétaires ou détenteurs de chiens et un renforcement des sanctions.

Je souhaite revenir brièvement sur les principales modifications apportées à ce texte au cours de la navette.

L'Assemblée nationale a introduit une disposition facilitant la récupération des frais de capture, de transport, de garde et d'euthanasie par le gestionnaire du lieu de dépôt. Les députés ont souhaité préciser ainsi que le gestionnaire du lieu de dépôt facture dorénavant directement au propriétaire les frais afférents.

Je rappelle que le groupe socialiste avait déposé un amendement tendant à introduire un article additionnel après l'article 1er et proposant la création d'un groupe de travail pour le contrôle des chiens dangereux au sein des conseils locaux de sécurité. Nous proposerons donc un nouvel amendement en ce sens, afin que des actions préventives soient menées au plus près du terrain.

Alors que le Sénat avait tenté, en première lecture, d'améliorer le projet de loi en y introduisant plusieurs dispositions, l'Assemblée nationale a supprimé ces dernières.

La création d'un observatoire canin en offre une première illustration. L'instauration de cet organisme indépendant permettrait pourtant de lever les incertitudes sur le nombre exact de morsures et de rassembler les données disponibles, mais disséminées auprès des divers partenaires. La masse d'informations collectées assurerait, en particulier, la mise en place d'une base de données crédible sur les cas d'agressions canines et leurs conséquences et favoriserait l'établissement de standards d'évaluation des morsures. C'est pourquoi nous proposerons, par voie d'amendement, la création de cet organisme.

Ensuite, l'Assemblée nationale n'a pas souhaité maintenir l'obligation d'évaluation comportementale des chiens. Si le critère de poids peut paraître contestable pour certains, il n'en demeure pas moins que l'évaluation comportementale des chiens potentiellement dangereux permettrait pourtant d'éclairer les futurs détenteurs sur le « mode d'emploi » du chien.

Ce système d'information, destiné à tout acquéreur d'un chien, aurait responsabilisé celui-ci et lui aurait apporté des conseils en matière de comportement et d'éducation.

Par ailleurs, l'article 2 bis A introduit par l'Assemblée nationale et tendant à créer un permis de détention de chiens dangereux n'est pas une solution pertinente. Nous avions proposé, pour notre part, d'organiser un système de formation destiné au propriétaire ou détenteur de chien, permettant ainsi de prévenir les risques en amenant le détenteur de chien à mieux appréhender son animal de compagnie.

L'Assemblée nationale a préféré instaurer un permis pour les chiens dangereux. Je le répète, cette distinction n'est pas bonne. En effet, tous les chiens d'une catégorie considérée comme dangereuse ne sont pas dangereux et des chiens de la deuxième catégorie, très bien élevés par leur maître, sont des animaux domestiques fréquentables. En revanche, des chiens n'entrant ni dans la première ni dans la deuxième catégorie sont parfois de véritables bombes à retardement. À mon sens, tout chien est potentiellement dangereux. Il faut donc savoir faire preuve d'un peu de discernement sans se focaliser sur certaines races qui peuvent impressionner par leur physique.

Imposer à ces maîtres la délivrance d'un permis paraît excessif. En effet, l'enjeu est bien celui des chiens « mordeurs » et donc potentiellement de tous les chiens.

Le fait que tout chien mordeur doive faire l'objet d'une évaluation comportementale était un élément de prévention. Je regrette que nos collègues de l'Assemblée nationale n'aient pas souscrit à cette analyse.

Créé en 1971 par arrêté ministériel, le fichier national canin, actuellement géré par la Société centrale canine, par délégation de service public du ministère de l'agriculture, a permis l'identification de millions de chiens. L'amendement adopté par l'Assemblée nationale n'apportera rien à un système qui fonctionne déjà très bien. Je me demande d'ailleurs ce que cet amendement vient faire dans le texte !

Vous me permettrez de revenir un instant sur les dispensaires de la Société protectrice des animaux, la SPA. Lors de l'examen en première lecture, il avait été convenu dans cette enceinte que l'article 12 ferait l'objet d'une nouvelle formulation. Fort de cet engagement, le groupe socialiste avait retiré un amendement sur cet article. Or je suis surpris de constater que ce dernier a été purement et simplement supprimé. Vous vous étiez engagée, madame la ministre, tant auprès de notre assemblée qu'auprès de la Confédération nationale des SPA de France, à présenter un amendement gouvernemental sur cette question. Qu'en est-il aujourd'hui ? Si rien ne vient de votre part, le groupe socialiste se trouvera dans l'obligation de déposer un nouvel amendement sur ce point. Je crains fort qu'un puissant lobby économique ne soit intervenu depuis notre première discussion.

Enfin, l'article 8 bis tend à introduire trois nouveaux articles dans le code pénal. Il illustre l'aspect critiquable de la « législation de fait divers ». En effet, il est clair que le texte qui nous réunit cet après-midi fait directement suite aux dramatiques accidents qui ont émaillé l'actualité à l'automne dernier.

Les peines que vous proposez sont très lourdes par rapport à celles qui sont encourues par les personnes qui dressent des chiens et les utilisent comme des armes par destination. Nous ne pouvons souscrire aujourd'hui à cette pénalisation excessive des propriétaires de chiens qui mordraient par accident.

Je terminerai, madame la ministre, en attirant votre attention sur des problèmes très préoccupants, comme celui de l'importation illégale de chiens sur notre territoire ou celui des élevages clandestins, qui constituent une source de fourniture de chiens dangereux. Éliane Assassi a bien mis le doigt sur ces problèmes. En effet, si la loi de 1999 a prévu des dispositions de protection, de moralisation du commerce ou du transport d'animaux, les décrets d'application n'ont jamais paru. Certes, madame la ministre, je vous accorde que vous n'en êtes pas responsable puisque vous n'étiez pas en fonction. Mais, maintenant, ces décrets devraient voir le jour.

Les professionnels sont dans l'attente d'une grande loi organisant l'ensemble de la filière canine. C'est globalement qu'il faut traiter ces problèmes de morsures.

Permettez-moi d'ajouter que, si ces morsures sont trop fréquentes, si les drames que j'évoquais tout à l'heure sont horribles, leur nombre ne dépasse tout de même pas la dizaine chaque année. Il faut donc se garder de dramatiser à outrance ce problème très préoccupant.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Les intéressés apprécieront !

M. le président. La parole est à M. Jacques Muller.

M. Jacques Muller. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, comme je l'ai fait lors de la première lecture, je tiens avant tout à souligner que mes pensées vont d'abord aux victimes de morsures de chiens et à leur famille. Nous ne pouvons légiférer sans avoir leur souffrance présente à l'esprit.

Toutefois, cette obligation de considération envers les victimes ne doit pas nous entraîner vers une dérive législative où la compassion, aussi naturelle fût-elle, prendrait le pas sur la raison et l'analyse.

En effet, nous devons aborder ce sujet dans sa toute sa complexité et, au-delà de nos couleurs partisanes, tout mettre en oeuvre pour produire une loi mesurée, juste et susceptible de répondre effectivement aux questions qui restent aujourd'hui posées .

Je salue la qualité des débats qui ont animé la Haute Assemblée lors de la première lecture du présent projet de loi. Nombre de nos collègues ont, par leurs remarques constructives et leurs propositions de qualité, enrichi la réflexion collective.

Je salue également le travail accompli, au nom de la commission des lois et de la commission des affaires économiques, par nos collègues Jean-Patrick Courtois et Dominique Braye.

Je relève également avec satisfaction que l'Assemblée nationale a permis une avancée sensible. En effet, les députés ont repris et adopté un amendement que mes collègues du groupe socialiste au Sénat et moi-même avions déposé en première lecture, sans qu'il soit malheureusement adopté. Il s'agit d'étendre l'obligation de déclarer un cas de morsure à tous les professionnels qui en auraient eu connaissance dans l'exercice de leurs fonctions.

Néanmoins, en dépit de la qualité du travail du rapporteur et des modifications positives apportées par nos collègues députés, je me vois hélas contraint de maintenir une série de critiques - des critiques constructives - à l'encontre des orientations et des effets de ce projet de loi.

Tout d'abord, je continue de déplorer le maintien de la catégorisation héritée de la loi de 1999. Comme l'ont fait remarquer en première lecture certains de nos collègues, sur différentes travées de l'hémicycle, cette catégorisation s'est montrée largement inefficace dans la prise en compte du phénomène des chiens mordeurs.

En effet, le texte issu de l'Assemblée nationale continue d'écarter de son champ d'application la majeure partie des chiens qui, selon les statistiques dont nous disposons, mordent le plus, sans relever pour autant des catégories dites « dangereuses », à savoir les catégories 1 et 2 : les labradors, les bergers allemands, etc.

Vous aurez compris qu'il nous faut retenir d'autres critères, plus objectifs, qui relèvent de la physiologie et de la morphologie animale, et pas seulement de la génétique. Sur ce point, M. le rapporteur pour avis et moi-même sommes sur la même longueur d'onde.

Bien sûr, hormis les cas de personnes qui utilisent leur chien comme une arme ou comme un instrument pour terroriser leur voisinage - certes, ils existent, mais ils demeurent statistiquement une exception -, la majeure partie des détenteurs de chiens de catégories 1 et 2 sont parfaitement responsables. À cet égard, je fais mienne la déclaration de notre collègue députée des Deux-Sèvres : « Tous les chiens d'une catégorie considérée comme dangereuse ne sont pas dangereux. »

Dans le même esprit, je tiens à saluer le travail constructif et totalement bénévole du Club français des amateurs de bull terrier, d'American Staffordshire terrier et de Staffordshire bull terrier, le CFABAS, et tout particulièrement de son président, M. Emmanuel Tasse. Cette association a constitué pour nous une source majeure d'études, de statistiques et de témoignages.

La deuxième critique qu'encourt à mes yeux le texte tel qu'il nous a été transmis par l'Assemblée nationale porte sur la persistance du déséquilibre entre ses dispositions répressives et ses dispositions préventives.

Toutes les politiques de sécurité se doivent de marcher sur deux jambes : la prévention et la répression. Malheureusement, dans le cas de ce projet de loi, celle de la répression demeure hypertrophiée par rapport à celle de la prévention.

L'exemple le plus patent en est la proposition du Gouvernement d'aggraver considérablement les sanctions pénales encourues en cas d'accident causé par un chien dangereux. Cette disposition, qui semble relever de la démocratie compassionnelle et correspondre au règne du « tout-répressif », ne règlera rien dans les faits.

Gardons-nous d'oublier que la plupart des morsures mortelles sont strictement accidentelles et ne sont pas le fait de chiens appartenant à des délinquants. Ces accidents peuvent survenir chez n'importe lequel d'entre nous, dans la famille proche, chez un voisin ou chez un ami. Manifestement, menacer d'incarcérer ces personnes pendant trois ou cinq ans ne résoudra pas la question des morsures de chiens.

Plus fondamentalement, je considère que le volet préventif de ce projet de loi est insuffisant parce qu'il ne tire pas suffisamment les leçons des pays qui ont réussi à faire réellement baisser le nombre de morsures de chiens.

En première lecture, je faisais déjà remarquer que, à l'étranger, c'était la mise en oeuvre d'une politique volontariste de prévention et de sensibilisation du grand public tout au long de la chaîne d'interactions avec le chien qui a fait reculer spectaculairement la fréquence des morsures, et non une politique prioritairement répressive, fondée sur la catégorisation génétique.

Plusieurs exemples avaient été évoqués. À Calgary, au Canada, l'action des éducateurs canins a permis de diviser par quatre en une dizaine d'années le nombre des morsures de chiens. En Australie, une étude relative à la prévention a montré que 80 % des enfants qui n'y ont pas été sensibilisés ont un comportement parfaitement inadapté, parce que spontané, vis-à-vis d'un chien.

C'est pourquoi, madame la ministre, j'appelle à mettre en oeuvre des campagnes de formation et de sensibilisation destinées au grand public, et plus particulièrement aux enfants. De telles campagnes de prévention existent déjà pour contribuer à la diminution du nombre des accidents de la route, de l'usage de drogues et pour la prévention des maladies cancéreuses.

En vue de conforter cette dimension préventive au sein du présent texte, je défendrai de nouveau, au nom de mes collègues du groupe socialiste, un amendement visant à créer un observatoire national du comportement canin. Cet amendement, qui avait été adopté à l'unanimité par le Sénat en première lecture, a été supprimé par l'Assemblée nationale, et ce contre l'avis de son rapporteur, Mme Vautrin.

Comme les sénateurs, Mme Vautrin avait soutenu la création de cet observatoire lors de l'examen du projet de loi, tant devant la commission des affaires économiques qu'en séance publique. En commission, elle avait déclaré que cet observatoire ne commencerait à fonctionner qu'après la réalisation de la mission parlementaire de l'Assemblée, ajoutant que ce point était convenu avec le Gouvernement.

La commission avait par ailleurs souhaité compléter le présent article afin d'inclure le ministère de la santé dans la liste des ministères auprès desquels l'observatoire serait appelé à travailler, et notre amendement reprend cette proposition constructive.

Si nous voulons démontrer notre volonté de traiter avec pragmatisme la question des morsures de chiens, au-delà des simples considérations médiatiques, nous devons améliorer le volet prévention du présent projet. Dans cette optique, il nous faut créer, à l'instar de nombreux pays qui ont manifestement réussi à cet égard, un organisme national du comportement canin. De tels observatoires apparaissent, à l'expérience, comme le socle incontournable de politiques permettant de réduire de façon drastique le nombre des morsures de chiens.

Heureux de pouvoir apporter ma contribution à notre réflexion collective, je vous remercie de votre attention.

(Mme Michèle André remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne m'appesantirai pas sur ma réponse à ceux d'entre vous qui sont intervenus au cours de la discussion générale puisque, au cours de l'examen des amendements, j'aurai l'occasion de revenir sur nombre de sujets qu'ils ont abordés. Néanmoins, je ferai quelques remarques d'ordre général.

Certains, comme Mme Assassi ou M. Madec, me disent qu'il serait sans doute préférable de ne rien faire ou, en tout cas, qu'il ne fallait pas se précipiter pour légiférer. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Je pose simplement une question : les parents des enfants qui ont été mordus ou tués et les personnes qui vivent à proximité de chiens dangereux ou qu'elles considèrent comme tels approuveraient-ils notre inaction ? Certes, il existe déjà une législation en la matière, mais celle-ci a démontré ses limites et son inefficacité dans le cadre de la vie quotidienne. J'ai d'ailleurs pris soin de rappeler tout à l'heure le contexte dans lequel ce texte était examiné.

Oui, il était urgent de légiférer. Peut-être même aurions-nous pu répondre plus rapidement aux inquiétudes de nos concitoyens. Ce texte, qui vous est soumis aujourd'hui en deuxième lecture, a nécessité plusieurs mois de travail commun. J'ai choisi de ne pas demander l'urgence pour permettre une discussion, qui, comme l'ont souligné les rapporteurs, a été amplement mise à profit au sein de chacune des deux assemblées et entre celles-ci.

Je le répète : il était urgent de légiférer sur cette question parce qu'il y a un vrai problème.

M. Dominique Braye, rapporteur pour avis. C'est vrai !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Ainsi, les chiens dangereux sont de plus en plus nombreux dans certaines cités, où l'on observe des accidents. Sans doute ceux-ci sont-ils peu fréquents, mais ils touchent à l'intégrité d'un certain nombre de personnes, notamment des personnes fragiles.

Mesdames, messieurs les sénateurs, si notre responsabilité politique ne consiste pas à traiter les problèmes de nos concitoyens, notamment les plus fragiles, alors je me demande bien en quoi elle consiste ! Oui, je revendique l'honneur d'avoir présenté devant les assemblées un texte qui a pour but de protéger nos concitoyens. C'est mon devoir en tant que ministre de l'intérieur ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Et je n'admets pas que certains, pour des raisons purement polémiques, madame Assassi, viennent nous reprocher d'avoir simplement osé légiférer.

En tant que responsables politiques, nous nous devons d'être à l'écoute de nos concitoyens les plus en difficulté, de ceux qui souffrent le plus.

Je conçois qu'on m'objecte le coût de la mise en oeuvre de certaines des mesures contenues dans ce projet de loi, notamment celles qui ont trait à la formation ou à l'évaluation comportementale. Mais elles sont un élément de responsabilisation des propriétaires de chien. Car on ne peut sérieusement considérer que la possession d'un chien, de surcroît un chien d'un certain gabarit ou un chien dangereux, relève du simple amusement et n'implique pas une responsabilité. Cela, il est bien de notre devoir de le dire.

Comment pourrais-je ne pas écouter aussi ce que nous disent les parents de jeunes enfants qui se plaignent de la présence d'un chien dangereux dans leur voisinage ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Absolument !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Si l'on n'est pas à l'écoute de ces gens, madame Assassi, on ne remplit pas son rôle de responsable politique.

Notre rôle consiste avant tout à répondre à ceux qui demandent à être rassurés. À cet égard - et c'est bien le sens de ce texte -, il est important d'apporter une réponse en termes de prévention. Mais que serait la prévention sans la sanction ? En tant que juriste, je sais qu'une loi dont le non-respect n'est assorti d'aucune sanction, par conséquent une loi qu'on peut enfreindre sans conséquence, n'est pas une loi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, si nous voulons que la loi soit respectée dans notre pays, il faut que ceux qui ne la transgressent sachent qu'ils en subiront les conséquences. Il est de mon devoir de le dire et il est du devoir du législateur d'y veiller. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

Monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, je voudrais vous remercier non seulement du travail que vous avez accompli, mais surtout de l'excellente coopération que vous avez su instaurer entre les commissions du Sénat et de l'Assemblée nationale. Cette coopération a sans doute largement contribué aux améliorations très notables apportées en première lecture, notamment par le Sénat, améliorations tant sur la forme que sur le fond.

Grâce à votre travail et à celui des députés, ce texte sera plus concret, plus pratique, plus facilement applicable.

J'ai communiqué les projets de décret. D'aucuns me reprocheront, là encore, d'être allée trop vite. Mais, si je ne l'avais pas fait, on m'aurait accusée d'avoir été trop lente !

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Eh oui !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Quoi qu'il en soit, j'ai toujours eu à coeur d'assurer la plus grande transparence possible, notamment à l'égard de la Haute Assemblée. Ainsi, il est possible de débattre de la totalité des mesures qui sont prises et de donner une meilleure visibilité à nos futures actions.

Le contenu de ces projets de décret dépendra aussi du texte définitif, et vous serez sans doute amenés à revenir sur un certain nombre des propositions qui ont été adoptées par l'Assemblée nationale. C'est la fonction du débat parlementaire !

M. Dominique Braye, rapporteur pour avis. C'est vrai !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Madame Assassi, d'après vous, ce texte serait plus répressif que préventif. Je le répète, je ne connais pas de texte qui soit purement préventif, qui ne prévoie aucune sanction. Si ces mesures peuvent être sévères, c'est à dessein : nous voulons surtout qu'elles soient dissuasives.

La polémique aboutit souvent à proférer des contrevérités, et vous en avez énoncé quelques-unes, affirmant en particulier que l'on mettrait la charrue avant les boeufs en légiférant après les accidents. J'ai plutôt l'impression que nous avons malheureusement mis la charrue après les boeufs, c'est-à-dire après l'accident. Il est donc de mon devoir d'aller le plus vite possible pour éviter d'autres accidents.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous rappelle que, depuis l'examen en première lecture de ce texte, plusieurs accidents se sont produits, dont un mortel,...

MM. Jean-Patrick Courtois, rapporteur, et Dominique Braye, rapporteur pour avis. Hélas !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. ...et que, si ce texte avait été appliqué, sans doute ce tragique événement ne serait-il pas survenu.

J'ajoute, madame Assassi, que ce texte a fait l'objet d'une large concertation avec tous les professionnels concernés.

Par ailleurs, vous indiquez que le renforcement des contrôles à l'importation ne serait pas envisagé. Je vous répondrai, d'une part, que M. Éric Woerth a renforcé les mesures prévues à cet égard et, d'autre part, en ce qui concerne la moralisation du commerce des animaux, dans le cadre des « Rencontres Animal et Société » organisées par le ministère de l'agriculture à la demande du Président de la République, qu'une première réunion relative à « l'animal dans la ville » a lieu en ce moment même.

Comme quoi, quand on veut faire de la polémique, il faut veiller à se tenir au courant de ce qui se passe !

Monsieur Madec, vous avez repris ce que vous nous aviez dit au cours de la première lecture, s'agissant notamment de l'intérêt qu'il y aurait à ce que la loi prévoie des groupes de travail sur les chiens dangereux au sein des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance. Je le rappelle, ces conseils locaux peuvent tout à fait créer de tels groupes, et sans qu'il soit utile de légiférer en la matière. Il est donc inutile de revenir sur ce point, d'autant que de tels groupes de travail non seulement autorisés, mais même recommandés.

Monsieur Madec, vous me permettrez de rectifier également vos propos : je peux vous dire que tous les décrets d'application, aussi bien ceux de la loi du 6 janvier 1999 que ceux de la loi du 5 mars 2007, ont d'ores et déjà été pris.

Vous évoquez la dérogation donnée aux dispensaires de la SPA pour acquérir les médicaments. Je vous signale que ce qui se fait aujourd'hui résulte d'un consensus entre les vétérinaires et les associations de protection animale. C'est la raison pour laquelle la disposition que vous aviez évoquée en première lecture n'a pas été retenue par l'Assemblée nationale. Cela étant, cette question relève d'une loi sur la pharmacie vétérinaire.

Monsieur Muller, vous avez insisté sur le volet préventif et sur la sensibilisation des enfants ou des personnes vulnérables. Il est évident que leur protection est l'objet même de ce projet de loi. Cette information sera faite à partir du moment où la loi aura été promulguée, puisque c'est à ce moment-là que l'on pourra s'appuyer sur ce texte pour mettre en garde contre un certain nombre de comportements.

Nous n'avons donc nullement oublié cet aspect des choses. Simplement, vous conviendrez avec moi qu'une campagne d'information ne saurait être prévue dans la loi. Il n'en demeure pas moins que, comme je m'y étais engagée, toutes informations utiles seront diffusées en ce sens.

Nous reviendrons, lors de la discussion des amendements, sur la question d'un observatoire du comportement canin, mais vous avez certainement pris connaissance du débat qui a eu lieu à ce sujet à l'Assemblée nationale.

Au total, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis honorée d'avoir défendu ce texte devant vous. Je remercie très chaleureusement chacune et chacun de ceux qui permettront de l'améliorer. Soyez-en assurés, en adoptant ce texte, non seulement vous favoriserez la protection des personnes les plus fragiles, mais surtout vous promouvrez une action conforme à l'honneur du législateur ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)