M. Jacques Valade. Il faut faire payer les étudiants étrangers, alors !

M. Serge Lagauche. On peut aussi opter pour un système de gratuité pour des jours ou des heures ciblés : c'est l'option retenue depuis plusieurs années par de nombreuses institutions.

Je reviendrai quelques instants sur les problèmes de financement de la gratuité d'accès aux musées. À ma connaissance, aucune action dans le projet de budget pour 2008 ne prend en charge le coût de l'opération. J'ai, hélas, compris que l'État renonçait à assumer ses responsabilités à l'endroit des musées !

L'érosion constante des crédits destinés au patrimoine et aux musées depuis 2003, qui ne laisse pas de me préoccuper, ne permet pas d'espérer un seul euro budgétaire pour compenser les millions d'euros nécessaires au financement de l'expérimentation.

Madame la ministre, vous allez me répondre, je suppose, que la plupart des musées nationaux ayant accédé au statut d'établissement public à caractère administratif, il leur revient de prendre en charge le financement de la gratuité.

L'autonomisation de ces établissements, décidée sous la précédente législature, les contraint à développer une politique de rentabilité au détriment d'une politique de démocratisation de ces institutions.

Ainsi assiste-t-on, dans les grandes institutions, à une politique mettant en oeuvre une hausse très souvent déraisonnable des billets des expositions - 11 euros pour certaines expositions temporaires à la National Gallery de Londres, déjà 8,50 euros pour l'accès aux seules expositions temporaires du musée du quai Branly, 9 euros au Petit Palais -, des tarifs des cafétérias et à une diversification des tâches premières muséographiques, notamment la location d'espaces dans l'enceinte du musée pour des activités n'ayant que peu de rapport avec les collections présentées.

Je rappelle que, poussé dans cette logique de rentabilité, le Louvre a supprimé en 2004 la gratuité ciblée pratiquée de longue date envers des publics spécifiques particulièrement concernés par l'activité muséographique : les enseignants, sauf ceux qui accompagnent un groupe scolaire, et les artistes.

Quant aux étudiants de l'École du Louvre, ils sont désormais sommés de bien vouloir donner quelques heures de leur temps libre en gardiennage du musée, comme contrepartie à la gratuité d'accès accordée.

Est-ce ainsi que l'on permet aux enseignants de préparer dans de bonnes conditions les visites destinées à former leurs élèves et aux artistes de se pénétrer des oeuvres des grands maîtres ?

J'aborderai une dernière question. L'accès gratuit aux musées engendre une économie potentielle pour le visiteur ; celui-ci reporte-t-il l'économie ainsi réalisée sur un autre bien ou sur un autre service de l'économie culturelle ou touristique ?

De l'avis des économistes de la culture, il est extrêmement difficile de mesurer le report de l'économie réalisée sur le prix d'un ticket d'entrée au musée vers les investissements dans d'autres produits ou services de l'économie touristico-culturelle : restaurant, achat de produit dérivé à la sortie du musée. Il n'est donc pas certain que l'économie culturelle soit bénéficiaire de l'instauration de la gratuité dans les musées.

La gratuité ne fait donc pas tout pour la démocratisation de l'accès aux grands musées ; elle ne constitue pas une fin en soi d'éducation à la culture.

Le coût de cette politique est loin d'être anodin pour l'État et les collectivités, et celle-ci s'effectue souvent au détriment d'autres actions culturelles.

Les expériences menées depuis plusieurs années ne permettent de tirer aucune conclusion hâtive. Néanmoins, s'il fallait s'engager dans une politique cohérente de gratuité, compte tenu des difficultés de financement et du manque de certitude sur les publics bénéficiant réellement de cette démocratisation, je pense que l'on pourrait exploiter plusieurs pistes telles que le recours amplifié aux nocturnes, la réduction des tarifs pleins, qui sont souvent très chers  - 9 euros au musée du Louvre, 8,50 euros au musée du quai Branly, 8 euros au musée des Arts décoratifs -, l'instauration de forfaits permettant l'accès illimité au musée pendant une période donnée, éventuellement courte.

M. Jacques Valade. Cela existe !

M. Serge Lagauche. Surtout, il faut de toute urgence consacrer un réel budget au développement de l'éducation artistique dès l'école primaire, et ainsi favoriser un goût précoce pour les arts et les pratiques culturelles.

Ces politiques permettraient de poursuivre et de généraliser les efforts entrepris depuis une dizaine d'années ici et là en France, et de répondre aux exigences exprimées par l'UNESCO il y a plus de quarante ans ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Bordier.

M. Pierre Bordier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer l'initiative du président Jacques Valade, qui nous a permis d'ouvrir un débat passionnant sur l'expérimentation de la gratuité dans les musées et sur l'accès de tous à la culture.

Depuis une vingtaine d'années, les musées connaissent un regain d'intérêt du public. On a même pu parler d'une « fièvre des musées », s'expliquant par la rencontre de plusieurs éléments : l'essor du tourisme, la modernisation des musées, qui ont donné d'eux-mêmes une nouvelle image, grâce au développement d'une plus grande diversité d'activités culturelles, pédagogiques et commerciales.

Les programmations événementielles et les opérations telles que La Nuit des musées ont également contribué à cette évolution très positive.

En 1985, 9 millions de personnes visitaient les musées nationaux. Cette fréquentation est passée à 15 millions de visiteurs en 2002 et à près de 24 millions de visiteurs en 2007. Elle a augmenté de 8 % en 2007 par rapport à 2006.

On a pu penser que cette embellie s'accompagnait d'une diversification des publics. Cependant, les analyses de statistiques de fréquentation ont fait tomber bien des illusions sur ce point.

En effet, on assiste à une intensification des rythmes de visites des publics en place plutôt qu'à la conquête de nouveaux publics. Le chiffre de fréquentation de publics en difficulté sociale reste désespérément bas. Or les musées constituent un formidable outil d'éducation populaire, qui participe à la lutte contre les inégalités, l'exclusion et l'isolement. Comme le disait André Malraux, « le musée est un des lieux qui donnent la plus haute idée de l'homme ».

L'accès à la connaissance, à l'éducation, au plaisir de la découverte des oeuvres doit être ouvert au plus grand nombre. Il faut donc étudier l'ensemble des voies possibles pour donner aux musées toute leur place dans une politique de démocratisation culturelle.

Je me réjouis que le Gouvernement, conformément aux engagements figurant dans le projet présidentiel, ait décidé de trouver des solutions pour attirer de nouveaux visiteurs vers l'art et la culture.

Dans un premier temps, celui-ci souhaite évaluer l'impact de la gratuité sur la fréquentation des musées nationaux. Cette expérimentation se justifie au regard des politiques menées par nos voisins : plusieurs pays, dont le Royaume-Uni, ont choisi depuis quelques années de rendre leurs musées gratuits pour tous.

La gratuité des musées est un sujet complexe, qui suscite, à juste titre, un vaste débat. La gratuité peut-elle suffire à attirer de nouveaux publics ? Quels avantages et quels inconvénients présente-t-elle ? Ne risque-t-elle pas de bouleverser l'équilibre financier des musées ?

Par ailleurs, peut-on appliquer la gratuité à l'ensemble des musées nationaux alors qu'ils diffèrent les uns des autres par leur taux de fréquentation, la nature de leur public ou le poids de leurs recettes ?

J'ai bien noté, madame la ministre, votre volonté de tenir compte, dans cette expérimentation, de la diversité des musées français puisqu'un double dispositif a été mis en place : l'accès totalement gratuit aux collections permanentes de dix musées à Paris et en province, et l'accueil gratuit des jeunes de 18 à 26 ans, un soir par semaine, dans quatre grands musées parisiens.

La question de la gratuité doit, en effet, être traitée différemment selon le type de musée : musée de province ou grand musée à forte popularité internationale. Les jeunes représentent un public spécifique.

Je souhaite évoquer les premiers résultats de l'expérimentation, communiqués en février. Les chiffres montrent une augmentation de la fréquentation, avec une hausse de 50 % sur les dix musées et de 100 % sur les quatre grands musées parisiens.

Cependant, il est encore trop tôt pour savoir si la gratuité a attiré de nouveaux publics. De plus, les premiers chiffres sont à relativiser puisqu'ils ne laissent en rien présager le comportement des visiteurs sur la durée.

J'évoquerai donc les études antérieures puisque la gratuité, d'abord prévue au musée du Louvre pour le premier dimanche de chaque mois, a été étendue en 2000 à l'ensemble des musées nationaux. Cette mesure a augmenté notablement la fréquentation de ces musées.

Mais l'on n'a pas vu clairement dans cette hausse de la fréquentation la traduction d'un élargissement des publics. Il semble que l'offre de gratuité touche surtout le public déjà habitué à fréquenter les musées. Une enquête du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie, le CREDOC, concernant les dimanches gratuits du musée du Louvre, confirme la faible évolution de l'origine sociale des visiteurs ce jour-là.

De même, une étude dirigée en 2007 par le département des études, de la prospective et des statistiques vient renforcer ce sentiment : selon les conclusions de cette étude, la gratuité ne crée pas l'envie de consommer de la culture, et moins encore pour ceux qui n'ont pas connu d'expériences satisfaisantes en la matière.

Malheureusement, la gratuité risque de n'apporter qu'une réponse partielle à la question de l'élargissement des publics. Nous nous trouvons face à une problématique plus complexe qu'il n'y paraît. Il me semble que le problème doit être pris sous un autre angle.

Pour les publics les plus défavorisés, les populations immigrées ou les jeunes habitant dans des quartiers difficiles, le musée est un lieu ennuyeux et sans vie, qui fait partie d'un autre monde. Même sans appartenir à un milieu très défavorisé, nombreuses sont les personnes qui voient dans le musée un sanctuaire destiné à ceux qui disposent déjà d'une culture artistique. Accorder la gratuité ne peut modifier cet état d'esprit.

La familiarisation avec les musées doit commencer dès l'école, la France ayant un véritable retard à rattraper en matière d'enseignement, de sensibilisation et de pratiques artistiques en milieu scolaire.

L'action que vous menez, madame la ministre, avec M. Xavier Darcos, en mettant en oeuvre un plan gouvernemental de développement de l'éducation artistique et culturelle, peut être déterminante pour donner l'envie aux jeunes de pousser la porte des musées.

Suivant les préconisations du rapport Gross de décembre dernier, vous prévoyez, notamment, la fréquentation des institutions culturelles par le public scolaire et un enseignement de l'histoire des arts depuis le primaire jusqu'au lycée ; je tiens à vous féliciter de cette initiative.

Pour tous ceux qui n'ont plus l'âge d'aller à l'école, l'action menée par les musées est essentielle. Je pense, par exemple, aux tarifs préférentiels, à la présence de guides, à l'aide à la visite et à l'information des visiteurs.

Le recours aux nocturnes a déjà montré son efficacité pour attirer des publics qui apprécient de pouvoir visiter ces lieux autrement ou qui n'ont pas le temps de venir à d'autres moments.

Diverses pistes sont à explorer, tels les billets permettant de revenir pendant une période déterminée ou donnant l'accès à d'autres lieux culturels, l'organisation de journées exceptionnelles et de manifestations dans et hors de l'enceinte des musées. En modifiant l'offre, on peut peut-être modifier le profil du visiteur.

Par ailleurs, la gratuité représente un coût considérable. Il est nécessaire d'évaluer ce coût et d'étudier toutes les conséquences financières qui découleraient du choix d'une gratuité plus ou moins élargie.

Les musées connaissent des frais importants de conservation, de restauration, de publication, d'une part, et des frais de fonctionnement, d'autre part.

Le Gouvernement pourra-t-il faire le choix de la gratuité dans un contexte budgétaire contraint ? En outre, n'est-il pas regrettable de laisser échapper les recettes du tourisme ? Les touristes ne sont pas les publics que nous voulons atteindre, mais ils seront les premiers à profiter de la gratuité.

Enfin, comme l'a souligné le président Jacques Valade, peut-on réellement prévoir les effets de la concurrence entre les musées gratuits et ceux dont l'accès restera payant ?

Il faut également s'interroger sur le concept même de gratuité.

Madame la ministre, vous luttez contre le piratage et l'image donnée par Internet d'un accès libre et gratuit aux oeuvres culturelles. Cette lutte passe par toute une pédagogie en direction du public, notamment les jeunes, afin qu'il reconnaisse que l'accès à une oeuvre musicale ou cinématographique a un coût. Pourquoi adopterait-on un autre discours en ce qui concerne l'accès aux musées ?

Je me réjouis qu'avec l'avis favorable du Gouvernement la commission des finances du Sénat ait prévu, lors de la discussion du projet de budget pour 2008, la remise d'un rapport dans les neuf mois, associant ainsi les parlementaires à l'analyse des résultats de l'expérimentation. Ce rapport précisera les coûts de l'expérimentation pour les établissements concernés, ainsi que la composition du public accueilli.

Notre débat d'aujourd'hui montre, me semble-t-il, que les réponses à apporter sont multiples et que le sujet exige une très large réflexion.

Comme vous l'avez souligné lors de votre présentation du dispositif au musée national du Moyen Âge, madame la ministre, nous rêvons tous d'attirer plus largement les publics vers les lieux de culture, de leur donner envie d'en pousser les portes.

Notre groupe salue votre détermination à mener à bien ce projet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ivan Renar.

M. Ivan Renar. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, mes chers collègues, je me réjouis que soit en cours un débat sur l'expérimentation de la gratuité des musées. C'est un débat nécessaire sur un sujet très important qui suscite, comme vous le savez, des avis et des analyses parfois très tranchés, car c'est aussi une question de passion pour des dizaines de milliers de professionnels de la filière.

C'est pourquoi il me semble essentiel que la représentation nationale puisse revenir sur cette question culturelle sensible à l'issue de cette expérimentation, afin d'en tirer tous les enseignements en connaissance de cause, en ne perdant jamais de vue que la plupart des musées français relèvent d'une compétence municipale et, donc, de la politique culturelle et sociale des communes.

Cela dit, qui pourrait se prononcer contre la gratuité, ne serait-ce que pour des raisons de justice sociale ? Pour autant, les choses sont complexes. Aujourd'hui, le concept de gratuité est très en vogue, dans le domaine de la culture en particulier, madame la ministre, avec des fortunes diverses : la banalisation des journaux gratuits, par exemple, au détriment de la presse écrite fait peser des menaces graves sur le pluralisme et la démocratie. En revanche, la gratuité de la musique et du cinéma sur le Net est mise hors-la-loi sans que soient pour autant recherchées de nouvelles alternatives économiques plus favorables aux artistes et en phase avec les nouvelles pratiques.

N'est-il pas paradoxal de vouloir combattre la gratuité sur le Net et d'accepter en même temps sa banalisation dans d'autres domaines ?

Alors que la billetterie constitue une ressource décisive pour de nombreuses institutions, voilà que le Président de la République souhaite que les musées soient gratuits ! Pourtant, l'on nous explique que les caisses de l'État sont vides et l'on impose un budget d'austérité au ministère de la culture !

De plus, n'est-il pas surprenant de constater que ce qui était gratuit car relevant du service public - l'accès aux soins, par exemple - devrait devenir payant quand ce qui était payant deviendrait gratuit ? Cela ne conduit-il pas à la confusion et à un renversement des valeurs ?

Et que signifie exactement « gratuit » ? Qui finance ? Dans le cas des journaux, on le sait, c'est la publicité. Donc, ce sont les consommateurs qui, en définitive, paient. On le constate, trop souvent, la gratuité n'est qu'un trompe-l'oeil, avec toujours, en bout de course, quelqu'un qui doit bourse délier.

Le principe de la gratuité des musées peut paraître séduisant de prime abord, mais il a un coût. Au-delà d'hypothétiques compensations de l'État, qui va financer les nouveaux gardiens, guides-conférenciers, médiateurs culturels, pour accompagner la montée en puissance envisagée ? On peut légitimement craindre que les collectivités locales ne soient de nouveau mises à contribution, la plupart des établissements étant municipaux.

Or à qui profitera le libre accès aux musées ? Plusieurs études montrent d'ores et déjà que la seule gratuité n'élargit guère l'accès au musée, en particulier du public le plus profane, alors que celui-ci doit être le premier bénéficiaire de cette mesure.

C'est pourquoi de nombreux professionnels ont une nette préférence pour une gratuité ciblée et une politique tarifaire modulée telle qu'elle est souvent pratiquée par de nombreuses institutions. Car à qui doit bénéficier cette gratuité ? Aux tours-opérateurs et aux touristes ? Aux habitués des musées ou à de nouveaux publics pour lesquels des actions de sensibilisation spécifiques sont primordiales afin de les inciter à en franchir le seuil ? Car, même avec la gratuité, aller au musée n'est pas donné à tout le monde ! Il n'y a pas que les enfants qu'il est nécessaire de prendre par la main !

On sait très bien que l'accroissement des inégalités sociales renforce la fracture culturelle La combattre passe par une énergique politique de démocratisation et donc aussi, et peut-être d'abord, par la généralisation de l'éducation artistique à l'école et l'instauration à tous les niveaux de l'enseignement de l'histoire de l'art. Les études montrent que les enfants qui ne vont pas au musée pendant leur scolarité ne les fréquentent pas davantage à l'âge adulte.

On le constate, la gratuité n'a aucun sens si elle reste une mesure isolée. Or cette gratuité va entraîner un appauvrissement des établissements, alors même que des investissements substantiels sont indispensables pour aménager les musées et enrichir leurs collections.

On peut redouter que cette situation ne conduise à la diminution des actions culturelles en direction des scolaires, des RMIstes, des chômeurs, des quartiers difficiles..., actions pourtant essentielles à l'élargissement des publics. C'est pourquoi la gratuité doit non pas conduire à banaliser le musée, mais, au contraire, à toujours mieux sensibiliser les publics.

Les conservateurs savent que la gratuité de la visite, même si elle est louable, ne suffit pas en soi ; il faut aussi la gratuité des médiations, des visites guidées en fonction des profils des publics, mais aussi des actions spécifiques pour permettre à ceux qui ne fréquentent pas les musées de vraiment se les approprier.

Certes, on le sait, la gratuité peut doper la fréquentation à court terme. Mais plutôt qu'à une éphémère « lune de miel » il est préférable de concourir à un mariage au long cours entre toute la population et son patrimoine artistique.

En effet, le musée appartient à tous, sans oublier les personnes en situation de handicap. Il est un bien collectif de la nation. Mais agir sur le seul facteur économique sans s'attaquer aux barrières sociales, éducatives, psychologiques, symboliques est un leurre. La seule gratuité n'est pas une panacée, c'est encore moins un sésame.

Plutôt qu'une solution « uniformisante » et plaquée, qui risque de fragiliser de nombreux musées, ne conviendrait-il pas de multiplier des formules diversifiées et adaptées à des situations différentes ? Ne revient-il pas aux collectivités locales, par exemple, en fonction de la spécificité des musées, du territoire, de leur histoire, d'inventer des solutions appropriées ? D'ailleurs, certains établissements pratiquent déjà la gratuité - totale, catégorielle ou exceptionnelle, lors de « la nuit des musées », par exemple -, conscients néanmoins qu'elle ne résout pas à elle seule la question de l'élargissement des publics.

N'est-il pas préférable d'approfondir les différentes formules de gratuité existantes ? Et si l'on va jusqu'au bout de cette logique, pourquoi ne pas étendre la gratuité aux expositions temporaires, dont les tarifs ont augmenté de façon vertigineuses ces dernières années, y compris au Musée du Luxembourg ? Parallèlement, ne conviendrait-il pas aussi de baisser leur prix d'entrée, qui est de plus en plus dissuasif ? Cela suppose, bien évidemment, des moyens supplémentaires, que le mécénat seul ou la marchandisation à outrance de produits dérivés ne comblera pas.

Est-ce pour cette raison que, parallèlement à la gratuité dans les musées, il a été envisagé de vendre une partie des collections publiques ? (Mme la ministre fait un signe de dénégation.) Comment ne pas relayer les légitimes inquiétudes des conservateurs, qui craignent la remise en cause du fondement même de la notion de collection publique et le principe de continuité historique des collections ?

Après un examen scrupuleux, M. Jacques Rigaud, que vous avez chargé, madame la ministre, d'un rapport sur cette question et qui a été entendu ce matin en commission, a tranché : il réaffirme que les musées ne sont pas des entreprises commerciales, qu'ils constituent bien un service public et que vendre des oeuvres serait une erreur fatale.

En résumé, le service public, même s'il n'a pas de prix, a un coût. Aussi, je pense qu'il est plus pertinent non pas de généraliser la gratuité mais de l'ajuster, en s'orientant vers une tarification encore plus différenciée selon le profil des visiteurs - chômeurs, étudiants, jeunes, seniors, familles nombreuses -, assortie de réductions ciblées.

Bref, plutôt que de préconiser une gratuité aveugle, nous devons en faire bénéficier ceux qui en ont besoin, tout en proposant des tarifs modulés avec des objectifs clairs, car il est essentiel de conjuguer le quantitatif au qualitatif et de ne pas se satisfaire d'une massification sans âme.

C'est, j'en suis convaincu, la meilleure façon d'élargir et de fidéliser les publics et d'en faire venir de nouveaux dans de bonnes conditions. La qualité de l'échange avec le visiteur, les connaissances transmises, le plaisir partagé sont déterminants pour susciter durablement de nouveaux émules.

On dit parfois : « voir Naples et mourir » ; je dirai plutôt : « visiter le Louvre et nos beaux musées de France et vivre pour tous et avec tous ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur diverses travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord remercier le président Jacques Valade d'avoir suscité un débat particulièrement intéressant.

Cette question de la gratuité des musées prend un relief tout particulier à la veille des cinquante ans du ministère de la culture, à la lumière des grandes missions fondatrices que lui avait assignées André Malraux, notamment celles de rendre accessibles les oeuvres capitales de l'humanité, et d'abord de la France, au plus grand nombre possible de Français, d'assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et de favoriser la création des oeuvres de l'art et de l'esprit qui l'enrichissent.

C'est dans cet esprit que la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France a défini les missions des musées. Elle a précisé leur rôle social et éducatif, et les a intégrés dans une réelle logique de décentralisation afin qu'ils deviennent de véritables acteurs de la démocratisation de la culture.

La politique des musées de France se déploie selon quatre axes majeurs : protéger et enrichir le patrimoine, faire progresser la connaissance et mieux la transmettre, au travers notamment d'une politique d'éducation artistique et culturelle, aménager le territoire et enrichir l'offre muséale, développer les coopérations européennes et internationales.

Grâce à l'implication forte de l'État et des collectivités territoriales depuis plusieurs décennies, nos musées ont considérablement évolué, ainsi que tous les orateurs, en particulier M. Pierre Bordier, l'ont souligné.

Les Français aiment leurs musées ; huit sur dix les admirent, les trouvent utiles ou savants, et plus de sept sur dix les associent aux idées de plaisir, de détente et d'émotion, même si l'on peut toujours souhaiter attirer les trois réfractaires qui ne les associent pas à cette idée de plaisir !

Les chiffres de fréquentation traduisent cette attractivité et l'on ne peut que s'en réjouir. Ainsi, 49 millions de visiteurs ont franchi les portes des musées de France en 2006, dont 24,5  millions celles des musées nationaux. Ces excellents chiffres se confirment en 2007, puisque les musées nationaux ont connu une fréquentation de plus de 25 millions de visiteurs.

Ainsi, les musées sont devenus plus accessibles sans pour autant perdre de leurs exigences scientifiques ni, évidemment, se réduire à un simple lieu de loisir.

Ils sont devenus des vecteurs attractifs d'accès à la connaissance grâce à une mutation profonde non seulement dans leur conception muséographique, mais aussi dans leur rapport au public avec l'apparition de véritables services culturels. Ils ont su proposer de nombreux outils de médiation adaptés à la diversité des publics, comme des visites-conférences, des livrets pour les familles, et font appel aujourd'hui aux nouvelles technologies pour développer des sites internet et des audioguides plus performants.

La valorisation des collections passe aussi, désormais, par l'édition de produits dérivés, la création de boutiques et de librairies qui, souvent, sont des relais au plaisir : quand on sort d'une exposition, on a envie de la prolonger en faisant un achat en rapport direct avec ce que l'on a vu.

Le musée est devenu un lieu de vie où l'on peut aussi se restaurer et parfois même assister à des colloques, des concerts ou des spectacles qui font écho à la programmation scientifique.

De grands progrès ont été accomplis pour que les publics, et tout particulièrement les jeunes, s'approprient nos musées. Sur ce dernier sujet, nous comptons évidemment beaucoup sur l'application des préconisations du rapport sur l'éducation artistique et culturelle, qui a donné lieu au plan que Xavier Darcos et moi-même avons annoncé voilà maintenant quelques semaines.

La politique tarifaire est, bien évidemment, un levier essentiel pour l'augmentation et la diversification des publics. La construction des grilles tarifaires des musées est faite dans un souci d'équité, à l'intersection de deux enjeux importants et qui pourraient paraître contradictoires : l'accès à la culture, dont Pierre Fauchon a souligné l'immense importance pour tous, et la nécessité pour chaque établissement de développer ses ressources propres afin de compléter son financement sur fonds publics et ainsi contribuer à limiter la pression fiscale. On ne saurait oublier la portée symbolique des mesures tarifaires, en particulier pour le public national et le public local de proximité.

La loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France précisait que « les droits d'entrée des musées de France sont fixés de manière à favoriser leur accès au public le plus large ». Dans les musées de France relevant de l'État, les mineurs de dix-huit ans sont exonérés du droit d'entrée donnant accès aux espaces de présentation des collections permanentes. La loi réaffirme ainsi son attachement aux valeurs de démocratisation et d'ouverture à tous les publics, en particulier au jeune public de moins de dix-huit ans.

Je souligne que la politique tarifaire proposée par les musées nationaux prévoit déjà de nombreuses exonérations ainsi que des tarifs réduits et la gratuité pour les catégories de publics les plus défavorisées socialement et économiquement, c'est-à-dire les chômeurs, les bénéficiaires du RMI, les titulaires du minimum vieillesse, les personnes handicapées.

Les tarifs réduits, enfin, existent pour les titulaires d'une carte de réduction de famille nombreuse et les visiteurs acquittant le droit d'entrée avec des chèques-vacances.

De nombreuses formules d'abonnements permettent également de venir et de revenir dans les musées. Ainsi que M. Pierre Fauchon l'a souligné, il est important que les amateurs puissent voir tantôt une chose, tantôt une autre, et revenir plusieurs fois, ce que permettent les formules d'abonnements qui sont aujourd'hui très répandues.

Je rappelle aussi que les musées nationaux sont ouverts le premier dimanche de chaque mois depuis janvier 2000. Cette mesure, très populaire, favorise la visite des jeunes, des familles mais aussi de la population active dans son ensemble.

Par ailleurs, la première visite dans un musée se fait souvent ce jour-là.

Ces mesures, qui sont appréciées des Français, notamment la gratuité pour les moins de dix-huit ans, devraient être mises en oeuvre, en application de la loi relative aux musées de France, dans l'ensemble des musées nationaux, tous ministères confondus : défense, éducation nationale, recherche et enseignement supérieur.

Je me réjouis que le ministère de la culture et de la communication se soit trouvé aux avant-postes en matière de tarification pour les plus défavorisés. Je constate, par ailleurs, que de nombreuses collectivités territoriales ont également décidé, de manière autonome, d'appliquer des mesures tarifaires similaires.

La question de la gratuité est évidemment au coeur de la politique tarifaire. L'accès gratuit aux collections des musées nationaux fait l'objet d'un débat déjà ancien. Ainsi, dès la création du Museum central des Arts, la Convention adopte sans discussion le principe de la gratuité, et ce pour deux raisons que je tiens à rappeler : en premier lieu, les collections publiques issues des confiscations de la Révolution constituaient une propriété collective appartenant à tous et à chacun ; en second lieu, le musée devait être destiné aux étudiants et aux artistes.

Jusqu'aux années 1890, le principe de la gratuité des musées est acquis, les vertus éducatives des musées s'inscrivent dans la lignée des principes de l'école publique, laïque et gratuite, chers à Jules Ferry, selon lequel « si c'est à l'école que l'enfant et l'ouvrier reçoivent l'enseignement, c'est surtout au musée qu'ils trouvent l'exemple ». Le principe de la gratuité des musées était alors le corollaire du principe républicain de la gratuité de l'enseignement public.

Le débat sur le bien-fondé d'un droit d'entrée dans les collections nationales surgit en 1896, au moment de la création de la Caisse des musées nationaux, l'ancêtre de la Réunion des musées nationaux. Le premier argument avancé par les partisans de l'instauration du droit d'entrée réside dans l'obligation de développer de nouvelles ressources et pose la question du musée en tant que service public. La commission parlementaire chargée d'instruire le dossier réalise une enquête auprès des musées européens qui, pour la plupart, percevaient alors des droits et appliquaient la gratuité le dimanche.

De longs débats parlementaires s'ensuivent, opposant violemment - déjà à l'époque ! - les partisans de la gratuité à ceux qui souhaitaient voir appliquer un droit d'entrée. Le fait que l'entrée payante du musée permettrait d'éloigner les vagabonds était souvent évoqué. Devant la Chambre, Clemenceau avait riposté à cet argument : « Ils regardent avec une douloureuse stupeur les toiles que le hasard a mis devant eux. Laissez rêver les pauvres, ouvrez les portes plus grandes encore si vous pouvez, au lieu de songer à les fermer ! »...

M. Pierre Fauchon. Très bien !

Mme Christine Albanel, ministre. D'autres estimaient que l'État n'avait pas de raison de prendre en charge les loisirs de « la clientèle cosmopolite de l'agence Cook », désignant ainsi les ancêtres des touristes d'aujourd'hui. Ces débats contradictoires, qui ont abouti à de nombreuses mesures de gratuité, vont se poursuivre longtemps, s'ils ne se poursuivent pas encore.

Mais, à l'heure des audits, des études et des enquêtes d'évaluation, il devrait nous être possible de mieux percevoir les enjeux sociaux, économiques et symboliques de ces mesures. À la demande de la direction des musées de France, la DMF, une enquête nationale exhaustive a été conduite en 2004 auprès des 11 173 musées de France, alors qu'une enquête générale a été réalisée par le CREDOC - cela a été rappelé - auprès d'un échantillon de 6 000 Français de plus de 18 ans. Les résultats nous permettent d'aborder la problématique de la tarification des musées, grâce à une meilleure connaissance des pratiques culturelles de nos concitoyens.

La politique tarifaire au sein des musées de France est très variée. À côté de la gratuité totale dans certains musées, une large gamme de tarifs réduits et de gratuités partielles est proposée pour certains types de publics : jeunes, étudiants, scolaires, chômeurs. Il faut préciser aussi que les droits d'entrée des musées de France restent, dans l'ensemble, peu élevés - même si on peut les trouver trop importants -, allant de 3 à 10 euros au maximum, par rapport à d'autres institutions culturelles, notamment celles du spectacle vivant.

La gratuité totale, hors expositions temporaires, concerne 15 % des musées de France, des petits ou moyens musées en général, mais aussi ceux de la Ville de Paris et d'autres collectivités territoriales qui ont instauré la gratuité d'accès à leurs collections permanentes : Bordeaux, Caen, Dijon ou encore le département de l'Isère, par exemple.

La gratuité totale est moins fréquemment appliquée que la gratuité partielle ou ciblée comme, par exemple, un jour par mois, par semaine, pour les enfants ou les jeunes, ou bien encore pour les publics les plus défavorisés. Ainsi, un peu moins d'un musée sur cinq, soit 21 %, offrent un jour de gratuité totale par mois et, à l'opposé, 19 % des musées sont totalement payants et ne proposent aucune formule de gratuité, quels que soient les publics.

Le sujet de la gratuité revêt donc des formes diverses et s'avère, de ce fait, complexe. Les débats sont souvent contradictoires quant aux effets directs et indirects des droits d'entrée sur la fréquentation et l'élargissement des publics, les expériences différant parfois d'un établissement à l'autre et d'un pays à l'autre.

La comparaison avec des musées d'autres pays peut alimenter la discussion à l'échelon international. Les différents orateurs ont mentionné à juste titre les récentes déclarations sur la gratuité des musées britanniques ainsi que l'annonce d'une semaine de gratuité en 2008 pour les grandes institutions culturelles britanniques subventionnées du spectacle vivant, du café-théâtre au Royal Opera House à Londres.

Il faut nuancer l'interprétation des chiffres concernant l'augmentation de la fréquentation liée à la gratuité des musées nationaux britanniques, ainsi que cela a d'ailleurs été souligné par M. Lagauche. Des résultats qui semblaient très performants, avec 83 % d'augmentation de la fréquentation, ne concernaient en fait que cinq musées : le Science Museum, le musée d'histoire naturelle, le musée des sciences et de l'industrie de Manchester, un musée zoologique et le musée national de Liverpool. Les autres musées nationaux britanniques n'ont enregistré qu'une petite augmentation de leur fréquentation de 5 %, voire une diminution de l'ordre de 10 % à 25 %, comme dans le cas de la National Gallery.

Je tenais à rappeler ces éléments pour replacer le débat de la gratuité dans son contexte : la démocratisation de l'accès à la culture est un objectif absolument majeur pour le Gouvernement, et il importe donc de choisir les bons leviers pour attirer de nouveaux publics.

Dans son discours de politique générale, le Premier ministre avait demandé que soit conduite une expérimentation de la gratuité sur un échantillon d'établissements situés à Paris et dans les régions. Le but était de connaître l'impact réel du prix sur la fréquentation, mais aussi sur la diversification des publics de nos musées : la fréquentation augmente-t-elle dans un contexte de gratuité et, si oui, dans quelle proportion ? La gratuité permet-elle d'attirer de nouveaux publics et, dans l'affirmative, lesquels ?

Pour répondre à ces questions, il fallait définir un échantillon d'établissements qui soit représentatif du paysage muséal français. Ce paysage est très divers et il semble évident que les enjeux de la gratuité ne sont pas les mêmes pour un grand musée national, qui connaît déjà des records de fréquentation et rencontre parfois des problèmes du fait de cette fréquentation, ou pour un établissement plus confidentiel. Il n'était en aucun cas ni possible ni souhaitable d'appliquer arbitrairement la gratuité totale à l'ensemble des musées nationaux.

Deux dispositifs d'expérimentation de l'accès gratuit aux collections permanentes ont donc été conçus : la gratuité totale pour tous dans quatorze musées et monuments nationaux dépendant du ministère de la culture mais aussi d'autres ministères - défense, enseignement supérieur et recherche - et la gratuité pour les jeunes de 18 à 25 ans dans quatre grands établissements parisiens, un soir par semaine, de 18 à 21 heures. Cette expérimentation a débuté le 2 janvier et s'achèvera à la fin du mois de juin. Le suivi journalier de la fréquentation et l'enquête de public ont été confiés à un prestataire extérieur, qui bénéficiera de l'expertise de la direction des musées de France et du département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la culture.

Le choix des quatorze établissements qui expérimentent la gratuité totale s'est inscrit dans une réflexion d'ensemble sur le pilotage des musées et des monuments nationaux. L'échantillon proposé couvre l'ensemble du territoire - nous en avons, évidemment, informé les élus locaux - et concerne des musées qui attirent une part limitée de visiteurs étrangers ; bien sûr, le problème de la gratuité se pose dans des termes particuliers pour un établissement comme le château de Versailles, par exemple, qui accueille 75 % de visiteurs étrangers. Il traduit aussi la grande variété des collections nationales, qui couvrent un champ chronologique et scientifique large, de la préhistoire, avec le musée d'archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, aux collections contemporaines exposées au château d'Oiron, en passant par le Moyen Âge célébré au musée de Cluny, la Renaissance au musée d'Écouen, sans oublier les souvenirs des sacres royaux au palais du Tau à Reims, ni les trésors de l'Asie exposés au musée Guimet.

Pour répondre à votre interrogation, monsieur le président Valade, nous avons également tenu compte du contexte local, afin de ne pas créer de situation de concurrence déloyale entre les musées d'un même territoire. C'est ainsi que le choix du musée Adrien Dubouchet de Limoges s'explique par le fait que le musée municipal de l'Évêché est déjà gratuit et connaît une fréquentation supérieure à celle de notre musée national. Nous avons retenu le musée Magnin de Dijon pour les mêmes raisons : tous les musées municipaux de la capitale bourguignonne sont, en effet, d'ores et déjà gratuits.

L'autre dispositif concerne l'expérimentation de la gratuité pour les jeunes de 18 à 25 ans dans quatre grands établissements parisiens un soir par semaine : le Centre Georges-Pompidou, le musée du Louvre, le musée d'Orsay et le musée du quai Branly.

Le suivi est assuré en interne par les directions des publics des établissements concernés : une enquête quantitative est mise en place avec les dispositifs de chaque site.

Pour la dimension qualitative, une enquête est lancée en collaboration avec le master « affaires publiques » de l'institut d'études politiques de Paris. Cette dernière étude analysera les effets de la gratuité en termes d'attractivité, d'image, de pratiques, d'effets de transfert d'un équipement à l'autre.

Nous sommes dans le troisième mois de l'expérimentation : les premiers chiffres dont nous disposons confirment déjà la complexité de l'analyse. Pour les mois de janvier et de février, la fréquentation des quatorze établissements qui expérimentent la gratuité totale s'élève à 314 856 visiteurs, soit une progression de 65 % par rapport à l'année dernière. Cependant, on observe une certaine variabilité selon les sites, puisque cette progression varie de 20 % au musée Guimet jusqu'à 345 % au palais Jacques Coeur - mais il est vrai que, dans ce dernier cas, on ne partait pas de chiffres de fréquentation considérables ! (M. Pierre Fauchon s'exclame.)

La progression est supérieure à la moyenne dans tous les sites, musées ou monuments à faible fréquentation - c'est-à-dire inférieure à 10 000 visiteurs en janvier - comme le palais Jacques Coeur, que je viens de citer, ou le musée de la marine de Toulon, qui a vu sa fréquentation augmenter de 204 %. La seule exception est le musée de l'air et de l'espace, musée à forte fréquentation, dont le nombre de visiteurs a augmenté de 139 %.

Au sein même des musées à forte fréquentation, comme le musée national du Moyen Âge et le musée Guimet, la gratuité n'a pas eu les mêmes effets. Le musée national du Moyen Âge progresse de 76 % en février par rapport à février 2007, et le musée Guimet de seulement 16 % pour la même période. L'essentiel de la fréquentation est constitué par les adultes, qui ne sont pas bénéficiaires de la gratuité en temps normal et représentent 65 % des visiteurs, musée Guimet excepté. Viennent ensuite les moins de 18 ans, avec 20 % de la fréquentation - toujours compte non tenu du musée Guimet -, en raison de la présence du musée de l'air et de l'espace dans l'échantillon, les jeunes constituant 54 % de son public. D'une manière générale, les familles et les jeunes de moins de 18 ans sont plus présents le week-end et les scolaires représentent une grande part de la fréquentation de la semaine. On a constaté que les visiteurs sont particulièrement attentifs aux textes et aux cartels, qu'ils restent plus longtemps et que les publics de proximité reviennent plus souvent. Les utilisations d'audio-guides et les demandes de visites-conférences sont en augmentation dans certains lieux, ce qui montre l'intérêt de ce public pour les outils de médiation.

S'agissant des quatre nocturnes gratuites, on a pu noter une forte augmentation - de l'ordre de 46 % à 69 % - de la proportion des visiteurs de 18 à 25 ans sur la fréquentation totale. Il faudra maintenant déterminer précisément la part des jeunes étrangers dans cette fréquentation, ce à quoi s'applique tout particulièrement le musée d'Orsay.

Il semble évidemment prématuré de tirer des conclusions avant la fin de l'expérimentation, car on ne saurait « surinterpréter » un éventuel effet d'aubaine - M. Renar a parlé d'un « effet lune de miel », qu'il a comparé avec ce que serait un mariage sur le long cours - et le phénomène d'engouement des premiers mois. Il est également encore trop tôt pour se prononcer sur la diversification des catégories socioprofessionnelles. Conformément au contrat passé avec le prestataire du suivi de l'expérimentation, le rapport final ne sera rendu qu'à la fin du mois d'août.

Pour répondre aux interrogations du président Valade, je rappelle que ces mesures de gratuité expérimentale ont, bien sûr, un coût direct lié à la perte des recettes de droits d'entrée : le coût total de ces deux dispositifs est de 2,226 millions d'euros auxquels s'ajoutent les 85 000 euros du coût de l'étude. Conformément à l'engagement pris par le Premier ministre, le coût de l'expérimentation fera l'objet d'une compensation financière sur la gestion 2008, qui viendra abonder le budget du ministère de la culture.

Le président Valade le rappelait également, il est vrai que l'on constate parfois, dans certains établissements, des ruptures de partenariat, ou même la défection de certains mécènes, car le musée est jugé moins attractif ou, tout simplement, parce qu'il n'est plus en état d'assurer des prestations particulières en faveur du mécène, dont la gratuité. On a donc vu certains mécènes se retirer, en particulier au musée de Cluny.

Je soulignerai, par ailleurs, que l'augmentation de la fréquentation a évidemment des conséquences sur les conditions d'accueil des publics, cela a été dit, ainsi que sur les conditions de travail des personnels, en particulier sur les sites non rénovés.

L'impact de la gratuité sur le chiffre d'affaires est variable d'un établissement à l'autre. La perte de recettes de billetterie n'est nulle part compensée - c'est intéressant à noter- par une augmentation des recettes annexes, du moins pour l'instant : au musée Guimet, le chiffre d'affaires du restaurant a baissé de plus de 8 %. En règle générale, sur les deux premiers mois, on constate une certaine réduction du panier moyen d'achat des visiteurs dans les boutiques des musées, même sur des petits achats d'impulsion telles les cartes postales, comme si le contexte général de gratuité impliquait que tout doive participer de cette gratuité. Il est évident que cette tendance devra être vérifiée sur les six mois de l'expérimentation.

Tous ces éléments montrent bien que, face à la grande diversité des musées, en termes de budget, de fréquentation, de situation géographique, de structure du public, aucune solution globale ne s'impose.

Je souhaite en fait que, à l'issue de cette expérimentation, nous soyons en mesure de définir une politique des publics ambitieuse et qui déploie un « arsenal » de dispositions tarifaires adaptées, dont l'État maîtrisera l'incidence, les coûts directs et induits.

Je désire pouvoir présenter les grands axes de cette politique à l'automne prochain. De toute façon, il est clair que l'un de ces axes sera de favoriser la fréquentation des musées par les jeunes publics.

Évidemment, toute décision politique a un coût. Vous savez que, à l'occasion de la communication sur l'éducation artistique et culturelle faite en conseil des ministres par M. Xavier Darcos et moi-même le 30 janvier dernier, nous avons décidé d'accorder aux enseignants la gratuité d'accès aux collections permanentes des musées nationaux et monuments nationaux. Cette mesure entrera en vigueur dès la rentrée scolaire de 2008.

On estime que les enseignants, français et étrangers, représentent en réalité de 5 % à 10 % de la fréquentation totale. Cette mesure paraît très importante pour favoriser, précisément, la fréquentation des publics scolaires. Elle fera évidemment l'objet, le moment venu, d'une compensation financière selon des modalités similaires à celles qui ont été arrêtées pour l'expérimentation en cours. On avait évalué, au départ, à 2 millions d'euros le coût de la mesure, mais on pense aujourd'hui qu'il sera certainement très supérieur à ce chiffre.

Si nous attendons de connaître les résultats de l'expérimentation pour en mesurer l'incidence sur la fréquentation et la diversification des publics, nous disposons déjà d'une première évaluation des coûts de trois mesures de gratuité partielles ou ciblées.

Le coût de la gratuité totale de l'accès aux musées nationaux pour les jeunes âgés de 18 ans à 25 ans représenterait de 15 millions à 25 millions d'euros par an.

Le coût de la gratuité des musées nationaux tous les dimanches se situerait dans la même fourchette.

Enfin, le coût annuel de la gratuité totale des musées s'inscrirait, cela a été rappelé, entre 165 millions et 200 millions d'euros. Instaurer cette gratuité supposerait, bien sûr, de revoir radicalement le soutien public aux musées nationaux, car, au-delà de la compensation intégrale des pertes directes de recettes, il faudrait aussi assumer les charges liées au renforcement de la capacité d'accueil du public, de la surveillance et de la maintenance des espaces.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois qu'il est évident, à ce stade - cela a été souligné par les différents orateurs -, que la seule gratuité ne peut avoir un effet important sans un recours à une médiation appropriée et, bien entendu, à l'engagement de personnels formés à ces pratiques et à ces enjeux.

Les musées sont, par excellence, des lieux de transmission des savoirs, et cela fait plus de vingt ans que le métier de médiateur a été introduit dans ces institutions. Je souhaite, d'ailleurs, que nous puissions ouvrir une réflexion sur l'avenir et l'évolution des métiers de l'accueil et de la surveillance.

Toute nouvelle mesure de gratuité doit être accompagnée d'une campagne de communication adaptée, de nouveaux outils de médiation, de la recherche et de l'accompagnement des publics les plus éloignés de la culture et des musées.

Je voudrais rappeler, à cet instant, l'importance du développement des partenariats avec les collectivités territoriales, mais aussi avec l'ensemble des acteurs de la société civile et des acteurs sociaux. J'évoquerai l'exemple des protocoles d'accord et des conventions que nous passons avec les ministères chargés de l'éducation nationale, de la recherche et de l'enseignement supérieur, de la santé, de la justice, du tourisme, ainsi, bien entendu, qu'avec les fédérations d'éducation populaire.

Il est clair que le travail en cours sur la tarification de l'accès aux musées est l'un des aspects majeurs - mais ce n'est pas le seul - de l'insertion des musées de France dans la vie sociale et culturelle de nos concitoyens. Il est également clair que c'est l'un des volets - ce n'est pas non plus le seul - d'une politique générale de démocratisation culturelle que nous appelons de nos voeux et qui va bien au-delà, supposant en particulier la mise en oeuvre d'une politique d'éducation artistique et culturelle forte et adaptée.

Il est évident, en outre, que cette question s'inscrit dans une réflexion générale sur le thème de la gratuité de la culture. Cela a notamment été souligné par MM. Valade, Renar et Lagauche. En effet, nous menons par ailleurs une réflexion sur la lutte contre le piratage et sur le téléchargement, afin de défendre le droit des auteurs, ce qui est aussi une façon de défendre l'emploi culturel. Cela suppose évidemment toute une philosophie. La question de la gratuité des musées est l'un des éléments de la démarche, même si l'on voit bien quelle incidence la gratuité peut avoir sur la fréquentation de ces établissements. Sur ce point, les chiffres sont significatifs.

En tout cas, si nous devions aller vers cette solution, il faudrait affirmer une volonté politique très forte et faire des choix budgétaires à la hauteur des enjeux et des nécessités. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)