M. Alain Gournac. Tout à fait !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il permet à l'équipe médicale, en accord avec le patient s'il est encore conscient, avec sa famille, d'alléger les souffrances, d'interrompre les soins qui maintiennent artificiellement en vie, d'éviter l'acharnement thérapeutique.

En mars 2007, la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs et plus de 6 700 professionnels de santé ont clairement pris position contre la légalisation du suicide assisté, qui modifierait radicalement nos repères sociétaux : « Le tragique, l'effroyable vécu par une personne ne peut pas nous faire admettre que la mort donnée, même si elle est souhaitée, soit la solution », soulignent-ils.

Mais alors, qu'attendons-nous pour mettre en oeuvre la ou les autres solutions, si elles existent ?

Mourir seul dans un milieu hyper-médicalisé, comme c'est trop souvent le cas, n'est pas une solution. C'est un scandale.

C'est socialement destructeur, économiquement stupide et humainement indigne.

On meurt seul, et c'est aussi mortifère socialement, lorsque la famille ne peut pas venir entourer celui qui s'en va dans ses derniers instants, parce que l'aide aux aidants est insuffisante dans notre pays, parce que, plutôt que de se soucier de réduire le temps de travail, il serait infiniment plus utile d'organiser des interruptions de carrière pour accompagner un proche en fin de vie.

C'est la conception de la famille et les liens mêmes qui la fondent qui sont ici remis en cause.

On meurt seul, oui, on meurt à l'hôpital parce qu'il est très difficile d'avoir accès à l'hospitalisation et aux soins palliatifs à domicile. L'atteinte aux liens sociaux et familiaux se double alors d'une absurdité économique.

Trop souvent, certains sont conduits à vouloir mourir, parce que la dépendance dans laquelle ils vivent n'est pas ou pas assez prise en charge ou parce qu'ils sont victimes de négligences, voire de maltraitances répétées. Et cela est humainement indigne.

Quels que soient les luttes quotidiennes et les dépassements incessants de soi qui marquent leur attachement à la vie, ils préfèrent un jour, à bout de forces ou d'humiliation, qu'on leur permette de quitter une société qui les a abandonnés, qui les a oubliés.

Comment ne pas les comprendre ?

Et, en même temps, il ne faut pas confondre, dans un élan d'émotion suscité par la récente médiatisation de cas spectaculaires, des situations par nature différentes, faites d'histoires d'hommes et de femmes au parcours singulier. Je veux ici distinguer au moins trois cas.

Quand un individu en pleine santé ou, bien que malade, disposant encore de la faculté physique d'accomplir le geste irrémédiable, décide de prendre sa propre vie, cela relève de son choix, de ses convictions. Ce n'est pas au législateur d'intervenir. Je n'en parlerai donc pas, sauf pour dire ma compassion.

Le deuxième cas concerne les personnes en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable. Pour elles, la loi déjà votée permet de résoudre la plupart des questions douloureuses.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais il est un troisième cas que la loi ne règle pas : je veux parler des personnes qui se retrouvent, jeunes ou moins jeunes, en situation de très grande dépendance à la suite d'un accident ou d'une maladie invalidante qui les prive soit brutalement, soit de manière progressive, de toutes leurs facultés physiques pour se déplacer, se mouvoir, communiquer.

Je parle ici de personnes totalement conscientes, lucides, et non de celles qui tombent dans le coma ou sont privées de leurs facultés mentales.

Précisément, il s'agit non pas de malades en fin de vie, mais de personnes qui, en dépit de leur volonté exprimée, n'ont pas la faculté physique de mettre fin à leur existence.

Être privé de toute possibilité de mouvement, être aveugle, bref être un quasi « emmuré vivant » et rencontrer une extrême difficulté à communiquer avec autrui ; être jeune, sans pour autant être atteint d'une maladie incurable, mais avec un coeur suffisamment solide pour avoir devant soi la perspective de nombreuses années de vie dans cette situation-là, sans issue possible et pour seul horizon la disparition des rares proches restés à son chevet... Il y a alors dans cet appel à mourir, répété, conscient, responsable, une voix qu'il nous faut entendre.

Là encore, il ne peut y avoir de généralisation possible. En matière de locked-in syndrome, par exemple, il est aussi des voix humaines qui s'élèvent - également respectables - pour crier leur envie de vivre. Songeons au témoignage vibrant du couple de M. et Mme Philippe Vigand dans un ouvrage récent.

Je trouve d'ailleurs qu'il est délicat, pour ne pas dire inconvenant d'utiliser à ce stade, comme le font certaines associations, le terme « mourir dans la dignité ». Qui peut dire si vivre dans la grande dépendance est conforme ou non à la dignité humaine ?

Je me demande s'il ne conviendrait pas d'instaurer une sorte de « droit opposable à la vie », tant ce que réclament nos concitoyens - y compris parmi les plus dépendants - consiste davantage en des conditions de vie décentes. Ils viennent encore de nous le rappeler massivement, le 29 avril dernier, dans une grande manifestation qui a rassemblé plus de 35 000 personnes handicapées à Paris.

Si la dignité humaine se définit d'abord par tout ce qui la blesse et peut lui porter atteinte, si, comme le rappelait le professeur Axel Kahn, « la dignité repose sur le regard signifiant posé sur autrui », c'est-à-dire sur notre capacité toujours renouvelée à nous indigner, alors je rêverais d'un monde qui se mobilisât en faveur des personnes âgées, handicapées ou dépendantes aussi promptement et massivement pour leur « droit de vivre dans la dignité » qu'en faveur d'une « aide à mourir ». (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

Je le dis, le droit, pour une personne en situation de grande dépendance, c'est d'abord celui de vivre dans la dignité.

Interrogeons-nous d'abord, quand elle en vient à demander à mourir, si tout, absolument tout a bien été mis en oeuvre pour lui donner ou redonner l'envie de vivre.

Qui n'a perçu le formidable désir de vivre qu'exprimaient les personnes handicapées qui nous interpellaient en 2003 en faisant des grèves de la faim et qui nous ont conduits, au Sénat même, à élaborer le fameux droit à compensation ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela n'a rien à voir !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Chers collègues, s'écouter les uns les autres, c'est aussi cela, la dignité !

M. Jean-Louis Carrère. Chacun son prêche !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela étant, dans certains cas extrêmes - j'y insiste - quand tout aura été tenté pour redonner le goût à la vie, quand toutes les aides humaines, techniques, financières, psychologiques auront été non seulement proposées mais mises en oeuvre, alors seulement je me demande s'il ne faudra pas humblement, en toute humanité, entendre la personne dans cette ultime demande pour arrêter de lutter.

Nul n'est en droit de la juger, car nul n'est à la place de celui ou de celle qui la formule. Demander le droit à mourir, n'est-ce pas alors pour la personne humaine une tentative de donner un ultime sens à la vie ?

N'est-ce pas pour l'esprit, submergé par les tumultes d'un corps qu'il ne maîtrise plus, une manière de refuser que ceux-ci viennent au final dicter leur loi ?

Ce n'est pas l'état de dépendance qui, en soi, est insupportable, ce qui est insupportable, c'est la perte de tout contrôle sur son existence.

Souvenons-nous des grands combats que nous avons menés, dans cet hémicycle, lors de l'examen des textes récents sur le handicap, la dépendance ou le droit des malades, le droit à l'autonomie, le droit à la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, le droit au libre choix de vie, le droit à l'assistance sexuelle, le droit au consentement éclairé du patient...

Au fond, nous ne traitions que d'une seule et même chose : reconnaître le droit pour tout être humain, quel que soit son état de santé, de handicap ou de dépendance, de garder le pouvoir sur un corps qu'il est obligé d'abandonner aux autres.

Lorsque je rencontre les personnes en situation de grande dépendance, que me disent-elles ? Qu'elles veulent choisir qui va les accompagner dans leur vie de tous les jours, qui va les soigner, quels gestes de soins on va pratiquer sur elles et dans quel ordre ; elles veulent choisir leur mode et leur rythme de vie, l'heure à laquelle elles veulent manger, se coucher, aller aux toilettes, sortir ou rentrer, bref décider de leur vie.

Mais lorsqu'on ne peut plus rien décider du tout parce que toutes les facultés physiques ou de communication sont perdues et que même la vie de l'esprit ne supplée plus ce vide, demander à ne plus vivre peut avoir un sens. C'est peut-être l'ultime façon de rester un être humain, et cela, nous devons l'entendre.

Prévoir une situation d'exception applicable à ces demandes me paraît répondre à cette nécessité. Parfois, savoir qu'on pourra y avoir recours un jour lorsque l'état de dépendance sera devenu décidément trop intolérable peut suffire.

Oui, il y a une part d'anxiété profonde dans la demande que formule une personne malade à qui la médecine vient d'avouer son impuissance, pour qu'on reconnaisse son droit futur à choisir sa mort. Cette liberté peut aussi constituer en soi un apaisement, un remède, une délivrance. C'est parfois le seul calmant qui reste, quand tout a été essayé. Alors, pourquoi le refuser ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oui, pour ces quelques cas, je crois qu'il faut trouver une solution. C'est pour cette raison et pour passer au crible tous les aspects du problème complexe de la fin de vie que j'ai proposé à la commission des affaires sociales - pardonnez-moi, cher Jean-Pierre Godefroy, mais cette solution me semble meilleure - de constituer un petit groupe de travail que j'ai accepté de présider.

Je ne sais pas encore ce qui résultera de cette réflexion commune, mais je me demande si l'on ne pourrait pas envisager la création d'une instance, une sorte de Haute autorité, qui disposerait d'abord de tous les moyens d'intervention possibles, afin de veiller, par la contrainte s'il le faut, à ce que l'ensemble des aides humaines, techniques, financières, médicales, psychologiques soient apportées au demandeur, pour soulager son existence.

En contrepartie, cette Haute autorité se verrait aussi confier le droit, dans les cas extrêmes, et pour répondre à la volonté réaffirmée de la personne, de lever à l'avance au nom du peuple français - cela me semble essentiel tant cette décision implique l'ensemble de la société - les poursuites pénales contre ceux qui pourraient être amenés à l'aider à mourir.

Je veux espérer que rares seront les personnes qui iront jusqu'au bout de cette démarche. Mes chers collègues, s'il devait s'en présenter de nombreuses, ce ne serait pas que notre société aurait un problème avec la mort, c'est qu'elle ne permettrait pas réellement la vie.

Je ne veux pas croire que l'on puisse choisir plus facilement d'accompagner la mort que d'accompagner la vie. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées socialistes.)

M. le président. La parole est à M. François Autain.

M. François Autain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous étions nombreux sur ces travées le 12 avril 2005 à considérer que la proposition de loi Leonetti, malgré le caractère novateur de certaines de ses dispositions, par exemple celles qui sont relatives à l'obstination déraisonnable en matière de traitement, à la déclaration anticipée ou encore au double effet, ne permettrait pas de répondre à tous les cas auxquels sont confrontés les médecins et les familles. Mais nous ne pensions pas que l'actualité viendrait aussi rapidement nous donner raison.

Nous avions espéré alors que le Sénat, dans sa sagesse, se réserverait la possibilité d'amender un texte manifestement insuffisant, comme le reconnaissent aujourd'hui ceux de nos collègues députés qui l'avaient à l'époque élaboré.

Malheureusement, il n'en a rien été.

Les auteurs des amendements, qu'ils soient de gauche, du centre ou de droite, ont très vite compris que la porte était fermée. L'objectif du Gouvernement, partagé par la majorité sénatoriale, n'était pas tant d'améliorer le texte que d'obtenir un vote conforme en rejetant systématiquement tous les amendements. Il fallait éviter coûte que coûte une nouvelle lecture qui aurait fait éclater à l'Assemblée nationale ce miraculeux et fragile consensus obtenu au prix de nombreux malentendus et, pourquoi ne pas le dire ? grâce à l'aveuglement de certains de nos collègues députés qui, à la faveur d'événements récents, semblent avoir soudainement recouvré la vue.

Aussi, madame la ministre, affirmer, comme vous l'avez fait jeudi dernier encore, lors de la séance des questions d'actualité, que cette loi aurait fait l'objet d'un consensus est une contrevérité que vous n'êtes malheureusement pas la seule à colporter. Ce jour-là en effet, au Sénat, le vote fut tout sauf consensuel, puisque seuls les parlementaires de l'UMP et du RDSE y participèrent.

D'ailleurs, en démocratie, le consensus n'est pas à rechercher systématiquement, car il ne garantit ni la qualité d'une loi ni sa pérennité. Je pourrais citer de nombreux exemples, notamment, et a contrario, la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et la loi portant abolition de la peine de mort.

Le Sénat, qui, dans cette affaire, s'est rabaissé au rang de simple chambre d'enregistrement, trouverait une occasion de faire entendre sa voix en créant, par exemple, une mission d'information chargée de formuler des propositions pour modifier la législation sur les malades en fin de vie.

M. le président de la commission des affaires sociales a proposé la constitution d'un groupe de travail sur ce sujet, et j'en suis heureux. J'espère qu'il en ressortira des conclusions fructueuses, aboutissant ensuite à des décisions positives.

Quoi qu'il en soit, il est indispensable, pour avancer, de procéder au bilan d'application de cette loi trois ans après sa promulgation. Son auteur, à savoir notre collègue député Jean Leonetti, était-il le mieux placé pour accomplir cette mission qui vient de lui être confiée ? On peut se le demander.

En fait, il s'agit moins de déterminer la manière dont la loi est appliquée que de savoir si ce texte est applicable en l'état.

Nous constatons d'ores et déjà que cette loi ne répond pas à la situation de détresse physique et psychologique dans laquelle se trouvent de nombreux malades. Le cas emblématique de Chantal Sébire ne doit pas occulter la situation de tous ceux qui restent confinés au sein de familles désemparées et dont les appels ne viennent pas jusqu'à nous.

Maître Gilles Antonowicz indique, dans son livre intitulé Fin de vie, que l'association dont il fait partie a consigné dans un Livre blanc une longue liste de personnes atteintes d'affections graves et incurables décédées dans des conditions telles que la loi Leonetti ne leur fut malheureusement d'aucun secours.

Cette loi est en effet inadaptée aux personnes dont l'agonie se prolonge durant plusieurs semaines ou plusieurs mois. Elle n'est pas non plus adaptée aux personnes plongées dans un coma végétatif chronique irréversible, la famille ou la personne de confiance ne pouvant même pas déclencher une procédure collégiale préalable à l'interruption des soins, qui est du seul ressort du médecin. Elle n'aurait pas non plus permis à Vincent Humbert de mettre fin à ses jours comme il le désirait. Elle n'aurait pas mis le docteur Chaussoy à l'abri d'éventuelles poursuites pénales.

Pour toutes ces raisons, il faut faire évoluer la loi : pour sortir de l'hypocrisie actuelle, il faut autoriser le suicide médicalement assisté et l'euthanasie volontaire, en s'inspirant des exemples belge et néerlandais.

Sortir de l'hypocrisie actuelle, c'est reconnaître, par exemple, le « double effet » pour ce qu'il est, c'est-à-dire une euthanasie qui ne s'assume pas. Le double effet, comme on le sait, caractérise un traitement qui, en calmant la douleur, peut avoir pour effet secondaire d'abréger la vie. Il peut, de ce fait, cacher en toute impunité une euthanasie à la morphine. Cette dissimulation est d'autant plus facile quand on utilise des sédatifs, tel l'hypnovel, pour soulager les souffrances rebelles aux antalgiques morphiniques, car les risques d'accident sont plus grands encore.

La sédation, sous sa forme ultime, fonctionne comme une anesthésie générale qui durerait plusieurs semaines jusqu'à ce que la mort s'ensuive, soit sous les effets de l'évolution de la pathologie causale, soit par double effet.

On le voit, la frontière entre euthanasie et sédation est extrêmement ténue. La différence entre sédation répétée et euthanasie directe est plus subtile encore, au point qu'on peut la considérer comme purement théorique, voire imaginaire.

Dans ces situations extrêmes, pourquoi s'opposer à l'euthanasie directe lorsqu'elle fait l'objet d'une demande réitérée, si ce n'est pour des motifs religieux ou idéologiques n'ayant rien à voir avec l'intérêt du malade ?

Sortir de l'hypocrisie actuelle, c'est aussi reconnaître que la forme du suicide médicalement assisté qu'organise la loi est barbare et inhumain. Est-il tolérable de laisser mourir une personne en offrant à sa famille le spectacle d'une souffrance et d'une dégradation, comme ce fut le cas pour l'américaine Terri Schiavo, décédée deux semaines après l'arrêt de son alimentation artificielle ?

Est-il tolérable d'avoir laissé mourir dans des conditions cauchemardesques Hervé Pierra, après huit ans de coma végétatif et six jours d'agonie qui furent pour toute une famille un temps d'horreur et de traumatisme ? Une injection de produit létal, permettant d'éviter cette agonie, n'aurait-elle pas été préférable tant pour Hervé que pour toute sa famille ?

Le docteur Chaussoy, dans son livre intitulé Je ne suis pas un assassin, écrit très justement ceci : « Je considère que le produit injecté n'a que peu d'importance... l'important, c'est la décision d'arrêter la réanimation. » Il ajoute : « Aider les hommes à mourir dignement lorsqu'on ne peut plus les aider à vivre fait partie du métier de réanimateur. » Pour ma part, je dirai même que cela fait partie du métier de médecin. Vous le savez, mes chers collègues, dans l'affaire Humbert, le docteur Chaussoy a finalement été relaxé.

Sortir de l'hypocrisie, c'est reconnaître que, en autorisant la limitation ou l'arrêt de soins entraînant la mort du malade, la loi Leonetti a implicitement légalisé l'euthanasie. En effet, en cessant de dispenser tout traitement dans les conditions où la loi l'autorise, le médecin provoque délibérément la mort, et ce en contradiction avec l'article 38 du code de déontologie médicale.

Un arrêt de traitement consistant à interrompre une perfusion nécessaire au maintien de la vie n'est assurément pas moins grave ni très différent du geste consistant à ouvrir le robinet d'une perfusion qui délivrera rapidement une dose mortelle d'un médicament. Stopper les perfusions médicamenteuses, débrancher le respirateur, mettre fin à l'intubation du patient : dans ces trois cas, il s'agit bien d'un « acte délibéré par lequel un tiers entraîne directement la mort d'une personne pour mettre fin à la maladie incurable et insupportable dont souffre cette dernière ». Or, c'est là la définition même de l'euthanasie donnée par Jean Leonetti dans son rapport de novembre 2004.

Sortir de l'hypocrisie, c'est reconnaître que toute personne dont l'état le nécessite ne pourra pas bénéficier du droit aux soins palliatifs que lui reconnaît la loi. Pour ceux qui en douteraient encore, je recommande la lecture du rapport de Mme de Hennezel qui vient d'être rendu public et qui diagnostique un état de carence généralisé en la matière.

C'est aussi admettre que la pratique des soins palliatifs, a fortiori lorsqu'elle n'est pas généralisable, ne fera pas disparaître la demande d'euthanasie, car certaines souffrances sont réfractaires aux soins palliatifs. Ces derniers n'ont véritablement un sens que lorsqu'ils s'adressent à des personnes conscientes.

Enfin, certains malades, pour des raisons philosophiques très respectables, refusent le principe de ces soins, plaçant alors les médecins dans une situation impossible dans l'état actuel de notre législation puisque, en l'espèce, le droit du patient de refuser les soins entre en conflit avec le devoir du médecin de les lui dispenser.

Bref, pour sortir de l'hypocrisie actuelle, il faudrait adopter un texte autorisant l'euthanasie volontaire tout en interdisant certaines pratiques euthanasiques, alors que la loi Leonetti préconise exactement l'inverse puisqu'elle rend licites certaines pratiques euthanasiques tout en prohibant l'euthanasie.

N'est-il pas étrange et paradoxal d'interdire absolument d'abréger intentionnellement la vie et, dans le même temps, de permettre dans certaines circonstances de ne pas empêcher la venue de la mort ? N'est-il pas étrange et paradoxal de proclamer l'égalité de toutes les vies humaines et, dans le même temps, de faire appel à la notion de qualité de vie pour placer des limites au devoir de préserver la vie à tout prix ?

Compte tenu du caractère éclaté des convictions religieuses et philosophiques dans notre pays, il serait vain d'espérer parvenir un jour à un consensus moral sur l'euthanasie. Nous sommes contraints, au contraire, de rechercher les principes moraux minimaux susceptibles de recueillir l'agrément de la plupart des communautés idéologiques, philosophiques et religieuses, afin que personne ne puisse se voir imposer des actes contraires à ses propres valeurs.

L'accompagnement de la fin de vie ne doit pas exclure l'aide à mourir lorsque celle-ci est reconnue, assumée, expresse et réitérée, l'aide à mourir se définissant comme l'intention délibérée de hâter la mort d'un malade atteint d'une affection terminale. La médecine, les médecins doivent accepter que la mort est avant tout l'affaire de la personne qui meurt.

Voilà donc, madame la ministre, mes chers collègues, des éléments de réflexion qui devraient orienter le débat qui s'est engagé, débat qui correspond, ne l'oublions pas, à une promesse du Président de la République.

Les exemples néerlandais et belge doivent constituer pour nous un modèle. L'actualité récente nous a permis d'en apprécier la validité.

Le hasard a voulu que le jour du décès de Chantal Sébire coïncide avec celui d'Hugo Claus, ce grand écrivain belge de soixante-dix-huit ans plusieurs fois pressenti pour recevoir le prix Nobel, qui, atteint de la maladie d'Alzheimer, avait sollicité une aide à mourir, comme la loi le permet en Belgique. Comme l'ont rapporté les journaux, sa femme et l'une de ses amies qui l'accompagnait ont déclaré ceci : « C'était très calme. C'était un moment très doux pour nous. Il était serein et tranquille. » Tous les trois ont bu une coupe de champagne. Hugo Claus a ensuite été endormi et a reçu une injection de substance létale.

Ce climat apaisé contraste singulièrement avec la polémique, à bien des égards indécente et déplacée, qu'a suscitée dans notre pays la fin tragique, dans la solitude et la clandestinité, de Chantal Sébire.

Le Président de la République et la justice sont restés sourds à l'appel à l'aide lancé par cette femme admirable de courage et de lucidité. Alors qu'elle ne demandait plus rien, on a refusé le permis d'inhumer et on a ouvert une enquête préliminaire pour rechercher, poursuivre et éventuellement condamner celles ou ceux qui auraient pu répondre à son appel.

Personne ne souhaite revivre une nouvelle affaire Chantal Sébire. C'est pourquoi il me semble urgent de modifier la loi.

Madame la ministre, je ne doute pas que ce gouvernement saura mener à bien cette tâche malheureusement laissée en chantier par celui qui l'a précédé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Desmarescaux.

Mme Sylvie Desmarescaux. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, parler de fin de vie, de mourants, de mort est extrêmement difficile.

Le cas douloureux de Chantal Sébire ne laisse personne indifférent, bien au contraire. Les images vues à la télévision étaient bouleversantes, les propos tenus par Mme Sébire étaient poignants.

Mais, aujourd'hui encore, je ne comprends vraiment pas pourquoi le cas de Mme Sébire a été autant médiatisé.

Il est certain que le débat sur l'euthanasie refait surface ; la preuve en est le nombre d'articles écrits, l'importance des débats audio ou télévisés, sans oublier tous les courriers que nous recevons.

Or, en 2005, loin de toute pression médiatique et de tout excès, le législateur, menant un travail « serein », avait pris le temps de la réflexion pour aboutir à un texte équilibré qui constitue, j'en reste persuadée, une avancée majeure pour les droits des malades en fin de vie. Le choix avait été fait de ne pas toucher au code pénal pour ne pas banaliser « l'autorisation de tuer ». Seul le code de la santé publique avait été modifié, car la nuance existe entre le fait de donner la mort et celui de ne pas l'empêcher. À ce titre, cette différence éthique fondamentale doit être maintenue.

Les rapports élaborés par Régis Aubry et Marie de Hennezel le confirment, si la loi est décriée, c'est qu'elle est mal connue, mal comprise et donc mal appliquée.

Alors que la loi Leonetti couvre un large éventail de situations douloureuses de fin de vie et que des efforts notables ont été consentis ces dernières années pour développer des soins palliatifs et des soins d'accompagnement, de trop nombreuses personnes meurent encore dans des souffrances non soulagées et dans la solitude.

Face à ces souffrances et à cette solitude, le fait d'autoriser la mort, d'abréger la vie peut apparaître comme l'unique façon d'aider à mourir dans la dignité.

Or, pour l'avoir vécu, je reste convaincue que la réponse n'est pas d'autoriser la mort, ce qui reviendrait à dépénaliser l'euthanasie ; elle est bien plutôt dans l'accompagnement et le soutien de la personne malade, de la personne en fin de vie : lui prodiguer les traitements sans obstination déraisonnable, lui administrer tous les soins adaptés, être le plus possible à ses côtés. « Ils auraient mieux aimé de nous un sourire pendant leur vie que toutes nos larmes après leur mort », a écrit Chateaubriand.

Madame le ministre, lors d'une réponse à l'un de nos collègues, vous avez dit : « Il a, en effet, été constaté qu'une demande d'euthanasie n'était pas maintenue si des soins palliatifs de qualité étaient proposés. »

En 2004, à l'annonce de la reprise d'un cancer avec métastases, ma fille a dit à mon mari médecin : « Papa, je ne veux plus souffrir, je ne peux plus supporter tous ces traitements, je ne veux plus dépendre de tout le monde. Ne me laisse pas, fais quelque chose, je ne veux plus vivre ! ».

Malgré les traitements, la maladie s'aggrave, les douleurs s'apaisent difficilement. Notre fille est alors admise dans un service de soins palliatifs ; après quelques jours, elle m'a dit : « je dois vivre ; il y a Xavier, il y a les enfants. Je veux rentrer à la maison. ».

Notre fille était calme, apaisée, rassurée. Les soins qui lui étaient prodigués chaque jour, chaque heure, l'étaient avec beaucoup de compétences, mais aussi beaucoup de tendresse ; la famille l'entourait sans cesse. Elle nous a quittés six semaines plus tard.

Si j'ai tenu, avec beaucoup d'émotion, à m'exprimer par le vécu, c'est que, tout comme vous, madame le ministre, je suis à tout jamais convaincue qu'un malade bien entouré, bien soigné, peut changer d'avis, même s'il sent la mort proche.

Je profite de cette intervention pour remercier tous les soignants, plus particulièrement les membres de l'équipe des soins palliatifs de Zuydcoote, établissement que M. le Président de la République et vous-même, madame le ministre, êtes venus visiter. Ils sont exemplaires dans la prise en charge de la douleur du malade.

Si cet exemple peut être salué, ne nions pas que la France souffre d'un manque de développement des soins palliatifs. De ce fait, de profondes inégalités subsistent dans l'accès aux soins.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et cela ne va pas s'arranger...

Mme Sylvie Desmarescaux. Or la démarche palliative doit être considérée comme une véritable démarche médicale.

L'offre de soins est en effet indissociable de la prise en charge de la personne en fin de vie. Pour faire face à ces situations humaines douloureuses, il faut développer les soins palliatifs en unités ou en unités mobiles, mais il faut aussi que le personnel médical soit formé à la culture des soins palliatifs.

Bien évidemment, personne ne peut nier que, malgré tout ce qui est mis en place, il restera toujours des situations de souffrances, des situations de grande détresse. Sur ces fondements, certains réclament un élargissement de l'autorisation donnée par ce texte, soit par le biais de la création d'une exception d'euthanasie, soit par la reconnaissance définitive du principe d'euthanasie active.

Mais certaines dérives ne sont-elles pas à craindre ? Il paraît particulièrement difficile de légiférer sur ce qui peut autoriser à donner la mort, alors que l'interdiction de provoquer la mort délibérément figure expressément dans le code de déontologie des médecins.

L'idée d'une instance supérieure qui statuerait sur des cas particuliers insolubles est une piste qu'il faudra prendre le temps d'étudier à l'issue de l'évaluation de la loi Leonetti, l'exception ne devant pas se transformer en généralité.

Nombreux sont ceux qui accusent la France de retardataire et citent l'exemple des Pays-Bas et de la Belgique, pays qui ont légalisé l'euthanasie sous conditions strictes.

Mais un pays comme le Québec, reconnu dans sa qualité de prise en charge par les soins palliatifs, résiste à la pression de ceux qui réclament la dépénalisation de l'euthanasie.

Mme Sylvie Desmarescaux. Sans remettre en cause la sincérité des personnes qui mènent avec conviction le combat de l'euthanasie active, il faut avoir conscience de l'organisation, par une poignée de gens guidés uniquement par des intérêts mercantiles, d'une forme de « business de la mort », avec la mise en relation des différents acteurs et l'arrangement d'un voyage en Suisse ou en Belgique, par exemple. De tels abus ne sont pas acceptables !

La loi Leonetti apporte une réponse à 99 % des cas ; il reste bien évidemment des situations pour lesquelles les médecins sont confrontés à une impasse. Il y a là une réflexion à mener. Notre collègue député Jean Leonetti s'est engagé à y réfléchir avec le groupe de travail mis en place pour évaluer la loi de 2005 ; je lui fais confiance. (M. Michel Dreyfus-Schmidt murmure.)

Qu'une vie digne jusqu'à la mort puisse toujours être respectée. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de me référer à ce que l'on appelait jadis « un grand quotidien du soir » pour citer deux articles que j'ai écrits : l'un que le journal Le Monde a bien voulu publier le 8 novembre 2003, l'autre, sous forme de mise au point, qui a été envoyé au même grand quotidien mais que celui-ci n'a pas publié.

Voici ce que j'écrivais en novembre 2003 : « Avant que ne soit légalisé l'avortement, une femme souhaitant avorter le faisait à ses risques et périls. Les conséquences étaient connues de tous : risque vital pour la femme qui voulait interrompre sa grossesse, risque pénal pour toute personne qui l'aidait. Puis vint la loi sur l'avortement qui, sans promouvoir l'IVG, l'enserrait enfin dans un cadre légal. On craignit des abus massifs, il n'en fut rien. Bien au contraire, la condition féminine en sortait améliorée. »

Je rappelle au passage que cette mesure a été votée grâce à la gauche, l'opposition ici même ayant été épique !

« La question de l'euthanasie relève de la même problématique. Nous en viendrons inévitablement à légiférer un jour, acculés par d'autres tragédies. Mais quand ? »

Une autre tragédie vient de frapper l'opinion : l'euthanasie active de Chantal Sébire.

J'en viens à l'article non publié.

« Les auteurs du ? point de vue ?, publié par ce grand quotidien sous le titre : ? Accompagner la fin de vie... demain ! ?, regrettent que le groupe socialiste du Sénat se soit abstenu sur la proposition de loi ? consensuelle ? adoptée par l'Assemblée nationale : parmi eux, deux députés socialistes. » Il s'agissait - pourquoi ne pas les nommer ? - de Claude Évin et de Paulette Guinchard-Kunstler.

« Aussi nous paraît-il indispensable de répondre ceci :

« Premièrement, le groupe socialiste du Sénat ne s'est pas abstenu ; il n'a pas pris part au vote.

« Deuxièmement, il a même quitté l'hémicycle avant le vote, tout comme l'ont fait les groupes communiste républicain et citoyen, d'une part, Union centriste, d'autre part, »...

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative. Le texte a quand même été voté à l'unanimité !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... « pour protester contre la volonté de la seule UMP de ne pas accepter le moindre amendement, pas même ceux que la commission des affaires sociales avait adoptés le matin même sur la proposition de son président.

« Troisièmement, le groupe socialiste a été unanime à retenir toutes les suggestions de l'Assemblée nationale : droit au refus de l'obstination déraisonnable ; droit pour tout intéressé, sauf s'il a indiqué qu'il ne voulait pas être tenu au courant, d'être avisé par le médecin que le traitement peut avoir pour effet d'abréger la vie ; droit de chacun au refus de tout traitement ; droit pour le médecin, lorsque le patient est inconscient, de limiter ou d'arrêter tout traitement après une procédure collégiale et la consultation d'une personne de confiance, de la famille, d'un proche ou de directives anticipées avec inscription du tout au dossier ; droit pour chacun à recevoir des soins palliatifs, en service de soins, en établissement médicosocial, à domicile.

« Quatrièmement, le groupe socialiste a été unanime à trouver les suggestions de l'Assemblée nationale insuffisantes et a unanimement » - à une exception près - « proposé d'ajouter, en l'encadrant avec précision, l'euthanasie active aux euthanasies indirecte ou passive.

« L'Assemblée nationale s'est refusée à mettre la loi en conformité avec la réalité des choses comme avec l'opinion de l'immense majorité des Françaises et des Français.

« En octobre 1997 déjà, un sondage de la SOFRES révélait que 84 % de nos concitoyens étaient favorables à l'euthanasie active, 9 % seulement y étant opposés.

« La lecture des débats de discussion générale à l'Assemblée nationale est parfaitement édifiante.

« Vingt-quatre députés sont intervenus : pour nombre d'entre eux, de droite comme de gauche, le texte issu de la commission spéciale n'est qu'une étape. Pour les autres, elle doit tout au contraire être un aboutissement. Tous se sont félicités d'un consensus général.

« Mme  Henriette Martinez, députée UMP, a fait remarquer que le vote intervenait trente ans, jour pour jour, après le vote de la loi Veil relative à l'interruption volontaire de grossesse. Nul en revanche n'a fait observer » - moi je l'ai déjà fait - « que la loi Veil a été rien moins que consensuelle et qu'elle avait alors à droite tant d'opposants irréductibles qu'elle n'eût pas été votée sans l'apport massif de la gauche.