M. Michel Dreyfus-Schmidt. « De même, en octobre 1981, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, des parlementaires de droite s'opposèrent à l'abolition de la peine de mort, tandis que les autres, en forte majorité, la votaient.

« Lors de la discussion de la proposition de loi ?fin de vie?, sur les vingt-quatre députés intervenant - les deux ministres présents n'en ont pas parlé -, dix-huit ont évoqué l'affaire Humbert. Tous ou presque ont reconnu expressément que la commission spéciale était issue de l'émotion qu'avait soulevée cette affaire. Ils ont rendu un hommage appuyé à Vincent Humbert, à sa maman et au docteur Frédéric Chaussoy.

« Or, incroyable paradoxe, le texte de l'Assemblée nationale n'empêche ni n'aurait pu empêcher que Marie Humbert se retrouve inculpée d'administration de substances toxiques, délit passible de cinq ans d'emprisonnement, et le docteur Frédéric Chaussoy d'assassinat, crime passible de la réclusion à perpétuité !

« Des ?affaires Humbert? ne doivent plus relever du droit pénal. Et cela ne suffit pas. Il faut aussi que, même inconscients, même sans y avoir pensé lorsqu'ils étaient en bonne santé, et donc sans avoir donné de directives anticipées ou désigné de personne de confiance, ceux qui souffrent atrocement et sont condamnés sans pouvoir être soulagés, ceux qui ne peuvent plus vouloir vivre, soient aidés à mourir, sans devoir mourir de faim et de soif, comme l'Américaine Terry Schiavo.

« Évidemment, cette aide doit demeurer ?l'exception?, pour reprendre le terme utilisé par l'avis du Comité consultatif national d'éthique du 27 janvier 2000. Elle doit être scrupuleusement encadrée.

« Respect de la liberté de conscience des médecins : décision collégiale de trois médecins, dont l'un au moins médecin hospitalier - comme c'était le cas avant la loi Veil en matière d'avortement thérapeutique - ; temps de réflexion obligatoire pour tous, patients ou proches inclus, avant confirmation ou renonciation ; comptes rendus soumis à une commission régionale de contrôle ; »...

La voilà, monsieur le président de la commission des affaires sociales, votre Haute Autorité ! Mieux, c'est une commission régionale de contrôle !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh là là !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je poursuis : « saisine possible par la commission régionale d'une autorité nationale de contrôle ayant tout pouvoir d'évocation ; existence d'un registre national automatisé des directives anticipées tenu par la même autorité nationale, registre que tout médecin puisse consulter aisément : telles étaient et restent les propositions constructives de l'ensemble du groupe socialiste du Sénat et du groupe CRC.

« De telles précautions pour encadrer une éventuelle et exceptionnelle assistance médicalisée pour mourir existent à l'étranger, et elles évitent tout dérapage.

En guise de conclusion - ce point ne figurait pas dans l'article que Le Monde n'a pas publié -, je voudrais faire remarquer que beaucoup de croyants, qui ont pourtant voté pour l'abolition de la peine de mort, s'opposent à l'euthanasie. Il en va de même pour vous, madame la ministre. Pourtant, 80 % des Français y sont favorables. Il n'y a donc qu'une seule solution : changer la majorité à l'Assemblée nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Louis Carrère. Cela viendra !

(Mme Michèle André remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Dériot.

M. Gérard Dériot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui amenés à débattre à nouveau d'un sujet extrêmement sensible, qui renvoie chacun d'entre nous à ses peurs les plus intimes : l'abandon, la souffrance, la mort.

Certains orateurs ont rappelé que le Sénat avait voté conforme la loi Leonetti voilà trois ans et ont critiqué le fait que, en tant que rapporteur de ce texte, je n'avais pas accepté d'amendement. Comme chacun peut s'en douter, ce n'était pas de gaieté de coeur ! Le rôle d'un parlement est en effet, en principe, de débattre et d'apporter sa pierre à l'édifice. Mais, mes chers collègues, à l'époque, l'état d'esprit dans lequel vous aviez abordé le problème n'était pas des plus sereins. (Ah ! sur les travées du groupe CRC.) De plus, quand une assemblée adopte un texte à l'unanimité, il faut supposer soit qu'un vent de folie y a soufflé, soit que ses membres ont fait preuve de lucidité. Il paraissait en tout cas nécessaire de prendre en compte le signal fort que constituait ce vote unanime.

À vous entendre les uns et les autres aujourd'hui, je suis très fier d'avoir tenu bon car, sinon, nous en serions toujours au même point ! Et, de toute façon, nous ne nous mettrons pas d'accord sur la manière de tuer notre prochain - il est inutile de chercher un autre terme, car c'est bien de cela dont il s'agit ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est de la provocation !

M. François Autain. Vous êtes excessif !

M. Gérard Dériot. Aujourd'hui, si aucune loi n'avait été adoptée, nous serions dans une situation qui mettrait tout le monde en difficulté, particulièrement les malades qui ne pourraient même pas être soulagés.

Ce sujet extrêmement difficile est d'autant plus malaisé à aborder, particulièrement en public, que nos sociétés contemporaines ont un problème avec la mort. L'absence de guerre...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Dites-le : une bonne guerre réglerait tout ça !

M. Gérard Dériot. Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, mais il est évident qu'une guerre entraîne des morts. Ce n'est pas nouveau !

L'absence de guerre, disais-je, l'allongement de la vie, l'amélioration des soins et de l'hygiène, l'accoutumance à une forme de confort que n'avaient pas connus les générations antérieures ont rendu insupportables la mort, la maladie et le handicap : nous avons malheureusement désormais le réflexe de détourner les yeux, alors que ces phénomènes sont toujours aussi présents qu'avant.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Toujours aussi nuancé !

M. Gérard Dériot. C'est désormais à l'hôpital que l'on meurt le plus souvent : deux décès sur trois y surviennent. Si l'hôpital offre, en principe, le meilleur accompagnement en termes de prise en charge de la douleur, il symbolise surtout, comme l'a rappelé M. le président de la commission des affaires sociales, la mort solitaire, anonyme et surmédicalisée que redoute l'immense majorité d'entre nous. Le mourant des siècles passés, entouré de ses proches, dans le silence du recueillement, semble céder la place au défunt anonyme, abandonné dans l'indifférence de l'hôpital en raison de l'impossibilité des siens de l'entourer.

Toutes ces angoisses n'étant pas nouvelles, un cadre législatif a été mis en place pour organiser la prise en charge médicale de la fin de vie. La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie est le fruit du consensus recueilli par la commission spéciale présidée par M. Gaëtan Gorce - un socialiste, si je ne m'abuse - et animée par M. Jean Leonetti, au travail duquel je souhaite rendre particulièrement hommage.

La proposition de loi organisait un équilibre subtil des droits et responsabilités de chacun. L'ensemble des familles politiques, puis les grands courants de pensées, les sociétés savantes et les médecins y avaient adhéré sans exprimer de réserves. Le Sénat avait alors considéré que ce texte constituait la réponse la plus appropriée au problème de la fin de vie dans notre pays.

À entendre nombre d'intervenants ayant pris part au débat ces dernières semaines, j'ai le sentiment que cette loi est malheureusement trop peu connue, et sans doute pas assez appliquée. Je crois donc indispensable d'en rappeler ici les grands principes.

La loi consacre le principe déontologique du refus de « l'obstination déraisonnable », définie selon trois critères : l'inutilité des traitements, leur disproportion au regard du bénéfice pour le malade, une finalité exclusivement tournée vers le maintien artificiel de la vie.

De ce principe découlent, d'une part, le droit pour la personne malade de refuser tout traitement et, d'autre part, lorsque la personne ne peut pas elle-même exprimer sa volonté, la possibilité, dans le cadre d'une procédure collégiale, d'une décision médicale de limitation ou d'arrêt des traitements.

En outre, toute personne majeure dispose de la possibilité de donner des directives anticipées pour faire connaître ses intentions quant à sa fin de vie avant de ne plus être en état de le faire. L'équilibre global du texte repose sur le développement parallèle des soins palliatifs. Mais vous connaissez très bien tout cela, madame la ministre, puisque vous en avez déjà parlé à plusieurs reprises.

La loi s'inscrit dans le cadre préétabli des principes posés par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Elle comporte non seulement des dispositions spécifiques aux situations de fin de vie, définies comme « la phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable », mais également des dispositions applicables à toute situation de soins : tous les traitements, quels qu'ils soient, sont concernés, y compris les soins de suppléance vitale. La loi prend en compte l'ensemble des cas, que la personne soit ou non en état d'exprimer sa volonté.

Lorsque la personne malade est consciente, et alors même qu'elle n'est pas en fin de vie au sens de la loi, son refus de tout traitement, à condition d'être réitéré et après consultation éventuelle d'un autre praticien, s'impose au médecin, même lorsqu'il y a un risque pour la vie.

Toutefois, c'est en situation de fin de vie que le refus de traitement s'impose pleinement, sans consultation d'un autre médecin, ni délai de réflexion, ni procédure collégiale. Le médecin doit alors respecter la volonté de la personne tout en l'informant des conséquences de son choix.

Ces principes méritaient d'être rappelés, car je reste persuadé que la loi Leonetti n'est pas assez connue, et donc pas appliquée. Le texte prend position en faveur du laisser mourir, mais refuse l'aide active à mourir. Mais l'euthanasie, qu'elle soit « active » ou « passive «  reste de l'euthanasie ! Le terme est là, l'acte est là. Et nous, nous refusons cet acte.

Le dispositif adopté en 2005 couvre l'ensemble des situations concernées par une décision de limitation ou d'arrêt de traitement, et non la seule phase terminale de maladies graves et incurables. La loi réaffirme la priorité accordée à la lutte contre la douleur, et consacre le principe dit du double effet qui, comme beaucoup d'entre nous l'ont rappelé, autorise le médecin à accéder à la demande du malade, même si cela risque d'abréger sa vie.

Après ces brefs rappels, j'aborderai le point qui nous réunit aujourd'hui : est-il nécessaire de légiférer de nouveau sur ce sujet ?

La question est posée depuis que Chantal Sébire, atteinte d'une tumeur évolutive, a fait face à la maladie incurable qui lui a causé de terribles souffrances et l'a défigurée. Avec infiniment de courage, elle a supporté tout cela.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non, elle n'a pas supporté !

M. Gérard Dériot. L'opinion publique a été légitimement très émue, et nous avons tous salué sa très grande dignité face aux douleurs, tant physiques que morales, qu'elle a dû affronter avant sa disparition.

Chantal Sébire demandait l'euthanasie. Elle avait donc sollicité de la justice la possibilité d'exonérer le médecin de sa responsabilité pénale pour permettre à ce dernier de lui administrer une substance létale, c'est-à-dire pour la faire mourir.

Effectivement, cette possibilité n'est pas prévue par la loi Leonetti.

M. Gérard Dériot. Mais était-ce la seule solution offerte à Chantal Sébire ? Non, puisque, comme son avocat l'a expliqué, Chantal Sébire refusait la solution proposée par la loi, c'est-à-dire le coma artificiel et la mort qui peut s'ensuivre au bout de quelques jours.

Comme je l'ai rappelé, la loi a reconnu, dans le code de la santé publique, les risques liés à l'administration des médicaments à double effet - apaiser la souffrance, au risque d'abréger aussi la vie - et a posé le principe de la nécessité d'en informer le patient, ce qui va bien au-delà de l'obligation de soins à laquelle sont tenus les professionnels de santé.

Le droit actuel affirme solennellement que tout malade qui le nécessite a le droit d'être accompagné pour la fin de sa vie et d'être aidé par des soins destinés à soulager sa douleur physique, apaiser ses souffrances morales et sauvegarder sa dignité. La loi n'omet pas de préciser que ces soins doivent être accessibles en institution médicale comme à domicile et qu'ils ont aussi pour objectif de soutenir l'entourage du malade dans l'épreuve à laquelle il est tout autant confronté.

Il n'est donc pas honnête de prétendre que la loi n'aurait pas prévu la situation dans laquelle s'est retrouvée Chantal Sébire.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est vous qui êtes malhonnête !

M. Gérard Dériot. Mon cher collègue, la loi l'a prévu. Je ne dis bien entendu pas que le texte législatif constitue une solution parfaite. Bien au contraire, je demeure très humble devant ces problématiques si complexes, et je me garderai bien de tout prosélytisme.

Mais ayons également le courage de dire à nos concitoyens que notre société doit aborder ce débat de la fin de vie et des soins contre la souffrance en refusant les schémas simplistes que nous propose trop souvent le débat médiatique.

Prenons du recul et reconnaissons que, en la matière, les craintes les plus diverses entraînent des réactions paradoxales : la peur de souffrir, mais aussi celle de se voir voler sa mort par l'administration excessive de sédatifs ; le refus de l'acharnement thérapeutique et l'inquiétude de se voir jugé par les médecins, d'être inéligible à certains traitements ; la terreur de sa propre déchéance, qu'elle corresponde à sa conception personnelle de la dignité ou à celle que l'on pensera lire dans le regard de l'autre.

Face à ces sentiments mêlés, chacun se forge sa propre opinion, infiniment variable selon qu'il s'agit d'une éventualité abstraite et à venir ou d'une réalité vécue et subie.

Face à ces interrogations et ces craintes, certains militent pour le droit à l'euthanasie. Le contexte émotionnellement dramatique de telle ou telle affaire qui bouleverse nos concitoyens leur donne l'occasion de faire valoir leurs arguments.

Mais ces situations ne sont pas toutes semblables. Et le mot recouvre, dans l'opinion publique, des réalités diverses.

Ce peut être d'abord la mort volontairement donnée au malade incurable par compassion pour ses douleurs au vu de l'impasse thérapeutique à laquelle il est confronté, et sans d'ailleurs qu'il ait toujours donné son consentement à cette issue ultime.

Ce peut être aussi le suicide assisté de celui qui, sans que son pronostic vital soit engagé, souhaite se donner la mort mais ne peut y procéder lui-même.

Ce peut-être encore la non-intervention médicale dans l'intention de laisser faire la nature si le traitement est sans espoir de réelle guérison ou porteur de handicaps trop lourds, notamment pour les nouveau-nés.

Ce peut être enfin l'interruption des soins et traitements du malade lorsque la vie de ce dernier n'est alors plus qu'artificiellement maintenue par des machines dont, en l'état actuel des connaissances médicales, on estime qu'il ne pourrait jamais se priver.

La loi actuelle permet donc, par une approche globale, d'appréhender de façon humaine et structurée les différentes hypothèses selon lesquelles peut se dérouler la fin d'une vie, tout en respectant une vision profondément morale et éthique de notre société.

En 2005, le Parlement a pris le parti de ne pas modifier le code pénal et de confirmer l'interdit de tuer, dont le respect constitue le fondement de notre société et qui demeure la règle absolue des trois grandes religions monothéistes. Avec nombre de mes collègues, je demeure personnellement très attaché à cette limite, que je me refuse de voir franchie.

La médecine n'est pas là pour administrer des substances létales. Le pharmacien de profession que je suis ne souhaite pas que l'on confonde un jour les officines avec une armurerie vendant de quoi tuer. Il n'est pas envisageable de demander aux médecins de trahir leur serment d'Hippocrate et d'imposer aux personnels médicaux de donner la mort.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est pourtant bien ce qu'ils sont parfois amenés à faire !

M. Gérard Dériot. Cette limite rappelée, nous ne sommes pas hostiles, bien sûr, à la poursuite de ce débat ni, surtout, à la nécessaire évaluation d'ensemble des moyens consacrés à la prise en charge des maladies chroniques, des pathologies lourdes et dégénératives appelant la mise en oeuvre de suppléances vitales ainsi qu'à l'accompagnement du grand âge et de la fin de vie.

Le comité national de suivi du développement des soins palliatifs et de l'accompagnement doit contribuer à l'évaluation des difficultés de mise en oeuvre de la loi et de ses éventuelles limites.

Je ne méconnais pas l'insuffisance du développement des services de soins palliatifs, mais une part du produit des franchises médicales leur est normalement réservée. Nous veillerons à ce qu'il en soit bien ainsi, comme nous serons attentifs au développement, que nous sommes en droit d'attendre, des soins palliatifs.

Par ailleurs, cela a été rappelé, Jean Leonetti a été chargé par le Premier ministre d'évaluer la mise en oeuvre de la loi de 2005. La commission des affaires sociales va également former un groupe de travail, auquel j'aurai l'honneur de participer. On ne peut que se féliciter de ces initiatives.

Je ne doute pas que cette première évaluation permettra d'améliorer encore la prise en charge des personnes en fin de vie ou en très grande souffrance, mais, dès à présent, il nous appartient de mieux faire connaître la loi et surtout de la faire appliquer, car je maintiens qu'elle est équilibrée. Tout d'abord, elle confirme l'interdit de tuer. Ensuite, elle replace le malade au centre du dispositif en affirmant son droit à maîtriser la fin de sa vie. Enfin, elle restitue au médecin la plénitude de sa responsabilité : faire le choix du traitement adapté, informer le malade et son entourage sur les risques véritables de certains médicaments et les conséquences prévisibles de l'interruption des soins, accompagner son patient jusqu'au bout de son chemin et prendre parfois lui-même, en toute transparence, l'initiative d'y mettre fin.

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette loi a le mérite d'exister. Nous avons tenu les uns et les autres à ce qu'elle existe. S'il est sans doute nécessaire d'en évaluer l'application, il est surtout impératif, madame la ministre, de développer davantage les soins palliatifs. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier Jean-Pierre Godefroy d'avoir posé cette question orale avec débat sur un sujet si important.

Comme l'ont souligné mes collègues, nous avions déjà souligné les insuffisances et les faiblesses de la proposition de loi de Jean Leonetti relative aux droits des malades et à la fin de vie lors de son examen. Nous avions alors évoqué la nécessité d'aller beaucoup plus loin que le seul « droit de laisser mourir ». En effet, le texte n'envisageait pas l'exception d'euthanasie telle que l'avait envisagée le Comité consultatif national d'éthique.

Malheureusement, lors de l'examen de ce texte au Sénat, il y a trois ans, le Gouvernement tenant absolument à obtenir un vote conforme, a empêché l'adoption de tout amendement. Un texte d'une telle importance sur ce délicat problème justifiait pourtant un vrai débat. Je suis heureuse qu'il ait lieu aujourd'hui dans cet hémicycle.

Si nous sommes réunis aujourd'hui, c'est parce que le dispositif de la loi Leonetti ne permet pas de faire face à toutes les situations. Ce sujet revient donc en discussion à chaque nouveau fait d'actualité.

Même si de réelles avancées ont été constatées ces dernières années, notamment grâce à la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs, à la loi Kouchner du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé et, plus récemment, à la loi Leonetti, aucune réponse n'est proposée au malade conscient qui souhaite interrompre ou refuser ses traitements. Lorsqu'un malade refuse tout traitement, le médecin, en accord avec l'entourage proche du patient, devrait pouvoir respecter son choix, après l'avoir informé précisément des conséquences et sans encourir de poursuites judiciaires.

Dans la loi Leonetti, l'alimentation est clairement considérée comme un traitement et non comme un soin. Le texte précise que le malade conscient est autorisé à refuser tout traitement et vise ainsi implicitement le droit au refus de l'alimentation artificielle. Ce point du texte est très important, car il suscite de nombreuses questions. Quelle est l'intention en cas d'arrêt ou de limitation de traitement ? L'intention est-elle de mettre fin à un acharnement thérapeutique ou s'agit-il d'une intention euthanasique cachée ?

Le texte n'apporte pas de solution pour les personnes qui souhaitent mourir mais ne veulent pas interrompre l'alimentation artificielle. Ce fut le cas du jeune Vincent Humbert et de Chantal Sébire, qui ont souhaité en finir avec une vie qui leur était insupportable, mais sans mourir de faim ou souffrir. Ils souhaitaient partir le jour où ils l'avaient décidé.

En fait, les avancées de la loi Leonetti sont plus pour les médecins que pour le malade. En effet, la loi protège les médecins dans leurs décisions collégiales de limitation ou d'arrêt de traitement. Ainsi le médecin doit-il sauvegarder la dignité du mourant et assurer la qualité de sa fin de vie en dispensant des soins palliatifs. Si ces soins palliatifs visent à soulager ou à atténuer la souffrance, on sait aujourd'hui qu'ils ne visent en aucun cas à prendre en compte la demande d'aide à mourir. En cas de refus de traitement, la loi permet à un patient de se laisser mourir de faim. Il n'est pas tolérable de laisser un patient mourir à la suite de l'arrêt de ses traitements, y compris l'alimentation, de le laisser dans l'incertitude du moment de sa mort et d'offrir à sa famille le spectacle de sa dégradation.

La loi ne pourrait-elle pas autoriser les médecins à adapter la sédation du patient afin de faciliter sa mort et de lui épargner une agonie prolongée et inutile ?

La loi Leonetti n'apporte guère de modification pour les personnes confrontées à une situation médicale sans issue. En effet, elle ne permet pas de répondre aujourd'hui à des demandes telles que celles de Vincent Humbert ou de Chantal Sébire, non plus qu'elle n'évite les poursuites criminelles comme celles dont a fait l'objet le docteur Chaussoy. La proposition de loi Leonetti a pourtant vu le jour à la suite du cas de Vincent Humbert.

Les médecins qui oseront abréger les souffrances d'un malade seront toujours hors-la-loi. Le texte interdit explicitement aux médecins de pratiquer une « aide active à mourir » pour soulager les souffrances d'un patient agonisant. Quand on est en phase terminale, si la douleur physique ou psychologique est insupportable, on peut vouloir ne plus vivre et réclamer une aide active à mourir, non des soins palliatifs.

Madame la ministre, accompagner la mort dans la dignité est un acte d'amour, qu'il s'agisse de personnes âgées atteintes de maladies dégénératives à l'évolution inexorable, de personnes, parfois jeunes, foudroyées par des affections incurables ou encore de victimes d'accidents ayant entraîné des lésions irréversibles, ôtant tout espoir de retour à un minimum d'autonomie de vie.

Quelle que soit la situation particulière à laquelle il est confronté, le praticien doit accompagner son patient par une attitude responsable, dictée par sa conscience et son humanité.

Aujourd'hui, en France, on le sait bien, des euthanasies sont pratiquées dans la clandestinité. Bien que les estimations soient difficiles à réaliser, on évalue à 1 800 par an le nombre des euthanasies clandestines pratiquées en France de manière inégalitaire et anarchique. Pourquoi ne pas agir en toute transparence afin de ne plus être dans l'illégalité et ainsi permettre au malade d'être accompagné par une équipe médicale formée et par son entourage ?

Une société ne doit pas vivre un décalage trop important entre les règles affirmées et la réalité vécue. L'hypocrisie ne peut perdurer.

Par ailleurs, selon un sondage TNS-SOFRES, près de neuf Français sur dix souhaitent que les personnes atteintes d'une maladie incurable puissent demander à bénéficier d'une euthanasie. En d'autres termes, 87 % des Français veulent pouvoir demander l'euthanasie.

Pour finir, j'insisterai sur l'importance qu'il y a à prendre en compte la volonté du patient et de la famille dans une situation médicale grave et sans issue. Lorsqu'un individu est parvenu aux limites du supportable, la volonté de mourir peut l'emporter sur l'intérêt de vivre.

Madame la ministre, mon expérience dans les hôpitaux me conduit à penser que, face à certaines détresses, quand tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance se révèle insupportable, la demande de délivrance devient un droit. Elle doit être l'expression de notre dernière liberté. J'espère que le Gouvernement avancera dans ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon.

M. Alain Milon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la réflexion contemporaine porte fréquemment sur l'antagonisme entre le désir individuel de liberté, admis comme légitime, et les exigences, parfois jugées dépassées, de notre société.

Le débat, sans cesse relancé, autour de ce qu'on appelle communément l'accompagnement à la mort ou le droit des patients en fin de vie évolue depuis des années, mais reste souvent stérile et occulte complètement l'ensemble des travaux et des rapports d'une grande qualité qui l'ont jalonné.

Personne ici ne l'a oublié : la loi votée le 22 avril 2005 reconnaissait le droit pour les malades d'accéder aux soins palliatifs et en même temps de refuser un traitement. Par ailleurs, l'article 37 du code de déontologie médicale fait obligation au médecin de « s'abstenir de toute obstination déraisonnable » et de « s'efforcer de soulager les souffrances ». Cette loi, qui a fait suite à de nombreux travaux de réflexion, est aujourd'hui applicable, même si elle est encore trop méconnue par beaucoup.

Il n'est donc plus question de polémiquer, mais plutôt d'informer et de communiquer, de sensibiliser le plus grand nombre aux questions que pose la prise en charge de la fin de vie, car, quelles que soient nos références philosophiques, religieuses ou politiques, la vie est, dans les démocraties et dans notre pays, un droit inaliénable et sacré.

Proclamé dans l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, le droit à la vie est un principe fondateur de nos sociétés modernes.

Dans la société actuelle, où règne l'apparence, la mort est passée sous silence. Sujet tabou, la fin de vie n'est que très peu abordée dans le cadre intime ou familial. Alors, plutôt que de l'affronter, on se réfugie dans l'occultation, on laisse encore bien souvent le malade, comme l'a dit M. le président de la commission des affaires sociales, sa famille et le corps médical, faire face seuls à des situations douloureuses.

Pourquoi le fait d'accompagner un malade en fin de vie vers une issue que l'on sait fatale pose-t-il encore tant de problèmes à nos consciences ? D'ailleurs, s'agit-il vraiment d'une question de conscience ? Ce malaise ne traduit-il pas davantage la crainte de l'homme moderne de la déchéance provoquée par la maladie, sa peur de mourir ou, pis, la peur du déclin ? La liberté de disposer de son corps serait-elle uniquement réservée aux seuls bien-portants ? Comment, enfin, permettre le respect du droit à l'intégrité physique sans entacher le droit à la vie ?

Offrir des conditions optimales de soins pour, à défaut de guérir, adoucir la souffrance est l'un des nouveaux grands enjeux de la médecine. Il s'agit non d'ôter la vie, en aucun cas, mais de diminuer la durée du passage à un terme inéluctable. Le médecin n'est pas formé, je le crois, pour abréger la vie.

Aujourd'hui, pour un certain nombre d'entre nous, il s'agit bien davantage de rendre la mort plus douce et, paradoxalement, en un certain sens, plus « naturelle ». Le médecin et les personnels soignants doivent rendre sa dignité et sa sérénité à la personne en fin de vie, en se souvenant qu'il s'agit non pas de provoquer la mort intentionnellement, mais de la laisser venir naturellement.

En effet, non seulement l'acte de tuer est incompatible avec le devoir de ne pas nuire, mais le fait de l'associer aux soins saperait la confiance des familles envers les soignants.

En 2005, lors de l'examen de la proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie par notre assemblée, il nous avait semblé nécessaire d'être à la fois modestes et précis : précis dans les mots, dans les réponses et dans les motivations. En effet, l'évolution des pratiques médicales ne doit pas éroder les habitudes et les valeurs communes qui fondent une société et qui soutiennent ses institutions. D'un certain point de vue, il s'agissait alors de reconnaître un contrat entre deux parties égales, le patient et son médecin.

En effet, si 80 % des Français souhaitent, lorsqu'ils sont en bonne santé, que les médecins puissent, le cas échéant, les aider à mourir, cette proportion tombe à 1 % chez les patients en fin de vie.

De tels chiffres montrent toute la prudence qui s'impose pour traiter au mieux le délicat problème de la fin de vie. Quoi qu'il en soit, et aussi tragiques ou dramatiques que soient les situations, il est, me semble-t-il, d'une importance capitale de ne jamais céder à l'émotion. C'est la raison pour laquelle il convient d'entourer de certaines précautions l'expression d'une telle volonté.

Mes chers collègues, si, à la suite de plusieurs autres orateurs, j'insiste volontairement sur la loi adoptée voilà trois ans, c'est parce que celle a constitué un progrès considérable, aujourd'hui admis par la quasi-totalité du corps médical. Ce dispositif a apporté des réponses à ce que, en l'état actuel de nos moeurs et de notre législation, certains vivaient alors comme un calvaire.

Renoncer à l'acharnement thérapeutique, éviter l'obstination déraisonnable, rompre l'isolement du malade en fin de vie, épargner le désarroi à la famille et éviter la culpabilité des personnels soignants, tels étaient les principaux enjeux de ce texte, qui recherchait une solution éthique à l'encadrement juridique de la relation médicale entre le médecin et son malade.

Cette loi, qui reconnaît le droit du patient à refuser tout traitement, est centrée sur la notion de « proportionnalité des soins » et sur le développement de la culture palliative. Elle ne prétend pas répondre à toutes les interrogations ou à tous les cas de figure, car ce qui est supportable pour une personne ne l'est pas nécessairement pour une autre, et nul ne vit la douleur de la même manière, nul ne perçoit sa déchéance au travers du même prisme.

Accepter notre condition de mortels tout en refusant la douleur rédemptrice, telle est donc la philosophie qui, je le crois, sous-tend une telle loi. Il s'agit d'un texte équilibré, qui confirme l'interdit de tuer, mais replace le malade au centre du dispositif, en affirmant son droit à maîtriser la fin de sa vie. Il restitue au médecin la plénitude de sa responsabilité : faire le choix du traitement adapté, informer le malade et son entourage sur les vrais risques de certains médicaments et les conséquences prévisibles de l'interruption des soins, accompagner son patient jusqu'au bout de sa vie sans prendre soi-même l'initiative d'y mettre fin.

En contrepartie, ce texte affirme la reconnaissance des soins palliatifs dans l'accompagnement des pathologies graves, voire incurables. Faire entrer les soins palliatifs dans les services hospitaliers constitue une avancée notable - je dirais même une « révolution culturelle » -, dans la mesure où cette présence traduit l'acceptation des limites de la médecine curative. La loi rappelle chacun à l'humilité, et c'est déjà un grand progrès en soi.

Il est indispensable de confirmer l'importance qu'il convient d'accorder aux soins palliatifs. Je pense d'ailleurs moins à la création de services hospitaliers spécifiquement dédiés à ces traitements qu'à la participation des différents services susceptibles d'accueillir des patients en fin de vie à une telle démarche.

Ainsi, des changements sont intervenus au fil des années, et nous pouvons nous féliciter de l'évolution significative de notre législation. Mais ce mouvement peut-il se poursuivre ? Peut-il aller encore plus loin ?

Le cas douloureux qui a marqué l'actualité au cours de ces dernières semaines - nous l'avons tous en mémoire - doit-il demeurer une exception ? Doit-il, au contraire, amener à une nécessaire évolution de nos mentalités et de nos lois qui irait jusqu'à reconnaître une forme de « droit à la mort » et qui consisterait à conférer un ancrage législatif aux conditions de limitation ou d'arrêt d'un traitement ?

Certes, comme nous l'avons vu depuis le début de ce débat, le sujet est polémique. Mais, quoi qu'il en soit, tout en respectant la dignité du patient, nous devons tenter de trouver sans hypocrisie des solutions justes, raisonnables et humaines face à certaines situations qui restent exceptionnelles et dramatiques, sachant que nous devons légiférer non pas à partir de cas particuliers, mais en fonction de l'intérêt général.

Aujourd'hui, si la question de l'euthanasie semble dépassée - presque toutes les souffrances peuvent être soulagées -, le terme d'« euthanasie » est souvent employé pour évoquer un autre débat, celui de l'aide au suicide. Dans ce débat, les personnes qui ne supportent plus de vivre et qui demandent à mourir au nom du droit de disposer de leur vie nous renvoient à notre regard sur elles. En effet, le devoir d'une société démocratique et soucieuse de solidarité à l'égard des plus vulnérables est d'abord d'explorer toutes les réponses humaines et sociales susceptibles de confirmer à ces personnes qu'elles ont leur place dans notre monde et que leur dignité n'est pas entamée.

La prudence vis-à-vis des dérives possibles d'une loi, la protection des plus faibles et la protection de la mission du médecin, qui est de soigner, plaident en faveur du refus de légiférer sur le principe d'un suicide assisté, car il y aura toujours - hélas ! - des situations dramatiques et des exceptions.

Un droit à la mort reste contraire aux valeurs de la médecine et aux sources morales de notre démocratie. Quelles que soient les motivations des partisans de la légalisation de l'euthanasie, on ne peut pas admettre que la société assigne aux médecins, aux infirmiers ou à tout autre personnel soignant la tâche de tuer un patient. De même, il ne faut pas que l'administration de la mort soit prévue par la loi. En effet, si le suicide est une liberté, il n'est pas un droit, et il n'a pas vocation à le devenir.

Pour ma part, au regard de l'extrême diversité des situations, je ne suis pas certain qu'il soit opportun de relancer un débat généraliste sur le vote d'une nouvelle loi traitant d'un sujet aussi douloureux et complexe.

En revanche, nous devons insister sur le refus de l'obstination déraisonnable et de l'euthanasie. Tentons de faire preuve du plus de créativité possible pour trouver des solutions aux pires situations. Redéfinissons l'acte d'« accompagner » et de « laisser mourir » un malade en fin de vie sans le comparer à celui de « donner la mort ». Et, avant toute chose, interrogeons-nous sur les raisons pour lesquelles la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie reste peu connue et appliquée.

À partir de ce constat, essayons d'adapter de nouvelles formations et apprenons à communiquer davantage. Nous devons, j'en suis convaincu, en prendre conscience, s'il est important de développer les nombreuses actions de sensibilisation et d'information sur les soins palliatifs, il est également fondamental de former les professionnels de santé, les bénévoles et le public sur la législation actuelle, qui tolère un « laisser mourir », et surtout pas une aide à mourir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)