Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Très beau discours !

Mme la présidente. La parole est à M. Roger Madec.

M. Roger Madec. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la fin de vie appelle des réflexions essentielles, qui touchent chacun d'entre nous au plus profond de notre être.

De ce fait, un tel sujet ne peut pas être traité dans le cadre d'une simple question d'actualité, comme certains s'y sont pourtant essayé jeudi dernier. À mon sens, la formule des questions orales avec débat, qui permet d'aborder ce type de problèmes avec sérénité, est plus adaptée. À cet égard, je remercie notre collègue Jean-Pierre Godefroy de nous offrir l'occasion d'en discuter.

Un tel débat, qui est légitime et difficile, doit être posé avec d'autant plus d'égards et de gravité que le sujet revêt des enjeux fondamentaux pour notre société.

Quels choix une société à l'héritage judéo-chrétien, qui a également connu le siècle des Lumières et l'avènement des droits de l'homme, peut-elle effectuer ? Quelles évolutions peut-elle suivre ?

Sensibles et intimes, les certitudes et les croyances des uns et des autres sont respectables. Elles méritent l'attention.

Lorsque nous sommes confrontés à des questions éthiques, nous avons tous notre part de vécu et nos expériences personnelles. Pour autant, notre rôle de législateur est de faire des choix en conscience, certes, mais également en responsabilité.

Comme cela a été rappelé, voilà trois ans, le 12 avril 2005, un tel débat, que nous entendions mener avec respect et sérénité, nous a été confisqué : le texte adopté par l'Assemblée nationale était intouchable puisqu'il était, paraît-il, parfait !

Comment ne pas penser que certaines souffrances auraient pu être évitées ou apaisées et que certaines situations dramatiques auraient pu être épargnées si l'on avait bien voulu, à ce moment-là, laisser notre assemblée s'exprimer et adopter des améliorations sur lesquelles chacun s'accordait, au lieu de précipiter l'adoption d'un texte dont on connaissait déjà les limites ? En effet, à l'époque, on avait déjà présagé les problématiques qui sont aujourd'hui soulevées.

Le simple fait d'accepter l'évaluation de la loi aurait constitué une mesure élémentaire pour en suivre l'application et la faire connaître. À ce titre, permettez-moi d'émettre un doute quant au bien-fondé de la récente décision gouvernementale de confier le soin d'une telle évaluation à l'auteur du dispositif, quelles que soient ses compétences par ailleurs.

Au bout de trois ans, où en sommes-nous ?

Si l'on veut bien y songer, on s'aperçoit que la situation est étrangement similaire. L'opinion publique est marquée par le drame vécu par une femme et relayé par les médias. Les élites et les partisans des différentes options s'animent. La justice et les pouvoirs publics sont interpellés.

Et un triple constat s'impose : celui, encore une fois, de notre impuissance face à la volonté ultime d'un être humain ! Celui, encore une fois, de notre silence face à un combat contre la douleur ! Celui, encore une fois, d'un geste condamné à la solitude ou à l'exil, alors que la France entière était pourtant « à l'écoute » ! Cette femme est morte dans l'isolement et la clandestinité. Faute d'avoir été entendue, et acculée à accomplir elle-même ce qu'elle ne voulait pourtant pas faire, elle s'est suicidée.

Si la loi Leonetti a pu constituer une étape dans la réflexion sur la fin de vie, en parvenant à un certain consensus autour du « laisser mourir », c'est parce qu'elle a confirmé un certain nombre d'évolutions. Elle a réaffirmé le refus de l'acharnement thérapeutique et légalisé la pratique du « double effet », qu'une décision de justice venait de reconnaître.

Cependant, si le « laisser mourir » peut constituer une solution pour les malades en fin de vie, il apporte seulement une perspective de longue agonie à celui qui n'est pas en phase terminale.

Ainsi que nous l'avions dénoncé à l'époque, c'est cette situation qui attendait Vincent Humbert s'il acceptait le dispositif. C'est également ce qu'a vécu le jeune homme dont Michel Dreyfus-Schmidt a rappelé tout à l'heure la triste fin et dont le témoignage des parents a bouleversé la France.

Tout le monde semble à présent étrangement s'y accorder, l'application de la loi Leonetti pose un certain nombre de problèmes.

Tout d'abord, cette législation est peu appliquée parce que, paraît-il, elle n'est pas suffisamment connue. Ensuite, et c'est peut-être pire, elle est mal appliquée, en raison d'un manque de formation médicale à l'accompagnement de la fin de vie et de développement des soins palliatifs sur notre territoire. Enfin, la loi présente des insuffisances ou, du moins, une inadaptation face à certaines situations.

Il est certain que les soins palliatifs doivent être développés. À cet égard, on ne peut que déplorer le fossé entre le principe posé par la loi, c'est-à-dire l'égal accès à ces soins et au soulagement de la douleur, et la réalité.

D'ailleurs, s'il est vrai que 95 % des demandes d'euthanasies sont automatiquement abandonnées lors d'un transfert du patient dans une unité de soins palliatifs, cela signifie qu'elles sont maintenues dans 5 % des cas.

Dès lors, si l'accompagnement et les différents dispositifs existants ne permettent pas véritablement de soulager la douleur de la personne, que faut-il faire ? Est-il inacceptable de se demander s'il ne faut pas aller plus loin ? Est-il inacceptable de répondre par l'affirmative ?

Voilà trois ans, en proposant le principe d'une aide médicalisée pour mourir, le groupe socialiste avait fait le choix d'une voix médiane qui devait permettre à la « compassion et la sollicitude » de s'exprimer au travers d'un geste humanitaire : la délivrance de la souffrance.

En offrant la possibilité à certains malades de choisir cet accompagnement ultime dans certaines conditions et dans certaines circonstances exceptionnelles - j'insiste bien sur cet adjectif -, notre intention était non pas de dépénaliser l'euthanasie, contrairement à ce que certains orateurs ont affirmé, mais bien d'ajouter un cinquième cas d'exonération des médecins de poursuites pénales dans le code de la santé publique.

Le médecin a pour mission de soigner, pas de tuer, nous diront certains... Cela signifie-t-il que, parce qu'il se trouve impuissant à continuer de remplir sa mission, son rôle social doit nécessairement s'arrêter là ? Aller plus loin, c'est transgresser l'interdit, c'est s'exposer à l'anathème, rétorquent d'autres...

À ce point de mon propos, permettez-moi de l'illustrer d'un extrait du témoignage de Chantal Chanel, lu récemment dans la presse : « Il est anormal de laisser cours à tant de souffrance. On est allé au tribunal pour ce qu'on a fait, mais parfois on pourrait plutôt y aller pour ce qu'on ne fait pas. Est-il normal de voir des médecins prescrire des antidépresseurs à quelques heures de la mort et d'autres débrancher tout et fermer la porte ? Au nom du non-acharnement thérapeutique, on peut débrancher un respirateur, des sondes pour alimenter... Et le malade meurt d'étouffement, de faim, en toute légalité certes, mais dans quelles souffrances ? Nous, pour une dose de potassium, illégale mais sans souffrance, nous nous sommes retrouvés aux assises comme des criminels. C'est anormal ».

De toute évidence, le débat doit de nouveau être ouvert, car il ne semble plus possible de se satisfaire du laisser-mourir et d'accepter la clandestinité ; parce qu'on ne peut plus se réfugier derrière l'hypocrisie.

L'effroyable hypocrisie, dans le cas de Chantal Sébire, était de s'entendre dire : « Mais si elle veut mourir, elle n'a qu'à se suicider ! »

Qu'il accepte le laisser-mourir ou qu'il agisse seul et, s'il est dans l'incapacité de le faire lui-même, qu'un autre le fasse à sa place, à ses risques et périls ! Est-ce là l'unique alternative proposée par notre société à celui qui ose demander d'être délivré d'une vie devenue inhumaine ?

Selon un archevêque qui s'est exprimé largement et publiquement dernièrement, « la société n'aurait pas vocation à organiser la mort, [...] ni celle du grand malade en phase terminale, ni celle de vieillards en fin de vie ».

Est-ce à dire que la société qui organise le vivre-ensemble autour de valeurs communes comme la justice, l'égalité, la solidarité devrait abandonner l'homme au « finir de sa destinée » ?

Améliorer les conditions de cette fin quand elle survient, préparer au mieux cette issue inéluctable, n'est-ce pas aussi le devoir d'une société ? Pour ma part, je le crois.

Le respect de la volonté d'une personne, cette dernière liberté, ce choix intime, ne doit plus être nié. Ne pas refermer la porte, ne pas accepter la fatalité de la douleur, du « mourir à petit feu », assumer la transgression au nom de la responsabilité, comme mesure exceptionnelle liée à un état de nécessité - souffrance absolue - et fondée sur la volonté du malade : voilà ce que nous devons avoir le courage d'affronter aujourd'hui.

Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse sur ma vie personnelle ; je ne comptais par le faire, mais le débat d'aujourd'hui m'y conduit. Voilà plus de treize ans, j'ai accompagné une personne qui partageait ma vie, atteinte d'une maladie incurable. Cette personne jeune, mais frappée dans sa chair, me suppliait tous les jours de mettre fin à ses souffrances. Croyez-moi, madame la ministre, je n'ai pas eu le courage de le faire à cette époque et, tous les jours, cette situation me hante : j'ai été lâche et je le regrette. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous partageons tous, sans aucun doute, des paradoxes et un champ d'axiomes.

Premier paradoxe : d'un côté, sous la présidence de Philippe Marini, une réflexion très poussée de notre assemblée sur la dépendance et l'organisation éventuelle d'un système d'assurance et de solvabilité jusqu'à sa mort ;...

M. François Autain. Cela n'a rien à voir !

Mme Marie-Thérèse Hermange. ...de l'autre, nous sommes appelés à aller toujours plus loin pour instaurer une législation sur le droit à mourir.

Deuxième paradoxe : d'un côté, sous votre présidence, madame André, une réflexion sur le droit à la maternité ; de l'autre, et dans le même temps, une réflexion sur le droit à la mort, l'un et l'autre ayant pour dénominateur commun le fait que la souffrance, considérée comme indignité, comme déchéance, doit être comblée avec cette tentation de revendiquer, par un moyen ou par un autre, le droit de la supprimer.

Nous partageons tous aussi, le champ d'axiomes suivant.

Oui, la phase ultime de la vie interpelle la responsabilité thérapeutique du médecin, mais la fin de vie encadrée, technicisée, peut bouleverser le dialogue singulier entre celui-ci et son patient.

Oui, le devoir de vérité au malade en phase terminale exige discernement et tact, et nécessite les traitements médicaux susceptibles d'alléger la souffrance par des soins palliatifs adéquats.

Oui, il existe un droit pour la personne d'être informée ; mais cette vérité communiquée ne la ferme pas à l'espérance.

Oui, il existe une différence radicale entre « donner la mort », acte qui supprime la vie, et « accepter la mort ».

Oui, au-delà de nos engagements personnels, acceptons que certains conçoivent la mort comme un voyage au pays de l'ombre, tandis que d'autres, comme Jean Guitton, disent que « la mort est un voyage que l'on va faire dans un pays merveilleux ».

M. François Autain. C'est sûr !

Mme Marie-Thérèse Hermange. Oui, nous savons que chacun de nous ne se résume pas à ces rationalités, marqué qu'il est par ses cicatrices, ses blessures, son environnement, son histoire personnelle, son rapport au mystère de la vie, tiraillé qu'il est entre l'envie de s'épanouir et de s'autodétruire. Devant l'inconnu et le singulier, toutes les certitudes humaines ne chancellent-elles pas ?

Oui, déshumaniser la mort a pour nécessaire conséquence de déshumaniser la vie.

Oui, la souffrance humaine inspire compassion, respect ; elle est quelque chose de plus ample que la maladie, de plus complexe, de plus enraciné dans l'humanité de l'homme et, en son coeur, apparaît inévitablement la question du « pourquoi ? ».

Ces considérations, je pense que nous les partageons tous. C'est pourquoi la compassion suscitée par la douleur, la souffrance d'enfants handicapés, de personnes atteintes de maux incurables a servi de socle à la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, en 2005.

Or voici qu'aujourd'hui, à travers une souffrance singulière, une souffrance vécue, bouleversante, montrée et médiatisée, la question du droit de mourir, nommée aujourd'hui « exception d'euthanasie », est en cause devant notre assemblée. Celle-ci amène en fait l'interrogation suivante : peut-on inclure parmi les droits qu'un individu doit revendiquer le droit de mourir, droit qui impliquerait la production de normes imposant leurs règles indifférenciées et systématiques, parce que générales, au titre de bonnes solutions ?

Pour ma part, je reste dubitative sur l'opportunité d'exhumer la problématique de la fin de vie - du reste d'une grande importance sur le plan médical comme sur le plan anthropologique - dans un tel contexte, et ce pour trois raisons : d'abord, n'ajoutons pas du texte à un texte existant si peu appliqué ; ensuite, écoutons ce que disent les médecins : ils ne veulent pas abdiquer pour donner la mort ; enfin, ne choisissons pas dans l'urgence médiatique des solutions dont nous savons à l'avance qu'elles sont forcément porteuses de dérives, parce que générales face à un événement singulier.

D'abord, est-ce nécessaire, compte tenu du corpus de textes existants ?

Nous disposons d'une législation mal connue, mal appliquée et, ce qui est plus grave, nous sommes face à des milliers de personnes qui meurent chaque année dans la solitude et le sentiment d'être abandonnées à leur souffrance.

Il m'apparaît évident qu'il n'est pas nécessaire aujourd'hui d'ajouter du texte à un texte existant. Il importe de faire appliquer la loi Leonetti à la fois en la faisant connaître du grand public et surtout des professionnels de santé, qui sont les premiers concernés, en diffusant la culture de bonnes pratiques en fin de vie comme celle de l'accompagnement au sein des familles et en dégageant tous les moyens nécessaires qui avaient été annoncés lors du vote de la loi.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Nous nous devons donc de faire appliquer ces dispositions plutôt que d'en écrire davantage. C'est la raison pour laquelle je vous propose, puisque notre mission de législateur inclut une mission de contrôle et d'application des lois, qu'autour de M. Leonetti nous prenions un rendez-vous, sous une forme ou sous une autre, pour l'application de la loi de 2005.

Ma deuxième interrogation porte sur ce que pensent les professionnels et, plus largement, les personnes qui accompagnent des malades en fin de vie. Souhaitent-ils une évolution supplémentaire de la législation ? Leur réponse est non.

La majorité des médecins et des soignants sont conscients des dérives possibles d'une loi qui ouvrirait la possibilité d'éliminer ceux qui nous dérangent, des grands prématurés aux enfants adultes lourdement handicapés.

Comme le précise Marie de Hennezel dans son rapport intitulé la France palliative, « cette tentation existe déjà chez nos voisins des Pays-Bas et de Belgique, puisqu'on y envisage déjà d'étendre l'euthanasie aux grands dépressifs et aux déments. » Et des s'interroger : « Pourquoi serions-nous plus prémunis contre ce risque que nos voisins ? »

La grande majorité des médecins et des soignants estime qu'il est de leur devoir de protéger les plus vulnérables.

Déjà, dans un plaidoyer signé en mars 2007 par près de 7 000 professionnels de la santé, sept sociétés savantes ont affirmé qu'elles étaient contre la légalisation du suicide assisté, qui modifierait radicalement nos repères sociétaux, et ont appelé à une large information et à une pédagogie de la loi sur les droits des malades et la fin de vie.

Plus récemment, ces mêmes sociétés savantes ont rappelé que « quels que soient les choix que notre société pourrait faire dans le futur, donner la mort ne relève en aucune façon de la compétence du médecin et que nous [...] n'assumerons pas ce rôle », ajoutant : « Le tragique, l'effroyable vécu par une personne ne peut pas nous faire admettre que la mort donnée, même si elle est souhaitée, soit la solution. Ceci ne correspond ni à notre expérience quotidienne ni à ce que nous enseigne la pratique de la médecine. »

Faisons donc confiance sur ce point aux professionnels de santé, ne légiférons pas contre les personnes concernées par cette question.

Enfin, ne choisissons pas dans l'urgence médiatique des solutions dont nous savons à l'avance qu'elles sont forcément porteuses de dérives, mais également fausses parce que générales face à un événement singulier.

M. François Autain. Nous légiférons toujours dans l'urgence !

Mme Marie-Thérèse Hermange. D'une part, si nous légiférions, mes chers collègues, nous ne pourrions légiférer sur la mort à la troisième personne, celle qui est le destin commun de tout ce qui vit et respire.

Nous ne pourrions légiférer non plus sur la mort à la première personne, celle dont je ne peux parler puisque c'est ma mort.

Nous sommes donc appelés à légiférer non pas à la troisième personne ou à la première personne, parce que c'est impossible, mais sur la mort à la deuxième personne, celle de l'autre.

En d'autres termes, nous nous trouvons amenés à prendre au sérieux la parole d'un « je » et à croire que son consentement suffit à légitimer toutes sortes de conduites, sans nous rendre compte que, parfois, le sujet vit ses choix dans la souffrance et n'est donc pas forcément tout à fait en conformité avec son moi.

Autrement dit, nous sommes confrontés à notre propre impuissance, obligés de composer avec quelque chose d'insupportable et d'inacceptable, le coeur de l'inacceptable tenant au fait que c'est comme si l'on se renvoyait l'un à l'autre, en ricochet, la peur de la fin, la perte du sens et l'entrebâillement de l'espérance.

Or, comme le dit très bien Jankélévitch, « l'homme est fait pour connaître l'entrouverture, car sa vie est toujours entrebâillée par l'espérance, ce qui fait qu'il n'est jamais nécessaire de mourir ». C'est d'ailleurs, mes chers collègues, cette espérance qui est refusée au condamné à mort ; cela est contre nature, inhumain, c'est un temps monstrueux.

Or, en légiférant, on demande à la loi, par définition générale, qu'un autre - un homme singulier - vienne fermer cette ouverture, claquer cet entrebâillement, cette capacité à s'indigner et à dire « je veux vivre ».

M. François Autain. Quelquefois, il n'y a plus d'espoir.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Plutôt que d'aider la personne à retrouver espoir, on cherche à prendre acte de cette désespérance et à la graver dans les textes.

Mes chers collègues, ce n'est ni le rôle de la loi ni le devoir de notre assemblée.

C'est quelque part à l'amour, à la famille, qui permet de surmonter de telles épreuves, que nous devons redonner espoir. C'est la conception de la famille qui est ici en cause, comme l'ont souligné de façon très émouvante Nicolas About et Sylvie Desmarescaux.

N'est-ce pas d'ailleurs toute la politique qui est conduite lorsque nous mettons en place des politiques de prévention et de service de soins à domicile et de soutien aux aidants familiaux ?

La question n'est donc pas : « Comment puis-je mourir tout de suite ? » mais bien : « Comment va-t-on m'accompagner jusqu'à ma mort ? » En effet, bien souvent les professionnels disent déceler derrière une demande « d'en finir » un appel au secours pour ne pas être abandonné, un besoin de se sentir accompagné et respecté malgré son état.

La demande de mort est parfois une façon pour le patient de sortir de la solitude, de rompre la digue du silence, de pouvoir enfin parler de la mort qui s'approche. C'est parfois une manière de devenir sujet. Il ne s'agit donc pas d'y répondre nécessairement par un acte, mais de l'entendre pour ce qu'elle signifie.

Comme le philosophe Michel Serres l'a dit admirablement : « En des temps assez anciens ou en des lieux dont nous avons honte, nul n'hésitait à mettre à mort les porteurs de ces différences-là. La définition de l'homme s'ensuit de la comparaison : la bête tue le différent alors que l'homme le tolère, le protège, le sauve et finit par cultiver sa différence. Cela s'écrit peu dans les livres mais s'entend sur les lits d'hôpital ou les salles d'accouchement. Des auteurs parfois célèbres étendirent en effet à l'homme la loi implacable de la sélection animale. Or c'est en sortant de ce processus de sélection naturelle que l'homme s'est humanisé. » Michel Serres ajoute : « Nais-tu faible, différent, anormal ? Voici qu'Homme, tu viens de naître Fils de l'Homme. »

Puis-je ajouter à ces propos du philosophe qu'il en va de la naissance comme de la mort, parce que la naissance comme la mort sont des trouées à travers lesquelles l'homme jette les yeux sur le fini et l'infini de sa vie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après avoir entendu Jean-Pierre Godefroy et, dans une certaine mesure, Nicolas About, ainsi que les témoignages de Sylvie Desmarescaux et de Roger Madec, j'ai été tenté de ne pas prendre la parole. Il faut avouer que, au cours de nos débats, nous répétons souvent de façon plus ou moins bonne ce qui a déjà été dit. Aussi, je m'en tiendrai à l'essentiel.

Si le groupe socialiste a voulu engager ce débat, c'est d'abord pour effacer de nos mémoires celui de 2003, auquel certains orateurs qui ont pris la parole ici avaient été priés de ne pas assister ou auquel leur pudeur ou leurs responsabilités les avait poussés à ne pas participer. Ce débat n'avait fait honneur ni au Parlement ni au ministre de triste réputation qui le conduisait.

C'est ensuite parce que la loi Leonetti ne résout rien. La meilleure preuve en est qu'elle n'aurait pas permis de résoudre le cas de Vincent Humbert, dont l'histoire a suscité une émotion qui est pourtant à l'origine de la proposition de loi. C'est un texte fait pour les médecins, qui légalise des pratiques existant dans tous les hôpitaux. Il permet donc aux médecins de faire maintenant dans un cadre légal ce qu'ils pratiquaient hier dans l'hypocrisie.

C'est enfin parce qu'il nous a semblé utile de redonner sa place au Parlement et plus particulièrement au Sénat. Les parlementaires ont seuls le mandat de faire la loi. Ils doivent décider sereinement, sans céder à la pression des évènements dramatiques liés à l'actualité ou à celle des lobbies, quels qu'ils soient, même ou surtout s'ils s'expriment par la voix de l'archevêque de Paris.

M. Jean-Pierre Michel. Finalement, de quoi s'agit-il ? Il ne s'agit pas d'un débat compassionnel pour plaindre ceux qui arrivent en fin de vie, qui n'en peuvent plus et qui voudraient mourir. Il s'agit d'un débat philosophique entre les conceptions totalement différentes que nous avons les uns et les autres de la personne humaine, de l'autonomie de sa volonté, de son droit à décider seul des conditions de sa mort.

M. Jean-Pierre Michel. Il ne s'agit pas non plus d'une exception d'euthanasie. Cette question est du passé. Le comité consultatif national d'éthique l'avait préconisée en 2000, mais, en 2003, c'était trop pour le gouvernement de l'époque.

En fait, il s'agit d'aider une personne qui le demande à abréger sa vie si elle ne peut le faire seule - si elle peut le faire seule, elle se suicide ! - et à lui permettre de mourir dans la dignité comme elle le souhaite. Cette dignité, mes chers collègues, seule cette personne peut en être juge et non le médecin, qui, au nom de je ne sais quel serment, refuserait de l'accompagner. Voilà quel est le sens de ce débat pour moi !

Il s'agit non pas, comme je l'ai entendu dire imprudemment - je préfère de ne pas retenir le nom de ceux qui l'ont dit -, du droit de tuer, mais de reconnaître la volonté de la personne humaine et son autonomie.

Madame la ministre, vous avez souvent défendu des positions, que certains estiment courageuses, mais que je qualifierai plutôt de justes et d'hétérodoxes, sur les problèmes de société. Nous comptons donc sur vous pour que le Gouvernement prenne en compte nos travaux et pour qu'un texte de loi répondant enfin à ce que réclament la majorité de nos concitoyens aboutisse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Mme Muguette Dini applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Lardeux.

M. André Lardeux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, s'il est un sujet qu'il est bien difficile d'appréhender, c'est celui de la fin de la vie et de la souffrance physique et psychique qui accompagne le mourant et son entourage. C'est difficile dans notre société qui ne veut plus voir la mort, puisque 70 % des personnes meurent à l'hôpital, et qui s'illusionne en souhaitant l'immortalité terrestre. C'est d'autant plus difficile tant se manifeste d'émotion quand une situation dramatique est exposée sans pudeur sur la place publique.

Dans ce domaine, on redoute plus que l'on ne connaît ; on craint plus que l'on ne sait, et les interpolations et interprétations fantaisistes vont bon train.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très juste !

M. André Lardeux. Si l'on doit compassion et respect aux personnes concernées et à leur entourage, nous devons nous garder de réagir seulement à l'émotion et éviter de nous laisser emporter dans le maelström médiatique, d'autant que celui-ci ne donne généralement la parole qu'aux militants les plus résolus de l'euthanasie. La dernière affaire en date l'illustre de façon caricaturale.

En effet, radios et télévisions utilisant à fond l'émotion de façon irresponsable n'ont relayé que la parole des partisans du prétendu « droit à mourir dans la dignité », jouant sur les mots sans guère de respect pour la plus élémentaire honnêteté intellectuelle, masquant la réalité derrière la multiplication d'euphémismes et laissant croire de façon choquante que la dégradation physique du corps prive la personne de sa dignité humaine ; tout cela sans donner la parole à ceux qui pensent qu'il y a des solutions alternatives permettant de respecter la personne autrement qu'en la tuant.

On ne peut que penser qu'il y a volonté de manipuler l'opinion par le diktat de l'affectif pour l'empêcher de réfléchir un tant soit peu de façon calme et mesurée à tout ce qu'implique la fin de vie.

Pour ma part, je pense qu'il faut réfléchir longuement avant de toucher à ce qu'il est convenu d'appeler la loi Leonetti, qui, je le crains, nous engage dans un engrenage mortifère.

On ne peut qu'être inquiet quand on lit ce qui a été écrit il y a une vingtaine d'années : « L'allongement de la durée de la vie n'est plus un objectif souhaité par la logique du pouvoir... Dès qu'il dépasse 60-65 ans, l'homme vit plus longtemps qu'il ne produit et il coûte alors cher à la société ; il est bien préférable que la machine humaine s'arrête brutalement, plutôt qu'elle ne se détériore progressivement. On pourrait accepter l'idée d'allongement de l'espérance de vie à condition de rendre les vieux solvables et de créer ainsi un marché. Je suis pour ma part en tant que socialiste contre l'allongement de la vie. L'euthanasie sera un des instruments essentiels de nos sociétés futures. »

J'espère que l'auteur à qui l'on attribue ce texte le désavouera, sinon le pire est à craindre.

Il faut dire « non » à l'euthanasie et « oui » à une médecine à visage humain, « oui » à une société à visage humain prenant pleinement en compte la dignité de la personne humaine.

En effet, avec Jean-François Mattei, je pense que c'est la dignité qui fait l'humain. On ne peut ni la donner ni l'enlever. On ne peut pas, à la fois, disposer de la dignité et décider qu'on l'a, qu'on l'a plus ou moins ou qu'on ne l'a plus. La dignité ne s'éteint pas progressivement au fil de la vieillesse ou de la maladie. Elle n'est pas biodégradable.

La qualité d'humain ne se décrète pas en fonction de la seule liberté du décideur, elle n'est pas subjective. S'engager dans ce sens serait extrêmement dangereux - le passé l'a amplement montré - car cela créerait une humanité à géométrie variable qui porterait atteinte à notre humanité intrinsèque. L'homme peut revendiquer des libertés, mais pas celle de choisir son humanité.

On naît humain et on vit humain, et rien ne peut en décider autrement. Aussi, en fin de vie, si l'acharnement thérapeutique est assurément déraisonnable, l'accompagnement des mourants obéit au principe d'humanité et au respect de la dignité de celui qui s'en va, pas l'euthanasie.

Nier la dignité de l'homme souffrant n'est-il pas indigne de l'homme qui se prétend non souffrant ? Opposer dignité et souffrance ne paraît pas digne de l'homme. C'est bien l'avenir et la dignité de l'humanité qui sont en jeu en la circonstance.

La fausse compassion nous expose à nombre de dangers. Parmi eux, le vote de textes qui ne répondent pas au problème posé.

Le précédent de la dépénalisation de l'avortement est emblématique. Devant des situations dramatiques indubitables, on a voté une loi sur l'IVG en espérant éviter sa banalisation. Pourtant, il n'y a jamais eu en France autant d'avortements qu'aujourd'hui. J'ai du mal à penser qu'il y ait chaque année 220 000 femmes en situation de détresse du fait d'une grossesse.

La question qui se pose est notre rapport à la vie. Notre société face à ce qu'elle considère comme n'entrant pas dans la norme répond très souvent par la mort. Pourtant, la collectivité est là pour protéger les citoyens, pas pour les tuer.

On ne peut pas, à partir d'un cas singulier, tirer des conclusions générales. Faire croire que la seule manière de respecter le désir de quelqu'un qui n'en peut plus est de lui donner la mort est une tromperie. Croire que l'euthanasie légalisée réglera la question de la souffrance et de la mort relève de l'illusion.

L'exception d'euthanasie ne tient pas la route : soit l'euthanasie est dépénalisée, soit elle ne l'est pas ! Il n'y a pas de situation intermédiaire.

Les risques de dérives sont considérables. Là où elle est légalisée, elle s'étend. L'exemple de la Belgique le fait craindre. On y pratique deux à trois euthanasies par jour, et le total annuel ne cesse d'augmenter.

M. François Autain. C'est faux !

M. André Lardeux. Ce n'est pas en franchissant l'interdit majeur du « tu ne tueras point » que l'on résoudra le problème. Faire tomber la barrière qui signifie que, pour chacun d'entre nous, la vie, même diminuée, a une valeur inestimable nous entraînera vers des impasses.

Tout d'abord, c'est une impasse pour les médecins et les soignants, dont il faut rappeler qu'ils ne doivent pas nuire aux patients : le médecin n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort.

C'est imposer aux médecins une responsabilité impossible à supporter. De nombreuses situations peuvent les confronter à la demande de mort : maladies incurables, démence sénile, maladie d'Alzheimer, handicaps profonds, congénitaux ou non, etc.

Donner la mort à quelqu'un, même s'il la demande, ne dédouane pas de sa responsabilité morale l'auteur de l'acte.

Ensuite, c'est une impasse pour les malades, dans notre société de la honte - en l'occurrence, la honte de montrer que des gens souffrent : nombre d'entre eux, sous l'effet d'un sentiment de culpabilité, pourraient souhaiter la mort pour ne pas déranger. Et ce sentiment pourrait s'étendre aux personnes qui se sentent socialement inutiles, un poids pour leur entourage ainsi que pour la collectivité.

Il ne peut être question de les sommer de quitter la vie. Ce ne serait pas respecter leur dignité et ce serait créer une nouvelle forme d'exclusion.

Enfin, c'est une impasse pour la société, pour la collectivité, pour nous tous. Cela signerait la fin de la solidarité, qui n'a déjà que trop régressé. Comment vivrons-nous dans une société du chacun pour soi, dans un monde où la solidarité et la compassion consisteront à donner la mort alors que l'interdit du meurtre est une valeur fondamentale, comme le reconnaît le Comité consultatif national d'éthique dans son avis du mois de mars 2000 ?

On ne peut pas livrer la fin de la vie à des spécialistes de l'extinction des feux. On n'ose imaginer un moderne comité des trois Parques !

Pour aller vers l'euthanasie, on affirme que la loi Leonetti n'est pas appliquée, voire qu'elle est mal appliquée. Il faudra, bien sûr, en évaluer les éventuels bienfaits et méfaits, et pour cela il faut du recul.

Quoi qu'il en soit, la réponse, même si la loi n'est pas bien appliquée, n'est pas de donner la mort. Il nous appartient d'analyser le vrai désir des personnes, qui demandent avant tout quatre choses : ne pas souffrir, ne pas être soumises à une obstination inutile, ne pas être exclues des décisions médicales les concernant, ne pas être abandonnées et mourir seules. C'est lorsque ces quatre demandes légitimes ne sont pas respectées qu'il y a souvent un désir d'euthanasie.

Alors que faire ? Il nous faut agir sur les leviers de la vie et donner le courage de vivre. Cela ne passe pas par une loi, qui ne peut répondre à chaque situation particulière et, s'il faut éviter l'acharnement thérapeutique déraisonnable, on ne peut demander à quelqu'un d'abréger la vie d'autrui, car cela demeurera toujours un homicide volontaire.

Il faut axer nos efforts sur les soins palliatifs. Les progrès réalisés dans ce domaine montrent que la question de l'euthanasie est dépassée. On a désormais, pour peu qu'on le veuille, les moyens de soulager la souffrance et d'aider les malades à rester en relation avec les autres, notamment avec les leurs. La dépénalisation de l'euthanasie remettrait en cause les efforts de ceux qui se mobilisent dans cette voie.

Les bonnes pratiques de fin de vie doivent être diffusées par la formation et l'information des médecins comme des professionnels de santé. Il faut poursuivre leur développement dans les établissements de santé. La circulaire que vous avez adressée, madame la ministre, va tout à fait dans ce sens.

Les soins palliatifs doivent également être développés dans l'accompagnement à domicile ou sur le lieu de vie habituel. Il faut aider les équipes qui réalisent ces missions.

Enfin, tout le corps social doit être sensibilisé et informé : tout est à faire en ce domaine, pour que chacun soit en mesure d'accueillir l'impuissance partagée.

Cela doit permettre d'anticiper le plus possible les situations qui peuvent devenir dramatiques, les situations de blocage, pour ne pas être tenté de supprimer la maladie en supprimant le malade, afin de rester toujours dans une posture d'humanité : soulager la douleur au risque de provoquer la mort ne relève pas de la même intention que pratiquer une euthanasie.

Certes, on pourra toujours mettre l'accent sur des cas difficiles, mais en réalité les gens souffrent surtout du regard que la société, c'est-à-dire nous, porte sur eux en leur donnant le sentiment qu'ils n'ont plus leur place parmi nous. Ce sentiment est souvent partagé par les proches.

Notre devoir est de protéger les plus faibles, non de les éliminer. On peut d'ailleurs citer des cas où le désir de vivre dignement est manifeste - je pense à Jean-Dominique Bauby et à son livre le Scaphandre et le papillon, mais aussi au très beau livre de Christiane Singer. Si la souffrance n'a pas de sens, la manière dont nous la prenons en compte est porteuse de sens.

En un mot, essayons de construire un monde où l'on manifeste plus de considération, plus d'amour envers ceux qui souffrent, un monde où la chaleur de la vie et le goût de la vie l'emportent sur le désir de mort, ce qui met en jeu notre sens de l'humain, car si la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie, et cela peut nous éviter de tomber dans la désespérance ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Jean-Claude Merceron et Mme Anne-Marie Payet applaudissent également.)