compte rendu intégral

Présidence de M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt d’un rapport en application d’une loi

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. André-Claude Lacoste, président du collège de l’Autorité de sûreté nucléaire, le rapport sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2007, établi en application de l’article 7 de la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.

Acte est donné du dépôt de ce rapport, qui a par ailleurs fait l’objet d’une présentation hier aux membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et qui sera transmis à la commission des affaires économiques, laquelle auditionne M. André-Claude Lacoste cet après-midi même.

Ce rapport sera disponible au bureau de la distribution.

3

Candidatures à des organismes extraparlementaires

M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein d’organismes extraparlementaires.

La commission des affaires économiques a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Francis Grignon pour siéger au sein du Conseil national de la sécurité routière.

La commission des affaires culturelles a fait connaître qu’elle propose la candidature de Mme Catherine Dumas pour siéger au sein de la Commission du dividende numérique.

Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

4

 
Dossier législatif : proposition de loi relative à la journée de solidarité
Discussion générale (suite)

Journée de solidarité

Adoption définitive d’une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la journée de solidarité
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la journée de solidarité (nos 245 et 259).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Valérie Létard, secrétaire d’État chargée de la solidarité. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la journée de solidarité avait été instaurée en 2004 par MM. Raffarin et Fillon à la suite de la terrible canicule de l’été 2003.

Il fallait maintenant tirer le bilan de trois années d’application. C’est ce qu’a fait Éric Besson dans son rapport d’évaluation, commandé par le Premier ministre. Cette proposition de loi en est la conséquence opérationnelle, et le Gouvernement y apporte tout son soutien.

Ce texte réaffirme, d’abord, le principe d’une journée de solidarité.

Cette journée de solidarité a fait la preuve de son efficacité : elle apporte aujourd’hui 2,3 milliards d’euros à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.

Concrètement, cette aide contribue, d’une part, au financement des prestations de compensation pour le grand âge – l’APA, l’Allocation personnalisée d’autonomie – et pour le handicap – la PCH, la prestation de compensation du handicap – ; en 2007, elle a permis de financer 449 millions d’euros pour l’APA et 612 millions d’euros pour la PCH.

Cette aide permet, d’autre part, de créer des places d’accueil, soit, depuis sa création, l’équivalent de 14 000 places d’accueil à domicile ou en établissement pour les personnes âgées dépendantes et 7 700 places pour les personnes handicapées.

Cette aide contribue aussi à l’important effort de médicalisation des maisons de retraite, avec 73 000 places médicalisées en 2007 grâce à la journée de solidarité. Médicaliser, c’est apporter les soins nécessaires aux personnes hébergées et éviter, bien sûr, la maltraitance.

L’efficacité de cette mesure se constate également sur le plan financier. Avec la journée de solidarité, nous sommes loin de ce qui se faisait avec la vignette automobile : la Cour des comptes, dont vous connaissez tous la rigueur, a montré en juillet 2006 que chaque euro rapporté par cette journée est un euro alloué aux actions en faveur de l’autonomie.

Parallèlement, je tiens à souligner que les ressources nouvelles liées à la journée de solidarité n’ont entraîné aucune réduction des budgets existants en ce domaine. J’en veux pour preuve la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, que j’ai défendue devant vous avec Xavier Bertrand et au sein de laquelle le budget en faveur des personnes âgées et handicapées augmente de 8,1 %.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement ne souhaite pas remettre en cause le principe de la journée de solidarité. Plutôt que d’augmenter les prélèvements pesant sur le travail, nous avons choisi, pour marquer notre solidarité avec les personnes âgées et handicapées, de travailler plus et d’instaurer une contribution de 0,3 % sur les revenus du patrimoine et des placements.

Mais, tout en conservant ce principe, des assouplissements sont possibles dans sa mise en œuvre. C’est ce que prévoit cette proposition de loi, c’est ce que souhaite le Gouvernement.

Chacun de nous a pu constater l’an dernier les difficultés que cette journée posait dans les petites entreprises et les administrations le lundi de Pentecôte.

Sur le plan national, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 70 % des entreprises étaient ouvertes le lundi de Pentecôte, mais seuls 42 % des salariés travaillaient ce jour-là. De plus, la plupart des services publics étaient fermés, qu’il s’agisse de La Poste ou de l’éducation nationale. Cela signifiait notamment que 4,5 millions d’enfants ne pouvaient alors être accueillis pendant que leurs parents travaillaient.

Enfin, dans le secteur du transport routier, pour des raisons de sécurité, les entreprises travaillant le lundi de Pentecôte ne pouvaient faire circuler leurs camions de plus de 7,5 tonnes.

À partir de ce constat, la question était la suivante : comment faire entrer dans la vie quotidienne des salariés un principe juste et solidaire sans désorganiser la vie des entreprises et de ceux qui y travaillent ?

La meilleure réponse est celle qu’envisage ce texte proposé notamment par M. le député Leonetti : réaffirmer le caractère férié du lundi de Pentecôte, tout en donnant une plus grande liberté aux salariés et aux entreprises.

Vous savez que le Gouvernement est très attaché à la liberté de choix, notamment en matière de temps de travail. Concernant la solidarité, nous avons le même objectif avec cette formule de « journée à la carte », qui prévoit que les partenaires sociaux se réuniront dans chaque entreprise pour fixer ensemble la date de la journée de solidarité.

Cette proposition implique ceci : à défaut d’accord collectif, la journée de solidarité n’est plus, par défaut, le lundi de Pentecôte, mais devient soit une journée de RTT, éventuellement divisée en deux demi-journées, soit un jour férié en moins au choix des partenaires sociaux, soit, enfin, sept heures réparties sur plusieurs jours.

Promouvoir cette souplesse d’application, c’est aussi faire en sorte que le principe de solidarité soit respecté : plus nous offrirons de souplesse aux entreprises, plus les partenaires sociaux trouveront les modalités pratiques d’organisation de ces sept heures de travail dans l’année.

Enfin, je voudrais souligner que ce texte de loi s’inscrit dans la politique de solidarité que nous mettons actuellement en œuvre avec Xavier Bertrand.

Comme vous le savez, notre pays doit faire face à un défi majeur, l’arrivée au grand âge de générations de plus en plus nombreuses. Aujourd’hui, 1,3 million de Français sont âgés de plus de 85 ans ; en 2015, ils seront 2 millions ; et 2015, c’est demain ! Dans le même temps, le nombre de personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer va également augmenter. Nous prenons donc les devants avec le plan Alzheimer, qui mobilise, pour lui seul, 1,6 milliard d’euros.

Nous devons anticiper ces évolutions démographiques, sociales et sanitaires. C’est pourquoi nous avons entamé avec Xavier Bertrand une réflexion sur la mise en œuvre du « cinquième risque de la protection sociale ».

Nous voulons apporter des réponses à toutes ces personnes qui ont besoin d’une aide à domicile ou d’une place en établissement spécialisé, à toutes ces familles qui attendent une prise en charge et pour lesquelles les délais d’attente sont encore trop longs.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est engagé dans une politique de solidarité ambitieuse. Celle-ci passe par des réformes qui doivent se traduire rapidement et concrètement dans la vie quotidienne de nos concitoyens.

La proposition de M. Leonetti relative à la journée de solidarité s’inscrit dans la direction que nous suivons : améliorer la prise en charge des personnes âgées et handicapées, en respectant à la fois la liberté de choix des partenaires sociaux et un principe de solidarité indispensable à la cohésion de notre société. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. André Lardeux, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, vous vous en souvenez, c’est dans le contexte des événements tragiques de la canicule de l’été 2003 qu’a été prise la décision de supprimer un jour férié, le lundi de Pentecôte, dans le but de dégager des ressources supplémentaires destinées aux personnes âgées et aux personnes handicapées. Quelques mois plus tard, la loi du 30 juin 2004 a créé le mécanisme de la journée de solidarité. Il en est résulté une majoration de sept heures de la durée annuelle de travail des salariés.

À l’origine, cette initiative a revêtu tout naturellement une force symbolique importante. Malheureusement, à l’épreuve des faits, cette dimension fraternelle et solidaire a très rapidement disparu.

Contrairement à l’Allemagne, où la suppression d’un jour férié dans le même objectif était intervenue en 1994 sans susciter de problème particulier, la création de cette journée de solidarité a fait l’objet dans notre pays de nombreuses critiques très injustes et surtout d’une certaine dose de mauvaise volonté dans le monde du travail.

Franchement, mes chers collègues, nous ne cessons, à longueur d’année, d’affirmer que notre système de protection sociale est fondé sur le principe de solidarité. Mais est-ce vraiment le cas, lorsque tant d’acteurs économiques et sociaux semblent renâcler à fournir un tout petit effort pour aider les plus fragiles de nos concitoyens ? Il ne s’agit après tout que de sept heures supplémentaires chaque année. Et la durée moyenne de travail est, dans notre pays, l’une des plus faibles au monde...

En 2007, force a été de constater que la majorité des salariés français n’a pas travaillé le lundi de Pentecôte. La proposition de loi déposée par Jean Leonetti et ses collègues députés vise à améliorer ce bilan peu flatteur par de nouveaux assouplissements à la loi du 30 juin 2004. Il s’agit de dispositions techniques que notre commission vous proposera d’adopter, avec pour seule modification un amendement tendant à encadrer les modalités de fractionnement sur l’année de ces sept heures de travail supplémentaires. Mais nos débats d’aujourd’hui permettront aussi de faire œuvre de pédagogie sur un sujet qui le mérite assurément.

Le bilan de la journée de solidarité apparaît aujourd’hui en demi-teinte.

Il s’agissait à l’origine d’un pari séduisant autant que d’un choix symbolique : renoncer à l’un des onze jours reconnus fériés par solidarité envers les personnes âgées et handicapées, tout en majorant, pour la première fois depuis plus de vingt ans, la durée du temps de travail par une décision législative.

Hélas ! cette initiative s’est trouvée confrontée à plusieurs difficultés pratiques en raison de la grande diversité des jours chômés accordés aux salariés français. À ces problèmes d’application s’est ajouté un certain nombre de manifestations de mauvaise volonté aboutissant à vider la loi d’une grande partie de sa substance. Citons, pêle-mêle, les grèves intervenues en 2005 dans les services publics, les recours contentieux des syndicats, mais également l’attitude de certaines entreprises du secteur privé qui ont offert cette journée à leurs salariés sans contrepartie, ce qui n’était pas l’esprit de la loi. On peut d’ailleurs se demander si ces entreprises sont fondées à se plaindre de la lourdeur des charges.

On peut aussi évoquer certaines modalités de fractionnement quotidien de la journée de solidarité. Parmi les plus singulières, celles qui sont en vigueur à la SNCF méritent une mention spéciale. Vous en trouverez le détail dans le rapport qui a été adopté par notre commission. Je ne suis pas loin de penser qu’il s’agit là d’une perception assez caricaturale du partage fraternel.

Si l’on se réfère aux quatre principaux critères d’évaluation que notre commission avait identifiés en 2004, il apparaît sans ambiguïté que seule une partie des objectifs initiaux du législateur a été atteinte. Un nouveau mode de financement pérenne du système de protection sociale a été créé pour un montant annuel de 2,1 milliards d’euros, dont 1,85 milliard d’euros versés par les employeurs privés et publics, auxquels s’ajoute une contribution sur les revenus du capital produisant 350 millions d’euros de recettes supplémentaires. Le pouvoir d’achat des salariés a été effectivement préservé. En revanche, l’insertion de la journée de solidarité dans le droit social s’est avérée très difficile. Enfin, la neutralité économique de cette mesure n’est pas entièrement assurée.

Par ailleurs, de trop grandes disparités de situations individuelles entre les assurés sociaux sapent la légitimité de la journée de solidarité auprès de l’opinion publique. Dans le secteur privé, 70 % des entreprises sont ouvertes et 48 % des salariés travaillent le lundi de Pentecôte. La plupart des services publics, en revanche, sont fermés. Certes, au total, 86 % des salariés se conformeraient à la loi, d’une façon ou d’une autre, durant l’année civile. Mais cette contribution est susceptible de prendre des formes aussi diverses que le renoncement à un jour de RTT ou le fractionnement quotidien des sept heures de travail supplémentaires.

La solution avancée dans la proposition de loi de Jean Leonetti pour améliorer ce triste constat s’inscrit dans la continuité des démarches déjà engagées dans le secteur public. Il s’agit, cette fois dans le secteur privé, de promouvoir davantage de souplesse dans l’organisation de la journée de solidarité.

Le texte prévoit en substance de donner « carte blanche » aux entreprises pour aménager au mieux, durant l’année civile, ces sept heures de travail supplémentaires. Cette idée trouve son origine dans le rapport du secrétariat d’État chargé de la prospective et de l’évaluation des politiques publiques publié en décembre 2007.

Trois hypothèses d’évolution de la journée de solidarité y étaient mises à l’étude.

Le premier scénario, le plus difficile, consistait à revenir à une application uniforme fixée au lundi de Pentecôte.

Le deuxième scénario, le moins difficile, impliquait l’abandon de toute référence au lundi de Pentecôte et le renvoi des modalités pratiques de ces sept heures de travail supplémentaires à des négociations avec les partenaires sociaux et in fine, en cas d’échec, aux employeurs.

Le troisième et dernier scénario visait à mettre fin aux principaux goulets d’étranglement empêchant l’enracinement de la journée de solidarité dans la vie économique et sociale, notamment en améliorant l’accueil et la garde des enfants le lundi de Pentecôte, ainsi que la situation dans le secteur des transports.

C’est donc la deuxième piste de réflexion qui a été retenue par la proposition de loi Leonetti, avec l’accord du Gouvernement.

Toutefois, seuls les salariés du secteur privé étaient concernés par le texte initial de la proposition de loi, alors que les principaux problèmes se situent dans les services publics. Mais un article additionnel adopté en première lecture par l’Assemblée nationale a fort opportunément réparé cet oubli.

Notre commission approuve l’économie générale de cette proposition de loi. Cependant, je ne vous le cacherai pas, mes chers collègues, trois questions majeures demeurent en suspens.

Il s’agit, en premier lieu, du rapport des Français au travail, dans un contexte de déficits structurels croissants du système de protection sociale.

Bien que la tendance à la diminution du temps de travail soit un phénomène constaté dans l’ensemble des pays de l’OCDE, la France occupe dans ce classement horaire une position particulière : le nombre annuel d’heures travaillées par actif occupé est aujourd’hui inférieur d’environ 15 % à la moyenne des autres pays concernés. L’augmentation du temps de travail résultant de la journée de solidarité reste modeste et rappelle que l’extension, voire la simple préservation, d’un système de protection sociale généreux ne pourra être financée à long terme que par l’accroissement de la production de richesse que permet le travail.

L’idée consistant à faire appel au dialogue social constitue une seconde source d’interrogations.

En effet, la quasi-totalité des syndicats a manifesté son hostilité au principe même de la journée de solidarité. Certains d’entre eux sont allés jusqu’à la qualifier de « corvée ». Il n’est guère étonnant, dans ces conditions, que seuls dix-neuf accords de branche aient été signés avec les organisations syndicales depuis 2004. En pratique, les chefs d’entreprise seront donc conduits le plus souvent, comme aujourd’hui, à définir en dernier ressort les modalités de cette journée de solidarité.

La proposition de loi ne laissant que des délais très courts entre la date prévisionnelle d’entrée en vigueur de ses dispositions et le prochain lundi de Pentecôte, fixé au 12 mai 2008, ses effets ne seront guère perceptibles avant 2009.

Enfin, nous persistons à nous interroger sur la neutralité économique, pour le secteur productif, de la journée de solidarité.

En l’absence d’une augmentation de 0,4 % de la quantité de travail produite par l’ensemble de l’économie française, l’apport de la loi du 30 juin 2004 se bornerait à la création d’un prélèvement obligatoire. Un processus d’ajustement dynamique dans les entreprises est donc indispensable pour leur permettre de faire travailler leurs salariés. Or l’introduction, pour le secteur privé, de davantage de souplesse ne risque-t-elle pas, à l’instar de ce qui s’est déjà produit dans les services publics, de vider la loi du 30 juin 2004 d’une partie de sa substance ?

Nous souhaitons en particulier que la liberté accordée aux entreprises pour organiser cette journée ne les conduise pas à des modalités de mise en œuvre qui feraient perdre de vue le ressort solidaire initialement envisagé. Or un trop grand fractionnement de ces sept heures de travail sur l’ensemble de l’année, comme certaines entreprises le pratiquent, serait de nature à faire perdre la conscience du geste fraternel qui avait inspiré la loi.

En définitive, mes chers collègues, notre commission vous demande d’adopter cette proposition de loi dans une version très proche de celle qui a été votée par nos collègues députés.

La solution retenue par ses auteurs présente, en effet, le mérite d’offrir une grande lisibilité, ce qui devrait renforcer la légitimité de la journée de solidarité aux yeux de nos concitoyens. Certes, il aurait été également concevable de mettre en œuvre le troisième scénario étudié par le rapport Besson, qui aurait consisté à conserver l’acquis du lundi de Pentecôte tout en agissant prioritairement sur les modalités d’accueil des enfants dans les crèches et les écoles, ainsi que sur l’organisation des transports publics et privés. Mais c’est un autre choix qui a été fait, et nous en prenons acte.

Pour conclure, permettez-moi une observation de portée générale. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne résout évidemment pas de manière définitive les problèmes de financement de la politique de la dépendance. D’autres mesures devront être prises pour préparer l’avenir. Nous y reviendrons lorsque nous examinerons, d’ici à la fin de cette année, le projet de loi, en cours d’élaboration, concernant la création d’un cinquième risque de protection sociale. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le bon sens l’emporte, enfin ! Il aura donc fallu quatre ans de mise en œuvre chaotique...

M. Yves Détraigne. ...et plusieurs rapports officiels, dont le rapport du comité de suivi et d’évaluation de la journée de solidarité, remis au Premier ministre le 19 juillet 2005, le rapport d’information de Denis Jacquat du 30 novembre 2005, ou encore celui du 18 décembre 2007 d’Éric Besson, pour que le Gouvernement accepte de tirer enfin les conséquences de ce que nos concitoyens, à une large majorité, constataient sur le terrain depuis le début de la mise en œuvre de la journée de solidarité, à savoir que l’application de cette mesure, instaurée à la suite de la canicule de 2003, et dont il ne s’agit pas pour moi de contester le principe, était plus un modèle de désordre que d’organisation.

Je passerai rapidement sur l’obligation faite aux transporteurs routiers de travailler le lundi de Pentecôte, sans qu’ils aient pour autant, comme l’a dit Mme la secrétaire d’État, le droit de faire circuler leurs poids lourds ! Le ridicule de la situation parle de lui-même et ne mérite pas de commentaire particulier.

J’évoquerai également la manière dont la SNCF a décidé de mettre en œuvre cette journée de solidarité dans certains services et qui a fait sourire, souvent de manière grinçante, la France entière. Le fait de décider que les employés travailleront chacun une minute onze secondes de plus chaque jour ressemble plus à une mauvaise blague qu’à une décision de gestion mûrement réfléchie. (M. le président de la commission des affaires sociales opine.) Si la SNCF, société nationale, avait voulu dire qu’elle ne croyait pas un instant à la mesure proposée, elle ne s’y serait pas prise autrement.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Peut-être ne croit-elle pas en la solidarité !

M. Yves Détraigne. En effet. Si l’on ajoute qu’elle a par ailleurs, comme l’indique le rapport Leonetti, offert à son personnel un bonus de rémunération en violation de la loi – qui dispose que le travail accompli durant la journée de solidarité ne donne pas lieu à rétribution – et que le service du lundi de Pentecôte est resté un service réduit de jour férié, alors que la majorité des utilisateurs de la SNCF étaient censés aller au travail ce jour-là et avaient donc besoin de prendre le train, nous avons, avec l’exemple de cette seule entreprise nationale, une belle démonstration de la manière on ne peut plus chaotique et fantaisiste dont a été mise en œuvre cette journée de solidarité.

Je soulignerai surtout la position surprenante de l’État lui-même qui, au travers de l’arrêté du ministre de l’éducation nationale en date du 8 décembre 2004, a décidé que, pour les personnels placés sous son autorité, toutes académies confondues, cette journée serait celle du lundi de Pentecôte et a permis, simultanément, aux recteurs d’académie de choisir un jour différent afin de s’adapter aux nécessités locales. C’est ce que l’on appelle, dans mon département, « vouloir une chose et son contraire ».

Je ne multiplierai pas les exemples pour illustrer la manière dont l’esprit de cette loi a été détourné au cours de la mise en œuvre de celle-ci. Ils sont nombreux ; nous le savons tous, car nous avons vécu la situation sur le terrain.

Comme de nombreux parlementaires, j’ai soulevé à plusieurs reprises auprès des ministres compétents de l’époque, soit au travers de courriers, soit par des questions écrites, les incohérences et les inconvénients qu’entraînait pour nombre de familles et pour divers corps de métiers la manière dont cette journée était mise en œuvre.

Ainsi, en juin 2007, j’écrivais un courrier au ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, en citant quelques exemples des absurdités relevées le dernier week-end de Pentecôte dans mon département. J’indiquais notamment ceci : « Ces quelques exemples démontrent que l’organisation de la journée de solidarité aboutit, dans de nombreux cas, à des situations abracadabrantes et crée, en tout état de cause, de profondes inégalités entre les différentes catégories de travailleurs. Je considère donc qu’il serait sans doute plus réaliste, plus judicieux et plus efficace de maintenir la contribution spécifique sans pour autant imposer cette journée de travail fictif ou de décider, purement et simplement, de réduire d’une journée le nombre de jours de congés annuels dont bénéficient les Français. »

Je ne peux donc que me réjouir de la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui et que le groupe Union centriste-UDF votera.

Je ferai cependant observer que l’instauration de la journée de solidarité est fondée sur une ambiguïté. Il a, en effet, été expliqué aux Français qu’en travaillant une journée de plus on augmentait la richesse produite et, par voie de conséquence, notre capacité à contribuer à la solidarité nationale.

Ce principe est à la fois vrai et faux. Vrai en ce sens que des entreprises de production fabriquent effectivement plus et augmentent leur chiffre d’affaires. Mais faux car beaucoup d’activités, que je serais tenté de qualifier d’« activités de soutien » – je pense notamment aux services des collectivités publiques – ne créent pas de richesses nouvelles, mais supportent bien des charges supplémentaires en raison de l’ouverture une journée de plus chaque année.

Pour une collectivité, ouvrir ses services une journée de plus que prévu, ce sont des charges de fonctionnement une journée de plus, mais sans aucune recette nouvelle.

La charge supplémentaire a été d’autant plus lourde que, dès lors que de nombreux parents étaient au travail tandis que leurs enfants n’avaient pas école ce jour-là, il revenait, bien entendu, aux collectivités locales de faire le nécessaire pour que ces enfants ne soient pas livrés à eux-mêmes.

Sans vouloir contester le fait que ce sont tous les Français, et pas seulement ceux qui travaillent dans le secteur marchand, qui doivent participer à cette journée de solidarité – sinon, le terme « solidarité » n’a plus de sens –, je souhaitais cependant formuler cette observation au regard des remarques que l’État ne manque pas de faire régulièrement – notamment en ce moment – aux collectivités locales sur le fait qu’elles ne participent pas assez à la réduction des déficits publics.

C’est bien beau de faire ce type de reproches aux collectivités, mais encore faudrait-il être cohérent et ne pas leur infliger de charges nouvelles sans contrepartie comme cela a été le cas – parmi beaucoup d’autres – avec la journée de solidarité !

J’aimerais aussi que l’on ait des chiffres plus précis sur ce que rapporte effectivement cette journée en recettes supplémentaires pour la solidarité nationale, mais également sur les coûts supplémentaires qu’elle génère, et pas seulement pour le secteur public. Le rapport cite, en effet, des chiffres en réalité difficiles à vérifier ; ce sont des estimations tout à fait théoriques.

On pourrait également s’interroger, au moment où notre pays est à nouveau en panne de croissance, où les déficits publics sont supérieurs à ce qui était attendu et où l’État vient d’annoncer une réduction de ses dépenses de l’ordre de 7 milliards d’euros, pour savoir si c’est véritablement en augmentant les charges et les contraintes qui pèsent sur l’ensemble des agents économiques – comme cela a été le cas avec la journée de solidarité – que notre pays va durablement se donner des moyens supplémentaires pour répondre aux incontestables besoins de solidarité en direction des personnes âgées et des personnes handicapées.

Peut-on simultanément se plaindre du poids des prélèvements et des contraintes qui entravent notre économie et continuer, chaque fois qu’un problème surgit sur le devant de l’actualité, à instaurer de nouvelles taxes ? N’est-ce pas plutôt en réduisant les contraintes, en libérant la croissance et le travail – et j’approuve à cet égard le propos de M. le rapporteur – que notre pays rejoindra le cercle vertueux d’une croissance retrouvée générant, sans instauration de taxe nouvelle, des recettes supplémentaires nous permettant de faire face aux besoins de solidarité entre les générations ? Je crois que c’est aussi cette question essentielle qui nous est posée au travers des incohérences auxquelles a donné lieu la mise en œuvre de la loi de 2004.

Quoi qu’il en soit, et même si ce texte ne tranche pas sur ce choix de société, le bon sens l’emporte avec cette proposition de loi. Nous la voterons donc sans hésiter, avec l’espoir que les employeurs utilisent intelligemment la souplesse qui va leur être donnée et ne recréent pas de « vraies fausses journées » de solidarité. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et sur quelques travées de lUMP.)