M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la discussion du présent projet de loi aurait pu être un grand moment pour notre pays.

Nous aurions pu, enfin, nous doter d’outils juridiques performants pour répondre à l’attente de milliers de nos concitoyennes et concitoyens exclus, rejetés, discriminés pour des raisons diverses mais toujours douloureuses.

Elles ou ils sont chaque jour des dizaines à se voir refuser un poste en raison de leurs origines, des dizaines encore à rencontrer les plus grandes difficultés à se loger parce qu’ils n’ont pas le « bon » nom de famille, des dizaines à se voir refuser l’accès aux lieux de festivités, par exemple aux « boîtes de nuit », en raison de la couleur de leur peau, des centaines à ne pas progresser dans l’entreprise à cause de leur engagement syndical.

Elles ou ils sont nombreux encore à s’entendre dire : « désolé, mais l’expérience que vous avez acquise au cours de ces quinze dernières années est incompatible avec le poste que nous proposons », ou à ne pas parvenir, en raison de leur état de santé, à bénéficier d’un prêt.

Elles sont nombreuses à ne pas être embauchées parce qu’elles sont « femmes », à subir des salaires inférieurs à ceux de leurs collègues « hommes », ou bien à devoir répondre à des questions sur leurs projets de maternité. Et quand elles sont à la fois femmes et syndicalistes,…

Mme Muguette Dini, rapporteur. Et enceintes !

Mme Annie David. … elles connaissent parfaitement l’inégalité de traitement !

Aussi, doit-on parler de discrimination, d’inégalité de traitement ? C’est sur ce point, madame Dini, que je ne pourrai vous suivre : pour moi, la cause est bien la discrimination, et le résultat l’inégalité de traitement !

Ce débat aurait pu être aussi l’occasion de présenter un bilan de l’application des textes existants en matière d’emploi. La persistance manifeste des inégalités, notamment professionnelles et salariales, entre les femmes et les hommes devrait inciter le Gouvernement à ne pas borner son ambition au perfectionnement de l’arsenal juridique de lutte contre les discriminations déjà existant, mais à s’attacher dorénavant à en améliorer l’application concrète. C’est d’ailleurs l’objet de l’une des recommandations que Mme Hummel a formulées au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, recommandation que j’ai votée.

La liste des discriminations possibles est malheureusement bien longue, d’autant plus longue que l’État lui-même participe à ce mouvement discriminatoire.

Je pense par exemple au maintien de la non-équivalence pour certains diplômes de médecine, d’ailleurs dénoncé par la HALDE, situation à laquelle le Gouvernement a refusé de mettre un terme durant l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, alors que nous en faisions la proposition.

Je pense encore au droit de vote pour les résidents extracommunautaires. Elles, ils sont des milliers, régulièrement installés en France, à être exclus du processus démocratique. Ils participent, dans les associations de quartier ou de parents d’élèves, dans les organisations politiques et syndicales, à la démocratie locale, à l’enrichissement des idées et des projets, mais lorsqu’il s’agit de se doter de l’exécutif local et du projet municipal pour les appliquer, on leur retire tout droit ! Je me souviens pourtant avoir entendu un candidat à l’élection présidentielle se déclarer favorable au droit de vote pour les étrangers. Ce même candidat affirmait : « Je dis ce que je fais, et je fais ce que je dis. » Voilà encore une promesse que, une fois élu, il aura bien vite oubliée !

Les situations que je viens de décrire ne sont pas issues de mon imagination, d’autres avant moi s’y sont d’ailleurs référés : elles se retrouvent dans les résultats d’une enquête menée en France de fin 2005 à mi-2006 sous l’égide du Bureau international du travail et de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, qui a mis au jour ce que nous savions déjà mais dont la dimension devrait tous nous alerter.

Les conclusions de cette enquête, remises en mars 2007, nous apprennent que « près de quatre fois sur cinq, un candidat à l’embauche d’origine hexagonale ancienne sera préféré à un candidat d’origine maghrébine ou noire ». Cette étude publique a suscité la rédaction commune de recommandations par la HALDE et le Bureau international du travail, dont on peut regretter qu’elles n’aient pas toutes été suivies par le Gouvernement.

La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité a par ailleurs reçu, en 2006, plus de 4 000 réclamations. Le chiffre est important, mais sans doute en deçà de la réalité. Comment pourrait-il en être autrement, quand on sait l’ambiance qui règne dans certaines entreprises, mais également dans la fonction publique ? Comment pourrait-il en être autrement, quand l’existence de la HALDE est trop souvent méconnue, quand les missions, les compétences, les moyens et l’organisation de cette autorité sont insuffisants pour qu’elle puisse répondre aux attentes ?

Ainsi, on découvre dans le rapport remis par la HALDE pour l’année 2006 que 35 % des réclamations étaient fondées sur des motifs liés à l’origine du requérant, près de 16 % sur son état de santé, 6 % sur son âge, 5 % sur son sexe, 3 % sur son activité syndicale. On le voit, le champ des discriminations est large ! Il est important et évolutif, du fait de l’émergence de nouvelles formes de discrimination ou de l’expansion de plus anciennes, comme celles qui sont liées au harcèlement au travail. Cette évolution a d’ailleurs été remarquée par M. Louis Schweitzer, président de la HALDE, qui constate « l’importance des réclamations portant sur le harcèlement au travail » et précise que ce dernier « est pratiqué par l’employeur, ou bien par les collègues des salariés ».

Pour autant, et malgré la reconnaissance – unanime dans cette enceinte, je dois le souligner – dont jouit la HALDE, le projet de loi ne répond pas aux recommandations que celle-ci a émises à son sujet !

Puisque les discriminations évoluent, il semble clair que notre législation doit en faire autant. Tel n’est pas suffisamment le cas avec ce texte, nul ici ne peut le nier, et les actions lancées par la Commission européenne à l’encontre de la France sont là pour nous le rappeler : deux mises en demeure, un avis motivé, un ultimatum pour la mi-août. Mme Dini, dans son rapport, en fait état : « À trois mois de la présidence française de l’Union, le texte vise donc avant tout, de l’aveu même du Gouvernement, à mettre la France à l’abri de ces procédures judiciaires. »

Si je veux bien admettre que, en soi, cet objectif n’est pas contestable, il ne peut être le seul. Au regard de la transposition, dont chacun s’accorde à dire qu’elle est minimaliste et manque d’ambition, cet argument est à mes yeux irrecevable : le projet de loi est la conséquence de l’ultimatum européen plus que d’une réelle volonté de faire avancer la lutte contre toutes les discriminations.

Par ailleurs, lorsque je vous ai interrogée en commission, madame la secrétaire d’État, sur le caractère quelque peu précipité de cette transposition, vous avez répondu que la France voulait éviter d’être une nouvelle fois sanctionnée, et ce d’autant plus qu’elle s’apprête à assurer la présidence de l’Union européenne. Il faut donc sauvegarder les apparences d’une France qui répond aux exigences européennes.

Peu importe si les transpositions ont huit ans de retard : ce qui compte, c’est que le jour « J », le jour où tous les regards seront braqués sur la France, nous soyons à jour de cette transposition.

Peu importe alors si les associations, les organisations syndicales, n’ont pas été consultées.

Peu importe si les représentants de celles et ceux qui subissent au quotidien les discriminations n’ont pas été associés. Ils auraient pourtant pu apporter aux rédacteurs du projet de loi un peu du vécu des milliers de nos concitoyennes et concitoyens pour qui la discrimination est non pas un vain mot, mais une souffrance au quotidien. Je crois sincèrement que, si l’on avait procédé ainsi, le texte qui nous est présenté aujourd’hui n’en aurait été que meilleur.

Peu importe si les dispositions de ce projet de transposition ne sont pas codifiées et viennent se superposer aux textes existants. On passe ainsi outre à une autre des recommandations de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui « déplore que le dispositif proposé par le projet de loi risque d’ajouter à la complexité du droit français dans un domaine où il est pourtant indispensable que le droit puisse être bien compris par les justiciables. Elle invite donc le Gouvernement à améliorer la cohérence des régimes juridiques applicables et, notamment, à rechercher une meilleure harmonisation des différents critères de discrimination utilisés dans le droit français, qu’ils soient ou non issus du droit européen. »

Dans ces conditions, je fais miens les propos de Mme Hummel : même si la solution retenue par le Gouvernement constitue sans doute la voie la plus rapide et la plus prudente, j’estime que des progrès restent à accomplir pour rendre le dispositif de lutte contre les discriminations plus accessible et plus compréhensible par les victimes de celles-ci.

Que ce soit en raison de l’urgence ou à cause du manque de concertation, force est de constater que le Gouvernement se cantonne à une transposition qui se veut stricte, mais ne l’est même pas toujours. En effet, si je veux bien admettre, là encore, l’argument selon lequel vous avez voulu transposer la directive en des termes identiques, pourquoi, alors, avoir refusé de transposer dans son intégralité la définition européenne du harcèlement sexuel ? Cet exemple, que je déplore d’ailleurs, est la preuve que « transposition » ne signifie pas « stricte reproduction » de la directive européenne !

Les gouvernements nationaux, vous le savez bien, disposent d’une certaine latitude pour modifier le texte initial. Je rappelle à ce propos les termes du premier alinéa de l’article 6 de la directive 2000/43 : « Les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables à la protection du principe de l'égalité de traitement que celles prévues dans la présente directive. » On peut donc faire mieux !

Qui plus est, quelques mois nous séparant encore de la date d’échéance pour la transposition de la dernière directive, vous auriez pu mettre ce délai à profit pour enrichir votre projet de loi. Vous auriez pu, par exemple, réfléchir au renforcement de la HALDE par l’extension de ses missions, par l’augmentation de ses ressources, ou encore par l’établissement d’un représentant dans chacune des régions. Je regrette à ce propos que la commission des finances ait invoqué l’article 40 de la Constitution contre un amendement que j’avais déposé et qui visait à créer des délégations régionales de la HALDE. Je ne pourrai donc pas le défendre tout à l’heure, ce que je déplore vivement.

Rien non plus ne figure dans le projet de loi sur la question des négociations triennales obligatoires sur l’égalité professionnelle, alors qu’on sait qu’elles ne sont pas toujours menées et qu’elles ne conduisent que rarement à des évolutions concrètes, se limitant presque toujours à de simples constats. Pourtant, l’accablant rapport publié il y a peu sur ce thème par le Conseil économique et social aurait dû vous alerter : non seulement les femmes demeurent moins bien payées que les hommes, mais les emplois qu’elles occupent sont aussi plus « flexibles » et plus précaires.

Je regrette également que vous ayez eu recours au mot « race », dont l’utilisation dans la formule « discriminer à raison de la race » laisse supposer qu’il y aurait plusieurs races. Avec mes collègues, je m’inscris en faux contre cette idée qui, de fait, renvoie à une possible différence non fondée en droit mais permettant la survivance de thèses des plus révisionnistes, des plus xénophobes, au nom desquelles tant de crimes ont déjà été commis.

Pour conclure, j’indiquerai que, s’il reste en l’état, ce texte, attendu par les associations, ne résoudra pas la majorité des difficultés que rencontrent nos concitoyens, d’autant que, ici même, la majorité gouvernementale a décidé d’abaisser de trente ans à cinq ans les délais de prescription en matière civile.

Ainsi, la période durant laquelle un de nos concitoyens ou une de nos concitoyennes victime de discrimination pourra faire valoir ses droits devant la juridiction civile se trouvera considérablement réduite. J’ai bien entendu les propos de M. Hyest et pris connaissance de l’amendement qu’il a déposé à ce sujet, j’ai bien compris que, pour la réparation, il serait tenu compte de la durée totale de la discrimination subie, mais un délai de cinq ans me paraît malgré tout trop court. J’y reviendrai lorsque cet amendement sera examiné.

De plus, il me semble que la conjonction du présent projet de loi et du texte réaménageant les délais de prescription pourrait se résumer par cette expression : « Ce que je donne d’une main, je le reprends de l’autre. » Cela est d’autant plus vrai que l’article 1er du projet de loi que nous examinons aujourd’hui organise de fait une hiérarchisation des discriminations. Là encore, j’y reviendrai lors de la discussion des articles.

En d’autres termes, ce projet de loi n’est pas réellement créateur de droits. C’est la raison pour laquelle mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen et moi-même avons déposé un certain nombre d’amendements visant à l’améliorer. Vous comprendrez donc, mes chers collègues, que du sort que vous leur réserverez dépende la position de mon groupe sur l’ensemble du texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari.

Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier Mme Dini de la qualité de son rapport, car il donne à réfléchir.

En effet, au-delà du droit, madame le rapporteur, et dépassant la dimension « subliminale » du sujet qui nous occupe, vous posez la question de notre modèle, de ses limites, voire de sa dissolution dans l’espace européen. Je vous remercie par conséquent d’être allée au fond des choses. Au-delà de nos divergences sur un certain nombre de points, il était important, me semble-t-il, de marquer ainsi l’importance de notre modèle républicain.

Depuis quelques années, les études, les publications, les colloques portant sur la lutte contre les discriminations se succèdent à un rythme de plus en plus soutenu. Cette problématique, autrefois évacuée, s’est imposée à tous les acteurs de notre société : les entreprises au travers de la charte de la diversité, les partis politiques au travers de la promotion de la diversité dans leur offre politique.

Devant ce foisonnement d’initiatives, il y a quelque chose de surprenant et de paradoxal à constater la timidité, voire l’ambiguïté, des avancées législatives nationales. J’en veux pour preuve l’adoption par voie parlementaire du CV anonyme, disposition introduite dans la loi pour l’égalité des chances.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Où est le décret ?

Mme Bariza Khiari. Est-il utile de le rappeler, les discriminations sont, pour ceux qui en sont victimes, de vraies morts sociales.

La disposition que j’évoquais à l’instant, dont l’introduction résulte de l’adoption d’un amendement de M. About et que j’ai défendue avec d’autres dans cet hémicycle, n’a toujours pas de portée réelle, faute de décret d’application !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Eh oui, ce n’est pas normal !

Mme Bariza Khiari. J’espère, madame la secrétaire d’État, que vous pourrez nous répondre sur ce point.

Voilà donc un domaine où le Gouvernement a fait preuve de timidité, pour ne pas dire d’absence de volontarisme, auprès des partenaires sociaux, alors même que le CV anonyme est un outil de promotion de l’égalité républicaine qui trouverait toute sa place dans notre tradition méritocratique.

L’ambiguïté du Gouvernement a été manifeste quand, à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, et au motif de lutter contre les discriminations, il a proposé la création de statistiques ethnoraciales. C’était en quelque sorte faire porter la responsabilité des inégalités sur des considérations ethniques et créer ainsi les conditions de l’ « ethnicisation » de la question sociale. (M. le président de la commission des affaires sociales acquiesce.) Cela allait jusqu’à préparer les instruments nécessaires à une politique de quotas et à instaurer ainsi les conditions d’une concurrence entre les différentes communautés.

Cette initiative, heureusement écartée par le Conseil constitutionnel, est la caricature d’une certaine pensée en matière de lutte contre les discriminations.

Toutefois, cette mauvaise volonté nationale manifeste doit néanmoins s’accommoder des obligations européennes. Ainsi, la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, qui s’est imposée comme un instrument majeur de lutte contre les discriminations, est issue d’une obligation européenne et non pas d’une volonté politique nationale.

C’est donc à coup d’éperons européens, et non en conséquence d’une mobilisation nationale, que nous sommes amenés à débattre de cette question. Le souci de ne pas risquer de faire l’objet d’une procédure judiciaire pendant la présidence française de l’Union européenne explique le dépôt de ce projet de loi de transposition.

C’est dans ces circonstances, madame la secrétaire d’État, que le Parlement hérite d’un projet de loi élaboré à la hâte et qu’il lui revient de discuter en urgence. Or, étant donné les difficultés de forme et de fond posées par ce texte, une navette parlementaire complète aurait été nécessaire.

Depuis la loi de 2001 relative à la lutte contre les discriminations et la création de la HALDE, notre droit s’était appliqué à uniformiser les dispositifs, mettant au même niveau les peines encourues et les procédures à suivre, quel que soit le motif de la discrimination.

Ainsi, la présente transposition pose non seulement un problème de lisibilité, mais aussi un problème de principe : la hiérarchisation et la différenciation des discriminations vont à l’encontre de la tradition de notre droit, qui fait de l’égalité un principe commun d’unité. Ce point est d’ailleurs fortement souligné par Mme le rapporteur, qui évoque même des dérives communautaristes possibles.

À titre d’exemple, en première lecture à l’Assemblée nationale, une disposition autorisant l’organisation d’enseignements non mixtes a été adoptée et inscrite à l’article 2. Or cette disposition, en soi si contraire à nos pratiques et à nos valeurs, ne figure dans aucune des directives européennes à transposer ! Nous demanderons donc la suppression de cette disposition, mais cela en dit long sur la logique qui sous-tend ce projet de loi.

De même, toujours à l’article 2, il est rappelé que le texte ne fait pas obstacle à la possibilité, pour les sociétés d’assurance, de mettre en place des tarifs différenciés selon le sexe et en fonction des prestations.

Cette disposition a déjà été transposée dans notre droit interne en décembre 2007, sans susciter davantage de débat. Or il convient de rappeler que cette exception du tarif différencié au principe de l’égalité de traitement ne devait pas figurer dans la directive et que ce n’est qu’après un intense lobbying des assureurs qu’elle y a été intégrée.

Dès lors, et bien que l’article L. 111-7 du code des assurances encadre ces possibilités de dérogations, il faut s’interroger sur le bien-fondé de cette exception : on sait, par exemple, que les jeunes conductrices ont moins d’accidents de voiture que les jeunes conducteurs ; on pourrait justifier qu’elles puissent bénéficier d’un tarif inférieur. De ce point de vue, une telle inégalité de traitement serait plus juste qu’un tarif commun. Un raisonnement similaire peut être tenu concernant l’assurance-vie.

Cet exemple touche directement à la distinction délicate entre l’inégalité de traitement et la discrimination. On peut arguer que le tarif différencié, établi à partir de données actuarielles, de tables de risques et d’éléments étrangers au conducteur, constitue une discrimination dans la mesure où il méconnaît le comportement individuel de la personne. Par ailleurs, il faudra un jour s’interroger sur la prise en considération de données statistiques et prétendument prédictives dans la loi.

À l’inverse, d’autres soutiennent que le tarif différencié est non seulement juste, mais optimal, dans la mesure où il est légitimé par les calculs de risques. Selon ce raisonnement, l’inégalité de traitement n’est plus une discrimination, alors que l’égalité de traitement en serait une.

Il est vrai que la distinction est difficile à établir et que notre réflexion n’est pas complètement aboutie. Il est vrai également que l’introduction dans notre droit de la notion de discrimination ne va pas sans produire des tensions fortes avec notre conception de l’égalité républicaine.

Dans votre rapport, madame Dini, vous évoquez également les problèmes posés par l’absence de codification des définitions portant sur les discriminations directes et indirectes. C’est une préoccupation que je partage.

Je conteste, pour ma part, la logique de différenciation entre les discriminations : en instituant des régimes de protection différenciés, le projet de loi, qui se contente de « copier-coller » les directives, établit une hiérarchie entre les discriminations.

Notre code pénal retient, quant à lui, quinze motifs de discrimination. En matière civile, seuls sept critères de discrimination seront donc retenus. Cette dissymétrie sera source de confusion. On notera aussi l’absence du critère portant sur l’état de santé, qui représente aujourd’hui un motif important de saisine de la HALDE.

Je partage certaines de vos réserves, madame le rapporteur, sans toutefois vous suivre concernant l’aménagement de la charge de la preuve, que vous présentez comme la généralisation d’une présomption de culpabilité. Les études attestant de l’ampleur des pratiques discriminatoires sont légion, les dernières en date étant celle du Bureau international du travail de mai 2007 et celle de l’INSEE intitulée Femmes et hommes-Regards sur la parité, parue en février 2008.

Nous sommes dans une société où les pratiques discriminatoires sont massives et, en dépit de nos efforts, elles sont encore considérées comme naturelles. Il suffit, pour s’en convaincre, de compter, sur les doigts d’une main, les plaintes au pénal qui aboutissent en matière de discrimination, en dépit d’un arsenal juridique important.

C’est pourquoi la généralisation de l’aménagement de la charge de la preuve, quel que soit le motif de la discrimination, est une disposition qui constitue une avancée importante. Elle est, à mon sens, indispensable pour que les employeurs et les bailleurs réfléchissent à leurs façons de procéder et se départissent ainsi de leurs mauvaises pratiques.

C’est également dans cet esprit que je défendrai un amendement tendant à l’intégration d’un nouveau chapitre dans le bilan social des entreprises, portant sur la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité.

J’avais souhaité déposer un amendement au code des marchés publics, afin que l’engagement d’une entreprise en faveur de la lutte contre les discriminations devienne, tout comme son engagement en matière de développement durable, l’un des critères d’attribution d’un marché. Or le code des marchés publics n’est plus modifiable par la voie parlementaire. Des dispositions autrefois législatives sont devenues réglementaires et le législateur, dont l’intervention serait pourtant opportune en la matière, n’a plus la possibilité d’agir.

Par ailleurs, nous avons déposé un amendement visant à supprimer du texte le mot « race ».

La notion de « race » est apparue pour la première fois dans notre droit sous le régime de Vichy. Utiliser ce terme, fût-ce pour prohiber les discriminations, concourt à légitimer son existence, alors même que des travaux récents de biologie et de génétique ont conclu à l’inexistence de toute race dans l’espèce humaine.

Mme Bariza Khiari. Cette contradiction entre le droit et la science n’est pas sans conséquence. Certes, la suppression dans le texte du mot « race » ne fera pas disparaître le racisme, mais notre droit cessera d’entretenir, dans l’imaginaire des individus, la force du préjugé.

Enfin, je défendrai un amendement qui s’inscrit dans une réflexion plus générale sur les emplois dits « fermés ».

Aujourd’hui, 600 000 emplois du secteur privé et libéral – je ne parle pas des emplois publics – sont, en droit, non accessibles aux étrangers extracommunautaires. Or ces réglementations restrictives datent des années trente, époque de fortes tensions xénophobes. Les médecins, les vétérinaires, les avocats, les pharmaciens, suivis des membres des autres ordres, étaient fort bien représentés au Parlement et ont obtenu le vote de ces mesures protectionnistes, au nom de l’intérêt général. (M. le président de la commission des affaires sociales sourit.) Il y eut même un parlementaire, dont je ne souhaite pas retenir le nom, qui déposa un amendement visant à interdire l’accès à ces emplois aux Français naturalisés de la quatrième génération ! (M. Michel Dreyfus-Schmidt s’exclame.)

Les fondements de ces restrictions législatives et réglementaires sont historiquement datés, économiquement obsolètes et moralement condamnables. Surtout, ces restrictions constituent des obstacles administratifs humiliants et inutiles : un étudiant étranger ayant obtenu son diplôme d’architecte en France doit s’engager dans une démarche dérogatoire pour obtenir son inscription à l’ordre. Il suffirait de supprimer la condition de nationalité, tout en préservant, bien sûr, la condition de détention d’un diplôme français, pour donner un nouveau souffle, un nouveau sens, une nouvelle orientation à notre politique de lutte contre les discriminations. Je reviendrai plus longuement dans le cours du débat sur cette proposition, soutenue par l’Ordre des architectes et qui, si elle était adoptée, ne modifierait en rien l’ordre du monde, mais ferait honneur au législateur.

Le Parlement devra un jour se pencher sur l’ensemble des emplois dits « fermés ». Il n’est pas normal qu’une sage-femme ou un géomètre disposant d’un diplôme français ne puissent pas, parce qu’ils sont étrangers, exercer leur métier dans notre pays. Les discriminations légales entraînant par effet de système les discriminations illégales, leur périmètre doit être restreint aux emplois touchant à la sécurité nationale.

Pour conclure, je déplore comme vous, madame le rapporteur, que nous n’ayons pu faire valoir en amont nos valeurs lors des négociations communautaires. (Mme la secrétaire d’État et M. le président de la commission des affaires sociales approuvent.) De ce fait, la vision anglo-saxonne libérale communautariste l’emporte sur une conception républicaine de l’égalité et des rapports sociaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)