M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je vais essayer de rétablir un peu de parité à cette tribune ! (Sourires.)

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission des lois n’a pas examiné ces projets de directive. Néanmoins, force est de reconnaître que la détermination des préjudices liés aux discriminations se heurtant à la multiplicité des définitions qu’en donne notre droit, tant pénal que civil, en matière de réparations, notre œuvre législative facilitera certainement le travail des tribunaux et enrichira sans doute les conclusions de certains défenseurs.

Cette situation pose un vrai problème dans notre législation, alors que nous avons délibéré pendant des heures sur ce qu’est, en particulier, le harcèlement.

D’ailleurs, je ne comprends pas que la France ait pu faire l’objet d’un recours en manquement de la part de la Commission européenne, dans la mesure où notre législation est, nous semble-t-il, extrêmement élaborée. S’il faut aller jusqu’à détailler les termes, cela relève non pas des directives, mais des règlements, que l’on pourra appliquer directement. Ce sera beaucoup plus simple !

Dans ces matières sensibles, il est délicat d’obtenir, en droit européen, une véritable cohérence dans les termes. Cela étant, madame la secrétaire d’État, ce n’est pas pour vous dire cela que je suis monté à la tribune aujourd’hui, vous le savez bien !

Le 21 novembre dernier, je le rappelle, le Sénat a adopté une proposition de loi prévoyant une réforme d’ensemble des règles de prescription en matière civile.

Ces règles s’avèrent en effet à la fois pléthoriques, complexes et inadaptées. Elles sont source d’insécurité juridique, de contentieux et de malaise en raison de l’impression d’arbitraire qu’elles peuvent donner. La technicité du sujet ne doit pas masquer son importance pour la vie de nos concitoyens et la compétitivité de notre droit.

La réforme que nous avons adoptée voilà déjà plus de quatre mois s’articule autour de trois axes : la réduction du nombre et de la durée des délais de la prescription extinctive, le délai de droit commun passant de trente ans à cinq ans ; la simplification de leur décompte ; enfin, l’autorisation encadrée de leur aménagement contractuel.

Cette réforme avait été soigneusement préparée.

Tout d’abord, une mission d’information conduite par Richard Yung, Hugues Portelli et moi-même a réalisé, entre les mois de février et de juin 2007, plus de trente auditions, qui lui ont permis de formuler de nombreuses recommandations. J’ai ensuite pris l’initiative, au cours de l’été, de traduire ces recommandations en une proposition de loi. Enfin, le contenu de cette proposition de loi a été enrichi non seulement par son rapporteur, Laurent Béteille, mais aussi par plusieurs de nos collègues – je pense notamment à Michel Dreyfus-Schmidt – et par le Gouvernement.

Telles sont sans doute les raisons pour lesquelles cette réforme a fait l’objet d’un large consensus : personne ne s’y est opposé, elle a été adoptée par tous les groupes de notre assemblée, seuls nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen s’étant abstenus. On peut même parler, sur le plan réglementaire, d’unanimité, puisque « qui ne dit mot consent » !

Pourtant, le travail du Sénat a été violemment mis en cause dans la presse. Se faisant l’écho des inquiétudes d’un collectif comprenant notamment des syndicats de salariés, de magistrats et d’avocats, certains journalistes et certaines personnalités ont fait grief à notre assemblée de « s’en prendre discrètement à tous les discriminés », singulièrement aux victimes de discriminations au travail.

Avec la réduction de trente ans à cinq ans du délai de droit commun de la prescription extinctive, « les victimes n’auraient plus que cinq ans pour porter plainte et, si le préjudice est reconnu, les indemnités ne porteraient plus que sur les cinq dernières années ». Je ne cite ici que les phrases les plus convenables ; celles qui concernaient la commission des lois du Sénat et son président étaient encore plus assassines !

Madame la secrétaire d’État, plusieurs députés ont relayé ces inquiétudes lors de l’examen par l’Assemblée nationale du projet de loi dont nous débattons aujourd’hui. Nous sommes tombés des nues !

Bien évidemment, l’intention des nombreux sénateurs qui ont voté la proposition de loi n’était pas de réduire les droits des victimes de discriminations, et nous n’avons pas travaillé en catimini. Les débats au sein de notre assemblée ne suscitent aucune réaction pendant quatre ou cinq mois, puis c’est une explosion de critiques, sans aucun dialogue !

Je tiens d’ailleurs à souligner que les incidences de la proposition de loi sur les délais pour agir et le droit à réparation des victimes ne sont pas celles qui ont été décrites dans la presse.

Si la durée du délai de droit commun de la prescription extinctive est effectivement réduite de trente ans à cinq ans, encore convient-il d’observer que ce délai ne commencerait à courir qu’à compter du jour où « le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

Or, en la matière, le point de départ de la prescription importe plus que sa durée. Un salarié victime d’une discrimination pourrait ainsi invoquer des faits remontant à plusieurs dizaines d’années en arrière, dès lors qu’il en aurait eu connaissance tardivement sans avoir commis de faute. Je vous rappelle que nous avions beaucoup insisté sur la jurisprudence existante en matière d’accidents corporels ou de maladies professionnelles.

En outre, comme l’a indiqué la Cour de cassation, l’action devant le conseil de prud’hommes est une action non pas en paiement de salaires – nous avons veillé à maintenir les délais dans ce cas –, mais en réparation du préjudice résultant d’une discrimination. Il s’agit donc d’une question d’évaluation du montant des dommages et intérêts, indépendante de celle de la recevabilité de la demande. Or, en la matière – nous n’avons pas remis en cause la jurisprudence, qui est constante –, le principe est celui de la réparation intégrale du préjudice, quels que soient les délais pour agir.

Nous ne pouvions pas en rester là, puisqu’il y avait apparemment incompréhension totale. Certains, qui s’érigent en meilleurs juristes que nous, ont même affirmé des choses qui ne figuraient pas dans le texte ! Par souci d’apaisement, Laurent Béteille, Richard Yung et moi-même nous sommes entretenus avec des représentants du collectif qui s’était constitué à cette occasion.

À la suite de ces échanges qui ont, je le pense, permis de dissiper tout malentendu sur les intentions du Sénat, nous nous sommes engagés à proposer une rédaction permettant de garantir les droits des victimes de discriminations au travail sans ambiguïté.

Tel est l’objet des deux amendements identiques nos 8 et 22 que Laurent Béteille et Richard Yung vous présenteront lors de la discussion des articles.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile avait dû être examinée très rapidement à l’Assemblée nationale, nous aurions pu attendre. Cependant, son inscription à l’ordre du jour de cette dernière n’ayant pas été prévue, nous attachons la plus grande importance à ces amendements, compte tenu du climat qui s’est instauré. Nous devons apaiser la situation le plus rapidement possible, sans attendre un éventuel examen du texte par l’Assemblée nationale.

Le Sénat a été injustement mis en cause. Nous souhaitons ardemment qu’il lui soit donné acte de sa bonne foi. Nous souhaitons non moins ardemment que la réforme d’ensemble du droit de la prescription en matière civile puisse être définitivement adoptée avant la fin de l’été. Elle s’avère en effet nécessaire, consensuelle et urgente, si le Gouvernement souhaite toujours, comme l’avait souligné Mme le garde des sceaux, qu’elle constitue la première étape d’une réforme prochaine du droit des obligations.

Plusieurs propositions de loi déposées par des députés et dont l’utilité n’est pas toujours aussi évidente, reconnaissons-le, que celle de la réforme des règles de prescription en matière civile ont été ou sont sur le point d’être adoptées définitivement. Nous aimerions que les initiatives du Sénat puissent, elles aussi, aboutir rapidement.

Je tiens à votre disposition, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la liste des propositions de loi émanant de l’Assemblée nationale que nous allons examiner au Sénat. Nous souhaiterions que la réciproque fût vraie : lorsque nous proposons une réforme d’ensemble des prescriptions ou une refonte de la législation funéraire, que nous avions elle aussi adoptée à l’unanimité, il me semble que ces travaux méritent une certaine considération. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Alquier.

Mme Jacqueline Alquier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui a pour objet de mettre en conformité le droit français avec le droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Il s’agit de transposer la directive mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes en matière de fourniture de biens et services et d’accès à ceux-ci, ainsi que de compléter la transposition déjà opérée, mais estimée insuffisante par la Commission européenne, de trois directives relatives à l’égalité de traitement.

Cela étant, une nouvelle fois, c’est dans l’urgence et sans véritable concertation avec les associations, en particulier les syndicats, que nous devons travailler. C’est visiblement le mode de fonctionnement de ce gouvernement, qui, depuis qu’il est au pouvoir, fait passer tous les textes importants en urgence, empile des lois qui ne s’appliquent finalement pas faute des moyens ou des décrets nécessaires.

Cela ne nous convient pas. Nous travaillons dans l’urgence, donc, et sous la pression de l’Europe. En effet, il aura fallu pas moins de trois procédures d’action en manquement lancées par la Commission européenne à l’encontre de la France pour aboutir enfin à l’examen de ce projet de loi. C’est dire l’empressement du Gouvernement et sa volonté d’agir dans ce domaine !

Pourtant, la situation montre qu’il reste bien du chemin à parcourir pour que l’égalité de traitement entre dans les mœurs et n’ait plus besoin de faire l’objet de lois, règlements ou conventions.

Je citerai quelques chiffres à cet égard.

La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité a enregistré 6 222 réclamations en 2007, contre 4 058 l’année précédente, soit une progression de plus de 50 %.

L’emploi est le premier domaine concerné, avec plus de la moitié des réclamations, devant le fonctionnement des services publics, l’accès aux biens et services privés, le logement et l’éducation.

L’origine est le critère de discrimination le plus souvent évoqué, suivi de près par la santé et le handicap. L’âge est l’un des premiers critères retenus en matière d’embauche. Alors comment faire quand le Gouvernement nous oblige à travailler plus, plus longtemps, pour gagner plus, mais aussi pour avoir droit à nos retraites ? Les entreprises veulent des salariés jeunes !

Une enquête du Bureau international du travail sur « les discriminations à partir de “l’origine” dans les embauches en France » effectuée par testing montre que seulement 10 % des employeurs ont respecté tout au long du processus de recrutement une égalité de traitement entre les candidats. Dans plus de 85 % des cas, la discrimination intervient avant même que le postulant ait pu obtenir un entretien.

Globalement, la HALDE dénonce le défaut d’accords anti-discrimination dans les entreprises. Elle constate que, dans 76 % des cas, l’action de l’employeur se limite à une information des salariés, et que 8 % seulement des employeurs associent les syndicats à une politique d’égalité des chances, ce qui est particulièrement décevant alors que l’accord interprofessionnel sur la diversité de 2006 avait fait l’unanimité.

Par ailleurs, les testings réalisés dans le secteur du logement ont révélé une forte prégnance des pratiques discriminatoires de la part des agences immobilières, 38 % des victimes ne parlant pas des discriminations qu’elles peuvent subir. On peut s’étonner de la persistance de ces comportements dans nos sociétés modernes.

En Europe, les situations sont très différentes d’un État à l’autre, mais force est de constater que la France ne fait pas vraiment figure d’exemple !

Pourquoi une telle résistance alors que les dispositions auxquelles on nous demande de nous adapter, depuis 2005 pour certaines d’entre elles, vont plutôt dans le sens d’une meilleure protection de nos concitoyens ?

On sent là encore l’existence d’une mauvaise volonté, celle-là même que le Gouvernement met à publier le décret relatif au CV anonyme alors que la disposition législative correspondante a été votée en 2006, à donner les moyens d’application à la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, à faire appliquer celle du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations ou celle du 23 mars 2006 concernant l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.

En effet, des textes, il y en a eu de nombreux depuis celui, fondateur, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, qui affirme, rappelons-le, que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » !

Si, en ce domaine, l’Union européenne s’est engagée depuis l’année 2000 de manière plus prononcée dans des actions en faveur de l’égalité de traitement, qui se traduisent dans les directives, alors la France doit réagir et se donner les moyens d’être un État moteur dans la lutte contre les discriminations, et non l’État qu’il faut rappeler à l’ordre et qui « traîne les pieds ».

C’est pourquoi l’occasion était belle de faire le point sur notre politique en matière de discriminations, de chercher à comprendre pourquoi la situation reste aussi préoccupante alors que nous nous sommes dotés d’outils, de réfléchir à ce problème de société, reflet d’un état d’esprit et de pratiques encore bien peu sanctionnés, en un mot d’avoir un véritable débat et non cette transposition a minima, dans l’urgence, presque en catimini.

Il s’agit d’une transcription a minima, donc, mais qui n’est pas sans soulever des difficultés, tant sur la forme que sur le fond !

En effet, si, à première vue, le texte semble se conformer aux exigences européennes, il présente cependant des insuffisances, voire une remise en cause d’une partie de notre droit du travail. Ce projet de loi a d’abord été mal rédigé : à l’Assemblée nationale, la rapporteur a dû présenter de nombreux amendements pour l’améliorer. Ensuite, il est imprécis et ne correspond pas toujours à ce que les directives prévoient. Si l’on veut transcrire a minima, autant transcrire au plus près des directives !

Un premier problème tient à ce que ce texte nous semble ajouter de la complexité et de la confusion au droit existant. Il aurait été souhaitable qu’un travail d’harmonisation donne de la cohérence à un ensemble dans lequel persisteront des critères différents entre, par exemple, le code pénal et le code du travail.

Nous pouvons reprendre, à cet égard, l’illustration donnée par M. Louis Schweitzer, président de la HALDE, lors de son audition devant la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Il a cité l’apparence physique, qui constitue un motif de discrimination prohibé par le droit français, mais non par les directives européennes. Estimant qu’un effort d’harmonisation et de codification aurait été le bienvenu, il a déploré la complexité d’un système dans lequel les règles applicables varieraient en fonction du motif de la discrimination, au risque de dérouter les justiciables.

Ce texte, en raison sans doute d’une rédaction trop rapide, ne précise pas certaines notions juridiques dans les différents codes auxquels il renvoie et omet d’intégrer certaines avancées de la directive dans le code pénal. Ainsi, certaines définitions continueront à coexister dans notre droit, ce qui entraînera diverses possibilités d’interprétation.

Ce projet de loi donne le sentiment d’avoir été élaboré uniquement pour rattraper un retard dérangeant en matière de transposition de directives à la veille de la prochaine présidence française de l’Union européenne, et non pour définir un droit lisible et accessible, dans l’intérêt des victimes.

Le deuxième problème majeur est que ce texte reste en deçà des exigences européennes.

En effet, il « oublie » d’ouvrir aux associations de lutte contre les discriminations la possibilité d’agir auprès des tribunaux si la victime est un agent de la fonction publique. C’est pourtant une exigence expresse posée par la directive. Nous souhaitons que l’accord qui s’est dégagé sur ce point au sein de la commission des affaires sociales soit pris en compte par le Gouvernement.

Si, à la demande des victimes, les associations peuvent agir au pénal ou devant les conseils de prud’hommes, elles ne peuvent toujours pas le faire devant la justice administrative. Cette lacune de la législation française a été soulignée explicitement, mais rien dans le texte ne vient y remédier.

Le troisième problème est que, dans certains domaines, le présent projet de loi va au contraire au-delà des exigences européennes et introduit des régressions inadmissibles, sous couvert de la transposition des directives.

Il est pourtant bien clair que la mise en œuvre des directives ne peut « en aucun cas constituer un motif d’abaissement du niveau de protection contre la discrimination déjà accordé par les États membres ». Or, dans ses articles 2 et 8, le projet de loi transpose un certain nombre de limitations nouvelles au principe d’égalité de traitement. Pourtant, notre droit du travail limite strictement les dérogations au principe d’égalité en matière d’embauche. Il est plus protecteur que les normes minimales retenues dans les directives.

En outre, l’article 2 tend à permettre la ségrégation sexuelle à l’école. Jamais la Commission européenne n’a demandé à la France, qui pratique la mixité depuis longtemps, de transposer cette disposition qui ouvre une faille risquant d’être exploitée par les communautaristes, les intégristes et les réactionnaires les plus misogynes !

De la même façon, les deux définitions de la discrimination données par les deux directives n’ont pas été synthétisées. On a ainsi séparé les discriminations liées à l’origine et à la race, d’un côté, et les autres discriminations, de l’autre. Le champ d’application des premières est large, puisqu’il couvre tous les domaines de la vie courante, alors que celui des secondes se restreint aux domaines de l’emploi et du travail.

S’agit-il d’une précipitation irréfléchie ou d’une volonté de mettre en concurrence les victimes ? Le résultat est là : on introduit une hiérarchie dans les discriminations !

À l’article 3, l’ajout de la notion « de bonne foi » au texte protégeant d’actes de représailles les personnes ayant témoigné en justice en réduit la portée et risque d’induire des contentieux portant sur cette notion plutôt que sur les faits.

Le projet de loi prévoit également d’autoriser les différences de traitement dans le contenu des médias et de la publicité, considérés comme des exceptions en matière de fourniture de biens et de services et d’accès à ceux-ci. Or il nous semble que c’est souvent bien là que les stéréotypes culturels relatifs à l’image de la femme sont relayés, stéréotypes qui constituent un frein important à l’évolution des femmes, notamment en matière professionnelle.

Ainsi ce texte laisse la plupart d’entre nous insatisfaits, et ce au-delà même des clivages politiques.

La rapporteur du projet de loi pour la commission des affaires sociales, Mme Dini, nous a fait part des difficultés de fond qu’il soulève : amalgame entre inégalité de traitement et discrimination, insécurité juridique.

Les recommandations faites par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes vont également dans le sens de nos réserves en ce qui concerne la nécessité de renforcer la cohérence des régimes juridiques, d’améliorer l’application concrète des lois existantes ou d’abroger les dispositions précitées qui nous font régresser dans un domaine où, déjà, bien du retard s’est accumulé.

Nous présenterons donc des amendements visant à pallier les lacunes et insuffisances de ce texte, à lui donner plus de cohérence, à en retirer ce qui ne nous paraît pas aller dans le bon sens.

Nous abordons ces débats dans l’idée qu’une transposition plus satisfaisante des directives est possible ; nous espérons y contribuer par le biais de nos propositions. Il va sans dire que notre vote tiendra compte du sort qui sera réservé à nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Henneron.

Mme Françoise Henneron. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, messieurs les présidents de la commission des affaires sociales et de la commission des lois, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, l’Union européenne est le fer de lance de la lutte contre les discriminations. Dès le traité de Rome, le principe général d’égalité ou de non-discrimination a été posé comme pierre angulaire de l’ordre juridique européen. Depuis, les outils juridiques se sont multipliés. Ainsi, de multiples textes sont venus fixer un niveau minimal de protection contre un nombre important de discriminations.

Ce qui nous réunit aujourd’hui, c’est la nécessité de poursuivre la lutte contre les discriminations en assurant le respect des règles communautaires en la matière.

La Commission européenne a souligné notre retard dans la transposition de plusieurs directives et nous a reproché le caractère incomplet de la transposition de certaines dispositions. Je tiens cependant à souligner les efforts accomplis par notre pays ces dernières années et à saluer la détermination du gouvernement actuel à rattraper notre retard.

Notre société repose sur des valeurs de tolérance qui imposent le respect des origines, de l’identité et des choix de vie de chacun. Ce respect trouve sa source dans le principe d’égalité, principe consacré par notre devise nationale et par les textes fondateurs de notre droit.

Plusieurs lois emblématiques ont été adoptées récemment.

Les lois du 9 mai 2001 et du 23 mars 2006 traitent de l’égalité professionnelle et salariale entre les hommes et les femmes.

La loi du 16 novembre 2001, texte de portée générale contre les discriminations, a notamment introduit la possibilité, pour les organisations syndicales et les associations de lutte contre les discriminations, d’ester en justice. Elle constitue un progrès indéniable en matière de lutte contre les discriminations à l’emploi.

La loi du 30 décembre 2004 a créé la HALDE, haute autorité qui accompagne les victimes de discriminations et formule des recommandations à l’adresse de l’État. Elle nous permet de disposer de données annuelles et de prendre ainsi la mesure de l’importance des discriminations en France.

La loi du 11 février 2005 vise notamment à protéger les personnes handicapées contre les discriminations dans le travail.

Je citerai enfin la loi du 31 mars 2006, relative à l’égalité des chances.

Malheureusement, dans notre « patrie des droits de l’homme », la bataille pour l’égalité est toujours à poursuivre.

J’ai évoqué à l’instant le rôle important de la HALDE dans l’estimation de l’ampleur du phénomène de la discrimination.

Ainsi, la haute autorité a dressé, en 2006, une liste des discriminations classées selon leur fréquence. Vient au premier rang des facteurs de discrimination l’origine, puis la santé ou le handicap, l’âge, le sexe, l’activité syndicale, la situation de famille, l’orientation sexuelle, les opinions politiques, la religion et l’apparence physique.

La HALDE a également pu estimer dans quels domaines les discriminations se manifestaient le plus souvent. C’est l’emploi qui cristallise le plus grand nombre de pratiques discriminatoires, mais les discriminations concernent également les biens et les services privés, l’éducation ou le logement. Elles se manifestent dans tous les domaines de la vie.

Quel triste tableau ! Les publics les plus fragiles sont précisément ceux qui cumulent les risques de discrimination sur le marché de l’emploi, dans l’accès au logement ou aux loisirs et dans toutes les composantes de leur vie quotidienne.

Les inégalités de traitement entre les individus compromettent notre cohésion sociale et sont à l’origine, chacun le sait, d’un sentiment d’exclusion qui s’exprime dangereusement dans les communautarismes.

En effet, les jeunes Français issus de l’immigration sont les premiers concernés par les discriminations : 11 % de ceux d’entre eux qui sont titulaires d’un diplôme de second cycle sont au chômage, contre 5 % en moyenne nationale pour la même catégorie de diplômés.

Selon une étude récente du Bureau international du travail, 70 % des employeurs français favoriseraient un candidat portant un nom français par rapport à un candidat portant un nom à consonance étrangère. Le lieu même de résidence devient un élément discriminant. Des enquêtes avec envois de CV factices ont montré ce que beaucoup de nos concitoyens vivent au quotidien. Les personnes en situation de handicap et les personnes issues de l’immigration sont les premières victimes des discriminations à l’embauche.

Je suis membre de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, et vous ne vous étonnerez donc pas que je cite quelques chiffres concernant l’égalité professionnelle.

Les écarts de salaire entre les hommes et les femmes se situent, en moyenne, autour de 26 %, en défaveur de ces dernières ; 31 % des femmes actives occupent un emploi à temps partiel ; le taux de chômage féminin est plus élevé que celui des hommes ; le « plafond de verre » est bien une réalité, et l’ascension des femmes dans la hiérarchie reste plus difficile que celle de leurs homologues masculins, d’où leur sous-représentation chronique dans les fonctions de direction. Le chemin est encore long pour parvenir à l’égalité.

En tant qu’élus, nous avons tous eu connaissance d’inégalités subies par des femmes en matière d’emploi et de déroulement de carrière.

Le harcèlement moral, défini par le présent projet de loi, devient de plus en plus fréquent sur le lieu du travail, comme la HALDE a également pu le constater. Le durcissement des possibilités d’embauche et la peur du chômage ne sont guère propices à ce que les victimes fassent valoir leurs droits.

Il revient aux pouvoirs publics de désigner et de sanctionner efficacement les comportements et les infractions discriminatoires.

Aujourd’hui comme hier, la nécessité de transposer certaines directives communautaires constitue un aiguillon dans la poursuite de la lutte contre les discriminations en France.

Le présent projet de loi, en respectant les exigences de la Commission européenne, donne des définitions précises des discriminations directes et indirectes, ainsi que du harcèlement. Il étend le champ des discriminations interdites en en fixant la liste. Il instaure une protection contre les mesures de rétorsion et renforce les garanties données aux victimes.

Je souhaite ajouter que le groupe de l’UMP soutient ce projet de loi, dont l’adoption s’impose au moment où la France s’apprête à exercer la présidence de l’Union européenne.

Madame le secrétaire d’État, si elle est consciente des contraintes qui sont les vôtres en matière de transposition, la commission des affaires sociales, à laquelle j’appartiens, s’inquiète de possibles dérives à partir de ce texte très protecteur. Nous souhaitons donc connaître votre sentiment à ce sujet.

Je conclurai en soulignant que si la répression des actes de discrimination est indispensable, il serait naïf de ne compter que sur son effet dissuasif pour les éradiquer : c’est également en amont qu’il faut intervenir. Parce qu’il s’agit surtout de changer les mentalités, la lutte contre les discriminations est une action de longue haleine. Elle doit relever d’autres politiques publiques, telles que les politiques relatives à l’école et à l’enseignement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)