M. Henri de Raincourt. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. Charles Pasqua. Je ne vois pas pourquoi nous délibérons !

Par ailleurs, je connais un peu les conditions dans lesquelles a été fixé le chiffre 577. J’étais ministre de l’intérieur au moment où il a été décidé de passer de la proportionnelle au scrutin majoritaire ; auparavant, l’opération inverse avait eu lieu. Le gouvernement de gauche, alors que le nombre de députés était de 450, avait décidé de le faire passer à 577. J’ignore la raison profonde justifiant un tel changement, mais si M. Charasse la connaît, il ne manquera pas de nous en faire part.

M. Charles Pasqua. Personnellement, j’estime qu’il s’agissait d’une question de confort politique.

Ce qui m’étonne le plus, c’est que personne n’a l’air de se rendre compte du sentiment qui domine dans le pays.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Voilà !

M. Charles Pasqua. Peu importe le fait qu’aux 577  députés actuels on en ajoute 12, 20 ou 30 : les Français pensent qu’il y a trop de parlementaires…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !

M. Charles Pasqua. …et se demandent à quoi ils servent.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On leur répond : à rien !

M. Charles Pasqua. Telle est la question à laquelle il faudrait peut-être réfléchir.

Par ailleurs, je ne vois pas pourquoi, tout d’un coup, on sacraliserait ce chiffre de 577, qui ne correspond à rien de sérieux.

M. Michel Charasse. C’est le hasard !

Un sénateur UMP. Et la nécessité ! (Sourires.)

M. Charles Pasqua. Sauf à invoquer la raison qui a été développée tout à l’heure, à savoir la recherche à tout prix d’un accord avec l’Assemblée nationale, je ne vois pas en fonction de quoi un chiffre de parlementaires apparaîtrait dans la Constitution, qu’il s’agisse du Sénat ou de l’Assemblée nationale. Car lorsqu’on voudra modifier ce chiffre pour des motifs quelconques, on sera obligé d’aller devant le Congrès. Tout cela est incohérent et n’a strictement rien à voir avec ce qui doit figurer dans une constitution. (Applaudissements sur certaines travées de lUMP.)

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Même si Charles Pasqua vient d’aborder le sujet dans sa péroraison, je dois dire à Roger Karoutchi que je n’ai pas très bien compris sa réponse relative à Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Heureusement que nous avons agi comme nous l’avons fait avant cette révision, sinon, il faudrait aller à Versailles pour le faire.

En ce qui concerne le nombre de sièges de parlementaires, je suis de ceux qui considèrent qu’il ne doit pas figurer dans la Constitution, quelle que soit la chambre concernée.

Monsieur le secrétaire d'État, monsieur de Raincourt, nous ne modifions pas le nombre de députés. Nous ne nous mêlons pas de leur choix. Nous faisons simplement remarquer que cette précision ne doit pas figurer dans la Constitution. Quant au nombre de sièges, nous laissons les députés et les sénateurs libres d’en décider dans la loi électorale organique.

De ce point de vue, la courtoisie républicaine est respectée. Ce n’est pas la première fois dans cet hémicycle, même si la réciproque n’a pas toujours été vraie.

Par ailleurs, monsieur le rapporteur, si l’amendement n° 103 rectifié de la commission relatif au nombre de sénateurs était adopté et si nous devions inscrire dans la Constitution aussi bien le nombre de députés que celui de sénateurs, avez-vous pensé au fait que nous devrions prévoir une modification de l’article 25 de la Constitution ? Il conviendrait alors de supprimer la précision selon laquelle la loi organique fixe le nombre des membres de chaque assemblée. En effet, à partir du moment où ce nombre sera fixé dans la Constitution, on ne peut renvoyer à une loi organique le soin de fixer quelque chose qui figure déjà dans la Constitution. C’est une question de coordination !

Quant aux 577 députés, c’est très simple. Lorsque, en 1981, a été élu le Président de la République que vous savez, M. Mauroy, alors Premier ministre, a estimé qu’il n’était pas urgent de procéder à un redécoupage électoral, au motif que les Français ne comprendraient pas qu’à peine élus les députés pensent d’abord à leur sort. Le président Mitterrand était bien d’accord sur ce point. Par parenthèse, il était totalement favorable au scrutin majoritaire et très défavorable au scrutin proportionnel : s’il avait prévu dans ses 101 propositions qu’une dose de proportionnelle serait introduite, il n’était pas vraiment décidé à réaliser cette réforme, d’autant qu’il savait que les députés socialistes y étaient surtout favorables en paroles. Bref, tout le monde pensait qu’il était urgent d’attendre.

Le temps a passé et le Conseil constitutionnel a fait savoir que le découpage de l’époque, qui était, M. Pasqua le sait bien, quasiment celui de 1958, était totalement obsolète au regard des évolutions démographiques. Est arrivé le Gouvernement de M. Fabius, et le président Mitterrand a exigé une réforme électorale pour un motif de justice dans le découpage des circonscriptions. Mais nous étions aux mois de juin, juillet 1985 ; nous n’avions plus le temps de procéder à un redécoupage électoral pour un scrutin majoritaire. Effectivement, vous savez bien, monsieur Pasqua, qu’il n’est pas aisé d’expliquer à un certain nombre de députés que, dans le cadre d’un redécoupage, leur circonscription va disparaître ou se priver de ses meilleurs cantons pour en hériter de mauvais.

Par conséquent, il a été décidé de passer à la proportionnelle, ce qui n’enchantait pas tout le monde au Gouvernement, dans la majorité et au parti socialiste. François Mitterrand a dû rassurer les uns et les autres : ne vous en faites pas, de toute façon, ça ne durera pas longtemps ! 

Pour passer à la proportionnelle, compte tenu de l’augmentation de la population de la France par rapport à 1958 et de la nécessité de préserver une représentation équitable et de tenir compte de la population des départements beaucoup plus forte en 1985 qu’en 1958, il a fallu créer  90 sièges supplémentaires.

Et lorsque Charles Pasqua et le gouvernement de M. Chirac, en 1986 – nous savons bien tous les deux, avec M. Pasqua, ce qui s’est passé alors –, ont engagé un processus pour revenir au scrutin majoritaire, le gouvernement de l’époque n’a pas envisagé de modifier le nombre de sièges puisqu’il était adapté depuis 1985 à la démographie de chaque département.

Il faut dire que c’était déjà très compliqué de faire un découpage électoral entièrement nouveau, d’autant plus, je le rappelle, que le gouvernement a tenté de le faire par ordonnance, mais que le président Mitterrand a refusé cette procédure et qu’il a fallu faire voter une loi électorale avec vote bloqué et 49-3. On en est donc restés à 577 sièges.

Mes chers collègues, ce n’est pas la peine de vous interroger indéfiniment sur le sexe des anges électoraux : en ce qui concerne le nombre de 577, c’est un pur hasard, parce que le gouvernement et sa majorité avaient alors autre chose à faire !

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Je partage complètement l’avis exprimé par notre président-rapporteur, M. Hyest, et par M. de Raincourt, et ce pour une raison simple : certes, la tradition républicaine veut que l’Assemblée nationale traite des questions qui la concerne, mais il est également nécessaire d’aboutir à un accord. Si nous nous mettons à discuter du nombre maximal de députés fixé par l’Assemblée nationale, nous pouvons être certains que nous ne parviendrons jamais à un accord entre les deux assemblées.

Le nombre de 577 n’a pas de justification autre qu’historique, et nous devons nous y tenir.

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat.

M. Christian Cointat. Le chiffre 577 indiqué à l’article 9 est un chiffre maximal. L’article 25 de la Constitution n’a donc pas à être modifié.

L’article 9 dispose : « Les députés à l’Assemblée nationale, dont le nombre ne peut excéder cinq cent soixante-dix-sept,…». Il s’agit d’un nombre tout à fait baroque ! Pourquoi avoir fixé ce plafond à 577 ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut fixer un chiffre rond !

M. Christian Cointat. Là est le véritable problème ! Que le nombre de députés ne puisse excéder 550, 600,… soit ! Mais pourquoi fixer ce plafond à 577, alors que chacun sait que ce nombre est le fruit du hasard, comme l’ont rappelé nos collègues qui ont participé, à l’époque, à cette décision.

On peut trouver toutes les explications possibles, même à ce qui ne mérite pas d’être expliqué. Mais il faut rester cohérent. Il s’agit de la Constitution française, de la loi fondamentale !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Et alors ?...

M. Christian Cointat. Nous ne devons pas la dénaturer en y inscrivant des dispositions qui feront sourire les étudiants en droit !

Comme viennent de le rappeler M. de Raincourt et M. le président-rapporteur, il est de tradition républicaine qu’une assemblée ne modifie pas des mesures relatives à l’autre chambre. Mais cela ne vaut que lorsque ces mesures concernent le fonctionnement de l’une ou l’autre assemblée !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas du tout !

M. Christian Cointat. En l’occurrence, il s’agit de réviser la Constitution, cette loi fondamentale qui appartient à tous. Sauf à considérer que l’on ne peut modifier en rien ce projet de loi constitutionnelle dès lors que ses dispositions concernent le fonctionnement de l’Assemblée nationale.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Arrêtez !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Chaque fois qu’il s’agit de l’Assemblée nationale, on ne peut rien dire !

M. Christian Cointat. Vous connaissez l’intérêt et la passion que je porte à l’outre-mer. Je suis, par conséquent, très attaché au droit coutumier. (Sourires.) Je vais donc m’incliner devant ce qui apparaît comme une coutume et retirer mon amendement, mais uniquement parce qu’il s’agit de droit coutumier !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout ça pour ça !

M. Christian Cointat. J’accepte de suivre le raisonnement selon lequel on ne touche pas à une disposition, même ridicule, dès lors qu’elle concerne l’Assemblée nationale et que celle-ci l’a adoptée. Mais nous ne sommes pas obligés de faire la même erreur s’agissant des mesures relatives au Sénat : ayons au moins le courage d’affirmer que, si l’Assemblée nationale fait ce qu’elle veut en ce qui la concerne, pour ce qui est du Sénat, nous en restons à la loi organique. Nous démontrerons ainsi que nous avons des convictions. Si l’Assemblée nationale veut nous rejoindre et renoncer à cette disposition, elle pourra le faire dans le cadre d’une réunion entre nos deux assemblées.

M. le président. L’amendement n° 39 rectifié est retiré.

La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote sur les amendements identiques.

M. Richard Yung. Je comprends le raisonnement de mon ami Christian Cointat. Mais il me semble que la conclusion logique de ce raisonnement devrait être la suppression de tout chiffre.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Non !

M. Richard Yung. C’est en tout cas la position que nous défendons.

Ce n’est pas parce que l’Assemblée nationale a décidé de faire figurer dans la Constitution un nombre maximal, dont le caractère arbitraire a été rappelé, que nous devons commettre la même erreur.

Nous sommes fondés à nous interroger sur ce qui motive la volonté d’inscrire à tout prix dans la Constitution ce chiffre de 577 députés ou, le cas échéant, de 348 sénateurs, et à nous demander si cela ne recouvre pas certaines arrière-pensées.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Aucune !

M. Richard Yung. Peut-être est-il envisagé de redécouper un certain nombre de circonscriptions…

M. Richard Yung. C’est ainsi que cela risque d’être interprété dans le pays. C’est en tout cas la lecture que nous faisons de cette mesure : nous ne comprenons pas les raisons d’un tel enthousiasme pour une disposition dont il a été démontré qu’elle était sans fondement.

M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Je vais poser une question naïve : pourquoi a-t-il semblé légitime, alors que rien ne l’imposait, d’augmenter le nombre de sénateurs, pour la seule raison de ne faire de peine à personne lors du récent redécoupage sénatorial, et pourquoi serait-il effrayant, au regard de l’opinion publique, d’accroître le nombre de députés ? J’avoue avoir du mal à comprendre !

Je ne comprends pas non plus pourquoi, au-delà du seuil de 577 députés, éclaterait tout à coup, dans l’opinion française, la menace d’une exaltation farouche de l’antiparlementarisme.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vis-à-vis de l’Assemblée nationale, mais pas du Sénat !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. L’antiparlementarisme a des origines anciennes et bien connues, essentiellement liées au fait que le Gouvernement nous empêche trop souvent de jouer notre rôle,…

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Vous plaisantez !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. … et cette réforme constitutionnelle n’y changera pas grand-chose. Par voie de conséquence, la presse ne rend pas compte de nos travaux, ou de façon tout à fait partielle.

S’agissant de la limitation du nombre de parlementaires, j’estime, à l’instar de mes collègues, qu’il ne faut pas mentionner de chiffre dans la Constitution, ni pour le Sénat ni pour l’Assemblée nationale. Il n’y a rien de choquant à ce que la proportion de députés en France, pays qui compte quelque 63 millions d’habitants, dont 60 millions de Français, soit grosso modo de un pour 100 000 habitants.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est faux !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. J’ajoute qu’il n’est pas possible, en pratique, de créer des postes de députés représentant les Français de l’étranger dans un cadre aussi limité sans affecter la représentation des Français installés sur le territoire national ...

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. ... et sans provoquer des charcutages électoraux, qui seront évidemment défavorables à la gauche.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nos concitoyens estiment que les parlementaires sont trop nombreux et se demandent à quoi ils servent. Je crains que cette réforme constitutionnelle ne constitue pas, pour les Français, une réponse satisfaisante.

Au Sénat, en tout cas, il semble que l’on n’ait pas perçu cette tendance de l’opinion, puisque le nombre de sénateurs a récemment augmenté de façon importante : on a considéré qu’il y avait trop de députés, mais pas trop de sénateurs !

Pour en venir aux choses sérieuses, je dirai qu’il ne nous appartient pas de fixer aujourd’hui le nombre de députés, que cela relève de la Constitution, de la loi organique ou de la loi ordinaire.

La question à laquelle nous devons répondre est la suivante : faut-il indiquer dans la Constitution le nombre maximum de parlementaires, députés et sénateurs ? Si nous étions raisonnables, nous dirions à nos collègues députés que les sénateurs ne veulent pas inscrire dans la Constitution un nombre maximum de parlementaires, ce qui pourrait nous donner l’occasion d’un échange fructueux avec nos amis de l’Assemblée nationale : peut-être parviendrions-nous à les convaincre du comique d’une telle disposition.

Il est tout de même ennuyeux que le constituant donne l’impression, lorsqu’il réforme la Constitution, de prendre des décisions surréalistes ou incompréhensibles ! Tous ceux qui, parmi nous, ne veulent pas avoir l’air ridicule devraient donc s’en abstenir.

Tout a été dit sur le choix du chiffre 577 : il s’agirait d’afficher que l’on ne veut pas augmenter le nombre de parlementaires. Soit ! Mais comme, en fait, on veut augmenter le nombre de parlementaires, on va diminuer, par ailleurs, le nombre de députés. Il faudra l’expliquer à nos concitoyens !

Je ne suis pas défavorable, à titre personnel, à ce que l’on mentionne dans la Constitution, comme c’est le cas dans d’autres pays, un nombre maximum de parlementaires. Mais soyons sérieux ! Pourquoi 577 députés ? Pourquoi pas 577 et demi ?

Je souhaite que nous adressions un signal à l’Assemblée nationale en renvoyant à la loi organique le soin de fixer le nombre maximal de députés ; le chiffre 577 sera peut-être maintenu.

Je comprends tout à fait que l’on ne souhaite pas dire aux Français que l’on va augmenter le nombre de députés : ils ne le comprendraient pas. Mais il faut essayer de discuter de cette question avec l’Assemblée nationale, car on prend le problème à l’envers.

S’agissant de la proportionnelle, je partage l’avis de mes collègues. J’avais proposé, il y a quelques jours, d’inscrire à l’article 1er de la Constitution, et j’y tenais beaucoup, que le scrutin proportionnel assurait la juste représentation du peuple.

Faire figurer le nombre maximum de parlementaires dans la Constitution sans mentionner le mode de scrutin : c’est tout de même un comble !

M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.

M. Nicolas Alfonsi. Je pense qu’il faut nuancer les propos de Michel Charasse.

Si le texte proposé pour l’article 24 de la Constitution était retenu, celui-ci disposerait : « Les députés à l’Assemblée nationale, dont le nombre ne peut excéder cinq cent soixante-dix-sept, sont élus au suffrage direct ».

Or nous lisons, à l’article 25 de la Constitution : Une loi organique fixe […] le nombre de ses membres. »

Je sais bien que le chiffre 577 est un curseur, mais, pour des considérations esthétiques, la Constitution doit se lire de façon linéaire.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Je suis d’accord avec M. Pasqua ; les constituants de 1958 ont été aussi clairs que possible : le nombre des parlementaires est fixé dans la loi organique.

Pour justifier la mention dans la Constitution du chiffre 577, on nous explique qu’il n’appartient pas aux sénateurs de modifier les dispositions relatives à l’Assemblée nationale et votées par les députés. Mais nous n’y touchons pas !

Lorsque nous disons qu’il n’y a pas lieu d’inscrire le nombre maximum de parlementaires dans la Constitution parce que la situation démographique peut évoluer et qu’il faut s’en remettre à la loi organique, nous laissons aux députés la pleine maîtrise de la situation ! Nous ne les bloquons pas ! Ce qui serait inouï, ce serait de leur interdire de dépasser le nombre de cinq cent soixante-dix-sept : nous respectons l’usage républicain selon lequel il n’appartient pas à une assemblée de fixer le nombre des membres de l’autre assemblée ; cela relève de la loi organique.

Il est certain, à mes yeux, que fixer dans la Constitution le nombre des parlementaires est une erreur. J’ajoute, pour prendre une référence historique, que cela n’a porté bonheur ni aux constituants de 1791, ni à ceux de 1848, c’est le moins que l’on puisse dire.

Il faut, par ailleurs, oublier l’exemple américain : les procédures de révision sont telles que modifier le nombre de sénateurs par État est politiquement impossible.

Donc, conservons la possibilité de fixer le nombre des parlementaires par une loi organique, sans qu’il soit besoin de réunir le Congrès. La Constitution doit respirer !

Je note la singularité de ce qui nous est proposé : constitutionnaliser le nombre de députés donnerait au Sénat, dans la procédure de révision constitutionnelle, le pouvoir d’interdire aux députés de modifier leur nombre.

M. Robert Badinter. Cela ferait passer sous la coupe du Sénat la fixation du nombre de députés.

M. Robert Badinter. Venir nous dire que c’est outrager les députés que de leur laisser la pleine liberté de fixer leur nombre par la loi organique est le comble du paradoxe ! Le nombre de députés n’est pas une norme constitutionnelle.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pourquoi ? Au nom de quoi ?

M. Robert Badinter. Ce sera la même chose pour les sénateurs. J’aurai l’occasion de montrer le tableau de l’évolution démographique, s’agissant des sénateurs, au cours des républiques successives.

Laissons donc les choses en l’état ! Je partage le sentiment de ceux qui disent qu’il ne faut toucher à la Constitution que lorsque c’est indispensable, et non dans un souci de commodité.

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.

M. Hugues Portelli. À lire attentivement le rapport du président Jean-Jacques Hyest et l’excellent résumé des débats qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale sur le chiffre 577, on s’aperçoit que les députés ont fixé ce chiffre pour se protéger contre leur propre tentation,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Et voilà !

M. Hugues Portelli. …car ils craignent qu’un jour, au cours de débats au sein de leur assemblée, du fait de l’arrivée de députés représentant les Français de l’étranger ou je ne sais quel îlot des Caraïbes, leur nombre ne soit encore augmenté.

Ils ont donc érigé ce chiffre en norme constitutionnelle. Telle est la vraie raison ; il ne s’agit pas d’une raison constitutionnelle au sens où on l’entend normalement en matière de droit électoral.

Tout à l’heure, Robert Badinter faisait allusion au destin tragique des deux assemblées dont le nombre de membres avait été constitutionnalisé. Mais il y a encore mieux : il existe une seule assemblée dont le nombre de membres a été fixé dans son titre même, c’était le Conseil des Cinq-Cents.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Cela n’a rien à voir !

M. Hugues Portelli. Or cette assemblée a été victime de coups d’État postélectoraux, dont le dernier, celui de Bonaparte, a été fatal au régime. Il faut donc être prudent !

J’admets tout à fait l’argument coutumier que l’on nous oppose, mais rien ne nous empêche, nous, sénateurs, de ne pas tomber dans ce piège. Et lorsqu’au moment de la deuxième lecture les députés verront que nous n’avons pas souscrit à ce genre de démarche, peut-être seront-ils alors enclins à opérer différemment.

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. On n’arrête pas de nous dire que le mode de scrutin relève non pas de la Constitution, mais de la loi organique. Soit ! Mais l’article 24 de la Constitution dispose : « Les députés à l’Assemblée nationale sont élus au suffrage direct.

« Le Sénat est élu au suffrage indirect. »

N’est-ce pas là une référence au mode de scrutin ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Je vous pose la question !

Par ailleurs, il est vrai que nous sommes en démocratie et que l’évolution démographique peut conduire à modifier le nombre de représentants du peuple. Il me semble donc prudent de ne pas nous autolimiter en fixant un chiffre dans la Constitution. Laissons ce soin à la loi organique.

M. le président. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. La Constitution n’est pas faite pour être révisée systématiquement en fonction de la démographie. Mais il serait légitime d’y fixer une sorte de ratio : nous aurions pu imaginer aboutir à un accord sur un chiffre maximum de représentation, par exemple un député pour tant d’habitants. Cela me semble du ressort de la Constitution.

Vous êtes en train de plomber, si je puis dire, un argument que vous nous avez beaucoup servi au cours des débats, à savoir ce qui est constitutionnel et ce qui relève de la loi organique.

Si l’on nous dit que le droit de vote des étrangers n’a pas à figurer dans la Constitution, non plus que la détermination du mode de scrutin, ou encore le pluralisme des médias, mais que, dans le même temps, on nous affirme que le nombre de cinq cent soixante-dix-sept députés, lui, doit y être inscrit, comment n’aurions-nous pas l’impression que la bonne foi et la rationalité sont battues en brèche et que l’on emploie des arguments de circonstance, de convenance ?

Cela jette un doute sur les réelles motivations de ceux qui avancent ces arguments et qui disent être attachés à ce que la Constitution ne soit pas galvaudée.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 11 rectifié bis, 271 rectifié, 332 et 409 et 436.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe de l’UMP.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 109 :

Nombre de votants 323
Nombre de suffrages exprimés 323
Majorité absolue des suffrages exprimés 162
Pour l’adoption 143
Contre 180

Le Sénat n'a pas adopté.

Je mets aux voix l'amendement n° 435.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 325.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de huit amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 103 rectifié, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit l'avant-dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 24 de la Constitution :

« Le Sénat, dont le nombre de membres ne peut excéder trois cent quarante-huit, est élu au suffrage indirect. Il assure la représentation des collectivités territoriales de la République.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En abordant cette révision constitutionnelle, alors que certains ont mis des préalables à l’adoption de la révision et que le projet de loi tend à modifier l’article 24 de la Constitution pour préciser que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République en tenant compte de leur population, la majorité sénatoriale a tenu à rappeler l’évidence : le Sénat n’est pas, et ne peut être, une « Assemblée nationale bis ».

Dans notre bicamérisme différencié, les deux chambres devraient avoir des légitimités complémentaires et non identiques. Si l’Assemblée nationale est élue au suffrage universel direct sur des bases essentiellement démographiques, le Sénat, lui, représente les collectivités territoriales de la République et les Français établis hors de France.

Au sujet du corps électoral du Sénat, un certain nombre de propositions ont été faites de longue date pour le transformer. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel l’a rappelé dans sa décision du 6 juillet 2000, dès lors que le Sénat est élu au suffrage universel indirect, son corps électoral doit être essentiellement constitué de membres élus des assemblées délibérantes des collectivités territoriales. Autrement dit, le Sénat est élu par des élus locaux.

Telles sont les normes de base, que nous devons respecter. C’est ce qui explique la référence explicite au suffrage universel indirect à l’article 24 de la Constitution. Pourquoi, alors, ajouter la mention « en tenant compte de [la] population » puisque c’est un fait avéré ? À la limite, on pourrait écrire « en tenant mieux compte de [la] population ». Il nous reste donc encore des marges de manœuvre ! (M. de Raincourt sourit.)

Monsieur de Raincourt, je vous vois sourire. Mais permettez-moi de vous rappeler que nous avons tous deux cosigné, avec notamment MM. de Rohan et Arthuis, une proposition de loi en la matière ! D’ailleurs, le Sénat l’avait votée, mais elle n’a pu être définitivement adoptée, dans la mesure où la majorité de l’Assemblée nationale a voulu nous imposer une réforme qui ne correspondait pas à ce qu’est le Sénat.