Mme Nicole Bricq. Bien sûr, pourquoi se gêner !

M. Bruno Retailleau. Vous savez, madame la ministre, qu’il nous manque 30 % des entreprises entre celles qui emploient quarante-huit salariés et celles qui emploient cinquante et un salariés. Comme le soulignait M. le président de la commission spéciale, ce premier pas devra être suivi de beaucoup d’autres.

L’institution d’un Small Business Act à la française est tout à fait positive. Certes, nous dépendons sur ce point de l’Union européenne, mais nous nous efforçons de trouver une solution française qui permette de donner à certaines PME de notre pays le libre accès aux marchés publics de haute technologie.

Ces dispositions sont tout à fait bienvenues. Toutefois, et vous le savez encore mieux que moi, madame la ministre, aux États-Unis le vote du Small Business Act s’est accompagné de la mise en place d’une Small Business Administration. Nous pourrions en France, sans avoir à solliciter l’accord de l’Union européenne, instituer un système qui permettrait d’atténuer les règlementations néfastes pesant sur le développement de nos entreprises.

Certes, ce projet de loi introduit dans notre législation la notion de « droit à l’erreur », ce qui est positif. Désormais, les entrepreneurs, quand ils sont de bonne foi, se verront notifier un « rappel à la loi » et non plus une sanction automatique tombant comme un couperet.

Toutefois, demain, grâce à une Small Business Administration, la liberté dans notre pays pourrait devenir la règle et l’interdiction l’exception. C’est ainsi que nous libérerons les énergies de nos PME !

Un autre volet du projet de loi concerne la concurrence, à travers trois dispositifs.

S’agissant des articles consacrés à la création de l’Autorité de la concurrence, je me félicite que la Haute Assemblée réduise le périmètre de l’habilitation accordée au Gouvernement de légiférer par voie d’ordonnance. Élisabeth Lamure, rapporteur, défendra à cet égard d’excellents amendements qui, je l’espère, recueilleront un avis favorable du Gouvernement.

Quant aux deux autres thèmes abordés, à savoir l’urbanisme commercial et la négociabilité, qui posent des problèmes difficiles, certains de nos collègues ne manqueront pas de manifester leurs divergences.

En ce qui concerne l’urbanisme commercial, le constat est clair et sans appel. Depuis trente ans, aucune loi, aucune règle n’est parvenue à arrêter la progression des grandes surfaces et à enrayer le déclin du petit commerce. Dans le même temps, nous avons favorisé l’augmentation des prix.

Si les Français sont tellement rétifs au phénomène de la mondialisation, et souvent à juste titre, c’est, me semble-t-il, parce qu’ils profitent moins que d’autres peuples de ses bénéfices, c’est-à-dire de la baisse des prix. Il suffit de voyager à l’étranger pour s’en rendre compte !

Sur cette question, j’espère sincèrement, madame la ministre, que vous serez sensible aux arguments développées par Mme Élisabeth Lamure – j’ai cru deviner en écoutant vos propos que ce serait le cas – afin que nous puissions mieux articuler les impératifs de la concurrence et les contraintes de l’aménagement du territoire et rapprocher, sans les confondre, les règles de l’urbanisme commercial de celles du code général de l’urbanisme, que les élus connaissent bien.

S’agissant de la négociabilité, nombre d’entre nous craignent que le dispositif envisagé ne nuise aux PME familiales. En effet, nous voulons promouvoir le capitalisme à la française, le modèle économique français, qui est celui de la PME familiale, et non celui des pays Anglo-saxons, qui s’appuient surtout sur le capitalisme financier. Ce sont ces petites et moyennes entreprises qui constituent le maillage de nos territoires, assurent nos exportations et maintiennent l’emploi local.

Or nous redoutons que ces PME auxquelles nous tenons tant ne soient écrasées par ces mastodontes que sont les cinq principales centrales d’achat. En effet, ces grandes enseignes, ces groupements de distributeurs se trouvent en situation de monopole vis-à-vis des consommateurs et de monopsone à l’égard des fournisseurs.

Soyons donc très attentifs à ce qu’un peu plus de concurrence ne tue pas la concurrence, dans une situation où les rapports de force sont complètement déséquilibrés et où d’ailleurs aucune loi, me semble-t-il – faisons preuve d’humilité, mes chers collègues ! –, ne parviendra jamais à les modifier complètement.

Il est nécessaire d’avancer en ce sens, mais aussi de veiller avec soin – je crois traduire ici l’avis de la commission spéciale tout entière – à encadrer la relation commerciale, à prévoir de réelles contreparties, à définir des obligations – c’était l’objet d’un amendement présenté par M. Jean-Paul Charié, le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale –, enfin à traquer, à détecter et à sanctionner lourdement les pratiques abusives.

En tout cas, s’agissant d’une question aussi difficile que celle-ci, il sera nécessaire d’évaluer le dispositif retenu dans un an, conformément d’ailleurs à une conception moderne de la législation, afin de nous assurer que les objectifs posés par la loi ont été atteints concrètement.

Monsieur le secrétaire d’État chargé de la prospective, de l’évaluation des politiques publiques et du développement de l’économie numérique, j’aborderai brièvement la question importante du très haut débit, qui constitue à la fois une « nouvelle frontière » et l’infrastructure de la société de l’information de demain.

Comme le Conseil d’analyse économique l’a souligné, nous avons aujourd’hui des atouts, mais nous accusons aussi un certain retard, notamment en matière de recherches et d’investissements dans les nouvelles technologies de la communication et de l’information, les NTIC. La part du produit intérieur brut consacrée aux technologies est moitié moins importante en France qu’aux États-Unis, ce qui entraînerait pour notre pays un retard annuel de croissance d’environ 0,7 point. Le demi-point ou le point de croissance qui nous manque peut être gagné grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication !

Le projet de loi crée un cadre favorable et définit un équilibre entre, d’une part, les copropriétaires et les opérateurs, et d’autre part, les opérateurs eux-mêmes. Nous devons nous fixer pour règle, me semble-t-il, de susciter la concurrence sans décourager l’investissement. À cet égard, nous corrigerons un certain nombre des dispositions que l’Assemblée nationale, emportée par son enthousiasme, a adoptées, afin de rétablir une concurrence saine, quel que soit l’opérateur concerné.

En revanche, comme l’a souligné à l’instant M. Jean Boyer, nous ne pouvons discuter du très haut débit sans évoquer en même temps la fracture numérique que celui-ci risque de créer sur notre territoire.

Mes chers collègues, la particularité de la France, c’est que 31 % de ses habitants résident dans des zones rurales, contre 10 % des Italiens et 4 % des Britanniques. Il faut tenir compte de cette réalité. On constate déjà une rupture d’égalité pour la téléphonie mobile de troisième génération, pour les 550 000 foyers qui ne disposent pas du haut débit, mais aussi pour la TNT, la télévision numérique terrestre.

En ce qui concerne le haut débit, on invoque souvent le service universel, mais il s’agit d’une notion européenne, sur laquelle les négociations entre les pays de l’Union ne font que commencer ; il faudra des années – au moins cinq ans – pour qu’elle puisse s’appliquer, et il sera alors trop tard.

Mes chers collègues, nous vous proposerons donc un amendement visant à demander à l’ARCEP, l’autorité de régulation des communications électroniques et des postes, d’étudier la meilleure façon de mettre le haut débit à la portée de tous les Français. Toutefois, à court terme, il est nécessaire, me semble-t-il, de passer du concept de service universel à celui de couverture territoriale universelle, ce qui, monsieur le secrétaire d’État, est possible à un coût modéré, et en respectant le principe de neutralité technologique.

Enfin, nous présenterons quelques amendements qui auront pour objet la TNT. Vous le savez, il s’agit d’un chantier immense pour la France, qui doit entrer dans l’ère du tout numérique en 2012, avec l’arrêt de la diffusion analogique et le basculement vers le tout numérique.

Nous ferons en sorte que le déploiement de la TNT se poursuive et aille le plus vite possible, et que les opérations d’extinction de l’analogique se déroulent dans les meilleures conditions, avec une idée simple : clarifier les responsabilités pour le basculement vers le tout numérique.

Je ne m’étendrai pas sur ces questions, qui sont un peu techniques. Je soulignerai simplement la nécessité de libérer le dividende, ce qui permettra d’offrir à nos concitoyens encore plus de services audiovisuels, et de meilleure qualité, mais aussi de régler certains problèmes liés à la fracture numérique.

Pour conclure, je veux remercier le président et les trois rapporteurs de la commission spéciale, mais aussi les administrateurs du Sénat, qui – vous le savez sans doute, mes chers collègues – ont accompli la semaine dernière, en deux jours, au moins trente-cinq heures de travail ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.

M. Daniel Raoul. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, avant d’aborder avec vous le contexte politique et le contenu de ce texte, je souhaite revenir sur les conditions de notre travail.

En effet, le parlementarisme et le bicamérisme ne vivent que par la présence d’élus qui alimentent les textes de lois examinés de leur connaissance des réalités de notre population et de notre pays. Aussi, comment accepter les conditions dans lesquelles se présente à nous le projet de loi dit de « modernisation de l’économie » ?

Tout d’abord, le texte initial sur lequel la commission spéciale a travaillé, réalisant 93 auditions, comportait 44 articles. Or, à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale, il en compte désormais 122 !

Si je ne puis que me réjouir du respect du principe d’enrichissement des textes, je suis obligé de relever cette inflation galopante – une de plus ! (Sourires.) Votre projet de loi, madame la ministre, est devenu un DDOEF, c’est-à-dire un texte portant diverses dispositions d’ordre économique et financier, un véritable fourre-tout. Le nombre des articles et leur accroissement auraient justifié que la commission spéciale ait plus de temps pour en débattre et les sénateurs pour l’analyser.

Le rapport rédigé par Mme Élisabeth Lamure et MM. Béteille et Marini n’est connu que depuis quelques jours ; il n’a pas été présenté et discuté en commission, ce qui constitue une première.

Sincèrement, comment peut-on faire croire aux Français que de telles conditions matérielles permettent un débat de qualité sur un texte que vous nous avez vendu, madame la ministre, comme la pierre angulaire de l’économie française des prochaines années ?

Mme Nicole Bricq. Ce qu’il n’est pas !

M. Daniel Raoul. Je rends toutefois hommage à la commission spéciale, présidée par M. Larcher, ainsi qu’aux collaborateurs des commissions et des groupes pour le travail qu’ils ont réalisé dans des délais aussi courts.

Qu’est-ce qui motive réellement cette urgence ? Celle-ci n’est pas simplement due au choix du Gouvernement de faire adopter définitivement ce texte au début de l’été. Elle est aussi, à mon avis, l’aveu navrant que les politiques économiques menées depuis 2002 n’ont entraîné aucun effet positif, bien au contraire, sur les créations d’emplois et le pouvoir d’achat des Français.

J’évoquais à l’instant le bicamérisme : je souhaite qu’il puisse fonctionner pleinement. Ainsi, j’aurais préféré que la navette parlementaire joue son rôle pour un texte aussi important. Et comment ne pas évoquer les sept habilitations à légiférer par voie d’ordonnance qui nous sont demandées, même si les rapporteurs proposent d’en supprimer deux ? Est-ce à dire que vous n’étiez pas prêts, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État ? Dans ce cas, où est l’urgence ?

Comment ne pas faire le lien avec le projet de modernisation de nos institutions, c’est-à-dire la réforme de la Constitution ? On nous rebat les oreilles des nouveaux droits du Parlement, mais où sont-ils, et dans quelles conditions matérielles s’exercent-ils ?

Au-delà de cette réalité, je regrette plus encore le manque de recul sur les lois votées ces dernières années. Il semble que la pratique du bilan ne soit pas courante au sein du Gouvernement, pas plus que la « démarche de projet », que j’ai connue dans une vie antérieure (Sourires), et qui nécessite une étude d’impact.

Mme Nicole Bricq. C’est exact !

M. Daniel Raoul. La loi Chatel n’est entrée en action que depuis le mois de mars dernier et déjà vous l’enterrez en nous annonçant un nouveau texte à la rentrée !

Loi Royer de 1973, loi Raffarin, loi Galland, lois Dutreil I et Dutreil II, loi Chatel, que je viens d’évoquer : nulle entreprise ne survivrait à une telle frénésie législative, d’autant qu’aucune évaluation n’a été faite après chaque « réorg », comme on dit dans le privé !

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, la politique menée et les mesures prises pour limiter la prolifération de la grande distribution sont un échec, nous le savons. La loi Dutreil, pourtant considérée à l’époque par son rapporteur, notre collègue Gérard Cornu, comme le « fin du fin », n’a pas eu les effets escomptés.

Ce bricolage permanent n’a rien stabilisé. Les sénateurs de l’opposition présentent des arguments qui sont toujours rejetés, mais qui, en définitive, se révèlent totalement justes dans les années qui suivent. Mes chers collègues de la majorité, quand serez-vous crédibles ? Combien de temps encore resterez-vous sourds ?

En effet, ces lois ont eu pour conséquence de faire disparaître les commerces viables des quartiers urbains et des bourgs-centres des communes rurales. Les grands groupes – la grande distribution, mais aussi les industriels, en particulier ceux de l’agro-alimentaire – se partagent le gâteau, et les PME, elles, sont étranglées.

De plus, le pouvoir d’achat des consommateurs se trouve en panne. Les prix restent élevés alors que la distribution se concentre, avec six centrales d’achat. La politique salariale de la grande distribution est drastique : en réalité, les marges sont réalisées sur le personnel, les petits fournisseurs, les délais de paiement et les produits importés de pays qui connaissent de faibles coûts salariaux.

Surtout, il y a accord entre grands industriels et grande distribution. C’est sans doute cette situation que vous avez appelé « l’équilibre » au cours de votre présentation, madame la ministre. À présent, après avoir légalisé ce que d’aucuns ont qualifié de « racket », vous introduisez le renard dans le poulailler.

M. Jean Desessard. Ils ne veulent plus payer le grillage ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Daniel Raoul. Les conditions matérielles qui nous sont imposées ne permettent pas un débat de qualité. En outre, alors que c’est crucial, nous manquons cruellement d’un bilan sur les expériences menées et sur les résultats des précédentes lois votées par la même majorité. Malgré cela, le Gouvernement nous soumet ce nouveau texte en urgence.

Comme d’autres observateurs de la vie politique française, je constate que la communication est la première préoccupation de la majorité. Ce n’est pas que je m’oppose par principe ou a priori à cet exercice qui, en tant que scientifique, est pour moi un peu exotique (sourires), mais je constate que, depuis un peu plus d’un an, cette réalité revêt un caractère de plus en plus prononcé. Ainsi, le contenant est préférable au contenu et l’emballage de ce que d’aucuns souhaitent appeler une réforme est l’objet de toutes les attentions.

Syndrome sans doute des nouveaux temps de la communication, un projet de loi doit non plus porter le nom de son ministre – vous serez frustrée, madame la ministre ! (nouveaux sourires) –, mais avoir un acronyme court et porter dans son intitulé au moins un terme soulignant son caractère novateur. Ainsi les grands communicants du Gouvernement ont-ils décidé de mettre de la « modernité » à toutes les sauces, si vous me permettez l’expression, et il semble, madame la ministre, que vous ayez cédé à leurs sirènes. Le projet de loi que nous allons examiner ne déroge pas à cette règle : loi LME, « loi de modernisation de l’économie », que certains dyslexiques appellent loi « MEL » et les mauvais esprits, la loi « M et L ».

Fidèle à cette sémantique gouvernementale, la majorité a déjà essayé de moderniser le marché du travail et les institutions. Elle prétend aujourd’hui moderniser l’économie.

Je n’aborderai ici que quelques aspects de ce texte et laisserai à mes collègues Nicole Bricq, Richard Yung, Thierry Repentin et Jean Desessard le soin de préciser la position de mon groupe sur les autres points.

En 2005 a été adopté un projet de loi pour la confiance et la modernisation de l’économie. Nous avons tous remarqué que le mot « confiance » n’apparaissait plus dans le titre de ce nouveau texte. Je n’ose croire, madame la ministre, que c’est par objectivité au regard des résultats réellement attendus de cette loi ! Sans doute est-ce plutôt pour ne pas provoquer les 67 % de Français qui jugent mauvaise la politique économique du Gouvernement. (Mme Bariza Khiari applaudit.)

Mme Nicole Bricq. Il n’y en a pas !

M. Daniel Raoul. L’emploi du terme « modernisation » dans l’intitulé du projet de loi ne suffit malheureusement pas à garantir que le texte ira véritablement dans ce sens. En fait, comme je viens de le dire, ce projet de loi participe du phénomène d’empilement des textes législatifs dont nous n’avons pas pu encore mesurer les effets tout en créant pour les entrepreneurs une véritable insécurité juridique.

Lors des auditions de la commission spéciale, toutes les organisations représentatives des petites entreprises – les chambres consulaires, l’Union professionnelle artisanale, l’UPA, la Confédération nationale de l’artisanat, des métiers et des services, la CNAMS, la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, la Fédération française du bâtiment – nous ont alertés sur les conséquences que pourraient avoir les dispositions de la loi de modernisation de l’économie. Toutes nous ont demandé de ne pas adopter ces mesures.

Il ne faut pas confondre simplification et déstructuration et, sous ce motif, créer la loi de la jungle. J’en veux pour preuve ces propos : « Avec le projet de nouveau statut d’"auto-entrepreneur", c’est un voyage dans le passé qui nous est proposé. Nous avons cru que nous pourrions éradiquer la misère en construisant notre avenir sur la qualification des hommes et des femmes, et que le monde des journaliers, des colporteurs, des tâcherons et "autres petits métiers" appartenait définitivement à une autre époque. Et voilà qu’il revient par la magie d’une loi dite "de modernisation de l’économie", qui nous ramène au début de la révolution industrielle.

« Nous avons cru aux discours sur l’entreprise, nous avons cru à sa citoyenneté, nous avons cru à l’élévation des individus par la formation. […] Or chacun va pouvoir travailler, quelques heures par jour, pour payer sa misère.

« De toute façon, ce n’est pas grave, car, grâce à la libéralisation totale de la grande distribution, les nouveaux "auto-entrepreneurs" pourront remplir leur panier pour "trois sous". […] Resteront sur "le carreau" les petites entreprises avec des hommes et des femmes qui auront cru que le travail de qualité et l’acquisition de savoir-faire pouvaient libérer leurs horizons et les faire rêver à un avenir heureux. »

Ces propos sont de M. Pierre Perez, président de la CNAMS. Ne sont-ils pas éloquents ?

Cette situation d’auto-entrepreneur peut permettre une insertion sous certaines conditions, mais en aucun cas, elle ne saurait être pérennisée. La création de ce statut créera en effet une grave distorsion de concurrence pour les entreprises artisanales et les petits commerçants et permettra à chacun de se mettre à son compte – d’ailleurs, quel compte ? – et d’exercer une activité indépendante en plus de son activité principale, sans immatriculation, sans frais, sans qualification professionnelle, sans assurances, sans comptabilité et, surtout, sans aucune sécurité pour le consommateur ! En d’autres termes, ce statut légalisera le travail au noir !

Madame la ministre, il existe des moyens de lever les difficultés actuelles pour permettre à des professionnels d’exercer une activité. Il est par exemple possible de mieux utiliser le chèque-emploi service, dont il faut améliorer le fonctionnement, afin de répondre aux préoccupations que vous avez invoquées pour justifier le statut de l’auto-entrepreneur.

Par ailleurs, il ne faut pas confondre création d’entreprises et création d’activité.

Les conséquences des échecs seront graves : elles le seront pour tous les tiers des entreprises, pour les chefs d’entreprises eux-mêmes, car ils ne seront pas accompagnés, et pour l’équilibre de l’économie en général.

Vos mesures conduiront des centaines de personnes à la misère. Je vous le demande : soyez raisonnable, abandonnez ce projet de loi qui n’est demandé par personne et qui est tellement éloigné de la réalité du terrain économique et local dont les élus des collectivités sont les meilleurs connaisseurs, quand ils n’en sont pas d’ailleurs les acteurs.

Le Président de la République avait promis aux Français d’accroître leur pouvoir d’achat. La politique menée par le Gouvernement me semble aller dans la direction opposée.

Ainsi, après les mesures fiscales de la loi TEPA favorisant les Français les plus aisés, chaque projet de loi apporte sa pierre à un édifice de déréglementation généralisée. Le résultat est sans appel, nous l’avions d’ailleurs prévu dès les premiers textes : les inégalités sociales se creusent de plus en plus. J’ai rencontré ce matin, dans ma permanence, des responsables du travail social – Restos du cœur, Secours catholique, Secours populaire… Ils m’ont dit qu’ils étaient complètement débordés ! Depuis trois ou quatre ans, le problème s’aggrave considérablement.

Même la progression du pouvoir d’achat en 2007 a été immédiatement annulée par l’augmentation des dépenses contraintes – énergie, pétrole, logement –, et ce sont l’ensemble des classes modestes et moyennes qui la subissent le plus durement. Nous ne pouvons alors qu’être inquiets à la lecture de la note de conjoncture de l’INSEE pour le mois de juin, qui prévoit un ralentissement, voire sur une stagnation du pouvoir d’achat pour 2008. Les hausses des prix de l’alimentation et de l’énergie notamment ne suivront malheureusement pas cette évolution. C’est maintenant qu’un projet économique ambitieux et efficace aurait pu trouver toute sa place ; nous étions prêts à en discuter raisonnablement ! Il semblerait toutefois qu’un autre objectif soit visé, et il n’est pas anodin de constater la satisfaction du MEDEF et des grands groupes commerciaux.

Laurence Parisot estime en effet que, face à la flambée des prix des produits alimentaires, pour arriver « au prix vrai », il faut « créer les conditions d’une concurrence totale, libre, les conditions d’une négociation la plus libre possible entre fabricants, fournisseurs et distributeurs ».

Permettez-moi de rappeler cette formule de Lacordaire – cela va nous rajeunir : « Entre le fort et le faible, c’est la loi qui protège et la liberté qui opprime. » (Mme la ministre opine.)

Mmes Nicole Bricq et Bariza Khiari. Oui !

M. Daniel Raoul. Je vois que nous avons les mêmes lectures ! (Sourires.)

Après avoir lu ce projet de loi, je me suis demandé : où est le consommateur ? Madame la ministre, vous soutenez que ce texte est fait pour lui, mais est-ce vraiment le cas ? Quid de la défense du consommateur et de l’action de groupe ?

Vous appuyant sur le pouvoir d’achat qui est légitimement une question centrale et prégnante pour les Français, vous affirmez que le consommateur aura tout à gagner d’une plus grande concurrence. J’aimerais sincèrement en accepter l’augure, mais la réalité est tout autre !

D’abord, avec le hard discount nous aurons peut-être des prix cassés, mais pour des produits de moindre qualité et surtout des salaires et un bilan social cassés eux aussi. Les salariés précarisés, subissant des temps partiels imposés, n’auront même pas les moyens de devenir consommateurs à leur tour. Une émission télévisée a diffusé récemment le témoignage d’une employée de hard discount qui en était réduite, pour survivre, à faire les poubelles ! C’est tout de même le monde à l’envers !

Ensuite, en termes d’urbanisme commercial, de nouvelles règles seront établies favorisant les grands groupes tout en mettant sous perfusion les commerces de proximité, alors que nous ne connaissons pas les capacités financières dont disposera le FISAC. Nous sommes nombreux dans cet hémicycle à être attachés aux commerces de centre-bourg ; c’est généralement l’une des réussites des élus locaux. Que deviendront-ils demain alors qu’ils participent grandement à notre qualité de vie, au moment où – il vous faut en prendre la mesure – la population vieillit ? Alors que les élus dont nous sommes les représentants se saisissent des schémas de cohérence territoriale, les SCOT, pour irriguer et organiser le territoire, vous allez mettre à bas le petit commerce !

Enfin, et ce n’est pas la moindre des incohérences de ce texte, vous voulez introduire plus de concurrence, mais vous renforcez les distributeurs dans leur position dominante, asphyxiant encore un peu plus les fournisseurs et les petits producteurs.

Avant de conclure, je souhaite revenir plus précisément sur deux points.

En premier lieu, la disposition incitant à transmettre l’entreprise à des membres de la famille ou à des salariés de l’entreprise par une exonération partielle des droits de mutation, qui sont souvent un obstacle majeur à la transmission, part d’une bonne intention. Mais où est l’aménagement de la plus-value, fruit de toute une vie professionnelle ?

En second lieu, l’objectif de réduction des délais de paiement est également intéressant, mais il faut l’aménager sans que les dérogations conduisent à un immobilisme et à la mort de certaines professions qui se retrouveraient brutalement incapables de renforcer leur haut de bilan, c’est-à-dire de trouver la trésorerie nécessaire pour assumer ces contractions.

En revanche, il faut dénoncer la disposition portant à mille mètres carrés le seuil à compter duquel une demande d’implantation commerciale doit faire l’objet d’un examen en commission. Nous proposerons de limiter ce seuil à cinq cents mètres carrés. Il faut surtout abandonner la logique du « toujours plus de grandes surfaces » et miser plutôt sur la qualité et la diversité de l’offre commerciale.

La loi Chatel a autorisé l’ouverture des magasins d’ameublement le dimanche, le projet de loi de modernisation de l’économie favorisera l’implantation des grandes surfaces et, déjà, une nouvelle proposition de loi propose d’expérimenter l’ouverture des commerces le dimanche dans neuf départements français. Ce n’est pas en ouvrant les magasins le dimanche, je le dis sans animosité à notre collègue Isabelle Debré, qui est malheureusement absente de l’hémicycle,…

M. Gérard Longuet. Je le lui dirai !

M. Daniel Raoul. Je vous fais confiance, monsieur Longuet !

…que l’on augmentera le pouvoir d’achat des Français et que le chiffre d’affaires global du commerce augmentera.

Il faut défendre le principe d’un équilibre entre les différentes formes de commerce, dénoncer aujourd’hui l’accumulation des mesures destinées à la grande distribution, car elles sont néfastes non seulement pour l’artisanat et le commerce de proximité, mais surtout pour les consommateurs, qui, je le répète, me semblent les grands absents de ce texte.

Madame la ministre, vous comptez sur la multiplication des grandes surfaces commerciales pour améliorer le pouvoir d’achat. Les faits vous donnent tort : 20 millions de mètres carrés supplémentaires de grandes surfaces ont été accordés ces dix dernières années, au point que la France détient le record européen de mètres carrés de grandes surfaces. Pourtant, vous l’avez souligné, les prix dans les grandes enseignes françaises sont parmi les plus élevés d’Europe pour les produits de base, notamment les produits alimentaires.

Vous comptez aussi sur une généralisation de l’ouverture des commerces le dimanche pour accroître l’activité économique et créer des emplois. Cela n’augmentera pas le pouvoir d’achat. En outre, à chiffre d’affaires égal, la grande distribution emploie trois fois moins de personnel que l’artisanat et le commerce de proximité. Le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, le CREDOC, a évalué entre 15 000 et 35 000 le nombre potentiel de pertes d’emploi dans l’artisanat et le commerce de proximité en cas de généralisation du travail le dimanche.

Comme je l’avais déjà dit lors de l’examen de la loi Chatel, l’impact de ces mesures va bien au-delà des questions de concurrence et de pouvoir d’achat. Qualité de vie, variété de l’offre, temps sociaux, sécurité des biens, environnement, lien social, aménagement des territoires sont autant de sujets justifiant un vrai débat pour choisir le type de société que les Français souhaitent.

Bref, cette loi LME, qui devrait, comme je l’ai dit, s’intituler « M et L », n’apportera aucune amélioration en termes de développement économique. Il ne s’agit pas d’un bon mot sur l’acronyme désignant ce texte, c’est une réalité. Il n’est qu’à lire le compte rendu des auditions de M. Leclerc et de M. Mulliez – président d’Auchan-France – à la veille de l’examen de la loi Chatel pour en être convaincu. La commande était très claire : « Il convient de pouvoir prochainement négocier les tarifs et les conditions générales de vente. Il faut également supprimer les marges arrière dans le cadre d’un contrat unique. »

Les résultats de la loi Chatel ne sont même pas connus, encore moins analysés, que vous voulez déjà aller plus loin, ou plutôt, devrait-on dire, ailleurs !

Le choix des ordonnances est un nouveau pied de nez aux parlementaires, au moment où vous dites vouloir valoriser le travail du Parlement. Ces sujets justifiaient pourtant pleinement une attention de sa part beaucoup plus étroite, en termes de pouvoir d’achat, d’aménagement du territoire, de structuration des PME et de l’artisanat.

Madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, vous aurez compris que, pour ces raisons de contexte, de forme et de fond, nous n’envisageons pas de voter ce texte, dont l’affichage publicitaire est à des années lumière des objectifs réellement visés, même si nous allons travailler à le corriger sans trop d’illusions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)