compte rendu intégral

Présidence de M. Adrien Gouteyron

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à zéro heure une.)

1

Ouverture de la première session extraordinaire de 2007-2008

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle qu’au cours de la séance du 30 juin 2008 il a été donné connaissance au Sénat du décret de M. le Président de la République portant convocation du Parlement en session extraordinaire pour aujourd’hui, mardi 1er juillet 2008.

Je constate que la session extraordinaire est ouverte.

2

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de l'économie
Question préalable

Modernisation de l'économie

Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence, de modernisation de l’économie (nos 398 et 413).

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de l'économie
Division additionnelle avant le titre Ier

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Borvo Cohen-Seat, Beaufils, Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d’une motion n° 953 tendant à opposer la question préalable, ainsi libellée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, de modernisation de l'économie (n° 398, 2007-2008).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Michel Billout, auteur de la motion.

M. Michel Billout. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai donc l’honneur d’inaugurer, en tant que premier orateur, cette session extraordinaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Vous me permettrez de m’étonner que des textes aussi importants que celui dont nous avons à débattre soient examinés lors d’une session extraordinaire. L’exposé des motifs du projet de loi dont nous discutons aujourd’hui illustre parfaitement l’usage fait, dans le discours gouvernemental, de la notion de modernité. Il faut donc siéger dans l’urgence et en session extraordinaire pour élaborer des textes intéressants !

En effet, il convient de noter le nombre de projets de loi gouvernementaux censés moderniser la France, qu’il s’agisse des institutions, de l’économie, ou encore du marché du travail. Pourtant, en guise de modernisation nous constatons qu’il s’agit en réalité, à chaque fois, d’un net recul démocratique, social et économique.

Mais qu’importe ! Selon le Gouvernement, ces reculs sont d’une grande modernité et permettront d’ancrer la croissance. Il s’agit là d’une belle illustration de la méthode Coué.

Ainsi, selon l’exposé des motifs, le présent projet de loi vise à « stimuler la croissance et les énergies, en levant les blocages structurels et réglementaires que connaît l’économie de notre pays. Pour ce faire, il faut à la France à la fois plus d’entreprises et plus de concurrence. »

II s’agit donc de toujours plus de déréglementation, de toujours plus de concurrence : rien de bien nouveau sous le soleil !

Pourtant, ce projet de loi permettrait, encore selon l’exposé lyrique des motifs, de « faire souffler un vent de liberté et de concurrence sur notre économie, au bénéfice de la croissance et de l’emploi. »

Depuis le début de la législature en cours, le Gouvernement tente, régulièrement, avec constance et détermination – il faut le lui reconnaître – de prendre toutes dispositions pour stimuler la croissance, pour faire en sorte que les points de croissance qui nous manqueraient pour atteindre le progrès et le plein emploi soient au rendez vous.

Cette loi dite « de modernisation de l’économie » n’est pas la première à afficher cette intention. La loi TEPA, dont nous avons beaucoup parlé, devait, elle aussi, en son temps, permettre la relance de l’activité économique et de la croissance. Dans son propre exposé des motifs figurait d’ailleurs une orientation courageuse : « La relance de l’économie passe en priorité par la réhabilitation du travail comme valeur, comme outil d’amélioration du pouvoir d’achat et comme instrument de lutte contre le chômage. Cet objectif suppose de lutter contre la pauvreté au travail. » La suite prouva que, loin de ces déclarations d’intentions, la réalité était tout autre.

Car enfin, madame la ministre, en toute objectivité, que constatons-nous ? Dois-je vous rappeler que les seules mesures de la loi TEPA qui ont trouvé une pleine application sont uniquement – je dis bien : uniquement – les mesures d’allégement sensible de la fiscalité des patrimoines, qu’il s’agisse de la réduction des droits perçus sur les donations ou de l’optimisation d’un impôt de solidarité sur la fortune, que certains souhaitent d’ailleurs aujourd’hui supprimer ?

M. Philippe Marini, rapporteur de la commission spéciale. Ce serait plus simple !

M. Michel Billout. Où est passée la réhabilitation du travail, quand vous ne donnez, ce 1er juillet, aucun coup de pouce au SMIC, malgré la hausse continue des prix à la consommation, quand vous vous apprêtez à mettre en cause ce progrès essentiel qu’est la réduction du temps de travail en favorisant le retour à des horaires atypiques et manifestement excessifs, avec votre projet de loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail ?

Où est la réhabilitation du travail, quand n’importe quel emploi précaire ou saisonnier va devenir, selon la terminologie en vigueur, une « offre raisonnable d’emploi » qu’il faudra accepter sous peine de subir l’inexorable réduction de ses allocations de chômage ?

Le chômage, parlons-en ! Le Gouvernement se félicite, depuis plusieurs mois, d’une baisse du nombre des chômeurs qui serait d’une ampleur inégalée, mais qui appelle pourtant – ne vous en déplaise ! – bien des observations, ne serait-ce que parce que le nombre de chômeurs officiellement annoncé n’est que celui des chômeurs de catégorie 1.

S’il fallait donner les vrais chiffres du chômage, il faudrait, dès lors, faire état des chômeurs de toutes les catégories répertoriées par l’ASSEDIC, à commencer par les dispensés de recherche d’emploi, les fameux seniors que l’on jette de force dans l’inactivité, parce que les payer au juste prix de leur expérience et de leurs qualifications devient trop cher, les RMIstes, ou encore les chômeurs d’outre-mer, dont la seule totalisation avec le chiffre publié tous les mois ferait que celui-ci dépasserait cette barre assez symbolique des deux millions de privés d’emploi.

De vrais chiffres, je vais vous en donner !

Selon l’ASSEDIC, source officielle et incontestable, notre pays comptait, fin avril 2008, 3 391 680 demandeurs d’emploi, dont près de 1 400 000 million sans indemnisation et moins de 48 % bénéficiaires d’une allocation au titre du régime conventionnel.

Pour ne rien arranger dans cette affaire, le nombre de privés d’emploi indemnisés est en réduction constante depuis le printemps 2007.

Voilà pour la réalité des faits, sachant qu’une part importante des chômeurs indemnisés ne bénéficie que du minimum, c’est-à-dire du régime de solidarité ; ils sont plus de 400 000 dans notre pays. Ces chiffres témoignent d’une France qui s’appauvrit sans cesse.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Michel Billout. Pour la réhabilitation du travail, nous repasserons ! D’ailleurs, vous persévérez avec ce texte, puisque, entre autres solutions, il suffira d’être auto-entrepreneur pour que tout s’arrange.

Selon l’exposé des motifs, « il faut à la France à la fois plus d’entreprises et plus de concurrence. » Ainsi, subrepticement, la réhabilitation du travail vient de faire place à l’accentuation de la concurrence libre et non faussée.

Il faut plus d’entreprises ? Pourtant, curieusement, notre pays a connu en 2007 une grande première : on y a créé plus d’entreprises que d’emplois. Cette situation inédite montre apparemment que, malgré les blocages législatifs et réglementaires dont on nous rebat les oreilles, l’esprit d’entreprise ne se porte pas si mal.

En effet, rien n’empêche qui que ce soit, sur un même site, de donner une raison sociale spécifique au propriétaire des locaux destinés à la production de biens ou de services, une autre à la société utilisant les véhicules du groupe, acquis par crédit-bail, une troisième au fonds d’investissement des cadres dirigeants, une quatrième aux services de nettoyage et de gardiennage des installations, une cinquième aux services commerciaux, une sixième au pôle administratif, que l’on peut ensuite mettre en commun, et une septième, enfin, à l’entreprise assurant la production de biens ou de services et employant l’essentiel des salariés !

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Michel Billout. C’est ainsi que nombre de nos groupes se sont restructurés ces trente dernières années, et ont procédé à des cantonnements juridiques ad hoc, créant au passage des flux financiers entre entités différentes, sources de bien des avantages fiscaux.

M. Jean Desessard. Tout à fait !

M. Michel Billout. Au demeurant, la création d’entreprises est une réalité concrète et constante. Est-ce pour autant efficace ? Est-ce le nombre qui en fait la qualité ? C’est une vraie question !

Des groupes comme Leclerc, MacDonald ou Carrefour, pour ne citer que quelques exemples bien connus, mettent en œuvre le développement de leur zone de chalandise en usant et abusant des possibilités multiples offertes par l’innovation juridique, le franchisage et la séparation des éléments de structuration du groupe.

On crée des PME destinées à l’exploitation des magasins utilisant l’enseigne qui se contente, en fait, de vivre de l’existence même de son nom commercial et, surtout, des avantages comparatifs et des économies d’échelle liés à son adossement à une centrale d’achat.

Comment ne pas relever que cette faculté d’adaptation est déjà largement répandue dans de nombreux secteurs de la distribution, notamment la vente de produits textiles, mais aussi de chaussures, de produits de boulangerie et de viennoiserie, ou encore dans d’autres domaines, ceux de l’optique et de l’ameublement, par exemple ?

Les fameuses rigidités dont notre droit serait empli et qui empêcheraient le plein essor de l’esprit d’entreprise n’existent que dans l’imagination de tous ceux qui veulent, en réalité, assurer encore plus leur position dominante.

Car, dans les faits, ces innovations juridiques conduisent immanquablement aux mêmes résultats : si la logique interne et la profitabilité demeurent celles de groupes fortement constitués, en tirant parti d’économies d’échelle importantes, les relations sociales dans ces entreprises demeurent celles de PME, avec des établissements transformés en vastes champs d’expérimentation des horaires de travail atypiques, des bas salaires, du temps partiel imposé, sans oublier, bien entendu, la répression anti-syndicale, le harcèlement moral, ou encore la négation des droits à la formation et à la promotion.

Cette loi ne prévoit donc rien de nouveau, si ce n’est peut-être d’en faire encore plus en la matière.

Quant au vent nouveau, porté par une concurrence libre et non faussée qui serait la panacée de tous les maux du pays, de l’Europe et du monde, qu’en est-il exactement ?

À la lecture de bien des dispositions, on se perdrait presque à retrouver, au fil de certains articles obligeamment arrangés, la trace des attentes de tel ou tel groupe, de tel ou tel commanditaire précis. Cette loi de modernisation de l’économie pourrait changer de titre, pour s’appeler loi Lidl, Leclerc, Carrefour, Auchan, Numericable, Bouygues, Lagardère, ING Direct, Bolloré, que sais-je encore ? C’est un peu facile, je vous l’accorde, madame la ministre, mais tellement évident !

Que viennent faire, en effet, dans une loi de portée économique, des dispositions aussi directement profitables à certains intérêts particuliers que celle qui permet à Bouygues de tirer parti des investissements des autres pour développer son réseau, à Numericable de s’assurer un quasi-monopole sur le développement de l’internet haut débit, à Lagardère de pouvoir développer son empire audiovisuel sans risque, et aux géants de la distribution d’intégrer définitivement les marges arrière dans les conditions générales de vente ?

Ainsi, nous n’aurons pas plus de concurrence, madame la ministre : nous aurons plus de profits, toujours plus de profits, pour le plus grand bonheur des actionnaires.

L’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose : « La loi est l’expression de la volonté générale. » Or nous sommes, avec ce texte, face à une telle accumulation de dispositions défendant des intérêts particuliers que nous pouvons nous demander quelle est leur validité de ce point de vue.

Ce n’est pas la volonté générale qui est ici défendue, c’est celle d’une République confisquée, cette République dont on fait aujourd’hui étalage pour vendre les centrales nucléaires fabriquées par une entreprise encore publique, mais dont le même groupe privé, qui veut valoriser son empire audiovisuel grâce à l’augmentation des recettes publicitaires, souhaite tirer profit, cette République que l’on galvaude et qui déroule le tapis rouge pour quelques dirigeants économiques nord-américains ou quelques artistes bien en cour, tandis que l’on fait du chiffre à renvoyer chez eux les travailleurs immigrés sans papiers que l’on a fait trimer depuis des années dans nos restaurants, dans nos entreprises de nettoyage et sur nos chantiers !

Dans cette République, on détruit peu à peu le service public, on privatise à tour de bras. La fiscalité, plutôt que de participer à la juste allocation des richesses créées par le travail, y devient un outil d’accroissement du revenu des plus aisés et des profits des plus grandes entreprises.

Votre enthousiasme, madame la ministre, quand vous avez annoncé que la croissance, en 2007, dépassait de 0,2 % ou de 0,3 % les prévisions initiales, n’est pas partagé par la population de notre pays.

En réponse à l’angoisse du lendemain, à la hausse des prix, à la pression constante sur les salaires que votre politique archaïque de soutien aux heures supplémentaires encourage, aux plans sociaux qui se succèdent, aux mises en cause de la qualité de la protection sociale, qu’offrez-vous avec ce texte ?

Vous proposez une série de dispositions toutes plus libérales les unes que les autres, destinées pour les plus significatives à servir les intérêts de quelques groupes clairement identifiés, en tout cas rien qui soit moderne, rien qui réponde vraiment aux préoccupations de nos concitoyens en termes d’emploi et de pouvoir d’achat. Faisons donc, en adoptant cette question préalable, l’économie de cette modernité-là ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Jean Desessard. Très bien ! Ça, c’est une analyse !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Gérard Larcher, président de la commission spéciale. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, minuit est passé : la France a donc la responsabilité de présider l’Union européenne, de poursuivre la mise en œuvre, après un bilan à mi-parcours, de la stratégie de Lisbonne, de libérer les énergies, de s’appuyer sur l’économie de la connaissance, de dynamiser la recherche – vous y faisiez allusion, madame la ministre, dans votre réponse, voilà un instant – et, en même temps, de mettre notre pays et l’ensemble de ceux de l’Union européenne en position d’être les gagnants de la globalisation.

Ce texte permet pour partie de relever ces défis. Je citerai aussi le rendez-vous, le 19 décembre prochain, de la flexisécurité devant le Conseil des ministres européens de l’emploi.

Plus que jamais, mon cher collègue, nous devons examiner ce texte, car il répond aux besoins des Français en termes de libération de l’énergie, en ce qu’il se révélera créateur d’entreprises, d’insertion dans la vie économique, d’harmonie et d’équilibre du territoire. Il permettra également la maîtrise des prix et l’indispensable irrigation de l’ensemble de notre territoire en très haut débit, dont nous ne pouvons pas faire l’économie, comme MM. Retailleau et Leroy l’ont démontré brillamment.

Le très haut débit n’est plus un luxe, ni même une nouvelle technique de communication : il est nécessaire !

Nous devons, en même temps, moderniser notre place financière, pour que le pôle de Londres ne soit pas le « pôle magnétique » de l’Union européenne.

Voilà pourquoi nous ne pouvons être favorables à cette motion, voilà pourquoi nous estimons indispensable que ce texte soit examiné, surtout compte tenu de la responsabilité que la France va assumer pour six mois.

M. Philippe Marini, rapporteur de la commission spéciale. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul, pour explication de vote.

M. Daniel Raoul. Autant nous sommes d’accord avec le fond des arguments employés, autant nous aurions préféré que soit déposée une motion tendant au renvoi à la commission, pour nous laisser le temps de travailler dans des conditions sérieuses et efficaces.

Dans la mesure où nous sommes pour le moins partagés, nous nous abstiendrons sur cette motion.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, si vous m’aviez donné la parole, j’aurais indiqué que, pour ma part, je voterai pour la motion !

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 953, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

Je suis saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 120 :

Nombre de votants 327
Nombre de suffrages exprimés 230
Majorité absolue des suffrages exprimés 116
Pour l’adoption 28
Contre 202

Le Sénat n’a pas adopté.

En conséquence, nous passons à la discussion des articles.

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de l'économie
Article 1er A

Division additionnelle avant le titre Ier

M. le président. L’amendement n° 507, présenté par Mmes Terrade, Beaufils et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Avant le titre premier, ajouter une division additionnelle et un article ainsi rédigés :

Titre Ier A

Dispositions relatives au pouvoir d’achat des personnels des grandes surfaces de distribution

Article 1er AA

Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 31 décembre 2008, un rapport sur l’ampleur et l’opportunité du travail à temps partiel dans le secteur de la grande distribution, ainsi que sur le pouvoir d’achat des salariés de ce secteur.

La parole est à Mme Odette Terrade.

Mme Odette Terrade. Dans son rapport, la commission spéciale souligne que le projet de loi s’inscrit dans la continuité des mesures prises en faveur de la croissance et du pouvoir d’achat.

C’est bien de pouvoir d’achat qu’il s’agit avec cet amendement. Il vise en effet à prévoir que le Gouvernement remettra au Parlement, avant la fin de l’année, un rapport sur l’ampleur et l’opportunité du travail à temps partiel dans la grande distribution, ainsi que sur le pouvoir d’achat des salariés de ce secteur.

Monsieur Novelli, lors du débat à l’Assemblée nationale, vous avez indiqué que le Gouvernement était « tout à fait conscient de l’ampleur et des conséquences du développement du travail à temps partiel dans la grande distribution », tout en indiquant qu’un certain nombre de rapports déjà publiés avaient livré suffisamment d’éléments sur cette situation. Mais quelles suites le Gouvernement donne-t-il à ces rapports ?

Vous avez aussi ajouté que la convention collective nationale ouvre des garanties, car elle porte dans de nombreuses entreprises le temps de travail de 22 heures à 30 heures, avec une durée moyenne de 27 heures et une seule coupure de durée limitée par séquence de travail. Je ne suis donc pas sûre que vous soyez suffisamment conscient du problème. (M. Novelli, secrétaire d'État, s’exclame.)

Comment peut-on vivre avec un salaire correspondant à 27 heures payées sur la base du SMIC horaire, surtout à un moment où l’augmentation effrénée des prix grève lourdement le pouvoir d’achat ? Croyez-vous vraiment que ces femmes et ces hommes – surtout des femmes, d’ailleurs, et surtout des caissières – choisissent de gagner si peu ? « Travailler plus pour gagner plus », tel est le slogan du Président de la République ; mais c’est justement ce que veulent ces salariées !

Comment concilier vie professionnelle et vie familiale quand on a des horaires décalés, que l’on travaille le soir de plus en plus tard et de plus en plus, avec les mesures que vous prenez, le dimanche ?

Les femmes ne choisissent pas le travail partiel, synonyme de précarité ; il leur est bel et bien imposé. Leur situation ne contribue pas à l’égalité salariale que la majorité a prétendu vouloir défendre en adoptant, lors de la précédente législature, un énième texte de loi sur l’égalité salariale en entreprise.

Au début de l’année, une grève historique des salariés de la grande distribution a eu lieu dans toute la France : 80 % des enseignes étaient touchées par des arrêts de travail. Beaucoup faisaient grève pour la première fois et, croyez-le bien, quand on gagne au mieux 1 000 euros par mois, c’est un sacrifice que de se priver ne serait-ce que d’un jour de salaire.

En ne prenant aucune disposition sur le temps de travail et le temps partiel, en refusant d’augmenter clairement le SMIC, en remettant en cause la durée légale du travail, vous contribuez à accroître le nombre déjà inquiétant de salariés pauvres.

Le rapport que nous proposons au Gouvernement d’établir serait un outil de connaissance pour le Parlement et lui permettrait de prendre les mesures qui s’imposent pour lutter contre la pauvreté et la précarité des salariés du secteur de la grande distribution.

Mes chers collègues, telles sont les raisons pour lesquelles nous vous demandons d’adopter cet amendement n° 507.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission spéciale. La commission n’est a priori pas favorable à la commande de rapports alors que le Parlement pourrait fort bien de lui-même procéder, dans le cadre de sa mission de contrôle, à un examen des questions qui lui paraissent utiles pour rechercher les informations souhaitées.

M. Gérard Larcher, président de la commission spéciale. Bien sûr !

M. Laurent Béteille, rapporteur. Dans ces conditions, et compte tenu du fait que nous ne sommes pas véritablement au cœur du sujet traité dans ce projet de loi,…

Mme Odette Terrade. Et pourtant !

M. Laurent Béteille, rapporteur. …nous émettons un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Hervé Novelli, secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services. Madame le sénateur, vous avez cité les propos que j’ai tenus à l’Assemblée nationale. Je puis vous assurer que, depuis, je n’ai pas changé d’avis.

Mme Odette Terrade. C’est bien dommage !

M. Gérard Larcher, président de la commission spéciale. Au contraire, cela nous rassure !

M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. En effet, comme je l’ai indiqué à vos collègues communistes à l’Assemblée nationale, un certain nombre de rapports ont déjà été publiés sur cette question.

Le Conseil économique et social a ainsi rendu publique, en février dernier, une communication sur les femmes face au travail à temps partiel, notamment dans la grande distribution. Les organisations de cette branche professionnelle ont elles-mêmes dressé un constat sur le sujet, en s’engageant à lutter contre de telles pratiques.

L’une des recommandations qui ressort des études menées concerne notamment le développement de la polyactivité et l’élargissement du champ de compétence des salariés grâce à des actions de formation professionnelle continue.

Le constat est donc clair et partagé, et un rapport de plus ne changera rien. Il faut laisser la négociation prospérer pour régler ce problème, qui est bien réel, nous le savons tous.

Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme Odette Terrade. Une petite incitation au patronat n’aurait pourtant pas été superflue !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. L’amendement déposé par nos collègues du groupe CRC va dans le bon sens, même si la date du 31 décembre 2008 est peut-être trop rapprochée et qu’il aurait mieux valu attendre un peu plus longtemps.

Monsieur le secrétaire d’État, dans le secteur de la grande distribution, les gains de productivité « avalent » l’emploi et l’emploi proposé est à la fois de mauvaise qualité et mal rémunéré ; nous le savons, vous avez raison !

Cela étant, il me paraît utile de voter cet amendement, dans la mesure où, comme vous y avez vous-même fait référence, des négociations vont s’engager entre les partenaires sociaux dans la grande distribution, lesquelles porteront justement sur l’abus du temps partiel.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Madame la ministre, je souhaiterais savoir si l’étude réalisée sur la filière « poissons » a été rendue publique. En effet, vous nous avez vous-même alertés sur le prix très élevé du poisson vendu sur l’étal par rapport à celui qui était demandé par les pêcheurs sur le quai à la sortie des bateaux, tout en ajoutant que les vérifications auxquelles vous avez procédé n’avaient révélé ni excès ni abus.

Je serais tout de même très intéressé de connaître les conclusions de cette étude, pour savoir où se situent les marges justifiant un écart aussi important entre le prix payé au pêcheur et le prix payé par le consommateur.

M. Philippe Marini, rapporteur. Ce n’est pas trop le sujet !

M. Jean Desessard. Par ailleurs, monsieur Novelli, vous l’avez dit, vous êtes d’accord avec nos collègues communistes : il y a d’énormes problèmes dans la grande distribution.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Oui !

M. Jean Desessard. Vous en êtes même tellement conscient qu’un rapport vous semble inutile. Mais qu’êtes-vous donc en train de faire ? Que je sache, vous défendez un projet de loi sur le pouvoir d’achat ! Vous le reconnaissez, dans la grande distribution, les salariés ont un pouvoir d'achat très faible et des conditions de travail peu intéressantes. Et pourtant, rien dans ce texte n’est prévu pour améliorer la situation !

Vous dites vouloir laisser du temps à la négociation. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que les actionnaires et les dirigeants de la grande distribution ont un pouvoir très important et qu’il n’est pas possible de discuter avec eux. Vous avez dit – vous avez osé le dire ! – que la loi était de nature à défendre les plus faibles. Or, quand nous évoquons devant vous une situation précise, que vous connaissez et sur laquelle vous êtes d’accord avec nous, vous n’avez aucune proposition à nous faire. C’est tout de même fort de café ! Cet exemple illustre l’esprit qui sous-tend l'ensemble de ce projet de loi.