M. François Fillon, Premier ministre. Cette maîtrise des opérations exige aussi une complémentarité entre les forces de la FIAS et celles de l’opération « Liberté immuable ». Ces deux forces distinctes sont légitimes parce qu’elles ne font pas le même travail. Mais il faut s’assurer que l’action des uns ne contredit pas celle des autres.

Le commandant actuel de la FIAS vient de se voir également confier le commandement des troupes américaines de l’opération « Liberté immuable ». Il faut que cette « double casquette » soit mise à profit pour renforcer la complémentarité des objectifs et des missions des deux forces.

Enfin, cette maîtrise des opérations suppose une vision géostratégique.

Nous ne pourrons pas stabiliser la situation sans agir en lien avec les pays voisins, à commencer par le Pakistan, frappé samedi de plein fouet par le terrorisme, tiraillé par ses exigences internationales et ses tensions internes.

Il est évident que les talibans profitent de la porosité de la frontière entre les deux pays. Il est hors de question de les laisser se réorganiser au Pakistan sans réagir. Mais si nous avons le droit d’agir, il faut le faire avec les Pakistanais, avec leur aval.

C’est dans cet esprit que nous incitons Islamabad – Bernard Kouchner a effectué plusieurs déplacements  en ce sens – à faire davantage pour contrôler les zones tribales frontalières.

Nous allons amplifier notre relation politique et sécuritaire avec ce pays. Nous entendons le convaincre de ne pas relâcher ses efforts.

Nous devons aussi favoriser le rapprochement entre Kaboul et Islamabad. L’évolution récente de ce pays offre une fenêtre d’opportunité. C’est d'ailleurs le sujet dont le Président de la République s’entretiendra demain avec le président Zardari.

Mesdames, messieurs les sénateurs, dans quelques instants, vous vous prononcerez sur la poursuite ou non de notre engagement militaire en Afghanistan.

Certains doutent du bien-fondé de cet engagement. Pour ceux-là, le sort de cette terre étrangère ne mérite pas nos efforts, et moins encore de la souffrance.

Ceux qui suggèrent que nous nous retirions d’Afghanistan sont souvent ceux-là mêmes qui, voilà dix ans, s’indignaient de la passivité de la communauté internationale face à la barbarie des talibans, face à la destruction des statues de Bamiyan, face au sort effrayant réservé aux femmes. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Il nous faut être cohérents : si l’on croit à des valeurs universelles, il faut alors prendre le risque de lutter pour elles. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

Sur le terrain, nos soldats en font bien plus pour ces valeurs que tous les donneurs de leçons !

M. François Fillon, Premier ministre. Pour d’autres, en revanche – et j’appartiens à ceux-là –, la cause afghane est une priorité, une exigence morale et une opportunité.

C’est une priorité parce que la France ne peut pas tourner égoïstement le dos à un conflit dont les enjeux nous concernent tous. Personne ne doit s’y tromper, nous ne sommes pas à l’abri du terrorisme qui a frappé à New York, à Djerba, à Bali, à Casablanca, à Madrid, à Londres, à Amman, à Alger et, hier, à Islamabad.

C’est aussi une exigence morale. En effet, nous ne pouvons pas nous replier sur nous-mêmes au moment où se décide, dans ces contrées lointaines, le sort d’une nation qui nous fait confiance, là où se joue l’avenir d’une certaine conception de l’homme en laquelle nous croyons.

C’est enfin une opportunité. Une victoire de la paix et de la démocratie en Afghanistan constituerait un coup porté à l’intégrisme, qui est un dévoiement de la religion musulmane et une détestable mise en scène du conflit de civilisation.

Cette victoire de la paix et de la démocratie, je la crois possible. Le Gouvernement ne méconnaît ni les difficultés, ni les obstacles, ni les tragédies possibles qui parsèment le chemin de la concorde.

J’ai pris connaissance de la lettre que le parti socialiste a adressée au Président de la République. Je me réjouis que l’engagement de la France en Afghanistan n’y soit pas remis en cause. Je souhaite cependant intervenir sur certains points.

Vous parlez d’« enlisement ». (Murmures sur les travées du groupe socialiste.) Ce risque doit être constamment pesé. Mais les faits vous répondent : les talibans ont été chassés du pouvoir, et l’obscurantisme avec eux (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.), l’Afghanistan n’est plus une plate-forme du terrorisme, la démocratie a été instaurée, les enfants vont à l’école, les femmes ne sont plus humiliées, les hôpitaux sont ouverts. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Personne n’est contre !

M. François Fillon, Premier ministre. C’est la réalité ! Qui peut prétendre le contraire ?

M. Jean-Louis Carrère. C’est de la propagande !

M. François Fillon, Premier ministre. Vous suggérez ensuite la création d’un directoire de la coalition. Mesdames, messieurs les sénateurs socialistes, cette suggestion fait l’impasse sur les structures internationales compétentes et laisse entendre qu’il conviendrait d’opérer un tri parmi les quarante nations engagées.

Vous appelez également à l’établissement d’un dialogue politique entre les Afghans et à une clarification avec le Pakistan. Je viens de vous répondre sur ce point et je ne vois là rien qui nous distingue.

M. Jean-Louis Carrère. On ne vous a pas encore parlé !

M. François Fillon, Premier ministre. Enfin, vous réclamez un calendrier quant à notre présence en Afghanistan. Mesdames, messieurs les sénateurs socialistes, vous savez bien qu’un tel calendrier ferait le jeu de nos adversaires (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.),…

Un sénateur de l’UMP. Évidemment !

M. Didier Boulaud. Sarkozy l’a pourtant demandé pendant sa campagne !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On a élu un président qui ne savait pas ce qu’il disait !

M. François Fillon, Premier ministre. … car, dès lors que nous fixerions la date de notre départ, nous leur ouvririons des perspectives !

Ce calendrier dépend des avancées de la stratégie globale que je viens de vous préciser. (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.) Il est dicté par la réussite de deux objectifs majeurs : permettre aux Afghans d’assurer leur propre sécurité et garantir la stabilité des institutions afghanes.

Le Gouvernement entend tenir le Parlement pleinement informé de l’évolution de la situation et des résultats de notre engagement. J’ai demandé au ministre des affaires étrangères et au ministre de la défense de rendre compte de façon régulière de la situation en Afghanistan devant les commissions de chaque assemblée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, aujourd’hui, votre vote constituera une première dans l’histoire de nos institutions.

Nul ne doit en relativiser la portée. Un vote positif sera un encouragement à poursuivre nos efforts. Un vote négatif aurait, pour sa part, une conséquence directe : l’obligation pour le Gouvernement de retirer nos forces, ce qui signifierait que tout ce que nous avons fait, tout ce pour quoi nos hommes se sont battus, était et serait vain.

Une haute responsabilité vous incombe : une responsabilité à l’égard de notre politique étrangère et de défense, qui ne se prête pas aux jeux politiciens, une responsabilité vis-à-vis de nos alliés, de l’Europe, de l’Organisation des Nations unies, une responsabilité vis-à-vis du peuple afghan, qui a une affection particulière pour notre pays et sa culture, mais aussi une responsabilité vis-à-vis des talibans, qui nous observent et savent jouer de nos hésitations, enfin, une responsabilité vis-à-vis de nos soldats, qui prendront connaissance de votre choix.

J’appelle votre assemblée à voter en faveur de la prolongation de notre action en Afghanistan. Je le fais pour notre sécurité, pour nos valeurs ; je le fais en songeant à celles et à ceux qui, là bas, agissent pour la paix ; je le fais aussi pour la France, qui est une nation courageuse et généreuse. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées de lUC-UDF.)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 18 août dernier, dix de nos soldats sont tombés en Afghanistan, et vingt et un ont été blessés. Ces hommes appartenaient à la quatrième compagnie du 8e RPIMa de Castres, au régiment de marche du Tchad de Noyon ainsi qu’au 2e régiment étranger de parachutistes de Calvi.

Je voudrais une nouvelle fois, au début de ce débat, rendre hommage au sacrifice de nos soldats. Ces hommes, qui se sont battus avec courage et un très grand professionnalisme, sont tombés victimes d’une embuscade imprévisible, dans le cadre de cette guerre asymétrique qui nous oppose, avec tous nos alliés, au terrorisme international.

L’émotion légitime et le mouvement de compassion qu’ont fait naître ces événements ont relancé le débat sur la justification de l’engagement de la France en Afghanistan aux côtés de nos alliés, en particulier de vingt-quatre autres pays appartenant à l’Union européenne.

Certains s’interrogent sur le point de savoir si la France dispose d’une stratégie en Afghanistan. Pourtant, le 1er avril dernier, nos assemblées ont tenu un débat extrêmement complet sur cette question, après une déclaration du Gouvernement présentée par vous-même, monsieur le Premier ministre. La majorité, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, avait alors apporté son soutien au Gouvernement pour le renforcement de notre contingent au sein de la Force internationale d’assistance à la sécurité, la FIAS, dont l’existence, je vous le rappelle, repose sur un mandat précis du Conseil de sécurité des Nations unies, renforcé et complété par de nombreuses et régulières conférences internationales dont les plus importantes ont été la conférence de Bonn, celle de Londres et, plus récemment, celle de Paris, consacrée au financement de l’aide à la reconstruction de l’Afghanistan.

La stratégie de la quarantaine de pays représentant la communauté internationale, dont la France, a été parfaitement définie lors du dernier sommet de l’OTAN à Bucarest, au mois d’avril dernier. En effet, l’OTAN, comme vous le savez, assume depuis 2003 le commandement de la FIAS.

Par l’intermédiaire d’une lettre adressée par le Président de la République à nos partenaires, notre pays a d’ailleurs été à l’origine de la définition des principes qui guident notre contribution, et celle des trente-neuf autres pays, à la reconstruction de l’Afghanistan.

Ces principes sont les suivants : « un engagement ferme et commun s’inscrivant dans la durée ; le soutien à une prise de responsabilités accrue par les Afghans, et au renforcement de leur leadership ; une approche globale de la communauté internationale, conjuguant efforts civils et militaires ; une coopération et un engagement accrus avec les voisins de l’Afghanistan, en particulier le Pakistan ».

Que faisons-nous en Afghanistan ? Là encore, je voudrais vous citer la déclaration des chefs d’État et de gouvernement à Bucarest : « Notre vision du succès est claire : que l’extrémisme et le terrorisme ne constituent plus une menace pour la stabilité, que les forces de sécurité nationales afghanes aient la direction des opérations et soient autonomes, et que le gouvernement afghan puisse faire bénéficier tous ses citoyens, dans l’ensemble du pays, de la bonne gouvernance, de la reconstruction et du développement. Notre vision s’appuie sur un plan politico-militaire interne à moyen terme – conforme au Pacte pour l’Afghanistan et à la Stratégie de développement national de l’Afghanistan. »

Telle est la vision stratégique de la Force internationale d’assistance à la sécurité. La dénomination de cette force est dépourvue de toute ambiguïté : elle est présente à la demande du peuple afghan et de son gouvernement, et œuvre au service de la paix et de la reconstruction de ce pays. Elle lutte contre le terrorisme international qui avait fait de ce pays, comme il a tenté de le faire également en Irak ou au Soudan, une base étatique de préparation des attentats qui ont frappé New York, Londres, Madrid, Casablanca et, plus récemment, le Maghreb dans son ensemble. C’est en prenant part à cette lutte, d’un intérêt majeur pour la sécurité de notre pays et de nos concitoyens, que nos soldats ont fait le sacrifice de leur vie.

Cette lutte sans merci exige un engagement déterminé et de longue haleine. Elle demandera sans doute encore bien des sacrifices. Notre opinion publique doit s’y attendre et y être préparée par une campagne de communication particulièrement importante pour expliquer les enjeux de notre engagement sur ce théâtre d’opérations.

Il est de notre responsabilité de manifester à nos forces sur le terrain tout l’intérêt que la nation porte à leur action et l’extrême fierté qu’elle lui inspire. Le déplacement de deux des membres de notre commission auprès de notre détachement à Kaboul au mois de mai dernier témoigne de cette attention.

Tout en étant conscients du caractère inéluctable et, pour une part, imprévisible de ces accrochages, il nous appartient également de vérifier que tous les moyens en équipements, en technologie et en renseignement sont déployés pour limiter au maximum les risques et les pertes. Nous avons entendu avec intérêt les précisions que vous nous avez apportées à cet égard, monsieur le Premier ministre.

En ce qui concerne les équipements, notre commission et, j’en suis sûr, le Sénat tout entier sont particulièrement attentifs à ce que le maximum soit fait pour assurer la capacité opérationnelle de nos unités et la protection de nos soldats. Les militaires engagés à Uzbin le 18 août dernier étaient parfaitement entraînés et équipés, c’est évident, mais il est sans doute possible d’améliorer encore l’équipement de nos soldats.

Le système FELIN me paraît devoir être en priorité affectée aux opérations extérieures. Il en va de même pour tout ce qui concerne les véhicules blindés et à protection renforcée contre les mines, les IED, et les projectiles balistiques du champ de bataille. Très concrètement, il semble urgent d’adapter des tourelles téléopérées aux véhicules de l’avant blindés, les VAB.

En matière de renseignement, il convient de développer les capacités de renseignement stratégique dont nous disposons avec des satellites, des avions ou des drones. Ce dispositif doit être complété par des moyens mis à disposition au niveau de l’unité de combat et, bien évidemment, par l’accroissement du renseignement humain.

L’axe central de notre stratégie doit conduire, comme le souhaite le Président de la République, à l’« afghanisation » des opérations en cours. Nous ne méconnaissons nullement l’extraordinaire travail déjà effectué pour la formation et l’entraînement de l’armée nationale afghane, à travers l’opération EPIDOTE, pas plus que les actions menées dans les OMLT. Le transfert de la responsabilité de la sécurité de Kaboul à l’Armée nationale afghane témoigne de cette ligne directrice, sans laquelle le conflit afghan ne saurait trouver de solution.

Comme l’a observé l’un des meilleurs connaisseurs de l’Afghanistan, Michael Barry, ce pays, en raison de sa situation géographique, de son histoire, de ses populations fractionnées en ethnies, en tribus rivales et en chefferies ennemies, ne peut ni se passer de l’aide extérieure ni accepter durablement la domination étrangère. Faire émerger un État unitaire acceptable par la population et capable d’assurer la sécurité des Afghans et le développement de leur territoire, tel est le défi auquel nous sommes confrontés. Chacun peut comprendre qu’il s’agit d’une œuvre de longue haleine.

Notre action militaire immédiate soulève un certain nombre de questions.

La première est celle de la concomitance de deux actions militaires : celle de la FIAS, dont j’ai rappelé tout à l’heure les objectifs, et celle de l’opération Enduring freedom, menée par les États-Unis depuis 2001, qui s’inscrit dans le cadre d’une guerre contre le terrorisme international. Comme vous, monsieur le Premier ministre, j’estime particulièrement important qu’une meilleure coordination soit établie entre ces deux opérations, et que leurs méthodes d’action sur le terrain et leurs objectifs finaux soient aussi harmonisés que possible.

M. Jean-Louis Carrère. Ça fait beaucoup !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Nous nous réjouissons d’apprendre l’instauration d’une unité de commandement. Mais cela signifie aussi que le commandant des forces, s’il est américain, devra tenir compte des conceptions et des remarques de ses alliés.

À cet égard, les controverses sémantiques sur le point de savoir si nous sommes en guerre ou non me paraissent accessoires…

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Autant il est sûr que nous ne sommes pas juridiquement en guerre contre un État, autant il est évident que l’opération d’assistance à la sécurité à laquelle nous participons emploie les moyens de la guerre pour atteindre ses objectifs au service du peuple afghan et de son gouvernement. Ce faisant, nous défendons très directement dans ce pays lointain la sécurité de nos concitoyens.

Il n’échappe en effet à personne que les attentats perpétrés ou déjoués en Europe, au Maghreb ou en Mauritanie, notre voisinage proche, ont été le fruit de l’action d’une internationale terroriste qui a clairement déclaré la guerre à nos sociétés démocratiques et à leurs valeurs. Cette internationale s’appuie sur des moyens financiers très importants et recourt à des méthodes de propagande contre lesquelles il faut lutter plus efficacement. Elle n’hésite pas à utiliser les méthodes les plus barbares pour affirmer sa domination.

La seconde question que pose notre action militaire tient à la « caveatisation » de la guerre : cette évolution mérite une réflexion approfondie avec nos alliés, de manière à s’assurer que toutes les forces qui composent la FIAS puissent être utilisées dans les mêmes conditions au service de sa mission.

Il me paraît particulièrement important d’affirmer et de faire appliquer le droit des conflits armés dans le conflit afghan, notamment le principe de proportionnalité. Ce point est particulièrement délicat et important pour déterminer la qualité et le niveau de notre engagement dans ce pays.

L’action de la coalition en Afghanistan est clairement ordonnée autour de la reconstruction et de la sécurisation de ce pays, au profit d’un peuple qui a été suffisamment éprouvé durant les trente dernières années. Les dommages collatéraux imputés à l’ensemble des forces de la coalition, de plus en plus souvent sans distinction entre les deux opérations menées sur le terrain, doivent impérativement être limités. Là encore, l’« afghanisation » de la guerre, c’est-à-dire la montée en première ligne de l’armée nationale afghane, doit permettre d’identifier les actions de pacification du territoire comme des actions de politique intérieure dont l’aboutissement est souhaité par une très grande majorité de la population qui aspire à la paix, à la sécurité et au mieux-être. La paix ne se gagnera pas parles armes mais dans les cœurs.

L’intervention militaire ne se suffit pas à elle-même. Elle est indispensable à la sécurisation, mais c’est par la reconstruction et le développement que nous acquerrons la paix. Lors de la conférence de Paris, notre diplomatie a joué un rôle très positif, que je veux saluer, pour obtenir les moyens financiers nécessaires à ces actions. Je voudrais aussi rendre hommage aux ONG qui, sur le terrain, agissent avec beaucoup de courage dans un environnement de plus en plus difficile : elles contribuent activement au maintien de la paix.

Il s’agit là d’un enjeu fondamental. L’action de la communauté internationale, pourtant considérable, a eu trop peu de répercussions concrètes pour la population. En termes d’infrastructures, d’accès à l’eau, d’irrigation, de cultures alternatives à la production de pavot, d’électrification – pour ne citer que ces secteurs –, les progrès accomplis ont été notoirement insuffisants, pour des raisons que chacun connaît, en particulier l’existence d’une corruption endémique.

La population afghane, dont les conditions de vie ne s’améliorent pas au rythme qu’elle souhaiterait, pourrait se retourner progressivement contre l’intervention extérieure, avec le risque que cette dernière soit perçue comme une force d’occupation. Le terrorisme taliban, dans sa composante intérieure comme dans sa composante internationaliste, joue sur ce thème. Pour autant, il serait injuste de passer sous silence les remarquables résultats obtenus depuis sept ans dans les domaines de la santé, de l’éducation et des infrastructures, qui ont permis d’arracher la population, singulièrement les femmes, à l’obscurantisme et à l’arriération imposés par les talibans.

Nous devons également faire porter notre effort –comme cela a été décidé au sommet de Bucarest – vers les pays limitrophes de l’Afghanistan, en tout premier lieu vers le Pakistan, dont les zones tribales pachtounes, qui se situent de part et d’autre de la ligne Durand, constituent un foyer majeur d’insécurité. L’action internationale doit porter en priorité sur la stabilisation et le renforcement du Pakistan, afin que cet État soit en mesure d’imposer son autorité sur ces zones.

Pour ce faire, et compte tenu de la crainte obsidionale pakistanaise, les puissances occidentales doivent œuvrer au rapprochement entre les deux puissances nucléaires que sont l’Inde et le Pakistan. La résolution du conflit du Cachemire pourrait convaincre le Pakistan de faire porter ses efforts sur sa sécurité intérieure et de lutter avec efficacité contre l’insurrection des talibans grâce à une coopération étroite avec les autorités afghanes. De ce point de vue, les contacts récents entre les deux présidents Karzaï et Zardari sont très positifs.

Le Pakistan peut également lutter, avec la communauté internationale, contre le développement de la culture du pavot et le trafic de drogue, combat qui doit aussi impliquer l’Iran et les États d’Asie centrale voisins de l’Afghanistan. Cela étant, notre effort devrait porter, d’une part, sur la répression de la demande, qui concerne directement nos sociétés occidentales, et, d’autre part, sur le contrôle de tous les marchés –transformation, achat, transport – et l’élimination des laboratoires de transformation du pavot en héroïne.

À défaut de progrès dans ces deux domaines, le conflit afghan risque de s’éterniser et l’opinion publique pourrait refuser son soutien à une action qui lui paraîtrait sans issue. Il est toutefois de notre devoir de souligner qu’elle prendra du temps : c’est assez dire que le débat d’aujourd’hui ne sera sans doute pas le dernier.

La conclusion du rapport que nous ont présenté nos collègues Robert del Picchia et Jean-Louis Carrère à la suite du déplacement qu’ils ont effectué en Afghanistan auprès de nos forces armées du 26 avril au 2 mai derniers était la suivante : « Les causes géopolitiques et stratégiques qui ont conduit à l’engagement international en Afghanistan demeurent. Dans ce contexte, l’échec n’est pas une option. »

Certains – ils sont très rares –, au lendemain des événements tragiques du 18 août dernier, ont réclamé le retrait immédiat des troupes françaises d’Afghanistan. D’autres y songent, sans oser le dire. Il eût été contraire à nos engagements à l’égard de nos alliés et du peuple afghan d’opérer ce retrait. Si nous avions eu cette tentation, il eût alors fallu nous souvenir des propos de Winston Churchill au lendemain de Munich : « Vous avez voulu acheter la paix au prix du déshonneur ; vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre. »

Nos soldats ne sont pas tombés en vain. Ils sont morts pour la défense de nos idéaux de justice, de liberté et de démocratie. Tel est le sens du combat que mènent nos troupes et celles de nos alliés. Telle est la raison pour laquelle nous soutenons votre politique. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Joseph Kergueris. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et sur certaines travées de lUMP.)

M. Joseph Kergueris. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, étant donné l’urgence de la situation, je me félicite que le Sénat accueille cet après-midi, dans le cadre d’une session extraordinaire, ce débat sur l’engagement de nos forces armées en Afghanistan et qu’il le conclue par un vote. Cela illustre et justifie, s’il en était besoin, la révision de la Constitution à laquelle notre assemblée et notre groupe ont pris une large part.

Mes chers collègues, nous devons nous prononcer ce soir sur le maintien de nos forces armées en Afghanistan : c’est là un acte grave, une décision qui va nous engager ; c’est une responsabilité majeure de nos vies de parlementaires, et c’est aussi, comme M. de Rohan le disait voilà un instant, l’occasion de préparer les débats futurs que nous aurons sur le même thème en application des nouvelles dispositions de la Constitution.

Aussi voudrais-je, avant d’évoquer le maintien de nos troupes et de répondre à la question qui nous est posée, rappeler les buts visés par la coalition internationale en Afghanistan, le rôle joué par la France au sein de celle-ci et, modestement, afin d’orienter notre réflexion future, tirer quelques leçons du passé.

C’est dans le plein respect du droit international que la résolution 1386, en date du 20 décembre 2001, a créé la Force internationale d’assistance à la sécurité, qui intervient militairement sur le fondement d’un mandat d’un an, périodiquement renouvelé par le Conseil de sécurité des Nations unies.

Ce mandat comporte quatre missions, que je voudrais maintenant rappeler : aider le gouvernement afghan à étendre son autorité à l’ensemble du pays ; mener des actions destinées à assurer stabilité et sécurité dans le pays, en coordination avec les forces nationales afghanes ; encadrer et soutenir l’armée afghane ; enfin, apporter un soutien aux programmes du gouvernement visant à désarmer les groupes illégaux.

La FIAS, coalition de pays volontaires déployée sous l’autorité du Conseil de sécurité des Nations unies, est placée, depuis août 2003, sous le commandement de l’OTAN. Aujourd’hui, trente-huit pays y participent, dont douze n’appartiennent pas à l’OTAN, et tous les pays de l’Union européenne y sont représentés, à l’exception de Chypre et de Malte.

La FIAS compte 51 000 hommes répartis dans cinq régions, au service d’une triple mission, objet de notre engagement : reconstruire l’Afghanistan, consolider son État de droit et lutter contre le terrorisme international qui menace l’ensemble des démocraties et la communauté mondiale.

La présence de la France est le fruit de la décision conjointe du Président de la République Jacques Chirac et de son Premier ministre de l’époque, Lionel Jospin, qui ont engagé nos forces armées en Afghanistan.

Ce fut, d’abord, un appui aérien important : nos appareils, stationnés sur des aéroports d’Asie centrale, ont effectué de nombreuses sorties, les plus importantes après celles des États-Unis.

Ce fut, ensuite, un soutien de notre groupe aéronaval, avec l’intervention d’un porte-avions.

Ce fut, enfin, l’intervention décisive de nos forces spéciales. Elles ont mené des actions de renseignement et de soutien aux interventions aériennes et des opérations de contre-guérilla. Convenons-en, ce concours s’est révélé tout à fait précieux.

Dans ce théâtre d’opérations difficile et dangereux, des pays exposaient particulièrement leurs troupes dans les engagements au sol : les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, les Pays-Bas et le Canada. C’est pour remplir nos obligations de membre permanent du Conseil de sécurité que le Président de la République a décidé de renforcer et de redéployer nos effectifs, conformément à un engagement commun à toute la Force internationale qui a été pris au sommet de Bucarest, en avril dernier.

Les puissances internationales se sont engagées à s’appuyer mutuellement pour le partage du fardeau, à mettre des moyens adéquats à la disposition des commandants militaires, à permettre une souplesse d’utilisation maximale de nos forces et à éviter les victimes civiles. Aujourd’hui, en application de cet engagement, nous comptons en Afghanistan 2 550 soldats, 450 aviateurs et 300 marins. Il n’est pas inutile de rappeler ces éléments, tant ils pèsent sur notre réflexion et conditionnent notre décision.

Il me paraît en outre indispensable de souligner que l’Afghanistan n’a jamais cessé d’être l’objet d’une rivalité entre Orient et Occident, Russie et Grande-Bretagne, Union soviétique et États-Unis. L’histoire de ce pays a de tous temps été faite de conflits de toute nature. Parallèlement à notre action militaire forte et obstinée, nous devons continuer à renforcer notre action diplomatique dans le cadre de la coalition et de l’Europe.

Aujourd'hui, la question du maintien de nos troupes en Afghanistan est donc posée, notre assemblée devant se prononcer par un vote solennel. Dans cet Orient compliqué, dans ce Moyen-Orient dangereux, chacun attend la décision du Parlement français. Donner le sentiment d’hésiter, de reculer, de ne pas être tous unis serait une faute, à un moment où ceux et celles qui ont la charge de notre défense attendent notre soutien.

La coalition internationale a besoin de notre présence militaire. Aux côtés des hommes de la FIAS, nos alliés américains ont un contingent propre de 30 000 hommes et insistent sur l’importance de notre concours.

L’Union européenne, dont la France assure en ce moment la présidence, est présente en Afghanistan à la quasi-unanimité de ses membres. Malgré leur statut particulier de neutralité, la Suède, la Finlande et l’Autriche ont donné une réponse favorable.

Enfin, nous ne pouvons baisser la garde devant un terrorisme international qui menace sans cesse et en tout lieu chacun d’entre nous dans sa vie quotidienne.

Monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, permettez-moi d’exprimer deux souhaits : le retour en Afghanistan de nos forces spéciales, qui me paraît indispensable afin de renforcer notre dispositif, et l’octroi de moyens supplémentaires destinés à améliorer la sécurité de nos troupes.

Par ailleurs, je voudrais faire mienne la préoccupation exprimée en commission par notre collègue Yves Pozzo di Borgo, qui a souhaité la participation au plus près, dans le cadre d’un commandement multinational, de nos officiers aux différentes opérations militaires et l’accentuation de nos stratégies d’éradication de la drogue suivant des méthodes bien évidemment adaptées aux particularités de ce pays.

Il nous faudra certainement, à l’avenir, réfléchir à la durée de notre engagement et aux moyens mis en œuvre en appui de notre politique, sur le plan militaire, certes, mais aussi sur le plan diplomatique, tant au sein de la coalition que dans le cadre des responsabilités que nous exerçons actuellement dans l’Union européenne.

Nos neuf parachutistes et notre cavalier du régiment de marche du Tchad sont morts en Afghanistan dans un conflit dont l’objet ne se limite pas, il faut que chacun le sache, aux seules frontières de ce pays et qui peut à tout moment atteindre les nôtres. Souvenons-nous de leur sacrifice dans cet esprit.

Monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, le Gouvernement mène un combat courageux et juste contre les talibans et pour la liberté. C’est en gardant à la mémoire la phrase de Thomas d’Aquin selon laquelle « sont dignes de louanges ceux qui ont délivré le peuple d’un pouvoir tyrannique » que je vous indique que le groupe de l’Union centriste autorisera le maintien de nos forces armées en Afghanistan. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et de lUMP.)