M. le président. La parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le terrorisme fait peser sur la France une menace constante, comme malheureusement aussi sur un grand nombre de pays dans le monde. En tant que ministre de l’intérieur, je peux vous dire qu’il représente la première de nos priorités dans le domaine de la sécurité.

La future loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI, qui vous sera présentée prochainement, nous permettra de renforcer les moyens de la lutte contre le terrorisme, contre la grande criminalité et contre la délinquance. Le calendrier parlementaire très chargé – vous êtes bien placés pour le constater – a conduit à reporter l’examen de la LOPPSI, qui aurait dû avoir lieu en 2008.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C’est bien dommage !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Tout naturellement, j’avais inscrit en premier dans ce projet de loi la demande de prorogation des dispositions de la loi antiterroriste du 23 janvier 2006, valables jusqu’au 31 décembre 2008.

Or, dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, il ne saurait y avoir de vide juridique, car cela diminuerait le niveau de protection des Français. Telle est la raison pour laquelle je remercie M. Haenel de s’être saisi de la question et d’avoir pris l’initiative de cette proposition de loi, sur un sujet qui nous concerne tous.

Le but du texte est de permettre la reconduction des dispositions de la loi précédente. Je ne reviendrai pas sur les raisons qui ont conduit à l’adoption de cette loi, M. le rapporteur les a rappelées, je limiterai mon propos au contenu des dispositions qu’il s’agit de proroger.

Mesdames, messieurs les sénateurs – j’y insiste – le terrorisme représente une menace réelle. Notre pays n’est pas plus menacé que d’autres, il ne l’est pas moins non plus. Il faut que nous l’ayons constamment à l’esprit.

Si nous sommes menacés sur le sol national, nos compatriotes sont menacés aussi à l’extérieur. L’enlèvement, hier encore, en Afghanistan, d’un employé d’une association humanitaire nous rappelle l’actualité de cette menace. Nous avons tous à l’esprit, bien entendu, ce qui s’est passé et ce qui se passe régulièrement en Afghanistan, en Algérie, au Yémen, en Arabie Saoudite, en Mauritanie.

Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, la menace est permanente et les services du ministère de l’intérieur déjouent constamment des attentats, raison pour laquelle ces questions ne doivent pas être prises à la légère. L’actualité de ce risque terroriste se manifeste par des entraînements paramilitaires, par des saisies d’armements, par un certain nombre d’informations ou de menaces clairement formulées.

Le terrorisme islamiste ne se résume plus aujourd’hui à l’appel à la guerre entre un monde musulman et un monde occidental. Il tend désormais vers une contestation idéologique de nos sociétés et de nos valeurs, contestation qui porte aussi bien sur la reconnaissance de la place des femmes, sur la liberté elle-même, que sur notre conception équilibrée de la laïcité, qui font partie de nos valeurs fondamentales.

Son évolution concerne aussi les modalités et les lieux d’entraînement. Les conflits irakien, israélo-palestinien, afghan, sont autant de terrains d’entraînement pour des terroristes potentiels. Nous suivons, bien entendu, à travers les réseaux un certain nombre de personnes qui suivent des formations et des entraînements dans ces pays et qui reviennent ensuite sur notre territoire.

Par ailleurs, internet apporte au terrorisme un vecteur nouveau d’endoctrinement, de propagande, de recrutement et de structuration des réseaux.

Face à l’ampleur de ces menaces et à leur évolution, nous avons le devoir d’adapter nos réponses. La première responsabilité d’un État, et de ses représentants, est, mesdames, messieurs les sénateurs, de protéger ses citoyens contre cette menace que représente le terrorisme. Nous devons adapter nos réponses pour mieux protéger le territoire national, mais aussi, au-delà, le territoire européen, car il n’y a plus de frontières en la matière, nous le savons bien.

Cela implique une vigilance quotidienne sur notre sol et à nos frontières.

Permettez-moi, à cet égard, de rappeler quelques chiffres. Le plan Vigipirate mobilise chaque jour 2 366 policiers, 165 gendarmes et 870 militaires. L’espace Schengen doit nous permettre un contrôle plus efficace des entrées sur le territoire européen et sur le territoire national. Nous rejoignons ici le problème des contrôles d’identité à bord des trains internationaux évoqué par M. le rapporteur.

Cela renforce en effet nos capacités de détection d’un certain nombre de personnes, notamment celles qui font partie de réseaux identifiés et dont nous savons qu’elles reviennent de pays « sensibles ». C’est l’article 3 du texte dont la prorogation vous est demandée.

Comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, le service national de la police ferroviaire utilise d'ores et déjà ces moyens avec l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, la Suisse et l’Italie, car ce sont les voies principales d’accès à notre pays ou de retour dans notre pays.

Le renforcement du contrôle des frontières aériennes s’inscrit dans la même perspective. Actuellement, les voyageurs en relation avec cinq pays à risques du Moyen-Orient voient leurs données APIS – Advanced Passengers Information System  –enregistrées dans le fichier des passagers aériens. Il s'agit essentiellement du nom, de l’âge et de ce style de données.

Les travaux européens en cours sur le PNR – Passenger Name Record – visent à renforcer l’efficacité du dispositif. En effet, les terroristes savent parfaitement ce que nous faisons, ne nous leurrons pas. De la même façon qu’ils utilisent toutes les nouvelles technologies – ils l’ont fait avant nous !–, ils se méfient aussi de nos dispositifs de surveillance.

Par conséquent, quand des pays sont trop ciblés, parce qu’il est plus facile de ne surveiller que cinq ou six pays, les filières terroristes n’hésitent pas à choisir des itinéraires détournés, passant par des pays non signalés sans revenir directement en France, par exemple depuis le Yémen.

Nous travaillons donc à l’échelon européen sur la possibilité d’établir de nouvelles connexions afin de ne pas perdre en cours de route des personnes qui transitent par des pays non signalés, et ce système peut être réellement efficace.

Le renforcement des mesures de sécurité tant à l’échelon européen qu’à l’échelon national s’accompagne aussi d’une clarification des règles de protection des données personnelles. Nous en avons parlé récemment au Parlement européen, nous tenons beaucoup à cette double garantie.

Nos démocraties sont en effet confrontées à la double nécessité d’assurer la sécurité des personnes tout en garantissant la protection des libertés, et c’est au regard de ce double impératif qu’il nous incombe d’évaluer rigoureusement les besoins en la matière.

C’est un enjeu majeur de déterminer quel prix économique et quel prix en termes de liberté nous sommes prêts à acquitter pour notre sécurité. Il faut rechercher un juste équilibre entre les deux afin de protéger la démocratie, et c’est un travail que nous devons faire ensemble.

Adapter notre réponse, c’est aussi essayer d’améliorer notre action pour détecter les réseaux.

Comme j’ai eu l’occasion de vous l’indiquer à plusieurs reprises, on observe des signes préoccupants dans l’évolution du terrorisme. Des formes beaucoup plus isolées qu’auparavant apparaissent : des individus, notamment des individus fragiles psychologiquement, peuvent ainsi être en quelque sorte convaincus par le biais d’internet.

C’est l’une de mes préoccupations que de constater le développement sur internet, d’une part, d’une propagande émanant de certains groupes extrémistes et, d’autre part, de sites sur lesquels on peut apprendre à fabriquer des explosifs, voire des armes bactériologiques ou chimiques. N’importe qui, si je puis dire, peut avoir accès à ces informations et peut les mettre en pratique. D’ailleurs, en dehors même de tout caractère terroriste, plusieurs adolescents meurent chaque année, ou se retrouvent amputés, après avoir mis en pratique ce qu’ils voient sur internet. Mais là est un autre problème.

Aujourd'hui, nous nous attachons plus à la question des réseaux, qui mobilisent nos services, car ce sont eux qui permettent de cibler les personnes susceptibles de porter des atteintes sur notre territoire.

La création de la Direction centrale du renseignement intérieur nous a permis de gagner en efficacité pour mieux déjouer, en amont, les actions terroristes. En effet, il s’agit non pas de pleurer en cas d’attentat, mais de faire en sorte que celui-ci n’ait pas lieu, évitant ainsi les morts et les blessés. C’est pour cette raison qu’il est essentiel de doter cette direction d’outils adaptés à sa mission.

Ainsi que vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, l’article 9 de la loi du 23 janvier 2006 prévoit que des personnes dûment autorisées peuvent avoir accès à certains fichiers administratifs.

Cette disposition a permis de faciliter les investigations destinées à vérifier l’identité de personnes suspectes, notamment en contrôlant l’immatriculation des véhicules ou en établissant l’origine frauduleuse de documents sensibles.

La détection des réseaux passe également par un meilleur contrôle d’internet. Nous le savons, aujourd'hui, les terroristes utilisent internet pour véhiculer soit des messages internes, soit des messages de propagande. La communication des données techniques relatives à des communications électroniques, prévue par l’article 6, a prouvé son utilité.

Monsieur le rapporteur, vous avez regretté tout à l'heure que certains décrets d’application n’aient pas encore été publiés. Je tiens à vous dire que tous les textes sont prêts et sont actuellement à la signature du ministre du budget. J’espère donc qu’ils seront publiés incessamment.

L’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, l’UCLAT, a mis en œuvre une plate-forme de gestion des demandes de données techniques adressées aux opérateurs de téléphonie, aux sociétés de commercialisation et de services ou aux fournisseurs d’accès à internet. Parallèlement, une plate-forme de signalement sera ouverte dans un mois pour l’ensemble des sites internet aux contenus illicites.

Dans le même esprit, j’ai fait adopter à Luxembourg un accord permettant la mise en place d’une plate-forme européenne de lutte contre la cybercriminalité, notamment contre l’utilisation d’internet à des fins terroristes, car, comme je l’ai indiqué tout à l'heure, cette criminalité, tout comme le terrorisme, ne connaît pas de frontières. Considérant l’intérêt du projet, la Commission européenne a accepté de le financer.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne reviendrai pas sur l’excellente présentation de M. le rapporteur, car vous disposez maintenant de l’ensemble des données de la question.

La loi antiterroriste du 23 janvier 2006 a permis de réaliser une véritable avancée dans notre action de protection des populations contre une menace en constante évolution.

Il est à mes yeux légitime de proroger, conformément à la proposition de loi élaborée sur l’initiative du Sénat, les dispositions de cette loi, qui, en près de trois ans d’application, ont prouvé leur utilité et leur efficacité.

L’importance exceptionnelle de ces questions exige de chacun de nous une approche sereine et constructive, au-delà des clivages partisans. Il s’agit non pas de créer la panique, …

M. Charles Gautier. C’est ce que vous faites !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. … mais de répondre justement à un risque réel.

Souvenez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, de ce qui s’est passé après les attentats de Londres et de Madrid : on a alors observé une grande unité tant nationale qu’européenne. Mieux vaut néanmoins, à mon avis, que l’unité existe dès le départ, afin que soient évités des attentats, des drames, des morts, ainsi qu’un affaiblissement des valeurs de la démocratie qui sont les nôtres. Chaque attentat est présenté par ses auteurs et par Al-Qaïda comme une victoire sur les valeurs du monde occidental, une victoire sur la liberté. Moi, je crois à la liberté, et je veux la défendre non seulement pour moi, mais également pour l’ensemble des Français et des Européens. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Charles Gautier.

M. Charles Gautier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la finalité de prévention et de répression du terrorisme est, à l’évidence, une ardente nécessité, car il est du devoir de l’État à la fois de se protéger contre toute forme d’atteinte à son existence et d’assurer la sécurité des citoyens menacée par des risques d’une exceptionnelle gravité. Or, en période exceptionnelle, l’État doit se doter d’un arsenal juridique et technique exceptionnel.

Nous examinons ici une proposition de loi de notre collègue Hubert Haenel visant à proroger certaines des mesures exceptionnelles mises en place en 2006 pour une durée de trois ans.

Madame la ministre, le groupe socialiste s’était opposé au projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers que vous aviez proposé, au motif que les finalités de ce dernier ne correspondaient pas à celles qui étaient exposées. Nous considérions que ce texte, loin de se contenter de prévenir et de réprimer le terrorisme, contenait nombre de mesures tendant à lutter contre l’immigration irrégulière, favorisant ainsi l’assimilation entre terrorisme et immigration. Or la lutte contre le terrorisme ne peut tolérer aucune instrumentalisation.

Les articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 relative à la loi contre le terrorisme sont applicables jusqu’au 31 décembre 2008, et ont été votés sous condition de leur caractère temporaire.

Par le passé, de nombreuses dispositions temporaires ont été pérennisées ; je dirai même que c’est une spécialité législative française. Mais ici, le sujet est trop grave, puisqu’il s’agit de mesures tendant à limiter les libertés publiques.

Madame la ministre, vous justifiez l’importance de cette proposition de loi par une menace terroriste particulièrement élevée. Pourriez-vous nous fournir quelques éléments sur ce sujet ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Bien sûr !

M. Charles Gautier. Quelle est la situation actuelle ? Disposez-vous d’informations que vous pourriez porter à la connaissance de la représentation nationale, démontrant une aggravation des risques ?

La commission des lois, quant à elle, estime que les premiers résultats de la loi de 2006 sont « plutôt satisfaisants ». Votre attitude ne serait-elle pas, au contraire, source d’inquiétudes nouvelles ? Pourtant, vous avez indiqué tout à l'heure qu’il ne s’agissait pas de créer la panique !

La commission des lois considère que les trois articles concernés doivent être prorogés compte tenu du manque de recul de l’évaluation, les délais de publication des textes d’application – un décret, vous l’avez vous-même reconnu, n’est toujours pas publié – ayant retardé l’entrée en vigueur de la loi. Pourtant, n’y avait-il pas urgence en 2005, lors de l’examen du texte initial ?

Madame la ministre, l’article 32 de la loi de janvier 2006 impose au Gouvernement de remettre chaque année au Parlement un rapport sur son application. Or aucun rapport n’a, à notre connaissance, été remis au Parlement. Il n’existe qu’un rapport d’information datant du 5 février 2008 établi par deux collègues députés, dans lequel Julien Dray, co-rapporteur, est très critique sur ces mesures puisqu’il observe : « Nous ne pensons donc pas, par conséquent, qu’il faille, sous le coup d’une sorte de fatalisme juridique, et sous la pression d’hypothétiques menaces, considérer que les dispositions temporaires de cette loi, celles des articles 3, 6 et 9, doivent être prolongées, ou plus encore être définitivement entérinées. »

Les membres de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, sont arrivés à la même conclusion et s’inquiètent de l’absence de débat et d’évaluation, compte tenu des mesures restrictives en matière de liberté publique et de droits fondamentaux.

Enfin, madame la ministre, nous sommes dubitatifs sur l’instrument juridique choisi.

De par la nature de ces dispositions, et compte tenu de leur importance, il n’est ni sérieux ni respectueux des droits du Parlement d’aborder cette discussion dans le cadre d’une simple proposition de loi.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ça alors !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Une simple proposition de loi !

M. Charles Gautier. J’ai le droit de le penser !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On vous le rappellera !

M. Charles Gautier. Et on vous le resservira aussi !

Cette proposition de loi fait l’objet d’un examen que j’estime précipité, alors que nous savons, depuis janvier 2006, que les dispositions seront caduques en décembre 2008. Tout le monde connaissait cette échéance !

Dans le cas présent, l’urgence ne peut justifier ce qui s’apparente à un détournement de procédure, à savoir la reprise, sous forme d’une proposition de loi, d’un texte dont l’ordonnateur est, à l’évidence, le Gouvernement.

M. Charles Gautier. La question de la prolongation de ces dispositions aurait pu être abordée dans le cadre de l’examen de la future LOPPSI, la loi de programmation et de performance pour la sécurité intérieure ; vous y avez d’ailleurs fait allusion, madame la ministre.

Mais, depuis l’annonce envisagée de son dépôt, l’adoption de ce texte en conseil des ministres est systématiquement reportée. Pourtant, le 14 octobre dernier, vous avez déclaré à l’Assemblée nationale que la LOPPSI 2 est prête depuis un an, pour ce qui concerne tant son volet budgétaire que son volet juridique.

Madame la ministre, nous ne pouvons pas accepter que la prorogation de l’article tendant à permettre la fouille des trains se justifie par la lutte contre l’immigration. Nous n’accepterons jamais l’amalgame trop souvent fait entre terrorisme et immigration. J’ajoute que c’est parfaitement contraire au principe même de Schengen, ce dont ont conscience un certain nombre de membres de la commission des lois, quelle que soit leur couleur politique.

Madame la ministre, nous ne pouvons pas non plus voter en faveur d’un article visant à proroger un régime de réquisition administrative des données de connexion. Aussi bien la CNCDH que la CNIL ont émis des réserves sur cette procédure, lors de l’examen du texte initial.

Concernant la pratique, l’un des décrets n’est toujours pas paru, et la mise en place a été si lente qu’aucune évaluation ne peut encore être pertinente. Or n’avait-on pas prétendu qu’il s’agissait d’une disposition urgente ?

Quant à l’article 9, les réserves de la CNCDH et de la CNIL sont les mêmes que celles qui avaient été émises lors de l’examen du texte initial, notamment quant aux possibilités de croisements et d’extractions de données issues des fichiers.

Vous l’aurez compris, madame la ministre, notre groupe est très sceptique sur la prorogation des articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers. Nous serons attentifs aux données et aux garanties que vous ne manquerez pas de nous fournir au cours de l’examen de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés à examiner une proposition de loi visant à prolonger l’application de trois mesures figurant dans la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.

Estimant que la menace liée au terrorisme, notamment islamiste, n’avait jamais faibli, le gouvernement de l’époque avait présenté ce projet de loi. Il avait également rappelé que la France peut apparaître comme l’une des principales cibles. Tel est encore le cas aujourd’hui puisque vous avez indiqué tout à l’heure, madame le ministre, que notre pays n’est pas plus menacé que d’autres, mais qu’il ne l’est pas moins non plus. Et je n’évoquerai pas les groupes indépendantistes malheureusement plus proches de notre territoire par leur origine, tel l’ETA, dont la menace est toujours vive. Le projet de loi avait d’ailleurs été déposé quelques mois après les attentats de Londres.

Il n’est pas contestable que le terrorisme constitue une menace nécessitant des gouvernements un effort particulier afin de mettre en œuvre tous les instruments nécessaires pour y faire face. Les actes en question sont graves et intolérables, et ce d’autant plus qu’ils ont pour but de frapper un peuple, une nation, de porter atteinte à tous les ferments collectifs de cette dernière et à ce qu’elle représente.

À lui le seul, le terrorisme justifie que des moyens exceptionnels soient mis en œuvre par le législateur lui-même.

Voilà pourquoi le Gouvernement avait proposé, à l’époque, différentes mesures visant à adapter notre législation aux évolutions du terrorisme. Le groupe de l’Union centriste avait soutenu ces dispositions.

Si l’ensemble des mesures visant à lutter contre le terrorisme sont nécessaires et utiles à certaines époques, elles doivent, chacun en convient, rester exceptionnelles et s’attacher à un contexte particulier.

Pour le législateur, toute la difficulté réside dans la recherche d’un équilibre entre, d’une part, la protection des biens et des personnes et, d’autre part, la protection des libertés individuelles, auxquelles nous sommes tous attachés.

Telles ont les raisons pour lesquelles la loi du 23 janvier 2006 prévoit qu’un rapport dresse le bilan des dispositions exceptionnelles. C’est ainsi que l’Assemblée nationale a publié en février 2008 un rapport faisant état de l’application des dispositifs mis en place.

Trois dispositions de la loi du 23 janvier 2006 – les articles 3, 6 et 9 – devaient être appliquées à titre temporaire, jusqu’au 31 décembre 2008. Ces dispositions arrivent à échéance, et notre collègue Hubert Haenel nous propose de prolonger leur application jusqu’au 31 décembre 2012.

Selon l’exposé des motifs de la proposition de loi, la prolongation de ces trois mesures se justifie par deux raisons au moins : d’une part, le rapport annuel d’application de 2008 a montré leur pertinence opérationnelle et leur efficacité ; d’autre part, la menace terroriste est malheureusement toujours aussi présente sur notre territoire, ce dont vous convenez vous-mêmes, mes chers collègues socialistes. Mais il est vrai que nous aimerions être placés dans une autre situation !

L’une des questions qui nous intéresse aujourd’hui est bien celle de savoir si la situation actuelle justifie la prolongation de ces trois mesures limitant à la fois la liberté d’aller et venir et le respect des libertés individuelles.

Une autre question concerne l’efficacité de ces mesures : il faut bien le dire, nous manquons de recul et de hauteur de vue pour l’apprécier complètement.

Par ailleurs, l’article 3 concerne non pas uniquement le terrorisme, mais plus largement le contrôle des frontières, puisqu’il constitue une contrepartie à la mise en œuvre de l’espace Schengen. Des décisions de justice récentes – ce sujet a retenu toute l’attention de la commission des lois – traduisent une interprétation restrictive de cette disposition. Il a en effet été estimé que celle-ci valait uniquement pour les trains circulant de l’étranger vers la France.

Je crois également utile de rappeler que le décret d’application de l’article 6 concernant la réquisition de données auprès des fournisseurs d’accès à internet et des hébergeurs n’a toujours pas été pris.

Quant à l’article 9, il risque de montrer bientôt ses limites, s’agissant notamment de l’accès aux fichiers, puisque la loi, en son état actuel, ne permet pas l’accès aux données biométriques qui figurent désormais dans le système de gestion des passeports.

Je demande donc au Gouvernement de bien vouloir nous rassurer sur ces différents points.

Compte tenu de ces difficultés, la question du nécessaire équilibre et de l’impératif de proportionnalité entre, d’une part, la protection des personnes et des biens et, d’autre part, la garantie des libertés individuelles se posent avec d’autant plus de pertinence.

Toutefois, comme en faisaient état certains quotidiens français en début d’année, les menaces islamistes proférées contre la France, visant en particulier Paris, sont prises très au sérieux par les ministères de l’intérieur et de la justice, après qu’un centre américain spécialisé dans la surveillance des communications du réseau Al-Qaïda a fait état de menaces avérées.

Des menaces précises contre les monuments parisiens ont circulé sur al-ikhlas, un site internet islamiste utilisé par Al-Qaïda. Parmi les sites évoqués figurent la tour Eiffel, les Champs-Élysées, l’aéroport de Roissy ou le quartier de La Défense. Mon but n’est pas d’inquiéter qui que ce soit ! Il s’agit simplement de préciser, à l’occasion de ce débat législatif, que nous sommes clairement concernés par des menaces terroristes réelles.

Il nous faut également tenir compte du fait que le terrorisme a évolué. Les organisations terroristes savent utiliser à leur avantage les moyens modernes de communication, comme la téléphonie mobile et internet. Face à la mondialisation des réseaux et des moyens de communication, de nouveaux enjeux se sont imposés aux forces de police des États menacés. En tant que législateur, nous devons être présents.

Je ne reviendrai pas sur les différents points méritant sans doute des compléments d’information, que Mme le ministre ne manquera pas de nous donner. Mais vous avez déjà répondu à certaines de nos interrogations, madame.

Le groupe de l’Union centriste estime que la prorogation de ces mesures, qui est d’ailleurs préconisée dans le rapport annuel d’application de la loi du 23 janvier 2006, se justifie. J’insiste cependant sur le point suivant, qu’il faut toujours garder à l’esprit : de telles mesures doivent respecter un équilibre acceptable entre les exigences de liberté et celles de sécurité, d’où l’importance, madame le ministre, d’une évaluation de leur efficacité. Vous le savez bien, la moindre erreur pourrait avoir des conséquences très lourdes pour des personnes injustement soumises à des mesures aussi contraignantes, qualifiées parfois par certains de « liberticides ».

C’est pourquoi il est nécessaire de prévenir les abus, de prêter une attention particulière à l’interprétation des textes, de prévoir des clauses de rendez-vous et de limiter l’usage de telles mesures à des circonstances très particulières, en l’occurrence à la lutte contre le terrorisme, comme cela nous est proposé aujourd’hui.

Donnons-nous donc rendez-vous dans quatre ans ; nous aurons alors plus de recul quant à l’application de ces mesures pour décider soit de les prolonger de nouveau, soit d’en prendre d’autres plus adaptées, soit – on peut toujours rêver ! – de ne plus nous en préoccuper.