M. Jean-Louis Carrère. Provocateur !

M. Xavier Bertrand, ministre. Ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas aujourd’hui de désigner à la vindicte les entrepreneurs qui créent des richesses et des emplois.

M. Jean Desessard. Ce sont les salariés qui créent les richesses !

M. Xavier Bertrand, ministre. Ça vous gêne que je dise que les entrepreneurs créent des richesses et des emplois ?

Les excès de quelques-uns ne peuvent nous faire oublier que la plupart des chefs d’entreprise, dans les petites, les moyennes, mais aussi les plus grandes entreprises, ont le souci de créer des richesses, de développer la solidarité dans l’entreprise et de soutenir la cohésion sociale.

Mme Catherine Tasca. C’est un conte de noël !

M. Xavier Bertrand, ministre. Dans une société comme la nôtre, qui a besoin d’être renforcée, si vous voulez partager des richesses, il faudra d’abord les créer. Or comment créer des richesses sinon par le travail, les entreprises et les entrepreneurs ? Voilà une vérité ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Yannick Bodin. Eh bien, faites ce qu’il faut pour cela !

M. Xavier Bertrand, ministre. Depuis plus d’un an, nous travaillons à moraliser les rémunérations des dirigeants d’entreprises.

Mme Éliane Assassi. Vous mettez à bas les salariés !

M. Xavier Bertrand, ministre. En août 2007, dans la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, la loi TEPA, nous avons imposé aux entreprises que les conventions réglementées pour indemnités de départ, les fameux parachutes dorés, soient soumises pour la première fois à des critères de performance votés en assemblée générale et vérifiés par les conseils d’administration. Cette mesure a été proposée par le Gouvernement et votée par la seule majorité gouvernementale !

Aujourd’hui, nous sommes tous d’accord sur un point : nous devons passer à une nouvelle étape qui prenne en compte l’ensemble des éléments de rémunération.

Reste à savoir quelle doit être la nature de cette nouvelle étape. Est-ce une étape législative immédiate et précipitée, comme celle que nous propose le groupe socialiste aujourd’hui ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Est-ce une autorégulation du « laisser faire » ? On a vu par le passé quelles en étaient les limites.

Le Président de la République a proposé une autre voie.

M. Jean-Louis Carrère. Celle de son ami Bush !

M. Xavier Bertrand, ministre. Il a souligné à Toulon que les excès du capitalisme financier sont un obstacle au développement d’un capitalisme d’entrepreneurs, créateur de richesses.

À cette occasion, il avait appelé à de nouvelles règles en matière de rémunération des dirigeants. (Le brouhaha persiste toujours.)

M. Yannick Bodin. Il était temps, ce n’est pas un élève précoce !

M. Xavier Bertrand, ministre. La règle du jeu était claire… Comme est claire la règle qui consiste à s’écouter les uns les autres. Pour ma part, j’ai écouté tout à l’heure attentivement les propositions de Mme Bricq. Ce que vous ne faites pas pour moi. Mais quand on ne veut pas écouter, c’est tout simplement que les arguments développés gênent ! (Rires et exclamations sur ler travées socialistes.)

M. Jean-Louis Carrère. Il faut voir vos arguments !

M. Yannick Bodin. On croit rêver !

M. Xavier Bertrand, ministre. La règle du jeu était claire : soit les entreprises prenaient des engagements forts et les mettaient en œuvre, soit le Gouvernement prenait des dispositions législatives au début de l’année 2009.

Mme Nicole Bricq. Ils ne respectent jamais leurs engagements !

M. Xavier Bertrand, ministre. En réponse, le MEDEF et l’Association française des entreprises privées, l’AFEP, ont proposé un code de gouvernement d’entreprise qui aborde l’ensemble des éléments de rémunération et les encadre de façon stricte.

Avec ce nouveau code et le dispositif prévu par la loi TEPA, sans même parler de ce qui a été voté pour l’instant à l’Assemblée nationale, la France dispose désormais de l’ensemble de règles le plus exigeant, et de loin, au sein des pays de l’OCDE !

Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas vrai !

M. Xavier Bertrand, ministre. Il faut maintenant que les entreprises appliquent ces engagements. Avoir des recommandations du MEDEF, c’est bien, mais avoir des engagements de chaque conseil d’administration, c’est encore mieux, même mieux que ce qui est proposé aujourd'hui !

M. Jean-Louis Carrère. Dites plutôt que c’est bien pour vous !

M. Xavier Bertrand, ministre. Le Gouvernement a donc demandé aux six cent quatre-vingt-huit conseils d’administration d’adhérer à ce code avant la fin de l’année, puis de veiller à son application rigoureuse. Cela engagera les administrateurs, mais également les actionnaires.

M. Jean-Louis Carrère. C’est un leurre !

M. Xavier Bertrand, ministre. L’Autorité des marchés financiers, l’AMF, établira un rapport à partir des délibérations des conseils d’administration et suivra chaque année leur mise en œuvre.

Si ce rapport montre que le code n’est pas appliqué de façon satisfaisante, là encore, le Gouvernement présentera un projet de loi au Parlement au début de l’année 2009.

En outre, le Gouvernement a décidé d’agir immédiatement : vous avez ainsi adopté, lors de l’examen du projet de loi en faveur des revenus du travail, l’amendement « stock-options pour tous ».

Ainsi, lorsque dans une entreprise des stock-options ou des actions gratuites seront attribuées aux dirigeants, il faudra désormais que l’ensemble des salariés du groupe bénéficient d’actions gratuites, de stock-options, d’intéressement ou de participation.

J’avais pris un engagement devant l’Assemblée nationale, madame Bricq, lors du dépôt de l’amendement de Jean-Pierre Balligand. J’ai même indiqué à cette occasion que l’amendement en question n’allait pas assez loin.

Mme Nicole Bricq. C’est pour ça que vous l’avez refusé !

M. Xavier Bertrand, ministre. L’amendement qui a été présenté au Sénat va beaucoup plus loin que celui de Jean-Pierre Balligand. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Carrère. Vous êtes à notre gauche, camarade !

M. Xavier Bertrand, ministre. Sur ce sujet, il faut aussi le reconnaître, nous avons tenu nos engagements.

Je remarque que certaines voix n’ont pas été présentes pour soutenir cet amendement !

M. Jean-Louis Carrère. Vous êtes la nouvelle gauche !

M. Xavier Bertrand, ministre. C’est une mesure à laquelle nous devons tous être particulièrement attachés : pendant bien longtemps, les stock-options étaient réservées à quelques-uns ; maintenant le dispositif profite à tous les salariés.

En fait, d’un côté, il y a les grands discours, les grandes exclamations et, de l’autre, les actions concrètes qui profitent à tous. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

La proposition de loi du groupe socialiste, disons-le très clairement, s’inspire des propositions patronales. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Carrère. Tout à fait !

M. Yannick Bodin. C’est naturel !

M. Xavier Bertrand, ministre. N’ayez pas de regrets ni de remords à assumer cette proximité.

Je m’étonne seulement que la présente proposition de loi n’aille pas aussi loin que les propositions patronales.

M. Jean-Pierre Sueur. Mais c’est de la provocation !

Mme Nicole Bricq. Il n’y croit pas lui-même !

M. Yannick Bodin. On n’est pas dans une cour de récréation, monsieur le ministre !

M. Xavier Bertrand, ministre. Ainsi, s’agissant de la possibilité de cumuler contrat de travail et mandat social, vous voulez interdire à un administrateur de conclure un contrat de travail avec la société concernée. C’est en réalité l’inverse qui se produit : dans la majorité des cas de cumul, c’est un salarié qui devient administrateur. Pourquoi n’avez-vous pas visé ce cas d’espèce précis, qui est celui qui se produit le plus souvent ?

Concernant les stock-options, vous nous proposez d’augmenter la contribution que nous avons créée l’année dernière. Je souligne que c’est un gouvernement socialiste qui aura permis le développement des stock-options et que c’est notre gouvernement et notre majorité qui les aura moralisées ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Alain Gournac. C’est vrai !

M. Xavier Bertrand, ministre. Ce bref rappel permet de cerner les vraies responsabilités de chacun !

Mme Nicole Bricq. C’est un gros mensonge !

M. Jean-Louis Carrère. Ils adorent les mensonges et applaudissent chaque fois qu’ils en profèrent un !

M. Xavier Bertrand, ministre. De plus, vous avancez des propositions pour réguler l’attribution, l’exercice et la cession des stock-options. Mais il existe d’autres façons de les réguler.

Laissons aussi aux assemblées générales et aux conseils d’administration le soin de déterminer ce qui est le plus approprié à leur entreprise, car nous avons, nous aussi, pris nos responsabilités en matière de réglementation.

Par ailleurs, ne sont pas visées dans votre texte les sociétés à directoire et conseil de surveillance. Pourtant elles sont nombreuses …

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ils ne savent pas que ça existe ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Xavier Bertrand, ministre. … et ce sont elles qui, justement, ont donné cours à un certain nombre d’excès. Pourquoi n’avez-vous pas également visé ces cas précis ?

M. Alain Gournac. C’est un oubli !

M. Xavier Bertrand, ministre. Par ailleurs, comme l’a rappelé le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, cette proposition de loi interfère avec les débats en cours, qu’il s’agisse du projet de loi de finances ou du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Un amendement déposé lors de l’examen du projet de loi de finances et d’ores et déjà adopté à l’Assemblée nationale vise à permettre d’exclure de la déductibilité du résultat imposable les indemnités de départ dépassant 200 000 euros.

Par ailleurs, un amendement déposé lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et adopté à l’Assemblée nationale vise à prévoir que les indemnités supérieures à 1 million d’euros seront soumises aux cotisations sociales dès le premier euro.

Ces deux dispositions seront prochainement soumises au vote de la Haute Assemblée.

Dans ce cas, pourquoi légiférer maintenant ? En fait, tous les propos que j’ai entendus et le manque de sérénité dont vous faites preuve à l’instant prouvent bien qu’il s’agit d’un texte d’affichage et de rien d’autre ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Nous avons indiqué de quelle façon nous entendions nous engager. Le Président de la République a été le premier à s’exprimer sur ce sujet.

M. Jean-Louis Carrère. Il tire toujours le premier !

M. Xavier Bertrand, ministre. Le Gouvernement a d’ores et déjà pris des mesures par voie d’amendements et nous ne nous arrêterons pas là si les engagements des organisations patronales ne sont pas suivis d’effet.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est de l’humour noir ?

M. Xavier Bertrand, ministre. Dans ces conditions, nous recommandons à la Haute Assemblée de suivre les conclusions de la commission des lois et d’adopter la motion tendant au renvoi à la commission.

Comptez sur le Gouvernement pour être particulièrement attentif à ce que les engagements pris par les entreprises soient pleinement respectés. À défaut, je le répète, nous présenterons un projet de loi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est déterminé à mener à bien la moralisation des rémunérations des dirigeants d’entreprise.

M. Jean-Louis Carrère. Oui, c’est ça !

M. Yannick Bodin. Il y a du boulot !

M. Xavier Bertrand, ministre. Le Gouvernement entend promouvoir un capitalisme d’entrepreneurs pour remettre la responsabilité au cœur de notre économie.

M. Jean-Louis Carrère. On vous voit à l’œuvre !

M. Xavier Bertrand, ministre. Je le répète, il y a ceux qui sont très forts dans les discours et il y a ceux qui choisissent les actes et l’efficacité. (Rires et exclamations sur les travées socialistes.)

Le Gouvernement et cette majorité choisissent les actes et l’efficacité ! (Bravo et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Yannick Bodin. Pour les discours, votre réputation est faite !

Mme Catherine Tasca. Les salariés jugeront !

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ferai tout d’abord une observation générale sur ce débat.

Nous consacrons cette séance, pour partie, à des textes d’origine parlementaire.

Or, comme souvent, la commission saisie au fond préconise l’adoption d’une motion de procédure. En l’occurrence, il s’agit d’une motion tendant au renvoi du texte à la commission.

Que devient, alors, l’initiative parlementaire s’il faut être issu des rangs de la majorité sénatoriale pour pouvoir déposer un texte qui soit examiné, discuté et amendé ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Si la majorité de la commission des lois ne partage pas les attendus de la proposition de loi, chers collègues, mettons-la en débat, discutons-en, amendons les dispositions qui ne répondent pas aux attentes des uns et des autres et votons sur un texte, fût-il modifié ! Le procédé retenu aujourd’hui n’est décidément pas acceptable.

Venons-en au contenu de la proposition de loi.

Mme Christine Lagarde nous avait présenté, lors de la discussion de la loi TEPA, les mesures que le Gouvernement avait l’intention de prendre sur la question de la rémunération des dirigeants.

Elle s’exprimait en ces termes : « La relation entre le dirigeant et les instances de l’entreprise est régie par un contrat, et c’est dans ce cadre que peut être défini un panier de critères de performances. [ …] Le conseil d’administration doit rester souverain en la matière, pour décider au cas par cas, avec l’approbation des actionnaires dont il est l’émanation. »

Mme Nicole Bricq. On a vu !

Mme Éliane Assassi. « Il n’appartient pas au régulateur qu’est l’État ou au législateur de gouverner la relation individuelle entre un dirigeant et sa société. L’objet de cet article 7 est d’introduire de la performance en fixant un cadre général. »

Il faut dire qu’à l’époque nous étions au cœur de l’affaire EADS, qui avait scandalisé l’opinion publique –  parachute doré pour l’un et plan social pour les autres –, affaire qui attend toujours la conclusion de l’Autorité des marchés financiers saisie pour délit d’initié.

La proposition de loi dont nous discutons se situe dans le prolongement des amendements que nos collègues du groupe socialiste avaient déposés sur l’article concerné de la loi TEPA. Ces amendements, contrairement à aujourd’hui, avaient été exposés et débattus.

Mme Éliane Assassi. Fort prévenant à l’égard des dirigeants d’entreprise, le rapporteur général avait ainsi fait adopter une proposition permettant au seul conseil d’administration des entreprises concernées de fixer les conditions de constitution d’une retraite chapeau, ne laissant que la question des primes de départ à la décision de l’assemblée générale des actionnaires.

La démocratie actionnariale est encore limitée et le dispositif de l’article 17 de la loi TEPA est si peu opératoire que, faute d’avoir lutté contre les parachutes dorés, la loi n’a fait qu’aménager la piste d’atterrissage

Seulement voilà : la crise aidant et la croissance n’étant pas au rendez-vous de la loi TEPA, cela fait quelque temps que l’opinion publique est placée devant une certaine agitation, au plus haut niveau de l’État et dans le débat politique public de manière générale, sur la question de la rémunération des dirigeants d’entreprise.

Alors, que faut-il penser des intentions que le chef de l’État affiche publiquement ?

Il déclarait notamment le 25 septembre dernier : « Les modes de rémunération des dirigeants et des opérateurs doivent être désormais encadrés. Il y a eu trop d’abus, il y a eu trop de scandales. » Dont acte !

Alors, faut-il légiférer ou non ? Faut-il revenir sur l’esprit qui animait le Gouvernement lors de la discussion du projet de loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat ? Pour nous, c’est oui !

C’est oui, à partir de la proposition de loi dont nous sommes saisis et des mesures qui pourraient s’y ajouter : soumission à l’impôt des stock-options, assujettissement aux cotisations sociales, interdiction pure et simple ou très forte imposition des parachutes dorés, toutes mesures incluses dans une proposition de loi que notre groupe a récemment déposée.

La loi est l’expression de l’intérêt général et celui-ci commande aujourd’hui de légiférer sur la rémunération des cadres dirigeants de nos plus grandes entreprises. Savez-vous, mes chers collègues, combien de contribuables bénéficient aujourd’hui du dispositif spécial d’imposition des stock-options ? Ce sont 2 200 foyers fiscaux sur un total de plus de 35 millions, c’est-à-dire 0,006 % !

L’intérêt général commande de mettre un terme au niveau exorbitant et souvent injustifié des rémunérations des dirigeants surtout quand, dans le même temps, leur implication se traduit en plans sociaux et en chômage technique imposé aux salariés. En 2007, les cinquante patrons français les mieux payés ont, en moyenne, perçu 310 fois le SMIC…

M. Jean Desessard. Oh là là !

Mme Éliane Assassi. Ces rémunérations ont augmenté de 20 % en un an, progression que nombre des salariés de leurs propres entreprises auraient sans doute voulu atteindre !

Encore faut-il se souvenir que le salaire n’est que la partie émergée de l’iceberg. Ainsi, Bernard Arnault, président-directeur général du groupe LVMH, s’est vu attribuer 4,1 millions d’euros de salaire, auxquels s’ajoutent 376 millions d’euros de dividendes !

M. Alain Fauconnier. Scandaleux !

Mme Éliane Assassi. Le patron de Vallourec, pour sa part, a déclaré 12,4 millions d’euros de revenus, soit une hausse de 32 %, quatre fois supérieure à la progression du résultat par action de son entreprise. Et je ne parle pas du salaire des salariés de ce groupe ! Démonstration est ainsi faite de la parfaite inefficience des mesures de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat.

Alors, oui, mes chers collègues, il faut légiférer et nous ne pouvons que regretter et condamner que cela ne soit pas possible aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui vise à réformer le statut des dirigeants de sociétés et à encadrer leurs rémunérations.

Je rappelle l’objet de cette proposition de loi car, à la lecture de son texte même, je relève tout d’abord une incertitude majeure tenant à l’imprécision de la notion de dirigeant de société.

L’exposé des motifs semble viser les dirigeants de sociétés cotées mais les articles eux-mêmes s’appliquent à l’ensemble des mandataires sociaux.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Pourtant, des mesures en ce domaine ne s’entendent, de mon point de vue, que pour les sociétés faisant appel public à l’épargne.

Mme Nicole Bricq. Discutons-en !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Au moment d’exercer son action, le législateur se doit d’avoir clairement à l’esprit l’objet sur lequel il légifère. C’est une des grandes faiblesses de cette proposition de loi : elle ne définit pas clairement son objet.

M. Jean-Pierre Bel. On peut l’améliorer !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je suis obligée aussi de relever une totale méconnaissance de notre législation...

Mme Nicole Bricq. Bien sûr ! Il n’y a que vous qui savez !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. L’exposé des motifs voudrait faire croire que le législateur français serait frileux et ne serait pas intervenu dans ce domaine. Or, en matière de rémunération et de participation au capital des dirigeants mandataires sociaux, j’ai relevé pas moins de sept textes majeurs adoptés depuis 1983.

Mme Nicole Bricq. Rien de très applicable !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il s’agit de la loi du 30 avril 1983, la loi relative aux nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001, la loi du 1er août 2003, la loi du 30 décembre 2004, la loi du 26 juillet 2005, la loi du 21 août 2007 et, enfin, la loi du 3 juillet 2008. Le droit français, mes chers collègues, est probablement le plus réglementé du monde en ce domaine ! (Mme Bricq s’exclame.) Il ne paraît donc pas souhaitable de légiférer à nouveau.

Cette initiative est d’autant plus mal venue qu’elle ne tient pas compte des recommandations conjointes de l’AFEP et du MEDEF sur la rémunération des dirigeants mandataires sociaux des sociétés cotées qui datent de janvier 2007. Le 6 octobre dernier, c’est-à-dire très récemment, le MEDEF et l’AFEP ont présenté des recommandations qui complètent et précisent le code de gouvernement d’entreprise.

Ces recommandations visent à prohiber le cumul entre l’exercice d’un mandat social et un contrat de travail, en partant du principe que le niveau élevé des rémunérations des dirigeants se justifie par la prise de risque et n’est donc pas compatible avec les avantages du contrat de travail. Par conséquent, si un salarié devient mandataire social, il doit être mis fin à son contrat de travail, soit par rupture conventionnelle, soit par démission.

Ces recommandations visent également à limiter à deux ans de rémunération le montant des indemnités de départ – les parachutes dorés – et à exclure leur versement en cas de départ volontaire et en cas d’échec. Elles précisent aussi la limitation du montant des droits acquis chaque année au titre des retraites supplémentaires, dites retraites chapeaux, etc.

Ces recommandations sont donc extrêmement importantes. (Rires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Alain Fauconnier. C’est grotesque !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Elles subordonnent les plans de stock-options pour les dirigeants à l’existence de dispositifs associant aux résultats l’ensemble des salariés et interdisent tous les instruments de couverture des options. Elles mettent fin à la distribution d’actions gratuites sans condition de performance aux dirigeants…

M. Pierre-Yves Collombat. C’est terrible, ça ! (Sourires.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … et améliorent la transparence de tous les éléments de rémunération à travers une rémunération publique standardisée.

Pour le suivi de ces recommandations – cela a été excellemment rappelé par l’un des orateurs qui m’ont précédée –, les sociétés concernées doivent, dans leur rapport de gestion, contrôlé par l’Autorité des marchés financiers, déclarer, conformément à la loi du 3 juillet 2008, si elles se réfèrent au code de gouvernement d’entreprise ainsi complété et précisé.

Dans le cas contraire, elles doivent expliquer dans ce même document public les raisons pour lesquelles elles n’appliquent pas ces recommandations. Par ailleurs, un rapport global sur l’évolution du suivi des recommandations doit être publié chaque année.

Monsieur le ministre, vous l’avez rappelé, le Gouvernement, lors du conseil des ministres du 7 octobre dernier, a exprimé le souhait que « les conseils d’administration des entreprises concernées adhèrent formellement à ces recommandations avant la fin de l’année 2008 et veillent à leur application rigoureuse. À défaut, ces recommandations seraient reprises dans un projet de loi dès le début de l’année 2009. »

Il me semble donc souhaitable d’attendre pour voir ce que vont devenir ces recommandations et comment elles seront appliquées, avant de légiférer à nouveau ! Cette proposition de loi souffre donc, de mon point de vue, d’une inadéquation temporelle dans la mesure où elle n’intervient pas au bon moment. En effet, il convient d’analyser les leçons à tirer des mesures précédentes, d’apprécier si l’intervention législative est bien nécessaire, d’évaluer avec recul la mise en adéquation du fonctionnement des entreprises avec le code de gouvernement d’entreprise de l’AFEP et du MEDEF.

Enfin, j’ai relevé dans le texte de cette proposition de loi des flous juridiques, des dispositions pour le moins difficiles à comprendre et même impraticables pour un spécialiste du droit des affaires.

M. Jean-Pierre Sueur. Déposez des amendements !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ainsi, l’article 5 soumet « l’augmentation substantielle de la rémunération du président du conseil d’administration » à l’obtention préalable d’un « avis conforme du comité d’entreprise et de l’assemblée générale des actionnaires ». Pardonnez-moi ! Comment définissez-vous une « augmentation substantielle » ? Votre texte ne le précise même pas !

M. Bernard Frimat. Un peu de modestie !

Mme Nicole Bricq et M. Yannick Bodin. Déposez un amendement !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. La notion d’avis conforme me plonge également dans la plus grande perplexité !

M. Yannick Bodin. Vous vous en remettrez !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. L’article 11 précise que « le conseil d’administration comprend un représentant des salariés qui dispose d’une voix délibérative ». Soyons sérieux ! Cette disposition n’est pas cohérente avec le reste de la législation en vigueur, voilà bien une inadéquation juridique !

M. Yannick Bodin. Nous ne sommes pas à l’école ! Nous ne sommes pas vos élèves !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. J’aurais pu citer d’autres exemples, mais je me suis limitée à ces deux articles compte tenu du temps qui m’était imparti !

M. Yannick Bodin. Mais pour qui se prend-elle ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. En conclusion, pour toutes ces raisons, notamment la confusion régnant à l’égard de l’objet même de la proposition de loi – la notion de dirigeant de société –, son inadéquation temporelle et juridique, il me semble tout à fait pertinent de la renvoyer en commission.

M. Alain Fauconnier. Circulez, il n’y a rien à voir !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce disant, je m’exprime au nom de mes collègues du groupe UMP : il ne s’agit pas d’un artifice de procédure (Rires sur les travées du groupe socialiste), mais d’une garantie de sérieux. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. François Marc.

M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà bien longtemps que le groupe socialiste a pris à bras-le-corps la question de l’encadrement des rémunérations des dirigeants d’entreprise.

En 2001 déjà, avec la loi relative aux nouvelles régulations économiques, la gauche avait brisé le tabou de la rémunération des patrons des grandes entreprises cotées en bourse. À cet égard, je dois souligner à quel point notre position a pu être caricaturée : certains l’auront peut-être entendu, le Premier ministre, dans une déclaration à la télévision lundi dernier – reprise tout à l’heure en substance par M. le ministre –, prétendait que la gauche ne proposait rien et était tout à fait inactive depuis de nombreuses années.

Or, avec la loi de 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, des dispositions avaient été prises pour fiscaliser et réduire les stock-options. À l’époque, la droite, par la voix de Philippe Auberger, à l’Assemblée nationale, et de Philippe Marini, au Sénat, indiquait que cette disposition visait à alourdir la fiscalité, en constituant, après l’impôt sur le revenu et l’impôt de solidarité sur la fortune, un troisième impôt progressif, cette fois sur les stock-options ! Monsieur le ministre, il faudra revoir vos fiches car, incontestablement, lorsque la gauche était au pouvoir, des actions ont été entreprises dans ce domaine, et non des moindres !

Depuis, qu’il s’agisse de la loi dite de sécurité financière de 2003, de la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine des marchés financiers de 2005, de la loi pour la confiance et la modernisation de l’économie de 2005 ou de la loi relative aux offres publiques d’acquisition de 2006, nous avons appelé le Gouvernement à une réforme de grande ampleur du droit financier, du droit boursier et du droit des sociétés.

Dès l’examen de la loi pour la confiance et la modernisation de l’économie, nous avions déposé des amendements pour instaurer des règles de fonctionnement des agences de notation afin d’éviter les conflits d’intérêts. Nous avions également proposé de restreindre le nombre de stock-options qu’une société de taille importante pouvait émettre et nous avions déposé des amendements visant à l’encadrement et au renforcement de la transparence de la rémunération et des avantages perçus par les mandataires sociaux.