M. le président. La parole est à M. Éric Doligé.

M. Éric Doligé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nul ne saurait ignorer la situation économique et financière mondiale et, par contrecoup, celle des particuliers, des entreprises et des collectivités.

Notre devoir est de ne pas ajouter des difficultés aux difficultés et de participer au redressement en limitant nos dépenses, sans pour autant réduire nos investissements.

Est-il besoin de rappeler que 73 % des investissements publics sont réalisés par les collectivités ? Leurs marges de manœuvre sont de plus en plus réduites, les recettes diminuant tandis que les dépenses augmentent et leur capacité d’autofinancement se réduisant vertigineusement.

Les recettes sont dépendantes de l’État et nous payons aujourd’hui, près de vingt ans plus tard, le choix de la facilité, c'est-à-dire la suppression de différentes recettes, qu’il s’agisse de la vignette, de la part « salaires » de la taxe professionnelle, qui ont été remplacées par des dotations, ou, bientôt, de la part investissements de l’assiette de cette taxe.

La tendance naturelle de l’État est de présenter aux collectivités ces dotations comme des largesses. Ce ne sont en réalité que des compensations de plus en plus réduites de sommes dues.

Madame la ministre, au cours des réflexions actuelles relatives au financement des collectivités, il faudra penser à bannir cette tutelle financière de l’État, qui ne doit faire ni de la captation de recettes ni de la fausse compensation. Nous n’avons même plus droit à un juste retour ! En disant cela, je ne fais pas de l’opposition, je traduis une réalité que je vis quotidiennement, principalement en cette période où nous bâtissons à grand peine nos budgets.

Les départements sont probablement parmi les collectivités qui dépendent le plus des décisions de l’État. Le nombre de leurs salariés a plus que doublé en deux ans, à la suite de la décentralisation. Dans mon département, les effectifs sont passés de moins de mille personnes à plus de deux mille cinq cents personnes.

J’ai rédigé, voilà deux ans, un rapport sur les transferts de personnels, dans lequel je pointais les risques d’une compensation incomplète et les dérives inévitables que nous allions connaître. Nous y sommes.

Cette année, si nous ajoutons les hausses du point d’indice – 0,8 %  plus 0,5 % plus 0,3 % – à l’accroissement automatique des traitements indiciaires les plus bas – c’est-à-dire ceux qui sont majoritairement associés aux compétences transférées –, à la mise en œuvre de la garantie individuelle du pouvoir d’achat, au futur relèvement de la grille indiciaire des agents de catégorie C, à la refonte des grilles des catégories A et B, à la progression considérable de la part patronale de la pension civile de l’État sur les fonctionnaires détachés – qui est passée en deux ans de 27 % à 39 %, et atteindra bientôt 50 % –, sans compter l’effet du glissement vieillesse technicité, le GVT, évalué à 2,49 %, la hausse des dépenses des collectivités dépasse alors largement l’augmentation de 2 % de la dotation qui nous est annoncée.

Un autre élément que je livre à votre expertise, mes chers collègues, réside dans l’explosion des demandes déposées auprès des maisons du handicap, qui, en une année, a conduit, dans mon département, à une augmentation de 33 % de la masse salariale. Cet écart est non compensé.

Par ailleurs, lors du transfert des routes, l’État a conservé le personnel d’encadrement. En conséquence, il nous a fallu embaucher trente-deux cadres pour gérer les quatre cents kilomètres de routes transférées.

Les collectivités seraient laxistes ; les collectivités seraient les grandes bénéficiaires des largesses financières de l’État… Pensez donc : la dotation augmentera de 2 % en 2009 alors que l’inflation ne sera, selon les prévisions, que de 1,5 % !

Mais nous savons tous compter et le tour de passe-passe du fonds de compensation pour la TVA ne trompe pas les élus, même s’il peut abuser l’opinion publique. Ce fonds n’aurait pas dû être intégré à l’enveloppe normée.

Je ne vais pas pleurer sur la perte de recettes de 20 % à 30 % sur les droits de mutation mais je ne peux m’empêcher de rappeler que, lorsque nous annoncions que le compte n’y était pas sur le RMI et l’APA, la manne « droits de mutation » nous avait alors été opposée. C’était l’arbre qui cachait la forêt. L’arbre a disparu et la forêt est toujours là…

Il n’est pas nécessaire d’essayer de nous convaincre que les collectivités sont choyées ou favorisées. Mon vécu quotidien me rend lucide et me permet aussi de redire pour la énième fois qu’il faut changer de système ! Il faut rompre avec notre complexité administrative. L’État doit s’occuper de l’État. Il doit fournir son appui aux collectivités et non représenter pour elle une entrave qui prend l’allure d’un mur de normes, de règlements, de circulaires ou de décrets. De leur côté, les collectivités doivent rester à leur place et ne plus ajouter à la complexité.

Quatre niveaux clairs, deux couples, des financements indiscutables, des compétences explicables et reconnaissables : madame le ministre, si nous allons vite dans ce travail que nous a fixé le Président de la République, nous devrions avoir plus de facilités à maîtriser les dépenses et à présenter des recettes indiscutables.

Nous sommes bien placés pour savoir que les querelles de chiffres n’apportent rien. L’actualité nous montre en direct depuis quelques jours que chaque partie peut discuter les chiffres présentés par l’autre partie…

En ce jour d’ouverture du Congrès des maires, je souhaite insister sur la nécessité pour les élus locaux de disposer d’outils fiscaux performants et simples leur permettant de développer leurs collectivités sans entrave. Il n’est pas acceptable qu’il faille, je le redis de nouveau dans cet hémicycle, sept partenaires financiers pour qu’un projet voit le jour. Sept partenaires, cela fait sept décisions, sept demandes de subvention, sans parler des sept années nécessaires pour atteindre le jour de l’inauguration… Que d’argent public mal dépensé en fonctionnement !

La réforme de l’organisation territoriale, si elle doit bousculer les faits établis, doit également bousculer la fiscalité locale. Je compte sur vous, madame le ministre, pour tout remettre à l’endroit ! (Applaudissements sur les travées de lUMP. – MM. Jean-Jacques Jégou et Christian Gaudin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel.

M. Gérard Miquel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les dispositions du projet de loi de finances pour 2009 s’inscrivent dans un contexte particulièrement difficile pour les recettes des collectivités territoriales en général, et pour celles des départements en particulier.

La progression réelle de l’enveloppe des dotations de l’État sera bien éloignée des 2 % annoncés, ce en raison de l’intégration du FCTVA, le fonds de compensation pour la TVA, qui en était jusqu’à présent exclu.

Il s’agit en effet d’un remboursement de fiscalité et non d’une dotation ou d’une subvention. Or son dynamisme, qui s’explique par les investissements réalisés par les collectivités il y a deux ans, représente à lui seul plus de 663 millions d’euros, sur une progression de la nouvelle enveloppe de 1,1 milliard d’euros.

En réalité, si l’on exclut, comme il devrait l’être, le FCTVA du calcul, la progression de l’enveloppe des dotations de l’État est inférieure à 0,9 %.

Au sein même de l’enveloppe normée, les départements sont particulièrement pénalisés : d’une part, par d’un nombre plus important de variables d’ajustement soumises à une diminution de 17 % ; d’autre part, par le gel pur et simple de toutes les autres dotations – dotation départementale d’équipement des collèges, dotation globale de décentralisation et dotation globale d’équipement.

Au total, sur un manque à gagner, toutes collectivités confondues, de plus de 732 millions d’euros par rapport au maintien des conditions du contrat de stabilité de 2008, les départements en supporteront environ 250 millions d’euros.

Par ailleurs, les départements s’interrogent sur le financement de la part du RSA relative au coût de l’allocation de parent isolé, l’API.

En effet, la compensation sous forme de fraction de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, la TIPP, posera immanquablement à terme de très fortes difficultés dans la mesure où, après 2010, une fois l’ajustement définitif de la compensation déterminé, l’assiette nationale de la TIPP continuera mécaniquement de baisser alors que le coût du RSA versé aux parents isolés ne suivra pas nécessairement le même chemin.

Il aurait donc été préférable de faire reposer cette compensation sur une fraction de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance, dont l’assiette paraît moins exposée aux risques de baisse.

Ces nouvelles mesures, madame la ministre, sont accueillies avec une profonde amertume par les élus des conseils généraux car elles s’ajoutent aux difficultés financières déjà bien présentes qui sont, elles-mêmes, la conséquence des décisions prises dans le passé.

Sans m’étendre longuement sur ce point, il me paraît toutefois essentiel de rappeler, au travers de quelques exemples choisis, l’ampleur des dégâts.

Pour le seul RMI-RMA – je ne reviendrai pas sur les autres transferts de compétence –, le manque à percevoir pour mon département du Lot, qui compte 170 000 habitants, s’élève à plus de 5 millions d’euros, soit, sur la période 2004-2007, l’équivalent de dix points d’impôts.

S’agissant de la récente réforme de la taxe professionnelle, qui produira véritablement ses pleins effets à partir de 2009, elle représentera alors pour mon département une charge d’environ 1,5 million d’euros.

Enfin, toujours pour ce même département, l’écrêtement de la dotation de la compensation de la taxe foncière sur les propriétés non bâties aura un effet de l’ordre de 650 000 euros sur le prochain budget.

Je ne parlerai pas de la compensation à 30 % de l’APA ni des sommes que nous devons ajouter pour payer les primes des personnels transférés, afin de les mettre sur un pied d’égalité avec les autres personnels employés dans nos conseils généraux.

Madame la ministre, l’accumulation de toutes ces mesures finira par porter un coup d’arrêt définitif à la politique d’investissement des collectivités territoriales, qui, je le rappelle, représente plus de 75 % de l’investissement public.

En 2009, l’État ne fournira pas, aux collectivités en général et aux départements en particulier, les moyens d’assurer convenablement les missions qu’il leur a transférées dans le cadre de la décentralisation.

Sans compter que la crise économique et financière que nous traversons aura de lourdes conséquences pour les départements.

Elle en aura, tout d’abord, sur le plan des recettes : les droits de mutation devraient connaître en 2009 une baisse comprise entre 15 % et 30 %, la taxe professionnelle reste elle aussi sensible aux effets de la conjoncture et un ralentissement de la consommation confirmera la baisse de l’assiette de la TIPP.

La crise aura également des incidences sur le plan des dépenses : les charges sociales des départements risquent de subir les lourdes conséquences de l’aggravation du nombre de demandeurs d’emploi et des bénéficiaires du RMI.

Aussi, madame la ministre, plus qu’à un effet de ciseaux, c’est à une véritable asphyxie financière que les départements seront confrontés l’année prochaine.

Et pour desserrer l’étau, nous pouvons user des remèdes classiques.

Celui du levier fiscal, tout d’abord, est profondément injuste dans la mesure où nous n’avons pas eu le courage politique de réformer la fiscalité locale. Mes prédécesseurs à cette tribune en ont parlé, notamment Jean-Pierre Fourcade.

Celui du gel des investissements, ensuite, signifierait, en cette période, l’abandon de l’un des principaux moteurs de l’économie locale et, en conséquence, l’accélération garantie des effets récessifs.

Enfin, celui de l’endettement et du recours au crédit, dont le récent renchérissement générera déjà des charges nouvelles, aggraverait une situation financière déjà bien fragile.

Nous le voyons clairement : les départements ne disposent d’aucune solution réellement adaptée pour conjurer les dangers qui pèsent sur leurs budgets.

Certains, aujourd’hui, sans doute par effet de mode, contestent la légitimité même des départements, alors qu’il y a peu le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin en a fait, par la voie de la décentralisation, un échelon territorial indispensable d’expression de la démocratie, de développement et de bonne gestion de nos services publics. Où est donc la logique ? Nous la cherchons mais, malheureusement, nous peinons à la trouver.

Restons donc cohérents, madame la ministre, et donnons aux départements la lisibilité et les financements dont ils ont besoin pour mener à bien leurs politiques au service de nos concitoyens.

Au fil des ans, nous avons transféré de très nombreuses compétences aux départements. Fort heureusement, le montant des diverses allocations et prestations est défini au niveau national. Nous ne pouvons donc que constater l’augmentation croissante des dépenses liées au nombre de bénéficiaires. Nous ne maîtrisons en aucun cas les dépenses.

M. le ministre du budget a dit tout à l’heure vouloir préserver l’investissement. Mais nous sommes nombreux ici à ne pas avoir été convaincus par ses propos, en particulier les présidents de conseil général. Car, au-delà des mots, il y a des faits, et les faits sont têtus.

On peut même se demander, madame la ministre, si certains ne souhaitent pas asphyxier les départements afin de leur faire rendre gorge et de faciliter ainsi le dessein des grands esprits qui veulent les faire disparaître.

Madame la ministre, j’appelle donc le Gouvernement à la raison : il doit remettre en question les dispositions que j’ai évoquées à l’instant, qui font de ce budget un mauvais budget pour les collectivités territoriales ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. François Fortassin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.

M. Philippe Dallier. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je n’ai malheureusement que dix minutes pour plaider la cause des villes les plus en difficultés de nos territoires.

Ces villes, quelles sont-elles ? Ce sont celles qui accueillent les populations les plus pauvres et qui, par ailleurs, ne disposent pas des ressources fiscales suffisantes pour faire face à la charge budgétaire induite par la mise en œuvre des politiques liées notamment à la rénovation urbaine, à l’accompagnement éducatif et social, à la santé ou encore à la prévention de la délinquance, qu’elles doivent pourtant développer pour maintenir ou ramener ces territoires, souvent partis à la dérive, dans le giron de la République.

En 2003, au nom de l’égalité, l’État et le Parlement se sont fortement engagés et ont engagé leurs partenaires – collectivités locales, 1 % logement, associations –, en adoptant le programme national de rénovation urbaine – près de 40 milliards d’euros mobilisés –, en décidant du doublement, en cinq ans, de la dotation de solidarité urbaine, la DSU, pour la porter de 600 millions à 1,2 milliard d’euros, en renforçant les moyens financiers de la politique contractuelle, en rendant plus efficaces ces dispositifs par la création de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, l’Acsé, en doublant au total le nombre des zones franches urbaines qui visent à maintenir ou à installer dans ces quartiers les commerces et les entreprises.

Toutes ces décisions avaient pour but, permettez-moi l’expression, de « mettre le paquet », afin de rendre possible et perceptible par les habitants de ces quartiers dits sensibles un véritable changement, afin de leur redonner espoir en la République, afin aussi de sortir du saupoudrage des crédits qui coûtait cher sans donner les résultats attendus.

Nous nous sommes alors fixé collectivement pour objectif de tirer ces quartiers vers le haut en donnant aux collectivités locales les moyens nécessaires, bien au-delà du droit commun, pour réussir ce pari de l’intégration et de la cohésion sociale.

Avons-nous réussi ? II est bien trop tôt pour le dire ! Une chose est certaine néanmoins : si nous relâchons notre effort, tout le bénéfice de ce que nous avons déjà entrepris peut être perdu.

Bien que cinq années soient déjà passées, il est effectivement encore trop tôt pour dire si oui ou non nous réussirons ce formidable pari lancé sous l’égide de Jean-Louis Borloo.

Cependant, dans beaucoup de villes, les choses commencent à bouger. Les quartiers se transforment avec la démolition des immeubles les plus dégradés, les nouveaux logements, comme les équipements publics, sortent de terre, donnant enfin le sentiment aux habitants que les choses peuvent changer. J’aurais envie de vous dire : « Yes we can ! » (Sourires.)

M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous pouvez parler français.

M. Philippe Dallier. Malheureusement, la crise internationale ayant pris l’ampleur que nous savons, nous devons faire des choix budgétaires difficiles pour limiter le déficit public et passer ce mauvais cap. J’y souscris pleinement.

Parmi ces décisions, il y a celle qui concerne les dotations aux collectivités locales.

La question posée est donc simple : dans l’enveloppe à répartir, pouvons-nous demander aux villes les plus pauvres de participer à l’effort que l’on attend de l’ensemble des collectivités locales ?

À cette question, je réponds clairement non. Pourquoi ?

D’abord, parce que si nous avons effectivement fortement augmenté leurs dotations dans les années passées, ce n’était que pour rattraper des disparités criantes.

Au-delà de ce rattrapage, nous avons voulu donner à ces villes les moyens nécessaires pour financer les lourds projets de rénovation urbaine dans lesquels elles se sont résolument engagées, qui pèsent et pèseront longtemps sur leurs budgets.

C’est bien pourquoi nous avions prévu, en cinq ans, le doublement de la DSU, laissant aux maires le soin d’en fixer l’emploi.

Malgré cela, mes chers collègues, aujourd’hui, pas plus qu’hier, ces villes ne disposent pas en général des marges de manœuvre budgétaires qui leur permettraient, d’un côté, de poursuivre leurs longs, coûteux et nécessaires efforts en faveur de la rénovation urbaine et de la cohésion sociale et, de l’autre, de réduire leurs dépenses de fonctionnement et d’investissement.

Voilà pourquoi je considère qu’il n’est pas souhaitable de leur demander, alors qu’elles subiront déjà, comme les autres collectivités, la baisse de certaines de leurs recettes propres, de participer à l’effort général de limitation des dépenses de l’État.

En effet, dans ces villes et dans leurs quartiers sensibles, toute réduction de la voilure des dispositifs humains, en particulier les associations, des dispositifs fiscaux, notamment en zone franche urbaine, et des projets lancés ces dernières années risquerait non seulement de brouiller le message de l’État, ce qui serait déjà regrettable – surtout pour nous, élus de la majorité, car c’est bien nous qui avons adopté toutes ces mesures –, mais, plus grave encore, de remettre en cause l’objectif principal qui est bien de sortir durablement ces quartiers de leurs difficultés.

Après des années d’annonces de projets, de concertation avec la population, d’élaboration des dossiers, d’appels d’offres et, enfin, de travaux, c’est en effet seulement maintenant, à l’heure de l’aboutissement, certes encore partiel, mais néanmoins substantiel, des réalisations promises, que les habitants retrouvent l’espoir et qu’ils se réapproprient leur quartier, les espaces publics rénovés, les immeubles réhabilités et « résidentialisés », leurs nouveaux logements.

Cette bataille de tous les instants, celle de la République contre ceux qui ne veulent pas de la République dans ces quartiers, nous devons la poursuivre et l’accentuer pour la gagner, sous peine de perdre tout le bénéfice des efforts déjà consentis.

C’est pourquoi, madame le ministre, j’étais favorable à l’esprit de la réforme de la DSU, qui visait à concentrer sur les villes les plus pauvres l’enveloppe de cette dotation, augmentée, cette année, de 70 millions d’euros. Oui, j’y étais favorable, même si ma commune aurait certainement perdu le bénéfice de la DSU.

Seulement voilà, une mauvaise préparation du terrain a fait capoter cette réforme, parce que l’on aura voulu toucher à tous les critères de la DSU en même temps, la rendant illisible et même contestable puisqu’elle sortait du dispositif nombre de villes qui auraient dû y rester.

Madame le ministre, vous avez donc pris en l’occurrence la seule décision raisonnable : repousser d’un an cette réforme et lancer une grande concertation avec les associations d’élus et le Comité des finances locales.

Mais pour réussir, il faudra se souvenir que la DSU, telle qu’elle a été pensée à l’origine, souffre d’un handicap majeur, car elle vise un double objectif quasi inatteignable : d’un côté, aider les villes à faible potentiel fiscal qui font face à une problématique sociale lourde et, de l’autre, soutenir les villes à faible potentiel fiscal qui n’accueillent pas des populations particulièrement pauvres.

Aussi, je considère qu’il faudra tout à la fois recentrer la DSU au seul bénéfice des villes les plus pauvres fiscalement et socialement et trouver en parallèle, comme en Île-de-France avec le Fonds de solidarité de la région d’Île-de-France, à la condition qu’on lui redonne un peu de vigueur (Mme Nicole Bricq opine), un autre outil de péréquation de la richesse fiscale.

Nous avons donc besoin, mes chers collègues, d’une réforme plus large. Elle doit trouver sa place dans le débat ouvert par le Président de la République sur l’organisation administrative et politique de nos territoires, qui ne peut se concevoir sans intégrer la problématique des moyens de ces collectivités.

Une autre décision et innovation intéressante dans ce projet de budget pour 2009 est la création de la dotation de développement urbain, la DDU, réservée aux cent communes les plus concernées par la politique de la ville, dont l’enveloppe a été fixée à 50 millions d’euros.

Si je me réjouis de cette décision qui va dans le sens de ce que je viens de défendre, à savoir une augmentation et une concentration des moyens, je dois tout de même vous faire part, madame le ministre, de l’inquiétude de nombre d’élus sur la manière dont les sommes concernées seront réparties.

Si mes informations sont exactes, les critères d’éligibilité au dispositif seront fixés d’un commun accord avec les associations d’élus, puis validés par le comité interministériel des villes, le CIV, en décembre prochain.

Ensuite, des enveloppes départementales seront calculées puis distribuées par les préfets, sur appel à projet, en fonction d’objectifs fixés à l’échelon national.

Si je peux comprendre – encore que ! – la volonté de l’État de flécher ces crédits, je crains que la mécanique imaginée ne soit lourde et peut-être, au bout du compte, inéquitable.

En effet, les cent villes retenues, même si nous n’en connaissons pas la liste, seront certainement toutes déjà engagées dans de lourds projets de rénovation urbaine dont le contenu a d’ailleurs été négocié avec l’État.

Comment imaginer, alors, qu’elles auront la capacité de se lancer dans de nouveaux projets d’investissement dont la nature collerait avec le ou les objectifs ministériels retenus pour l’octroi de la DDU ? C’est très peu probable.

Il pourrait donc y avoir des villes a priori éligibles à la DDU mais qui ne pourront peut-être pas présenter de projets répondant aux critères fixés par l’État, au niveau ministériel.

Voilà pourquoi, madame le ministre, je souhaite que vous nous apportiez des précisions et peut-être que vous nous rassuriez sur les instructions que vous donnerez aux préfets quant aux projets qui pourront être retenus.

Enfin, madame le ministre, je terminerai en formulant le souhait que nous puissions, dans le débat qui s’engage, trouver le moyen de revenir sur la liste des variables d’ajustement de l’enveloppe élargie, et particulièrement sur celles qui pénaliseraient les villes les plus pauvres, ce qui, vous en conviendrez, ne serait pas équitable puisque ce que nous avons donné d’un côté nous le reprendrions de l’autre.

En effet, cette année, les exonérations de taxes foncières sur les propriétés bâties concernant les personnes de condition modeste, pour 66,3 millions d’euros, les logements en zone urbaine sensible, pour 21,86 millions d’euros, et les zones franches urbaines, pour 2,29 millions d’euros, feront partie des variables d’ajustement.

Au total, nous connaîtrons une baisse de 90 millions d’euros par rapport en 2008, qui pèsera en très grande partie sur les villes les plus pauvres puisqu’elles concentrent, par définition, les personnes de condition modeste, les logements en zone urbaine sensible et les zones franches urbaines.

Madame le ministre, j’ai bien conscience qu’il est impossible de trouver ces 90 millions d’euros, mais il faudrait, pour les villes éligibles à la DSU, à tout le moins pour le premier tiers d’entre elles, faire en sorte que ces variables d’ajustement n’aient pas des conséquences aussi négatives que pour les autres villes. C’est une question de cohérence et d’équité. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. François Patriat.

M. François Patriat. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, c’est au titre des régions que je m’exprimerai, dans le contexte difficile que vous connaissez.

Ce débat est certes technique, mais la technicité ne doit pas dissimuler la réalité. Et la réalité est que ce budget asphyxie les collectivités territoriales. Il ne s’agit pas pour moi de demander toujours plus, de céder à la démagogie, il s’agit d’analyser la réalité.

Les collectivités locales, les régions en particulier, sont aujourd’hui asphyxiées, étranglées. On leur fait les poches. On les met au pilori.

Madame la ministre, hier, le groupe Unilever annonçait la fermeture, en Bourgogne, de deux des trois sites de la société Amora. Beaucoup de membres de la majorité, et non des moindres, notamment un ancien ministre membre du conseil régional, déclarent que si le groupe supprime des emplois en Bourgogne, c’est à cause de la fiscalité régionale.

Permettez-moi de vous citer les chiffres. L’année dernière, sur territoire français, le groupe Unilever a réalisé un chiffre d’affaires de 220 millions d’euros et a dégagé un bénéfice de 22 millions d’euros. Il paye, pour ces trois sites, 250 000 euros de taxe professionnelle, chiffre qui n’a d’ailleurs pas augmenté depuis trois ans puisque, grâce aux décrets qui ont été pris, il a bénéficié d’un écrêtement de 185 000 euros.

Mettre les régions au pilori alors qu’on leur demande plus et qu’on leur donne moins appelle de ma part quelques observations.

On nous présente un projet d’asphyxie. Asphyxie des collectivités en général, car il supprime la référence à la croissance du PIB pour le calcul de la DGF. Asphyxie des régions en particulier, car il gèle l’évolution de la dotation décentralisée régionale pour la formation professionnelle et l’apprentissage, ou DDRFPA, et surtout, il gèle l’évolution de la dotation générale de décentralisation, ou DGD, réceptacle d’une partie des dotations pour les TER et de certains transferts de l’acte II de la décentralisation. Permettez-moi, madame la ministre, de vous en donner l’illustration par quelques exemples chiffrés.

D’abord, la suppression du mécanisme de régularisation de la DGF se traduit par une perte pour les collectivités locales. Je ne peux qu’y être défavorable.

Le Gouvernement présente la suppression de ce mécanisme comme un geste positif en faveur des collectivités locales puisque la régularisation négative de la DGF prévue au titre de 2007, de 66 millions d’euros, ne sera pas imputée sur le montant de la DGF ouvert en 2009.

Cette présentation est trompeuse puisque la suppression de ce mécanisme conduit en réalité à priver les collectivités des fortes régularisations positives attendues sur les exercices à venir.

Une forte régularisation aurait ainsi dû être versée en 2009 au titre de la DGF 2008, les indices macroéconomiques utilisés pour le calcul de la DGF versée aux collectivités en 2008 ayant été très nettement sous-estimés.

L’inflation prévisionnelle pour 2008 avait été évaluée à 1,6 %, alors qu’elle est désormais attendue aux alentours de 3 %. La régularisation correspondante qui aurait dû être versée aux collectivités est estimée à plus de 500 millions d’euros.

La suppression des régularisations de la DGF, c’est donc, pour les collectivités, un gain de 67 millions d’euros pour 2009, mais une perte de 500 millions d’euros pour 2010.

C’est pourquoi nous avons déposé, à l’article 10, un amendement par lequel nous demandons que la régularisation au titre des années 2007 et 2008 ait bien lieu.

Nous souhaitons ainsi que la suppression du mécanisme de régulation n’intervienne pas au moment le plus désavantageux pour les collectivités territoriales et que les indices sur lesquels est fondée l’évolution de la DGF, à savoir l’inflation, soient reconnus et admis par tous.

Ensuite, comme de nombreux orateurs l’ont précisé, le maintien du FCTVA, le fonds de compensation pour la TVA, est artificiel.

On nous dit que le FCTVA est préservé, mais ce que l’on ne dit pas clairement, c’est à quel prix.

Désormais, le FCTVA est bel et bien considéré comme une dotation parmi d’autres et il est intégré à ce titre au sein de l’enveloppe normée des concours de l’État.

Certes, madame la ministre, les mécanismes de calcul et d’attribution du FCTVA ne sont pas modifiés pour 2009, mais c’est au prix d’une baisse considérable des autres concours de l’État.

L’intégration du FCTVA à l’enveloppe normée limite la marge de progression des autres concours à 447 millions d’euros supplémentaires par rapport à 2008, soit une revalorisation de 0,89%.

En outre, la dotation générale de décentralisation, la DGD, n’évolue pas au niveau annoncé pour les régions.

Le projet de loi de finances prévoit un simple « gel » de la DGD, mais en réalité cette dotation va baisser pour les régions en 2009.

L’article 68 du projet de loi de finances révise le montant du droit à compensation des régions au titre de la compétence exercée sur les TER, pour tenir compte d’une modification du régime fiscal applicable aux subventions d’exploitation.

Le projet de loi de finances intègre désormais les subventions d’exploitation versées par les régions à la SNCF dans la catégorie de subventions non assujetties à la TVA et la compensation correspondante versée par l’État doit être minorée en conséquence. Ce mécanisme est compliqué, mais vous en aurez sans doute perçu le côté pernicieux.

Cette modification réduit le montant du droit à compensation de 82 millions d’euros, lesquels seront pris sur la DGD des régions en 2009. La DGD n’évoluera donc pas de 0 %, elle baissera de 6 %.

Du côté des dépenses, aucun accord global n’a été passé entre l’État et la SNCF pour compenser cette mesure. On laisse aux régions le soin de se débrouiller pour négocier avec la SNCF la perte qu’elles auront subie.

Comme l’a souligné Gilles Carrez dans son rapport sur le projet de loi de finances, on peut se demander pourquoi cette minoration n’est pas retranscrite au sein du périmètre des concours de l’État dont la DGD fait partie.

Peut-être est-ce du fait de la précipitation dans laquelle a été prise cette mesure, peut-être est-ce aussi pour majorer l’« effort » de l’État en faveur des collectivités locales ?

Enfin, madame la ministre, l’évolution des concours de l’État aux collectivités locales est trompeuse.

Vous l’avez dit et répété, le projet de loi de finances affiche une évolution globale des concours de l’État de 2 %. M. Soisson a fait de même, hier, lors du débat d'orientation budgétaire en Bourgogne.

Comme nous l’avons vu, cette évolution n’est obtenue que par le biais de plusieurs éléments. Le FCTVA est intégré dans l’enveloppe alors qu’il ne l’abondait pas auparavant puisqu’il n’était pas considéré, à juste titre, comme une dotation. La minoration de 82 millions d’euros de la DGD n’est pas prise en compte. Enfin, une série de concours, qui jouent le rôle de variables d’ajustement, est artificiellement réintégrée. C’est en particulier le cas des compensations fiscales qui diminueront, initialement de 22%, finalement de 17,7% après discussion du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale.

En sortant le FCTVA de l’enveloppe et en réintégrant la DGD à hauteur du montant qui sera effectivement versé aux collectivités, les concours progressent en réalité de 0,73%.

Pour conclure mon intervention, je tiens à souligner que, pour la première fois dans l’histoire de la décentralisation, le volume global de la dotation de compensation est en baisse d’un exercice sur l’autre. À preuve, les notifications qui ont été faites à la région Bourgogne font apparaître une baisse de 3 millions d’euros.

La norme d’évolution des concours de l’État affichée par le projet de loi de finances pour 2009 est donc un trompe-l’œil pour les collectivités. La plupart des régions verront en fait leurs dotations baisser, une première depuis 1982 et l’acte I de la décentralisation !

En 2009, l’État ne fournira pas aux régions les moyens d’assurer convenablement les missions qui leur ont été transférées dans le cadre de l’acte II de la décentralisation.

J’ajoute que les régions sont fortement sollicitées du fait de la crise actuelle. Mille emplois ont été supprimés en une semaine en région Bourgogne ! Les entreprises se tournent immédiatement vers nous et nous rencontrons tous les jours des salariés. Comment les accompagner avec des ressources qui baissent ou stagnent ? Vous imaginez la difficulté de notre tâche.

C’est pourquoi je ne souhaite aucun triomphalisme de la part du Gouvernement sur son soutien aux collectivités. Je ne sais pas ce que vous direz aux maires demain, madame la ministre. Vous leur expliquerez sans doute que l’État ne se désengage pas. Quant à moi, en me fondant sur la situation des régions, je vous prouve l’existence d’un réel désengagement.

J’ai écouté les propositions qui ont été avancées tout à l’heure par certains d’entre nous, et non des moindres, et je suis prêt à y souscrire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Jean Milhau applaudit également.)

(M. Roger Romani remplace M. Jean-Claude Gaudin au fauteuil de la présidence.)