M. le président. Mes chers collègues, deux écrans de télévision vous permettent d’être informés sur le déroulement de la séance publique dans l’hémicycle. Notre réunion sera certainement terminée quand débutera le scrutin public à la tribune.

La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que la Présidence française de l’Union européenne approche de son terme, on peut d’ores et déjà saluer son bilan très positif.

Qu’il s’agisse de l’adoption du pacte européen sur l’immigration et l’asile, du lancement réussi de l’Union pour la Méditerranée ou encore du délicat exercice du bilan de santé de la politique agricole commune, la Présidence française a su faire avancer ces dossiers prioritaires, en accord avec nos partenaires européens, pour répondre aux attentes des citoyens.

La Présidence française n’aura pourtant pas été épargnée par des événements imprévus.

Évoquons tout d’abord la guerre russo-géorgienne d’août dernier.

Pour la première fois, l’Union européenne a été en mesure, grâce à l’action déterminante du Président de la République, d’obtenir un cessez-le-feu, de mettre un terme à un conflit armé, d’envoyer une mission d’observation et de négocier un plan de paix qui n’est peut-être pas parfait, mais auquel aucune alternative crédible n’a été proposée.

Face à un partenaire aussi difficile que la Russie et dans un contexte d’effacement des États-Unis, l’Union européenne a montré qu’elle pouvait jouer un rôle majeur sur la scène internationale, dès lors qu’elle parlait d’une seule voix. Souhaitons donc qu’elle poursuive dans cette voie.

La crise économique et financière aura également fortement marqué cette présidence. Face à une crise financière d’ampleur mondiale, qui touche désormais l’économie réelle, l’Europe, grande puissance économique et commerciale, ne pouvait pas rester inactive.

Le Conseil européen des 11 et 12 décembre devrait approuver le plan européen de relance économique.

Là encore, la Présidence française a joué un rôle moteur pour promouvoir une approche coordonnée au niveau européen.

Sur ce point, et compte tenu de la gravité de la situation, on peut s’étonner, monsieur le secrétaire d’État, d’un certain manque de réactivité de la Commission européenne, pourtant censée jouer un rôle moteur dans l’intégration économique. Je crois que ce n’est pas tout à fait de cette manière que nous pourrons réconcilier les citoyens avec l’Europe.

Enfin, on ne peut pas évoquer le contexte de cette présidence sans rappeler qu’elle a commencé quelques jours après le « non » irlandais au traité de Lisbonne.

L’avenir du traité devrait d’ailleurs figurer en première place lors des débats du Conseil européen des 11 et 12 décembre. Nous aimerions donc savoir, alors que vingt-cinq États membres l’ont déjà ratifié, quels résultats peut-on espérer sur ce dossier.

En République tchèque, la Cour constitutionnelle a récemment jugé le traité conforme à la Constitution. Vous nous avez donné quelques indications sur l’attitude du Parlement tchèque. Se pose encore la question de la signature par le Président de la République. Avec lui, les choses ne sont pas faciles à prévoir.

Nous devons aussi envisager le cas de l’Irlande.

Un récent rapport du Parlement irlandais conclut à la possibilité d’organiser un second référendum, sous réserve de la prise en compte de certaines préoccupations. Vous avez d’ailleurs rappelé les principales demandes formulées par l’Irlande. Elles ne semblent pas soulever de difficultés particulières et pourront trouver place dans une déclaration.

Un point est tout de même plus délicat. Il concerne la composition de la Commission européenne. Comme beaucoup de « petits pays », l’Irlande est très attachée au maintien d’un commissaire par État membre. Il s’agit là d’une question qui a fait l’objet d’un difficile compromis lors des travaux de la Convention et de la Conférence intergouvernementale.

Une solution devrait cependant pouvoir être trouvée. Si le traité de Lisbonne prévoit de plafonner à partir de 2014 le nombre de commissaires à un nombre égal aux deux tiers du nombre d’États membres, soit dix-huit commissaires au maximum dans une Europe à vingt-sept, cette règle n’est pas figée. Il est prévu que le Conseil européen, statuant à l’unanimité, pourra modifier le nombre de commissaires sans qu’il soit nécessaire de réviser les traités.

La future composition de la Commission européenne méritait de toute manière une réflexion.

Notre collègue Jean François-Poncet, au moment de la ratification du traité de Lisbonne par notre assemblée, avait démontré combien le système proposé pour la composition de la Commission était insuffisant.

Comment imaginer une Commission qui ne comprendrait aucun membre français ou allemand ?

Quelle serait, en réalité, la légitimité de la Commission, censée incarner l’intérêt général européen, par exemple pour lancer une procédure de manquement à l’égard d’un État membre ou pour sanctionner un abus de position dominante, si cet organe ne comprenait pas en son sein un ressortissant de cet État ?

Dès lors, ne pourrait-on pas, monsieur le secrétaire d’État, saisir l’occasion qui nous est donnée par la situation irlandaise pour avancer sur cette question et trouver des modalités de composition de la Commission plus satisfaisantes pour notre pays ?

J’évoquerai pour terminer la politique européenne de sécurité et de défense, la PESD, dont la France avait fait l’une des priorités de sa présidence.

J’observe tout d’abord que, du point de vue de l’implication de l’Union européenne dans la gestion des conflits, les mois écoulés ont été particulièrement actifs.

L’EUFOR s’est pleinement déployée au Tchad et l’installation de la mission EULEX au Kosovo a démarré. Une mission civile d’observation a été envoyée en Géorgie. Enfin, la première opération maritime de l’Union a été décidée, pour lutter contre la piraterie au large de la Somalie.

Dans le même temps, la Présidence française s’est attachée, avec succès, à réunir nos partenaires sur un certain nombre d’orientations susceptibles de renforcer la PESD à court et moyen terme.

L’ambition européenne constitue une dimension essentielle de notre politique de défense, comme l’a fortement souligné le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France 2008-2020. Mais, sauf à demeurer dans un registre purement incantatoire, elle doit s’appuyer sur une analyse objective et réaliste des conceptions et du niveau d’ambition de nos partenaires européens.

C’est, à mon sens, à juste titre qu’a été privilégiée une approche concrète et pragmatique, qui ne donnera certes pas lieu à des annonces spectaculaires, mais qui consolidera les acquis de la PESD.

Au-delà de la nécessaire mise à jour de la stratégie européenne de sécurité, il me paraît très utile que l’Union européenne définisse de manière beaucoup plus précise la nature et l’ampleur des opérations civiles et militaires qu’elle entend pouvoir mener dans les années à venir. À cet égard, les objectifs qui doivent être approuvés, dans le cadre de la déclaration sur les capacités, constituent, pour la PESD, un véritable contrat opérationnel. Ils sont de nature à mobiliser les pays européens autour d’efforts bien identifiés, pouvant améliorer concrètement nos capacités d’action.

On ne peut également que se féliciter de l’accord intervenu le 10 novembre dernier entre les ministres de la défense, lesquels se sont entendus sur des projets concrets portant sur les hélicoptères, le transport aérien, les capacités aéronavales ou encore le lancement en commun d’une nouvelle génération de satellites d’observation.

En revanche, il faut regretter que le blocage persiste sur le développement de capacités autonomes de planification et de conduite d’opérations. Ce sont des blocages dus essentiellement, il faut bien le dire, aux Britanniques. Un centre d’opération de taille raisonnable, sensiblement plus étoffé qu’aujourd’hui, représenterait un vrai progrès pour nos opérations européennes. L’administration américaine elle-même en a reconnu l’intérêt, faisant d’ailleurs tomber l’argument peu convaincant du risque de concurrence avec le Grand quartier général des puissances alliées en Europe - SHAPE.

Néanmoins, pouvez-vous nous confirmer, monsieur le secrétaire d’État, qu’un accord interviendra sur la création d’une structure unique de planification stratégique civilo-militaire pour les opérations et missions de la PESD, ce qui permettrait, sans renforcement des moyens, d’améliorer les synergies et de gagner en efficacité et en rapidité ?

On le souligne souvent, la possibilité de réunir sous une même main des moyens militaires et civils de gestion de crise constitue l’une des originalités de l’Union européenne. Il s’agit là d’une dimension que nous avons tout intérêt à développer et à perfectionner, la complexité des crises actuelles exigeant la mise en œuvre d’une large gamme d’instruments.

J’évoquerai, pour terminer, la question des relations entre l’Union européenne et l’OTAN.

Nous avons clairement inscrit notre démarche dans une optique de complémentarité entre l’Europe de la défense et l’OTAN, fondée sur la valeur ajoutée respective de chaque entité. L’essentiel est de renforcer les capacités d’action collectives des pays européens, que ce soit au sein de l’Union européenne, de l’OTAN, de l’ONU ou d’autres cadres internationaux.

La Présidence française avait débuté par un séminaire de haut niveau visant à définir des modalités de coopération plus satisfaisantes entre l’Union européenne et l’OTAN, sachant que le seul mécanisme formel actuel, à savoir l’accord « Berlin plus », n’est pas adapté aux situations dans lesquelles l’Union et l’OTAN agissent côte à côte, comme en Afghanistan ou au Kosovo. Pouvez-vous nous dire, monsieur le secrétaire d’État, si des progrès ont pu être obtenus sur ce point, ou si les blocages liés aux relations entre certains pays, qui sont membres de l’une des organisations mais pas de l’autre, restent toujours aussi forts ; je pense très précisément aux objections turques ?

Pour conclure, je voudrais, monsieur le secrétaire d’État, au nom des membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, vous exprimer nos remerciements pour votre action au service de la cause européenne.

Au cours de ces deux années, nous avons tous apprécié votre dévouement, votre disponibilité, votre ouverture et votre efficacité et nous vous souhaitons une pleine réussite dans vos nouvelles et délicates fonctions. (Applaudissements.)

M. le président. Il m’appartient à mon tour de m’exprimer au nom de la commission des affaires européennes.

Monsieur le secrétaire d’État, durant la Présidence française, un changement important est intervenu dans le fonctionnement du Conseil européen, tout au moins dans la forme. Désormais, l’objectif est de parvenir à des conclusions relativement courtes, portant sur des points politiquement importants, et reflétant l’ordre du jour réel du Conseil européen. Il fut un temps, et nous l’avons souvent dénoncé, où c’était plutôt un inventaire à la Prévert.

J’espère que cette évolution se confirmera. Je me souviens des critiques de Jacques Delors à ce propos, et vous vous en souvenez sans doute mieux que moi, monsieur le secrétaire d’État. Il soulignait que les conclusions du Conseil européen comportaient un grand nombre de passages que les chefs d’État et de gouvernement n’avaient pas examinés, ou même parfois tout simplement pas lus.

Nous sommes en train de revenir aujourd’hui à ce qui constitue la raison d’être du Conseil européen selon les traités : le Conseil européen n’est pas un super Conseil des ministres ; il est là pour donner des impulsions politiques à l’Union, pour faire des grands arbitrages, et non pour hériter de tout ce qui n’a pu être tranché ailleurs, souvent à un stade très inférieur.

Mais, du même coup, les enjeux de la réunion deviennent plus évidents et plus lourds. Le bilan de la Présidence française dépendra pour une bonne part de ce qui va se passer durant ces prochains jours.

Intervenant après le président Josselin de Rohan, je n’aborderai pas les aspects relatifs à la politique étrangère et à la défense, n’ayant rien à ajouter à son propos.

En revanche, je voudrais évoquer plus en détail le sort du traité de Lisbonne. Il s’agit là d’une des difficultés imprévues dont nous avons hérité, comme l’a souligné dans son propos le président Josselin de Rohan. Nous constatons tous que, durant cette présidence, le processus de ratification a progressé : aujourd’hui, seul, apparemment, le problème irlandais subsiste vraiment. Il paraît clair, tout du moins je l’espère, que les présidents tchèque et polonais abandonneront leur attitude dilatoire si l’Irlande finit par approuver le traité.

Il est possible qu’en Irlande la crise financière soit en train de faire évoluer les esprits ; là encore, c’est un espoir que je formule. La Banque centrale européenne est intervenue largement pour soulager les institutions financières irlandaises. En voyant le contre-exemple islandais, il se peut que bien des Irlandais mesurent l’avantage que constitue pour eux le fait d’appartenir à l’Union ainsi qu’à la zone euro.

Néanmoins, je crois que ce serait une erreur que de sous-estimer la portée du premier vote des Irlandais.

La situation est bien différente de ce qui s’était passé il y a six ans lors de la ratification du traité de Nice. Les Irlandais avaient voté « non », dans un premier temps, mais avec une très faible participation. Il y avait donc un argument très fort pour justifier un second vote.

Cette fois-ci, la participation a été plutôt élevée, et le résultat relativement clair. Pour justifier un second vote, on ne pourra, à mon avis, se contenter de donner quelques assurances sur la bonne interprétation du traité. On ne pourra s’adresser de nouveau aux électeurs irlandais simplement en leur disant, en substance, qu’ils n’ont pas bien voté parce qu’ils n’ont pas bien compris.

Il serait tout aussi maladroit d’essayer de faire pression sur les électeurs en agitant telle ou telle menace, d’ailleurs peu crédible, car on ne peut forcer un État, ni à se mettre en marge de l’Union, ni à la quitter, les dispositions actuelles ne le permettant pas.

Bien entendu, il est hors de question de renégocier le traité de Lisbonne. Mais je crois que, pour résoudre le problème irlandais, il faudra être prêt à accepter, sous une forme ou sous une autre, certaines dispositions particulières pour ce pays, et être prêt à évoluer sur la composition de la Commission européenne. Nous pourrons alors demander aux Irlandais de se prononcer sur une base suffisamment différente pour qu’un second vote soit justifié.

On dira peut-être qu’accepter des particularismes supplémentaires n’est pas dans l’intérêt de l’Union. Mais l’Europe des Vingt-Sept - et demain davantage - ne sera jamais un jardin à la française. Pour progresser, elle devra de toute manière accepter certaines différenciations en son sein. Nous ne l’éviterons pas !

Quant à la composition de la Commission européenne, le président Josselin de Rohan l’a fort bien dit, il s’agit d’annoncer, dès maintenant, que les États membres utiliseront la faculté, introduite par le traité de Lisbonne lui-même, de retenir une autre règle de composition que celle prévue par ce traité.

Faudra-t-il s’accrocher à la disposition prévoyant qu’un État membre perdra une fois sur trois la possibilité de proposer un commissaire européen ? Je n’en suis pas sûr. Car, qu’on le veuille ou non, une Commission ainsi composée sera perçue comme moins légitime, et pourrait finalement s’en trouver affaiblie. Certes, dans l’absolu, une Commission resserrée est souhaitable, mais une Commission qui soit vraiment resserrée, c’est-à-dire librement composée par son président sans condition de nationalité des commissaires. Or le traité de Lisbonne ne fait qu’une partie du chemin : il resserre certes la Commission, mais continue à faire dépendre la nomination des commissaires des propositions des États membres. Je ne suis pas certain que cette solution mi-chèvre mi-chou soit l’aspect le plus convaincant du traité de Lisbonne et, pour ma part, je suis prêt à y renoncer sans regret, si c’est le prix à payer pour obtenir tout le reste du traité.

La crise financière et la crise économique qui lui est liée sont un autre aspect des évolutions inattendues auxquelles l’Europe aura dû faire face durant la Présidence française.

Face à la crise financière, l’Europe s’est montrée capable d’une riposte appropriée. À l’évidence, ce sera un enjeu essentiel du Conseil européen que de donner une impulsion aussi efficace en faveur, cette fois, du soutien de l’activité.

Bien sûr, compte tenu de la faible dimension du budget européen et de la contrainte d’équilibre qui s’applique à lui, l’essentiel des mesures de soutien viendront des États membres. Mais ces mesures nationales ne seront efficaces que si elles sont coordonnées. Si chacun se dit : « laissons notre voisin prendre des mesures de relance, nous en profiterons pour exporter davantage, sans avoir à augmenter notre propre dette publique », alors nous n’arriverons à rien. Les économies des pays membres sont étroitement interdépendantes : la stratégie du « passager clandestin » peut donner à un pays un avantage provisoire, mais l’absence de coordination ne peut, finalement, faire que des perdants. Il est donc indispensable que le Conseil européen adopte à cet égard un message fort, clairement soutenu par tous les États membres et par la Commission européenne.

Enfin, il n’y a aucune contradiction entre le nécessaire soutien à l’activité et l’orientation vers le développement durable. C’est même le contraire qui est vrai. Les exigences du développement durable seront désormais l’une des principales sources de création d’emplois. Ce serait agir à courte vue que de mettre entre parenthèses les efforts pour rendre le développement soutenable, le temps de laisser passer la crise économique. En réalité, un accord sur le paquet « énergie-climat » n’est pas moins important qu’un accord pour coordonner les efforts de relance.

Dans ce domaine, le contexte international est en train de changer : avec l’élection de Barack Obama, l’attitude des États-Unis est en train, je l’espère, d’évoluer profondément, et nous pouvons escompter parvenir, le moment venu, à un accord qui permettrait de poursuivre le processus de Kyoto sur de meilleures bases, notamment avec la participation des États-Unis. Il est donc essentiel que l’Europe reste à la tête de l’évolution vers le développement durable, qu’elle a tellement encouragée jusqu’à maintenant. (Applaudissements.)

Dans la suite du débat, la parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, je regrette que ce débat se déroule dans une annexe de l’hémicycle, comme s’il était secondaire, d’autant plus que c’est la dernière fois que nous avons l’honneur de vous entendre, monsieur le secrétaire d’État, vous qui êtes unanimement respecté pour votre compétence et votre ouverture d’esprit.

L’Europe, sous la Présidence française, a pourtant démontré, s’il en était besoin, qu’elle joue un rôle majeur pour tenter d’endiguer une catastrophe venue des autres rives de l’Atlantique.

La crise financière domine toutes les autres préoccupations. Son contrecoup, après une crise immobilière, commence à affecter profondément l’économie réelle. Le chômage technique, les plans sociaux annoncés se succèdent, le spectre de la déflation nous préoccupe gravement.

Nous savons que les cycles alternent dans l’économie et qu’aujourd’hui les cycles négatifs peuvent être amortis par toute une panoplie de mesures mises en place par les États.

Pour que la reprise qui suivra inéluctablement cette dépression économique soit facilitée, l’Union européenne doit absolument prendre en compte les faiblesses liées à sa dépendance énergétique.

J’émets l’hypothèse que la plupart des propos tenus ce soir concerneront la crise financière et économique. Pour éviter les redondances, je m’attacherai donc au futur en abordant le problème de l’énergie. Il paraît moins aigu aujourd’hui, remis au second plan par la crise financière et l’effondrement du prix du pétrole. Demain, les banques auront retrouvé leur équilibre, et le pétrole, par une demande croissante et une offre en baisse, reprendra mécaniquement sa tendance à l’augmentation de son prix, qui avait déjà atteint 160 dollars.

Il faut absolument que l’Union européenne se prépare dès le prochain Conseil à résoudre des problèmes de sécurité, de solidarité et de performance énergétique avec en arrière-plan le souci du développement durable.

Si j’affirmais en 2006 que l’énergie était le talon d’Achille de l’Europe, les progrès réalisés depuis sont remarquables. Nous sommes certes encore loin d’une politique européenne commune, mais la prise de conscience de la nécessité absolue d’achever et de fluidifier le marché intérieur par les réseaux de transport et surtout les interconnexions, ainsi que de coordonner la politique extérieure énergétique a permis d’avancer considérablement en la matière.

La présidence allemande a fait de l’Asie centrale, exportatrice d’hydrocarbures et riche en uranium, l’une de ses priorités, poursuivie par la présidence slovène. La Présidence française, pour sa part, a défini la sécurité énergétique comme une priorité d’action, en demandant à Claude Mandil de rédiger un rapport, dont un certain nombre de propositions ont été retenues par le Conseil européen des 15 et 16 octobre derniers. Il a, pour la première fois, mentionné une solidarité totale en matière énergétique au sein de l’Union européenne. J’insiste sur ce concept qui est extrêmement important, notamment pour les nouveaux membres de l’Europe de l’Est, inquiets de leur dépendance à 100 % vis-à-vis de la Russie ou bien pour l’ensemble des pays de l’Union en cas d’interruption de fourniture d’énergie, comme ce fut le cas pour l’Italie et pour l’Allemagne voilà quelques années.

Il ne peut y avoir de sécurité énergétique sans solidarité. Cette mutualisation des risques permettra une meilleure réponse de l’Union à ses membres qui connaîtraient une rupture d’approvisionnement.

Dans la situation actuelle, les pays voisins ne sont pas forcément en mesure de leur venir en aide. D’une part, il faut une forte volonté politique d’établir une solidarité complète, ce qui a été le cas en octobre dernier, et je m’en réjouis. D’autre part, il faut dégager les capacités d’électricité disponible dans les États de l’Union européenne afin qu’elles puissent être mobilisées pour un membre qui en a besoin.

Si cette coordination existe pour le pétrole, la situation est plus compliquée pour le gaz et surtout pour l’électricité qui n’est pas stockable. C’est pourquoi l’ouverture du marché intérieur et l’interconnexion des réseaux transeuropéens de transport d’énergie sont absolument vitales pour les pays de l’Union.

L’une des préoccupations majeures de l’Union est de diversifier ses sources d’approvisionnement et les routes d’acheminement de l’énergie qu’elle importe. L’Union européenne dépend en moyenne à 25 % du gaz russe, même si certains États, il est vrai, en dépendent à 100 %. Un partenariat privilégié avec la Russie est donc nécessaire, car la dépendance est réciproque : nous avons besoin de son gaz et de son pétrole, elle a besoin de nos investissements et de nos débouchés commerciaux.

Nous devons développer les relations avec les pays producteurs et de transit. Ainsi, des partenariats stratégiques avec la Russie ou le Kazakhstan et la réunion prévue des pays de la Caspienne au printemps 2009, sous présidence tchèque, sont des réalisations que j’appelais de mes vœux depuis longtemps.

Le projet important de gazoduc européen Nabucco ne sera viable que s’il transporte du gaz iranien. En effet, le seul gaz de l’Asie centrale et de l’Azerbaïdjan ne sera pas suffisant. Il sera donc nécessaire de réintégrer l’Iran dans le jeu énergétique international, d’autant plus que c’est une voie de transit et d’évacuation de première importance.

C’est une option que je défends aussi depuis des années, mais les problèmes politiques ont rendu cette proposition encore peu réaliste sans nouveau développement politique. Il est donc indispensable de rétablir le dialogue avec l’Iran qui, lorsque les tensions politiques se seront apaisées, sera un acteur énergétique majeur.

Le paquet « énergie-climat » place le développement durable au cœur de la politique européenne. Le changement climatique est devenu très inquiétant et les moyens de le ralentir et peut-être de l’arrêter passent par davantage d’énergie non carbonée, comme les énergies renouvelables ou le nucléaire, plus de capture et de séquestration de C02 et surtout une plus grande efficacité énergétique, car cette dernière option est celle qui donne les résultats les plus performants.

La question des droits d’émission de C02 et du rachat des quotas est très sensible et très discutée actuellement à la conférence de Poznan. Les pays d’Europe de l’Est ne sont pas tous en mesure d’accepter le paquet « énergie-climat » en l’état. À titre d’exemple, la Pologne est dépendante à 90 % du charbon pour sa consommation d’énergie. La nécessité d’une politique européenne énergétique commune se fait donc cruellement sentir. Pouvez-vous nous préciser les engagements de la France et de l’Union européenne en la matière, monsieur le secrétaire d’État ?

Dans un autre domaine, la fermeture de la centrale nucléaire d’Ignalina à la fin de l’année 2009 est dramatique pour la Lituanie. L’Union européenne doit être solidaire sur les plans financier et énergétique.

La part des énergies renouvelables, qui doit atteindre 20 % en 2020, croît dans le mix européen et dans les bouquets nationaux. Ainsi, l’accent est mis sur leur développement par les pouvoirs publics. Un certain nombre d’énergies nouvelles subissent cependant des critiques quant à leur coût important ou leur efficacité, notamment l’éolien off shore, le photovoltaïque ou les agro-carburants actuels.

Par conséquent, l’effort sur la recherche doit être une priorité tant européenne que nationale. En effet, Claude Mandil estime que seule la recherche permettra de réduire les coûts des énergies renouvelables. Quelle part la France peut-elle y consacrer, monsieur le secrétaire d’État ?

Enfin, le dernier point que je voudrais souligner est le besoin intense de favoriser l’investissement actuellement insuffisant en matière d’électricité, bien que le contexte économique soit difficile.

Monsieur le secrétaire d’État, la question énergétique est à juste titre l’une des priorités de l’Union depuis plusieurs années. Je me réjouis des progrès accomplis, en particulier sous l’impulsion de la Présidence française, qui en a très bien appréhendé les enjeux cruciaux. « L’Europe doit respirer avec ses deux poumons, celui de l’Est et celui de l’Ouest », disait Jean-Paul II. Souhaitons que l’ambition environnementale élevée défendue par la Présidence française le lui permette.