Questions et réponses

M. le président. Nous vous remercions, monsieur le secrétaire d’État.

Nous allons maintenant procéder à un échange de questions-réponses.

La parole est à Mme Bernadette Bourzai.

Mme Bernadette Bourzai. Je souhaite m’exprimer sur le bilan de santé de la politique agricole commune, qui constituait l’un des objectifs de la Présidence française.

Tout d’abord, je voudrais remercier M. Barnier de sa disponibilité et du souci d’information qu’il a manifesté tout au long des négociations. J’en profite également pour vous remercier, monsieur Jouyet, de votre présence fréquente au Parlement européen, où je vous ai rencontré à de nombreuses reprises lorsque j’étais députée européenne.

Certes, la tâche n’était pas facile. Le résultat apparaît hélas très mitigé, voire décevant, contrairement à ce que vous avez affirmé tout à l’heure. Face à la grande divergence des positions des États membres, il était nécessaire de démontrer la pertinence de cette politique communautaire et de convaincre qu’il était légitime de lui consacrer une part aussi importante du budget européen, 42 % à l’heure actuelle.

Le contexte mondial de crise alimentaire nous a, malheureusement, aidés à prendre conscience de la spécificité de l’agriculture. Elle doit être encadrée par des politiques publiques fortes afin de garantir notre sécurité alimentaire. Tous n’ont pas été convaincus : ni Mme Fischer Boel, commissaire à l’agriculture et au développement rural (M. le secrétaire d’État sourit), qui vante immanquablement les mérites du marché, ni les trois pays qui ont refusé l’accord final, qui se réduira donc à une déclaration lénifiante sur le bilan de santé comme cadre de référence utile pour les travaux futurs.

Parmi les points positifs du bilan de santé de la PAC, je noterai la mise à disposition des États membres de nombreux outils redistributifs facultatifs ; encore faudra-t-il, pour qu’ils soient efficaces, qu’ils soient utilisés ! Je les rappelle brièvement : l’article 68, l’augmentation de la modulation, la prise en compte des nouveaux défis liés au changement climatique, la création de nouveaux outils de couverture des risques climatiques et sanitaires, la régionalisation et l’uniformisation des taux d’aides directes accordées aux différents secteurs d’activité.

Toutefois, je regrette que ce pseudo-accord « détricote » méthodiquement tous les outils de régulation. Il ne permettra vraisemblablement pas de sécuriser les revenus des agriculteurs, surtout pour les plus petites exploitations, les secteurs en difficulté et les régions les plus fragiles.

M. le président. Je vous remercie, chère collègue.

Mme Bernadette Bourzai. Mon temps de parole est déjà épuisé !

M. le président. Vous disposiez de deux minutes trente, comme au Parlement européen !

Mme Bernadette Bourzai. Le Parlement européen est plus drastique encore : le temps imparti est d’une minute !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État. Je vous remercie, madame, de vos observations.

Comme vous, nous aurions souhaité aller plus loin ; il nous a néanmoins fallu accepter ce compromis. En réponse aux menaces que faisaient et que font encore peser certains États sur la politique agricole commune, en particulier le Royaume-Uni, nous sommes parvenus à mettre en place les instruments redistributifs que vous avez rappelés, à préserver les équilibres économiques et écologiques des territoires ruraux et à maintenir des instruments de stabilisation des marchés. Au surplus, de nouveaux outils de couverture des risques climatiques et sanitaires ont été instaurés et, grâce au travail de Michel Barnier, les éléments relatifs à la sécurité alimentaire et aux équilibres alimentaires mondiaux ont été mieux pris en compte.

J’aurais voulu aller au-delà, et je ne désespère pas d’y parvenir d’ici à la fin de la Présidence française. Très objectivement, cela me paraît difficile ; cela étant, il y a plus volontariste que moi encore à d’autres niveaux de l’État !

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.

M. Jacques Blanc. Pour une réplique, pas pour une riposte ! (Sourires.)

Mme Bernadette Bourzai. À mon sens, les outils de régulation n’ont pas été réellement maintenus. En effet, la logique de découplage est appliquée quasi systématiquement : seul y échappe, jusqu’en 2013, le secteur de l’élevage, et rien n’est assuré après cette date ! La disparition des prix d’intervention et la suppression des stocks encouragent la spéculation et favorisent la volatilité des prix, qui, nous le savons bien, créent des situations non maîtrisables aussi bien chez nous que dans les pays en voie de développement.

Surtout, la suppression progressive des quotas laitiers menace l’avenir des zones laitières les plus handicapées, les zones fragiles et les zones de montagne : assurément, les temps seront extrêmement difficiles pour certains territoires et certaines filières, et je suis convaincue que le monde agricole saura nous le rappeler !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État. Je ne me permettrai pas de répondre à une spécialiste corrézienne ! (Sourires.)

M. le président. Pas de réplique à la réplique, monsieur le secrétaire d’État !

La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. En cette fin de Présidence française, je me permets, monsieur le secrétaire d’État, non seulement de vous exprimer des compliments chaleureux pour votre conduite des affaires européennes durant cette période, mais aussi de regarder vers l’avenir.

L’une des leçons que l’on peut tirer de ce semestre n’est-elle pas le constat de la grande difficulté, pour ne pas dire de l’impossibilité, d’obtenir de 27 États membres la mise en œuvre de véritables politiques communes, au sens opérationnel et non seulement intentionnel du terme ? L’exemple de la réaction à la crise financière, et maintenant économique, me paraît à cet égard éminemment significatif. La prise de conscience était commune, mais cela n’a pas suffi pour que soient élaborées des politiques réellement communes : on en est resté à des politiques relativement convergentes. La passivité de la Commission, que vous avez vous-même soulignée tout à l’heure, jointe à la difficulté pour l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France, en particulier, d’harmoniser leurs initiatives, est terriblement significative, avouons-le, de cette impuissance, que confirme la faiblesse des avancées réalisées dans presque tous les autres domaines.

Je n’évoquerai l’espace de liberté, sécurité et justice que pour vous demander où en est EUROJUST, qui, comme bien d’autres volets, continue de piétiner dans une relative impuissance. Je mets à part le pacte sur l’immigration, dont les effets concrets restent cependant à mesurer.

Dans le domaine de la défense – la fameuse politique européenne de sécurité et de défense, la PESD ! –, les résultats les plus tangibles ont été obtenus non pas entre tous les États, mais seulement entre quelques-uns : douze, me semble-t-il, pour la flotte stratégique, quatre seulement pour l’avion commun, neuf pour l’interopérabilité aéronavale !

Il reste à espérer que le paquet « énergie-climat », déjà évoqué à plusieurs reprises, connaîtra une conclusion plus heureuse. On ne pourra en juger qu’au vu des résultats concrets auxquels, au-delà des déclarations, on aboutira, et qui sont les plus difficiles à obtenir !

Tout cela met en lumière le fait que l’Europe des 27 n’avance guère que par la voie des coopérations particulières, sur le modèle des « coopérations renforcées » prévues dans les traités, d’une manière au demeurant tellement restrictive qu’aucune n’est réellement opérationnelle.

L’expérience prouve que ces coopérations, lorsqu’elles sont mises en place dans de bonnes conditions par quelques États membres, ne manquent pas de faire des émules et de s’étendre par la suite à ceux qui les refusaient tout d’abord.

C’est pourquoi je vous demande, monsieur le secrétaire d’État, si vous ne pensez pas que, une fois passée la période actuelle, qui est évidemment défavorable à des coopérations de ce type, c’est en multipliant de telles initiatives que nous permettrons à l’Europe d’avancer plus rapidement. Après tout, le pôle charbon-acier qui lui a donné naissance était déjà une coopération renforcée !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État. Mes passages au Sénat sont toujours riches d’enseignements, et sans doute est-ce le signe qu’il me reste des progrès à faire en politique. Je constate aujourd’hui la convergence des critiques que vous-même et M. Billout avez formulées. (Sourires.)

Comme je l’ai indiqué tout à l’heure à M. Billout, je ne suis pas du tout choqué que la convergence prenne le pas sur l’uniformité. Que vous le veuillez ou non, monsieur Fauchon, la réponse à la crise financière et économique comportera toujours une composante nationale importante. Il est impossible de parvenir à une mutualisation totale entre les établissements financiers, surtout compte tenu des particularismes économiques propres à chaque État membre. Au sein même de la zone euro, les structures économiques sont différentes, les taux d’inflation et les taux d’endettement variables, et M. Peyronnet a rappelé il y a un instant l’hétérogénéité des situations fiscales. L’existence d’une convergence et la mise en place d’une réponse à la crise qui est le fruit de « l’unité dans la diversité », ou plutôt de la coordination dans la diversité, ne me gênent pas en tant qu’Européen ! Si nous pouvons faire des progrès, tant mieux ; mais cela ne me choque pas.

Monsieur Fauchon, je n’ai pas employé le terme de « passivité » au sujet de la Commission, j’ai seulement pointé l’existence d’un certain retard et d’un manque de réactivité. J’ai déjà donné acte à M. Billout que, en période de crise, l’essentiel est d’aller vite, quelle que soit la décision prise.

Par ailleurs, je vous trouve très sévère pour l’espace de liberté, sécurité et justice. Sans détailler les grands progrès qu’il a connus au cours de la Présidence française, notamment pour ce qui est des directives, je soulignerai qu’il s’agit de l’un des domaines qu’il faudra mettre en valeur dans les prochains mois.

Enfin, je ne suis pas outré que seuls douze États participent à des opérations de défense : douze pays, dont le Royaume-Uni, prenant part à des opérations de défense, c’est déjà bien ! Qui plus est, j’ai été frappé, au cours des Conseils européens, que des États comme la Roumanie, la Pologne et d’autres pays d’Europe centrale et orientale, qui au départ étaient opposés à cette politique, proposent des équipements, du matériel logistique, et d’autres moyens pour un certain nombre d’opérations très éloignées de leurs bases. Quelque chose en train de naître !

M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Vous n’avez pas répondu à ma question, monsieur le secrétaire d’État : ne pensez-vous pas que c’est à travers la multiplication des coopérations renforcées que nous pourrons faire avancer les affaires européennes ?

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État. Ma réponse est oui, monsieur le sénateur, et j’irai jusqu’à dire que ces coopérations peuvent même ne pas être « renforcées ».

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le secrétaire d’État, Nicolas Sarkozy s’est engagé au début de la Présidence française à renforcer le rôle politique de l’Union européenne au Proche-Orient. Il soulignait la « nécessité de trouver une place pour l’Union européenne dans tous les processus de paix » et rappelait que « nous ne sommes pas seulement une Union qui permet de financer les projets », avant de proposer « un carnet de route que nous pourrions réaliser ».

À la fin de la Présidence française, nous sommes encore très loin du règlement politique du conflit. Israël poursuit sa politique d’occupation, et les exactions contre le peuple palestinien sont toujours plus nombreuses. Aujourd’hui, la bande de Gaza fait l’objet d’un blocus inadmissible, sans parler du « mur de la honte » élevé autour de Jérusalem. Les conditions de vie dans les territoires palestiniens sont tout simplement inhumaines.

Israël ne respecte ni la quatrième convention de Genève, relative à la protection des populations civiles en temps de guerre, ni les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité de l’ONU depuis 1947. Cet État par ailleurs reste sourd aux appels de la communauté internationale, qui l’exhorte à la cessation de ces violations du droit.

L’Union européenne devrait, dans ces conditions, prendre la juste mesure des ambitions de la Présidence française et jouer enfin un rôle politique de premier plan pour l’établissement d’une paix juste et durable dans cette partie du monde.

Prendre la mesure de cette exigence passerait notamment par la mise en œuvre de la résolution d’avril 2002 invitant à répondre par des sanctions à la politique d’occupation et de non-respect des droits de l’homme que mène Israël. Au contraire, le Conseil européen a proposé de rehausser les relations avec cet État.

Comment penser, pourtant, qu’accorder à Israël un statut de quasi-membre, c’est-à-dire lui permettre de participer aux programmes communautaires européens, puisse être ressenti par ce pays comme une quelconque sanction ? Au contraire, cette décision s’apparente plus à des encouragements ! Comment les fervents partisans de la paix et le peuple palestinien peuvent-ils comprendre une telle initiative ?

À mon sens, la réponse du Parlement européen, qui a choisi le 3 décembre dernier de « reporter » cette décision à janvier, est lourde de sens. Ce choix a été motivé par l’absence d’évolution de la situation en Israël et en Palestine, en contradiction avec les engagements pris lors de la conférence d’Annapolis. Aux yeux des députés européens, le report constitue donc un moyen de pression dont ils peuvent user pour pousser à des avancées concrètes dans le processus de paix et améliorer la situation dans les territoires occupés, en particulier à Gaza.

Le groupe CRC-SPG demande que cette décision de partenariat privilégié soit reportée jusqu’au jour où Israël aura donné de sérieux signes de bonne volonté se traduisant par des résultats tangibles sur le terrain.

Ma question, monsieur le secrétaire d’État, est donc claire : quels engagements les chefs d’État envisagent-ils de prendre pour traduire l’exigence d’une résolution politique du conflit exprimée par le Parlement européen ? Quels engagements la France formulera-t-elle pour ce « carnet de route » proposé par le Président de l’Union ? Surtout, que comptent faire les instances européennes pour que cessent enfin ces violations inadmissibles du droit international ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, j’étais au Parlement européen, lors de cette décision de report du vote. Il s’agissait d’un débat difficile. Je suis retourné, cet après-midi encore, à la commission des affaires étrangères du Parlement européen, où j’ai eu le même type d’échanges.

L’Union européenne se tient vraiment prête à apporter sa contribution au règlement final.

Toutefois, le contexte politique n’est pas celui qui était escompté au début de la Présidence française. D’une part, des élections auront lieu en Israël, au mois de février, au sujet desquelles Mme Livni - si j’en crois les sondages - est en position assez difficile par rapport à ses concurrents. D’autre part, des élections vont également intervenir en Palestine, où sont en concurrence le Hamas et le Fatah.

Dans ce contexte politique, nous essayons de maintenir les acquis obtenus - que ce soit au travers du dialogue entre Israël et la Syrie, ou bien au travers du dialogue entre Israël et l’Égypte au sujet de Gaza - et de prendre en compte, le plus complètement possible, l’initiative arabe.

Comme l’ont réaffirmé les ministres des affaires étrangères, lors du conseil « Affaires générales et relations extérieures » du 8 décembre 2008, nous restons très fermes sur les demandes de gel immédiat des colonisations, de démantèlement des points de blocus et de cessation de toutes les formes de violences, notamment celles qui existent à Gaza, où la situation est désastreuse sur le plan humanitaire.

Comment faire pression sur Israël pour qu’il privilégie le dialogue et la confiance, comme le souhaite le Conseil ? En outre, vous avez raison, madame la sénatrice, il y a la position du Parlement européen, dont il faut tenir compte.

Il faut également prendre en compte une dimension régionale dans les relations avec Israël. C’est la raison pour laquelle j’ai parlé tout à l’heure du statut avancé avec le Maroc.

C’est avec cette dimension régionale sur l’ensemble de la Méditerranée que nous tentons d’avancer. Sur ce sujet important et délicat, voilà l’équilibre que nous nous efforçons de trouver.

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. Pour affirmer davantage sa fermeté, je suggérerais à la Commission d’attendre un signe tangible d’Israël pour rehausser ses relations avec ce pays.

M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc. Monsieur le secrétaire d’État, je regrette que vous quittiez vos fonctions, puisque vous incarniez la volonté d’ouverture du Président de la République. Il est vrai que votre expérience et votre compétence européennes en ont assuré le succès.

Tout d’abord, vous avez contribué à ce qu’il n’y ait pas de blocage au sein de l’Union européenne sur l’Union pour la Méditerranée.

Pensez-vous que le Conseil européen approuvera les conclusions de la réunion des ministres euro-méditerranéens des affaires étrangères qui s’est tenue à Marseille ? Comment interprétez-vous les initiatives sur le partenariat oriental, proposées notamment par la Suède et la Pologne, qui devraient permettre de renforcer la politique de l’Union avec les partenaires orientaux de la politique européenne de voisinage ? Abordera-t-on l’évolution de la politique de voisinage en fonction de cette démarche nouvelle mettant l’accent sur la dimension régionale, alors qu’elle s’inscrivait auparavant dans un cadre bilatéral.

Vous avez parlé du statut privilégié pour le Maroc. Comment vont réagir la Tunisie ou les autres pays ? Comment la politique de voisinage évoluera-t-elle pour prendre en compte les financements de la politique de l’Union pour la Méditerranée, au moment où se développent les synergies autour de la mer Noire et le partenariat oriental ?

Quelle est votre analyse sur l’évolution de cette politique méditerranéenne qui me paraît un acquis formidable ?

N’oublions pas le 13 juillet !

N’oublions pas les conséquences sur le Liban de ce qui s’est passé !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Vous avez tout à fait raison !

M. Jacques Blanc Il faut absolument consolider cette nouvelle démarche. Monsieur le secrétaire d’État, cela ne passe-t-il pas par une évolution, si ce n’est une révolution, de la politique de voisinage ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. C’est toujours un plaisir, monsieur Blanc, de dialoguer avec vous et avec tous ceux qui s’intéressent à ce sujet, que, je dois le confesser, je connaissais moins bien que d’autres.

Le Conseil européen va endosser les conclusions de la réunion de Marseille. A ce propos et à titre personnel, je dois dire publiquement devant vous que le ministre des affaires étrangères a effectué un travail remarquable. Je le dis d’autant plus que je n’y participais pas. Bernard Kouchner s’est investi personnellement lors de cette réunion à Marseille pour que les structures de l’Union pour la Méditerranée voient le jour.

M. le président Il faut rendre à César ce qui appartient à César.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Exactement !

Pour ce qui est de l’Union pour la Méditerranée, les structures et les projets vont être mis en place. En définitive, cela dépend beaucoup de nous en interne. Dans ce domaine, il n’y a guère de retard européen. L’agenda a été très chargé. On a fixé le principe. Maintenant il faut mettre en œuvre les projets. Cela dépendra également d’une dynamique des pays riverains de la Méditerranée. Mais il n’y a pas de blocage européen en tant que tel. D’ailleurs, tout ce qui sortira de votre assemblée comme support à ce projet sera important.

Il ne faut pas opposer les différents types de partenariat. Vous avez parfaitement raison, la politique de voisinage change, elle le fait par une approche plus régionale et plus cohérente. Les relations particulières bilatérales existent toujours. J’ai cité tout à l’heure le Maroc, je pourrais citer l’Ukraine, de l’autre côté, mais c’est chaque fois conçu dans un ensemble régional, ce qui constitue un changement.

Pour ma part, il me paraît pertinent que l’Europe développe trois types de politiques : une politique vis-à-vis de la Russie, ainsi que sur le plan septentrional ; une politique orientale, d’autant plus nécessaire si l’on considère les enjeux énergétiques ou les évolutions de la civilisation dans le Caucase du Sud, en Asie centrale et le risque de déstabilisation qui existe dans le sous-continent indien et, enfin, une politique pour la Méditerranée, source d’opportunités et d’une importance stratégique considérable pour l’Union européenne.

M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc. Vous avez parlé, monsieur le secrétaire d’État, du Caucase du Sud. Ne doit-on pas engager une réflexion plus profonde sur notre position vis-à-vis de la Turquie, qui peut être amenée à jouer un rôle majeur ? Je souhaiterais que l’on s’interroge sur cette dimension, qu’on ne peut ignorer.

La politique méditerranéenne est un enjeu formidable. La commission des affaires européennes du Sénat s’en est saisie au travers du dossier de la politique de voisinage. Nous avons une mission forte à conduire en parallèle, avec des coopérations sous-étatiques pour la Méditerranée.

M. le président. La parole est à M. Robert Navarro.

M. Robert Navarro. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au mois de mars dernier, alors que la Présidence française définissait ses priorités, j’étais député européen.

Quand, avec mes camarades socialistes, nous avons vu votre programme, nous avons présenté un mémorandum pour souligner, d’après nous, l’absence de deux sujets essentiels : la crise financière et l’Europe sociale, oubli de taille quand on prétend construire l’Europe qui protège. Temps de travail, santé, services publics, entre autres, tout cela a été ignoré dans vos priorités. Le Président de la République nous a d’ailleurs répondu à Strasbourg : « Le social, c’est national. » Cela témoigne selon moi d’une méconnaissance absolue de l’Europe et d’une absence totale de sens de l’histoire.

Alors que nous transposons la directive « Services », dans laquelle, grâce au travail des parlementaires, le tout marché a été exclu pour les services d’intérêts généraux, je souhaite revenir sur votre action en matière de services sociaux d’intérêt général, les SSIG, qui me tiennent particulièrement à cœur. J’ai d’ailleurs présenté une déclaration écrite afin de demander l’adoption des statuts juridiques européens pour les associations, les mutualités et les fondations.

La Commission européenne, présidée par M. Barroso, soutient que les règles existantes suffisent à clarifier la situation juridique des SSIG. Il ne s’agirait donc que d’un problème d’application.

Votre gouvernement reprend cette approche en expliquant ces règles. Le mandatement est au cœur du débat. Sans mandatement, ce sont les règles du marché intérieur et de la concurrence qui s’appliquent aux SSIG.

Or, en France, les services sociaux n’ont jamais fonctionné de la sorte. Ils se fondent sur le système de l’autorisation du prestataire à fournir des services, et non sur celui de l’obligation.

L’approche retenue par la Commission vise la commande publique, qui est bien loin des réalités locales et sociales. Or, bien souvent, les associations sont à l’origine de la fourniture de services. Faut-il rappeler que, dans le domaine du handicap, 90 % des actions proviennent du secteur associatif ?

À l’inverse, avec la société civile, sur notre initiative, les socialistes européens défendent l’exclusion totale des SSIG de l’application des règles européennes en matière de concurrence.

Je vous poserai donc plusieurs questions, monsieur le secrétaire d’État.

D’abord, comment comptez-vous transposer la directive « Services » tout en protégeant les services sociaux ? Quels résultats attendez-vous du protocole d’accord sur le mandatement ? Pourquoi n’avez-vous pas fait respecter par la Commission le principe de la libre administration des collectivités territoriales ? Quand aurons-nous un cadre clair pour les SSIG ? Enfin, pourquoi n’en avez-vous pas fait l’une de vos priorités ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

Si vous parvenez à répondre en deux minutes et demie, monsieur le secrétaire d’État, ce sera une prouesse ! (Sourires.)

M. Robert Navarro. En fait, c’est une question globale !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Je ne ferai pas la même réponse qu’à M. Jacques Blanc, sous peine de me voir reprocher une approche trop régionale sur le plan politique !

Je comprends fort bien le sens des questions de M. Navarro qui, comme Mme Bourzai, a siégé au Parlement européen.

Sur l’Europe sociale, nous nous sommes efforcés d’aller le plus loin possible, mais les blocages sont réels. En ce qui concerne la durée du travail, par exemple, nous butons sur des durées maximales que nous considérons pour notre part comme choquantes. Les positions de la Grande-Bretagne ne nous permettent pas d’avancer beaucoup.

Je partage votre préoccupation en ce qui concerne les SSIG. Nous avons d’ailleurs organisé un forum européen sur ce sujet avec une feuille de route du Conseil proposée par M. Xavier Bertrand.

Comme je l’ai indiqué devant la Commission, en matière de concurrence et de marché intérieur, il y a une ligne rouge à ne pas franchir par rapport aux SSIG et à la libre administration des collectivités locales. Je ne peux que vous conseiller de surveiller l’évolution de ce dossier. Les élus locaux ont raison de souligner l’importance du principe de subsidiarité.

Sur ce point, et je réponds là à une observation de M. Bizet, la France et l’Allemagne ont une approche convergente. Nous devrons donc faire valoir nos principes, mettre en avant les équilibres qui nous paraissent justes afin de lutter contre les dérives qui ne manqueront pas de se manifester au sein de la Commission européenne.

Mon engagement est total, tout comme celui des élus. Nous sommes à l’écoute des différents points de vue. Nous avons d’ailleurs demandé une mission d’expertise particulière pour consulter les parties prenantes sur les modes d’organisation et de mandatement.

La directive « Services » devra être transcrite en droit national avant décembre 2009, c’est-à-dire après les élections européennes. Cela laisse du temps au dialogue politique.