M. Bernard Frimat. Comme d’habitude !

M. Yvon Collin. Pour l’heure, oublions le contexte politique, et revenons à l’essentiel : le texte et son interprétation la plus objective possible !

Ce projet de loi organique se compose de deux types de dispositions : celles qui visent à améliorer la qualité des lois tout en en diminuant la quantité, et celles qui visent à donner de nouveaux outils parlementaires aux législateurs que nous sommes pour peser différemment et mieux sur les débats de nos assemblées.

Enrayer l’inflation législative constitue l’objet d’une série d’articles consacrés à l’instauration et à l’encadrement des propositions de résolution, ainsi qu’aux études d’impact.

Nous connaissons tous, mes chers collègues, le problème de l’augmentation exponentielle des lois, qui fait souvent dire que « trop de lois tue la loi ». Le Conseil constitutionnel nous le rappelle régulièrement, du reste avec juste raison.

Combien de lois de circonstance sont-elles juste destinées à traiter la seule urgence médiatique ? Combien de lois éponymes inutiles, motivées plus par la coquetterie ministérielle que par un réel besoin ?

Il était temps de prendre des dispositions pour venir à bout de cette logique d’emballement qui porte tort aux vraies bonnes lois, celles qui répondent à l’urgence sociale et économique, la seule qui vaille réellement.

En la matière, les dispositions inscrites dans ce projet de loi organique suffiront-elles ? On peut en douter. En d’autres temps, les réformes adoptées dans cette optique n’ont pas eu les résultats escomptés.

Il en a été ainsi, par exemple, de la session unique, présentée, à l’époque, comme un moyen de raccourcir les séances et d’éviter de siéger la nuit. On peut le dire aujourd’hui, cette réforme a échoué : nous n’avons jamais aussi mal dormi ! (Rires.)

Plus sérieusement, nos concitoyens nous reprochent fort justement cette fièvre législative, car l’empilement des normes brouille le paysage juridique, au point de le rendre inaccessible, même pour bien des initiés.

Un Parlement revalorisé, c’est donc, avant tout, un Parlement qui légifère moins et qui légifère mieux. De ce point de vue, le présent texte tend à apporter des solutions qui méritent d’être mises en œuvre.

Le second volet de ce projet de loi organique prévoit une possible réorganisation de nos débats, et donc du déroulement de nos travaux, notamment dans l’hémicycle.

C’est ainsi que le droit d’amendement a pu paraître menacé, et qu’il peut d’ailleurs toujours l’être, puisque tout dépendra de la traduction et des choix qui seront retenus par chacune des deux assemblées lors de la révision de leurs règlements respectifs. C’est justement cette forte inquiétude – tout à fait compréhensible à la lecture du projet de loi organique initial – liée à une éventuelle remise en cause du droit d’amendement des parlementaires qui a mis le feu aux poudres à l’Assemblée nationale… mais toujours pas – fort heureusement ! – au Sénat.

Probablement faut-il y voir la sagesse de la Haute Assemblée, en particulier celle de son président, qui, sitôt la rédaction du projet de loi organique connue, a rappelé publiquement combien « le droit d’amendement est sacré ». Je dois avouer, pour ne pas dire confesser, que le radical et laïc que je suis a apprécié, une fois n’est pas coutume, l’emploi de cet épithète, qui, en l’occurrence, est de nature à nous rassurer !

En effet, nous estimons que le droit d’amendement est un fondement – voire le fondement – de la démocratie parlementaire. Toute mesure visant à le restreindre ou même à le « rationaliser » est, à nos yeux, au mieux suspecte, au pire dangereuse.

Disposer de temps pour défendre un amendement doit demeurer un droit individuel, inaliénable et imprescriptible pour chaque parlementaire.

M. Yvon Collin. C’est la condition pour garantir l’expression de la diversité des opinions démocratiques de notre pays. L’essence même du Parlement n’est-elle pas la discussion entre majorité et opposition, entre exécutif et législatif, ou même entre parlementaires, indépendamment des clivages politiques ?

M. Yvon Collin. Le droit d’amendement, c’est d’abord du temps pour s’exprimer, pour débattre, pour échanger et pour convaincre. C’est donc ce qu’il y a de plus précieux pour chacun d’entre nous. Nous devons pouvoir, sans contrainte, exprimer nos convictions et porter les attentes et les craintes des Français et des territoires dans cette enceinte de la démocratie.

En quoi ce droit « sacré » est-il menacé ? Pourquoi ce projet de loi organique pourrait-il être attentatoire au droit d’amendement, si cher à chacun d’entre nous ?

La réponse figure à l’article 13 de ce projet de loi organique, qui prévoit la possibilité, dans des conditions bien précises, pour les règlements des deux assemblées parlementaires, d’instaurer ce que l’on appelle le principe du « temps global » ou « crédit-temps », que d’autres, amateurs de formules imagées, ont appelé le « temps-guillotine » : autrement dit, l’arrêt immédiat de la discussion des articles et des amendements en séance publique une fois écoulé le temps imparti à chacun des groupes.

Une telle procédure peut poser problème et mettre en cause le droit d’amendement, aujourd’hui d’ailleurs plus à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.

M. Jean-Pierre Sueur. La loi s’appliquera de la même manière !

M. Yvon Collin. J’en ai discuté avec mes collègues députés radicaux de gauche : je comprends leurs inquiétudes et leurs craintes.

Pourquoi, ici au Sénat, les choses se présentent-elles différemment ? Pourquoi cet article 13 ne soulève-t-il pas la même protestation qu’à l’Assemblée nationale ? Pourquoi y a-t-il peu de chances d’entendre certains d’entre nous entonner la Marseillaise au pied de la tribune ?

La réponse réside dans le rapport de notre excellent collègue Jean-Jacques Hyest, qui exclut, au nom de la commission des lois, l’application du « temps global » à la Haute Assemblée.

M. Jean-Pierre Sueur. Mais il n’a pas déposé d’amendement en ce sens !

M. Yvon Collin. Il ne fait ainsi que reprendre les conclusions des travaux menés, sous la conduite active de M. le président Larcher, au sein du groupe de travail sénatorial sur la réforme du règlement du Sénat.

Dès nos premières réunions, conformément à la sacralisation du droit d’amendement rappelée par M. le président, toute application au Sénat du principe du temps global a été exclue, ce dont nous nous félicitons.

Certes, ce projet de loi organique n’en devient pas pour autant sans intérêt ni au-dessus de toutes réserves, mais la crainte de nos collègues députés, qui n’ont pas, eux, reçu les mêmes assurances sur le respect du droit d’amendement – tant s’en faut ! –, n’a pas lieu d’être pour nous, sénateurs.

Faut-il y voir seulement un privilège que s’accorderait la Haute Assemblée en récompense de sa grande sagesse et de son aversion pour ce que l’on appelle l’« obstruction » ou encore la « flibuste » ?

C’est surtout, à n’en pas douter, une marque de respect à l’égard du débat parlementaire et de la discussion, toujours de très bon niveau dans cet hémicycle, mais c’est également – je l’interprète aussi comme cela – une façon de donner toute leur place aux groupes de l’opposition et aux groupes minoritaires.

En effet, mes chers collègues, vous n’êtes pas sans savoir que, depuis le 21 juillet 2008, la Constitution prévoit, en son article 51-1, que le règlement de chaque assemblée reconnaît des droits spécifiques aux groupes de l’opposition et aux groupes minoritaires.

M. Yvon Collin. Cette mention dans la Constitution résulte – je le rappelle – d’un amendement adopté par le Sénat sur proposition de nos collègues Jean-Michel Baylet et Michel Mercier.

Le groupe du RDSE sera donc très attentif à la traduction dans la loi organique, certes, mais surtout dans notre règlement de cette prérogative constitutionnelle désormais reconnue aux groupes minoritaires, lesquels – je le rappelle – ne se reconnaissent ni comme appartenant à l’opposition ni comme appartenant à la majorité : cela fait l’essence même et la force de mon groupe.

Il est très important que la nouvelle procédure législative offre toute leur place aux groupes minoritaires et, surtout, leur garantisse des moyens pour fonctionner et bien travailler.

Par exemple, il m’apparaît indispensable, a fortiori pour un groupe aux effectifs réduits, que les collaborateurs des groupes puissent assister aux travaux des commissions, compte tenu de l’importance que ces derniers vont prendre. Il me semblerait difficilement envisageable qu’un groupe doive attendre les comptes rendus des commissions pour poursuivre une préparation efficace et sereine de la procédure législative, d’autant que, désormais, les délais seront très courts.

Nous proposerons également, lors de la réforme du règlement, qu’aucun groupe ne dispose de moins de dix minutes de temps de parole dans chacune des discussions générales.

M. Yvon Collin. Il s’agit là d’un exemple concret de mesure à prendre pour garantir les droits d’expression et la pluralité au sein des groupes.

M. le président du Sénat connaît ma position et je le sais à l’écoute sur ce sujet : notre règlement prévoit un minimum de quinze membres pour constituer un groupe, mais encore faut-il donner à celui-ci les moyens de fonctionner.

J’en reviens au présent projet de loi organique : si nous approuvons la rédaction de l’article 13 bis, introduit à l’Assemblée nationale, aux termes duquel est reconnu un droit d’expression, en particulier pour les groupes minoritaires, nous proposerons de le compléter en garantissant que plusieurs orateurs d’un même groupe puissent s’exprimer.

Nous sommes donc attachés aux droits non seulement des groupes minoritaires, mais aussi des membres des groupes qui sont minoritaires dans leur propre groupe. Évitons qu’il n’y ait qu’une voix officielle dans chaque groupe !

M. Aymeri de Montesquiou. C’est pour moi, cela ! (Sourires.)

M. Yvon Collin. Vous le voyez, mes chers collègues, le groupe du RDSE est soucieux du pluralisme et du droit d’expression de chacun. Nous ne concevrons jamais les groupes politiques comme des espaces de négation ou de restriction des droits individuels et constitutionnels des parlementaires ; bien au contraire, nous les considérons comme des outils garantissant l’expression de leurs droits et de leurs libertés.

C’est dans cet esprit et en étant fidèles à ces principes de respect du pluralisme et des minorités que mon groupe abordera la discussion des amendements sur ce projet de loi organique et les débats très attendus que nous devrons avoir dans cet hémicycle, le moment venu, sur la réécriture de notre règlement intérieur.

C’est un chantier déjà bien entamé, grâce aux travaux toujours sérieux et souvent consensuels qui ont été menés par le groupe ad hoc. Toutefois, des espaces de négociation existent encore pour parvenir à un texte qui nous permettra d’améliorer sensiblement l’organisation des travaux de notre assemblée, tout en respectant davantage les droits et les intérêts de chacun des groupes politiques, mais aussi de chacun des sénateurs qui font vivre cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur celles de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans une assemblée parlementaire, la majorité politique au pouvoir n’a qu’un avenir, proche ou lointain : c’est de devenir, quand le peuple le décidera, l’opposition.

M. Bernard Frimat. Même au Sénat, et en dépit de son mode d’élection, ce principe constitutif de la démocratie finira par se vérifier.

En nous opposant à ce projet de loi organique, monsieur le secrétaire d’État, nous défendons les droits de tous les parlementaires, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent dans notre assemblée, quelle que soit la famille politique à laquelle ils appartiennent.

D’une certaine façon, nous tentons de protéger de ses propres excès la majorité d’aujourd’hui, puisqu’elle est inexorablement appelée à devenir, demain, l’opposition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

La révision constitutionnelle était censée donner des droits nouveaux au Parlement. Nous avons dénoncé cette présentation fallacieuse. Les premières lois organiques soumises au vote du Parlement confirment de manière éclatante que nos craintes étaient fondées.

Peu pressé de rendre effectives les mesures positives – exception d’inconstitutionnalité, instauration du défenseur des droits – acceptées par nous, même si elles ne concernent pas les droits du Parlement, le Gouvernement a fait le choix de nous soumettre en priorité les projets de loi organique qui lui accordent des facilités nouvelles ou permettent de réduire les droits du Parlement.

Le premier projet de loi organique présenté a été – je vous le rappelle, mes chers collègues – celui qui mettait en œuvre le retour à l’Assemblée nationale ou au Sénat des ministres anciennement parlementaires appelés à quitter le Gouvernement.

Il fallait, en effet, toutes affaires cessantes, adopter cette loi avant le 24 janvier pour permettre au nouveau secrétaire général de l’UMP de retrouver son siège de député. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. le secrétaire d’État proteste.)

Il est difficile de voir dans ces petits arrangements un désir effréné de doter le Parlement de nouveaux pouvoirs !

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Bernard Frimat. La disposition qui offrait à un ancien ministre la faculté de renoncer à un retour au Parlement pour assurer, ipso facto, la pérennité de son suppléant, ne relevait pas davantage des droits nouveaux pour le Parlement. Elle était, comme nous l’avions indiqué à cette tribune, monsieur le vice-président de la commission des lois, inconstitutionnelle, ce que le Conseil constitutionnel a confirmé.

La première loi organique adoptée en décembre créait enfin les conditions pour opérer, par voie d’ordonnance, le nouveau découpage relatif aux élections législatives. Privilégier la voie de l’ordonnance au détriment de la loi est toujours une restriction des droits du Parlement.

Le second projet de loi organique dont nous débattons aujourd’hui s’inscrit dans cette même perspective.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Ah non !

M. Bernard Frimat. Qui peut, en effet, croire de bonne foi, après son passage à l’Assemblée nationale, qu’il n’a pas pour finalité de diminuer les droits du Parlement, en particulier ceux de l’opposition, face à un exécutif qui non seulement ne supporte plus les contre-pouvoirs au sein de la vie sociale, mais, de plus, aspire à s’arroger, dans les faits, le pouvoir législatif ?

Montesquieu écrivait : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Il exprimait ainsi la théorie de la séparation des pouvoirs, sur laquelle repose toute démocratie digne de ce nom.

Nous sommes, avec nos collègues de l’Assemblée nationale, non pas un contre-pouvoir, mais le pouvoir législatif. Nous avons été élus pour voter les lois et notre travail est de fabriquer des lois de bonne qualité. Nous ne sommes pas là pour mettre en forme dans l’urgence, et demain dans des délais de plus en plus courts, les annonces présidentielles. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Or, même si l’existence du Parlement sauvegarde les apparences, nous vivons de plus en plus dans un régime de confusion des pouvoirs, caractéristique de cette monocratie qu’évoquait, lors de la révision constitutionnelle, notre collègue Robert Badinter.

Les exemples de cette confusion abondent. Je n’en prendrai que deux : l’annonce de la suppression de la publicité sur France Télévisions et celle, récente, de la suppression de la taxe professionnelle dès 2010.

M. Daniel Raoul. Particulièrement difficile à digérer !

M. Bernard Frimat. Mes chers collègues, vous n’avez certainement pas déjà oublié que nous avons récemment débattu, pour la première fois sans doute dans l’histoire du Sénat, d’un projet de loi dont la disposition emblématique était entrée en vigueur deux jours avant que ne commence son examen dans cet hémicycle ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Bariza Khiari. Absolument !

M. Bernard Frimat. C’est une curieuse attitude que de prétendre revaloriser les travaux du Parlement et de réduire celui-ci, dans le même temps, au rôle de législateur a posteriori.

Jeudi dernier, nous avons appris que la taxe professionnelle sera supprimée dès 2010.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. On en parle depuis trois ans !

M. Bernard Frimat. Circulez, députés et sénateurs, il n’y a plus rien à voir ! Le Président de la République vient à lui tout seul de voter la loi devant les caméras de TF1, M6 et France 2. Vous pensiez avoir le pouvoir de voter la loi de finances et d’autoriser les impôts ? Abandonnez cette illusion, et laissez Jean-François Copé se gargariser du bonheur de la coproduction législative ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Le Président a parlé, l’oracle est rendu ; le MEDEF en rêvait, Nicolas Sarkozy l’a fait. La loi a déjà une existence virtuelle. Place maintenant, monsieur le secrétaire d’État, aux thuriféraires « lefebvristes » de la pensée sarkozienne,…

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. C’est un peu exagéré…

M. Bernard Frimat. … pour qu’ils nous expliquent, études d’impact à l’appui sans doute, que la taxe professionnelle est, en fait, une des causes essentielles de la crise mondiale.

L’omniprésence médiatique du Président de la République est une réalité quotidienne.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Cela n’a rien à voir avec ce projet de loi organique !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Revenons-en au texte !

M. Bernard Frimat. Pour autant, son temps de parole n’ouvre toujours pas de droit de réponse à l’opposition, en dépit de l’engagement qu’il a pris, à la veille de la révision constitutionnelle, dans un entretien au Monde. Cette promesse, comme d’autres, a été oubliée depuis !

Alors que le temps de parole du Président demeure illimité, le Gouvernement estime qu’il est néanmoins urgent de limiter le temps d’expression et de discussion du Parlement – au premier chef, celui de l’opposition – et, dans le même temps, de brider l’exercice du droit d’amendement.

M. Jean-Pierre Bel. Très bien !

M. Bernard Frimat. Nous aurons l’occasion de préciser, lors de la discussion des articles, notre position sur les résolutions et les études d’impact. Mais l’essentiel du projet de loi organique n’est pas là ; il se situe au chapitre III, plus précisément à l’article 13.

Pour respecter la Constitution, qui prévoit qu’une loi organique définit le cadre dans lequel s’exerce le droit d’amendement, le Gouvernement aurait pu – et aurait dû ! – se contenter d’en affirmer les principes généraux, laissant le soin à chaque assemblée d’en fixer les conditions d’application dans son règlement.

En effet, aucune disposition constitutionnelle n’oblige le Gouvernement à instaurer un temps global de discussion, à créer des conditions de nature à priver un parlementaire du droit de défendre ses amendements. Il a néanmoins tenu à nous proposer un texte allant en ce sens.

Pour combattre l’obstruction parlementaire, qui n’est d’ailleurs, bien souvent, que l’ultime recours de l’opposition pour tenter de faire entendre sa voix et qui, au demeurant, nous le savons tous, n’a jamais empêché l’adoption d’une loi, le Gouvernement et sa majorité disposent pourtant déjà d’un arsenal de moyens important. Sans prétendre à l’exhaustivité, je veux vous en rappeler quelques-uns : irrecevabilité financière des amendements, au titre de l’article 40 ;…

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. C’est normal !

M. Bernard Frimat. … irrecevabilité relative au domaine de la loi, au titre de l’article 41 ; possibilité de s’opposer à tout amendement qui n’a pas été antérieurement soumis à la commission, conformément à l’article 44, alinéa 2 ; vote bloqué, prévu à l’article 44, alinéa 3 ; application du « 49-3 » pour le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, ainsi que pour un autre projet de loi par session ; possibilité de demander la priorité pour faire tomber un maximum d’amendements ; possibilité d’obtenir la clôture du débat ; sans oublier, pour finir – cerise sur le gâteau ! –, l’usage de la question préalable positive, qui permet de faire rejeter un texte sans débat.

M. Jean-Pierre Michel. Et la deuxième délibération !

M. Bernard Frimat. Cet arsenal pour le moins imposant est encore insuffisant aux yeux du Gouvernement : il veut contraindre le débat parlementaire pour en accélérer le déroulement puisque vos travaux, mes chers collègues, ne sont présentés que comme un obstacle à son action.

Pourquoi débattre, échanger des arguments, chercher à convaincre, tenter d’améliorer le texte proposé puisque tout doit être réglé préalablement selon le bon vouloir de l’Élysée ?

Dans sa volonté d’annihiler le rôle du Parlement, le Gouvernement a oublié un principe constitutionnel fondamental : le droit d’amendement est un droit individuel, qui appartient à chaque parlementaire. Il est imprescriptible, consubstantiel à la fonction de parlementaire, nous dit-on. Il exprime la liberté absolue, donnée à chaque parlementaire, de tenter, conformément à ses convictions, d’améliorer le texte proposé. Il est le corollaire de la prohibition du mandat impératif. Si le rôle des groupes politiques, reconnu maintenant dans la Constitution, est primordial pour le bon fonctionnement de notre assemblée, il ne peut conduire à priver un parlementaire ni de sa liberté d’expression, ni de sa liberté d’opinion, ni de sa liberté de vote. Il n’est donc pas acceptable que le droit d’amendement soit contraint par l’instauration du temps global.

En créant, par ce projet de loi organique, la possibilité de mettre aux voix un amendement sans que son auteur puisse le défendre, vous ouvrez une boîte de Pandore et faites courir au Parlement le risque de perdre sa raison d’être.

La lecture attentive de votre rapport, monsieur Hyest, achève, s’il en était besoin, de me convaincre du caractère néfaste de ce texte. Vous évitez, avec une adresse qu’il me faut saluer, l’essentiel du problème posé.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas du tout !

M. Bernard Frimat. Vous consacrez de longs développements documentés et intéressants aux questions secondaires des résolutions et des études d’impact,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas secondaire !

M. Jean-Pierre Bel. C’est loin d’être l’essentiel !

M. Bernard Frimat. … mais vous réglez en quelques lignes le sort de l’article 13.

Votre argumentation est simple : l’instauration du temps global n’intéresse pas le Sénat, puisqu’il ne l’inscrira pas dans son règlement. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !

M. Bernard Frimat. Fort de cette affirmation, vous décidez de ne pas vous y opposer, car vous ne voyez pas pourquoi priver vos amis députés UMP de cette facilité dont ils souhaitent disposer et à laquelle leur président de groupe tient tant.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. S’ils le souhaitent, qu’ils le fassent !

M. Bernard Frimat. En conséquence, vous proposez au Sénat de voter conforme l’article 13 et ses annexes. Ainsi, le débat sera clos sans que la disposition phare du texte, qui a provoqué le tumulte que l’on sait, puisse être de nouveau discutée.

J’ai salué votre habileté, monsieur le rapporteur, mais permettez-moi de considérer que la ficelle est un peu grosse !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas du tout !

M. Louis Mermaz. Ce n’est plus une ficelle, c’est une corde !

M. Bernard Frimat. C’est une bien curieuse démarche que celle de voter conforme un article et de promettre que, à peine voté, il ne sera pas utilisé !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il ne s’agit que d’une faculté !

M. Bernard Frimat. En effet, vous refusez pour le Sénat le temps global, et je ne mets pas en doute vos intentions, ni celles du président du Sénat, qui s’est exprimé dans le même sens. C’est, je veux le croire, parce que vous estimez qu’il ne faut pas contraindre le droit d’amendement, ni bâillonner le Parlement.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Exactement !

M. Bernard Frimat. Pourquoi alors acceptez-vous, par un vote conforme, de créer les conditions qui permettront d’imposer le temps global immédiatement à l’Assemblée nationale, mais aussi, demain, si l’envie en vient à une majorité de sénateurs, à la Haute Assemblée ? (M. François Rebsamen applaudit.)

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Ce sera peut-être vous qui le demanderez !

M. Bernard Frimat. Dans la protection des droits du Parlement, face à un exécutif jamais rassasié de son pouvoir, vous ouvrez une brèche et vous êtes dans l’impossibilité de nous garantir que le temps de s’y engouffrer ne viendra jamais. Depuis quand est-il nécessaire d’adopter des lois pour ne pas les appliquer ?

C’est la même démarche que vous utilisez, monsieur le secrétaire d’État, à propos de la possibilité donnée au Gouvernement d’être présent en commission au moment du vote.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est autre chose !

M. Bernard Frimat. Vous nous assurez que le Gouvernement n’abusera pas de cette faculté et qu’il en usera même avec parcimonie. Pourquoi alors l’inscrire dans la loi ? La confiance du Président de la République à l’endroit des parlementaires de la majorité est-elle si faible qu’il faille, pour le rassurer, les mettre sous surveillance au moment du vote des amendements ?

M. Bernard Frimat. Ce projet de loi organique est inacceptable ! L’amélioration des conditions du travail parlementaire n’est pas ce qui vous motive ; seul importe, pour vous, d’aller vite.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Non !

M. Bernard Frimat. Comme le débat parlementaire constitue le dernier rempart face à la frénésie législative présidentielle, il vous faut lever cet obstacle.

La meilleure façon de programmer les débats est non de les limiter dans le temps, mais de les consacrer à l’essentiel, c’est-à-dire de cesser de fabriquer, dans l’urgence et en rafale, des lois bavardes, complexes et souvent inutiles,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Et des milliers d’amendements !

M. Bernard Frimat. … dont le seul objet est de répondre à l’émotion de l’opinion publique. Notre vocation n’est pas de légiférer sur les faits divers ! Ce n’est pas parce que la loi est vite faite qu’elle est bien faite et, surtout, appliquée. La quantité des lois ne détermine pas leur qualité !

Pour que le Parlement légifère convenablement, il faut, le débat sur le projet de loi Grenelle 1 l’a montré, que les parlementaires disposent de temps et de la plénitude de leurs droits, notamment du droit d’amendement. Alors que vous proposez de réduire les droits des parlementaires, vous prétendez accroître les pouvoirs du Parlement.