M. le président. Mes chers collègues, afin de me simplifier la tâche, je vous prie de bien vouloir respecter votre temps de parole de cinq minutes. (M. Guy Fischer s’exclame.) J’ai en effet cru comprendre que notre discussion serait un peu longue ! (Sourires.)

La parole est à Mme Samia Ghali, sur l’article.

Mme Samia Ghali. Madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes d’accord sur un point : ce projet de loi est un rendez-vous très attendu.

Nous affrontons une crise globale de notre système de santé. Chacun peut témoigner de la défiance qui s’installe, face à un système qui répond de moins en moins bien aux besoins des malades.

Nous pouvons tous témoigner du recul progressif du droit à la santé, un recul qui angoisse aujourd’hui les Français.

Il se traduit, tout d’abord, par une plus grande inégalité sociale.

L’étude du Secours populaire d’octobre 2008 le confirme : la dégradation de la santé se conjugue avec celle du pouvoir d’achat. La pauvreté atteint désormais de nouvelles catégories sociales de salariés et de retraités. Toujours selon cette étude, 39 % des Français ont déjà retardé un soin ou y ont renoncé en raison de son coût. Le renoncement aux soins devient monnaie courante.

Ce recul se traduit également par une inégalité territoriale.

À la périphérie de nos grandes villes, le désert médical fait autant de ravages que dans le milieu rural. Nous vivons cette situation dans les quartiers défavorisés, où les cabinets médicaux ont disparu. Et pour obtenir un rendez-vous dans les derniers cabinets en activité, il faut désormais attendre des mois !

Cette réalité si dégradée, ce climat si tendu, c’est le résultat de vos plans et de votre logique.

Depuis le passage de M. Douste-Blazy au ministère de la santé jusqu’au vôtre, madame la ministre, en passant par celui de M. Bertrand, que de promesses faites, que de réformes engagées : franchises médicales augmentées, dépassements d’honoraires autorisés, déremboursements élargis, et j’en passe !

Et pour quel résultat ?

Vous n’avez eu de cesse de creuser les déficits. Quant au sacro-saint principe de responsabilisation, censé éviter les abus, il n’a abouti qu’à rendre l’inégalité devant la santé plus forte encore.

Nous espérions la refondation d’un système public de santé de proximité, car c’est une urgence et une priorité. Mais devant l’ampleur des échecs financiers de vos prédécesseurs, vous préférez vous obstiner en approfondissant le trou libéral.

Au lieu de vous attaquer sérieusement aux questions structurantes – la permanence des soins, la liberté d’installation, la rémunération à l’acte, les dépassements d’honoraires, les discriminations de toutes sortes –, vous préférez masquer les problèmes et accabler l’hôpital pour réduire le rôle du service public. Tel est d’ailleurs l’objet du titre Ier et de l’article 1er du présent projet de loi.

Les discours du Président de la République sur l’hôpital ne trompent personne. Comme vous voulez cacher les problèmes de la médecine de ville ou de la médecine libérale, qui sont les problèmes majeurs rencontrés aujourd’hui par nos concitoyens, vous choisissez de mettre en avant la crise de l’hôpital public.

Le discours qui prend l’hôpital public pour cible est exaspérant. En effet, à l’évidence, loin de concentrer tous les défauts de notre système, l’hôpital public subit au contraire toutes les contradictions qui naissent de la double insuffisance de la politique de santé publique et de l’offre de soins libérale.

Madame la ministre, la crise de l’hôpital public, c’est la faillite de votre politique, celle d’une médecine libérale sans règle, celle d’un ONDAM hospitalier volontairement sous-estimé, année après année, celle d’une réforme de la tarification à l’activité inadéquate.

Lorsque vous nous dites que va se mettre en place dans quelques mois la « V11 », c’est-à-dire la onzième version de la tarification à l’activité applicable aux établissements hospitaliers, lorsque vous affirmez que vont enfin être pris en compte des phénomènes comme la précarité ou la gravité de certaines pathologies, vous avouez, mais vous insistez !

Vous prévalant de vos propres turpitudes, vous accentuez l’emprise comptable, et vous évacuez la démocratie sanitaire.

Nous reviendrons, notamment, sur les dispositions du titre Ier, car nous sommes profondément choqués de constater combien votre texte marginalise la pensée médicale sans que vous puissiez invoquer aucune raison organisationnelle.

La réalité, c’est que vous voulez disposer de directeurs d’hôpitaux dont le seul objectif sera de rester dans les clous des contraintes budgétaires que vous imposez à l’hôpital public.

Une fois réalisée la gestion interne libérale, il ne vous reste plus qu’à libéraliser le secteur lui-même !

Vous continuez de vous appuyer sur vos propres turpitudes, l’impasse budgétaire des établissements, 1 milliard d’euros de déficit que l’acrobatie comptable a de plus en plus de mal à masquer, tant le manque de moyens et d’investissements est patent dans certaines parties du territoire !

Vous invoquerez les carences du service public et ferez appel – c’est l’objet de l’article 1er – aux établissements de santé privés pour remplir des missions de service public, nouvelle étape de la privatisation.

Au-delà de notre réserve de principe, nous insistons – et nous y reviendrons dans la discussion des amendements – pour que les établissements privés ne puissent pas choisir, ne puissent pas sélectionner à la carte les missions de service public qu’ils auront à appliquer, car le service public coûte cher lorsqu’il est appliqué dans son intégralité, et ce qui est imposé au secteur public doit l’être également au secteur privé !

Nous insistons donc pour que soit reconnu, à l’occasion de cette loi, un bloc de missions de service public qui ne puisse pas se partager, se discuter ou se négocier. La question du socle de missions de service public est fondamentale. (Mme Gisèle Printz ainsi que MM. Jean-Pierre Godefroy et René Teulade applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec cet article 1er qui se veut un rappel et qui précise les missions générales des établissements de santé, vous entendez, en réalité, privatiser le service public hospitalier, c’est-à-dire procéder à la destruction d’un service organisé en y intégrant d’autres acteurs, mais également, et surtout, en confiant à ces nouveaux acteurs les mêmes missions que celles que vous confiez aux établissements publics de santé, alors même que ces nouveaux acteurs, issus du secteur privé, poursuivent des intérêts autres que collectifs.

Cette privatisation repose, en partie, sur le postulat du Gouvernement et de l’ensemble des libéraux selon lequel la nature juridique de ceux qui réalisent les missions de service public importe peu, puisque ce qui compte, c’est le service rendu.

En réalité, sans que cela soit réellement avoué, nous assistons aujourd’hui à l’application de la directive Bolkestein aux établissements de santé. Vous l’avez vous-même reconnu, madame la ministre, lorsque, à l’occasion d’un débat organisé par « le cercle des Européens », vous déclariez « vouloir imprégner la politique de santé française d’une couleur européenne ».

Certes, la directive « services » épargne aujourd’hui la santé, considérant qu’il s’agit d’une question relevant de la seule compétence nationale. Il n’en demeure pas moins que l’on observe en France, comme dans les autres pays européens, des mouvements de révision des politiques sociales et sanitaires, convergeant tous dans le même sens, l’unification, voire l’uniformisation des règles de protection sociale. J’en veux pour preuve l’intégration du thème de la santé dans les différents traités depuis 1987, alors que, théoriquement, tel n’aurait jamais dû être le cas.

Cet article 1er se nourrit donc de toute cette réflexion. Elle est le fruit de ce mouvement de libéralisation de la santé, qui a conduit à la révision du code de la mutualité, qui conduit à modifier les règles relatives aux soins transfrontaliers sans poser la question du financement durable de notre régime de protection sociale, et qui vous conduit aujourd’hui à privatiser les missions de service public.

Il faut dire que, ce faisant, vous répondez à l’exigence contenue dans le traité constitutionnel européen – rejeté par les Hollandais, les Irlandais et les Français – et reprise dans le traité de Lisbonne « d’un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée ». Ce dogme, sur lequel repose l’Europe libérale que vous construisez, s’impose naturellement au-delà des textes à tous les domaines, santé comprise.

La question n’est pas tant de savoir si vous privatisez l’hôpital public pour satisfaire aux exigences européennes ou si vous construisez l’Europe pour organiser une société offerte aux seuls marchés. (M. Jean-Pierre Raffarin s’exclame.)

M. Guy Fischer. Voilà !

Mme Annie David. Une chose est toutefois certaine, l’Europe actuelle se construit contre les intérêts des usagers du système de santé et favorise la concentration et la domination économique de quelques structures privées.

Ce débat, madame la ministre, présente toutefois un avantage. À un mois des élections européennes, il permet de mettre en valeur les oppositions qui existent entre votre conception de l’Europe libérale et de la concurrence, que vous défendez, et celle qu’au groupe CRC-SPG, avec le « Front de Gauche », nous entendons défendre : une Europe reconnaissante d’un certain nombre de droits fondamentaux, inaliénables, que l’on ne pourrait sacrifier sur l’autel de la concurrence et de la rentabilité ; une Europe de la solidarité et de la satisfaction des besoins humains, environnementaux et en santé.

Pour notre part, profondément attachés à notre système public de santé, nous souhaitons non pas mettre à mal notre hôpital, mais bien permettre à tous les peuples d’Europe de bénéficier d’un système tel que le nôtre. C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons être en accord avec cet article 1er.

M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn.

M. Jacky Le Menn. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’article 1er du titre Ier concernant la modernisation des établissements de santé, que nous allons examiner, introduit au IV dudit article une nouvelle rédaction de l’article L. 6112-1 du code de la santé. Cela n’a rien d’anodin, puisque cette nouvelle rédaction fait émerger un principe nouveau : la mission de service public dans le champ de la santé, prise en charge essentiellement jusqu’à présent par l’hospitalisation publique, pourra désormais être découpée en tranches – treize pour être précis – parmi lesquelles tous les établissements de santé – donc, y compris les cliniques privées à but lucratif – auront la possibilité de choisir une ou plusieurs missions qui les intéressent.

Il va de soi que les hôpitaux publics seront, en ce qui les concerne, limités dans leur possibilité de choix puisqu’ils sont tenus, notamment, d’accueillir tous les patients qui se présentent à leur porte, comme je le rappelais hier lors de la discussion générale.

Quant aux cliniques privées commerciales et à leurs médecins, qui ont choisi ce mode d’exercice plus lucratif que dans les hôpitaux publics, leur intérêt sera de choisir les missions qui, indirectement, conforteront leur mode d’exercice.

C’est ainsi que je fais le pari qu’elles trouveront, par ce moyen, la possibilité d’intervenir encore plus fortement dans le domaine de la chirurgie, notamment de la traumatologie peu grave. À ce niveau, je rappelle qu’actuellement, sur l’ensemble des chirurgiens travaillant en France, une majorité d’entre eux exerce déjà son activité en secteur libéral – essentiellement en clinique privée à but lucratif – avec une perspective d’élargissement de leur champ d’intervention sur des missions de service public moins contraignantes en secteur libéral. Le flux d’installation en clinique privée plutôt qu’en hôpital public va s’accélérer, ce qui entraînera une nouvelle diminution de l’espace occupé par la chirurgie publique de plus en plus acculée à ne prendre en charge que les cas les plus lourds, les plus compliqués, les plus risqués et les plus coûteux.

Ce sont d’abord les hôpitaux publics de proximité qui, en province, en mesureront le plus rapidement les effets : en perte d’activité chirurgicale, en difficulté financière, confrontés à la diminution du nombre de leurs opérateurs chirurgicaux, ils se verront enjoints par les ARS de fermer leurs services de chirurgie au profit des cliniques commerciales sises dans leur aire géographique d’intervention – nous en avons déjà de nombreux exemples partout dans l’Hexagone.

M. Guy Fischer. Et à ce moment-là, ce sera la mort de l’hôpital public !

M. Jacky Le Menn. Cet état de fait sera préjudiciable aux usagers. En effet, ce qu’il faut fortement souligner maintenant, et vous le savez, madame la ministre, c’est que 80 % des chirurgiens exerçant en secteur libéral fonctionnent en honoraires libres, c’est-à-dire qu’ils sont susceptibles de demander des dépassements d’honoraires à leurs patients, ce dont nombre d’entre eux ne se privent pas !

Si, dans le cadre du projet de loi, ces chirurgiens ne devraient pas pouvoir appliquer ce type d’honoraires de secteur II pour les missions de service public qu’ils accompliraient, et c’est la moindre des choses, il n’empêche qu’en augmentant le volume global de leur activité par l’élargissement à une nouvelle clientèle qu’ils sauront facilement fidéliser – on le comprend, ce sont pour la plupart d’excellents chirurgiens –, ils pourront ensuite, à d’autres occasions, opérer en chirurgie dite « froide » et programmée au tarif de secteur Il avec les conséquences que l’on sait.

La boucle est bouclée ! Mes chers collègues, cherchons qui seront les gagnants dans ce processus : sûrement pas les malades les moins aisés, ni l’hôpital public de proximité, ni les mutuelles ! Nous sommes donc bien en route vers la mise en place accélérée d’une médecine, notamment chirurgicale, à deux vitesses dont la majorité de nos concitoyens pâtira.

Madame la ministre, on assiste bien, dans le projet de loi que vous nous présentez aujourd’hui, à un basculement de la conception même du service public dont le Gouvernement entend désormais accélérer la promotion, basculement déjà amorcé dans d’autres secteurs du champ social de notre pays – je pense notamment à celui de l’enseignement supérieur, pour rester dans l’actualité.

Rien d’innocent, mes chers collègues, dans ce basculement qui traduit bien un choix politique entre deux conceptions des réformes pour la société française afin de lui permettre d’affronter l’avenir dont tout le monde s’accorde à dire qu’il est incertain  : d’une part, une conception des réformes qui sont inspirées par le souci du bien commun ; d’autre part, une conception des réformes qui entendent laisser libre court aux intérêts des plus riches et des plus puissants.

Le sociologue Robert Castel, observateur attentif des « métamorphoses de la question sociale », nous rappelle fort justement dans son dernier ouvrage portant sur « la montée des incertitudes », à propos de cette double conception opposée des réformes, que « c’est un choix de société entre la volonté de vivre dans une formation sociale dont les membres resteraient unis par des relations de réciprocité et capables de structurer ce que Karl Polanyi appelle aussi, en reprenant une notion d’Aristote, “ la vie bonne ” et une société clivée en fonction des pures exigences de la concurrence économique entre gagnants et perdants, nantis et sacrifiés, inclus et désaffiliés… »

Madame la ministre, mes chers collègues, la première conception de la réforme, celle qui vise à privilégier « le bien commun » s’inscrit dans un réformisme de gauche, le nôtre. La deuxième conception, celle qui vise à privilégier la concurrence et l’intérêt des plus riches, s’enracine dans un réformisme libéral, le vôtre, madame la ministre, et celui du Gouvernement.

Le projet de loi sur l’hôpital, que vous nous présentez aujourd’hui, qui commence, dans son premier article, par émietter la conception du service public de santé jusqu’ici en vigueur, signe d’une manière caricaturale cette dichotomie de nos conceptions de la réforme !

Non, madame la ministre, votre conception et celle du gouvernement de Nicolas Sarkozy de la réforme de l’hôpital – réforme que nous souhaitons aussi – n’est pas la nôtre ! Il y manque de la solidarité, de l’humanisme et du réalisme financier.

Attendez-vous donc, madame la ministre, à ce que nous mettions toute notre force de conviction pour combattre votre réforme qui nous semble néfaste pour l’immense majorité de nos concitoyens !

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’article 1er donne le ton du contenu de ce projet de loi et contient en germe les finalités même de ce texte.

En effet, vous entendez substituer la notion d’établissements de santé en charge d’une ou plusieurs missions de service public à la notion claire de « service public hospitalier ». Pour votre gouvernement, l’objectif premier est d’achever votre ouvrage de privatisation du service public de santé, en autorisant que les missions qui sont actuellement les siennes puissent être transférées en tout ou partie à des établissements de santé privés à but commercial.

Il y avait déjà eu, toujours sous le prétexte de moderniser le système, la possibilité offerte aux établissements privés commerciaux de réaliser la prise en charge des urgences, voire la permanence des soins. Il y a eu aussi la possibilité, offerte aux mêmes établissements à but lucratif, de bénéficier de délégations de missions de service public. Il y a aujourd’hui le transfert total de ces missions aux établissements qui poursuivent, rappelons-le, des objectifs plus que lucratifs.

En clair, vous confiez au directeur général de l’agence régionale de santé – dont nous verrons qu’il s’agit, en réalité, d’un superpréfet sanitaire aux ordres du Gouvernement – la charge d’organiser, région par région, territoire par territoire, la privatisation de notre système de santé.

Certes, vous encadrez le dispositif en prévoyant que le directeur de l’agence ne pourra confier les missions de service public aux établissements de santé privé commerciaux que si l’offre de soins, assurée prioritairement par les établissements de santé publics, n’est pas satisfaite.

Il y a tout de même de quoi s’étonner ! En vingt ans, à grands coups de réformes budgétaires, de révisions des schémas régionaux sanitaires, de cartes hospitalières, de fermetures de lits et de services sous couvert de non-rentabilité, vous avez créé, vous et vos prédécesseurs, une situation dans laquelle nos concitoyens ne peuvent plus être accueillis dans les établissements publics de santé ! Vous avez, par exemple, sous prétexte de sécurité – en réalité, de rentabilité ! – fermé de nombreux services de chirurgie au point qu’aujourd’hui 66 % de l’activité chirurgicale de notre pays est réalisée dans le secteur privé lucratif.

C’est cette même logique que vous espérez appliquer – ce qui est d’ailleurs largement déjà fait – aux maternités.

Comprenez donc, madame la ministre, qu’au groupe CRC-SPG nous nous étonnions de vous entendre utiliser cet argument, alors même que vous êtes responsables de la situation. C’est à croire que vous l’avez préméditée, à l’image – et je mesure mes propos – du pompier pyromane qui allume un incendie pour l’éteindre avec ses propres méthodes.

Au groupe CRC-SPG, nous avons une tout autre analyse de la situation. Si l’agence régionale de santé peut se voir confier la mission d’analyser les besoins en soins et en accueil social et médico-social de la population, nous considérons, d’une part, que sa structure doit être plus démocratique et, d’autre part, que la solution du problème des zones de sous-densité ou de non-satisfaction des besoins doit d’abord et avant tout reposer sur les établissements publics de santé ou sur des structures alternatives privées sans intérêts lucratifs, tels les centres de santé et les établissements privés non lucratifs, rebaptisés dans le projet de loi « établissements privés d’intérêt collectif ».

Monsieur le président de la commission des affaires sociales, la question du service public de santé n’est pas anodine. Elle traduit deux conceptions radicalement différentes de notre système de santé.

Nous considérons que la santé n’est pas une marchandise comme une autre, qu’elle est un bien inaliénable qu’il appartient à l’État de protéger en garantissant à toutes et à tous un accès de qualité.

Or, la structure privée des établissements auxquels vous entendez confier la santé de nos concitoyens est, par essence, contradictoire avec la notion d’intérêt général.

Vous avez, d’un côté, un principe fondamental qui implique la recherche de l’intérêt de la collectivité, de l’intérêt général, alors que, de l’autre, c'est-à-dire du côté du privé commercial, ce qui compte, ce n’est pas l’état de santé des malades, ce n’est pas l’intérêt collectif, mais, tout au contraire, la satisfaction des intérêts d’une poignée d’actionnaires ou de fonds spéculatifs faisant le bonheur de quelques retraités américains, anglais ou italiens.

Il est inacceptable que vous entreteniez ce système spéculatif, cette marchandisation de la santé grâce à l’argent des salariés de notre pays. Ce sont leurs cotisations, le fruit de leur travail, qui, indirectement, vont permettre aux cliniques privées détenues par des fonds de pensions d’accueillir des patients au titre du service public et d’en tirer des profits qu’ils redistribueront à leurs actionnaires.

Nous ne pouvons accepter que l’argent issu de la socialisation du travail de tous ne profite en réalité qu’à une minorité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – Mme Dominique Voynet et M. Jean-Pierre Godefroy applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.

Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mes amis du groupe CRC-SPG l’ont dit avant moi, mais je tiens à le redire à mon tour : cet article 1er organise la privatisation du service public hospitalier.

Lorsqu’on transfère des missions de service public à des opérateurs privés, qui poursuivent un intérêt commercial, cela s’appelle, ne vous en déplaise, de la privatisation.

Mais il est vrai que ce faisant vous êtes cohérente, madame la ministre, car, cette privatisation, vous l’avez entamée en instaurant tout à la fois la tarification à l’activité – dont nous connaîtrons bientôt la onzième version – et la convergence public-privé, par ailleurs repoussée à 2018.

Vous ne vous êtes pas limitée à appliquer aux établissements publics les mêmes règles de financement que celles qu’observent les établissements privés.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Eh bien non ! Elles sont beaucoup plus favorables.

Mme Isabelle Pasquet. Vous avez également organisé, vous comme d’ailleurs votre prédécesseur, l’appauvrissement des établissements publics de santé, alors que, dans le même temps, vous aidiez financièrement les établissements de santé privés commerciaux.

Voici deux exemples, dont le premier concerne la ville d’Aubagne.

Sous couvert de mettre sur un pied d’égalité les secteurs public et privé, en 2003, un appareil IRM a été attribué à la clinique La Casamance, avec la promesse que l’hôpital ne serait pas oublié, mais, six ans plus tard, le centre hospitalier Edmond Garcin attend toujours… L’intervention de l’État a installé une situation de monopole au profit de cette clinique à but lucratif, qui draine ainsi des centaines de patients.

Le second exemple concerne une ville que je connais bien.

Le tiers de la population de Marseille vit en dessous du seuil de pauvreté, et les besoins sanitaires sont, bien sûr, énormes.

De fait, l’assistance publique des hôpitaux de Marseille connaît une situation financière particulièrement grave. Malgré tout, vous avez refusé d’apporter, à l’occasion du plan Hôpital 2012, les subventions nécessaires à l’accomplissement d’un certain nombre de projets, comme le pôle parents-enfants porté par l’hôpital de la Timone,…

M. Bruno Gilles. C’est faux !

Mme Isabelle Pasquet. … ainsi condamné, faute de moyens, à ne jamais voir le jour.

Mme Isabelle Pasquet. La situation est telle que, si elle veut mener à bien certains projets, l’AP-HM devra céder une partie de son patrimoine immobilier.

Il est donc clair que pour pallier leur manque chronique de moyens, dû à la T2A et à la non-revalorisation des actes, les établissements publics de santé ne pourront désormais plus compter que sur eux-mêmes ou sur les legs et les donations.

Si les hôpitaux publics ont été oubliés dans le plan Hôpital 2012, les établissements de santé privés commerciaux, eux, ont été bien lotis.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Oh !

Mme Isabelle Pasquet. À Aix-en-Provence, par exemple, la maternité L’Étoile, très connue des professions de robe et des familles les plus aisées de la ville, a reçu une subvention de 4,3 millions d’euros, ce qui correspond à la moitié de son budget d’investissement.

L’hôpital public, qui avait demandé une subvention de 40 millions d’euros, ne percevra tout simplement rien ! Certes, la maternité dont je parle est un établissement privé à but non lucratif, mais il ne participe pas au service public hospitalier.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Il faudrait savoir ce que vous voulez !

Mme Isabelle Pasquet. Pour ce qui est des 50 millions d’euros que vous avez attribués à l’hôpital Euroméditerranée, vous ne pouvez pas davantage vous abriter sous le caractère non lucratif de cet établissement, car, au-delà de cette seule structure, c’est bien tout le projet Euroméditerranée que vous avez entendu développer.

Vous ne voulez pas, contrairement à ce que vous annoncez, renforcer l’offre de soins dans les quartiers nord de Marseille : vous voulez en fait continuer à rendre attractif un quartier de la ville qui a été vidé de ses habitants les plus modestes, pour faire place nette au bénéfice de familles au pouvoir d’achat bien plus développé, contribuant à donner une autre image de la ville.

Ce projet d’ampleur a tout simplement permis, à l’actuel maire de Marseille, de disposer d’un centre ville débarrassé de ses pauvres et, aux promoteurs immobiliers, de faire de très fructueuses affaires.

Un sénateur de l’UMP. Ce n’est pas vrai !

Mme Isabelle Pasquet. Si vous aviez réellement l’intention de garantir une meilleure prise en charge sanitaire des habitants des quartiers nord de Marseille, il aurait fallu allouer à cette fin dans le plan Hôpital 2012 les 200 millions d’euros qui manquent actuellement !

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Le service public est mort, vive le service public ! Voilà ce que m’inspire, madame la ministre, les serments que vous répétez, et que vous venez de réitérer à cette tribune, face aux critiques dont votre texte fait l’objet.

Cette réflexion me vient lorsque je vous entends dire que l’hôpital est un service public de santé que vous respecterez scrupuleusement et qu’en même temps je constate dès l’article 1er du projet de loi que les termes « service public hospitalier » vont disparaître du code de la santé publique.

Le service public hospitalier serait remplacé par treize missions, lesquelles pourront donc désormais être assumées – ou ne pas l’être – indépendamment les unes des autres. On a parlé à juste titre de « vente à la découpe », d’attribution de « gré à gré »...

Cette parcellisation du service public, ce démantèlement opéré sous couvert de mieux identifier les missions, de clarifier et d’améliorer leur mise en œuvre aboutit bien évidemment à en réduire la portée.

Je ne prendrai pour exemple que l’obligation faite par le sixième alinéa de l’actuel article L. 6112-2 du code de la santé publique aux établissements de santé d’assurer, si besoin, « l’admission » d’un patient dans un autre établissement. Cette obligation, reprise dans un nouvel alinéa du même article, se limitera désormais à assurer « l’orientation » du patient. On aura compris la différence de la charge qu’emporte ce discret changement de termes…

Le passage d’un service public unique et singulier à des missions plurielles ne se fait donc pas à l’identique, et ce sont les usagers qui pâtiront du changement.

Il est tout à fait essentiel d’au moins maintenir un « bloc » de missions de service public que devront obligatoirement assumer les établissements de santé autorisés à les exercer, bloc qui doit inclure la permanence des soins, la lutte contre l’exclusion sociale et les actions d’éducation et de prévention. C’est en ce sens que nous vous proposerons tout à l’heure, mes chers collègues, de modifier le texte qui nous est soumis.

Au surplus, le projet de loi ne prévoit aucun critère pour décider de l’attribution des missions et ne comporte aucune priorité d’attribution entre établissements désormais tous confondus.

La décision serait donc laissée à un seul, le directeur général de l’ARSA, et prise dans l’opacité la plus totale. Les spécificités locales à l’intérieur des territoires, par exemple de difficultés d’accès particulières, seront-elles prises en considération ?

Il n’est pas concevable que, bien que s’agissant de service public, il ne soit pas tenu compte du fait que certains établissements servent plus que d’autres l’intérêt général ! Cela non plus n’est pas acceptable et ouvre d’ailleurs la porte à de nombreux contentieux.

Enfin, se pose la question, majeure pour nos concitoyens, du maintien en toute zone de tarifs opposables. Nous avons suivi les péripéties auxquelles à donner lieu « l’amendement Préel » à l’Assemblée nationale et ce qu’il est advenu en commission ici. Le résultat immédiat sera évidemment le suivant : nulle part, l’accès à des services de santé à tarifs opposables ne sera désormais garanti !