M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier Jean-Pierre Chevènement d’avoir proposé l’inscription à l’ordre du jour de nos travaux d’un débat sur le volet agricole de la négociation OMC. Le débat qui suivra sur la crise de la filière laitière sera d’ailleurs une parfaite illustration de ce sujet.

Le blocage constaté des négociations de l’OMC et la non-conclusion du cycle de Doha, qui a débuté en 2001 et qui devait se terminer le 1er janvier 2005, nous donnent de nouveau l’occasion de demander l’exclusion du secteur agricole de ces négociations.

Nul ne saurait se satisfaire d’un éventuel échec ou d’un improbable succès des discussions multilatérales menées dans un cadre ultralibéral, dont la crise économique et financière actuelle montre encore les limites.

Depuis la création de l’OMC en 1995, la mise en concurrence de toutes les agricultures du monde n’a fait que le bonheur des spéculateurs et, il faut le souligner, mis en péril, sur le plan alimentaire, près d’un milliard d’individus à l’échelle de la planète.

Il s’agit là d’un enjeu vital, et personne ne peut oublier les « émeutes de la faim » qui ont secoué et fragilisé de nombreux pays en 2007 et 2008. Ces émeutes se poursuivent, dans l’indifférence générale, alors que le milliard d’êtres humains souffrant de malnutrition vient d’être dépassé.

Le modèle concurrentiel et la logique de l’offre prônés par les organisations internationales, qui ne tiennent pas compte des différences climatiques, des cycles de productions, des types d’exploitations ou tout simplement des terres arables disponibles, sont aujourd’hui dans une impasse totale, pour les agricultures des pays développés comme pour celles des pays du Sud. La sécurité et la souveraineté alimentaires doivent devenir le point central des discussions en matière agricole.

En juillet 2008, la réunion de l’OMC à Genève proposait d’entériner une diminution comprise entre 60 %, selon la proposition de Pascal Lamy, et 80 %, selon celle de Peter Mandelson, des droits à paiement unique européens, pour achever coûte que coûte les négociations du cycle de Doha., ce qui aurait entraîné une baisse de 60 % à 70 % des tarifs douaniers aux frontières de l’Union européenne pour le blé dur et le blé tendre, les viandes ovine et porcine, les volailles et les fromages. S’il y avait cumul avec la diminution des aides européennes, les facilités d’exportation accordées aux pays tiers et les baisses des prix à la production entraînées par les importations, rares sont les agriculteurs français et européens qui y auraient survécu.

Si l’on ajoute à cela l’adoption par la Commission européenne en juin de la même année, dans le cadre de la « simplification » de la politique agricole commune, de la suppression de l’obligation de présenter des certificats d’importation et d’exportation pour près de 1 500 produits agricoles ou dérivés, il ne reste plus aucun outil d’application de la préférence communautaire. Ces certificats représentaient le dernier moyen de suivi et de régulation des échanges dans le secteur agricole.

Si la réunion de Genève a échoué, c’est aussi « grâce à » l’intervention du ministre indien du commerce, M. Kamal Nath, qui, précisément au nom de la souveraineté alimentaire de son peuple, a exigé d’inclure un mécanisme spécial de sauvegarde pour éviter que les paysans de son pays ne soient ruinés par les importations. Cette clause de sauvegarde, permettant de relever les tarifs douaniers lorsque trop de produits importés provoquent un effondrement des cours, existe et pourrait être utilisée en France, comme dans le reste de l’Europe, plus fréquemment, y compris en ajoutant un cahier des charges qui préciserait les garanties sociales et sanitaires des travailleurs et producteurs agricoles.

Le dogme de la concurrence libre et non faussée est devenu une certitude et, dans le bilan de la présidence française de l’Union européenne, on a omis de s’étendre sur ces sujets vitaux pour nos agriculteurs et nos concitoyens. Oubliés les discours de 2007 sur la préférence communautaire agricole, les prix rémunérateurs pour les producteurs ! Aujourd’hui, l’horizon est barré par le démantèlement de la PAC et l’alignement, d’ici à 2013, sur les cours mondiaux.

Le monde agricole, dans sa quasi-unanimité, de la FNSEA au MODEF, le Mouvement de défense des exploitants familiaux agricoles, en passant par les Jeunes Agriculteurs ou la Confédération paysanne, réclame que l’OMC sorte de l’agriculture, ou que l’agriculture et l’alimentation sortent du cadre de l’OMC !

Sur le plan de la production, nous le savons, d’autres modèles que celui de l’agro-industrie qui procureraient des revenus décents aux producteurs sont envisageables.

Il en est de même pour la commercialisation des denrées agricoles. La piste d’une refondation de la FAO, à laquelle seraient confiés les échanges agricoles, institués sur des bases bilatérales ou régionales dans un cadre d’un commerce équitable, est une proposition de rupture que nous souhaitons défendre.

Les plus faibles relèvent la tête aujourd’hui, pour sauver ce qui reste d’une production nationale qui fait vivre des millions de familles de petits producteurs, à l’instar d’un certain nombre de pays d’Afrique de l’Ouest – Burkina-Faso, Tchad, Mali et Bénin –, qui se sont alliés au sein de « l’initiative sectorielle en faveur du coton » pour tenter de résister aux États-Unis. En Amérique latine, l’Alternative bolivarienne pour les Amériques, ALBA, permet à ses membres, depuis 2001, de « donner selon ses possibilités et recevoir selon ses besoins » : Cuba envoie des médecins bien formés et la Bolivie exporte à des tarifs respectueux de ses producteurs du quinoa et des camélidés.

Nous devons tenir compte de l’émergence de cette thématique de la « survie » dans les enceintes de négociations internationales, car il en va également de la survie de milliers d’exploitations agricoles dans notre pays, où les disparités de revenus ne font que s’accroître et où la concentration s’accélère aux dépens des plus faibles.

Les agriculteurs français et européens attendent que nous revenions à une véritable préférence communautaire, qui s’articulerait autour de deux piliers.

D’une part, il faut instaurer un prix minimum européen qui serait un prix de négociation, et qui ne résulterait pas d’un alignement, à la baisse, sur les cours mondiaux, lequel nous est présenté comme inéluctable.

D’autre part, la constitution de stocks de sécurité, pour renforcer la souveraineté alimentaire de chaque État, est un véritable choix politique. Ces stocks, qui sont aujourd’hui au plus bas, mettraient un terme à la spéculation que subissent tour à tour les producteurs de lait, de porcs, de fruits et légumes, de bananes outre-mer, pour le plus grand bénéfice des actionnaires de la grande distribution et des géants de l’agro-alimentaire.

Nous partageons d’ailleurs cet objectif avec beaucoup de paysans et de responsables agricoles d’autres régions du monde. C’est également au nom de ces principes que l’Inde, la Chine et l’Indonésie ont dit « non » aux négociateurs de l’OMC à Genève, contre l’avis des États-Unis, du Brésil et de l’Australie, dont l’avocat n’était autre que Pascal Lamy !

En 2050, il y aura 9 milliards d’hommes, de femmes et d’enfants à nourrir sur notre planète ; c’est bien pour cela qu’il faut sortir l’agriculture et l’alimentation du cadre multilatéral et ultralibéral de l’OMC. La France, premier pays agricole de l’Union, doit avoir le courage de porter à la fois l’ambition d’une nouvelle PAC, rémunératrice, solidaire et durable, et de jouer un rôle déterminant dans le concert des nations pour que les échanges mondiaux s’établissent sur des bases de coopération alimentaire et de commerce équitable. (M. Jean-Pierre Chevènement applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les négociations du cycle de Doha à l’OMC achoppent depuis quelques années sur la question agricole. Cet état de fait, qui peut sembler quelque peu paradoxal pour des produits représentant seulement 10 % de l’ensemble des échanges mondiaux, souligne à quel point le secteur agricole reste stratégique et constitue une composante forte de la souveraineté alimentaire de nombreux pays.

Les rapports entre la PAC et l’OMC ont été souvent conflictuels et révélateurs de toutes les tensions qui opposent les trois grands partenaires mondiaux : les États-Unis, l’Union européenne et l’OMC, cette dernière apparaissant à la fois comme juge et partie. L’agriculture est à la fois un thème central de conflit et un enjeu pour ces partenaires.

Le président du groupe de négociations sur l’agriculture de l’Organisation mondiale du commerce, David Walker, a annoncé, le 18 juin dernier, que les négociations sur l’agriculture reprendraient dans un cadre multilatéral, c’est-à-dire avec la participation de tous les membres et sous leur contrôle, ce qui reflète le souhait de ces derniers de voir les négociations reprendre de l’élan.

M. Walker a confirmé qu’il était important désormais de faire avancer le processus, de réduire les divergences qui subsistent et de régler les questions techniques.

II faut tout d’abord se réjouir que le climat politique des négociations se soit amélioré depuis l’échec de juillet 2008, et ce malgré l’aggravation de la crise économique. Cet échec n’a rien à voir avec la France ou l’Union européenne. Les négociations n’ont pas abouti parce qu’il n’y a pas eu d’entente entre les États-Unis, l’Inde et la Chine sur les importations agricoles, plus spécialement sur l’établissement d’un mécanisme de sauvegarde spécifique qui aurait permis aux pays en développement de relever le montant de leurs droits de douane sur certains produits agricoles, comme le riz, en cas d’afflux soudain d’importations.

L’Union européenne a été d’autant moins partie prenante de cet échec qu’elle avait proposé une diminution de ses droits de douane agricoles de 60 % et un démantèlement de ses subventions à l’exportation d’ici à 2013, concessions que je qualifierais d’audacieuses de l’Union européenne et de son commissaire européen au commerce extérieur de l’époque, M. Mandelson.

En fait, l’échec du cycle de Doha traduit une évolution profonde de la donne économique et politique mondiale.

Le rapport des forces en présence à l’OMC a changé. Un accord entre les États-Unis et l’Europe suffit de moins en moins à construire les bases du consensus multilatéral. Il faut désormais compter avec les puissances émergentes, tout en se mettant à l’écoute des pays les plus pauvres, comme l’a fait l’Union européenne, notamment la France.

Cet échec a fait surtout apparaître que le cycle de Doha, qui a commencé en 2001, est peut-être aujourd’hui déconnecté des réalités. Il est donc plus que temps de le conclure pour repartir sur un cycle ouvert aux nouvelles réalités de ce XXIe siècle.

L’OMC reste incontestablement un concept d’une grande pertinence. Elle ne doit pas être remise en cause, mais, au contraire, consolidée, parce qu’elle a des règles et un organisme de règlement des différends. Elle constitue l’un des meilleurs exemples de la régulation des affaires économiques mondiales, que la mondialisation rend toujours plus nécessaire.

De même, le développement, c’est-à-dire le progrès des pays les plus pauvres, doit rester l’objectif majeur de toute future négociation.

La défense d’un modèle européen fondé sur un équilibre entre ouverture et protection, qui ne signifie en rien protectionnisme, doit continuer à inspirer notre action politique au sein de l’Union européenne.

En mai dernier, la Commission européenne est arrivée à un accord préliminaire avec les États-Unis afin de régler le contentieux qui les oppose à l’Union européenne en ce qui concerne l’interdiction d’importations de viande aux hormones.

Par cet accord, les États-Unis s’engagent à supprimer l’ensemble des sanctions appliquées actuellement à de nombreux produits européens, notamment sur ce produit emblématique qu’est le roquefort. En échange, l’Union européenne autorise l’importation de quantités supplémentaires de viande américaine sans hormones ; elle suspend également pour dix-huit mois la procédure contentieuse engagée à l’OMC contre les États-Unis pour faire reconnaître l’illégalité des sanctions subies.

La France a obtenu un résultat satisfaisant, préservant la sécurité alimentaire et permettant le maintien de nos préférences communautaires. Il faut saluer une telle évolution.

L’Europe doit promouvoir sa conception de la politique agricole au niveau mondial, que ce soit en faisant entendre sa voix à l’OMC ou en contribuant à l’émergence d’une nouvelle gouvernance mondiale de l’agriculture.

Il n’est pas concevable que l’OMC, à laquelle nous avons fait de nombreuses concessions, continue de militer en faveur d’un dumping général en matière agricole, que ce soit sur le plan sanitaire, écologique ou social.

Il n’est pas concevable non plus que nous tournions le dos à notre agriculture quand, parallèlement, les États-Unis, avec leur Farm bill, soutiennent massivement leurs producteurs. Je le dis très clairement, je souhaite que l’agriculture européenne et, à travers elle, l’agriculture française, utilise comme moyen de défense non pas la préférence communautaire, mais ce que j’appellerais la spécificité communautaire. Je suis contre une conception de type « ligne Maginot » de l’Union européenne.

M. Charles Revet. Bien sûr !

M. Jean Bizet. Je rappelle que le principe de préférence communautaire n’a plus de support juridique dans les traités communautaires. La Cour de justice de Luxembourg l’a affirmé à plusieurs reprises. En revanche, c’est une notion politique, qui, en tant que telle, peut être un choix des décideurs de l’Union européenne.

En fait, la préférence communautaire existe, mais elle est résiduelle. Elle se traduit par l’existence d’un tarif extérieur commun. Symbole de la préférence communautaire, ce tarif extérieur n’est presque plus utilisable comme instrument en raison de nos engagements internationaux, notamment de la consolidation de nos droits de douane auprès de l’OMC. Des pressions constantes s’exercent même sur l’Union européenne pour que celle-ci réduise encore ses droits de douane, essentiellement sur les produits agricoles. Tel est l’enjeu du cycle de négociations commerciales lancé à Doha.

Cela ne signifie pas qu’il faille abandonner toute protection, qui sera seulement concentrée sur une liste de produits sensibles. En tout état de cause, toute mesure de type protectionniste est vouée à l’échec, sans compter l’utilité économique contestable de ces démarches.

Que peut faire l’Union européenne si elle ne peut utiliser la protection tarifaire ? À mon sens, elle doit promouvoir ses valeurs, notamment celles qui concernent le respect de l’environnement ou les normes sociales, et, ainsi, d’une certaine manière, exporter son modèle. Certes, il faut remarquer que l’OMC ne permet pas aujourd’hui d’inclure dans les négociations commerciales des thèmes comme ceux-ci, mais des liens peuvent être faits grâce aux résultats obtenus dans d’autres organisations, comme l’ONU pour l’environnement – c’est le sens du protocole de Kyoto –, l’Organisation internationale du travail pour les normes sociales ou l’UNESCO pour la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.

Il faut également faire observer que, sous réserve de non-discrimination, l’article XX du GATT permet des restrictions à la libéralisation pour un certain nombre de motifs légitimes, que ce soit la santé publique, l’environnement ou la protection des espèces.

Le discours du Président de la République à l’OIT, le 15 juin dernier, ne nous dit pas autre chose. La nouvelle régulation de la mondialisation doit lier le progrès économique au progrès social. Voilà un enjeu majeur que l’Europe doit relever avec ses propres valeurs, au premier rang desquelles je place la raison et la justice.

Jusqu’à présent, l’Union européenne n’est pas parvenue à faire adhérer les pays en voie de développement à sa stratégie en faveur de certaines « préférences communautaires ».

Faire jouer la préférence communautaire, c’est également permettre à l’Union européenne de faire respecter les « règles du jeu ». Il serait faux de dire que l’Union européenne ne défend pas ses droits. Les chiffres de l’OMC montrent exactement le contraire : c’est l’Union européenne qui dépose le plus de plaintes, notamment contre les États-Unis, et qui obtient le plus souvent gain de cause. Enfin, comme vous le savez, je suis sensible à la défense des indications géographiques protégées dans le domaine agricole. C’est un dossier important.

Pour finir, la préférence communautaire telle que je l’entends ne peut se passer d’une politique véritablement offensive en faveur de la recherche et du développement, de l’innovation et de tout ce qui participe à la stratégie de Lisbonne. C’est une nécessité absolue pour conserver notre avance technologique et, plus largement, c’est un atout pour que nos entreprises se valorisent à l’étranger. Faire valoir « l’excellence communautaire » dans le domaine du développement durable, de l’environnement, c’est ouvrir de nouveaux marchés d’avenir aux entreprises européennes. Nous sommes là au cœur du green business, comme le dit M.  Jean-Louis Borloo, ministre d’État.

Voilà ce que j’appelle la spécificité communautaire. Elle ne possède aucun caractère protectionniste et s’inscrit parfaitement dans la logique du prochain cycle de l’OMC, tout en préservant nos intérêts.

Le débat entre la « préférence communautaire » et l’ouverture au marché mondial s’était ouvert dès la négociation du traité de Rome. Dans une Communauté économique européenne à six, la France parvenait, non sans mal, à faire prévaloir son attachement à la « préférence communautaire ». Au fil des élargissements, les tendances favorables au libre-échange n’ont cessé de se renforcer. La succession des cycles de négociation a permis à ces dernières de l’emporter et de démanteler les outils d’une « préférence communautaire » qui, aux yeux des autres parties prenantes aux négociations du GATT, n’est toujours apparue que comme l’utilisation des outils traditionnels d’un certain protectionnisme. Je crois que le virage décisif a été le passage du GATT à l’OMC. À ce moment-là, la notion de « préférence communautaire » a de fait disparu.

Rien ne sert de revenir inlassablement sur une notion disparue. Il faut trouver une arme efficace, un moyen de défense qui soit en harmonie avec le monde d’aujourd’hui et les règles du commerce mondial. Cette arme doit nous aider à imposer un modèle de développement soucieux, je le répète, de la protection de l’environnement, de la sécurité sanitaire et du progrès social. C’est ce que j’appelle la spécificité communautaire, qui est vitale pour notre modèle agricole.

Au cours du dernier cycle de négociation, l’OMC a ainsi traité une partie des questions agricoles au sein d’un accord spécifique qui déroge à certaines règles générales du commerce multilatéral. Au cours des prochaines négociations, le Gouvernement doit totalement se mobiliser pour que la sensibilité particulière du secteur agricole soit prise en compte dans le cadre du cycle de Doha. Cela semble d’autant plus nécessaire que la situation de crise alimentaire mondiale que nous vivons actuellement prouve encore une fois la nécessité d’un traitement particulier et spécifique de l’agriculture sur le plan mondial. Compte tenu de l’enjeu majeur que revêt cette négociation pour l’avenir de l’agriculture européenne, la France ne peut pas accepter un accord qui sacrifierait l’agriculture européenne sans la moindre contrepartie.

L’échec de juillet dernier ne doit pas changer le fond de la position française : un accord à l’OMC ne sera acceptable que si est apportée la garantie que l’agriculture européenne pourra en supporter les conséquences sans dommages irréparables. Nous devons être particulièrement vigilants sur le soutien dédié aux productions et aux zones les plus fragiles.

Voilà, à mon sens, la problématique qui devra s’inscrire dans un nouveau cycle de négociation de l’OMC. Le monde a changé. Des priorités nouvelles apparaissent. La régulation mondiale que la crise actuelle rend de plus en plus urgente va devoir accoucher d’un nouveau modèle de développement. L’Europe a un rôle majeur à jouer et une carte maîtresse à abattre, l’affirmation de ses valeurs. À nous de trouver le courage et la volonté politique de nous imposer.

Monsieur Chevènement, je ne partage pas votre analyse. Loin de stigmatiser, comme vous, « une Europe ouverte et offerte », même si la formule est élégante, ce qui ne nous surprend pas, je préfère une Europe qui ne reste pas à l’écart du monde, mieux encore une Europe qui sache « exporter l’excellence communautaire » qu’elle a patiemment construit depuis le traité de Rome de 1957. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le cycle de Doha est en panne depuis son ouverture en 2001. Cependant, le directeur de l’OMC, Pascal Lamy, optimiste, vient de déclarer avoir décelé des « signes positifs » quant à la reprise des négociations sur la libéralisation du commerce mondial. Il entrevoit même un accord en 2010.

Peut-être les changements politiques en Inde et aux États-Unis ont-ils déclenché la reprise d’un dialogue bilatéral. Pourtant, ces deux pays avaient fortement contribué à l’échec des négociations de l’été dernier. Le groupe de Cairns s’est félicité de cette ébauche de discussion.

Pourquoi cet optimisme alors que le commerce mondial va vraisemblablement chuter de 9 % cette année ? Comment peut-on croire à une harmonisation des points de vue quand le secteur agricole, principale pomme de discorde entre les membres de l’OMC, est soumis à de fortes turbulences, entraînant une crise alimentaire des uns et une déstabilisation des revenus des producteurs des autres ?

En période de croissance, les membres de l’OMC n’ont pas réussi à se mettre d’accord. En période de crise économique, il est probable que les anciennes postures, responsables de l’enlisement de Doha, vont ressurgir, voire se radicaliser.

M. Yvon Collin. Absolument !

M. Aymeri de Montesquiou. Il en sera difficilement autrement alors que les modèles agricoles et les intérêts qui en découlent divergent d’un groupe de pays à un autre.

Au-delà des différences structurelles liées à la géographie ou au poids de l’histoire qui distinguent quatre grands ensembles – les États-Unis, l’Union européenne, les pays en voie de développement et le groupe de Cairns –, nous savons qu’il existe deux conceptions alimentant les désaccords au sein de la négociation du volet agricole de l’OMC : d’un côté, une agriculture simple activité marchande impliquant le coût le plus bas possible des produits afin de se positionner au mieux sur un marché très concurrentiel ; de l’autre, une agriculture dont la dimension stratégique est prise en compte par les nations ayant choisi l’autonomie alimentaire, sa fonction nourricière, son rôle dans l’équilibre du territoire, ses conséquences sur l’environnement et la santé, entrainant bien sûr des surcoûts de production.

Dans ces conditions, il est très difficile d’envisager un consensus si l’OMC ne revoit pas ses règles du jeu. Dans le droit-fil du GATT, l’OMC persiste à vouloir supprimer les distorsions de concurrence, mais toujours selon le principe « a minima » afin, certes, de faciliter l’accès aux marchés, la baisse des tarifs douaniers et la diminution des subventions aux exportations, initiées par l’accord de l’Uruguay Round. Elles doivent demeurer des objectifs à long terme.

Mais il est nécessaire de prendre en compte l’évolution des attentes de la société. On ne peut demander à des pays aux fortes exigences sociales, sanitaires et environnementales en matière d’agriculture d’affronter ceux qui produisent sans ces mêmes contraintes. On se retrouverait alors dans le cadre d’une concurrence faussée que l’OMC est censée combattre.

Nous savons très bien qu’un agriculteur français ne produit pas au même coût qu’un agriculteur brésilien. Pour autant, on ne peut demander au Brésil, au stade actuel de son développement, d’avoir le même modèle agricole que le nôtre.

Le processus de disparition du dumping social prendra du temps. L’OMC doit donc proposer un cadre très progressif de libéralisation du commerce agricole afin qu’aucune des parties ne soient lésées.

Néanmoins, la plus grande hypocrisie règne souvent au sein des relations commerciales, quoi qu’en disent les pays les plus libéraux, qui se défendent abusivement d’être les plus transparents et les plus ouverts.

Près de nous, la crise des prix du lait est un exemple frappant du décalage entre les discours prônant la dérégulation et la réalité qui consiste presque partout à soutenir les agriculteurs. Dès que l’Union européenne a autorisé les aides financières au secteur laitier, les États-Unis se sont empressés de réintroduire les leurs. Cette escalade témoigne d’un fort souci de protection des filières.

Mes chers collègues, bien que l’agriculture ne représente que 10 % des échanges mondiaux, elle constitue la principale pierre d’achoppement des négociations de l’OMC. Motivés par des intérêts souvent divergents, les pays membres de l’Organisation mondiale du commerce campent sur des positions durcies par une crise économique, propice au repli sur soi, voire au protectionnisme.

Pour sortir de cette spirale, l’OMC, lors des prochaines négociations agricoles, doit fixer des objectifs aboutissant à la mise en place d’outils permettant sur le long terme d’harmoniser les conditions de production. Il faut absolument privilégier le modèle le plus humaniste et le plus durable, celui qui respecte le mieux les hommes et leur planète. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Muller.

M. Jacques Muller. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre débat sur l’agriculture et l’OMC ne saurait se limiter aux savantes considérations strictement commerciales que nous imposerait le statut d’une organisation dont l’objet n’est pas l’alimentation humaine – qui est pourtant la fonction première de l’agriculture ! –, mais est seulement la liberté du commerce.

La crise économique et sociale qui sévit actuellement tend à faire oublier la situation gravissime dans laquelle se trouve le monde sur le plan alimentaire : une image chassant l’autre, les piquets de grève devant nos usines tendent à faire disparaître des esprits les émeutes de la faim de l’année dernière en Égypte ou en Côte d’Ivoire.

Or, depuis l’an dernier, la situation alimentaire mondiale, loin de s’améliorer, s’est au contraire encore dégradée. La FAO annonçait vendredi dernier, 19 juin, qu’un milliard de personnes souffraient de la faim, dont 642 millions dans la zone Asie-Pacifique, 265 millions en Afrique sub-saharienne, 53 millions en Amérique latine et dans les Caraïbes et 42 millions au Proche-Orient et en Afrique du Nord.

Lors d’une table-ronde sur la politique agricole que j’avais organisée ici même le 9 avril dernier, Edgard Pisani, ancien ministre de l’agriculture du général de Gaulle, remarquait : « Aujourd’hui la faim tue bien plus de monde que les conflits. »