M. Yvon Collin. Eh oui !

M. Jacques Muller. Pourtant, toujours selon la FAO, la quantité de nourriture à disposition de l’humanité n’a jamais été aussi élevée qu’aujourd'hui : elle est suffisante pour nourrir 12 milliards de personnes !

Comment expliquer ce paradoxe ? Comment expliquer que les premières victimes de la sous-alimentation, voire de la famine, soient des paysans ?

La réponse est à chercher dans la dérégulation systématique des marchés agricoles promue par l’OMC. L’ouverture imposée des marchés conduit à mettre en concurrence les systèmes de production agricoles traditionnels avec ceux, industriels et subventionnés, des pays industrialisés.

Dans les pays dits du Sud, l’effondrement des cultures vivrières qui résulte de cette mise en concurrence sape la base même du développement puisque les flux de nourriture sont inversés : les villes nourrissent les campagnes avec des produits importés ; autrement dit, ce sont les urbains qui nourrissent les paysans ! Symétriquement, les cultures d’exportation prolifèrent, notamment pour alimenter le bétail des pays industrialisés. Au final, les déficits agro-alimentaires se creusent, les pays industrialisés finissent par prétendre nourrir le monde, mais les paysans paupérisés, toujours plus nombreux, ne mangent plus à leur faim !

Sur ces mécanismes pervers viennent se greffer de sinistres considérations géostratégiques : la nourriture peut devenir une arme.

Chacun aura donc compris que la question de la souveraineté alimentaire devient centrale et pèse beaucoup plus lourd que la liberté du commerce. C’est pourquoi nous devons affirmer que la capacité ; pour une entité politique – qu’il s’agisse d’un pays ou d’un groupe de pays –, à maîtriser son alimentation, et par conséquent à développer son propre modèle agricole, à l’abri des turpitudes d’un marché mondial toujours en proie à des fluctuations erratiques, est un droit fondamental.

Alors, que faire ?

D’abord, il faut réaffirmer et appliquer ce principe de souveraineté alimentaire que l’OMC met à mal depuis des décennies en considérant que l’alimentation est un bien comme un autre et qu’il convient de le soumettre aux sacro-saintes lois du marché.

Ensuite, il convient de se rappeler le positionnement audacieux de la Communauté économique européenne qui, en 1962, contre la logique néolibérale du GATT, avait osé mettre en œuvre sa politique agricole commune en protégeant son agriculture du marché mondial.

Aujourd’hui, devant la gravité de la crise alimentaire, et au nom du droit à l’alimentation ratifié par la majorité des pays via la Déclaration universelle des droits de l’homme, il nous faut, je le dis sans ambages, faire sortir l’agriculture de l’OMC et de sa logique aveugle !

Cette nouvelle orientation passe par l’application de dispositions claires.

La première consiste à mettre en place des marchés locaux et régionaux protégés de la concurrence déloyale provoquée par la surproduction des agricultures industrielles et subventionnées des pays industrialisés.

La deuxième suppose la modification des accords de partenariat économique, ou APE, qui imposent aux pays ACP – Afrique, Caraïbes et Pacifique –, toujours au nom de l’OMC, l’ouverture de leurs marchés aux exportations européennes.

La troisième réside dans la mise en œuvre d’un moratoire mondial sur les agro-carburants, qui, selon Edgard Pisani, constituent « un obstacle considérable et insurmontable à l’équilibre alimentaire du monde ».

La quatrième consiste à supprimer toutes les subventions aux exportations et, pour ce qui concerne l’Union européenne, les fameuses restitutions à l’exportation ; sur ce point très précis, je ne serai pas en contradiction avec l’OMC.

Va-t-on prendre cette direction ? À la fin du mois de janvier, l’ONU a réuni à Madrid de nombreux acteurs internationaux de premier plan pour aborder la question essentielle de la « sécurité alimentaire pour tous ». On y a lancé l’idée d’ouvrir un nouvel espace de discussion, « un partenariat mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire ». Cette proposition rejoint celle d’Edgard Pisani, qui affirmait encore lors de la table-ronde que j’évoquais : « Je crois absolument nécessaire la création d’un Conseil de sécurité alimentaire et environnementale à l’échelle du monde. » En clair, il faut introduire du politique là où l’OMC s’évertue à imposer le seul marché.

Je laisserai le mot de la fin à Guy Paillotin, secrétaire perpétuel de l’Académie d’agriculture et président honoraire de l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, qui concluait notre table-ronde en déclarant : « Je ne suis pas idéologue, je regarde les faits. […] le nombre de personnes qui meurent de faim augmente. […] Or on nous avait dit, et je n’avais pas a priori à récuser cette idée, que le libre-échange des marchandises ferait que ce nombre diminuerait. Donc, ce n’est pas vrai. »

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’OMC doit être remise à sa place pour que l’agriculture puisse répondre à sa vocation fondamentale, qui est de nourrir les hommes, afin que cesse enfin le scandale de la faim.

La France et l’Europe, au nom de leurs valeurs fondatrices, doivent prendre leurs responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean Desessard. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux que la première occasion de m’exprimer publiquement non plus comme responsable des affaires européennes, mais en tant que ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche, me soit donnée au Sénat.

Cela étant, comme l’ont signalé les différents intervenants, les champs que recouvrent ces deux départements ministériels ont entre eux des relations liens plus qu’étroits.

Quoi qu'il en soit, je n’ignore pas les relations existant entre le Sénat et le monde agricole. C’est pourquoi le fait que je sois amené à prononcer devant vous ma première intervention dans mes nouvelles fonctions est chargé de signification. En tout cas, c’est avec beaucoup de plaisir que je parle ici ce matin.

M. Charles Revet. Plaisir partagé, monsieur le ministre !

M. Bruno Le Maire, ministre. Il y a un point sur lequel je serai d’accord avec l’ensemble des intervenants et que je souhaite donc souligner d’emblée : comme l’ont rappelé M.M Jean-Pierre Chevènement, Jean Bizet, Aymeri de Montesquiou et Jacques Muller, le secteur agricole présente un caractère essentiel et stratégique dans la vie économique internationale. C’est un secteur qui, Jean-Pierre Chevènement l’a fort justement dit, fait vivre directement ou indirectement des millions de personnes dans le monde, qui représente, dans certains pays en voie de développement, une part très importante de la population active, occupant, par exemple, 800 millions de personnes en Inde.

Il s’agit d’un secteur clé, car lui seul permettra de garantir l’alimentation d’une population mondiale qui, M. Muller l’a rappelé, reste en forte augmentation. Lui seul garantira aussi une alimentation saine face à des crises sanitaires qui inquiètent de plus en plus nos concitoyens. La question de la sécurité alimentaire a été à juste titre mise en avant par Odette Herviaux.

L’agriculture et l’alimentation sont donc clairement des enjeux mondiaux, et il faut les considérer comme tels même quand notre priorité est de défendre les intérêts de nos agriculteurs et de nos pêcheurs nationaux.

Deux processus sont en cours, qu’il nous faut gérer de front : d’un côté, la négociation internationale dans le cadre de l’OMC, qui fait l’objet du présent débat et sur laquelle Anne-Marie Idrac donnera tous les éclaircissements nécessaires ; de l’autre, la définition d’une nouvelle politique agricole commune.

Le défi, dans les années à venir, consistera à trouver la meilleure articulation possible entre ces deux processus. Mon rôle sera de veiller à ce que le second réponde strictement aux intérêts des agriculteurs et des pêcheurs français.

S’agissant de l’OMC et de la reprise du cycle de Doha, que j’avais déjà eu à traiter dans d’autres fonctions, lorsque je travaillais auprès de Dominique de Villepin, alors Premier ministre, nous sommes allés, pour ce qui concerne l’agriculture, à la limite extrême de ce que nous pouvons accepter, et je le dis avec beaucoup de fermeté et de gravité. Chacun doit entendre ce message : nous n’irons pas plus loin.

M. Charles Revet. Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre. Nous ne sacrifierons pas les intérêts de l’agriculture sur l’autel d’un accord international.

On nous dit qu’il faut achever coûte que coûte la négociation, mais il n’y a aucune raison à cela !

M. Bruno Le Maire, ministre. Quoi qu’il arrive, l’accord doit être équitable et fondé sur des règles de réciprocité.

M. Muller a parlé tout à l’heure des restitutions à l’exportation. Je ne vois pas pourquoi nous, Européens, abandonnerions ces restitutions si, de leur côté, les autres pays ne renoncent pas à l’ensemble des aides directes qu’ils apportent à l’exportation, qu’il s’agisse d’aide alimentaire en nature, comme aux États-Unis, de crédits à l’exportation, comme au Brésil, ou de monopoles d’État pour les exportations agricoles, comme en Australie et en Nouvelle-Zélande.

MM. Jean-Paul Emorine et Charles Revet. Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre. Regardons le monde tel qu’il est, avec lucidité, sans naïveté. Oui à l’amélioration du commerce, oui au commerce équitable, mais oui surtout à la défense des intérêts européens et à la règle stricte de la réciprocité et de l’équité !

Je le redis : nous n’irons pas, en matière agricole, au-delà de ce que nous avons déjà concédé.

Pour ce qui est, maintenant, du processus concernant la politique agricole commune, qui m’occupera, bien sûr, tout particulièrement dans le poste que viennent de me confier le Premier ministre et le Président de la République, nous serons guidés par l’idée selon laquelle l’agriculture et son avenir se jouent avant tout en Europe.

Il a été question du découplage des aides. Il s’agit en grande partie d’un débat aujourd’hui dépassé dans la mesure où aucun État membre n’est prêt à revenir en arrière. Le découplage a eu effectivement, comme l’a souligné Jean-Pierre Chevènement, des effets néfastes sur certains territoires fragiles ; je pense en particulier à l’agriculture de montagne.

Nous avons donc, à l’occasion du bilan de santé de la PAC, mis en place un certain nombre d’outils qui se sont révélés adaptés pour remédier à ces difficultés. Je crois d’ailleurs qu’en matière agricole la lucidité, la régularité des révisions, ainsi que la capacité à revenir sur ses erreurs et à s’apercevoir que certains choix n’ont pas toujours été les bons, sont absolument essentielles.

M. Aymeri de Montesquiou. C’est en effet très important !

M. Bruno Le Maire, ministre. Et, avec le bilan de santé de la PAC, en instaurant de nouvelles mesures de régulation du marché, en particulier des aides ciblées pour des agricultures plus fragiles comme l’agriculture de montagne, nous avons répondu à des difficultés qui avaient émergé à la suite des choix qui avaient été faits.

Je sais que le bilan de santé de la PAC est souvent critiqué. Il ne faut pourtant pas en ignorer les aspects positifs, notamment en matière d’agriculture durable. Grâce à lui, en effet, nous avons réussi à faire progresser certaines filières, certains types de culture et d’élevage correspondant à la fois aux intérêts des agriculteurs et à la sécurité alimentaire que demandent nos concitoyens. Je pense en particulier au développement de l’élevage à l’herbe et à celui des produits biologiques.

Il s’agit là très exactement de ce qui peut constituer l’avenir du monde agricole – mais aussi, avec ses spécificités propres, de celui du monde de la pêche. Jean Bizet a tracé des perspectives très utiles sur ce sujet. J’aurai l’occasion d’y revenir, car c’est un point clé de la stratégie que nous voulons mettre en œuvre pour l’agriculture française.

La question des quotas laitiers a également été abordée par beaucoup d’entre vous et, dans la mesure où nous aurons tout à l’heure un débat sur ce thème, je me contenterai, en cet instant, de faire quelques remarques, en commençant par un bref rappel historique.

Vous savez tous que les quotas laitiers ont été créés en 1983 pour une durée limitée et afin de faire face à un problème de surproduction. La décision de les suspendre et même de les supprimer a été prise dès 1999. Cela ne date donc ni d’hier ni même d’avant-hier ! En 2003, nous avons décidé de les prolonger jusqu’en 2015. Nous venons de fixer deux rendez-vous, l’un en 2010, l’autre en 2012, pour poser la question de leur avenir. Il est donc caricatural de prétendre, comme on l’entend parfois, que les quotas sont supprimés !

Il a par ailleurs été décidé que chaque État membre pourrait augmenter ses quotas de 1 %. En France, vous le savez, nous avons décidé de geler cette hausse pour la campagne 2009-2010.

Voilà la situation actuelle. Comment pouvons-nous essayer de l’améliorer ? Comment remédier aux difficultés que continuent de rencontrer les producteurs laitiers et, surtout, répondre à leur détresse ?

J’ai eu l’occasion de rencontrer à plusieurs reprises des producteurs laitiers, en particulier en Haute-Normandie, dans les départements de mes amis Charles Revet et Joël Bourdin, et j’ai pu mesurer l’ampleur de leur détresse.

Comme pour le secteur agricole dans son ensemble, nous devons avancer dans deux directions, qui seront d’ailleurs des axes stratégiques de la politique que j’adopterai à la tête de ce ministère.

Première direction : la nécessaire régulation de la production. Quoi qu’il arrive, même si l’on supprime certains instruments, nous avons besoin, en matière agricole, de réguler la production. La liberté absolue, la concurrence absolue ont montré leurs limites ; c’est aussi vrai dans le domaine de l’industrie et des services que dans celui de l’agriculture.

Je me battrai donc pour qu’une régulation de la production s’applique dans le domaine laitier.

M. Charles Revet. Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre. C’est du reste ce que Michel Barnier commencé à obtenir lors du Conseil des ministres de l’agriculture du 25 mai dernier, à travers deux mesures importantes : d’une part, la possibilité d’utiliser les outils d’intervention tant que le marché l’exigera ; d’autre part, le paiement anticipé des aides aux producteurs dès le 16 octobre, au lieu du 1er décembre.

Pour ma part, je vais entreprendre trois démarches pour défendre cette idée de régulation de la production et promouvoir des décisions dans ce sens. Aujourd'hui même, à l’occasion d’un déjeuner avec Mme Fischer Boel, je vais lui expliquer ma conception de la régulation de la production dans le secteur laitier. Je me rendrai par ailleurs très prochainement en Allemagne, qui est en l’espèce sur la même ligne que nous, pour discuter avec mon homologue allemande des moyens de faire prévaloir notre position. Enfin, j’irai la soutenir à Bruxelles auprès d’autres représentants de la Commission. J’ai l’avantage de bien connaître les arcanes de cette noble institution européenne et donc de pouvoir y défendre le plus fermement possible les vues du Gouvernement français.

Il a également été question du Conseil européen des 18 et 19 juin dernier, auquel j’ai participé aux côtés du Président de la République et du Premier ministre. Je puis vous dire que, contrairement à ce que laissaient entendre des rumeurs véhiculées par la presse – qu’il ne faut pas toujours écouter ! –, il y a eu, sur le sujet du lait comme sur beaucoup d’autres, une identité de vue totale entre Mme Merkel et M. Sarkozy. Je me suis fortement employé pendant six mois à ce qu’il en soit ainsi, vous le savez, et je compte continuer à le faire au poste que j’occupe aujourd'hui.

Le Président de la République et la Chancelière allemande ont effectivement souhaité que la Commission rende des comptes sur la situation des producteurs laitiers en France et en Europe. Nul ne peut ignorer la détresse des producteurs laitiers dans l’ensemble de l’Union européenne. Personne ne peut dire que les choses vont bien ! Personne ne peut estimer que les bonnes décisions ont été prises dès lors qu’un tel mouvement se développe, qu’une telle désespérance s’installe chez les producteurs laitiers d’Europe !

Il faut donc trouver rapidement des solutions. C’est ce que la France et l’Allemagne ont fait valoir conjointement, c’est ce que nous avons obtenu puisque le Conseil européen demande formellement à la Commission dans ses conclusions de lui remettre, dans les deux mois, des propositions concernant le secteur laitier.

La deuxième direction stratégique dans laquelle nous travaillerons, après la régulation de la production et la mise en place de règles cohérentes pour les marchés, c’est l’innovation et l’excellence rurales. Je ne m’attarderai pas sur ce sujet, car j’aurai l’occasion d’y revenir ultérieurement. Au demeurant, je considère que Jean Bizet l’a remarquablement traité.

Nous constatons tous, dans nos territoires, dans nos circonscriptions, dans nos régions, qu’il n’y a pas d’autre avenir pour le secteur agricole que celui de l’innovation perpétuelle et de la recherche constante de l’excellence rurale. Nos agriculteurs s’y engagent d'ailleurs jour après jour avec beaucoup de détermination et de savoir-faire, en faisant preuve d’un sens de l’innovation et de la technologie…

M. Charles Revet. Remarquable !

M. Bruno Le Maire, ministre. … parfois beaucoup plus poussé que ceux qui leur reprochent de ne pas être assez audacieux en la matière.

La révision de la stratégie de Lisbonne sera l’un des grands enjeux européen de l’année 2010. Ce sera une priorité de la présidence suédoise, puis de la présidence espagnole. J’avais déjà proposé à plusieurs reprises que nous y incluions des critères contraignants en matière d’innovation et de recherche pour que tous les pays suivent le rythme et que la France et l’Allemagne, notamment, ne soient pas les seules à en supporter le coût. Il me paraîtrait donc utile que la révision de la stratégie de Lisbonne comporte un volet spécifique pour l’agriculture, la pêche et l’alimentation.

En conclusion de ma première intervention dans cet hémicycle en tant que ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, je tiens à vous dire que j’aurai toujours un grand plaisir à enrichir ma réflexion par un dialogue avec l’ensemble du Sénat. (Applaudissements sur les travées de lUMP et sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat vient à point nommé et je tiens à remercier M. Jean-Pierre Chevènement de l’avoir suscité.

Ce débat nous donne d’abord l’occasion de prendre un peu de recul pour examiner à froid l’état des négociations du cycle de Doha après l’échec enregistré au mois de juillet 2008.

Sous la présidence française de l’Union européenne, j’avais conduit, en tandem avec Michel Barnier, les travaux du Conseil de l’Union européenne.

Les élections américaines et, dans une moindre mesure, les élections indiennes ont provoqué une pause politique à Genève. Les gouvernements sont à présent en place, les nouveaux négociateurs ont été nommés. Une réunion des ministres du commerce de l’OCDE a d'ailleurs lieu aujourd'hui même à Paris, et j’aurai l’occasion de les y rencontrer.

Ce débat est également bienvenu puisque, le lendemain même de la formation du Gouvernement, il permet de présenter au Sénat le nouveau binôme que Bruno Le Maire et moi-même formons désormais : nous serons en première ligne, à Bruxelles et à Genève, pour porter la voix de la France.

Je me réjouis de renouveler, avec ce débat, l’expérience que nous avions menée l’année dernière, avant les négociations du cycle de Doha, négociations qui ont duré, je vous le rappelle, une dizaine de jours. Le président de la commission des affaires économiques, M. Jean-Paul Emorine, avait en effet organisé une réunion très intéressante au cours de laquelle le sénateur Jean Bizet avait déjà fait la preuve de sa compétence.

M. Charles Revet. C’est vrai !

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. Les éléments de réponse que je voudrais vous apporter s’articulent autour de cinq points.

Premièrement, ces dernières années de négociations ont abouti à un point très positif pour l’Europe : à la différence des sessions précédentes de Hong-Kong, l’agriculture européenne n’était plus « dans le collimateur » ; elle a cessé, l’année dernière, à Genève, de focaliser les critiques.

Comme plusieurs d’entre vous l’ont rappelé, le blocage des négociations provenait d’un conflit entre l’Inde et les États-Unis sur les sauvegardes spéciales, c’est-à-dire sur la possibilité pour les pays en développement de réagir à une trop forte augmentation des importations, susceptible de mettre en péril leur agriculture domestique.

Deuxièmement, comme l’a indiqué Bruno Le Maire, la Commission européenne a des lignes rouges à respecter dans les négociations. Il existe une limite ultime, et l’Union européenne, représentée par le commissaire au commerce et par le commissaire à l’agriculture, n’ira pas plus loin. La proposition agricole telle qu’elle a été exprimée l’an dernier dans ce que l’on appelle le « projet de modalités » détermine l’effort maximal que peut fournir l’Union européenne pour parvenir à la conclusion du cycle.

Comme vous le savez, le Gouvernement français est déterminé à ce qu’un accord sur l’agriculture à l’OMC n’oblige pas l’Union européenne à réviser la PAC, réformée en 2003 et confortée récemment par le bilan de santé. Bruno Le Maire a dit cela mieux que je ne saurais le faire, mais je voulais vous assurer, s’il en était besoin, de notre totale cohésion.

Nous avons clairement déclaré que nous ne pourrions donner notre accord à un texte agricole qui nous priverait de leviers de régulation du marché agricole communautaire. Cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant, surtout quand le ministre de l’agriculture n’est pas le seul à le dire, et Bruno Le Maire ne m’en voudra pas d’apporter cette précision. (Sourires.)

Le président de la Commission européenne, M. Barroso, a d'ailleurs pris la mesure de la détermination du Président Sarkozy et de notre gouvernement puisqu’il est précisé dans son projet pour les cinq ans à venir qu’il s’attachera à défendre la PAC.

Troisièmement, on ne peut pas dire, comme Jean-Pierre Chevènement l’a laissé entendre, que l’agriculture pourrait être sacrifiée au profit des intérêts industriels et des services. Je veux vous rassurer, monsieur le sénateur : non, l’agriculture n’est pas la variable d’ajustement. Elle fait au contraire l’objet d’une attention particulière dans la pondération globale des intérêts offensifs et défensifs de l’Union européenne.

C’est même sans doute l’inverse qui est vrai : l’Union européenne a clairement choisi de modérer ses prétentions ou ses ambitions en matière d’accès aux marchés industriels ou de services, de manière à sanctuariser autant que possible notre position agricole face à des pays émergents comme le Brésil, qui sont prompts à nous reprocher de vouloir agir sur les deux tableaux.

C’est la raison pour laquelle nous pensons que l’étape de juillet 2008 n’est pas mauvaise et que le travail doit se poursuivre sur cette base.

Quatrièmement, cette base est cependant loin d’être figée : il n’y a pas à proprement parler de « paquet » de juillet 2008. De trop nombreux paramètres restent « ouverts » pour que nous puissions baisser les bras ou adopter une position définitive d’adhésion ou de rejet. La vigilance continue à s’imposer, et c’est pourquoi il est particulièrement important de pouvoir associer la représentation nationale, notamment le Sénat, ainsi que les professionnels, à ce travail commun.

Parmi les sujets qui ne sont pas réglés, certains ne sont pas minces : je pense au coton ou encore à la banane, qui concerne plusieurs de nos régions d’outre-mer.

Par conséquent, notre intention n’est pas du tout d’obtenir un accord coûte que coûte : si l’accord nous convient, tant mieux ; s’il ne nous convient pas, nous n’y adhérerons pas.

Cinquièmement, enfin, je voudrais rappeler que nous nous voulons également offensifs dans la négociation à l’OMC. Chargée du commerce extérieur de la France, je suis heureuse de pouvoir compter sur l’excédent du commerce des denrées agricoles et agroalimentaires pour compenser de terribles déficits, celui de la filière automobile entre autres.

Je compte, avec Bruno Le Maire, intensifier encore la professionnalisation de l’ensemble de la filière agricole à l’international. Parmi nos sujets offensifs figure la question des appellations d’origine, des indications géographiques, qui font partie des spécificités européennes, comme l’a fort bien souligné Jean Bizet.

Tels sont les éléments qu’il convient de garder à l’esprit s’agissant du cycle de Doha.

Nous avons certes fait admettre à nos partenaires des lignes rouges, mais nous voulons aller plus loin : nous voulons qu’il y ait un « après-Doha ».

M. Charles Revet. Très bien ! Il faut y travailler dès maintenant !

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. D’ailleurs, nous commençons à tracer des pistes à cet égard.

Nous sommes confrontés à une crise non seulement financière, mais également alimentaire, environnementale et des matières premières. Il faut donc une réponse multilatérale face à de nouveaux défis, aux premiers rangs desquels figurent bien évidemment la sécurité alimentaire et la protection de l’environnement.

C’est la raison pour laquelle le Président de la République s’est exprimé à plusieurs reprises, que ce soit devant la FAO au printemps dernier ou à l’occasion de son récent discours devant le Congrès, pour appeler à de meilleures coordinations avec des enceintes multilatérales telles que la FAO, justement, ou l’Organisation mondiale de l’environnement. Voilà qui répond aux préoccupations exprimées notamment par Mme Odette Herviaux.

Dans le même ordre d’idée, nous souhaitons davantage de réciprocité et de loyauté dans le commerce international. Je reprendrai d’ailleurs, avec sa permission, la formule de Jean-Pierre Chevènement, qui plaidait pour une « concurrence équitable ».

En écoutant les différents orateurs qui se sont succédé, j’ai ressenti une véritable convergence de vue sur cette idée d’une « concurrence équitable », sur le refus de banaliser l’agriculture et sur l’appel à une régulation des échanges. Comme le soulignait Jean Bizet, nous sommes à la recherche d’un équilibre entre ouverture et protection.

M. Charles Revet. Très bien !

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. Nous faisons le même constat : à un moment où notre monde a tant besoin de régulation, l’OMC est une instance de régulation comme il en existe peu.

Qu’il s’agisse du Gouvernement ou de la représentation nationale, nous partageons tous la volonté de défendre une agriculture à la fois capable d’assurer la sécurité alimentaire et fidèle à notre modèle. (Applaudissements sur les travées de lUMP et sur certaines travées du RDSE.)