Mme la présidente. La parole est à Mme Muguette Dini.

Mme Muguette Dini. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, pour une femme ou une adolescente, le risque d’être victime de maltraitance ou d’agression sexuelle est plus grand au domicile que dans la rue. Ce constat est encore plus vrai quand il s’agit d’un enfant. Tous les professionnels le disent : la plupart des abuseurs sexuels se trouvent au sein de la famille.

Le droit pénal français prend partiellement en compte les particularités de ces crimes. Pour autant, les spécificités de l’inceste méritent-elles qu’il soit nommé comme un crime différent ? À cette question, les victimes d’inceste répondent par l’affirmative.

Il est vrai que le terme « inceste » n’est inscrit ni dans le code civil ni dans le code pénal. Alors que l’anthropologue, le sociologue, le psychanalyste, l’ethnologue et l’éthologue se sont tous penchés sur l’étude de l’inceste, le juriste lui consacre très peu d’écrits. Le mot n’apparaît que très rarement ! Tout se passe comme si la règle morale sous-jacente aux règles juridiques allait tellement de soi qu’il n’était point besoin, pour notre droit, d’en dire plus.

Étymologiquement, le mot « inceste » va dans le sens d’un interdit social : le dictionnaire de l’Académie française, dans ses vieilles éditions, l’a défini comme la « conjonction illicite entre les personnes qui sont parentes ou alliées au degré prohibé par les lois », cependant que le Littré évoque une « union illicite ».

Au vu de ces premiers éléments, il est clair que la notion d’« inceste » est sous-tendue par celle de famille, voire de parenté. Il n’y a pas d’inceste sans famille au sens large.

Notre droit ne donne pas de définition de l’inceste. Toutefois, les auteurs sont unanimes sur le fait que l’interdit de l’inceste, quoique non désigné explicitement dans les textes, n’en a pas moins été et demeure l’un des fondements mêmes du droit familial et un pilier essentiel de notre société.

Ainsi, notre droit positif civil comporte des dispositions relatives au mariage et à la filiation qui se rattachent à cette notion. Le code civil interdit l’union incestueuse et, dans le prolongement de cette interdiction, pose l’obligation de trouver son partenaire sexuel à l’extérieur de la famille.

Cette prohibition a traversé toutes les réformes du code civil. Un homme ne peut et n’a jamais pu épouser sa mère, ni sa grand-mère, ni sa sœur, ni, en ligne descendante, sa fille ou sa petite-fille. De la même façon, une femme ne peut épouser son père, son grand-père, son fils, son petit-fils, ou encore son frère.

La loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité, le PACS, a posé le même principe de prohibition. En effet, l’article 515-2 du code civil dispose que, « à peine de nullité, il ne peut y avoir de pacte civil de solidarité entre ascendant et descendant en ligne directe [...] et entre collatéraux jusqu’au troisième degré inclus ».

Mais on sait aussi que, actuellement, les couples se forment sans mariage ni pacte civil de solidarité et que certains sont construits sur une situation d’inceste.

La filiation incestueuse s’avère elle aussi indirectement prohibée : l’enfant né de relations incestueuses ne verra sa filiation légalement établie qu’à l’égard de l’un des deux auteurs de l’inceste.

Sur le plan pénal, l’inceste est également réprimé. Il est reconnu comme circonstance aggravante du crime de viol et des délits d’agression sexuelle ou d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans par une personne ayant autorité.

Faut-il en rester là ? Les victimes d’inceste nous demandent d’aller plus loin : elles demandent qu’il soit reconnu que l’inceste n’est jamais pris en considération isolément, qu’il est toujours appréhendé en même temps que tous les autres crimes d’abus d’autorité.

Depuis plusieurs années, sortant de leur silence, les victimes d’actes incestueux parlent, et les poursuites pour des faits de cette nature se multiplient sans que ceux-ci soient jamais qualifiés comme tels.

La répression pénale s’est accrue, notamment depuis la réouverture des délais de prescription par la loi du 10 juillet 1989. Désormais, rien ne fait plus obstacle à une action tardive de la part de personnes majeures ayant été victimes d’un inceste pendant leur minorité.

Toutefois, les victimes ont besoin que les faits soient posés par des mots justes : la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui leur donne satisfaction.

Aucune nouvelle infraction n’est créée, mais, comme je l’indiquais au début de mon propos, ce crime est nommé dans sa spécificité et, de ce fait, reconnu. Surtout, la proposition de loi reconnaît la notion de « contrainte morale » pouvant résulter de la différence d’âge entre la victime mineure et l’auteur des faits ainsi que de l’autorité de droit ou de fait que le second exerce sur la première.

Dans la rédaction actuelle du code pénal, quatre facteurs permettent de constituer une agression sexuelle : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Or ils ne se retrouvent pas dans les cas d’agression sexuelle intrafamiliale. Le parent n’a pas besoin de se montrer violent avec l’enfant ; les menaces sont souvent postérieures à l’acte, et donc inopérantes ; la surprise, quant à elle, est insuffisante pour rendre compte de la pérennité du phénomène.

La victime est dans une situation très particulière par rapport à l’auteur de l’infraction : elle vit avec lui, mais surtout, souvent, elle l’aime. Ainsi, la situation de l’enfant victime de son parent est une manifestation de l’absence de consentement. Cette dépendance, cette autorité, font de l’inceste un crime différent des autres et créent les conditions du particularisme que réclament les victimes.

Dans cette proposition de loi, l’inceste entre personnes majeures n’est pas évoqué puisqu’il est présupposé que dans ce cas aucune contrainte n’est exercée. Il ne faut cependant pas oublier que, sur le plan de l’interdit social, toute relation sexuelle intrafamiliale reste un inceste. C’est pour insister sur la différence entre inceste imposé et inceste consenti que j’ai cosigné l’amendement de mon collègue François Zocchetto visant à modifier l’intitulé de la proposition de loi.

Je terminerai mon propos en abordant un point qui me paraît incontournable : la prévention.

Nous avons le devoir de faire changer les mentalités. Le travail sera long. Aussi convient-il de l’entamer au plus vite, en particulier à l’école et dans les lieux de loisirs fréquentés par les enfants et les adolescents.

C’est à cette condition que nous pourrons espérer une prise de conscience rapide chez les enfants victimes d’inceste, et c’est à cette condition qu’ils seront moins nombreux, on peut l’espérer, à connaître ce traumatisme. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste, de lUMP et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui aborde l’horreur que représente l’inceste sur les mineurs.

Comme ma collègue Muguette Dini vient de le souligner, nous savons très bien que le sens anthropologique et le sens juridique de l’inceste ne recouvrent pas le même champ, le premier étant plus large que le second.

En effet, si le droit ignore les cas dans lesquels les adultes sont consentants – seule l’interdiction du mariage peut leur être imposée –, il reconnaît les actes d’inceste commis sur les enfants, bien que celui-ci ne soit pas nommé en tant que tel dans le code pénal.

Malgré cela, il faut bien en convenir, la loi restera impuissante tant que les faits demeureront ignorés par la société. C’est le silence entourant l’inceste qui caractérise les difficultés rencontrées par les professionnels pour l’identifier, le prévenir et le sanctionner.

Par ailleurs, tout le monde le sait, la grande majorité des abus sexuels dont sont victimes les enfants sont commis dans le cadre de la famille ou des proches. Pourtant, on a du mal à l’admettre et l’on reste plus attentif à ce qui se passe hors du cercle familial. Souvent, le secret de famille reste de mise.

Un enfant victime d’inceste en garde toute la vie une blessure psychique, morale, affective. Il est agressé dans son corps, mais aussi dans son psychisme. Il est trahi par ceux qu’il aime et qui sont censés lui apporter sécurité et amour pour l’aider à se construire en tant que futur adulte.

Cette trahison enferme l’enfant, puis l’adolescent et l’adulte qu’il devient dans un silence infiniment difficile à briser. L’emprise qu’a sur lui l’auteur des faits, le sentiment de honte et de culpabilité qu’il éprouve, la peur d’être puni ou de ne pas être cru, sont si forts qu’ils contribuent à ce silence. La question de la capacité des victimes elles-mêmes à engager une action en justice est donc une question clé.

C’est la raison pour laquelle, en 2004, j’ai contribué, puisque c’est ma voix qui a fait pencher la balance, à ce que le délai de prescription soit porté de dix à vingt ans ; une telle position n’est pas dans mes habitudes ! Si j’ai agi ainsi, c’est qu’hélas, nous le savons tous, il faut parfois avoir atteint l’âge adulte, voire un âge mûr, pour pouvoir parler de certains événements de l’enfance.

La spécificité de l’inceste nécessite-t-elle une modification de la législation pénale, ou plutôt une amélioration profonde de la prévention, de la connaissance du phénomène, de la prise en charge des enfants victimes de violences sexuelles intrafamiliales ? C’est toute la question !

Le code pénal prend déjà en compte la réalité de l’inceste, bien qu’il ne le nomme pas expressément. Jusqu’à présent, le législateur a fait le choix de sanctionner toute atteinte commise, même sans violence, sur un mineur. Le fait que celui-ci ait moins de quinze ans constitue une circonstance aggravante, tout comme le fait que l’agresseur soit un ascendant ou une personne ayant autorité sur la victime ou ayant abusé de l’autorité que lui confèrent ses fonctions.

Les cas de violences sexuelles sur des mineurs au sein de la famille en sont-ils pour autant moins bien pris en compte par les juridictions ? Si ces dernières n’utilisent pas le terme d’inceste, leur sévérité est en revanche réelle. Le problème principal est donc plutôt que ces affaires parviennent jusqu’à elles. Claire Brisset, la Défenseure des enfants, faisait déjà ce constat en 2005 : « De tels actes sont quotidiennement réprimés par les tribunaux correctionnels et les cours d’assises, d’ailleurs avec une sévérité souvent supérieure en France à celle qui existe dans la plupart des autres pays européens. »

La proposition de loi de Mme Marie-Louise Fort, aussi bien dans le texte présenté par son auteur que dans la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale, présentait néanmoins un inconvénient important : elle comportait la stricte énumération des auteurs d’actes incestueux. L’inscription dans le code pénal de cette liste non exhaustive aurait conduit à exclure du champ de l’inceste des cas pourtant vécus comme tels par les victimes.

Notre rapporteur a proposé de ne pas retenir l’énumération initialement prévue et de revenir à la terminologie déjà utilisée dans le code pénal. Je partage cette position – si je ne me trompe, elle a même fait l’unanimité –, car elle me paraît apporter une réponse plus cohérente aux cas d’inceste sur mineur.

Je soutiens également la proposition de nommer l’inceste sur mineur, tant il est vrai que nommer permet de reconnaître les faits et les victimes. Cependant, il faut être prudent.

Comme l’a indiqué le rapporteur, les structures familiales évoluent et évolueront sans doute encore, notamment celles des familles recomposées. Il ne faudrait pas que l’énumération d’un certain nombre de personnes conduise à ignorer d’autres types d’inceste pouvant se produire dans un cadre intrafamilial que ne reconnaissent pas habituellement le code civil ou les habitudes. Je crains donc que l’amendement du Gouvernement, qui tend à réintroduire une liste, ne soit trop précis et, de ce fait même, ne laisse de côté des situations vécues comme des situations d’inceste.

La Défenseure des enfants s’était également interrogée sur ce point et avait estimé qu’il fallait garder une certaine souplesse, non pas, bien entendu, dans l’évaluation de la situation, mais dans la désignation du cadre intrafamilial. Quelle que soit la forme que prend ce dernier, il est, pour les enfants victimes d’inceste, tout aussi important que le serait un cadre familial composé des parents et des frères et sœurs au sens strict.

Je pense donc qu’il faudrait, sur cette question, en rester au texte adopté par la commission des lois.

Par ailleurs, la définition de la contrainte proposée à l’article 1er n’est pas non plus sans poser problème. Je comprends bien qu’elle a pour objet de répondre à la question de l’absence de consentement de l’enfant. Toutefois, il me semble non seulement qu’elle n’y répond pas totalement, mais que, de surcroît, elle crée une certaine insécurité.

Le texte prévoit que la contrainte peut être « physique ou morale », la contrainte morale pouvant « résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ».

La définition retenue présente l’inconvénient de limiter la liberté du juge dans son appréciation de la contrainte qui aura pu être exercée sur l’enfant. Or l’inceste n’est pas nécessairement caractérisé par la différence d’âge entre l’auteur et la victime ; il peut concerner, par exemple, un frère et une sœur. Par ailleurs, on ne sait pas si les deux conditions sont cumulatives.

De manière plus générale, la question du consentement de l’enfant ne se pose pas en ces termes. Certains auteurs considèrent que la victime se trouve dans un état de totale dépendance qui ne lui permet pas de résister à la « demande », si je puis dire. La recherche de l’existence ou de l’absence de consentement de l’enfant est donc, à leurs yeux, un non-sens, puisqu’il n’y a consentement que lorsqu’il y a discernement.

Par ailleurs, la partie consacrée à la prévention des violences et à l’accompagnement des victimes se révèle, je tiens à le souligner, très décevante. Pourtant, la proposition de loi était initialement intéressante.

J’attache également une importance toute particulière à la formation des professionnels. Il est essentiel que ceux-ci disposent des connaissances qui leur permettront de mieux apprécier la parole des enfants et de détecter, parmi les troubles de l’enfant, les signes d’agressions sexuelles sous diverses formes.

Le volet consacré à la prévention et à l’accompagnement des victimes est donc très insuffisant, alors qu’il représente, à mes yeux, une nécessité absolue. Malheureusement, les parlementaires n’ont pas la possibilité de décider eux-mêmes d’y consacrer des deniers publics.

Pour cette raison essentielle, le groupe CRC-SPG a décidé de s’abstenir sur cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, l’examen de cette proposition de loi exige d’autant plus d’humilité qu’elle touche un domaine où la raison le cède souvent à l’émotion, ce qui est parfaitement compréhensible.

Permettez-moi de saluer la contribution de notre collègue députée Marie-Louise Fort, dont les travaux et la réflexion ont été menés, très en amont, dans le prolongement de la mission confiée à Christian Estrosi, ainsi que l’apport de la commission des lois et de son rapporteur, notre collègue Laurent Béteille.

L’inceste produit intuitivement en nous un mélange d’incompréhension et de répulsion. Il transgresse les structures fondamentales de l’organisation de nos sociétés et porte une atteinte intolérable à la dignité de ses victimes, le plus souvent mineures ou handicapées.

Les statistiques peinent à donner une image réelle de l’inceste en France. En extrapolant le nombre d’affaires portées devant la justice, on estime à deux millions le nombre de personnes ayant subi, durant leur enfance, un rapport ou une tentative de rapport sexuel forcé de la part d’un père, beau-père ou autre membre de la famille. Environ 20 % des procès d’assises ont trait à des affaires d’inceste. Tous les enfants sont concernés, quel que soit leur âge, y compris les nourrissons. Phénomène beaucoup moins connu, l’inceste par ascendant peut également être le fait de la mère.

L’inceste constitue la violation la plus totale des droits de la personne et s’apparente à l’une des formes les plus évoluées de la barbarie humaine. Combien de victimes ont trouvé dans la mort la seule réponse à leur souffrance ?

Les conséquences de l’inceste sont toujours graves : suicide, anorexie, boulimie, automutilation, toxicomanie, prostitution, alcoolisme, dépression, trouble bipolaire…

Les cliniciens et professionnels de santé sont unanimes : un abus sexuel intrafamilial – il s’agit le plus souvent d’un acte commis par un père sur sa fille – est un événement traumatisant qui laisse des blessures psychologiques irréversibles. Or l’inceste n’est pas uniquement une affaire de famille, c’est un problème de santé publique, et même un problème de société en ce qu’il insulte nos valeurs. C’est pourquoi il nous appartient de donner aux pouvoirs publics tous les outils permettant non seulement de le combattre et de le réprimer, mais aussi, et surtout, de le prévenir.

Il convient d’inscrire en tant que telle la qualification juridique de l’inceste dans le code pénal. Cette reconnaissance par la loi constituera, à n’en pas douter, un élément important pour les victimes dans leur thérapie : appeler les choses par leur nom empêche le refoulement et le déni de la réalité ; nier l’inceste, c’est se faire complice de l’agresseur.

La proposition de loi que nous examinons place la victime au centre de la problématique ; elle n’a pas pour objet d’aggraver les peines encourues pour les viols, agressions sexuelles et atteintes sexuelles commis de façon incestueuse.

L’article 1er établit une présomption irréfragable d’absence de consentement du mineur victime de viol ou d’agression sexuelle.

Jusqu’à présent, pour reconnaître la constitution de ces deux infractions, la Cour de cassation exigeait que leur commission ait eu lieu avec violence, menace, contrainte ou surprise. Malgré un certain infléchissement de la jurisprudence, ce raisonnement conduit à ce qu’un mineur, en fin de compte, doive prouver qu’il n’était pas consentant, traumatisme venant s’ajouter à celui qui est inhérent à ce type d’acte. Nombre de juridictions pénales ont ainsi été amenées à requalifier un viol ou une agression sexuelle en atteinte sexuelle, délit pour lequel la loi prévoit des peines moins sévères.

La présente proposition de loi apporte donc bien plus qu’une précieuse mise au point sur cette question. En effet, dans le cas de l’inceste, l’agresseur appartient à la sphère quotidienne de la victime ; il assume un rôle d’autorité légitime envers elle et exploite ce modèle socialement accepté de domination pour contraindre la victime, souvent sans violence ni menace, à l’acte sexuel. Les enfants sont projetés hors de leur univers, sans repères ni défense. La force et l’autorité écrasante de l’agresseur les rendent muets, et peuvent même parfois leur faire perdre conscience.

L’accompagnement des victimes est fondamental. À cet égard, il est regrettable que l’article 6, qui prévoyait la création de centres de référence pour les traumatismes psychiques, soit tombé sous le coup de l’article 40 de la Constitution.

L’article 6 bis, quant à lui, ouvre aux associations de lutte contre l’inceste la possibilité de se porter partie civile. Cette mesure est importante, car, malgré l’aménagement d’un délai de prescription spécifique qui ne court qu’à la majorité de la victime, celle-ci ne porte pas toujours l’affaire en justice. Personnellement, je serais même favorable à ce que ces crimes soient imprescriptibles.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Surtout pas !

M. Gilbert Barbier. De la même façon, la nomination d’un administrateur ad hoc, que la commission des lois souhaite systématique, contribuera à éloigner la victime de la cellule familiale qui n’a pas su la protéger.

De plus, la création de circonstances aggravantes nouvelles plutôt que d’une nouvelle infraction permettra d’appliquer immédiatement les dispositions du texte aux procédures en cours.

Au-delà des atteintes corporelles, les séquelles psychologiques, au premier rang desquelles la culpabilisation, constituent un second traumatisme pour les victimes, frappées en quelque sorte d’une double peine. Ces séquelles sont malheureusement souvent présentes tout au long de la vie, et ce en dépit du travail thérapeutique. La prise de conscience des faits n’est pas une acceptation, car l’inceste demeure inacceptable. Les victimes doivent non pas vivre en oubliant, mais vivre avec ce poids, en donnant à la vie tout son sens. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage au travail de la communauté éducative, qui est le premier interlocuteur des jeunes victimes.

Assigner aux établissements scolaires une mission particulière de pédagogie et d’information sur ces sujets me paraît donc souhaitable. Des débats à l’école pourront peut-être libérer la parole des victimes ou leur faire prendre conscience de l’anormalité de ce qu’elles ont vécu.

Ce texte a le grand mérite d’apporter une réponse pénale plus claire aux souffrances des victimes d’inceste. Sans céder à une malheureuse démagogie, il s’adresse aussi aux victimes silencieuses et aux victimes refoulées en affirmant que la société est prête à les entendre.

L’inceste est plus qu’un viol, car il brise le caractère protecteur qui fait de la famille l’un des socles de notre société et annihile irrémédiablement les repères qu’un enfant doit acquérir. Mettre des mots sur les actes, punir ceux qui les commettent, c’est aider les victimes à retrouver leur dignité.

Le groupe du RDSE votera unanimement cette proposition de loi amendée. (Applaudissements sur les travées du RDSE ainsi que sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise doit être examinée avec prudence. Même si nous devons d’abord penser aux victimes de l’inceste, l’émotion ne doit pas prendre le pas sur la raison.

Certes, l’émotion est forte lorsque l’on pense aux victimes, aux témoignages bouleversants que certaines ont osé livrer, aux personnes qui, toute leur vie, ont été hantées par l’inceste. Que l’on songe aux chansons de Barbara ! M’exprimant en présence d’un spécialiste de son œuvre, notre collègue Jean-Pierre Sueur, j’avancerai avec prudence. Je crois cependant pouvoir l’affirmer : il aura fallu attendre que Barbara publie ses mémoires et ose dire ce qu’elle avait vécu pour que, finalement, nous puissions comprendre tout le sens d’Au cœur de la nuit, de L’Aigle noir, ou encore de Nantes, où elle raconte comment, appelée au chevet de son père mourant, de ce père qu’elle n’avait jamais plus revu, elle était arrivée trop tard pour le retrouver avant « l’heure de sa dernière heure ».

Oui, l’inceste provoque des traumatismes aux conséquences graves et indélébiles, tout au long de la vie, non seulement sur la santé physique, psychologique et mentale, mais aussi sur la vie affective, familiale et sociale des victimes, sur leur comportement. Il s’agit là d’un véritable meurtre psychique.

L’inceste touche à l’inavouable. L’interdit est universel, le tabou structure pratiquement toutes nos sociétés, quelles qu’elles soient, sauf peut-être quelques sphères très élevées de sociétés très anciennes, comme ce fut le cas en Égypte. Claude Lévi-Strauss y voit même le fondement des sociétés au sens où le tabou de l’inceste oblige à sortir du premier cercle pour constituer la société et contraint ainsi à élargir le cercle social. Freud, on le sait, a bâti toute sa théorie sur l’inceste entre Œdipe et sa mère. Je suppose cependant que tous deux étaient majeurs …

La demande des victimes est que l’inceste soit nommé afin qu’il soit mieux stigmatisé et qu’elles puissent ainsi, pensent-elles, mieux accomplir le travail psychologique indispensable pour se reconstruire, pour retrouver leur véritable personnalité, alors qu’elles ont été agressées au sein même de la cellule familiale censée les protéger. Pour autant, est-ce vraiment l’objet d’une loi que de compléter le travail des psychiatres et des psychologues ?

Si cette proposition de loi est votée, le ministère de la justice disposera demain de statistiques sur le nombre de condamnations pour inceste ; sur le fond, son adoption ne changera vraisemblablement rien.

La raison nous commande d’examiner sérieusement ce texte sur le plan juridique. Certes, aujourd'hui, l’inceste ne figure pas comme incrimination spécifique dans le code pénal, mais la notion apparaît dans le code civil, à travers toutes les prohibitions au mariage, au PACS et – ce fut un apport du Sénat – au concubinage, et correspond bien au tabou universel de l’inceste entre les membres d’une même famille, quel que soit leur âge. Or, avec la proposition de loi, on arrivera à ce que deux définitions de l’inceste, totalement différentes, soient inscrites l’une dans le code civil, l’autre dans le code pénal. De mon point de vue, c’est une très mauvaise chose.

La prohibition des relations sexuelles entre les membres d’une même famille, quel que soit leur âge, tel est le tabou de l’inceste. C’est Phèdre et Hippolyte, c’est Œdipe et Jocaste…

La question avait été évoquée lors de l’élaboration du nouveau code pénal. Finalement – je parle sous le contrôle de notre cher président de la commission des lois –, il n’a pas été jugé opportun d’incriminer l’inceste, et on a laissé à la jurisprudence, aux magistrats, le soin de déterminer, sur le fondement de circonstances aggravantes, les actes d’inceste avérés et de les condamner – heureusement, très sévèrement ! – au cas par cas.

Toutefois, comme l’a souligné tout à l'heure M. le rapporteur – et j’ai pu moi aussi l’observer en tant que magistrat –, dans bien des cas, aucun élément matériel ne peut conforter la thèse de l’inceste, car aucune constatation médico-légale ne peut être faite, surtout lorsque l’inceste est révélé par des victimes majeures. Ces actes sont par conséquent très difficiles à juger.

Cette position de prudence se retrouve chez toutes les associations de défense des enfants ainsi que dans les rapports de Mme Claire Brisset et le propos de Mme Dominique Versini, ancienne et nouvelle défenseures des enfants.

Bien entendu, par respect pour les victimes, quand on comprend ce qu’elles recherchent, on n’ose finalement pas dire que l’on est contre, mais on le laisse entendre...

Quand on interroge les magistrats, comme je l’ai fait, on constate qu’ils sont extrêmement réticents, notamment ceux qui président des cours d’assises, quant à l’introduction de précisions qui risquent finalement de semer la confusion.

Il sera précisé, nous dit-on, que l’inceste a été commis sur mineurs. Mais de quels mineurs s’agit-il ? Ceux de dix-huit ans ? Ceux de quinze ans ? Nous avons cru comprendre qu’il s’agissait des mineurs de dix-huit ans et que la minorité de quinze ans serait une circonstance aggravante supplémentaire – ce qu’elle est déjà aujourd’hui.

La notion d’inceste est beaucoup large que celle que l’on veut inscrire aujourd’hui dans le code pénal par le biais de cette incrimination nouvelle.

Je remercie le rapporteur, qui a fait un travail très précis en commission des lois...