M. Alain Vasselle. Travail remarquable !

M. Jean-Pierre Michel. ... pour revenir sur certaines des dispositions votées par l’Assemblée nationale. Car, à trop vouloir préciser, non seulement on sème la confusion, mais on risque de créer une insécurité juridique, voire d’instaurer une différence de traitement à l’égard des victimes de l’inceste en fonction des juridictions.

Pourtant, la raison voudrait que l’on pense d’abord à la prise en charge des victimes. L’introduction d’une nouvelle incrimination dans le code pénal changera-t-elle quoi que ce soit à la situation actuelle – qui s’est beaucoup améliorée, c’est exact, par rapport aux années précédentes ? Je crains que non !

La prise en charge des victimes, qui est le point le plus important, ne figure pas dans la loi parce que l’attribution des moyens, tant humains que financiers, qui doivent être mis à la disposition de toutes celles et tous ceux qui connaissent ou suspectent des cas d’inceste est de nature réglementaire.

Je pense d’abord aux médecins scolaires, car c’est souvent à l’école que l’on détecte les cas de violences, notamment sexuelles, au sein de la famille, mais aussi aux membres du corps judiciaire, de la police et de la gendarmerie. À cet égard, madame la ministre d’État, j’en conviens, beaucoup de progrès ont été accomplis ; en particulier, l’arrivée de nombreuses femmes au sein des personnels concernés a permis un meilleur accueil et une meilleure compréhension des jeunes filles, plus fréquemment victimes que les jeunes gens, qui viennent se plaindre d’inceste.

Tout cela reste notoirement insuffisant, et d’ailleurs, des progrès supplémentaires ont été demandés lors de la discussion de la proposition de loi à l’Assemblée nationale. À Paris, il existe des centres d’accueil, je pense notamment à celui de l’hôpital Tenon, qui est exceptionnel ; mais on n’en cite pas beaucoup d’autres...

Ce texte n’apporte rien de vraiment convaincant à la lutte contre l’inceste, hormis qu’il le nomme. Est-ce le prévenir ? Est-ce l’éradiquer ? C’est le stigmatiser un peu plus : est-ce vraiment ce que l’on veut ?

Plus grave, ce texte risque d’engendrer de faux espoirs pour les victimes, de semer la confusion chez les professionnels et, je le mentionnais à l’instant, d’être à l’origine d’inégalités de traitement.

Finalement, je le dis sans engager de polémique, il s’inscrit dans une pratique éprouvée qui consiste à faire croire que les problèmes de société, notamment ceux de ce type, peuvent être réglés simplement au détour d’un texte. C’est faux, car la loi ne peut régler ces situations sociales absolument désastreuses et condamnables !

Les victimes de l’inceste méritent mieux, madame la ministre d’État. Elles méritent que soit menée une action interministérielle afin que, dans le cadre des dispositions réformant la protection de l’enfance que nous avons adoptées, les intervenants soient mieux formés, depuis les personnels en milieu scolaire jusqu’aux magistrats qui devront juger en passant par les policiers, gendarmes, médecins, psychiatres et psychologues qui doivent prévenir et accueillir.

Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, mes collègues du groupe socialiste et moi-même nous abstiendrons sur cette proposition de loi, tout comme le groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Debré. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme Isabelle Debré. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, toute violence à l’égard d’un mineur est odieuse et condamnable.

L’acte incestueux, quant à lui, est une violence spécifique qui se nourrit du non-dit. Il constitue l’une des formes les plus abjectes des mauvais traitements infligés aux mineurs, car il est commis par ceux qui auraient dû naturellement protéger l’enfant, le former, l’éduquer et veiller à sa propre sécurité.

Les conséquences de l’inceste sont catastrophiques non seulement sur un plan individuel, mais aussi pour la société dans son ensemble.

Ce fléau remet en cause de façon absolue les droits de l’enfant, mais aussi l’institution familiale elle-même, c’est-à-dire le lieu où se transmettent les valeurs fondamentales de notre société. La famille n’est plus alors l’espace de protection et d’éducation qui assure l’épanouissement de l’enfant ; elle devient au contraire un lieu de souffrance et d’isolement.

La spécificité des violences qui sont infligées à la victime, au regard des traumatismes profonds qu’elles engendrent, mérite d’être reconnue en tant que telle.

En France, deux à trois millions de personnes ont été confrontées à une situation incestueuse et 20 % des procès d’assises concernent des infractions de type incestueux. Or, en dépit des immenses souffrances morales et psychologiques que cause l’inceste, notre droit n’apporte que peu de réponses à celles ou ceux qui en sont victimes.

Certes, le code civil prohibe le mariage et le PACS entre membres d’une même lignée familiale. Certes, le code pénal prévoit des peines aggravées lorsqu’une atteinte sexuelle, une agression sexuelle ou un viol est commis par une personne ayant un lien de parenté avec la victime. Mais il n’existe pour autant ni crime ni délit d’inceste à proprement parler. Or cette absence d’incrimination de l’inceste pèse lourdement sur les victimes et nourrit leur sentiment de ne pas être reconnues de manière spécifique.

Ainsi, cette proposition de loi, qui vise à inscrire pour la première fois dans nos textes la notion d’inceste, est une avancée majeure pour les victimes et pour la justice.

M. Alain Vasselle. Très bien !

Mme Isabelle Debré. Je tiens, à cet égard, à saluer au nom du groupe UMP du Sénat l’initiative prise par Mme Marie-Louise Fort et certains de ses collègues députés de proposer au Parlement un texte visant à inscrire expressément l’inceste dans notre code pénal. Établir une différence entre l’inceste et les autres agressions sexuelles permettra de mieux reconnaître la spécificité des violences subies par les victimes et de combattre plus efficacement ce fléau.

La proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise préserve un juste équilibre entre trois nécessités : la répression de l’inceste, le développement de sa prévention et le meilleur accompagnement des victimes.

Dans son volet pénal, la proposition de loi prévoit tout d’abord de préciser le contenu de la notion de contrainte lorsqu’elle constitue l’élément constitutif d’un viol. Au lieu d’être nécessairement prouvée par la victime, elle pourra être déduite de la différence d’âge existant entre la victime mineure et son agresseur ainsi que de l’autorité de droit ou de fait qu’il exerce sur elle. Cette disposition importante donnera davantage d’outils au juge pour interpréter cette contrainte.

La nature interprétative de cette disposition lui permettra, en vertu de l’article 112-2 du code pénal, d’être immédiatement applicable à des faits commis antérieurement à la publication de la nouvelle loi. Toutes les victimes verront donc nommé l’acte qu’elles ont subi, quelle qu’en soit la date. Ainsi, la loi du silence qui leur a été imposée si durement depuis leur agression sera brisée.

Pour ma part, s’agissant de la notion de contrainte, je souhaite aller plus loin. Aussi ai-je déposé, avec certains de mes collègues, un amendement dont l’objet est de préciser que la contrainte est caractérisée en cas d’inceste sur mineur.

M. Alain Vasselle. Excellent amendement !

Mme Isabelle Debré. Nous savons en effet qu’un enfant n’est pas en mesure de s’opposer et de résister à son agresseur, a fortiori s’il s’agit de l’un de ses parents ou d’un membre du cercle familial. La question du consentement de la victime ne saurait se poser en cas de relation sexuelle entre un enfant et un membre de sa famille ou une personne ayant autorité sur lui.

L’article 1er du texte qui nous est soumis vise également à inscrire explicitement la notion d’inceste dans le code pénal. Il était grand temps de nommer cette réalité pour mieux la combattre !

Désormais, un viol incestueux pourra être reconnu comme tel par les juridictions pénales. Désormais, notre législation offrira aux pouvoirs publics les outils nécessaires pour mesurer l’ampleur de ce phénomène et adapter en conséquence les modalités de la prise en charge des victimes.

Sur l’initiative de notre rapporteur, M. Laurent Béteille, la commission des lois a souhaité que les auteurs d’actes incestueux ne soient pas énumérés de façon stricte dans la loi. En effet, en matière de violences sexuelles incestueuses, la confiance et l’affection abusées de l’enfant importent au moins autant que la filiation stricte. Il nous apparaît donc essentiel que la cellule familiale soit envisagée avant tout comme la cellule affective dans laquelle évolue l’enfant et qu’une liberté d’appréciation soit laissée aux juges afin de leur permettre de s’adapter à l’ensemble des configurations familiales auxquelles ils pourraient être confrontés.

Nous estimons également indispensable que l’état du droit applicable à l’heure actuelle soit conservé afin que la définition de l’inceste qui sera désormais inscrite dans le code pénal puisse être utilisée immédiatement par les juges dans les affaires en cours.

Au-delà du volet pénal, la proposition de loi prévoit un dispositif de mesures concrètes en matière de soins et de prévention.

La prévention des comportements incestueux pourra être développée au moyen d’une plus grande mobilisation de l’institution scolaire et des sociétés de l’audiovisuel public. Nul ne contestera le rôle positif et majeur que peuvent jouer tant l’école que les médias dans la prévention de ce véritable fléau.

Enfin, l’accompagnement des victimes pourra être amélioré, notamment, par le biais d’une valorisation du travail des associations ayant pour objet de lutter contre l’inceste. Celles-ci auront désormais plus de facilités pour se constituer partie civile dans un procès. C’est une avancée majeure dont je me félicite, car elle permettra aux victimes d’être mieux assistées dans leurs démarches.

Par ailleurs, le texte adopté par l’Assemblée nationale visait à rendre systématique, dans l’instruction des crimes incestueux, la désignation par le juge d’instruction d’un administrateur ad hoc chargé de représenter la victime en lieu et place de ses représentants légaux. Cette mesure nous semble tout à fait essentielle, car il y va de la protection de la victime, qui pourra ainsi être accompagnée durant toutes les étapes de la procédure.

La commission des lois a toutefois souhaité atténuer le caractère systématique de cette désignation. Une telle modification nous semble tout à fait opportune : comme l’a justement indiqué notre rapporteur, il est essentiel de réserver l’hypothèse où l’agresseur n’appartiendrait pas au cercle proche de l’enfant et où les parents de ce dernier, ou l’un d’entre eux, demeureraient à même d’assurer sa défense et sa protection.

Mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui est un texte nécessaire et attendu. Parce qu’elle lève enfin le voile sur une réalité sociale trop longtemps cachée et ignorée de notre droit pénal, parce qu’elle propose également des réponses concrètes et efficaces, le groupe UMP lui apportera son total soutien. (Applaudissements sur les travées de lUMP ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Alain Milon. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise vise à renforcer la sécurité de ce qui constitue le pilier et le fondement de notre démocratie, ce qui garantit sa vitalité : les enfants et la famille. Or, c’est précisément parce qu’il détruit et l’enfant et la famille que l’inceste apparaît comme un danger majeur ; c’est parce qu’il déstructure toute civilisation humaine qu’il est l’interdit fondamental, reconnu universellement.

Pourtant, force est de constater que les cas d’abus sexuels sur mineurs commis dans le cadre intrafamilial, qu’ils soient avérés ou non, représentent les affaires les plus nombreuses portées devant les tribunaux. L’objet de cette proposition de loi est d’en améliorer le traitement afin de mieux identifier, prévenir, détecter et lutter contre l’inceste.

Inscrire l’inceste dans le code pénal permettra qu’il soit mieux identifié. Car, mes chers collègues, c’est d’abord et avant tout le silence, hélas ! qui empêche de le prévenir et de le combattre efficacement.

Le silence qui entoure cette violence spécifique, l’une des plus destructrices pour un enfant, revient de facto à la banaliser, à la ramener à une variante d’agression sexuelle ou de viol parmi d’autres, alors même que toute civilisation humaine s’accorde sur le fait que l’interdit de l’inceste est structurant et permet la transmission de la culture d’une génération à l’autre, aux enfants via leur famille, quels que soient les contours que la société fixe à celle-ci.

Il était temps de nommer l’inceste dans le code pénal et de briser ainsi cette loi du silence : celui-ci doit enfin cesser de constituer, pour ceux de nos concitoyens qui ne semblent pas avoir intégré l’interdit fondamental, une injonction à perpétuer un ordre social qui, par omission, légitime ou banalise de facto cette violence faite aux enfants. Une société humaine ne peut survivre si elle a renoncé à arracher à la violence les membres qui la composent.

La version actuelle de la proposition de loi qui nous est présentée vient remédier à cette carence de notre législation en nommant spécifiquement l’inceste.

Pourtant, l’injonction de rester silencieux demeure extrêmement puissante et frappe d’abord ceux qui, précisément, sont les plus à même de briser cette loi du silence en signalant les cas dont ils ont connaissance – je pense bien évidemment aux médecins.

La spécificité des cas d’inceste réside dans le fait que ce sont les parents, ceux-là mêmes qui ont la responsabilité de la sécurité et de l’intégrité physique et psychique de leur enfant, qui en sont eux les auteurs.

Le médecin et les professionnels de santé jouent alors un rôle incontournable dans l’identification et la détection des cas d’inceste. C’est d’ailleurs leur obligation. Encore faut-il, pour qu’ils la respectent, qu’ils puissent agir en toute liberté et, lors du signalement, s’en remettre avec confiance à la justice, à laquelle revient la responsabilité de déterminer l’opportunité de déclencher une action.

Or la protection insuffisante des médecins et des professionnels de santé empêche la justice d’effectuer son travail correctement. En effet, seules les sanctions disciplinaires ayant été interdites, les poursuites civiles ou pénales restent possibles, si bien que, souvent, les praticiens concernés préfèrent encore se taire.

À chacun son métier : au médecin l’obligation de signaler, sur la base de son diagnostic, un cas présumé d’inceste ; à la justice de déterminer si celui-ci est avéré. Or le maintien de la possibilité de poursuites civiles et pénales contre un médecin signalant un cas d’inceste ensuite non avéré par la justice revient à lui faire porter la responsabilité d’une éventuelle décision de justice. Une telle situation est d’autant moins acceptable qu’elle a des conséquences très graves quant à l’objectif de lutte contre l’inceste : dans 95 % des cas d’inceste, les médecins ne signaleraient pas les abus.

Tel est donc l’objet d’un amendement qu’avec quelques-uns de mes collègues j’ai déposé et dont nous débattrons tout à l’heure. Lutter contre l’inceste, c’est briser la loi du silence qui empêche de le dénoncer lorsque des cas présumés se présentent aux professionnels de santé. L’abandon des sanctions disciplinaires consacré par la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance constituait un premier pas en ce sens ; il demeure toutefois largement insuffisant. Il faut supprimer le maintien des poursuites civiles et pénales contre un médecin qui effectue, de bonne foi, le signalement d’un cas présumé d’inceste.

Après avoir cherché à protéger le médecin de poursuites civiles et pénales, j’ai souhaité déposer un deuxième amendement visant à garantir sa sécurité. En effet, il faut aussi prévoir que l’identité du signalant ne puisse être donnée qu’avec son consentement : c’est indispensable pour garantir sa sécurité et éviter que, par peur d’éventuelles menaces ou représailles affectant sa vie quotidienne, le médecin ne préfère se taire. Il convient sur ce point de s’inspirer de la loi sur la protection de la jeunesse du Québec. Rappelons que, en France, le présumé agresseur peut, dans les heures qui suivent la réception du signalement, avoir connaissance de l’identité de celui qui signale et exercer sur lui des pressions diverses ou engager des poursuites.

Mes chers collègues, vous aurez compris l’importance fondamentale que revêtent ces deux amendements. Mais il est également indispensable que les médecins soient explicitement informés avant même qu’ils n’aient commencé à exercer, c'est-à-dire pendant leur formation. Nul n’est censé ignorer la loi ; mais pour des crimes ou délits qui atteignent le cœur même de notre société et de notre démocratie, à savoir les enfants et la famille, seul un renforcement de la formation initiale des médecins pourra garantir et améliorer les signalements.

Vous l’avez dit, madame le garde des sceaux, une telle disposition relève du règlement plus que de la loi. Je retirerai donc cet amendement, pour me conformer à la demande que, rapportant le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, j’avais adressée aux auteurs d’amendements similaires. Pour autant, je souhaite que cette question puisse être étudiée au niveau réglementaire.

Les auteurs d’une étude américaine réalisée sur un échantillon de 415 pédiatres signalent que 11 % des personnes interrogées n’ont jamais, au cours de toute leur carrière, observé d’enfant suspecté de maltraitance. Ce résultat met en lumière les difficultés, principalement le stress, la peur et la crainte de perdre un patient, rencontrées lors des signalements de cas d’inceste.

Je conclurai en indiquant que, face à ce texte, j’agis – tout comme vous, mes chers collègues – en mon âme et conscience, en tant que citoyen fier d’appartenir à un pays qui sait à quel point la protection de la famille, la protection de l’intérêt de l’enfant, sont les fondements sans lesquels aucune liberté ne peut être garantie, qui sait à quel point il en a besoin pour assurer son avenir et sa vitalité.

Je ne saurais précisément ni a priori définir ce que sont une bonne famille, une bonne éducation, voire l’intérêt réel de l’enfant, tant la liberté pour laquelle nos ancêtres se sont battus est effective et ancrée dans la vie quotidienne de tous les Français : en témoignent la pluralité des familles, la diversité des enfants et de l’éducation qu’ils reçoivent. Je sais simplement que je suis avant tout profondément attaché à la liberté telle qu’elle est inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme, attaché à l’intégrité physique et psychique de l’individu et, a fortiori, de l’enfant.

Je sais aussi, tout comme vous, mes chers collègues, que l’inceste nuit à la liberté de nos concitoyens enfants et de leurs familles, qu’il nuit aussi à l’intégrité physique et psychique des victimes et des agresseurs. Il faut donc nous permettre de le combattre sans relâche, grâce à un texte de loi qui soit le plus équilibré possible. (Applaudissements sur les travées de lUMP, de lUnion centriste et du RDSE.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission.

Je rappelle que la résolution modifiant le règlement intérieur est entrée en vigueur et que le temps de présentation des amendements est désormais fixé à trois minutes.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Madame la présidente, je le répète après vous, il nous reste trente-cinq minutes avant la clôture de la session ordinaire : si nos collègues ne font pas preuve de concision, nous ne parviendrons pas au terme de l’examen de la proposition de loi !

TITRE IER

IDENTIFICATION ET ADAPTATION DU CODE PÉNAL À LA SPÉCIFICITÉ DE L'INCESTE

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à identifier, prévenir, détecter et lutter contre l'inceste sur les mineurs et à améliorer l'accompagnement médical et social des victimes
Article 2

Article 1er

Le code pénal est ainsi modifié :

1° Après l'article 222-22, il est inséré un article 222-22-1 ainsi rédigé :

« Art. 222-22-1. - La contrainte prévue par le premier alinéa de l'article 222-22 peut être physique ou morale. La contrainte morale peut résulter de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime. » ;

2° La section 3 du chapitre II du titre II du livre II est ainsi modifiée :

a) Le paragraphe 2, intitulé : « Des autres agressions sexuelles », comprend les articles 222-27 à 222-31 ;

b) Le paragraphe 3, intitulé : « De l'inceste », comprend les articles 222-31-1 et 222-31-2 ainsi rédigés :

« Art. 222-31-1. - Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. » ;

« Art. 222-31-2 (nouveau). - Lorsque le viol incestueux ou l'agression sexuelle incestueuse est commis contre un mineur par une personne titulaire sur celui-ci de l'autorité parentale, la juridiction de jugement doit se prononcer sur le retrait total ou partiel de cette autorité en application des dispositions des articles 378 et 379-1 du code civil.

« Elle peut alors statuer sur le retrait de cette autorité en ce qu'elle concerne les frères et sœurs mineurs de la victime.

« Si les poursuites ont lieu devant la cour d'assises, celle-ci statue sur cette question sans l'assistance des jurés. » ;

c) Après le paragraphe 3, sont insérés deux paragraphes 4 et 5, intitulés « De l'exhibition sexuelle et du harcèlement sexuel » et « Responsabilité pénale des personnes morales », qui comprennent respectivement les articles 222-32 et 222-33, et l'article 222-33-1 ;

3° Après l'article 227-27-1, sont insérés deux articles 227-27-2 et 227-27-3 ainsi rédigés :

« Art. 227-27-2. - Les infractions définies aux articles 227-25, 227-26 et 227-27 sont qualifiées d'incestueuses lorsqu'elles sont commises au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait.

« Art. 227-27-3 (nouveau). - Lorsque l'atteinte sexuelle incestueuse est commise par une personne titulaire de l'autorité parentale sur le mineur, la juridiction de jugement doit se prononcer sur le retrait total ou partiel de cette autorité en application des dispositions des articles 378 et 379-1 du code civil.

« Elle peut alors statuer sur le retrait de cette autorité en ce qu'elle concerne les frères et sœurs mineurs de la victime.

« Si les poursuites ont lieu devant la cour d'assises, celle-ci statue sur cette question sans l'assistance des jurés. » ;

4° (nouveau) L'article 227-28-2 est abrogé.

Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par M. Michel et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer la seconde phrase du  texte proposé par le 1° de cet article pour l'article 222-22-1 du code pénal.

La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Il s’agit d’un amendement d’ordre strictement juridique.

L’article 1er vise à préciser que la contrainte peut être physique ou morale. Or elle constitue, avec la violence, la menace ou la surprise, l’un des éléments qui caractérisent l’agression sexuelle.

L’Assemblée nationale a précisé que « la contrainte morale résulte en particulier de la différence d’âge […] et de l’autorité de droit ou de fait […] ». Ces notions sont très floues, alors que le code pénal est d’interprétation stricte. Que vient donc faire ici l’expression « en particulier » ? La contrainte peut résulter de bien d’autres choses que de la différence physique. Elle peut être liée à un non-dit familial, qui peut s’interpréter comme une quasi-acceptation de la situation. On sait que de telles contraintes morales existent.

Selon moi, cet ajout n’est pas opportun pour la sécurité du texte ni pour l’application qu’en feront les tribunaux. En outre, on confond un élément constitutif de l’infraction et une circonstance aggravante.

La contrainte physique ou morale est un élément intrinsèque de l’infraction d’inceste ainsi définie, et les juges qui demandent aux enfants s’ils étaient consentants posent une question superflue : les enfants ont agi sous la contrainte, que celle-ci soit physique ou morale. Cette dernière constitue l’élément constitutif de l’infraction. Selon moi, il n’est pas bon d’essayer de la qualifier, notamment en utilisant l’expression « en particulier ».

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Laurent Béteille, rapporteur. Cet amendement a été débattu par la commission des lois, qui s’est d’ailleurs montrée hésitante sur le sujet. Notre collègue Hugues Portelli avait appuyé la position de Jean-Pierre Michel, notamment sur le problème technique soulevé. En effet, les éléments constitutifs d’une infraction ne peuvent pas en constituer une circonstance aggravante. Nous devons donc être très prudents dans les termes que nous employons.

Pour ma part, j’aurais aimé pouvoir donner satisfaction à Jean-Pierre Michel. Toutefois, concrètement, compte tenu des hésitations de la jurisprudence de la Cour de cassation, le texte adopté par la commission me paraît nécessaire.

Il est certes dommage que nous soyons obligés de légiférer sur ce point. Il aurait sans doute été préférable de s’en remettre à la jurisprudence. Mais il se trouve que celle-ci, justement, a été flottante. Je l’ai indiqué dans la discussion générale, à une certaine époque, notamment en 1995, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que la contrainte ne pouvait résulter du seul âge de la victime et de la qualité d’ascendant. Dans ces conditions, un certain nombre de juridictions inférieures avaient requalifié en atteintes sexuelles ce qui était manifestement des viols.

Il se trouve que la chambre criminelle tend aujourd’hui à revenir sur cette position. Elle a en effet validé des décisions rendues par les juridictions du fond, notamment les cours d’assises, qui avaient considéré que la contrainte pouvait être morale et résulter de la différence d’âge et de l’autorité de fait exercée par l’agresseur sur la victime.

Aujourd’hui, une telle évolution n’est encore qu’implicite. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose, à la suite de l’Assemblée nationale, de préciser que la contrainte résulte de l’âge de la victime, en supprimant cependant l’expression « en particulier » dénoncée à l’instant par Jean-Pierre Michel.

Les termes employés dans le texte adopté par la commission correspondent très précisément à des décisions rendues par des juges du fond et validées par la chambre criminelle de la Cour de cassation, notamment dans un arrêt rendu le 3 septembre 2008. Il s’agissait d’un viol commis sur des enfants par leur oncle.

Je vous demande donc, monsieur Michel, de bien vouloir retirer cet amendement. À défaut, je me verrai contraint d’émettre un avis défavorable.