M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. On a trouvé une solution sur le sujet !

M. Christian Cointat, rapporteur. Il serait donc temps –  ces propos n’engagent que moi, car je m’exprime là en tant que sénateur et non comme rapporteur – que soient enfin fixés un cadre et des normes claires pour l’application de l’article 40, qui donnent, dans le respect de la Constitution, toute sa place à l’intérêt de la nation comme au bon sens.

Mes chers collègues, la commission des lois vous invite à approuver le texte qu’elle a retenu, complété et enrichi par les amendements que nous examinerons lors de la discussion des articles.

Vous le savez, quand il s’agit de sujets importants et sensibles, c’est par la force des idées, la volonté de partage, l’ouverture aux autres, la compréhension, le dialogue et la conviction que nous pouvons progresser dans l’intérêt de tous. C’est ce que nous cherchons à faire, Gouvernement et commission des lois, ainsi que, je l’espère, le Parlement, dans l’intérêt bien compris de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte, comme dans l’intérêt de la France, dont elles font partie, et j’espère qu’elles en feront partie aussi longtemps que possible.

Comme le proclamait Jean-Marie Tjibaou, « la puissance de l’esprit est éternelle ». C’est ce précepte qui doit nous guider cet après-midi. (Applaudissements sur les travées de lUMP, de lUnion centriste, du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi organique que nous discutons aujourd’hui ne sera sans doute pas, dans cette session extraordinaire du Parlement, celui qui retiendra le plus l’attention de l’opinion publique. Il n’en demeure pas moins essentiel dans la mesure où sa portée concerne directement deux territoires de la nation, l’île de Mayotte et l’archipel de la Nouvelle-Calédonie, même si, d’un point de vue géographique, ceux-ci figurent parmi les plus éloignés de l’Hexagone puisqu’ils relèvent de ce qu’il est convenu de nommer les « territoires ultramarins ».

L’île de Mayotte, située dans l’archipel des Comores dont le récent et tragique accident d’avion ayant frappé des Français et des Mahorais nous a brutalement rappelé les liens qui l’unissent à la France, est une terre avec laquelle nous entretenons des relations anciennes. Elle est entrée dans l’empire colonial sous Louis-Philippe, en 1846, avant d’être rattachée à Madagascar en 1909 et de devenir un territoire d'outre-mer en 1946, à l’autonomie accrue par les lois de 1956, de 1961 et de 1968. Or, malgré l’accession des Comores à l’indépendance, en 1975, Mayotte, collectivité départementale régie par la loi du 13 juillet 2001, a toujours manifesté sa volonté de demeurer française.

Le projet de loi organique qui nous est aujourd'hui soumis se borne à constater les résultats du référendum du 29 mars dernier, qui ouvre la voie de la départementalisation de l’île, approuvée par 94 % de la population. Mayotte est donc, en puissance, le cent unième département de la République, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.

Je souhaite que cette départementalisation s’opère de manière harmonieuse et paisible, dans l’intérêt de Mayotte comme dans celui de la France. Je relève cependant que l’alignement sur le droit commun des départements d'outre-mer sera long, le droit applicable à Mayotte étant largement dérogatoire.

Ainsi, l’absence d’impôt d’État, de TVA et de fiscalité communale, l’application d’un droit statutaire et familial coutumier musulman, la compétence d’une justice exercée par le cadi en matière notarial et d’état civil, l’existence d’un double système d’état civil ou la reconnaissance de la propriété foncière coutumière sont autant de difficultés qu’il faudra prendre en considération.

Les efforts seront importants et il appartiendra à l’État de veiller à ce que cet alignement ne lèse pas le développement économique et social de l’île. De même, l’État devra mettre en place des outils préventifs permettant de placer le futur département d'outre-mer dans une situation financière satisfaisante, au regard tant des dépenses à venir qui lui seront imputées et de ses dotations que de la nouvelle autonomie de décision qui lui échoira.

La situation de la Nouvelle-Calédonie est plus complexe et, avant de commenter la partie du texte la concernant, je souhaite souligner d’abord combien l’accord dit « de Nouméa », du 5 mai 1998 et la loi organique du 19 mars 1999 non seulement ont constitué une avancée significative dans les relations entre la France et la Nouvelle-Calédonie, mais encore ont illustré une manière de gouverner particulièrement sage, prudente et efficace, trop rarement mise en œuvre dans notre histoire.

Ce fut en effet sur l’initiative de Michel Rocard, alors Premier ministre, que nous devons l’extinction de l’incendie que des mesures maladroites avaient allumé. Il sut trouver des interlocuteurs particulièrement expérimentés, qui privilégièrent le dialogue et le respect absolu de ceux qui ne partageaient pas la même opinion, mais qui se trouvaient appelés à siéger à la même table. Il en est d’ailleurs de même aujourd'hui.

Souhaitons que le Gouvernement s’inspire de cette méthode, dont les bases furent jadis jetées en Afrique par le grand Félix Éboué, méthode qui est certes la plus difficile, mais aussi la plus efficace, et qui reste, à bien des égards, un modèle. Cette éthique de la tolérance fut encore pratiquée avec un rare bonheur par un sénateur du groupe auquel j’ai l’honneur d’appartenir, Gaston Monnerville, longtemps président de notre institution, qui fut, après la guerre, l’un des efficaces promoteurs de la transformation des trois colonies des Caraïbes en départements, la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique, en cette même année 1946 qui vit la Nouvelle Calédonie passer de l’état de colonie au statut de territoire d’outre-mer et connut enfin l’abolition du détestable code de l’indigénat.

Avant qu’on ne parvienne aux accords de Matignon, combien de pages violentes s’étaient écrites dans cet archipel calédonien, découvert le 4 septembre 1774 par l’expédition de Cook, et dont la France prit officiellement possession moins d’un siècle plus tard, le 24 septembre 1853, non pas dans l’intention d’aménager cette nouvelle terre, mais dans celle d’en faire un bagne… Ce bagne fut non seulement celui du Second Empire, mais encore celui de la Troisième République, laquelle y envoya quelques-uns des plus emblématiques condamnés de la Commune, en particulier une femme, qui, par la force de ses convictions et de son caractère, a ouvert, à nous les femmes, le périlleux chemin de la carrière politique ; je veux, bien sûr, parler de Louise Michel.

Il n’est pas dans mes intentions de rappeler ici la longue et complexe histoire de la Nouvelle-Calédonie, mais je tiens à souligner que, parmi les histoires de tous ces territoires que l’on appelle parfois « les confettis de l’Empire », celle de la Nouvelle-Calédonie fut probablement l’une des plus violentes. De la tête du chef Ataï conservée depuis 1878 dans un bocal au Musée de l’Homme jusqu’aux émeutes des années 1984-1988, avec la tragique affaire de la grotte d’Ouvéa ou l’assassinat du leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou, les relations entre Paris et l’archipel calédonien ne furent ni simples ni sereines.

Tout cela était sans doute la conséquence d’un schéma évolutif complexe, mêlant indistinctement le bagne, le nickel, la pêche à la baleine, le développement de grandes propriétés au seul profit de quelques-uns, la non-reconnaissance par une République éradicatrice et « glottophage » de la spécificité de la culture kanak.

C’est dire, une fois de plus, combien, après la loi-cadre Deferre de 1956, la loi Stirn de 1974 et la loi du 4 mai 1984, l’accord de Matignon de 1989 fut exemplaire. Un peu moins d’une décennie plus tard, l’accord dit « de Nouméa » de 1998, qui fut suivi de la loi organique du 19 mars 1999, prévoyait la mise en place progressive d’une autonomie forte, avec des transferts de compétences successifs, hors les missions régaliennes de l’État, et participait à la construction d’un destin commun et à la mise en place d’une citoyenneté calédonienne.

C’est précisément la suite de l’application de ce dernier accord, qui nous occupe aujourd’hui, une nouvelle décennie plus tard, au terme de quatre années de travaux préparatoires, sous l’autorité du haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie, en concertation avec les autorités de l’archipel, dont les conclusions ont été approuvées in fine au mois de décembre dernier par le comité des signataires de l’accord de Nouméa.

La Nouvelle-Calédonie est une collectivité d’outre-mer régie par les articles 76 et 77 de la Constitution, dont le statut est précisément fixé par la loi de 1999, qui l’a dotée des institutions suivantes : un congrès élu à la proportionnelle, assemblée délibérante ; un gouvernement élu par le congrès et responsable devant lui, organe exécutif dirigé par un président ; un sénat coutumier, désigné par les conseils coutumiers ; des conseils coutumiers locaux et un conseil économique et social.

Je tiens à souligner l’intérêt qu’offre la reconnaissance du droit coutumier, qui concerne particulièrement l’état des personnes et le droit de la famille. S’il n’est pas conforme à l’idée du droit positif que se faisait Étienne Portalis, dont le regard veille sur nous dans cet hémicycle, le droit coutumier n’en demeure pas moins un sage garant de la paix sociale et culturelle et il montre qu’une République sereine est celle qui sait, empiriquement, s’adapter aux situations, qui n’impose pas un modèle non conforme à des sensibilités différentes de celles de la métropole.

Ce projet de loi organique a d’abord pour but de faciliter les transferts de compétences prévus par l’accord de Nouméa et d’actualiser l’organisation institutionnelle de l’île, à travers trois axes principaux. Le premier axe met en action une organisation plus progressive des transferts pour permettre au congrès de mettre en œuvre des préalables à ceux-ci. Le deuxième axe renforce les garanties pour le droit à compensation et la mise à disposition des services, par la modification des règles de calcul et la complète réorganisation des transferts de services. Le troisième axe instaure une complémentarité entre les services de l’État et ceux de la Nouvelle-Calédonie.

Ce texte a ensuite pour vocation de moderniser les institutions de la Nouvelle-Calédonie en ouvrant de nouvelles possibilités d’intervention dans la vie économique locale aux collectivités publiques de la Nouvelle-Calédonie, en s’inspirant des dispositions déjà applicables en Polynésie française, ce dont il faut se réjouir.

Enfin, ce texte actualise opportunément, au niveau institutionnel, le droit applicable aux élus en matière de remplacement, d’indemnité, de protection, d’incompatibilités et d’inéligibilité.

Ces nouveaux transferts marquent une étape importante dans la perspective du référendum d’autodétermination qui sera organisé entre 2014 et 2018. Ils permettront aux élus et aux responsables locaux de se familiariser avec des outils dont ils auraient à se servir dans la perspective d’une éventuelle indépendance future.

L’ensemble des compensations financières sera en revanche indexé sur la DGF, qui, on le sait, va connaître dans les prochaines années un tassement important en raison de la modification du calcul de l’enveloppe normée, qui n’intégrera plus que l’inflation.

Ce ne sera pas, d’ailleurs, le seul problème que devra affronter l’archipel qui, d’une part, ne reçoit aucune compensation particulière, et, d’autre part, aura encore bien du mal avec le transfert des personnels techniciens, ouvriers et de service, les TOS.

En revanche, constituent des points positifs des dispositions telles que la possibilité donnée à la collectivité de Nouvelle-Calédonie et aux provinces de prendre des participations en capital dans des sociétés privées chargées d’une mission de service public ou d’intérêt général, et celle de créer des groupements d’intérêt public, ou GIP, ou des sociétés d’économie mixte locales, tout en soumettant ces personnes publiques à la plupart des dispositions de la loi Sapin.

Enfin, la réforme des collectivités locales intéressera particulièrement la Nouvelle-Calédonie puisque l’intercommunalité constituera un autre outil de poids pour aider les communes les plus pauvres en leur permettant de mutualiser leurs moyens.

Ce texte, écrit dans le respect de la logique qui, depuis deux décennies, privilégie clairement le consensus, ne peut que recueillir l’approbation des élus des deux bords de notre Haute Assemblée puisque celle-ci est traditionnellement ouverte aux intérêts des collectivités locales et territoriales, ainsi qu’aux libertés dont doivent pouvoir jouir sans réserve nos compatriotes, quel que soit le territoire sur lequel ils vivent, dans le respect de leur spécificité.

Pour autant, ce projet de loi n’était sans doute pas parfait à l’origine, ce qui a conduit la commission des lois du Sénat et son excellent rapporteur à revoir la rédaction et le nombre des articles, par l’adoption de plus de quarante-cinq amendements, dont le Gouvernement, j’en suis sûre, saura mesurer l’intérêt.

C’est pourquoi, sous réserve de l’acceptation de ces amendements, le groupe RDSE votera un texte qui s’inscrit dans la tradition humaniste qu’il a toujours défendue. Ce texte vise également à s’adapter au plus près des besoins de nos compatriotes calédoniens, lointains par la distance, mais proches par le cœur. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, de l’Union centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, l’histoire a retenu que ce sont deux gouvernements dirigés, en 1988, par Michel Rocard et, en 1998, par Lionel Jospin qui, en liaison étroite avec tous les acteurs locaux, ont fait évoluer positivement le dossier calédonien.

Leur démarche commune était fondée sur une stratégie d’écoute et de dialogue.

Tout le monde a encore en mémoire l’assaut, en mai 1988, de la grotte d’Ouvéa par l’armée et la gendarmerie, puis la mission dite « du dialogue », dirigée par le préfet Christian Blanc.

Il y a eu non pas un miracle soudain, mais une longue et lente approche des personnes et de leurs problèmes. Peu à peu, la conviction s’est établie que quelque chose était possible, qui était susceptible de conduire à une sorte de décrispation en chaîne des mentalités et des réactions, donc de mener à la paix.

Le 26 juin 1988, les partenaires calédoniens signent les accords de Matignon-Oudinot avec une poignée de main historique entre Michel Rocard, qui était accompagné de notre ancien collègue Louis Le Pensec, alors ministre des départements et territoires d’outre-mer, Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou.

Le processus de Matignon résiste à l’assassinat de Jean-Marie Tjibaou et de Yeiwene Yeiwene, survenu à Ouvéa le 4 mai 1989.

Le scrutin d’autodétermination de 1998, désigné comme un « référendum couperet », aurait pu mettre un terme à cette évolution pacifique. Il n’en a pas été ainsi, les appréhensions des partenaires, attisées à l’approche de cette échéance, ayant été surmontées, sous l’action conjuguée du Premier ministre Lionel Jospin et de Jean-Jack Queyranne, son secrétaire d’État à l’outre-mer. Ni le Front de libération nationale kanak et socialiste, le FLNKS, ni le Rassemblement pour la Calédonie dans la République, le RPCR, n’ont voulu prendre la responsabilité de la division de la Nouvelle-Calédonie et des affrontements.

La signature de l’accord de Nouméa, le 5 mai 1998, traduit juridiquement par la loi organique du 19 mars 1999, a doté la Nouvelle-Calédonie d’une organisation inédite, adaptée à sa spécificité, faisant une large place à l’identité kanake, établissant une citoyenneté calédonienne au sein de la nationalité française et prenant en compte la nécessité du rééquilibrage économique et social du territoire, notamment par l’application de la notion d’emploi local.

Il ne s’agit pas ici de détailler le fil des événements. Cette tâche revient aux chercheurs, aux historiens, aux acteurs de cette histoire qui continue de s’écrire chaque jour. Nous faisons simplement le constat, que personne ne peut nier, mais qu’on peut oublier de le mentionner, qu’il a été donné à la gauche de conduire l’évolution de la Nouvelle-Calédonie dans la voie de la réconciliation.

L’évocation du passé permet d’illustrer une méthode de gouvernement qui a fait ses preuves et qui n’a, heureusement, jamais été remise en cause par les plus hautes autorités actuelles de l’État. Les déclarations du Président de la République, du Premier ministre et de votre prédécesseur au secrétariat d’État à l’outre-mer, madame, sont sans équivoque. Permettez-moi, une fois n’est pas coutume, de citer les propos de François Fillon devant le comité des signataires : « L’accord de Nouméa reste la feuille de route commune et constitue pour l’État un engagement. »

La campagne électorale qui a précédé les élections provinciales de 2009 a montré que la situation calédonienne reposait sur un équilibre qui reste fragile. Le climat politique s’est tendu, à droite comme à gauche. Néanmoins, chacun a assumé ses responsabilités, dans le cadre d’institutions qui ont fait une nouvelle fois la preuve de leur stabilité, parce que la logique de la collégialité et l’esprit de construction commune ont prévalu.

L’État, pour sa part, doit tenir ses engagements. Il doit assumer son rôle en veillant à l’application loyale de l’accord de Nouméa, notamment en matière de transferts de compétences, mais aussi en agissant pour le rééquilibrage économique en Nouvelle-Calédonie.

C’est parce qu’elles s’inscrivent dans cette perspective et qu’elles respectent l’esprit comme la lettre de l’accord de Nouméa que le groupe socialiste approuve les propositions du rapporteur et est prêt à adopter les textes proposés par la commission des lois.

Si ces textes nous donnent satisfaction sur le fond, la forme dans laquelle le Sénat a été appelé à en délibérer n’en est pas moins inacceptable ; au demeurant, je vous en donne acte, madame la secrétaire d’État, vous n’en êtes nullement responsable.

Les conditions d’examen du projet de loi organique et du projet de loi ordinaire parlent d’elles-mêmes.

Adoptés en conseil des ministres le 17 juin 2009, ces projets ont été déposés le jour même sur le bureau du Sénat et transmis à la commission des lois. Le rapport de Christian Cointat a, quant à lui, été adopté le 24 juin, soit sept jours plus tard. Je salue d’ailleurs le remarquable travail qui a été effectué en si peu de temps aussi bien par notre collègue que par le personnel de la commission des lois, et qui nous permet de disposer aujourd'hui d’un rapport dont tout le monde reconnaît la qualité.

Pour autant, ce n’est pas parce que le rapport est de qualité et que notre administration a parfaitement rempli sa mission que nous devons travailler dans des conditions aussi insupportables, d’autant que tout doit être terminé au cours de cette session extraordinaire !

M. Bernard Frimat. Nous sommes bien loin, monsieur le président du Sénat, de la revalorisation des travaux parlementaires, dont on nous rebattait les oreilles lors de la révision constitutionnelle et qui était censée assurer à la première assemblée saisie – la nôtre, en l’occurrence – un délai incompressible de six semaines entre le dépôt d’un projet de loi et son examen en séance publique.

Dans le cas présent, le rétrécissement de ce délai dépasse tout ce qu’on peut imaginer en matière de lessivage ! (Sourires.) De six semaines, nous sommes passés à trois semaines, dont une seulement pour l’examen en commission !

Mme Éliane Assassi. Exactement !

Mme Françoise Cartron. On est très loin des six semaines !

M. Bernard Frimat. Bien sûr, le délai ne s’applique pas en cas de recours à procédure accélérée. Celle-ci, mes chers collègues, est devenue la règle ordinaire d’organisation des débats. Elle nous avait pourtant été présentée comme un recours exceptionnel, supposé limiter les abus de l’ancienne procédure d’urgence !

De fait, elle supprime la navette parlementaire. La commission mixte paritaire devient le lieu d’élaboration du texte définitif, sans débat public, alors qu’elle devrait, selon la Constitution, se limiter à être une instance de compromis pour les quelques points de désaccord subsistant à l’issue d’une navette normale.

Quels que soient les arguments avancés pour justifier une telle situation, le fait que le Sénat n’ait disposé que d’une semaine pour examiner les quarante-deux articles du projet de loi organique et les dix articles du projet de loi ordinaire n’est pas admissible.

Le rapporteur a parlé, en cultivant la litote avec un art auquel je rends hommage, de « délais d’examen excessivement courts », alors qu’il a été contraint de réaliser ses auditions et d’élaborer ses propositions en quelques jours !

Or ces deux projets de loi comportent des dispositions complexes et déterminantes aussi bien pour l’avenir de Mayotte que pour celui de la Nouvelle-Calédonie. Dans ces conditions, consacrer le temps nécessaire à un examen approfondi n’aurait pas été superflu.

Les dispositions relatives à Mayotte visent à inscrire dans la loi le changement de statut de cette collectivité. Il s’agit de respecter l’engagement du Gouvernement de présenter au Parlement un projet de loi organique au cours de cet été, afin de tirer les conséquences de la consultation du 29 mars 2009.

N’aurait-il pas été plus respectueux à l’égard de la population et des élus mahorais de traiter à part, dans le cadre d’un projet de loi organique distinct, fût-il réduit à un article unique, la question de l’évolution institutionnelle de cette collectivité ?

Cela s’imposait d’autant plus que la départementalisation devrait impliquer la programmation sur plusieurs années d’un effort financier exceptionnel de l’État.

Le rapport d’information n° 115 sur la départementalisation de Mayotte, que vous aviez élaboré, monsieur le président de la commission des lois, avec Christian Cointat, Michèle André et Yves Détraigne, est on ne peut plus clair. J’en conseille une fois encore la lecture !

M. Christian Cointat, rapporteur. Très bien ! (Sourires.)

M. Bernard Frimat. De plus, l’intitulé même du projet de loi, madame la secrétaire d’État, est une source possible de confusion puisqu’il semble lier l’évolution institutionnelle de Mayotte à celle de la Nouvelle-Calédonie. Il vous appartenait de dissiper toutes les équivoques et de réaffirmer solennellement qu’il n’existe aucun lien institutionnel entre Mayotte et la Nouvelle-Calédonie. Vous l’avez fait dans votre propos introductif et nous en prenons acte, mais il aurait tout de même été plus simple que n’ayez pas à le préciser et que, de notre côté, nous nous soyons trouvés en face de deux textes. La Nouvelle-Calédonie et Mayotte le méritaient bien !

Pour la Nouvelle-Calédonie, il n’a pas été si aisé de définir le périmètre et les modalités des transferts de compétences. Les deux textes qui nous sont soumis constituent le point d’aboutissement d’un long processus d’élaboration. Ils ont nécessité la mise en place, depuis 2006, d’un comité de pilotage et d’une mission d’appui, installée en février 2008, l’ensemble ayant été validé par le comité des signataires, réuni en décembre dernier.

Conformément au relevé des conclusions de cette réunion, l’État a promis d’accompagner la Nouvelle-Calédonie dans l’exercice des compétences pour lesquelles le calendrier de transfert est modifié. Cet accompagnement doit faire l’objet de deux protocoles, l’un pour les règles concernant le droit civil, l’état civil et le droit commercial, l’autre pour la sécurité civile. Or nous n’avons pas connaissance du contenu et de la portée de ces documents financiers. Cette absence d’information altère inévitablement l’appréciation d’ensemble que nous pouvons porter sur la réforme.

Au congrès de Nouvelle-Calédonie, des élus se sont d’ailleurs référés à la brièveté des délais d’examen de ces textes pour exprimer des réserves.

Nous ne pouvons que déplorer, à l’instar des élus calédoniens, que la réunion de concertation, initialement prévue entre la réunion du comité des signataires de décembre 2008 et l’examen de ces deux textes, n’ait pas eu lieu. Une consultation préparatoire informelle était planifiée en mars dernier ; elle n’a pas été maintenue.

Prendre le temps d’examiner vraiment ces textes nous aurait permis de dresser le bilan des accords. Ceux-ci ont, d'une part, ouvert une ère de stabilité institutionnelle et de développement économique inconnue jusque-là en Nouvelle-Calédonie et, d'autre part, placé ce territoire dans une dynamique d’avenir, en prenant en considération le poids de l’histoire et en substituant aux catégories des communautés un nouveau concept : « la communauté de destin des femmes et des hommes de Nouvelle-Calédonie ».

À ce titre, tous les acteurs du dossier calédonien portent une responsabilité vis-à-vis de la population au regard de la construction de l’avenir et le maintien de la paix.

Le Parlement a pleinement joué son rôle dans l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie. C’est sur cet « héritage en devenir » – termes en apparence opposés, mais qui, compte tenu de l’histoire du territoire, sont porteurs de sens – qu’il convient de veiller.

En dépit des nombreuses insuffisances de forme, le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire présentés reçoivent notre accord sur le fond. Ils sont la traduction des propositions approuvées par le comité des signataires en décembre dernier, s’inscrivent dans le processus engagé depuis plus de vingt ans et modifient, en conséquence, la loi organique.

La question de l’organisation progressive des transferts de compétences de l’État à la Nouvelle-Calédonie mérite une attention particulière, et j’y reviendrai.

Cependant, on ne saurait passer sous silence les autres dispositions en discussion, qui actualisent et clarifient les règles de fonctionnement des institutions calédoniennes, qu’il s’agisse du congrès ou des autres collectivités publiques de la Nouvelle-Calédonie.

Ainsi, certaines dispositions viennent consolider la stabilité institutionnelle en garantissant la continuité des exécutifs de la Nouvelle-Calédonie et des provinces.

De nouveaux outils d’intervention économique sont mis en place ; ils devraient favoriser le rééquilibrage entre les provinces.

Les procédures budgétaires et les dispositions relatives aux finances locales sont rendues plus transparentes ; le contrôle est conforté avec le renforcement des pouvoirs de la chambre territoriale des comptes ainsi qu’avec l’adaptation et l’extension des recours administratifs.

Le statut des élus calédoniens – membres du congrès, des assemblées des provinces et conseillers municipaux – est actualisé et amélioré.

Enfin, les mesures relatives à l’état civil qui encadrent les modalités de changement de statut des personnes viendront accroître la sécurité juridique de l’état civil en Nouvelle-Calédonie.

Le rapporteur s’est attaché à compléter, voire à amplifier les mesures inscrites dans ces projets de loi, et nous nous en réjouissons. Il convient de le souligner, il s’est montré attentif aux commentaires émis par l'ensemble des personnes auditionnées, ainsi qu’aux observations exprimées par le congrès.

Mais les travaux de la commission ont mis en évidence la difficulté d’examiner les deux textes sans disposer de la totalité des informations permettant au Sénat de se prononcer en connaissance de cause.

Comme les élus calédoniens, qui ont tous dénoncé cette carence, les sénateurs n’ont pas été destinataires des protocoles d’accompagnement des transferts de compétences. Plusieurs amendements relatifs au calcul de la compensation financière des charges liées au transfert des compétences en matière d’enseignement se sont vu opposer l’irrecevabilité de l’article 40 de la Constitution.