M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme nous l’avons déjà dit, la formation est une question très importante pour notre société. Elle est liée à la qualité des emplois, aux salaires, à la compétitivité de nos entreprises et au développement de notre économie.

Au cours de leur vie professionnelle, nos concitoyens sont et seront de plus en plus conduits à changer d’emploi, voire de métier. Ils sont de plus en plus confrontés à une mobilité professionnelle, qui se conjugue avec une flexibilité de l’emploi. La formation et la sécurisation du parcours professionnel doivent donc constituer des outils permettant de faire face aux changements qui leur sont imposés.

Nous n’allons évidemment pas refaire le débat. Le déroulement de nos travaux a confirmé l’inaboutissement de ce projet de loi, qui aurait nécessité des débats préparatoires, des confrontations de points de vue, des éclaircissements indispensables. Nous avons dénoncé la procédure accélérée. Nous ne pensions pas avoir autant raison. Jean-Claude Carle a ainsi rappelé dans son intervention combien il aurait été nécessaire d’avoir deux lectures.

De ce texte d’importance naît un patchwork dans lequel je ne suis pas sûre que nos concitoyens, qu’ils soient salariés, chômeurs ou chefs d’entreprise, s’y retrouvent davantage aujourd’hui qu’hier. Les contacts que nous avons eus avec les partenaires sociaux, qu’ils soient représentants des employeurs ou représentants des salariés, nous confirment le mécontentement ressenti.

À l’issue de nos travaux, je crois que l’on peut dire que l’accord interprofessionnel a presque été trahi. Pourtant, il y avait des aspects positifs dans cet ANI du 7 janvier 2009 telle la formation des demandeurs d’emploi dans une société qui compte plus de 3,5 millions de chômeurs, si l’on additionne les catégories A, B et C, et 2,5 millions de chômeurs pour la seule catégorie A, soit 25 % de plus depuis un an.

La portabilité du droit individuel à la formation, la création du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels doté par les contributions légales des entreprises, l’extension du contrat de professionnalisation aux bénéficiaires des minima sociaux et des titulaires de contrats aidés sont autant de points positifs.

Néanmoins, il manque des éléments importants dans la transcription de cet accord tels que la « formation initiale différée », alors que des dizaines de milliers de jeunes sortent depuis des années du système de formation initiale sans qualification ni diplôme. Or ce sont ceux-là qui rencontrent les plus grandes difficultés au moment de leur insertion professionnelle, puis en cas de rupture professionnelle. Ils sont plus nombreux à être chômeurs de longue durée, voire allocataires de minima sociaux.

Un autre manque important est l’absence de liens, ou presque, entre la formation professionnelle initiale et continue, si ce n’est celle que préconise l’article 2, qui n’a qu’une portée déclarative et non prescriptive.

On ne voit aucune avancée non plus en matière d’apprentissage, même s’il nous reste encore un amendement à examiner sur ce sujet ce soir. Sa réglementation mériterait, nous l’avons dit et répété, une plus grande simplification et une plus grande transparence.

Aujourd'hui, la validation des acquis de l’expérience reste trop confidentielle – Mme la présidente de la commission spéciale à la suite de réflexions que nous avons eues propose la mise en place d’une mission pour examiner l’application de cette validation, pour tirer profit des expériences qui ont pu avoir lieu – tout comme le manque de détermination que vous avez mis à améliorer l’accès à la formation des salariés à temps partiel et, globalement, des populations fragilisées.

Le projet de loi génère des sources d’inquiétude. Sur le deuxième volet du projet de loi, le volet gouvernemental, notre avis diffère encore plus de vos conclusions.

Ainsi, les dispositions concernant le droit à l’orientation n’apportent aucune réponse concrète aux besoins des jeunes et des adultes, qui doivent être accompagnés et conseillés dans leur parcours d’orientation et leur parcours professionnel.

Sur l’orientation toujours, le Gouvernement a estimé nécessaire d’ajouter de la confusion à la complexité autour des compétences du délégué interministériel à l’information et à l’orientation. Je précise d’ailleurs que le délégué interministériel à l’orientation existe déjà. En outre, les contacts que nous avons eus avec les acteurs de l’orientation montrent que ceux-ci ne sont guère rassurés.

La remise en cause de l’obligation scolaire jusqu’à seize ans a été introduite via un « petit » amendement. Des jeunes de quinze ans pourront donc intégrer un CFA pour y suivre une formation « sous statut scolaire ». Pour notre part, nous avions déposé un amendement demandant que soit instaurée une obligation de formation jusqu’à dix-huit ans. Vous l’avez rejeté. Or n’est-ce pas en d’autres termes ce que vient de demander voilà quelques jours, sur l’initiative du haut-commissaire à la jeunesse, le Président de la République ? Quelle est la cohérence entre ces différentes déclarations ?

Ce texte marque aussi une nouvelle étape dans l’entreprise de destruction du service public et spécifiquement du service public de l’emploi.

Sur la forme, votre mode opératoire n’a pas changé. Sans guère de concertation, vous décrétez !

Sur le fond, l’introduction d’opérateurs privés dans la préparation de l’accès à l’emploi – les bilans qui viennent d’être publiés dans la presse montrent que les opérateurs privés n’obtiennent pas de meilleurs résultats que les opérateurs publics –, comme le transfert des psychologues de l’AFPA, l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, à Pôle emploi, dans un climat bien peu propice, participent à cette entreprise de destruction. Comment peut-on imaginer, alors que Pôle emploi rencontre déjà des difficultés à faire cohabiter des gens exerçant des métiers différents, que l’intégration des psychologues pourra être simple ?

Il convient également de mentionner la recentralisation du pilotage de la formation professionnelle, contre l’avis des partenaires sociaux et des acteurs qui s’accordent tous à reconnaître la plus grande pertinence du pilotage par les conseils régionaux, même si nous considérons toutefois que l’article 20 a été modifié dans le bon sens, à l’initiative de M. le rapporteur.

Enfin, comment ne pas évoquer ce que je qualifierai « d’ultime coup de poignard dans le dos », à savoir la décision tardive de l’État de transférer à l’AFPA son patrimoine immobilier vétuste et source de dépenses de réhabilitation et d’entretien, sans aucune expertise préalable ? Nous ignorons quelles en seront les conséquences pour les missions de l’AFPA et pour ses personnels.

Une nouvelle fois, vous procédez à un transfert sans vous soucier des conséquences, qu’elles soient budgétaires ou autres. Est-ce vraiment responsable, ne serait-ce qu’au regard de l’intérêt général ? Nous ne le pensons pas.

Je conclus, monsieur le président. Si ce projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, consacre quelques progrès notables, il pèche aussi par les mauvaises réponses apportées aux préoccupations de nos concitoyens, touchés de plein fouet par la crise et le chômage. Je pense en particulier aux jeunes, de plus en plus nombreux à éprouver les plus grandes difficultés à accéder à l’emploi ; ce projet de loi n’y changera rien ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.

M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au terme d’un long cheminement, même s’il a pu être jugé trop rapide, j’en profite pour remercier toutes celles et tous ceux qui y ont participé, et ce quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent. J’ai été heureux d’être membre de la commission spéciale, dans laquelle je n’ai rencontré que des gens compétents, et en tout cas qui s’exprimaient avec beaucoup de conviction et de sincérité.

M. Jean-Pierre Plancade. Je tenais à le souligner, même si nous n’avons pas toujours partagé le même avis, ce qui est bien normal dans une démocratie.

Nous voici donc arrivés à la dernière étape d’un processus engagé par les partenaires sociaux il y a un an, et officialisé par un accord national interprofessionnel signé par toutes les organisations concernées. Cet accord doit prendre maintenant sa forme législative, à l’issue d’un travail approfondi des deux chambres.

Le résultat qui nous est présenté aujourd’hui est malgré tout une avancée. Je citerai à mon tour plusieurs points importants : la création d’un fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, la forte réduction du nombre d’organismes collecteurs agréés pour plus de transparence, la portabilité du droit individuel à la formation, l’extension du contrat de professionnalisation aux bénéficiaires des minima sociaux et aux titulaires du contrat aidé – ce dernier point n’a d'ailleurs pas été suffisamment souligné.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Plancade. Cette énième réforme d’un processus engagé par la loi sur la formation professionnelle de 1971 me fait penser, malgré toutes ces avancées, que l’on est arrivé au bout d’un système devenu incompréhensible par sa complexité même, injuste car incapable de lutter contre les inégalités, révoltant car laissant tant de jeunes avec de vraies difficultés d’insertion dans le monde du travail, toujours inaccessible aux plus fragiles, et ce malgré les 27 milliards d’euros dépensés chaque année !

C’est pourquoi cette loi était nécessaire pour remettre de l’ordre, fixer des objectifs, et je vous remercie de l’avoir fait.

Elle me laisse cependant une curieuse impression…

M. Yvon Collin. D’inachevé !

M. Jean-Pierre Plancade. … qui pourrait se résumer de la sorte : nous sommes en train de voter une loi qui est censée préparer les jeunes et les salariés au XXIe siècle, mais je reste persuadé que nous le faisons avec l’état d’esprit, les critères et les analyses du XXe siècle.

C’est pourquoi, comme je l’ai déjà indiqué, il nous reste à inventer une loi sur la formation professionnelle pour ceux qui auront trente-cinq ans ou plus en 2050. En effet, personne ne peut dire aujourd'hui ce que sera le marché du travail à cette échéance.

Il nous faut inventer la prochaine loi, celle qui permettra à chacun de s’approprier son avenir professionnel et d’en devenir responsable, celle qui assurera la souplesse et la réactivité permettant de s’adapter très rapidement aux situations nouvelles à la fois collectivement et individuellement, celle qui autorisera la créativité en affirmant le droit à l’expérimentation, celle qui acceptera que les solutions puissent également venir du terrain, celle enfin qui affirmera que le rôle du management dans les organisations est de faire grandir et non pas d’asservir.

Comme le disait André Gide, « toutes choses sont dites déjà ; mais comme personne n’écoute, il faut toujours recommencer ». (Rires.) En guise de conclusion, je vais donc recommencer et dire ce que j’ai déjà dit : je suis convaincu que seule une augmentation brutale des qualifications et des compétences permettra de maintenir notre niveau de vie et de protection sociale, et que nous ne pourrons le faire qu’avec un individu responsabilisé, dans une entreprise responsable et, elle aussi, responsabilisée.

Voilà pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, cette loi était nécessaire. Elle n’est cependant pas suffisante si nous voulons affronter les défis qui se présentent à nous, face à l’accélération, inconnue jusqu’alors, du monde dans lequel nous évoluons. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui pour conclure nos travaux sur le projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, travaux menés au pas de charge, comme l’ont souligné le rapporteur, Jean-Claude Carle, et Christiane Demontès. Je ne reviens pas sur cette procédure qui dénature, je le crois sincèrement, le rôle du Parlement.

Ce projet de loi, nous le savons tous, était porteur d’espoir pour de très nombreux salariés, qui pensaient voir se concrétiser enfin la réforme de la formation professionnelle tant annoncée, dont l’ambition était de permettre au plus grand nombre, en particulier à celles et à ceux qui en ont le plus besoin, de bénéficier des formations nécessaires pour retrouver un emploi ou envisager une complète reconversion.

Malheureusement, je l’avais déjà souligné en conclusion de nos débats le 23 septembre dernier, et je n’étais pas la seule, tel ne sera pas le cas, et les modifications apportées par la commission mixte paritaire n’y changeront rien, bien au contraire. Cette commission mixte paritaire a d'ailleurs procédé à une véritable seconde lecture du projet de loi, à ceci près, et c’est notable, que le débat n’est pas public. Les quelque quatre-vingts amendements déposés – Jean-Claude Carle les a rappelés –, les nombreux échanges de paroles, y compris entre membres de la majorité, ont donné l’impression que nous refaisions à quelques-uns, et à huis clos, un débat qui visiblement aurait mérité un meilleur traitement.

Cette longue et âpre commission mixte paritaire, qui a nécessité une seconde délibération, mes chers collègues, ce qui n’est tout de même pas fréquent, est la démonstration que le recours systématique à la procédure accélérée prive l’ensemble des parlementaires, de l’opposition comme de la majorité, de débats importants.

J’insiste sur ce point, car, pour le groupe communiste, républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche, la séance publique doit être le lieu par excellence des débats de fond, nos concitoyennes et nos concitoyens ayant droit à la publicité de nos débats.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’issue de nos travaux en commission mixte paritaire, je ne peux que constater que les réserves qui étaient les nôtres subsistent. En effet, nous demeurons opposés à votre conception de l’utilité de la formation professionnelle.

Vous considérez, monsieur le secrétaire d’État, que la formation professionnelle n’a de sens que si elle est destinée à l’emploi immédiat des salariés. Vous nous aviez dit que la formation professionnelle était une arme fondamentale pour lutter contre la crise et que l’emploi était son seul et unique objectif. Aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État, vous nous déclarez que c’est la meilleure arme anticrise.

Cette conception très utilitariste de la formation n’est pas la nôtre. Si nous considérons que la formation professionnelle est une véritable clé dans le retour à l’emploi, elle ne peut être son unique levier.

Quant à nous, et c’est un point de divergence avec le Gouvernement, nous continuons à penser que la formation professionnelle doit permettre aux salariés qui le souhaitent d’envisager des reconversions qui correspondent à leurs besoins, même si elles ne répondent pas à ceux du marché de l’emploi sur un territoire déterminé. L’épanouissement des salariés, leur bien-être – on s’en aperçoit de façon dramatique en ce moment – est une dimension importante.

De plus, la formation professionnelle doit prioritairement servir aux salariés, car une formation voulue et épanouissante est seule gage de réussite. La formation, comme l’orientation, mes chers collègues, peut être subie ou choisie.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Ce n’est pas tout à fait comparable.

Mme Annie David. La formation doit aussi viser la promotion sociale et l’élévation du niveau de qualification de chaque salarié au fil de sa carrière professionnelle. Cette dimension est totalement absente du projet de loi, déconnecté de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la GPEC. Pourtant, c’est bien par cette gestion prévisionnelle que vous pouvez envisager les évolutions industrielles et les métiers qui vont avec !

C’est grâce à la gestion prévisionnelle de l’emploi que vous permettez aux hommes et aux femmes qui travaillent dans les secteurs industriels en mutation d’aborder un peu plus sereinement les changements auxquels ils doivent faire face, parfois dans la douleur. Ne déplorez donc pas leur manque d’adaptation, si tant est que l’on puisse « adapter » un être humain !

Ce projet de loi traduit selon nous une conception « court-termiste » de la formation, destinée davantage à assurer l’employabilité et la « flex-sécurité » qu’à véritablement sécuriser les parcours professionnels, sécurisation dont Guy Fischer a rappelé, lors de l’examen du texte au mois de septembre, qu’elle passait par la création et le renforcement d’un certain nombre de droits des salariés que vous n’avez pas voulu prendre en compte.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne vais pas me lancer dans un inventaire à la Prévert, je reviendrai simplement sur quelques points du texte, notamment sur l’article 4, dont il a déjà été beaucoup question.

Cet article traduit l’intention louable de permettre aux salariés de bénéficier de la portabilité de leur droit individuel à formation, le DIF. Or il n’est pas assez ambitieux. Il nous semble que le Gouvernement et sa majorité sont restés au milieu du gué et bien trop frileux en matière de renforcement des droits des salariés : le salarié doit recevoir l’accord de l’employeur ; le droit à la portabilité est limité dans le temps – la portabilité n’est possible que les deux années suivant le départ de l’entreprise ; les salariés en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation, ainsi que les salariés à temps partiel n’y ont pas droit. J’espère, monsieur le secrétaire d’État, que vous tiendrez l’engagement que vous avez pris les concernant en septembre dernier. En effet, ces salariés à temps partiel, majoritairement des femmes, ne peuvent être une nouvelle fois victimes des temps partiels qu’on leur impose. Alors qu’ils subissent déjà des temps de travail émiettés, que leurs salaires sont insuffisants pour affronter le quotidien, il ne faudrait pas en plus qu’ils soient tenus éloignés de la formation. Lors de la réunion de la commission mixte paritaire, monsieur le rapporteur, vous avez repoussé un amendement les concernant sous prétexte qu’il y aurait eu rupture d’égalité. Or ce sont ces salariés qui sont victimes d’une rupture d’égalité !

Ainsi, en matière de portabilité, vous affirmez vouloir passer d’une logique contractuelle à une logique assise sur les droits propres aux salariés. Si tel était le cas, il fallait supprimer les conditions que vous avez instaurées et permettre une portabilité universelle du DIF, sans référence ni à la nature du contrat, ni à la durée de la portabilité, ni à l’accord de l’employeur.

Nous persistons à penser que vous avez instauré un droit à demander à bénéficier de la portabilité du droit individuel à la formation et non un droit à la portabilité en tant que tel.

Nous ne pouvons pas nous satisfaire non plus du retour en force de l’État dans le domaine de la formation professionnelle. En disant cela, je ne vise pas tant l’article 20 du projet de loi – il a fait l’objet d’une réécriture un peu plus équilibrée en faveur des régions, même si, comme le soulignait Pierre Méhaignerie lors de la commission mixte paritaire, « il est nécessaire d’organiser un vrai débat sur la clarification des responsabilités en matière de transfert de compétences et de financements entre l’État et les collectivités locales » – que l’article 14.

En effet, la commission mixte paritaire a maintenu une disposition qui, je le signale au passage, ne figurait pas dans l’accord national interprofessionnel et qui permet à l’État, grâce à la signature d’une convention-cadre, de déterminer l’utilisation des ressources du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. Si nous nous réjouissons de la création de ce Fonds à l’article 9, nous craignons que cette convention ne permette au Gouvernement, sous prétexte de satisfaire le besoin légitime de formation des salariés privés d’emploi, de se désengager de la responsabilité politique et financière qui est la sienne en matière d’emploi, en faisant des choix dont nous redoutons qu’ils ne soient davantage motivés par le souhait du Gouvernement de faire des économies sur son propre budget que par la volonté de définir de réelles priorités.

Nous regrettons par ailleurs que vous ayez refusé la participation des régions à la gestion de ce Fonds, alors même qu’elles supportent déjà une grande partie de l’effort national en matière de formation.

Par ailleurs, nous regrettons également les modifications apportées à l’article 9 par la commission mixte paritaire concernant le financement du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. Pour notre part, nous étions opposés à la négociation branche par branche, craignant, comme l’a souligné M. le rapporteur, que certaines branches ne décident de faire reposer la participation due au Fonds uniquement sur la cotisation « professionnalisation ».

Comme vous, nous avons reçu le courrier des signataires de l’ANI nous demandant de revenir sur la règle des trois tiers. Cette suppression, parce qu’elle ne s’accompagne pas de mesures permettant de sécuriser la « professionnalisation », en prévoyant par exemple la création d’une obligation minimale de financement sur le plan, tel que je vous l’ai proposé lors de la réunion de la commission mixte paritaire, proposition que vous avez repoussée, pourrait avoir pour conséquence de permettre à certaines branches de faire porter leur obligation de financement du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels sur la seule collecte « professionnalisation », aboutissant à un prélèvement de 33 % sur cette cotisation, ce qui lui serait extrêmement préjudiciable, chacun en convient.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Ah oui !

Mme Annie David. Cet article a été voté en l’état. Je fais donc confiance aux partenaires sociaux pour être vigilants sur cette répartition.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Moi aussi !

Mme Annie David. Vous répondrez que c’est pour respecter l’accord national interprofessionnel que vous avez souhaité revenir sur ce point.

Il est vrai, cela a été dit, que ce projet de loi a fait l’objet d’une importante négociation entre les partenaires sociaux. Même si l’on peut regretter qu’ils aient été, comme nous, contraints de négocier dans la précipitation et sur le fondement d’une feuille de route fixée par le Gouvernement, il n’en demeure pas moins que cette négociation a abouti à un accord, signé à l’unanimité, dont je conviens parfaitement qu’il nous appartient, en qualité de législateur, de tenir compte, tout comme il nous appartient de l’enrichir.

Le Gouvernement comme le Sénat ne se sont d’ailleurs pas privés de transcrire en actes ces propos, comme vient de le rappeler M. le rapporteur. La convention dont je viens de parler en est un exemple, tout comme, monsieur le secrétaire d’État, les articles 19 et 19 bis A en sont d’autres !

L’article 19, auquel nous sommes totalement opposés, est apparu dans le texte sans consultation préalable des partenaires sociaux. De même, l’article 19 bis A a été présenté par le Gouvernement en séance publique au Sénat et n’a pas été examiné par l’Assemblée nationale !

Nous considérons pour notre part que le transfert d’une partie des personnels de l’AFPA – les personnels d’orientation et les psychologues du travail – vers Pôle emploi est une étape supplémentaire dans la déconstruction du service public de l’emploi. Ce démantèlement vise à satisfaire les exigences européennes de concurrence que vous vous êtes vous-mêmes fixées, notamment en imposant le traité de Lisbonne au peuple français.

Je ne reviendrai pas sur nos débats, mais l’avis du Conseil de la concurrence sur ce point est clair. Ce qui est reproché, ce n’est pas tant l’attribution de subventions à l’AFPA que l’absence de cadre législatif la permettant, comme par exemple, la délégation de service public.

Ces dispositions ne sont en réalité qu’un prétexte pour ouvrir à la concurrence le champ de la formation professionnelle. Ce que vous voulez, c’est permettre à des opérateurs privés d’accéder aux 27 milliards d’euros de la formation, car pour vous, et pour l’Europe libérale que vous appelez de vos vœux, tout est concurrence.

Pour ces mêmes raisons dogmatiques, vous avez autorisé les opérateurs privés de placement à concurrencer Pôle emploi. Pourtant, dans le rapport qu’il a remis le 6 octobre dernier, Claude Seibel fait nettement ressortir une « différence d’efficacité entre les opérateurs privés et le service public », au bénéfice de ce dernier. Ainsi le placement des salariés privés d’emploi par le secteur privé est-il plus cher et moins efficace que lorsqu’il est confié au service public.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il y a de quoi s’inquiéter au sujet de la formation professionnelle !

Le transfert du patrimoine immobilier prévu à l’article 19 bis A est lui aussi inquiétant. Vous nous avez dit que l’octroi de subventions à l’AFPA était illicite d’un point de vue européen, d’où le démantèlement de cette association. Dès lors, on comprend mal comment une subvention en nature, dont le montant est estimé à 300 millions d’euros, pourrait être licite ! Naturellement, elle ne l’est pas, et nous comprenons tous ici que, si elle est tolérée, c’est parce qu’elle constitue en réalité un cadeau empoisonné à l’AFPA, susceptible de précipiter son démantèlement complet. (M. le secrétaire d'État s’exclame.)

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, certains des articles du projet de loi ne figuraient pas dans l’ANI et inversement. En décidant de ne pas faire figurer dans le projet de loi le droit à la formation initiale différée, vous avez tout simplement trahi l’esprit de cet accord. Si certaines mesures avaient pour effet de favoriser des formations directement utiles pour le retour à l’emploi – je pense par exemple à la préparation opérationnelle à l’emploi, la POE –, c’est que, par ailleurs, les salariés sortis du système scolaire sans diplôme se voyaient offrir une véritable seconde chance. L’absence de cette mesure est d’autant plus regrettable que ce projet de loi n’apporte en matière scolaire aucune réponse réelle pour les jeunes en situation de décrochage.

Apprentissage dès quinze ans, généralisation des « écoles de la seconde chance », transfert immédiat des coordonnées des élèves en décrochage scolaire à une liste d’organismes, dont on craint qu’il puisse s’agir d’entreprises d’intérim ou d’opérateurs privés de placement, suppression de l’action de la MGI, la Mission générale d’insertion : toutes ces mesures constituent pour nous autant de renoncements au rôle majeur que doit jouer l’éducation nationale, qui est de permettre à chaque jeune de sortir du système scolaire avec au moins un diplôme du cycle supérieur.

Concernant les CO-PSY, les conseillers d’orientation psychologues, vous donnez à penser qu’ils seraient incompétents ou insuffisamment formés aux métiers actuels ! Or ces femmes et ces hommes, professionnels formés au sein de l’éducation nationale, dont vous supprimez chaque année un nombre plus important de postes, sont confrontés non pas à une ignorance des métiers, mais à l’incertitude dans laquelle se trouvent les élèves, et leur famille, lorsqu’il s’agit de faire un choix d’orientation, dont ils savent qu’il débouchera sur des années de galère, de chômage, de précarité et sur une sous-reconnaissance de leur diplôme ! Monsieur le secrétaire d’État, vous pouvez mettre en place tous les portails électroniques que vous voulez, tant que la situation de l’emploi ne sera pas stabilisée, tant que l’avenir que nous offrons aux jeunes ne sera pas meilleur que celui que nous leur proposons aujourd’hui, ils seront désorientés !

Votre conception de l’éducation nationale est à l’image du socle commun de connaissances et de compétences, c'est-à-dire réduite à un strict minimum. Pour vous, l’école doit permettre d’acquérir des compétences et des connaissances utiles dans le monde du travail. Pour nous, elle doit permettre le développement de citoyens épanouis. École et formation n’ont pour vous qu’une utilité : permettre l’employabilité des salariés.

André Malraux affirmait : « Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas ». Pour ma part, je dirai : « le XXIe siècle sera le siècle des connaissances partagées ou ne sera pas ».

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre les conclusions du rapport de la commission mixte paritaire sur ce projet de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)