compte rendu intégral

Présidence de Mme Monique Papon

vice-présidente

Secrétaires :

M. Alain Dufaut,

Mme Anne-Marie Payet.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Demande de consultations d’assemblées territoriales

Mme la présidente. En application des articles L.O. 6213-3 et L.O. 6313-3 du code général des collectivités territoriales, tels qu’ils résultent de la loi du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer, M. le président du Sénat a demandé au représentant de l’État dans les collectivités de Saint-Barthélemy et Saint-Martin de bien vouloir consulter :

- le conseil territorial de Saint-Barthélemy sur la proposition de loi organique déposée par M. Michel Magras tendant à permettre à Saint- Barthélemy d’imposer les revenus de source locale des personnes établies depuis moins de cinq ans ;

- le conseil territorial de Saint-Martin sur la proposition de loi organique déposée par M. Louis-Constant Fleming tendant à modifier le livre III de la sixième partie du code général des collectivités territoriales relatif à Saint-Martin.

M. le président du Sénat a demandé au Premier ministre que l’urgence soit déclarée sur ces deux consultations.

3

Dépôt de rapports

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur le suivi de l’objectif de baisse d’un tiers de la pauvreté en cinq ans, établi en application de l’article L. 115-4-1 du code de l’action sociale et des familles.

Il a également reçu du professeur Laurent Degos, président du collège de la Haute Autorité de santé, le rapport d’activité pour 2008 établi en application de l’article L. 161-37 du code de la sécurité sociale.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

Ils seront transmis à la commission des affaires sociales et seront disponibles au bureau de la distribution.

M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur la mise en œuvre du plan de relance pour le troisième trimestre 2009.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation et sera disponible au bureau de la distribution.

4

Commission mixte paritaire

Mme la présidente. M. le Président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.

5

Débat sur la situation des départements d’outre-mer

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur la situation des départements d’outre-mer.

La conférence des présidents a prévu que ce débat, demandé par notre mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer, aurait lieu en trois temps, comme nous en avons maintenant pris l’habitude pour discuter des conclusions des travaux de nos missions dans le cadre de notre ordre du jour sénatorial. Nous aurons en effet le temps de la mission, le temps des groupes politiques et le temps du débat interactif et spontané.

Je vous rappelle que la mission commune a publié, le 7 juillet dernier, son rapport intitulé Les DOM. – Défi pour la République, chance pour la France. – 100 propositions pour fonder l’avenir.

I. - Point de vue de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la mission commune d’information.

M. Serge Larcher, président de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui vient couronner les travaux de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer, créée au printemps dernier sur l’initiative du président du Sénat, Gérard Larcher, et dont le rapport a été publié au mois de juillet. Ce débat figure ainsi parmi les toutes premières applications du nouveau calendrier parlementaire résultant de la dernière réforme constitutionnelle.

Je voudrais tout d’abord souligner le caractère à maints égards exceptionnel de notre mission d’information, dont mes collègues m’ont fait l’honneur de me confier la présidence et dont j’ai conduit les travaux en étroite collaboration avec notre rapporteur, Éric Doligé ; nous avons formé un duo mixte tout à fait exemplaire !

Exceptionnelle, notre mission d’information l’est en premier lieu par sa genèse sénatoriale : alors que la création d’une mission d’information était jusque-là décidée par l’une des six commissions permanentes ou sur l’initiative conjointe de plusieurs d’entre elles, la décision a, cette fois, été prise par la conférence des présidents, avec l’accord unanime des présidents de groupe, ce qui lui confère une solennité supérieure et marque la volonté forte du Sénat. Au-delà des trente-six sénateurs qui la composent, en sont également membres les présidents des groupes politiques, ce qui est inhabituel et souligne encore l’intérêt du Sénat pour les questions relatives aux outre-mer.

Exceptionnelle, notre mission l’est encore par l’ampleur de la tâche accomplie en un temps record : ayant tenu sa réunion constitutive le 18 mars 2009, avant d’entamer ses travaux le 2 avril suivant par l’audition de M. Richard Samuel, préfet, coordonnateur national des états généraux de l’outre-mer, la mission a abouti en trois mois, avec l’adoption de son rapport en réunion plénière le 7 juillet dans une atmosphère constructive et consensuelle, qui n’a pas démenti celle qui avait présidé à son déroulement sur l’ensemble de la période.

Ses travaux d’une particulière densité ont été menés « tambour battant ». Voici quelques données qui vous permettront d’en mesurer la cadence : trente et une auditions organisées au Sénat aux mois d’avril et mai, complétées par une série de déplacements. Le premier, à Bruxelles, le 15 avril, a permis d’étudier les principaux sujets européens intéressant l’outre-mer et qui s’avèrent cruciaux pour son avenir : la stratégie de l’Union européenne vis-à-vis des régions ultrapériphériques, les RUP, l’avenir de la politique de cohésion, le régime de l’octroi de mer au regard du droit communautaire, ainsi que la prise en compte des spécificités de l’outre-mer dans les accords de partenariat économique avec les pays de la zone ACP, ou Afrique-Caraïbes-Pacifique.

Outre les entretiens avec des conseillers de la représentation permanente française et des différents services de la Commission européenne, notre délégation a pu avoir un échange fructueux avec des représentants des autres RUP de l’Union européenne : les îles Canaries espagnoles et les îles de Madère et des Açores portugaises. Nous avons ainsi mesuré l’urgente nécessité de renforcer notre représentation auprès de la Commission européenne.

Les autres déplacements ont consisté en une visite de trois jours dans chacun des départements d’outre-mer. La mission s’en rendue tout d’abord à la Réunion, du 26 au 30 avril : elle y a tenu dix-neuf réunions de travail et effectué sept visites de terrain. Puis elle a visité successivement la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane, du 10 au 21 mai, avec quelque cinquante-quatre réunions de travail et vingt-deux visites de terrain. Au total, plus de soixante-dix entretiens et une trentaine de visites réalisés outre-mer nous ont permis d’appréhender très concrètement la réalité du terrain et des problèmes qui se posent.

Au cours de ses déplacements, la mission a très largement rencontré, outre les responsables politiques locaux et les autorités administratives de l’État, les principaux représentants de la sphère économique et sociale, tant patronaux que syndicaux. Elle s’est bien sûr entretenue, dans chaque département, avec les collectifs de lutte contre la vie chère. Elle a d’ailleurs mené elle-même sa propre enquête de prix sur les produits de consommation courante dans les grandes surfaces et ses constats ont été corroborés par ceux qui ont été dressés par l’Autorité de la concurrence, dans son avis du 8 septembre dernier.

Elle a enfin entendu des représentants de la jeunesse locale et a tenté d’identifier, par ses visites de terrain, les domaines spécifiques dont la promotion devrait permettre de fonder un développement endogène réussi.

Chaque déplacement dans les quatre départements d’outre-mer s’est en outre conclu par une table ronde réunissant les membres de la délégation et les élus locaux, pour un débat dont le sujet central a porté, chaque fois, sur la situation des collectivités territoriales, situation très préoccupante et sujet sénatorial par excellence !

Exceptionnelle, notre mission l’est enfin, et doublement, par son objet. D’abord, parce que la situation des départements d’outre-mer est au cœur du rôle du Sénat qui, en vertu la Constitution, représente les territoires. Ensuite, et surtout, dans la mesure où, forte de l’intérêt qu’elle a toujours porté aux collectivités ultramarines et de la haute conscience de leur diversité de situation et de leurs spécificités, notre assemblée a entendu le cri de ces sociétés d’outre-mer qui a résonné d’un océan à l’autre, et jusqu’ici, au début de l’année 2009.

Né à La Réunion en octobre, le conflit a en effet rebondi en Guyane, avant de s’enraciner et de se structurer en Guadeloupe et à la Martinique au mois de février 2009. Un mouvement de grève générale, qui s’est développé dans un climat quasi insurrectionnel, a été amorcé en Guadeloupe le 20 janvier, pour durer quarante-quatre jours et se terminer le 4 mars par l’accord Bino, puis s’est rapidement propagé à la Martinique, où il a duré pratiquement aussi longtemps. La Réunion et la Guyane, à leur tour, se sont embrasées.

Ce conflit a cristallisé des exaspérations profondes et anciennes. L’outre-mer a clamé sa souffrance, son aspiration à la dignité et à davantage de responsabilité. Il a forcé la surdité d’une France hexagonale lointaine, elle-même piégée par la crise mondiale. Véritable séisme par son ampleur et sa durée, le conflit, – encore latent aujourd’hui, ne l’oublions pas ! – a lourdement éprouvé des économies ultramarines vulnérables et déjà en mauvaise posture, en mettant gravement à mal les budgets locaux du fait de la minoration des recettes d’octroi de mer. Son principal mérite, me semble t-il, réside dans son rôle d’« éveilleur de conscience », pour reprendre l’expression d’Aimé Césaire.

L’ampleur de ces mouvements sociaux et les initiatives qu’ils ont suscitées pour tenter d’apporter des réponses traduisent un tournant historique. Puissent ces troubles avoir des vertus cathartiques, comme le fait valoir le dicton créole : « sé en gwo désod ki ka mété lod », c’est-à-dire « il faut un bon désordre pour mettre en ordre » !

Le temps n’est plus aux « mesurettes » destinées à colmater les brèches : il faut appréhender et traiter la situation de chaque département d’outre-mer et dans sa globalité, sans tabou, et éradiquer les racines du malaise. C’est la tâche à laquelle notre mission d’information s’est attelée !

Face à l’expression de ce profond malaise, pétri de revendications contre la vie chère et de réactions contre la bipolarisation de la société, le tout sur fond de crise identitaire, le Sénat a souhaité dresser un état des lieux sans concession, faire la lumière et cibler les responsabilités, tracer des pistes pour sortir de l’ornière et jeter enfin les fondations d’un développement pérenne.

D’emblée, la mission a structuré ses travaux autour de cinq grands axes de réflexion qui lui ont servi de fil conducteur et se sont révélés, par la suite, recouper largement les thèmes retenus pour la conduite des états généraux de l’outre-mer.

Permettez-moi, mes chers collègues, de citer ces cinq sujets, dont nous ne nous sommes jamais départis.

Le premier est la situation financière des collectivités territoriales ultramarines, sujet qui a émergé pendant la discussion au Sénat de la LODEOM, ou loi pour le développement économique des outre-mer.

Le deuxième sujet concerne la continuité territoriale, vis-à-vis tant de l’Hexagone que de l’Union européenne, et l’insertion régionale : ces deux impératifs doivent être conciliés pour permettre un développement équilibré des départements d’outre-mer.

Le troisième sujet a trait à la jeunesse des populations, clé de l’avenir et de la question identitaire.

Le quatrième sujet est relatif à la nécessité de procéder à davantage d’évaluations et de disposer des outils correspondants, pour une meilleure efficacité des politiques publiques, question qui touche tous les domaines, institutionnel, économique ou encore culturel.

Enfin, cinquième sujet, l’environnement est une priorité pour la valorisation des atouts de l’outre-mer et un développement endogène réussi.

Le rapport de la mission, qui prévoit une analyse approfondie et exhaustive de la situation des départements d’outre-mer et formule pas moins d’une centaine de propositions, a été adopté à la quasi-unanimité des membres de la mission. En effet, les représentants de tous les groupes politiques ont voté pour ; seules les représentantes du groupe CRC-SPG ont exprimé une abstention bienveillante, une « abstention positive » selon leur propre formulation.

Je veux souligner que ce beau consensus n’a pas été obtenu au prix d’un affaiblissement des constats ou d’un affadissement des propositions.

L’état des lieux est sans concession et les cent propositions, bien que de portée inégale, sont toujours fortes, concrètes, réalistes et traduisent une ferme volonté de dégager de vraies solutions, c’est-à-dire des solutions durables qui restaurent des mécanismes économiques vertueux, dynamitent un certain nombre de verrous et donnent un nouveau souffle aux sociétés ultramarines.

À ce stade, j’évoquerai rapidement – il revient en effet à notre éminent rapporteur, Éric Doligé, de présenter précisément le contenu de nos travaux – trois questions en prise directe sur une actualité qui demeure brûlante : le cadre institutionnel et son évolution, sujet parfaitement d’actualité si l’on se réfère au discours que le Président de la République a tenu aujourd’hui sur la réforme des collectivités territoriales ; le problème de la vie chère ; enfin, le désastre des finances locales.

S’agissant tout d’abord de l’évolution institutionnelle ou statutaire, cette question agite actuellement la Martinique et la Guyane. La consultation des populations, prévue par la Constitution et décidée par le Président de la République, a été fixée les 17 et 24 janvier prochain.

J’observe avec intérêt que le format du questionnement adressé aux populations correspond en tout point à la proposition faite à notre mission commune d’information par M. Stéphane Diémert, sous-directeur, chargé de mission auprès de vous, madame la secrétaire d’État. Ainsi, vous trouverez à la page 78 du second volume du rapport d’information la proposition exacte qui a été retenue par le Président de la République.

Je veux également affirmer l’impérieuse nécessité d’une campagne d’information exposant clairement les enjeux de chaque cadre statutaire au regard d’un véritable projet de développement : l’objectif visé est non pas le statut, mais le développement des territoires. Or, sur place, en Martinique notamment, le débat est aujourd’hui confus et souvent passionnel. Un nouvel échec, après celui de 2003, serait particulièrement dommageable dans le contexte actuel.

La Guadeloupe, qui s’est donné le temps de la réflexion, notamment en matière de projet de développement, saura, j’en suis convaincu, tirer de précieux enseignements des expériences martiniquaises et guyanaises.

La rédaction des questions qui seront proposées aux populations doit également tendre à ce que la consultation n’aboutisse pas à une impasse, ce qui serait dramatique.

Le deuxième sujet que je souhaite évoquer concerne la vie chère. C’est en effet la question du pouvoir d’achat qui a mis le feu aux poudres au début de l’année 2009 !

Tout le monde s’accorde aujourd’hui à reconnaître que les niveaux de prix dans les départements d’outre-mer sont excessifs, notamment pour les produits de consommation courante, et tout le monde s’accorde à dénoncer l’opacité des mécanismes de formation de ces prix. Concurrence insuffisante et absence de transparence sont effectivement deux causes lourdes du niveau élevé des prix.

La dénonciation des abus et une lutte draconienne contre l’opacité doivent être désormais un objectif prioritaire des services de l’État dans les départements d’outre-mer.

La restauration des conditions d’une concurrence raisonnable emprunte un chemin plus long. Il faut vaincre l’obstacle naturel de l’étroitesse des marchés dans les départements d’outre-mer par une meilleure insertion régionale. Il faut également trouver l’antidote aux poisons qui tirent les prix vers le haut : je pense ici aux sur-rémunérations, pour lesquelles notre rapport d’information prévoit un dispositif de réduction équilibré.

Madame la secrétaire d’État, vous nous avez demandé d’être courageux : nous le sommes toujours au Sénat ! Je pense que, vous aussi, saurez être courageuse pour nous accompagner dans notre démarche de vérité.

Sur la question des sur-rémunérations, évitons de sombrer dans la caricature et d’agiter le chiffon rouge. Chacun sait que les sur-rémunérations forcent la bipolarisation de la société en bloquant l’embauche dans le secteur privé et rendent attractifs les emplois publics, dont le développement grève lourdement les budgets locaux. Les médias ont été nombreux, lors de la remise du rapport, à centrer leurs propos sur cette seule question des sur-rémunérations.

À cet égard, je tiens à dire ici, en réponse aux inquiétudes de mes compatriotes, qu’il s’agit non pas de suppression, mais d’un ajustement de la rémunération des nouveaux agents au coût réel de la vie dans chaque département d’outre-mer et il va de soi que ce coût devra être régulièrement actualisé.

J’en viens au dernier point : l’état des finances locales.

C’est une situation extrêmement alarmante que la mission a pu observer, les collectivités territoriales ultramarines se distinguant nettement de celles de l’Hexagone par la faiblesse de leurs recettes fiscales et le poids important de leurs dépenses de personnel.

Les communes, tout particulièrement aux Antilles et en Guyane, connaissent des difficultés financières sévères, interdisant tout investissement, au point que la mission préconise un effacement des dettes sociales, seul à même de permettre un nouveau départ sur des bases saines.

Sujet de préoccupation au cœur des finances locales, la question de l’avenir de l’octroi de mer est posée. La mission s’est prononcée pour sa pérennisation, faute d’alternative offrant des garanties équivalentes aux budgets locaux en termes de rentrées fiscales, bien sûr, mais surtout en termes d’autonomie. Je sais le sort que l’État réserve souvent, in fine, aux dotations qui n’évoluent pas ou qui ne correspondent pas toujours aux besoins de nos collectivités ; les présidents de conseils généraux et les maires ici présents peuvent en témoigner largement. Nous vous entendrons avec intérêt, madame la secrétaire d’État, sur cette question importante du financement des communes.

Au terme de cette présentation, je veux rappeler que nos travaux se sont déroulés parallèlement à ceux des états généraux de l’outre-mer, sans interférence entre les deux exercices.

Pour autant, les analyses et conclusions frappent par leur convergence, ce dont je me félicite vivement. La journée de restitution des travaux menés par les états généraux de l’outre-mer, qui s’est tenue le 1er octobre dernier et à laquelle vous avez eu l’amabilité de nous demander de participer, madame la secrétaire d’État, nous a permis de confronter très concrètement les points de vue. L’extrême densité des contributions des différents ateliers et des diverses collectivités prouve combien la France est riche de ses outre-mer et annonce un programme de travail pharaonique.

Soyez assurée, madame la secrétaire d’État, que nous serons toujours des interlocuteurs constructifs, mais vigilants. Nous ne doutons pas que les annonces à venir, lors du conseil interministériel tant attendu du 6 novembre prochain, tiendront largement compte du rapport sénatorial. J’ai eu personnellement l’occasion, au cours des dernières semaines, de constater que ce rapport recevait localement un fervent accueil. Il va donc falloir s’atteler désormais à sa mise en œuvre concrète !

Afin d’assurer cette mise en œuvre, M. le président du Sénat a annoncé récemment, à l’occasion de la remise officielle du rapport, la constitution d’un groupe de suivi chargé d’exercer une veille et, le moment venu, de prendre des initiatives en lien avec les commissions permanentes compétentes.

Je tiens à souligner le caractère exceptionnel d’une telle décision. En effet, la publication de son rapport marque traditionnellement l’achèvement des travaux et la disparition d’une mission d’information. La décision de maintenir une structure de suivi manifeste donc non pas la suspicion, mais le haut intérêt porté par le Sénat et, au premier chef, par son président aux questions de l’outre-mer. Nous nous en félicitons et nous l’en remercions chaleureusement.

Pour conclure, je voudrais, madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, vous assurer que cette structure de suivi exercera son rôle de veille avec une très grande rigueur, mais aussi avec l’esprit d’ouverture qui nous a guidés et dont nous ne nous sommes jamais départis tout au long de notre mission d’information. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur de la mission commune d’information.

M. Éric Doligé, rapporteur de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai par enchérir sur les remerciements adressés par notre éminent président de la mission commune, Serge Larcher, à notre président Gérard Larcher – n’allez pas croire qu’il s’agisse d’une affaire de famille ! – pour avoir, hier, initié cette mission d’information sur la situation des départements d’outre-mer et, aujourd’hui, décidé la mise en place d’un suivi de ses préconisations.

L’ampleur et la qualité du travail accompli par la mission commune d’information, unanimement saluée, impliquent en effet que le Sénat continue à faire entendre sa voix sur ce sujet, qui se trouve au cœur de son rôle. La Haute Assemblée est effectivement chargée, par l’article 24 de la Constitution, d’assurer « la représentation des collectivités territoriales de la République ».

Au-delà du déroulement de nos travaux, dont Serge Larcher a illustré la densité et le rythme, dans un laps de temps très court – à peine trois mois –, je souhaite mettre l’accent sur le caractère inédit de notre mission. Concernant l’outre-mer, les sujets étudiés sont généralement ciblés ; or il nous revenait de traiter de la situation des départements d’outre-mer dans sa globalité.

Si, bien évidemment, il apparaît parfois nécessaire d’approfondir des questions particulières, il est aussi indispensable d’avoir une vision d’ensemble. Cette vision d’ensemble faisait défaut : les approches pointillistes et cloisonnées du traitement politique de l’outre-mer, souvent focalisées sur les questions de financement, sont sans doute en partie responsables de la situation extrêmement dégradée à laquelle nous sommes parvenus au début de l’année 2009.

Cette dégradation de la situation économique et sociale, sur fond de malaise identitaire, procède également d’une incompréhension mutuelle. Le kaléidoscope de nos outre-mer est mal connu des Français de l’Hexagone et de nombre de décideurs. Il inspire des sentiments confus où se bousculent rêve, envie, fierté, culpabilité refoulée, compassion et exaspération. Parallèlement, nos compatriotes des départements d’outre-mer, dont certains ne se sont pas encore départis du poids tutélaire de l’histoire, sont écartelés entre la force de leur attachement à la République et le ressentiment qui les assaille face au désintérêt dont ils font parfois l’objet et aux carcans qui brident leur développement.

L’époque des mesures ponctuelles destinées à colmater les brèches sans traiter le fond est révolue : les événements ont montré que nous étions arrivés au bout de l’exercice... Cela a été compris par notre président Gérard Larcher, initiateur de la création de notre mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer.

De par la globalité de son champ d’investigation, notre mission rejoint d’ailleurs la démarche gouvernementale engagée par les états généraux de l’outre-mer. Les deux processus, qui manifestent une prise de conscience de la nécessité d’embrasser la situation des départements d’outre-mer dans sa globalité et de chacun d’eux, ont cheminé en parallèle et l’on peut constater leur convergence sur de nombreux points.

Je vous remercie à mon tour, madame la secrétaire d’État, d’avoir invité notre mission sénatoriale à présenter ses travaux le 1er octobre dernier, lors de la journée de restitution organisée en votre ministère, devant les représentants des différents départements et collectivités ayant pris part à ces états généraux.

La succession des témoignages a fourni une belle illustration de la diversité des situations et des tempéraments, tout en faisant clairement émerger les préoccupations communes. Je citerai, pêle-mêle, la question identitaire, la désespérance de la jeunesse, la demande de préférence locale pour un nouveau modèle de consommation et en matière d’accès à l’emploi, la formation et la création de filières professionnelles, la lutte contre l’illettrisme et l’échec scolaire, la création d’espaces régionaux et le désenclavement des territoires, l’accès au foncier et le logement, la valorisation des atouts de chaque territoire pour asseoir le développement endogène, le renforcement de la gouvernance économique, et tant d’autres questions, toutes plus importantes les unes que les autres.

Comme je l’ai souvent fait valoir pendant le déroulement de nos travaux, le traitement de la situation des DOM suppose une détermination sans faille et nécessite de bannir les tabous. C’est la ligne de conduite que s’est fixée notre mission d’information et qu’elle a observée rigoureusement : en témoignent les constats dressés, qui sont sans concession, et les propositions formulées, qui visent à s’attaquer à la racine des problèmes.

Le président Serge Larcher vous a exposé comment notre mission avait travaillé ; les conditions d’accueil furent parfois difficiles, madame la secrétaire d'État. Je vais vous présenter le fruit de notre réflexion.

Le rapport établi par notre mission d’information en un temps record constitue une somme de constats dont résultent pas moins de 100 propositions. Il s’attache à dresser un panorama fidèle de la situation et procède à une analyse mettant chacun, à commencer par l’État, devant ses responsabilités.

Ce rapport comprend trois grandes parties.

La première traite de la gouvernance institutionnelle et administrative des DOM, d’une part, et de l’impasse budgétaire dans laquelle se trouvent de très nombreuses collectivités territoriales ultramarines, d’autre part. Elle permet, en quelque sorte, de « planter le décor » et montre la situation terriblement dégradée des finances locales.

Dans la deuxième partie de ce rapport, la mission dresse un état des lieux et préconise la restauration des grands équilibres pour fonder un développement pérenne. Sur le plan interne, elle recommande le renforcement des secteurs traditionnels et, conjointement, la promotion des secteurs d’avenir à fort potentiel. Sur le plan externe, elle prône le maintien d’un lien de continuité renforcé avec la métropole et l’Union européenne, où il faut assurer une meilleure promotion des intérêts des régions ultrapériphériques, et, parallèlement, l’impératif d’une meilleure insertion régionale, sans laquelle aucun véritable décollage économique n’est possible.

Dans la troisième et dernière partie, notre mission met l’accent sur les grands défis à relever.

Il s’agit, d’abord, de tenir compte de la jeunesse des populations et de l’énorme enjeu que représente leur formation.

Il s’agit, ensuite, de la prise en considération effective par l’État des spécificités des DOM en ce qui concerne tant les concours financiers – n’oublions pas que les collectivités ultramarines ont des champs de compétence plus larges que celles de métropole – que la mise en œuvre de ses missions de régulation. Je citerai, notamment, sur ce dernier point, l’acuité de la crise du logement en lien avec la question foncière, la santé publique et la protection sociale, ainsi que la reconnaissance de la diversité culturelle et identitaire.

Deux constats transversaux se sont imposés. En effet, le déroulement de nos travaux nous a très vite conduits à identifier deux dysfonctionnements qui affectent la conduite de l’ensemble des politiques publiques menées outre-mer et qui se sont vérifiés dans tous les champs de notre analyse, des finances locales aux évolutions démographiques, en passant par la formation des prix ou les questions foncières.

Le premier dysfonctionnement majeur est lié à une évaluation tout à fait insuffisante, voire parfois inexistante.

Cela a été particulièrement patent en matière de niveau et de formation des prix. Les outils de mesure font défaut et les services susceptibles de veiller à l’évolution et à la formation des prix n’ont pu déceler les dérapages ; la dernière enquête globale sur le niveau des prix datait de 1992 ! En outre, comment instruire les décisions publiques sans état des lieux préalable ?

Le second dysfonctionnement réside dans l’insuffisante prise en compte des spécificités des DOM, les mêmes règles valant généralement pour ces collectivités et la métropole, en dépit des différences de situations.

Dans sa conclusion, le rapport présente une panoplie de propositions, certes de portée inégale, mais cela est le reflet de la diversité des situations des DOM. Les mêmes causes engendrant les mêmes effets, il y a en outre de nombreux points communs entre les quatre départements, et certaines propositions transversales s’imposent.

Le temps qui m’est imparti ne me laissera pas le loisir de présenter l’ensemble des propositions et je centrerai mon propos sur celles qui nous tiennent particulièrement à cœur ; les interventions suivantes et le jeu des questions-réponses permettront d’aborder les autres points.

La proposition qui, sans conteste, a été la plus médiatisée est l’ajustement au différentiel de coût de la vie des sur-rémunérations, qui a été évoqué par le président Serge Larcher, sur-rémunérations perçues tant par les agents de l’État que par les agents territoriaux.

La presse s’est immédiatement emparée de cette proposition et a eu tendance à occulter les autres ; il a souvent été question de « suppression des sur-rémunérations », ce qui ne correspond absolument pas à la proposition que nous avons faite. Je veux bien expliciter le dispositif proposé, qui a été indûment caricaturé.

Les sur-rémunérations sont au cœur des problèmes de développement rencontrés par les DOM : communes à la fonction publique d’État et à la fonction publique territoriale, ces majorations de traitement induisent des disparités de niveaux de rémunération entre la sphère publique et la sphère privée, au détriment de cette dernière. Le tissu économique des DOM, essentiellement constitué de petites et très petites entreprises, est vulnérable et ne peut soutenir la comparaison.

Ce décalage crée des freins à l’embauche, d’autant que le secteur public est évidemment plus attractif. Face à un taux de chômage très élevé, les collectivités recrutent, ce qui grève lourdement leurs budgets et, par voie de conséquence, leurs capacités d’investissement. L’insuffisance des équipements structurants obère à son tour le développement économique… La boucle est bouclée et la situation verrouillée !

Si les sur-rémunérations ne sont pas responsables de tous les maux, elles sont à l’origine d’un processus infernal qui aboutit à tirer les prix à la hausse et à accentuer la bipolarisation de la société. Rompre cet engrenage s’impose si l’on veut réellement trouver une issue à la crise. Mais cette issue ne doit pas être brutale – il en sortirait plus de mal que de bien – et elle doit être encadrée : c’est ce que propose la mission.

Il s’agit non pas d’une suppression, mais d’un réajustement au différentiel de coût de la vie, qui devra être évalué de façon fiable et révisé périodiquement, en tenant compte des modes locaux de consommation.

Par ailleurs, le dispositif proposé sera mis en place progressivement, s’appliquant aux « nouveaux entrants » dans la fonction publique.

Enfin, il ne faut pas que les économies des DOM soient privées des flux financiers correspondant au versement des sur-rémunérations : ainsi, les sommes économisées par l’État et par les collectivités seraient réinjectées via les collectivités territoriales par des aides au financement d’investissements structurants.

Ce dispositif nous semble cohérent, même s’il mérite certainement d’être affiné, et correspond en tout cas à une véritable recherche de solution. Il s’agit d’amorcer des mécanismes vertueux pour le développement de ces territoires !

La question de l’emploi public et de sa fonction de « buvard social », selon l’expression désormais consacrée, me permet de faire le lien avec le deuxième sujet sur lequel je veux braquer les projecteurs : les finances locales.

La faiblesse de la recette fiscale locale, encore aggravée par la réduction du produit de l’octroi de mer du fait de la crise, ainsi que le poids particulièrement important des dépenses de personnel fonctionnent comme un étau pour les finances locales. Selon les données recueillies, ces dépenses par habitant, comparées à celles qui sont constatées pour la métropole, sont dans les DOM supérieures de 38 % pour les communes, de 89 % pour les départements et de 333 % pour les régions.

Il est urgent d’endiguer la dégradation des finances locales. À cette fin, concomitamment à la mise en œuvre de la mesure de réajustement des sur-rémunérations, la mission a formulé un certain nombre de préconisations sur lesquelles nous souhaiterions recueillir votre avis, madame la secrétaire d’État. Je pense, en particulier, à la mise en œuvre d’un plan associant l’État et les collectivités pour une meilleure identification des bases imposables, à une programmation de l’apurement des dettes sociales accumulées, afin de permettre aux collectivités de « repartir sur des bases saines », et, enfin, à la pérennisation de l’octroi de mer, à défaut d’alternative viable, à l’échéance européenne de 2014. Nous laissons la porte ouverte à des réflexions que vous pourriez nous proposer de mener, madame la secrétaire d’État.

J’aborderai une troisième question qui est d’actualité, celle du niveau des prix et des écarts de prix avec la métropole, qui sont à l’origine des conflits sociaux. Le développement de la concurrence et ses effets vertueux sur les prix rencontrent des limites naturelles dans les DOM liées à l’étroitesse des marchés locaux.

Un autre moyen d’obtenir une baisse des prix est de faire la lumière sur leurs mécanismes de formation, ce qui permet aussi de démasquer les abus. L’avis rendu par l’Autorité de la concurrence le 8 septembre dernier constitue un début de réponse, mais il faut créer un véritable service public de surveillance et de contrôle et combattre le cloisonnement des administrations responsables localement. C’est la condition première de la mise en œuvre d’une évaluation efficace pour éclairer la décision publique.

J’en arrive ainsi au quatrième sujet que je souhaite évoquer : l’organisation et le fonctionnement des administrations déconcentrées.

On constate une certaine désaffection de ces postes, ainsi qu’une absence de personnes originaires des DOM aux fonctions d’encadrement. Il faut inverser le processus, d’une part, en adaptant les services déconcentrés aux spécificités des DOM et, d’autre part, en rendant ces postes plus attractifs en termes de valorisation du déroulement des carrières. Cela n’est pas contradictoire avec la question de l’ajustement des rémunérations, car la valorisation des carrières n’est pas purement indiciaire.

En outre, il serait souhaitable de prévoir, en lieu et place de majorations de traitement attribuées uniformément, des primes pour les fonctions les plus exposées ou dont les conditions d’exercice sont particulièrement difficiles. La légitimité de ces primes devrait, bien sûr, être périodiquement réexaminée, afin d’éviter la cristallisation de situations dont le bien-fondé s’effilocherait au fil du temps.

La dernière question que je souhaite aborder dans ce propos liminaire est le pilotage central.

Il nous paraît indispensable de renforcer la position de la Délégation générale à l’outre-mer, la DEGEOM, en en faisant une véritable administration de mission disposant des moyens d’avoir une vision interministérielle des politiques publiques par son rattachement au Premier ministre – vous voyez, madame la secrétaire d’État, que je ne changerai pas d’avis sur ma proposition – et en la dotant de compétences recentrées sur son rôle d’impulsion et de coordination stratégique.

La DEGEOM doit également constituer la mémoire des outre-mer et bénéficier des moyens nécessaires à cette fonction primordiale à l’heure de la diversification des statuts et des droits applicables. Or notre sentiment est que la révision générale des politiques publiques, la RGPP, a opéré en ce domaine plus de mal que de bien.

L’évocation de la mémoire des outre-mer me ramène enfin à la question identitaire, « toile de fond » de toutes les autres, et à la jeunesse. Elle est fondamentale pour la cohésion sociale et pour la jeunesse en proie au désarroi sous l’effet de l’échec scolaire et du désœuvrement : dans chaque DOM, la moitié des jeunes de quinze à vingt-quatre ans est au chômage !

Un travail gigantesque est à accomplir en matière d’enseignement et de formation, et cela dans l’urgence. La mission a formulé sur le sujet de nombreuses propositions concrètes sur lesquelles nous serons heureux de vous entendre, madame la secrétaire d’État.

Des signaux forts doivent permettre à ces jeunes et à leur entourage de percevoir que leurs spécificités sont prises en compte par la République. Cela suppose de mieux promouvoir la diversité, de raisonner en termes de « valorisation des atouts » et de procéder aux adaptations nécessaires, tant il est vrai que la reconnaissance des différences est consubstantielle au principe d’égalité qui constitue le deuxième pilier du triptyque de notre devise républicaine.

Tel est le sens profond du titre que nous avons choisi pour notre rapport d’information : Les DOM. – Défi pour la République, chance pour la France. À défaut de savoir le dire en créole (Sourires.), je vous livrerai l’autre titre auquel j’avais pensé, madame la secrétaire d’État : On y croit ou on n’y croit pas. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.) En effet, en arrivant sur le territoire, j’y croyais à moitié, mais, en repartant, j’y croyais totalement.

Je terminerai par un dicton, que je ne pourrai pas davantage traduire en créole (Nouveaux sourires.) : « après la pluie, le beau temps », car je crois qu’après notre rapport beaucoup de choses intéressantes se passeront. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

II. - Point de vue des groupes politiques