M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le lycée est l’un des lieux importants de transmission des savoirs et d’apprentissage, un moment privilégié dans la constitution d’une culture commune et la construction de la citoyenneté.

Parler du lycée, c’est évoquer une vision de la société et de l’avenir, définir la place que l’on accorde aux jeunes. La question de sa réforme est donc éminemment politique. En débattre nous permet de nous interroger sur la conception même de l’éducation et, donc, sur son rôle dans notre société.

L’ensemble des réformes menées par le Gouvernement concourt à redéfinir notre conception même du système éducatif, de la maternelle à l’université, et transforme les missions et finalités de l’école, passant ainsi d’une ambition d’un haut niveau de connaissance pour tous et toutes à un objectif d’employabilité.

Ce projet-là implique une nouvelle conception des apprentissages et des savoirs « nécessaires » aux individus, en fonction de la place qui leur est assignée dans la société. Il s’inscrit dans le droit fil de la « stratégie de Lisbonne », visant à « construire l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde », et qui préconise notamment de disposer, d’un côté, d’une main-d’œuvre non qualifiée devant répondre à des critères d’« employabilité », à hauteur de 30 % à 40 %, et, de l’autre, d’une main-d’œuvre hautement qualifiée, à hauteur de 40 % à 50 %.

C’est à l’aune de cette « stratégie » que doit s’analyser la réforme actuelle des lycées. Sur le sujet, de nombreux rapports ont identifié les points faisant « consensus », à savoir, notamment, le déséquilibre entre les différentes voies, leur inégale dignité, l’orientation, les sorties sans qualification, l’hégémonie de la série scientifique et la nécessaire revalorisation du métier d’enseignant.

Il s’agit non pas de donner ici une image négative de notre lycée, mais de nous interroger sur les transformations à opérer pour répondre au défi de l’élévation des connaissances et des qualifications. De ce point de vue, une telle réforme ne peut s’émanciper ni de l’amont ni de l’aval. J’y reviendrai en abordant la question de l’orientation.

De même doit être posée la question d’une nouvelle articulation et d’une égale dignité entre les voies générale, technologique et professionnelle. Le poids des déterminismes sociaux marque en effet trop fortement notre lycée. Les filières technologiques et, plus encore, professionnelles, sont trop peu investies, et les élèves issus de milieux défavorisés y sont surreprésentés. Elles sont encore méprisées et restent marquées du sceau d’une orientation par l’échec.

À ce titre, je souhaite dénoncer le caractère choquant et stigmatisant de l’expérimentation menée par l’académie de Créteil sous l’impulsion de M. Martin Hirsch, visant à rémunérer des élèves des lycées professionnels pour leur présence et leur bon comportement.

M. Nicolas About. Vous déformez la réalité !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Une telle expérimentation participe d’un dévoiement du sens de l’école.

M. Nicolas About. Ce n’est pas cela !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Dans les lycées professionnels, la réforme est effective depuis la rentrée 2009 et le baccalauréat professionnel en trois ans a été généralisé. Le chef de l’État a lui-même évoqué, le 13 octobre dernier, « l’une des réformes les plus importantes » de son quinquennat en matière éducative, précisant qu’elle devait être conçue comme « la première étape » de son projet pour le lycée.

Nous pouvons d’ailleurs nous en inquiéter, tant sur la forme que sur le fond. En effet, la généralisation du baccalauréat professionnel en trois ans a été imposée brutalement, contre l’avis des enseignants, alors même que, selon les premières expérimentations, près de 50 % des lycéens concernés ne parvenaient pas jusqu’au diplôme et sortaient de ce parcours sans qualification. Un tel constat ne peut manquer d’étonner, surtout quand le but affiché, rappelé par le Président de la République, est de « lutter efficacement contre les sorties sans qualification ».

Cette réforme, organisée selon un calendrier insoutenable, a été menée dans la précipitation. Lors de la rentrée scolaire, tous les référentiels n’étaient pas connus, ce qui a entraîné, sur le terrain, désorganisation et problèmes d’orientation : alors qu’ils le souhaitaient, certains élèves n’ont pas été affectés en lycée professionnel, mais, par défaut, dans d’autres branches ; certains se sont vu refuser le redoublement.

Dans les établissements, les personnels se sont mobilisés pour faire en sorte que la rentrée se passe le « moins mal » possible, mais l’inquiétude est forte. En découle un manque de lisibilité de la nouvelle offre de formation dans sa globalité, tant pour les élèves et les familles que pour les enseignants.

Sur le système d’orientation, le Président de la République ne nous annonce rien de moins qu’une « révolution ». L’orientation deviendrait « progressive et surtout réversible », grâce à des dispositifs de passerelles. Il s’agirait d’instaurer une sorte de droit à l’erreur. Dont acte.

Mais par quels moyens parviendra-t-on à un tel résultat ? L’accent est mis sur une meilleure information sur les filières, les études supérieures et les débouchés. Mais informer ne suffit pas, il faut surtout réussir à modifier les comportements induits par les inégalités socioculturelles, qui aboutissent à limiter les choix des élèves issus des milieux modestes. Il faut enrayer une telle autocensure en prévoyant un véritable accompagnement, dans la durée, par des personnels compétents et qualifiés.

Or, depuis 2006, le Gouvernement procède à une extinction tacite du corps des COPsy, les conseillers d’orientation-psychologues : 50 postes sont ouverts au concours, alors qu’il en faudrait 250 pour maintenir l’effectif actuel, déjà trop limité.

Monsieur le ministre, vous mettez en cause leur formation, en soulignant ses insuffisances en matière de connaissance fine des métiers, mais vous voulez confier leur mission aux enseignants, dont le savoir en la matière est limité ! C’est sans doute pour cette raison que vous envisagez de proposer à ces derniers d’effectuer des « stages d’observation en entreprises ». Il en faudra alors beaucoup...

Comment croire à la mise en place de mesures supplémentaires, efficaces et de qualité, alors que sont confirmées les 16 000 suppressions de postes au sein de l’éducation nationale pour 2010 ? Ainsi, depuis 2008, auront été supprimés plus de 40 000 postes. De plus, on sait que la sélection par l’échec et l’orientation par défaut se font souvent dès le collège, notamment en classe de troisième. Et ce n’est pas le « parcours de découverte des métiers et des formations » tel que mis en place en 2007 qui a changé la donne. Si rien n’est réformé en amont, ce « droit à l’erreur » en restera au stade de l’incantation.

Pour le chef de l’État, le lycée de demain doit devenir celui de « l’accompagnement personnalisé pour tous les élèves ». Pourquoi pas, s’il ne s’agit pas de s’inscrire dans la philosophie de l’individualisation des parcours, mesure phare de M. Darcos, qui allait de paire avec l’autonomie des établissements ! Face à l’absence de moyens supplémentaires – la réforme s’effectue « à moyens constants » –, on peut s’interroger sur l’impact réel de ce dispositif sur la réduction de l’échec scolaire, d’autant que rien n’est dit des modalités concrètes, sinon que les établissements devront « trouver la solution la mieux adaptée ». Devront-ils utiliser la dotation globale horaire et donc réduire les heures consacrées aux enseignements généraux ? Auront-ils recours aux heures supplémentaires ? Quid alors du respect de l’égalité de traitement sur tout le territoire ?

Une fois encore, tout cela participe d’une logique avec laquelle il faut rompre, car elle consiste à n’interroger l’échec scolaire que du point de vue de l’élève, en réfutant tout traitement global et toute remise en cause de l’institution et des politiques conduites.

Le lycée doit être un lieu où la transmission des savoirs ne se réduit pas à l’acquisition de compétences individuelles mises en concurrence, où le diplôme – le baccalauréat, en l’occurrence – garde sa valeur de référence nationale et collective, où est défendue la mission émancipatrice de l’école.

C’est pourquoi un autre projet pour le lycée pourrait s’articuler autour de deux grands axes.

Tout d’abord, il convient de réaffirmer la nécessité d’une culture ambitieuse pour tous les futurs adultes, y compris grâce à des allers et retours rendus possibles par la formation continue tout au long de la vie. La formation doit transmettre des outils intellectuels permettant d’avoir prise sur le monde et de le comprendre. À mon sens, c’est l’inverse du socle commun minimal qui distingue le minimum pour tous et le supplément pour quelques-uns.

La lutte contre les inégalités constitue le second axe de ce projet. Il faut enfin créer les conditions réelles de sa réalisation en mettant en place un plan de lutte contre les inégalités, qui prévoira le maintien du traitement de la difficulté scolaire dans la compétence de l’école, le financement d’un programme de recherche pour comprendre l’échec scolaire, l’aide aux professeurs pour l’appréhender et améliorer leur formation.

En effet, réformer le lycée ne peut se faire sans porter une attention particulière à l’exercice du métier d’enseignant et à son statut, garant des bonnes conditions d’enseignement. Ce sont eux les acteurs du changement ! Un profond malaise, accentué par le passage en force lors de la réforme de leur recrutement et de leur formation, touche cette profession. Difficile et peu valorisé, mal rémunéré, ce métier voit ses conditions d’exercice s’aggraver du fait des suppressions de postes qui font disparaître peu à peu tous les autres adultes présents dans les établissements : infirmières, médecins scolaires ou CPE, conseillers principaux d’éducation. Rien ne sera décemment possible dans une logique de restriction budgétaire.

Il est temps aussi que soient non seulement écoutés, mais aussi compris, les besoins et les attentes des lycéens. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au centre, la première de nos ambitions est de replacer l’homme au cœur de tout projet. Aussi, si nous ne devions conserver qu’une seule idée, nous choisirions l’investissement dans la formation, le progrès des connaissances, la culture. Ce débat sur le lycée est donc le bienvenu et je remercie M. le président de la commission, Jacques Legendre, d’avoir demandé son inscription à l’ordre du jour.

Le lycée, haute institution bicentenaire, a connu une démocratisation constante, comme en témoigne l’évolution du nombre de bacheliers depuis 1931. Pourtant, en termes qualitatifs, la portée de cette démocratisation est peu satisfaisante, puisque, chaque année, 50 000 jeunes quittent définitivement le lycée sans obtenir le baccalauréat et 80 000 bacheliers sortent de l’enseignement supérieur sans aucun diplôme. Notons que le monde dans lequel les lycéens et leurs enseignants vivent aujourd’hui est très différent de ce qu’il était en 1974, date de la dernière réforme significative du lycée.

Aussi, à l’heure où les chiffres révèlent un constat en demi-teinte, je regrette, monsieur le ministre, que l’on s’achemine vers un texte a minima préconisant un certain nombre d’ajustements, au demeurant fort utiles et pertinents.

Mais, il faut bien l’avouer, ce n’est pas si simple ! Car, paradoxalement, alors que les élèves et les enseignants expriment un besoin d’évolution, toute perspective de changement est très souvent vécue avec angoisse et suspicion.

On peut regretter aussi que la réforme de l’éducation ne se fasse jamais de manière globale, et que l’on agisse à chaque fois sur un seul maillon du système. Nous avons réformé le collège en 2005 et l’école primaire l’an passé ; nous réformons aujourd’hui le lycée… Pourtant, un grand texte fondateur, avec une vision complète de la transmission des savoirs, y compris tout au long de la vie, n’aurait sans doute pas été inintéressant.

Comment aborder la réforme ?

Nous ne devons pas appréhender l’école comme un sujet technique et purement administratif, mais comme un sujet vivant et humain dont le cœur est l’élève ! Il faut traiter du sens, de la finalité et des multiples objectifs de l’enseignement – la transmission de connaissances, mais aussi de savoir-faire et de savoir-être. L’école a pour rôle clé de préparer les jeunes à exercer un métier, mais aussi de les aider à se construire et à devenir des adultes épanouis et responsables.

La vision de mon groupe repose sur la conception d’une éducation et d’une culture de l’ouverture, de l’émulation et de l’échange, qui contribue à construire une identité vivante, à l’opposé du repliement sur soi. Notre école républicaine doit également permettre la construction d’une culture commune, composée de valeurs telles qu’une véritable ouverture aux autres.

Parce que nous devons penser la place de chaque élève, quelle que soit sa condition, je me permets, monsieur le ministre, d’attirer votre attention sur le sort des personnes handicapées. Le mois dernier, lors d’un déplacement dans ma région, vous avez déclaré vouloir fournir un avenir, un après-collège à ces enfants. Nous approuvons cette volonté, mais souhaitons en savoir davantage sur vos propositions.

Quelles sont, pour nous, les priorités de la réforme ?

L’orientation, point noir de notre système éducatif, constitue une question fondamentale, sur laquelle il convient d’opérer une véritable révolution culturelle. Les lycéens ont du mal à déterminer quel avenir professionnel leur ouvrent les différentes séries, ce qui n’est pas étonnant compte tenu du caractère souvent partiel de l’information. En conséquence, l’orientation est plus souvent subie que choisie pour bon nombre d’entre eux. Celle-ci intervient tardivement, ponctuellement, sans continuum, et souvent par défaut. Notre pays continue de valoriser l’intelligence abstraite au détriment d’autres formes d’intelligence

Aussi devons-nous absolument penser, dans le cadre de cette réforme, à l’articulation entre le lycée technologique, le lycée général et le lycée professionnel, pour qu’enfin ce dernier ne soit plus vécu comme un pis-aller. L’orientation doit permettre à chaque élève de construire son parcours de réussite et, sur ce point, les préconisations du rapport Descoings, comme celles du rapport de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes, me semblent rejoindre les vôtres, monsieur le ministre.

Une rénovation des enseignements et des pédagogies, couplée à une profonde réflexion sur les rythmes scolaires, nous semble également indispensable. Ceux-ci sont aujourd’hui inadaptés : les Français de 15 ans assistent en moyenne à 1 036 heures de cours par an, tandis que la moyenne de l’OCDE est de 921 heures. Il n’est pas rare que certains élèves quittent leur domicile à six heures du matin pour rentrer parfois à dix-neuf heures. Les programmes sont souvent très lourds et les professeurs anxieux à l’idée de ne pas les « boucler ». On soulignera aussi que le découpage de l’année scolaire est souvent déséquilibré, entre un premier trimestre très long et un troisième trimestre qui, le plus souvent, se réduit à peau de chagrin. À cet égard, l’idée d’un redécoupage semestriel me semblait intéressante.

La réforme prévoit aussi un rééquilibrage entre les séries de la voie générale, notamment le sauvetage de la série L. En 2005, au cours du débat sur l’école, notre groupe avait proposé, à travers des amendements malheureusement rejetés, l’intégration dans le socle commun de la maîtrise du corps, ainsi que de l’éducation artistique et culturelle. Aujourd’hui, la réforme prévoit un accès généralisé aux arts et à l’éducation physique et sportive, l’EPS, et je m’en réjouis !

En ce qui concerne les arts et la culture, je voudrais attirer votre attention, monsieur le ministre, sur la distinction qui me semble devoir être faite entre l’enseignement et l’éducation artistique. L’éducation artistique, c’est la sensibilisation permanente aux arts et à la culture via un certain nombre de disciplines, ainsi que l’apprentissage de l’histoire des arts. L’enseignement, c’est plutôt l’apprentissage d’une technique, généralement dispensée dans ces établissements dédiés que sont les conservatoires ou les écoles de musique. Si, à l’avenir, la série L sert à former aux métiers des arts et de la culture, il serait utile de penser la réforme en lien avec celle, déjà très avancée, des enseignements artistiques, dont nous débattrons la semaine prochaine dans cet hémicycle.

S’agissant maintenant du renforcement des langues, qui constitue une excellente chose, c’est en profondeur et de manière diversifiée qu’il faut agir. Naturellement, l’angliciste que je suis se sent particulièrement concernée. Regrouper les élèves par niveau peut s’avérer opportun, à condition, bien évidemment, d’alléger les effectifs. Dispenser des cours en langues étrangères, encourager les séjours à l’étranger et réintroduire une épreuve orale au baccalauréat me semblent indispensables. Mais l’immersion linguistique nécessaire à tout apprentissage efficace peut aussi passer par des mesures simples. Ainsi, Michel Thiollière et moi-même avons amendé le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision de manière à ce que l’on puisse regarder les séries étrangères en version originale. Je regrette qu’aujourd’hui encore alors que ce service existe sur les chaînes privées, il reste absent de notre service public !

Il faut également libérer l’initiative, comme l’a dit notre collègue Jean-Claude Carle. Aujourd’hui, l’école est parfois trop normative, et l’on pourrait laisser davantage d’autonomie à chacun des acteurs, qu’il s’agisse des directeurs, à travers leurs projets d’établissement, des enseignants, par les expériences pédagogiques qu’ils mènent et des élèves, dont on doit encourager la créativité et l’esprit d’initiative ! Ainsi, la classe de terminale, originalité française, clé de passage vers l’enseignement supérieur, devrait marquer moins la fin des études secondaires que l’amorce des études supérieures. Pour en faire une année moins consacrée à emmagasiner des connaissances qu’à apprendre à les utiliser, il faudrait transformer profondément les méthodes de travail et, notamment, développer l’initiation aux recherches personnelles.

Il convient également, monsieur le ministre, de conforter la place des nouvelles technologies, qui permettent de stimuler la diversité des intelligences dont font preuve nos jeunes. La France a rattrapé son retard en la matière, notamment grâce aux collectivités locales. Aujourd’hui, 95 % des 12-17 ans sont des internautes, et ils passent deux fois plus de temps devant un écran qu’à l’école. Ces chiffres méritent d’être retenus. L’école doit donc mieux s’emparer de ces outils pour guider les jeunes vers une utilisation profitable de la toile qui, on le sait, peut ne pas être sans danger.

Réformer le lycée, c’est aussi se poser la question du métier d’enseignant. Voilà 59 ans que le statut des professeurs n’a pas été réformé ! Comme l’a expliqué le rapport Descoings, il faut, en corrélation avec ces ambitions, penser à l’évolution, à l’adaptation et à l’attractivité de ce beau et noble métier qu’est l’enseignement. Je ne m’étendrai pas davantage sur ce sujet, que nous avons déjà évoqué au sein de notre groupe en 2005, et que mon collègue Jean-Jacques Pignard développera tout à l’heure.

J’évoquerai encore deux autres points, monsieur le ministre. En premier lieu, si la réforme annoncée des collectivités territoriales confirme la compétence de la région en matière de formation professionnelle, il faudra alors engager un travail toujours plus étroit avec ces collectivités, qui se sont vu confier l’élaboration des plans régionaux de formation.

En second lieu, comme le préconise également le rapport Descoings, le projet de réforme des lycées ne devrait pas apparaître comme un moyen déguisé de diminuer les moyens, mais comme une nouvelle ambition. Abraham Lincoln affirmait : « Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance ! » On sait que la France a consacré des moyens conséquents au lycée, et ce au détriment de l’université. Il convient sans doute d’envisager une meilleure répartition à ce niveau mais, comme l’a promis le Président de la République, la réforme doit se faire à taux d’encadrement constant.

En conclusion, nous devons concevoir un lycée qui prépare mieux l’avenir de nos jeunes. Aujourd’hui, le slogan devrait être « la réussite pour tous » plutôt que « 80 % d’une classe d’âge au bac »… (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais revenir sur une annonce qui a fait grand bruit ces dernières semaines, celle du projet expérimental « Lutte contre l’absentéisme et incitation collective », initié dans l’Académie de Créteil, et qui concerne notamment le lycée Gabriel-Péri de Champigny-sur-Marne. S’il ne s’agit que d’un projet parmi les 165 soutenus par le fonds d’expérimentation pour la jeunesse, il n’en demeure pas moins caractéristique d’une certaine philosophie de l’éducation. En cela, il pose des questions de valeurs que le Gouvernement ne peut se permettre de balayer du revers de la main, même si, en ce moment, une polémique médiatique en chasse une autre à une cadence infernale.

Si l’éducation a un coût, toujours trop élevé aux yeux du gouvernement actuel, elle n’a pas de prix, et ne doit pas en avoir. En sortant du registre de la rétribution symbolique, vous faites entrer encore un peu plus l’école dans la sphère marchande. Une classe n’est pas un conseil d’administration où l’on peut cumuler les jetons de présence !

Ce qui me semble le plus grave, c’est ce discours ambivalent, voire contradictoire, que l’école républicaine, garante de principes fondamentaux tels que la gratuité et l’obligation scolaire, adresse ainsi à la Nation, agissant comme une institution schizophrène qui anéantirait, en son sein, les valeurs qu’elle promulgue à l’extérieur...

J’y ai également vu le pendant de la suppression des allocations familiales aux parents jugés défaillants. Je ne suis donc pas étonné que cette question redevienne d’actualité à travers les propos de M. Xavier Bertrand. En somme, et en caricaturant à peine, c’est la carotte pour les plus de seize ans et le bâton pour les moins de seize ans !

Tenir comme discours institutionnel que la présence en classe peut s’acheter, y compris selon une rétribution collective, est un leurre. Les lycéens concernés l’ont bien compris, certains y ayant déjà répondu par un « moi, on ne m’achète pas ! ». C’est un leurre en ce sens que cette expérimentation permet d’esquiver la question centrale du décrochage scolaire : que se passe-t-il à l’intérieur de la classe pour que ces élèves n’y aillent plus ? Comment se transmet ou ne se transmet plus le savoir pour ces élèves qualifiés de décrocheurs, et pourquoi ?

Car ce n’est pas la cause de l’absentéisme que vous cherchez à traiter, mais seulement certains de ses effets. Avec ce dispositif, vous actez, de fait, la démission de l’école républicaine. Vous niez la question du sens des apprentissages et de l’apprentissage tout court ! Peu importe ce qui se passe en classe pourvu qu’on y soit, d’autant que la politique éducative du Gouvernement consiste à multiplier les dispositifs externes censés rattraper justement ce qui se passe ou ne se passe pas en classe, et qu’on ne veut surtout pas interroger. Introduire la notion d’argent, et donc un rapport mercantile dans la relation au savoir, c’est nier le travail d’innovation pédagogique de l’enseignant au quotidien, alors même que les professeurs de lycées professionnels sont souvent les plus innovants dans leur manière de transmettre et de faire apprendre. Peut-être gagnerait-on à encourager les bonnes pratiques de ces enseignants et à s’appuyer sur les innovations de ces concepteurs pédagogiques de terrain en les diffusant ?

À ce titre, je ne peux m’empêcher de citer Philippe Meirieu : « N’en déplaise aux spécialistes des « y a qu’à », tout enseignant sait bien que les apprentissages ne se décrètent pas. Et, quoi qu’en pensent les technocrates, on n’éradiquera pas l’échec scolaire en multipliant les prothèses de toutes sortes après la classe, sans toucher à l’organisation même de cette dernière. Les pédagogues, en dépit des anathèmes et des malentendus, ne sont en rien de doux rêveurs ayant abdiqué leur autorité et renoncé à transmettre des savoirs. Ils témoignent, au contraire, d’une inlassable obstination dans ce domaine, articulant, avec inventivité, la volonté d’instruire et celle de former à la liberté. »

Ainsi, la réforme du bac professionnel n’a pas donné lieu à une réflexion sérieuse sur les pratiques pédagogiques à promouvoir dans les lycées professionnels, parce que la pédagogie est devenue, ces dernières années, un gros mot. Ce faisant, nous nous privons de capacités de généralisation de savoir-faire développés sur le terrain par les équipes éducatives, et qui ont fait leur preuve ! Malheureusement, la réforme du lycée général, en s’apparentant de plus en plus à un catalogue de mesures désordonnées, prend le même chemin.

Dans les filières professionnelles, l’autre question cruciale, très liée au décrochage scolaire et pourtant laissée de côté, est celle de l’orientation et de la désespérance d’un projet professionnel réellement choisi.

Dans votre bilan de rentrée de la réforme de la voie professionnelle, vous vous êtes félicité, monsieur le ministre, d’avoir réduit le nombre d’élèves non affectés par rapport aux années antérieures. Mais pouvez-vous indiquer à la Haute Assemblée le taux d’affectation des élèves dans leur premier vœu, c’est-à-dire leur premier choix, non seulement de filière, mais aussi d’établissement ? Car se retrouver dans une filière professionnelle complètement étrangère à celle initialement visée, ou dans un établissement très éloigné de son domicile, voire cumuler ces deux handicaps, constitue les premières causes, en dehors de la nécessité de devoir gagner sa vie, de décrochage.

Dans le Val-de-Marne, les chiffres de la rentrée contredisent la réduction nationalement observée. Huit cent soixante-quinze jeunes sans affectation se sont adressés au dispositif « SOS rentrée » mis en place par le Conseil général, soit une hausse de 33 % par rapport à l’an passé. Sont principalement concernés l’enseignement professionnel et les sections de techniciens supérieurs, soit les deux filières d’études où se retrouvent davantage les catégories sociales les plus modestes.

Ces derniers jours, quatre-vingt-trois jeunes étaient encore sans établissement, ressentant à la fois une angoisse légitime quant à leur avenir et une profonde injustice, plus d’un mois et demi après la rentrée scolaire, de ne pas avoir leur place à l’école. Les causes du décrochage scolaire sont d’abord là !

C’est pourquoi je regrette que la rénovation de la voie professionnelle n’ait pas bénéficié du même processus de dialogue et de maturation que la voie générale, sachant toutefois que, dans ce dernier cas, ce sont les réticences suscitées par le premier projet Darcos qui l’avait rendu indispensable.

Comme le souligne un récent rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale, imposer cette réforme dans la précipitation a été source de difficultés avec les régions, en termes de redéfinition de la carte des formations, dont le principal enjeu était l’équilibre entre bac pro et CAP.

Votre réforme s’applique depuis la rentrée, alors que nombre de points restent flous, particulièrement en termes d’orientation et de construction des parcours de formation. Orienter un adolescent en difficulté au collège directement vers un bac en trois ans, sans possibilité de repli, à part la certification intermédiaire en cours de formation, peut nourrir l’inquiétude, d’autant que la question de la valeur du BEP rénové, présenté comme « certification intermédiaire », reste posée, de même que celle du nécessaire approfondissement de son articulation avec l’organisation pédagogique du bac.

Par ailleurs, les élèves qui souhaitent une orientation vers la voie professionnelle pour effectuer davantage d’apprentissage pratique risquent de ne pas s’y retrouver puisque les heures d’enseignement professionnel sont au nombre de dix en bac pro, contre quinze en moyenne en CAP. Certains parents privilégieront alors un CAP, diplôme d’insertion professionnelle, quitte à envisager ensuite une hypothétique poursuite d’études. Reste alors le problème des passerelles qui pourraient être mises en place entre CAP et bac en trois ans, que ce soit sous statut scolaire ou par apprentissage.

L’inspection générale déplore également une information insuffisante des familles, de l’encadrement et des enseignants, voire un discours maladroit qui vient brouiller les cartes.

Selon elle, « on peut craindre que les conseils de classe de troisième ne sous-estiment les chances de réussite en baccalauréat professionnel de certains élèves [...] sous l’effet cumulé de plusieurs facteurs », en particulier, le discours sur la valorisation de la voie professionnelle et l’insistance de certains supports d’information sur l’objectif de poursuite d’études dans l’enseignement supérieur pour les nouveaux bacheliers professionnels.

Pour l’inspection générale, « le plus important, car le plus porteur de malentendu à moyen terme, est l’insistance sur la possibilité de poursuivre le parcours en BTS après le baccalauréat professionnel en trois ans », étant entendu que « si ce message a pour effet de renforcer la motivation des élèves, il a pour inconvénient, lorsqu’il est au cœur de la communication, de faire miroiter à certains élèves un horizon qu’au moins une partie d’entre eux aura du mal à atteindre, et de banaliser le contenu professionnel du baccalauréat professionnel ». C’est pourquoi elle demande un suivi précis des flux d’orientation, un accompagnement des établissements dans leur autonomie et un recadrage du discours officiel sur la voie professionnelle.

Au moment où commence la phase dite « de concertation » sur la rénovation du lycée général et technologique, il me semblait important de saisir l’occasion de ce débat pour revenir sur les ratages de la réforme de la voie professionnelle, afin d’éviter au Gouvernement de réitérer les mêmes impairs.

De cette rénovation le Président de la République vient de fixer les contours. La logique à l’œuvre est toujours la même : feuilletage, externalisation hors de la classe et individualisation des dispositifs, avec multiplication des stages pendant les vacances scolaires, généralisation au lycée des deux heures d’accompagnement individualisé, dont on aimerait d’ailleurs que le Gouvernement précise le financement. Ces deux heures viennent-elles remplacer les quatre heures hebdomadaires de modules et d’aide individualisée ? Auquel cas, en voulant faire plus, on ferait moins, comme pour les enseignements artistiques et culturels en lycée professionnel, en somme !

Le Président de la République nous a également promis un rééquilibrage des filières. Celui-ci se résume en réalité à la seule modification des contenus de la filière littéraire, ce qui permet de nouveau d’évacuer toute réflexion globale, et à coup sûr politiquement plus sensible, sur les enseignements à donner au lycée.

Enfin, je n’ai relevé aucune mention de l’éducation prioritaire dans le discours présidentiel sur la réforme des lycées, alors même que l’assouplissement de la carte scolaire a eu des effets dévastateurs sur nombre d’établissements de quartier. Ce qui fait dire à Agnès van Zanten, sociologue spécialiste des inégalités dans l’éducation, que, avec l’assouplissement de la carte scolaire, on aide les élèves méritants aux dépens de ceux qui sont en difficulté. Or le progrès social d’une société se mesure à l’aune du progrès des plus fragiles, et les conditions de vie actuellement faites à ceux-ci les obligent de plus en plus à rester entre eux. L’écart avec le reste de la population se creuse toujours davantage, et la crise économique que nous traversons ne va pas sans accentuer ce phénomène.

Parce qu’il vous faut des résultats quantifiables, vos politiques se concentrent sur ceux qui se trouvent à la frontière. C’est vrai pour la lutte contre le chômage, où les efforts d’accompagnement portent sur les plus aptes à rejoindre l’emploi. C’est vrai également pour l’école, où l’accent est mis sur la « remédiation » individualisée de la difficulté scolaire passagère, sur la promotion individuelle au détriment du progrès collectif.

Ainsi, l’évitement des établissements considérés comme les plus mal « cotés » marque encore plus les zones de relégation scolaire. Nous pensons que le remède a été pire que le mal, car, comme à l’accoutumée, votre politique s’est focalisée sur le symptôme, et non sur le mal lui-même.

C’est pourquoi nous attendons avec impatience, monsieur le ministre, un vrai bilan de l’assouplissement de la carte scolaire, qui devait aboutir, rappelons-le, à sa suppression pure et simple à la rentrée 2010. Si ce bilan devait confirmer les tendances observées, je ne doute pas que le Gouvernement ferait montre de sagesse en abandonnant ce projet inepte.

En conclusion, je me permettrai de vous demander, monsieur le ministre, de transmettre à M. le Président de la République, impliqué personnellement dans ce dossier, ces interrogations afin qu’il puisse y répondre dans une prochaine conférence de presse ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)