M. Dominique Leclerc, rapporteur. Oui !

M. Yves Daudigny. C’est pourquoi les jugements pris dans un cas ne sont pas transposables. Tout au contraire ! En effet, les discriminations objectivement et raisonnablement justifiées par des situations différentes sont parfaitement admises, et même exigées, dans ce cas !

Il serait impératif de légiférer si la Cour de justice des Communautés européennes ou la Cour européenne des droits de l’homme avaient d’ores et déjà condamné l’article L. 351-4 de notre code de la sécurité sociale. Tel n’est pas le cas.

Nulle urgence, donc.

Et même si cela était, l’article 38 serait-il le bon dispositif ? Pour ceux que l’évidence mathématique n’aurait pas frappés, je rappelle qu’il nous est proposé de partager en deux le droit à majoration actuel de huit trimestres, à enveloppe constante. Il s’agit donc de réduire le droit actuel de moitié pour les mères biologiques et adoptantes et de le supprimer complètement pour celles qui ont assumé la charge effective et permanente d’un enfant.

Nul n’ignore pourtant – et c’est un homme qui le dit ! –que les femmes assument toujours très majoritairement la charge des enfants,...

Mme Odette Terrade. Eh oui ! Cela n’a pas beaucoup changé !

M. Yves Daudigny. ... qu’elles s’en trouvent fortement pénalisées dans leur parcours professionnel, leurs salaires et, finalement, leurs droits à retraite.

L’article 38 amènera nombre d’entre elles en dessous du minimum vieillesse. Proposer cette mesure, alors que rien, je viens de le montrer, ne nous l’impose, n’est pas acceptable.

L’article 38 est d’autant moins légitime que sa rédaction n’est pas même à l’abri d’une invalidation pour discrimination, dès lors que la preuve de l’éducation effective des enfants est exigée des seuls pères !

Nul n’ignore enfin que les inégalités que l’article L. 351 - 4 tente de pallier sont le résultat de comportements professionnels discriminatoires persistants. La véritable question se pose donc bien en amont : est-ce à la solidarité nationale d’assumer toujours les lourdes conséquences des comportements répréhensibles des employeurs ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Odette Terrade. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, sur l'article.

Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons le sujet du régime juridique des majorations de durée d’assurance, les MDA.

Mises en place en 1971 par la loi Boulin, ces MDA propres à la maternité permettent depuis le 1er janvier 2004 aux femmes salariées de bénéficier, pour le calcul de leur retraite, d’une majoration de durée d’assurance calculée sur la base d’un trimestre attribué à la naissance, à l’adoption ou à la prise en charge effective de chaque enfant, puis un trimestre supplémentaire jusqu’au seizième anniversaire de l’enfant, dans la limite de huit trimestres.

Ces MDA sont justifiées par la réalité de l’implication des mères dans la prise en charge des enfants bien avant leur naissance. Elles sont des acquis fondamentaux répondant au manque à gagner que les femmes subissent durant leur carrière professionnelle.

Car malheureusement, mes chers collègues, quarante ans après la mise en place des MDA, les inégalités de pension n’ont guère changé : 38 %, c’est l’écart des pensions entre les hommes et les femmes, du fait des inégalités de salaires et d’emploi ; 21 %, c’est l’écart de salaire moyen entre les femmes et les hommes ; 20, c’est le nombre de trimestres de cotisations en moins que les femmes valident lors de leur départ à la retraite par rapport aux hommes, ce qui contraint la moitié d’entre elles à être au minimum contributif, soit 590 euros par mois ; 90 %, c’est le pourcentage de femmes qui, partant à la retraite, bénéficient actuellement de ces majorations de durée d’assurance.

Au travers de ces quelques données chiffrées, nous mesurons bien toute l’importance de ces MDA !

Mes chers collègues, les MDA sont loin d’être un privilège accordé aux femmes. La remise en cause des droits familiaux en matière de retraite pour les mères de famille aggraverait encore les inégalités qu’elles subissent.

Le rôle correcteur des inégalités que joue le dispositif des MDA est d’autant plus fort qu’il était conçu, dès son origine, pour ne bénéficier qu’aux femmes, contrairement à la plupart des autres avantages familiaux, qui bénéficient aux pères comme aux mères.

Dans sa décision du 14 août 2003, le Conseil constitutionnel confirme le bien-fondé de l’attribution des MDA aux seules mères, en admettant l’attribution aux mères d’avantages sociaux liés à l’éducation des enfants, pour prendre en compte les inégalités de fait dont les femmes ont jusqu’à présent été l’objet. Il souligne même que l’extension demandée de la MDA aux pères « ne ferait, en l’état, qu’accroître les différences significatives déjà constatées entre les femmes et les hommes ».

Malgré tout, le Gouvernement a décidé de remanier ce dispositif pour suivre une jurisprudence de la Cour de cassation amorcée en 2006, qui considère comme discriminatoires les règles réservant aux seules femmes le bénéfice des MDA au regard des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme.

Discrimination, voilà un mot trop souvent conjugué au féminin !

Or je crains que l’article 38 n’aggrave une nouvelle fois les discriminations subies par les femmes. Car, dans l’hypothèse de l’attribution des MDA aux pères de famille, ce dispositif porterait un préjudice non négligeable à l’ensemble des femmes mères de famille, qu’elles aient ou non suspendu leur activité professionnelle.

Selon la Caisse nationale d’assurance vieillesse, le montant de la retraite des femmes ne représente en moyenne que 77 % de celle des hommes. Sans les MDA, ce montant serait de 64 % !

En octroyant le bénéfice des MDA aux hommes, nous serions non plus dans la réparation d’une discrimination entre les hommes et les femmes, mais plutôt dans l’aggravation des inégalités déjà existantes.

Nous pouvons d’autant moins accepter ce projet d’extension qu’au regard du droit applicable, notamment constitutionnel et européen, le régime de la MDA peut être maintenu. En effet, comme le rappelle le droit communautaire, en matière d’égalité, appliquer la même règle sans tenir compte de la différence constitue une discrimination.

La MDA doit donc être maintenue dans son intégralité pour les mères salariées qui subissent dans leur vie professionnelle l’incidence des charges liées à l’éducation des enfants. Les tâches éducatives mais aussi quotidiennes liées aux enfants reposent trop souvent encore sur les femmes salariées qui, de ce fait, ne peuvent pas s’investir professionnellement comme les pères.

À elle seule, cette inégalité de fait constitue une justification objective et raisonnable à la différence de traitement entre les hommes et les femmes en matière de MDA.

Il est une autre justification, pratique cette fois, dont, j’en suis certaine, tout le monde ici conviendra du bien-fondé, c’est le rattachement des MDA à la maternité. Malgré les avancées de la science, ce sont toujours les femmes qui portent les enfants pendant neuf mois et leur donnent naissance ! Et cela, monsieur le ministre, aucune réforme, aucune loi ne pourra le modifier !

Vous l’avez compris, avec les sénateurs de mon groupe je réaffirme la nécessité de rattacher les majorations de durée d’assurance à la maternité tant qu’existeront des inégalités réelles et établies entre les hommes et les femmes.

Or de nombreux rapports, comme celui du Secours catholique, publié le 5 novembre dernier, prouvent que la pauvreté se féminise « lentement mais sûrement », notamment parce que l’emploi des femmes reste marqué par « des bas salaires, des emplois à temps partiel, des horaires décalés peu compatibles avec la gestion d’une famille et des propositions de formation ne leur permettant que rarement de faire évoluer leur situation professionnelle ».

M. le président. Veuillez conclure, madame Terrade !

Mme Odette Terrade. Ainsi, ces compensations restent parfaitement légitimes et justifiées.

C’est pourquoi, monsieur le ministre, nous vous demandons de ne pas aggraver la situation des femmes de notre pays, sous couvert d’égalité.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. C’est le contraire !

Mme Odette Terrade. N’allez pas ajouter l’injustice à l’injustice !

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, sur l'article.

M. Guy Fischer. « La grande injustice dont sont victimes en France les femmes qui travaillent [...] : 56 % des femmes mises à la retraite à 65 ans n’ont cotisé au régime de retraite que pendant 25 ans à peine. Pourquoi cela ? Parce qu’elles ont admirablement rempli leur devoir de mères de familles, qu’elles sont restées au foyer pour élever leurs enfants en bas âge, et qu’elles n’ont commencé à travailler qu’après que ces enfants eurent été élevés. »

Au-delà de leur caractère désuet et un brin sexiste, qui témoigne du contexte historique dans lequel ils ont été tenus, ces propos témoignent de ce qui fut, dès son origine, en 1971, les motivations de la création de la MDA. Car il s’agit d’un extrait du discours qu’a prononcé le 1er décembre 1971 le ministre de la santé publique et de la sécurité sociale de l’époque, Robert Boulin.

Il est clair que la majoration de durée d’assurance est une mesure de justice sociale, qui a exclusivement une vocation réparatrice.

Il s’agit de compenser, une fois l’âge de la retraite atteint, les inégalités salariales dont les femmes de notre pays ont été victimes, soit en raison de leur maternité, soit en raison de « leur manque de concentration » ou de disponibilité résultant de cette maternité, ou, pis encore, en raison de leur capacité physique, réelle ou présumée à enfanter.

Force est de constater que, depuis quarante ans, rien n’a vraiment changé. Selon une étude menée par l’Observatoire des inégalités au mois de janvier dernier, tous temps de travail confondus, le salaire des femmes équivaut en moyenne à 73 % de celui des hommes. Les femmes touchent donc en moyenne 27 % de moins que les hommes...

Cela provient d’abord d’une inégalité dans les types de contrat, ou plus précisément dans les différences de temps de travail, puisque les femmes travaillent cinq fois plus souvent à temps partiel que les hommes. De plus, le temps de travail des hommes est aussi accru par les heures supplémentaires qu’ils effectuent plus souvent que les femmes. Pourtant, en comparant des salariés et des salariées à temps complet, on voit que les femmes perçoivent encore 19 % de moins.

En effet, à temps de travail et à poste égal, l’écart de rémunération demeure et varie entre 10 % et 25 %. Cela résulte, il faut le dire clairement, d’une discrimination pure et simple.

Cette discrimination a un impact considérable sur la retraite des femmes. Le montant moyen de la retraite des femmes représente 62 % de celle des hommes et 50 % des femmes à la retraite touchent moins de 900 euros, alors que ce n’est le cas que pour 20 % des hommes. Trois femmes sur dix doivent attendre soixante-cinq ans pour bénéficier d’une carrière complète.

Victimes de discrimination au travail, elles en sont encore victimes une fois à la retraite. C’est une forme de double peine !

C’est pourquoi nous ne pouvons accepter la mesure proposée par l'article 38.

Nous considérons qu’en lieu et place il fallait prendre des mesures effectives pour lutter contre ces inégalités, en renforçant, par exemple, les contrôles et les sanctions à l’encontre des employeurs qui ne respectent pas le principe d’égalité que la loi leur impose.

Monsieur le ministre, votre mesure aura immanquablement pour effet de réduire le montant des pensions des femmes. Ainsi, sous prétexte de lutter contre une forme d’inégalité – nous reviendrons sur cette question –, vous allez laisser perdurer jusque dans la retraite une inégalité débutée au travail. C’est inacceptable !

Nous voterons donc contre cet article 38, si l’amendement de suppression que nous avons déposé n’est pas adopté.

M. le président. La parole est à M. François Autain, sur l'article.

M. François Autain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici les remarques que ma collègue Annie David avait l’intention de formuler sur cet article.

Je ne reviendrai pas sur le sens réel de cette MDA, qui a été créée en 1971 et qui reste malheureusement toujours d’actualité presque quarante ans après. Il s’agit de réparer des discriminations auxquelles sont confrontées aujourd’hui encore les femmes, avant même qu’elles soient mères, d’ailleurs, car pour beaucoup trop d’employeurs encore, toute femme pouvant devenir mère, il ne faut pas lui donner trop de responsabilités !

Mais tout cela ayant été déjà excellemment souligné par mes collègues, je me concentrerai sur les propositions qui nous semblent acceptables en matière de rénovation de la majoration de durée d’assurance.

Pour cela, il nous faut aborder la conception de l’égalité et nous interroger sur les choix à opérer pour lutter contre les discriminations de genre à l’égard des femmes salariées.

Cela m’amène directement, sans revenir sur la loi Boulin de 1971 et son évolution, à une décision du Conseil constitutionnel d’août 2003 qui admet « l’attribution d’avantages sociaux liés à l’éducation des enfants » aux mères « pour prendre en compte les inégalités de fait dont les femmes ont jusqu’à présent été l’objet ».

Je me réjouis de cette décision, car elle conforte notre conception de l’égalité en matière salariale !

À cet instant, il est bon de rappeler que, aux termes de l’article 62 de la Constitution, les décisions du Conseil Constitutionnel « ne sont susceptibles d’aucun recours » et qu’elles « s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. ».

J’en viens maintenant à la conception de l’égalité réelle de la Cour européenne des droits de l’homme, qui admet une différence de traitement dans des situations analogues et affirme qu’il y a donc nécessité de corriger les désavantages dont souffrent les femmes sur le plan économique.

Là encore, nous sommes confortés dans notre conviction, car c’est bien une évidence que les mères salariées et les pères salariés, qui sont dans des situations pourtant analogues, ne bénéficient pas des mêmes droits salariaux ! Il existe, de ce fait, une justification bien réelle à un traitement différent pour rétablir l’égalité.

Aussi, je ne peux que regretter la décision du Gouvernement de ne pas contester la décision de la Cour de cassation, pourtant contredite par le Conseil constitutionnel, et alors même que ce sont les décisions de ce dernier qui s’imposent aux pouvoirs publics, aux termes de l’article 62 de la Constitution, que je viens de rappeler !

Votre gouvernement, par souci d’économies, a décidé de modifier les règles de fixation de cette MDA dans un sens qui pénalisera encore un peu plus les femmes !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. C’est incroyable !

M. François Autain. Aussi, après ce rappel des faits juridiques, voici les propositions qui nous paraissent acceptables.

En premier lieu, la MDA doit être maintenue dans son intégralité pour les mères salariées qui subissent dans leur vie professionnelle l’incidence des charges liées à l’éducation de leurs enfants. C’est d’ailleurs l’avis de la Cour des comptes, dans son Rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale remis en 2009, dans un chapitre intitulé « La prise en compte des enfants dans la durée d’assurance pour la retraite ».

Pour le Conseil d'orientation des retraites, le COR, ou le Centre d'études et de recherches sur les qualifications, le CEREQ, un fait générateur essentiel de l’inégalité de fait dans la vie professionnelle est lié à l’éducation des enfants, notamment lors des premières années de la vie active. Nous sommes en plein accord avec ce constat !

En second lieu, la MDA doit être étendue aux pères salariés qui se sont effectivement consacrés à titre principal à l’éducation de leurs enfants et en ont subi de fait des répercussions, c’est-à-dire des discriminations dans leur vie professionnelle.

Aussi, pour conclure, vous l’aurez compris, chers collègues, les sénatrices et sénateurs du groupe CRC-SPG, qui sont très attachés à ce droit accordé aux femmes, peuvent accepter que, sous couvert d’égalité entre les hommes et les femmes, le droit des hommes soit accru, à condition que ce droit rejoigne celui qui est accordé aujourd’hui aux femmes, mais pas au détriment de ces dernières ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 163 est présenté par Mmes Demontès, Le Texier et Jarraud-Vergnolle, MM. Cazeau, Daudigny et Desessard, Mmes Campion, Alquier, Printz, Chevé et Schillinger, MM. Le Menn, Jeannerot, Godefroy, S. Larcher et Gillot, Mmes San Vicente-Baudrin et Ghali, M. Teulade et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 345 est présenté par MM. Fischer et Autain, Mmes David, Pasquet, Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour défendre l’amendement n° 163.

M. Jean-Pierre Godefroy. Le montant moyen de la retraite des femmes représente 62 % de celle des hommes ; 50 % des femmes à la retraite touchent moins de 900 euros, ce qui n’est le cas que pour 20 % des hommes ; trois femmes sur dix doivent attendre soixante-cinq ans pour bénéficier d’une carrière complète ; enfin, il a été établi que le montant des pensions diminue avec le nombre d’enfants.

Les femmes sont donc victimes de discriminations indirectes.

De ce point de vue, la loi du 27 mai 2008 reconnaît les discriminations indirectes, à la suite de la transposition des directives européennes.

Dans sa décision du 14 août 2003, le Conseil constitutionnel admet l’attribution aux mères d’avantages sociaux liés à l’éducation des enfants, afin de prendre en compte les inégalités de fait dont les femmes ont, jusqu’à présent, été l’objet.

Pour ce qui est de la demande d’extension aux hommes de la MDA, le Conseil constitutionnel répond que « la mesure demandée ne ferait, en l’état, qu’accroître encore les différences significatives déjà constatées entre les femmes et les hommes au regard du droit à pension ».

L’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales interdit les discriminations directes, mais aussi indirectes. La Cour a précisé que « peut être considérée comme discriminatoire une politique ou une mesure générale qui a des effets préjudiciables disproportionnés sur un groupe de personnes même si elle ne vise pas spécifiquement ce groupe ».

Dans un premier arrêt, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait, en 2006, rendu possible l’extension du dispositif uniquement aux hommes ayant élevé seuls un enfant ; on peut effectivement considérer, dans ce cas, qu’ils ont assumé seuls la charge de l’éducation du ou des enfants.

Cependant, l’arrêt de février, qui remet en cause cette jurisprudence et semble consacrer une extension générale du dispositif à tous les hommes, n’est qu’un arrêt parmi de nombreux autres.

Par conséquent, nous nous étonnons de la précipitation du Gouvernement. En tout état de cause, la décision du Conseil constitutionnel est supérieure à l’arrêt de la Cour de cassation, qui pourrait très bien être remis en cause par une jurisprudence ultérieure.

Il me semble que l’on pouvait maintenir la MDA en changeant simplement de fondement juridique, afin de ne pas fragiliser le dispositif.

Au regard de la réalité concrète que vivent les femmes de notre pays, nous souhaitons le maintien de ce droit dans son intégralité, c’est-à-dire huit trimestres par enfant, sans condition d’interruption de l’activité. Pour cela, il suffit simplement de rattacher la bonification des trimestres non pas à l’éducation des enfants – ce qui implique un partage possible entre le père et la mère –, mais bien à la grossesse, à l’accouchement et à la maternité.

La libre répartition du bénéfice de la MDA entre conjoints telle que vous la proposez n’est ni applicable, car elle sera source de contentieux, ni socialement satisfaisante.

Tant que le marché du travail, les écarts de salaires et les différences de pensions seront ce qu’ils sont, maintenons cet avantage acquis pour les femmes. Sous couvert d’égalité, n’aggravons pas la situation des femmes de notre pays. Ainsi que Mme Terrade l’a dit, n’ajoutons pas l’injustice à l’injustice. Ne revenons pas sur une bonne mesure.

Monsieur le président, mon temps de parole est presque épuisé, mais permettez-moi de poser une question à M. le ministre et de lui faire part de mon étonnement.

M. le président. Soyez bref, mon cher collègue !

M. Jean-Pierre Godefroy. Je vous remercie, monsieur le président !

Monsieur le ministre, alors que vous nous demandez aujourd'hui de légiférer pour tenir compte d’un arrêt de la Cour de cassation qui peut parfaitement être renversé par un autre arrêt, et ce dans des délais très courts, pourquoi n’avez-vous pas accepté avec la même rapidité l’arrêt de la Cour de cassation sur la non-fiscalisation des indemnités journalières versées en cas d’accidents du travail ?

M. Jean-Pierre Godefroy. C’est tout de même bizarre ! Y aurait-il deux poids, deux mesures pour les arrêts de la Cour de cassation, selon qu’ils vous arrangent ou non ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Guy Fischer. Exactement ! Deux poids, deux mesures ! On va y remédier !

M. Xavier Darcos, ministre. C’est le Gouvernement qui gouverne !

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, pour défendre l’amendement ° 345.

Mme Odette Terrade. Nous souhaitons, au sein du groupe CRC-SPG, la suppression de l’article 38 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, car nous pensons qu’il constitue une mesure inacceptable, qui aura pour effet de réduire les pensions des femmes.

Se fondant sur le principe d’égalité entre les hommes et les femmes, la Cour de cassation, dans un arrêt de février 2009, a reconnu qu’un homme ayant élevé six enfants devait pouvoir prétendre aux mêmes avantages en matière de retraite qu’une femme.

Sous prétexte de tirer les conséquences de cette décision, le Gouvernement a entrepris de modifier les conditions d’attribution de la MDA en scindant en deux les années de majoration, quatre trimestres étant accordés de droit aux femmes au titre de la grossesse et quatre autres trimestres à l’un des deux parents, au choix du couple, au titre de l’éducation de l’enfant.

Nous pensons que cette solution serait une grave remise en question du droit des femmes, au surplus difficilement applicable, comme l’a dit mon collègue.

La majoration des durées d’assurance est un instrument social permettant de lutter contre les inégalités de traitement que subissent les femmes en ce qui concerne leur embauche, leur rémunération et l’ensemble de leur carrière.

L’objectif de cette majoration est de compenser ces inégalités réelles qui demeurent encore très fortes aujourd’hui, comme l’a encore souligné l’Observatoire des inégalités en janvier 2009.

Nous dénonçons donc cette disposition, qui traduit en réalité la volonté du Gouvernement d’utiliser une décision de justice pour justifier une réforme à coût constant, alors que d’autres pistes seraient possibles. En moyenne, je le rappelle, la MDA représente 19 % de la retraite des femmes.

Nous n’avons rien contre l’adoption d’une autre disposition qui permettrait aux pères de bénéficier également d’une majoration de durée d’assurance, dès lors que ceux-ci auraient été également victimes de plusieurs discriminations dans leur travail du fait de leur paternité.

Cependant, cette mesure ne doit pas se faire au détriment du droit des femmes, comme c’est le cas avec l’article 38.

La jurisprudence de la Cour de Strasbourg vient même appuyer notre position. Un arrêt du 12 avril 2006 concernant la différence d’âge de départ à la retraite entre les hommes et les femmes prévue par le régime vieillesse britannique, précise, en effet, que rien n’interdit à un État membre « de traiter des groupes de manière différenciée pour corriger des inégalités factuelles entre eux » et que « les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui est d’utilité publique en matière économique ou en matière sociale ».

Nous dénonçons donc la volonté du Gouvernement d’instrumentaliser une décision de justice pour justifier une réforme à coût constant.

On entend rogner sur le droit des femmes pour créer un droit au bénéfice des hommes. Pour notre part, nous refusons cette logique, raison pour laquelle nous proposons cet amendement visant à supprimer l’article 38.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Leclerc, rapporteur. En réponse à nos deux collègues qui viennent de présenter les amendements identiques nos 163 et 345 tendant à supprimer l’article 38, j’insisterai, en premier lieu, sur le caractère inévitable de la réforme de la MDA. En l’absence de modification du dispositif, les nouvelles contraintes jurisprudentielles auraient, en effet, engendré deux types d’iniquité.

Tout d’abord, en accordant cette même majoration aux pères et aux mères, on aurait fait perdurer les écarts de durée d’assurance qui ont été dénoncés.

Ensuite, élément tout aussi important, en alourdissant considérablement la charge financière qui pèse déjà sur les régimes de retraite, on aurait fait supporter par les générations futures – c’est maintenant certain – une dette supplémentaire qui se serait ajoutée à celle qui existe déjà en matière de retraite.

En second lieu, il convient de rappeler que cette réforme, menée dans la concertation, avait deux principaux objectifs : maintenir le maximum de garanties pour les mères de famille et procéder à des ajustements afin d’assurer la compatibilité du dispositif avec toutes les nouvelles exigences juridiques.

On peut dire que le dispositif que nous étudions aujourd’hui, largement approuvé par les partenaires sociaux, constitue une solution équilibrée, même s’il est complexe et présente quelques risques inévitables de conflit.

Cela étant, la commission considère que cette réforme de la MDA ne nous exonère pas d’une réflexion plus approfondie sur les droits familiaux et conjugaux dans le cadre du débat que nous aurons l’an prochain sur l’ensemble du système de retraite.

M. Guy Fischer. On aurait dû le faire avant !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. La commission émet donc un avis défavorable sur les amendements identiques de suppression nos 163 et 345.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Xavier Darcos, ministre. Je pourrais faire observer d’emblée que l’extension aux hommes des avantages qui sont accordés aux femmes en termes de MDA ferait tomber les amendements sous le couperet de l’article 40 de la Constitution, mettant fin à la discussion sur ce point.

Néanmoins, je veux vous répondre sur le fond.

La situation à laquelle nous sommes confrontés n’a pas été créée par le Gouvernement, mais résulte de contraintes juridiques de nature à fragiliser l’ensemble du dispositif et à compromettre la sauvegarde des droits des femmes en la matière.

Le système que nous proposons reste favorable aux mères de famille en ce qu’il compense le temps de maternité et les années d’éducation. Dans ce système, les hommes qui peuvent démontrer qu’ils ont élevé seuls leurs enfants dans le passé pourraient exiger devant une juridiction de disposer d’un avantage qui revient normalement aux femmes.

Ce sont des situations extrêmement limites, qui correspondent, au fond, à votre préoccupation, puisque se trouveraient ainsi reconnus les pères qui ont élevé seuls leurs enfants.

Nous avons donc ainsi sauvé ce qui devait l’être, me semble-t-il.

Pour répondre à ceux d’entre vous qui se sont exprimés sur l’article, je dois dire ma surprise que m’inspirent les propos tenus à cette occasion.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est le résultat de négociations. Pour son élaboration, nous avons très largement tenu compte de l’avis de ceux qui avaient autorité pour s’exprimer sur le sujet.

Nous avons écouté, en particulier, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, les délégations aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, délégations pour lesquelles j’ai le plus grand respect, pour avoir été moi-même, tout homme que je sois, vice-président de la délégation du Sénat.